LES FABLES
D’ESOPE PHRY-
gien, miſes en Ry-
me Françoi-
ſe.
Auec la vie dudit Eſope ex- traite de pluſieurs autheurs par M. Antoine du Moulin Maſconnois.
A LYON,
Par Iean de Tournes, &
Guillaume Gazeau.
1549.
|| [ID00004]
|| [3]
A treshaut & treſpuiſ- SANT PRINCE, MON- ſeigneur Henry, Daulphin de Vien- nois, Duc de Bretaigne, & premier enfant de France, Gilles Corrozet, ſon humble ſeruiteur, SALVT.
LEs grans Seigneurs riches & opulens,
Pour ſe monſtrer puiſſans & excellens,
Les forts Chaſteaux & Pa- lais edifient:
Et à baſtir telz lieux ſe glorifient,
Pour la grandeur, pour la force, & matiere,
Pour la hauteur, & la cloture entiere
Des baſtimens, dont font conſtruction,
Ou il n’y ha rien d’imperfection.
Mais ceux qui ſont moindres & meeaniques,
Poures de biens, laboureurs & ruſtiques, ???
|| [4]
Font ſeulement petites maiſonnettes,
Tugurions, Cabanes, & Logettes,
De poure eſtoffe, & petite duree,
Selon qu’ilz ont leur force meſuree.
Ainſi eſt il, ô Prince treſpuiſſant,
Royale fleur du beau Liz floriſſant,
Que ceux qui ſont abondans en ſauoir,
Pour le iourd’huy nous font entendre & voir
Leurs baſtimens accomplis & parfaits:
Qui ſont les ditz & eſcrits par eux faits,
Tant bien diſans, en termes ſi exquis,
Qu’à la matiere & ſubiet eſt requis.
Pour le preſent le Royaume de France,
De telles gens n’ha faute ne ſouffrance:
Et ſe peult bien ſur tous donner le prys,
Qu’il ha en ſoy la fleur des bons eſprits:
Qu’en toute langue homme ſauant s’y treuue,
Dont n’eſt beſoin faire plus grande preuue.
Outre ceux là qui font ſi beaux ouurages,
Moindres y ha en ſauoir & langages,
Qui toutesfois par bon zele & vouloir,
Taſchent de loin à ſefaire valoir:
En baſtiſſant ſelon leur fantaſie,
Petis traitez de baſſe poëſie,
Qui ne ſont pas du tout à reietter:
|| [5]
Car on s’y peult maintesfois delecter
Autant qu’aux grans, & le bien & proufit,
Qui en prouient aux bien vueillans ſuffit.
Or ay’ie fait (Prince treſinagnanime)
Ce baſtiment d’aſſez petite eſtime,
En quoy faiſant, pour mon auancement
I’ay prins d’autruy la pierre & le ciment:
Ce ſont Recitz, Apologues & Fables,
Pleines de ſens, ſubtiles, delectables,
Dont ha vsé Eſope Phrygien,
Fabulateur & Poëte ancien:
Et par cela il adreſſe les mœurs,
A compoſer hommes prudens & meurs:
A enſeigner ce qui eſtoit de faire
Pour viure bien, & fuyr le contraire:
Puis qu???d i’ay eu la matiere propice,
I’en ay baſti ce petit edifice.
Cecy n’eſt pas vn ouurage doré,
Digne qu’il ſoit de perſonne honoré,
Pour eſtre mis au nombre des autheurs
Dignes de nom, Poëtes, Orateurs:
Et toutesfois i’ay prins la hardieſſe
D’en faire don, & offre à ta nobleſſe:
En m’aſſeurant que ta grandeur tant haute,
Ne prendra garde à moy, ny à ma faute,
Ny au liuret, qui n’ha la qualité
|| [6]
Pour eſtre offert à ton authorité:
Mais tout ainſi que tu n’as en deſdain
Chaſſer au Lieure auſsi bien comme au Dain,
Et que tu prens agreable ſouuent
Maiſon champeſtre, à la pluye & au vent.
I’ay ceſt eſpoir qu’vn iour deuant ta face,
Ce liure mien trouuera quelque grace:
Non pour la langue, ou pour le tranſlateur,
Mais pour le ſens, & pour ſon propre autheur,
Qui l’ha eſcrit en Grec premierement:
Et par lequel il ha ioyeuſement
Loué vertu, blaſmé faits deshonneſtes,
Introduiſant oyſeaux, poiſſons & beſtes,
Pour reformer les hommes mal viuans,
D’iniquité les traces enſuyuans:
Et leur donner vne reigle de viure,
Non pour peché, mais pour la raiſon ſuyure.
C’eſt le premier qui du temps tres antique
Ha inuenté tel ſtyle poëtique,
Duquel auſsi des ſages les plus vieux,
Ont enſuyui les dits tant precieux:
Meſmes Platon le diuin ha eſcrit,
Que Socrates pres de rendre l’eſprit,
Pour ſon vieil aage, eſcriuoit en beaux vers
Ses dits moraux & ſes contes diuers:
Et apres luy pluſieurs autres n’ont eu
Honte d’auoir ainſi peint la vertu,
|| [7]
Et le peché, à fin qu’experience
Aydaſt à l’homme à trouuer ſapience.
Voyla que c’eſt, & dont ſeray ioyeux,
S’il peult venir vn iour deuant tes yeux.
Dieu qui les Roys fait ſur tous dominer,
Te doint ce bien d’heureuſement regner
A l’aduenir, comme maiſtre & ſeigneur,
A ton ſalut, à ſa gloire & honneur.PLVS QVE MOINS.
|| [8]
L’ignorant.
Comme le Coq ne va querant
La Pierre precieuſe & belle,
Ainſi ne cherche l’ignorant
La ſcience ſpirituelle.
|| [9]
Du Coq & de la Pierre precieuſe.
Fable premiere.
VN Coq cherchant ſa viande & paſture
Sur vn fumier, en fange & pourriture,
Gratant des piedz, vne pierre trouua
De treſgrand prys: il la laiſſe & s’en va,
En luy diſant, hà pierre precieuſe
Qui tant es belle & bonne & gracieuſe,
C’eſt gra ̅ d do ̅ mage & pour toy gra ̅ d malheur
Qu’homme ſauant qui congnoit ta valeur
Ne t’ha trouuee en ce lieu ord & vague,
Il en feroit quel que treſriche bague.
Mais moy qui t’ay en ce fumier trouuee,
Par moy n’eſt point ta bonté eſprouuee.
Ie ne te veux, de toy ie n’ay que faire,
C’eſt pour celuy qui en ha plus affaire,
Et pour ſon fait te ſouhaite & deſire:
A ſi grand bien & ſi haut ie n’aſpire.
Ainſi le fol, par ſon inſipience,
N’ha cure & ſoin de la bonne ſcience:
Il ne veult point aux lettres proufiter:
Tant ſeulement il ſe veult arreſter
Aux biens mondains, pleins de corruption,
Aux folz plaiſirs remplis d’infection.
Il ſe complaiſt à faire demeurance
Es lieux fangeux, tenebres d’ignorance:
Ainſi eſt il à ce Coq bien ſemblable
A qui ne chaut de la pierre vallable:
Car par la pierre eſt ſcience entendue,
Parmy les biens de ce monde eſtendue.
|| [10]
Le Mauuais cherche occaſion de
faire mal à l’Innocent.
On dit en vulgaire langage,
Qui veult faire mal à ſon chien,
Preſuposé qu’il n’en ſoit rien,
Toutesfois dit qu’il ha la rage.
|| [11]
Du Loup & de l’Agneau.
Fable II.
VN Loup tout gris, fin & malicieux,
Et vn Agneau tout ſimple & debo ̅ naire,
Dens vn ruiſſeau plaiſant & gracieux
Beuuoient tous deux ſelon leur ordinaire:
L’Agneau à val, & le vieux Loup à mont,
Qui en fureur prouoqué & ſemond
Dit à l’Agneau: Pourquoy trouble tu tant
Ce beau ruiſſeau ou me viens esbatant?
L’Agneau reſpond non pas à la volee,
Certes ſeigneur ie n’ay point l’eau troublee,
Ie ſuis deſſouz & au deſſus vous eſtes.
Ton pere vn iour me feit telles moleſtes,
Ce dit le Loup, & pour luy tu mourras:
Riens n’y vaudront prieres ny requeſtes,
A ce ruiſſeau iamais tu ne boiras.
Lors l’eſtrang la nonobſtant ſa deffenſe.
Là n’euſt pouuoir iuſte allegation.
Ainſi les grans, ſans qu’on leur face offence,
Font aux petis iniuſte oppreſsion.
Par quelque dol, ou cauillation,
Par haut parler, par force ou par richeſſe
L’homme malin l’innocent tue & bleſſe,
En telle ardeur de couuoitiſe il entre
Que de ſes biens ſe nourrit & engreſſe,
Et de ſon ſang ſe repaiſt à plein ventre.
|| [12]
Qui penſe mal, mal luy
aduient.
Souuent reçoit punition
Celuy qui fait deception:
Qui contre autruy quelque mal penſe,
Il en reçoit la recompenſe.
|| [13]
Du Rat & de La Grenouille.
Fable III.
CEluy qui taſche à deceuoir
Son prochain par quelque fineſſe,
Le mal qu’il vouloit conceuoir
Tombe ſur luy & ſi le bleſſe:
Quiconques ſon prochain oppreſſe,
Et luy veult eſtre deſloyal,
Son peché contre luy s’adreſſe,
Pour mal qu’il penſe, luy vient mal.
Ainſi qu’à la Grenouille aduint
Qui ne faiſoit que mal penſer,
Vn Rat deuers elle s’en vint
Pour ſur ſon corps la mer paſſer:
Tous deux ſe vont en mer lancer,
Et la Grenouille en leaue plus forte
Voulut leurs deux piedz enlaſſer,
Et ſur ſon doz ainſi le porte.
La Grenouille fallacieuſe
Voulut le Raten mer plonger,
Et tant feit la malicieuſe
Qu’es vndes le feit ſubmerger,
Sur elle tomba le danger,
Car vne Eſcoufle en diligence
La vint deſsirer & menger
Par droite & bien iuſte vengeance,
|| [14]
Ne couuoiter choſes in-
certaines.
Si tu t’arrestes à vne ombre,
Delaiſſant la choſe certaine,
Ton eſperance ſera vaine,
Et en ſouffriras grief encombre.
|| [15]
Du Chien & de la piece de chair.
Fable IIII.
VN Chien portoit vne piece de chair
Dedens ſa gueule, & ſe print à marcher
Sur vne planche en paſſant la riuiere:
Et le Soleil par ſa clere lumiere,
Faiſoit de luy & de la chair auſsi,
Vn ombre en l’eau’. Or aduint il ainſi
Qu’il paſſoit l’eau’, icelle ombre aduiſa,
Laquelle alors plus que la chair priſa,
Car il la laiſſe & à l’ombre ſe prend:
Mais il n’aduient ce que fol entreprend:
Rien il ne treuue, & deceu ſe voit eſtre:
Donc à l’abboy il donna à congnoitre
Qu’il eſlut mal. ha poure miſerable,
Ce crioit il, ton chois n’eſt pas valable,
Tant as eſté de tout bon ſens lointain,
Que l’incertain as prins pour le certain.
Nous co ̅ gnoiſſons donques par celuy Chié,
Laiſſant le bien & s’arreſtant à rien,
Que nous deuons ſi ſagement choiſir,
Qu’au chois n’ayons ne mal ne deſplaiſir:
Car nous voyons que ceux là qui s’arreſtent
Aux biens d’autruy, & ſans fin les couuoitent,
Ce temps pendant perdent le leur entier,
C’eſt le loyer d’vn qui fait tel meſtier.
|| [16]
N’auoir affaire auec plus grand
que ſoy.
Auec vn grand ne t’aſſocie,
De le hanter ne te ſoucie.
Si tu veux croire bon conſeil,
Ne te mets qu’auec ton pareil.
|| [17]
Du Lyo
̅
de la Brebis & autres beſtes.
Fable V.
LE fort Lyon prince des autres beſtes,
Par les foreſtz alloit faire ſes queſtes:
La lourde Vache & la Brebis eſtoient
Auecques luy, & enſemble queſtoient.
Lors ont trouué vn Cerf grand & cornu,
Et de ſi pres l’ont chaſsé & tenu,
Qu’ilz l’ont occis. Quand ce vint à parti???x
La venaiſon, ie vous veux aduertir
(Dit le Lyon) qu’à moy qui ſuis ſeigneur,
La part premiere (à cauſe de l’honneur)
Doit eſtre à moy: Et la ſeconde, pour ce
Que plus que vous i’ay fait treſlongue courſe,
La tierce auſsi, pource qu’en mon effort
Par deſſus vous ie ſuis beaucoup plus fort:
Qui pour la quarte apres s’esforcera,
Incontinent mon ennemy ſera.
Tout eſt à moy que chacun ſe pourchaſſe,
Sans rien pretendre à la preſente chaſſe.
Par telz moyens & allegations
Les puiſſans font maintes exactions
Sur les petis, & par dol & malice
Leur oſtent tout, contre droit & iuſtice.
Rare eſt la ſoy voire des plus puiſſans,
Vers les petis qui ſont obeïſſans.
Si tu vis donc auec plus grand que toy,
C’eſt vn grand bien s’il te garde ſa foy.
|| [18]
Le bien perdu fait à
l’ingrat.
Il n’eſt rien plus mal employé,
Que de faire à lingrat du bien:
Quiconques l’aura eſſayé,
Vne autrefois s’en garde bien.
|| [19]
Du Loup & de la Grue.
Fable VI.
VN meſchant Loup la Brebis deuora:
Mais en mengeant il ſe trouua faché,
Dens le goſier vn os luy demoura:
Lors ne ceſſa tant qu’il fuſt arraché:
Pour ſe guerir alla remede querre,
Vers les oyſeaux & beſtes de la terre.
Guery ne l’ont, diſans que ſon tourment
Eſtoit loyer bien digne d’vn gourmand.
Quiconques fait à autruy quelque outrage
Contre raiſon, iuſtice & equité,
Il luy ſuruient touſiours perte & dommage.
Deceu ſe void qui fait iniquité.
A vne Grue il feit grande promeſſe
De quelque don, s’elle luy peult oſter:
Lors ſon long col dedens ſa gueule adreſſe,
Emporte l’os ſans plus le tourmenter,
Et cela fait demande ſon ſalaire:
Mais le faux Loup qui ne veult fatisfaire
Luy dit, va t’en, & ſi me remercie,
Car s’il m’euſt pleu ie t’euſſe oſté la vie,
Tandis qu’eſtoit ton long col eſtendu
En mon gofier: Lors va dire la Grue,
Le bien qu’on fait à lingrat eſt perdu,
Car pour bonté mauuaiſtié eſt rendue.
|| [20]
Ne rendre mal pour
bien.
Ne fais ainſi que la Couleuure,
Ne rens le mal pour le bien fait:
Si on te fait quelque bon œuure,
Il doit estre außi ſatisfait.
|| [21]
Du Ruſtique & de la Couleuure.
Fable VII.
VN Laboureur & champeſtre ruſtique,
En temps d’hyuer deſſus la neige froide
Trouua giſante en vne voye oblique,
Vne Couleuure à demy morte & roide:
Lors ſa pitié il luy manifeſta:
Pour la chauffer en l’hoſtel la porta:
Mais auſsi toſt que la chaleur ſentit,
Par la maiſon elle ſe tranſporta,
Et par ſiffler tout le lieu infecta,
Si mallement qu’elle l’empuantit.
Le Laboureur empongne vne coignee,
Et court apres la Couleuure tortue,
En la tenſant l’ha frappee & coignee:
Mais peu s’en faut que ne le bleſſe ou tue:
Eſt ce (dit il) la mercy & la grace
Que i’ay de toy? Prens tu bien telle audace
De me tuer, & ie t’ay donné vie?
O le grand mal! quand on tue ou menaſſe
Celuy, lequel tout ſon bien luy pourchaſſe,
Cela procede & vient d’ingrate enuie.
|| [22]
Ne faire choſe indigne
de ſoy.
L’homme ſot plein d’outrage,
Au grand veult faire honte:
Mais vertueux courage,
De tel fol ne tient conte.
|| [23]
Du Sanglier & de l’Aſne.
Fable VIII.
VN Aſne lourd de mauuaiſe nature,
Vn Porc Sanglier moquoit & deſpriſoit:
Pour l’irriter luy faiſoit mainte iniure:
Et le Sanglier grauement luy diſoit,
O pareſſeux, contre toy ne m’indigne,
Tu es pourtant de grieue peine digne,
Pour ton mal fait & ta temerité:
Et toutesfois que ie n’ay merité,
Aucune honte ou laide moquerie,
Tu es aſſeur de ma ſeuerité,
Pour ta pareſſe & groſſe lourderie.
Ainſi eſt il, que quand nous oyons dire
Choſes qui ſont trop indignes de nous,
Combien que ſoient par moquerie ou ire,
Il ne nous faut en prendre aucun courroux:
Nous ne deuons dire ou faire aucuns ſignes,
Qui ſoient de nous eſtranges & indignes.
Ne faiſons point deshonneur à nous meſmes,
Par faits ou dits, par paſsions extremes:
Le deshonneur tombe ſur le moqueur,
Qui y adiouſte iniures & blaſphemes:
Mais le prudent demeure le vainqueur.
|| [24]
En poureté ſeureté.
Voluntiers la richeſſe,
Porte auec ſoy tristeſſe:
Mais ſeure poureté,
Porte ioyeuſeté.
|| [25]
Des deux Ratz. Fable IX.
VN Rat de ville eut volunté d’aller
S’esbatre aux champs pour vn peu pren- dre l’aer,
Vn Rat des champs trouua dens vn??? plaine
Qui le ſemond, & puis chez ſoy le meine,
Et luy donna de ſi peu qu’il auoit
Petit banquet, comme faire ſauoit.
Le Rat de ville en voyant l’ordonnance,
Poureté blaſme, & loue labondance:
Et pour monſtrer ſon bien & ſon eſtat,
Dedens la ville il amena ce Rat.
Quand ilz font là, le riche Rat ordonne
Vn beau banquet, & pour manger luy donne
Pain, lard, & chair: mais ce pendant furuint
Dens le celier, vn bouteiller qui vint
Tirer du vin lors s’allerent cacher,
En laiſſant là leur viande & leur chair
En grande peur: Puis lhomme retourna.
Le Rat de ville apres ne ſeiourna:
Mais de menger à l’autre feit enuie.
Dit l’inuité, Ma ſobre & poure vie
Eſt bien plus ſeure & ſtable que la tienne,
Combien que bons repas elle contienne:
Ce que ie menge icy me ſemble fiel,
Poures morceaux aux cha ̅ ps me ſemble ̅ t micl.
Sobre repas en ſeureté (ſans feinte)
Vaut beaucoup mieux que grand banquet en crainte.
|| [26]
Ne croire faux conſeil.
Qui pour ſon proufit ſeulement
Conſeille autruy, il n’eſt à croire:
Et qui le croit, finalement
Se trompe, & dechet de ſa gloire.
|| [27]
De l’Aigle & de la Corneille.
Fable X.
VN Aigle auoit prinſe vne huyſtre à l’eſ- cale
Et ne pouuoit ne rompre ne caſſer
Par ſon effort, mais la Corneille male
Qui à tromper ne faiſoit que penſer,
Dit: Si tu veux ton eſcaille froiſſer,
Vole bien haut, laiſſe la cheoir en terre,
Il ne faudra iamais recommencer,
Car en tombant rompra ſur ceſte pierre.
Fut dit, fut fait, l’Aigle prend ſa volee
Tout au plus haut, puis laiſſe en terre baſſe
L’huyſtre tomber, ſi viſte eſt deualee
Contre le roch, qu’en deux elle ſe caſſe:
Mais la Corneille incontinent amaſſe
L’huyſtre qui eſt dehors de ſa coquille,
Parquoy de dueil quaſi l’Aigle treſpaſſe,
En menaſſant la Corneille ſubtile.
Il ne faut pas croire ſi de leger.
N’adiouter foy à tout conſeil qu’on donne.
Si par conſeil tu veux ton fait renger,
Auant que faire aduiſe la perſonne
Qui te conſeille, & de ton cas ordonne:
Car maintenant chacun conſeille autruy
Si feintement, que qui s’y abandonne,
Voit ſon dommage en fin tomber ſur luy.
|| [28]
Ne croire la louenge des
flateurs.
Flateurs ſont touſiours bien venus
Vers ceux qui ayment leur louenge:
Mais quand la fortune ſe change,
Ilz ſont pour ennemys tenus.
|| [29]
Du Renard & du Corbeau.
Fable XI.
VN noir Corbeau deſſus vn arbre eſtoit,
Et en ſon bec vn fromage portoit
Qu’il auoit pris: vn Renard d’auenture
Paſſoit par là, qui cherchoit ſa paſture,
Et en voyant le Corbeau & ſa proye
La couuoita, puis s’arreſte en la voye,
Et en louant feintement le Corbeau
Dit, mon amy, que ton plumage eſt beau.
I’apperçoy bien à ???eſte heure que non
Eſt vray le bruit & le commun renom,
Car chacun dit que noir eſt ton plumage,
Mais il eſt blanc, voire blanc d’auantage
Que neige n’eſt, ne le laict, ne les Cignes.
I’en recongnois bien maintenant les ſignes,
Sy donc auec tes plumes tu auois
Le chant plaiſant, & delectable voix,
Certes amy ie te iure ma foy,
Que tu ſerois ſur tous oyſeaux le Roy.
Lors le Corbeau eſmu de gloire vaine
Ouure le bec, & de chanter prend peine,
Et le fromage alors chet promptement:
Renard le prend, & fuit ſoudainement.
Le Corbeau crie, en ſe voyant deceu,
Ie ſuis trompé, ie l’ay bien apperceu,
Et congnois bien qu’on ne doit iamais croire
A vn flateur qui donne vaine gloire.
|| [30]
Acquiſition d’amys.
Il fait bon en ieuneſſe
Acquerre des amys:
Car quand vient la vieilleſſe,
En deſpris on eſt mis.
|| [31]
Du Lyon, du Porc, du Taureau &
de l’Aſne. Fable XII.
VN Lyon, en ieuneſſe eſtoit tant furieux
Qn’il feit maints ennemys: mais quand il deuint vieux
La peine il en receut, car la loy Talion
En la vieilleſſe cheut ſur le poure Lyon.
Vn Sanglier de ſa dent luy deſsira ſa peau,
De ſes cornes auſsi le frappa le Taureau,
Et l’aſne deſirant le renom effacer
De ce poure Lyon, le venoit offencer
En le frappant des pieds, & luy diſant iniure.
Et le vieillard Lyon en ceſte peine dure
Diſoit en gemiſſant, tout mon te ̅ ps eſt perdu,
Car le mal que i’ay fait m’eſt maintenant re ̅ du.
Ceux là à ꝗ i’ay nuy qua ̅ d i’eſtois ieune et fort
Me nuyſent maintenant, & deſirent ma mort.
Ceux à ꝗ i’ay aydé pourchaſſent mo ̅ do ̅ mage.
Làs i’ay eſté bien fol qua ̅ d ainfi en ieune aage
I’ay fait des ennemys: Plus fol ie fus encores
D’auoir fait faux amys qui me deſtruiſent ores.
Cela me monſtre bien, & ſi eſt en vſage,
Que qua ̅ d Fortune tourne à autruy ſonviſage,
Ceux qu’il ha offencez s’en ve ̅ gent bien apres,
Et ſes amys auſsi ne s’en tiennent plus pres.
Ses amys ne ſont pas, mais amys de ſa table,
Amys de ſa fortune alors qu’eſt fauorable.
Autres amys faut faire au te ̅ ps quo ̅ le peult bie ̅ ,
Amys de tous les te ̅ ps qui ne veulle ̅ t que bien.
|| [32]
Faire ce qui est decent
à ſoy.
Qui s’entremet de faire quelque choſe,
En quoy il n’ha geste ne bonne grace,
Au rebours vie ̅ t de tout ce qu’il propoſe
Et s’apperçoit deceu de ſon audace.
|| [33]
De l’Aſne & du petit Chien.
Fable XIII.
VN petit Chien à ſon maiſtre faiſoit
Mil’ paſſetemps, gayetez & careſſes.
Il le flatoit, le leſchoit & baiſoit,
Sautoit, danſoit, faiſoit ſes gentilleſſes.
L’Aſne voyant ces ioyes & lieſſes,
Et comme eſtoit celuy Chien bien traité,
Se complaingnant de ſes grandes pareſſes
Dit, ie ſeray autre que n’ay eſté.
Car i’apperçoy, & voy que pour flater,
Le petit Chien eſt touſiours bien venu,
Deuant mon maiſtre il ne fait que ſauter,
Iapper, danſer, dont il eſt cher tenu:
Et moy ie ſuis ſouz le fais detenu,
Touſiours batu en la ville & aux champs.
Tant de fardeaux mon doz ha ſouſtenu,
Que ie me tiens du nombre des meſchans.
Adonc vn iour que ſon maiſtre arriua
En ſon hoſtel, l’Aſne pour luy complaire,
Sur ſes deux piedz tout debout ſe leua,
Et commença à ſauter & à braire.
Lors le ſeigneur le voyant ainſi faire,
Commande & dit qu’il ſoit tresbien froté.
Le labeur donc ou nature eſt contraire,
Se treuue vain, & n’eſt à rien conté.
|| [34]
Les grans ont affaire des
moindres.
Si tu es grand, garde toy bien
De faire au petit deſplaiſir:
Pource que tu ne ſçais combien
Il te peult faire de plaiſir.
|| [35]
Du Lyon & du Rat.
Fable XIIII.
VN Lyon laz ſe repoſoit en l’ombre
Deſſus vn pré: derriere luy eſtoient
Rats & ſouriz, voire en aſſez grand nombre.
Qui entour luy couroient & s’esbatoient.
Lors le Lyon attaingnit de ſa pate
Vn poure Rat, qui le prie & le flate
Pour eſchaper: le Lyon pardonneur,
Voyant n’auoir à ſa mort grand honneur,
Le laiſſe aller en pleine liberté.
O quel grand bien! & quel don d’excellence!
De voir pitié, courtoiſie & clemence
Aux cœurs des grans, & rendre leur clarté.
Vn plaiſir fait ne fut iamais perdu.
Le Lyon fut dedens les liens pris,
Là heurle & brait: le Rat s’y eſt rendu,
Qui de l’oſter d’illec ha entrepris.
Il vient aux laqs, & prend ſi bon courage
Qu’il ronge aux dents la corde & le cordage,
Et le Lyon s’en va franc & deliure:
Lors dit le Rat, ſi par moy tu peux viure
Qui ſuis petit, c’eſt pour la recompenſe.
Car ſi le grand, au petit, doux ſe monſtre,
Le moindre auſsi, pourueu qu’il s’y rencontre,
Luy reuaudra plus que l’autre ne penſe.
|| [36]
Honorer Dieu außi bien en proſpe-
rité qu’en aduerſité.
Qui en ſa vie à Dieu ne fait honneur,
Qua ̅ d la mort vie ̅ t, ou q ̅ lque maladie,
Dieu l’aba ̅ do ̅ ne, & point n’y remedie:
Pour bie ̅ ou mal faut louer tel ſeigneur.
|| [37]
Du Milan malade.
Fable XV.
VN Milan eſtoit
Au lict languiſſant,
Du mal qu’il portoit:
Lors en gemiſſant,
Il dit à ſa mere,
A fin d’auoir mieux,
En compleinte amere,
Priez tous les Dieux
Que i’aye ſanté
Et conualeſcence:
Ie ſuis mal traité
Et perds patience.
Sa mere luy dit,
Le bien que tu veux
Il t’eſt interdit,
Auoir ne le peux:
Car quiconque fait
Tort & violence
Aux Dieux, eſt de fait
Puny de loffence.
Tu as contemné
Les Dieux immortelz,
Et contaminé
Temples & autelz.
Ne penſe donc point
Que Dieu ſoit propice
A qui en ce point
Fait peché & vice.
|| [38]
Croire bon conſeil.
Pluſieurs en leur fait n’ont aduis,
Et ne veullent ouyr ne croire
D’autruy le conſeil & deuis,
Par faute de ſens & memoire.
|| [39]
De l’Arondelle & autres oyſeaux.
Fable XVI.
VN Laboureur ſon Lin ſemoit,
Parquoy l’Arondelle blaſmoit
Les oyſeaux, qui en leur preſence
Souffroient ſerner telle ſemence,
Leur diſant, la graine mengeons
Et du Laboureur nous vengeons:
Car vous deuez tous bien congnoiſtre,
Que quand ce Lin viendra à croiſtre
Il en fera laqs & fillez
Dont ſeront prins & exillez.
Les autres oyſeaux s’en moquerent,
Sote Prophete l’appellerent.
Quand l’Arondelle veit croiſſant
Ce Lin fleury & verdiſſant,
A ces oyſeaux dit derechef,
Il vous viendra quelque meſchef,
Prins ſerez & ſouffrirez pis
Si vous n’arrachez ces eſpics,
Les autres ſe moquerent d’elle.
Depuis la petite Arondelle,
Quand vint à l’arriere ſaiſon
Alla loger en la maiſon
Du Laboureur: apres aduint
Que quand ce Lin bien meur deuint
On en feit fillez, dont prins furent
Ces autres oyſeaux, qui moururent
Par faute de ne croire en rien
Celle qui les conſeilloit bien.
|| [40]
Honorer le bon Prince.
C’eſt vn gra ̅ d bie ̅ de viure en liberté,
C’eſt plus grand bien de viure ſouz vn Prince,
Qui ſagement gouuerne ſa prouince
Et ſes ſubiets en commune vnité.
|| [41]
Des Grenouilles & de leur Roy.
Fable XVII.
EN liberté les Grenouilles eſtoient,
Mais de ce bien point ne ſe co ̅ tentoient,
A Iupiter demanderent vn Roy,
Dont il ſe riſt voyant leur deſarroy:
Tant fut preſsé par leurs hautaines voix
Qu’il leur donna vne tronche de bois
Pour leur ſeigneur: adonques s’auancerent,
Et par honneur vers elle ſe baiſſerent:
Mais en voyant ce Roy ſans mouuement,
Vers elles fut en grand contemnement.
Puis derechef prierent leur changer
Iceluy Roy à vn Roy eſtranger.
Lors Iupiter vne Cigoigne enuoye
Pour eſtre Roy: les Grenouilles en voye
Miſes ſe ſont pour leur Roy honorer,
Lequel les vint manger & deuorer:
Ce que voyans deuers Iupiter crient,
Et leur oſter ce mauuais Roy le prient,
Il ne les oyt, pource qu’ilz refuſerent
Leur premier Roy, & l’autre demanderent.
Vn peuple auſsi fol & ſedicieux,
Qui n’eſt content d’vn Roy bien gracieux,
Dieu luy enuoye vn Roy qui le tourmente,
Dont il ſe plaint & faut qu’il s’en repente:
Blaſme ce Roy & condemne ſes faits,
Le premier louë & ſes actes parfaits
|| [42]
Guerre & tyrannie.
C’eſt grand’ pitié s’on ne peult euiter
Guerre d’autruy, ou prince tyrannique:
Par armes l’vn veult tout ſuppediter,
L’autre deſtruit le corps du bie ̅ publiq ̅ .
|| [43]
Des Colombes & de l’Eſpreuier
leur Roy. Fable XVIII.
LEs Colombes auoient grand’ guerre
Contre le Milan rauiſſant,
Ayde & ſecours voulurent querre
A vn autre oyſeau plus puiſſant.
Pour leur Roy l’Eſpreuier eſlurent,
A fin qu’il les voulſiſt deffendre,
Mais auſsi toſt que Roy fait l’eurent
Se print à rauir & à prendre.
Non moins les tuoit ou mangeoit
Que le Milan leur aduerſaire:
En corps & biens les outrageoit,
Et leur eſtoit en tout contraire.
Le Roy qui ſe deuoit monſtrer
Loyal deffenſeur & amy,
Des qu’il vint au royaume entrer,
Feit plus de maux que l’ennemy.
Les Colombes par repentance
Dirent, nous aymons mieux ſouffrir
La guerre, que la violence
Que noſtre Roy nous vient offrir.
Ainſi voit on qu’en tous coſtez
N’y ha rien qui ſoit bien heureux,
Telles ſont les calamitez
Que ſouffrent les hommes par eux.
|| [44]
N’estre corrompu par au-
cun don.
Qui ſe laiſſe corrompre
Des dons de l’ennemy,
Eſt en danger de rompre
La foy vers ſon amy.
|| [45]
Du Larron & du Chien.
Fable XIX.
VN Larron vint pour deſrober & prendre
En vn logis: & pour mieux entreprendre
Son larrecin,
Il iette vn pain au Chien de la maiſon,
Gouter n’en veult non plus que de poiſon
Tant il eſt fin.
Ne penſe pas, dit le Chien treſloyal,
Qu’en la maiſon ie ſeuffre faire mal:
Ie congnois bien
Que par ce pain tu me veux faire taire,
Garder me veux d’abayer & de braire,
Tu ne fais rien.
Penſerois tu pour vn petit preſent,
Que tout le bien que ie garde à preſent
Ie laiſſe perdre?
Celuy qui fait telle deſloyauté,
On le deuroit (& l’ha bien merité)
Bruſler & ardre.
Tout ſeruiteur ou homme qui ha charge
Du bien d’autruy, n’en doit point eſtre large
A l’abandon.
Il eſt larron qui commet vn tel vice,
Et ſon ſeigneur deſtruit en ſon ſeruice
Pour petit don.
|| [46]
Promeſſe de faux amy.
La promeſſe bien ſouuent
Eſt plus legere que vent:
Ou, pour proufit de celuy,
Qui le promet à autruy.
|| [47]
De la Truye & du Loup.
Fable XX.
VNe Truye cochonnoit:
Si venoit
Vn Loup, qui en ſa fineſſe
Feit promeſſe
A la Truye de l’ayder,
Et garder
Les cochons à leur ſaillir
Sans faillir.
Lors luy reſpondit la Truye
Esbahie,
Quell’ n’auoit de luy affaire
Neceſſaire:
Qu’il la vouloit deceuoir
Pour auoir
Ses Cochonnetz tans petis
Et gentilz,
Et luy pleuſt ſans plus parler
S’en aller:
Car trop mieux en ſon abſence
Qu’en preſence
Ses petis cochonneroit,
Et ſeroit
En plus grande liberté
Et ſeurté:
Car ce fut pour ſon proufit
Ce qu’ell’ feit.
En faux amy quoy qu’il die
Ne te fie.
|| [48]
De grand vantance peu de
fait.
Celuy qui trop ſe vante & loue,
Et ſon fait ne vient à honneur,
On s’en rit, on s’en moque & ioue,
C’eſt le loyer d’vn blaſonneur.
|| [49]
De l’enfantement des montaignes.
Fable XXI.
VN bruit courut iadis que les montaignes
Enfans portoient,
Dequoy trembloient vallees & champaignes.
Vne s’enfla, hommes s’eſpouentoient,
Et vindrent contre
De toutes parts l’enuironnant guettoient,
Ilz penſoient voir d’elle ſortir vn monſtre:
Dont tous periz
Ilz s’eſtimoient, mais rien qui ſoit ſe monſtre.
Or à la fin ſortit vne Souris
Du creux d’icelle,
Dont ilz ont tous ietté pluſieurs ſouſriz.
Ainſi eſt il de gloire temporelle,
Et d’vn vanteur:
Car tout ſon feu ſe mue en eſtincelle.
Vn qui ſe loue & ſe nomme vainqueur
Pour donner crainte,
Au grand beſoin luy faut courage & cœur.
Le mal auſsi ne fait ſi grieue atteinte
Que la peur fait,
Ainſi aucuns ont peur pour vne feinte.
Du ſot vanteur rien ne vient à effect
Par ſon beau dire,
Et le paoureux auſsi ſot en ſon fait
N’en fait que rire.
|| [50]
Amour faulſe.
Ceux ſont loin de la veritê
Qui penſent que l’amour ſoit bonne,
Quand l’amy à l’amy s’adonne
Seulement pour l’vtilité.
|| [51]
Du vieux Chien & de ſon maiſtre.
Fable XXII.
QVelq ̅ ſeigneur auoit vn Chie ̅ bie ̅ vieux,
Qui fut iadis de tous chaſſant le mieux
Mais par vieilleſſe il fut tant affoibly,
Qu’il auoit mis toute chaſſe en oubly.
Ses pieds ſont lents & tardifs à la chaſſe,
Et toutesfois ſon maiſtre le menaſſe,
Mais c’eſt en vain: le maiſtre ha beau parler,
Le poure Chien n’ha puiſſance d’aller.
Vn iour aux cha ̅ ps laiſſe eſchapper la beſte,
Parquoy luy feit ſon maiſtre grand moleſte,
Et le batit de parole & de coups,
Dont ſe complaint le Chien ainſi fecoux:
En luy diſant, Seigneur que penſes tu?
Ie ſuis trop vieux, ie n’ay plus de vertu,
Pardonne donc à ma poure vieilleſſe:
Tu ne m’as pas ainfi fait en ieuneſſe.
Làs ie voy bien qu’à preſent ſuis deſtruit,
Rien ne te plaiſt s’il n’y ha quelque fruit,
Tu m’as aymé en ieuneſſe fertile,
Et tu me hays en vieilleſſe inutile.
Ton amour donc & ſon commencement
Tu mis en moy, pour ton auancement:
Et quand i’ay eu mon aage ainſi paſsé,
Ie ſuis de toy treſinal recompensé.
|| [52]
Bon courage contre la
peur.
Le bon & vertueux courage,
Vaut mieux quand ce vient au beſoin,
Que l’habiluté du corſage:
Le bon cœur ayde pres & loin.
|| [53]
Des Lieures paoureux.
Fable XXIII.
PAr les grans vents vne foreſt ramee
Faiſoit tel bruit que les Lieures craintifs
A s’enfuir furent prompts & haſtifs,
Mais telle peur doit bien eſtre blaſmee.
Lors qu’ilz eſtoient en ce point fugitifs,
Vn grand Mareſt ou vn eſtang trouuerent,
Et auſsi toſt qu’en ce lieu arriuerent
De plus grand peur deuindrent tous retifs.
Saillir en l’eaue Grenouilles auiſerent
Pour crainte & peur quilz leur auoient donné:
Car elles ont la riue abandonné,
Et au profond du palus ſe plongerent.
Vn Lieure lors qui n’eſt trop eſtonné,
Aux autres dit en parlant hardiment,
Que craingnons nous? c’eſt craindre folleme ̅ t
Car nous auons courage effeminé.
Voyez vous pas ces Grenouilles comment
Ont peur dc nous? prenons ſtabilité,
Noz corps ſont prompts, & pleins d’agilité,
Courage fort nous reſte ſeulement.
Il faut par tout courage & fermeté,
Vertu de force & humaine puiſſance
Ha peu d’effect ſans la ferme conſtance,
C’eſt là ou giſt l’entiere ſeureté.
|| [54]
Obeïſſance aux parens.
Honore ton pere & ta mere
Si tu veux viure longuement,
Et fais leur bon commandement,
On tu ſouffriras peine amere.
|| [55]
Du Loup & du Cheureau.
Fable XXIIII.
VNe Chenre alloit en paſture,
Pour y prendre ſa nourriture:
Son Cheureau dens le tect enferme,
Luy commandant de poinct en poinct
Qu’ à perſone l’huys n’ouure point,
Et iuſqu’à ſon retour fuſt ferme.
Le Loup ayant ouy cela,
A la porte du tect alla,
Feingnant de la Cheure la voix:
Ouurez, dit il, mon enfant doux,
Ie veux entrer auecques vous:
Car i’ay aſſez eſté au bois.
Le Cheureau reſpond, non feray,
La porte ne vous ouuriray:
Car ie voy bien par vn pertuys
Que vous eſtes vn Loup meſchant,
Qui mon dommage allez cherchant,
Allez frapper à vn autre huys.
Ainſi le Cheureau ſe garda:
Il feit ce qu’on luy commanda.
Qui donc obeït aux parens,
Tout bien & tout honneur luy vient,
Aucun malheur ne luy ſuruient,
Telz exemples ſon apparens.
|| [56]
Promeſſe par force ne ſe doit
tenir.
Force par force ſe repoulſe,
Par le conſeil ou par l’eſpee.
Fraude par la fraude eſt trompee:
Iamais trompeur n’acueillit mouſſe.
|| [57]
Du Cerf & de la Brebis.
Fable XXV.
VN iour le Cerf feit la Brebis venir
Deuant le Loup, & luy feit la demande
D’vn muy de bled, elle n’ha ſouuenir
De le deuoir, alors le Loup commande,
Pour euiter les deſpens & l’amande,
Qu’à certain iour elle payaſt la debte.
De peur du Loup ceſte brebis s’endebte
S’oblige à force & promet à payer.
Le iour venu, le Cerf ſans delayer
D’auoir le bled de la Brebis s’efforce:
Alors reſpond la pourette affligee,
Que par promeſſe elle n’eſt obligee,
Pource qu’elle hà eſté faite par force.
Selon le droit & toute Loy ciuile,
Quiconques fait par force vne promeſſe,
Ne doit tenir, car elle eſt inutile,
Quand en ce poinct on le contraint & preſſe.
Tout obligé de foy & lettre expreſſe
N’ha nul effect, s’il n’eſt en liberté.
Celuy qui eſt en priſon arreſté,
Ou eſt deuant vn Iuge furieux,
Il promet tout ce qu’on demande & mieux:
Et bien ſouuent le cas peult aduenir,
Que pour n’auoir quelque peine & dommage
On promet bien à ſon deſauantage,
Mais le contract ne doit iamais tenir.
|| [58]
Ne ſe fier en celuy qui ha deſia
eſté ennemy.
On ne ſe doit iamais fier
A cil qui ha rompu ſa foy:
Combien qu’il te vienne prier,
De ſa cautelle garde toy.
|| [59]
Du Ruſtique & du Serpent.
Fable XXVI.
VN Serpent fut nourry chez vn Ruſtique,
Qui ce pendant enrichit grandement,
Vn iour aduint que furieuſement
A ce Serpent il ſe courrouce & pique.
Il le naura en ſa fureur inique,
Dont le Serpent fuyt ſoudainement.
Depuis veſcut ceſt homme pourement,
Quelque labeur qu’il face ou qu’il trafique.
Et ceſte perte il eſtime venir
Pour auoir fait au Serpent telle iniure,
Parquoy le prie apres de reuenir.
Le Serpent dit, mon amy ie te iure,
Qu’en ta maiſon tu ne me peux tenir,
Car ie voy bien que tu ſerois pariure.
Quant eſt du mal (dit le Serpent tres ſage)
Que tu m’as fait, ie le veux pardonner:
Mais ie ne veux auec toy retourner,
Ie n’ay ſi laſche & debile courage.
Tu ne me peux apres ton grand outrage,
Par ta promeſſe ou ta foy guerdonner:
Si gueriſon ie me puis bien donner,
Le ſouuenir durera tout mon aage.
Puis que tu m’as ià nauré & bleſsé,
Ie ne veux point adiouter foy aucune,
Car ton ſerment bien toſt ſeroit froiſsé.
Quand on remet toute hayne & rancune,
C’eſt grand’ vertu d’vn vouloir bien dreſsé,
Tel cœur vaillant n’eſt ſubiet à fortune.
|| [60]
A trompeur, trompeur &
demy.
Qui fait la tromperie
Tromperie luy vient,
Et en fin il conuient
Qu’on s’en moque & s’en rie.
|| [61]
Du Renard & de la Cigoigne.
Fable XXVII.
LE fin Renard conuia de ſouper
Vne Cigoigne, & pour mieux la tro ̅ per,
Sur vn trenchoir luy meit de la boullie,
De ſon long bec ne la pouoit happer:
Mais luy qui n’ha en fineſſe ſon per,
En la lechant ſa pance en ha remplie.
Lors s’en alla la Cigoigne abuſce,
Et penſe d’eſtre autrefois plus ruſee,
Et s’elle peult luy rendra la pareille.
Car ieu pour ieu, fineſſe pour fineſſe
N’eſt à blaſmer quand au pareil s’adreſſe,
De le tromper adonques s’appareille.
Vn temps apres la Cigoigne inuita
Celuy Renard, vers lequel s’aquita,
En luy iouant vn beau tour de maiſtriſe.
De verre cler la fiole apreſta,
Et le menger dedens luy preſenta,
Mais il n’y ha ne dent ne langue miſe:
Tant ſeulement la leſche par dehors,
Sans que viande entrer puiſſe en ſon corps:
Il la void bien & meurt de faim aupres,
Et la Cigoigne en prend à ſa plaiſance.
Vn deceueur doit noter bien expres,
Qu’il eſt en fin deceu par deceuance.
|| [62]
Beauté & peu de ſens.
Beauté de corps eſt agreable,
Mais beaucoup plus eſt amyable
La beauté d’eſprit & bon ſens,
Qui nous reigle par faits decents.
|| [63]
Du Loup & de la teſte.
Fable XXVIII.
VN Loup chez vn tailleur d’ymages
Trouua entre maints perſonnages
Vne teſte d’homme bien faite,
Et par l’art de l’ouurier parfaite.
Il n’en veit iamais de pareille,
Il la regarde & s’eſmerueille,
Il la remue & touche auſsi,
Puis apres il va dire ainſi:
O belle teſte en artifice,
Ie recongnois en toy vn vice,
Tu as de beauté grand’ largeſſe,
Mais tu n’as ne ſens ne ſageſſe.
La grande beauté d’humain corps,
Qui ſe demonſtre par dehors
N’eſt à louer, ſi auec elle
N’eſt ſcience ſpirituelle.
Si de beauté ſommes douez,
Nous n’en deuons eſtre louez,
Sinon qu’auec telle beauté
Fuſſent ioints prudence & bonté.
Car le fol quelque beau quil ſoit,
De s’en priſer il ſe deçoit,
Sa folie imprudente & vaine
Eſt cauſe qu’on le tient en hayne.
|| [64]
Ne ſe glorifier du bien
d’autruy.
Ne te vueille glorifier
Des biens d’autruy que tu detiens
Garde toy bien de t’y fier,
Rens les, car ilzne ſont pas tiens.
|| [65]
Du Geay & des Paons.
Fable XXIX.
DEs plumes d’vn Paon s’acouſtra
Le Geay pour bien eſtre bien venu:
Glorieux & fier ſe monſtra,
A fin quil fut plus cher tenu.
Se voyant ainſi paruenu,
Les autres Geays il laiſſa là,
Et auec les Paons s’en alla,
Qui voyans ſa trop grande audace,
Le deſpouillerent en la place
Des plumes qu’il portoit ſur luy,
Et le batirent en diſant:
Telle peine eſt deüe à celuy,
Qui d’autruy bien ſe va priſant.
Qui ſe congnoit il ne s’eſtime
Pour les biens qu’il ha empruntez:
La honte qu’il ha le reprime
Et captiue ſes voluntez:
Mais qui enſuit les libertez
Sans prudence & diſcret conſeil,
Se faiſant aux plus grans pareil
Par ſon orgueil, ſouuent aduient
Que poure & ſouffi eteux deuient:
Car la raiſon ne permet point,
Que qui plus haut qu’il ne doit monte,
Soit long temps viuant en ce poinct,
Sans qu’il recongnoiſſe ſa honte.
|| [66]
Labeur vtile meilleur que
repos.
Qui vit chez ſoy des biens de gain honneste,
Sans appeter tiltre d’autorité,
Il eſt en grande & ferme ſeureté
Plus que celuy qui hauts honneurs aqueste.
|| [67]
De la Mouche & de la Formis.
Fable XXX.
LA Mouche en prenant ſon esbat,
Eut à la Formis vn debat:
Plus qu’elle noble ſe diſoit:
Comme vile la deſpriſoit:
Diſant, tu marches ſur la terre,
Et ie vole en l’aer par grand’ erre.
Tu habites en la cauerne:
Auec les Roys ie me gouuerne.
Tu menges bled, auoyne & orge,
Et ie me pais à pleine gorge
De viandes delicieuſes.
Les belles filles gracieuſes
Ie baiſe auſsi en mon repos.
La Formis rompant ſon propos
Luy dit, ie ne ſuis point vilaine,
Si ie gaigne ma vie en peine:
Il me ſuffit, ie ſuis contente.
Ie ſuis ſtable, tu es vagante,
Ie menge mes grains en grand’ paix,
Et du reſte tu te repais.
L’homme prend exemple ſur moy,
Mais chacun te chaſſe de ſoy:
L’hyuer tu mourras de froïdure,
Ou par faute de nourriture:
Sur moy donc ne te glorifie.
Car celuy eſt fol qui ſe fie
En ſon cuyder, & viure penſe
Sans peine, labeur & ſcience.
|| [68]
Ne ſe comparer à plus grand
que ſoy.
Tout homme qui s’exaltera,
En fin humilié ſera:
Mais celuy ſera exalté
Qui viura en humilité.
|| [69]
De la Grenouille & du Bœuf.
Fable XXXI.
LEz vn eſtang quelque Bœuf cheminoit,
Et la Grenouille en ce lieu ſe tenoit,
Laquelle veit du Bœuf la grandeur haute,
Lors par orgueil s’enfle, ſe monſtre & ſaute
Contre le Bœuf qui vers elle venoit.
Elle vouloit à luy s’equiparer
Et comme grande & forte preparer:
Son filz luy dit ainſi que bien apris,
Mere ſachez que n’eſtes rien au prys
De ce grand Bœuf, pour vous y comparer.
Ce non obſtant la Grenouille s’enfla,
Et d’vn deſpit contre le Bœuf ſoufla.
Son filz luy dit, mere vous creuerez,
Et de ce Bœuf victrice ne ſerez.
Mais à ce mot de plus en plus ronfla.
Par fier deſdain & ire qui ſurmonte
Le iugement, & aueugle la honte,
Enfla ſon ventre, & ſur piedz ſe leua:
Mais tout ſoudain par le mylieu creua,
A ce moyen fut bien loin de ſon conte.
On voit cela bien ſouuent aduenir,
Que le petit qui ſe veult maintenir
Comme les grans, toute honte & dommage
Tombe ſur luy à ſon deſauantage,
Et à bon droit meſchef luy peult venir.
|| [70]
Contre ſimulation.
Celuy qui ſe monstre ennemy
De cœur, ſans ſimuler & feindre,
N’eſt tant à euiter & craindre,
Que celuy qui eſt faux amy.
|| [71]
Du Lyon & du Cheual.
Fable XXXII.
DEdens vn pré le Lyon rencontra
Vn beau Cheual qu’il vouloit deuorer,
En medecin par feinte s’acouſtra,
Prompt & ſauant en tel art ſe monſtra,
Puis le ſalue à fin de l’attirer,
Diſant: Amy ie te veux deſirer
Ioye & ſanté au grand mal qui t’opreſſe:
I’ay le ſauoir & congnoiſſance expreſſe,
Contre tous maux en donnant gueriſon.
Lors le Cheual qui congnut la fineſſe,
A telle fraude vne autre fraude dreſſe
Pour ſe garder, & le met à raiſon.
Ie ſuis ioyeux reſpondit le Cheual
Qu’eſtes venu maintenant ſi à poinct,
I’ay vne eſpine au pied qui me fait mal,
Qui s’y eſt miſe en paſſant par ce val.
Puis que fauez tel art de poinct en poinct
Oſtez la moy, & ne me bleſſez point.
Lors il leua la iambe de derriere,
Et au Lyon donne vn coup de carriere
Parmy le front, tandis qu’il regardoit:
Lequel voyant ſi ſubtile maniere
Dit, C’eſt raiſon que deshonneur acquiere,
Qui entreprend plus outre qu’il ne doit.
|| [72]
N’estre orguilleux pour pro-
ſperité.
Pluſieurs ſont de cœur esleuez
En orgueil, & cherchent leur gloire,
Par la faute d’estre eſprouuez,
Et n’auoir d’eux meſmes memoire.
|| [73]
Du Cheual & de l’Aſne.
Fable XXXIII.
BIen acouſtré de frein, de ſelle & bride,
Vn beau Cheual marchoit ſans quelque
En haniſſant par fierté de courage, ???(guide
Si rencontra d’auenture au paſſage
Souz vn grand faix vn poure Aſne baſté,
Qui ne s’eſt point pour le Cheual haſté
De faire voye, & le Cheual par ire
En eſcumant luy commença à dire:
Aſne meſchant, & vilain, comment eſt ce
Qu’encontre moy prens chemin & adreſſe?
O pareſſeux ne ſcais tu point l’honneur
Qu’il co ̅ uient faire à ton maiſtre & ſeigneur?
Recule toy lors que ie paſſeray,
Ou par vengeance au pieds te fouleray.
L’Aſne obeït. Or apres il aduint
Que le Cheual vieux & foible deuint,
Ses aornemens ſon maiſtre luy oſta,
Et au charroy des champs le deputa:
Et le voyant l’Aſne ainſi mis au bas,
Et qu’il portoit pour ſelle d’or vn bats,
Menant aux champs le fiens & l’ordure,
Luy dit, amy, d’ou vient ceſte auenture?
Ou eſt ta ſelle? ou eſt ton frein doré?
Et ton harnois richement decoré?
Ainſi, amy, à l’orguilleux aduient,
Qui en la fin poure & meſchant deuient
Et eſt moqué, contemné & repris
De ceux qu’il ha iadis mis en deſpris.
|| [74]
Salaire de desloyauté.
Celuy qui en proſperité
Participe auecques les ſiens,
Doit außi apres tant de biens
Auoir part à l’aduerſité.
|| [75]
Des Oyſeaux & des Beſtes.
Fable XXXIII.
LEs Oyſeaux liurerent bataille,
D’eſtoc & taille
Aux Beſtes qui ſont ſur la terre:
Chacun ha de vaincre eſperance
Et aſſeurance,
Auſsi chacun des deux craint guerre.
La Chauueſouris non experte,
Craingnant que perte
Vinſt aux Oyſeaux, les delaiſſa.
Aux beſtes elle s’alla rendre,
Leur party prendre,
Ainſi ſa loyauté froiſſa.
L’Aigle auec les Oyſeaux volans,
Tous bataillans,
Eurent ſur les beſtes victoire:
Dont il s’enſuyuit en fin brefue,
La paix, & trefue,
En tout païs & territoire.
La Chauueſouris par ſon fait,
Et grand meffait,
Pource que ſon peché luy nuict,
Ne fut en ceſte paix comprinſe,
Mais fort reprinſe:
Depuis ne vola que de nuict.
|| [76]
Du Loup & du Renard.
Fable XXXV.
EN ſon terrier iadis vn Loup eſtoit
Gras & refait, plein de biens & de proye:
Et le Renard, qui telz biens appetoit,
Ainſi qu’vn iour ce Loup il viſitoit,
Luy demanda pourquoy n’eſtoit en voye:
Pourquoy auſsi menoit vie ſi coye:
Le Loup voyant qu’il eſt de ce repos
Si enuieux, dit qu’il eſt mal diſpos.
Ce fin Renard voyant qu’il ne peult faire
Fineſſe au Loup, s’en va vers vn Paſteur
Auquel il dit, tu peux ores deffaire,
Tuer, meurdrir le Loup ton aduerſaire.
Vien t’en venger ie ſuis ton conducteur,
Vela le lieu, ie ne ſuis point menteur:
Le Paſteur entre, & tout de prime face
Il rend le Loup roide mort en la place.
Ioye de mal n’ha pas longue duree:
Quand Renard eut les biens du Loup mengé,
En s’en allant en malice aſſeuree
De Chiens chaſſans fut ſa chair deſsiree,
Et ſon peché fut lors ſur luy vengé:
Se voyant donc iuſqu’à mort outragé
Dit, i’ay failli, ainſi puny dois eſtre.
Touſiours peché tombe deſſus ſon maiſtre.
|| [78]
Folle opinion.
Les choſes qui ſont à fuyr,
Voluntiers nous les appetons,
Et bien ſouuent nous regretons
Ce qui eſt bon pour en iouyr.
|| [79]
Du Cerf qui ſe veit en la Fon=
taine. Fable XXXVI.
EN la clere Fontaine
Vn Cerf ſe regardoit,
Et la grandeur hautaine
Des cornes eſtendoit.
Ses cornes donc priſa,
Pour leur force & hauteſſe:
Ses iambes deſpriſa,
Pour leur ſeiche maigreſſe.
En ce fol iugement
Le Veneur vient bien viſte,
Plus que vent vehement
Le Cerf ſe met en fuyte.
Les chiens le vont ſuyuant:
Mais comme d’auenture
Le Cerf ſe meit auant
En la Foreſt obſcure,
Ses cornes ſe meſlerent
Es branches de ce bois,
En ce lieu l’arreſterent
Suiuy de tant d’abois.
Ses iambes loûe alors,
Et ſes cornes deſpriſe,
Qui ont fait que ſon corps
Soit de ces Chiens là priſe.
Ainſi ou nous penſons
Auoir felicité,
Par contraires façons
Trouuons aduerſité.
|| [80]
Ne prendre noiſe à plus fort
que ſoy.
Regarde bien deux fois comment
Tu commenceras quelque choſe.
Qui pour autruy nuyre s’expoſe,
Reçoit en fin ſon payement.
|| [81]
Du Serpent & de la Lime.
Fable XXXVII.
VN Serpent de toute force
Si s’efforce
Pour vne Lime ronger.
Alentour ſa queûe ha torce
Se renforce,
Et la cuide en fin menger.
Cuide tu rompre & changer
Abreger
Mon dur fer, ce diſt la Lime?
L’acier qui ſe fait forger,
Trop leger
Contre mon pouoir i’eſtime.
Que fais tu meſchante beſte,
Dents & teſte
Rompras ains que me greuer.
Qui bleſſer autruy s’apreſte,
Et s’arreſte
Il voit ſa force acheuer.
Auant donc que d’eſtriuer
N’eſleuer,
Regarde à qui tu prens guerre:
Et vueille noiſe eſcheuer,
Ou priuer
Te verras d’honneur acquerre.
|| [82]
Se deffier des ennemys.
Si tu fais paix à l’aduerſaire,
Ta prudence ne ſoit trompee:
Ne luy baille pas ton eſpee,
Elle t’eſt touſiours neceſſaire.
|| [83]
Des Loups & des Brebis.
Fable XXXVIII.
LEs Loups ont eu de toute antiquité
Guerre aux Brebis, & bataille mortelle:
Fondee eſtoit ſur faulſe iniquité,
Mais les Brebis pour garder leur querelle
Prindrent des Chiens, & deſſouz leur tutelle
Et ſauuegarde elles ſe ſont rengees,
Pour eſtre mieux des meſchans Loups ve ̅ gees:
Qui ce voyans feirent guerre mortelle
A ces Brebis, ilz feirent paix fourree,
Leurs Louueteaux baillerent pour oſtage:
Et les Brebis par fiance aſſeuree
Baillent aux Loups à leur defauantage
Leurs tresbo ̅ s Chie ̅ s, mais ce fut leur do ̅ mage:
Car peu apres la guerre releuerent,
Les Louueteaux auſsi fort les greuerent,
Quand paruenus ilz furent en grand aage.
Les Brebis donc de leurs Chiens deſſaiſies
Eurent l’aſſaut de ces Loups tant meſchans,
Furent par eux les plus graſſes choiſies,
Qua ̅ d les trouuoie ̅ t en l’eſtable ou aux cha ̅ ps.
Ceux donc ꝗ vo ̅ t la trefue, ou paix, chercha ̅ s
A l’ennemy ne baillent leur deffence:
Car par apres ſeuffrent plus grieue offence,
Et ſont batus de leurs glaiues trenchans.
|| [84]
Estre cauſe de ſon mal.
Qui ſe met en ſubiection
D’autruy en luy faiſant ſeruice,
Souuent pour vn tel benefice,
Il reçoit ſa destruction.
|| [85]
De la Foreſt & du Ruſtique.
Fable XXXXI.
IAdis vne homme de village
A uoit vne bonne Coignee,
Et pour la faire à ſon vſage
Et luy bailler vne poignee,
En vne Foreſt s’en alla,
Et aux arbres d’illec parla,
En leur deman dant quelque branche,
Pour faire à ſa Coignee vn manche,
Ce qui luy fut bien toſt permis:
Mais quant elle fut emmanchee,
La Foreſt par terre il ha mis,
Toute coupee & detranchee.
La Foreſt ſentant ceſte attainte,
Et que ce mal ſouffroit par elle,
Feit piteuſement ſa complainte,
Contre malice ſi cruelle.
A faire plaiſir maints s’appreſtent,
Et de leur bien à autruy preſtent,
Dont ilz ſont mal recompenſez,
Et en la fin tres offenſez.
Il aduient maintesfois auſsi,
Qu’vn homme ſot ou vn teſtu
Baille à ſon ennemy ainſi
Le baſton dont il eſt batu.
|| [86]
Amytié & ſocieté humaine.
Comme il y ha ſocieté
Entre le Ventre, Pieds & Mains,
Ainſi ſans contrarieté,
Doit estre entre tous les humains.
|| [87]
Des Membres & du Ventre.
Fable XL.
VN iour s’eſmeut à tort & par exces,
Vn grand debat & dangereux proces,
Des Pieds & Mains alencontre du Ventre,
Luy reprochans que dedens ſon ſac entre
Tout leur labeur, voire du bien autant
Qu’ilz en gaignoient, & n’eſtoit point co ̅ tent:
Dont à la fin ſe voulurent diſtraire
De luy bailler le viure neceſſaire.
Le Ventre crie & demande à menger,
Les Pieds & Mains ne s’y veullent renger:
Par la faim donc quil auoit enduree,
N’eſtoit poſsible auoir plus de duree,
Son ſang, ſes nerfz s’en vont affoibliſſans,
Et quant & luy les membres periſſans.
Lors les deux Mains laſſes de tant ſouffrir,
Boire & menger luy voulurent offrir:
Mais c’eſt trop tard, car en brief il fina,
Et quant & quant les Membres ruïna.
Tout ainſi donc qu’vn me ̅ bre ha ſon recours
A l’autre membre, en demandant ſecours:
Par mutuelle & tresbonne amytié,
Deuons auoir l’vn de l’autre pitié.
|| [88]
Du Singe & du Renard.
Fable XLI.
LE Singe ingenieuſe beſte,
Feit au Renard vne requeſte,
De luy donner par amytié
De ſa queue vne grand moytié,
Pour ſeruir à couurir ſes feſſes.
Le Renard tout plein de fineſſes,
De ce faire fut refuſant,
Et s’exeuſat en luy diſant,
Que ſa queue ne luy nuyſoit
Comme le Singe luy diſoit,
Et combien qu’elle feuſt crotee
Ne ſeroit point par luy oſtee.
Pluſicurs ſont au Renard ſemblables,
Qui ne ſont pas plus amyables:
Et ce qu’ilz ont plus d’abondant
Le refuſent au demandant,
Par vn deſir d’amour extreme,
Qui ne veult du bien qu’à ſoymeſme,
En laiſſant perir & gaſter
Ce qu’à autruy peult proufiter.
|| [90]
Fortune reiette les craintifs.
Le trop couard, craintif, deſeſperé
De ſon ſalut n’eſt iamais aſſeuré,
Soit chez autruy, ou qu’il ſoit chez le ſien.
Eſchappé n’eſt qui trayne ſon lien.
|| [91]
Du Cerf & des Bœufz.
Fable XLII.
VN Cerf fuyoit deua ̅ t les Chiens courans,
Pour ſe ſauuer ſe meit en vne eſtable,
Leans eſtoient pluſieurs Bœufz demourans,
Si leur requiert qu’on luy ſoit fauorable,
Et qu’on permette en ce lieu ſecourable
De ſe muſſer. l’vn des Bœufz luy va dire,
Tu n’es pas bien, il n’eſt point de lieu pire
Que ceſtuy cy, pour y trouuer mercy:
Car ſi tu es trouué caché icy,
Tu ſouffriras la mortelle pointure.
Le Cerf fuytif de crainte tout tranſy
Y demoura, print le hazard auſsi
De vie ou mort pour derniere auenture.
Le ſeruiteur pour appaiſer la faim
De tous ces Bœufz, leur vint donner repas.
Le Cerf eſtoit caché dedens le foin
Si tres auant qu’il ne le trouua pas:
Le maiſtre auſsi vint apres pas à pas,
Lequel ainſi que dens le foin cherchoit,
Trouua le Cerf qui deſſouz ſe cachoit,
Là il fut pris & occis tout à lheure.
Vn malheureux en vain cherche & labeure
Pour ſe ſauuer, il eſt en la fin pris,
Mais c’eſt par luy qui ne tient voye ſeure,
Et n’y ha lieu qui le cache ou aſſeure,
Puis que Fortune ha ſur luy entrepris.
|| [92]
Dieu ne peult estre deceu.
A l’heure que nous pechons,
Des hommes nous nous cachons:
Mais tant ſoit ſecret le lieu,
N’y ha rien caché à Dieu.
|| [93]
De deux adoleſcens.
Fable XLIII.
DEux icunes Filz feirent ſemblant
De marchander quelque viande.
L’vn aſſeuré & non tremblant,
Ce pendant que l’autre marchande,
Deſrobe vne piece de chair,
Et à ſon compagnon la liure,
Souz ſon manteau luy fait cacher:
A fin qu’apres en puiſſe viure.
Le Cuyſinier la demandant,
Tous deux ignorent ſur ce pas,
Le Larron fut lors reſpondant,
En diſant qu’il ne l’auoit pas.
Le receleur en s’excuſant
Luy dit, qu’il ne l’auoit pas priſe.
Ainſi vont ceſt homme abuſant,
Sans trouuer deſſus eux repriſe.
Le Cuyſinier voyant la feinte,
Et qu’il ne la pouoit rauoir,
I’adreſſe (dit il) ma complainte,
A celuy qui peult tout ſauoir:
Le Larron m’eſt ores caché:
Mais Dieu qui voit & pres & loin,
Congnoit aſſez voſtre peché,
Et en eſt le Iuge & teſmoin.
|| [94]
Eſtre ſage à ſes deſpens.
Vn homme qui ha fait l’eſpreuue,
Et la certaine experience,
Croyez que plus ſage il ſe treuue,
Et plus ſubtil en ſa ſcience.
|| [95]
Du Chien & du Boucher.
Fable XLIIII.
VN Chien gourmand de l’eſtal d’vn Bou-
Si emporta vne piece de chair, ???(cher
Puis il ſe print à fuyr & marcher
En courſe experte:
Et le Boucher marry de ceſte perte,
Et que de luy ne ſera recouuerte,
Crie apres luy en voix claire & apperte:
O larron Chien
(Dit il) tu prens & emportes mon bien,
Vne autrefois me garderay ſi bien,
Et ſagement, que n’emporteras rien.
Soudainement
T’en es fuy ſans craindre aucunement
Punition, bature & frappement,
Comme il t’eſt deu à droit & iuſtement,
Mais ie ſeray
Plus diligent, car ie te guetteray,
Et ſi tu viens de toy me garderay,
Vn plus grand ſoin deſſus mon fait i’auray.
Perte & dommage
Enſeigne l’homme, & le fait eſtre ſage,
Apres qu’il ha eſte prins au paſſage,
Aumoins s’il ha de raiſon quelque vſage:
Car imprudent & fol celuy ſeroit,
Qui pluſieurs fois tromper ſe laiſſeroit.
|| [96]
Contre les faux teſmoins.
Le commandement de la Loy
Condemne tout faux teſmoignage:
En faux teſmoin n’ha point de foy,
Garde toy de luy comme ſage.
|| [97]
Du Chien & de la Brebis.
Fable XLV.
EN plein iugement,
Frauduleuſement,
Le Chien feit demande,
De pain & viande
A la Brebis douce:
Qui trop ſe courrouce,
Comme non contente,
De debte innocente,
Et reſpond au Chien,
Que ne luy doit rien.
Le Chien enuieux,
Tres malicieux,
Ameine à leur tour
Le Loup, le Vaultour,
Le Milan auſsi,
Qui ont dit ainſi,
Par foy teſmoignage,
Qu’elle doit & gage,
Le pain demandé:
Alors commandé,
Luy fut de payer
Sans plus delayer:
Donc ainſi iugee,
Du Chien fut mengee:
Car le pain n’auoit,
Que payer deuoit.
Par tel faux rapport,
On luy feit ce tort.
|| [98]
S’accompagner des bons.
Auec le ſaint, ſaint tu ſeras,
Mais auecques l’homme peruers,
Ta bonté tu peruertiras,
Car ilz font actes tous diuers.
|| [99]
De l’Agneau & du Loup.
Fable XLVI.
LE Loup rencontra vn Cheureau,
Comme il alloit cherchant ſa proye,
Auec luy eſtoit vn Agneau,
Auquel dit en parole coye:
Pour quoy t’es tu mis en la voye
Auec ce vilain Bouc puant,
Qui te meine comme vn truant?
Laiſſe le là, il eſt trop laid,
Et t’en viens ſuccer le bon laict
De ta mere qui là t’attend.
Lors luy monſtra vn lieu latent
De bois obſcur, en eſperance,
Qu’à l’y mener il fera tant,
Que de luy remplira ſa pance.
L’Agneau qui ce grand Loup regarde,
Luy dit, ma mere m’ha commis
A ce Cheureau, qui m’ha en garde
Encontre tous mes ennemys:
Tu t’es en vain en peine mis
Pour m’emmener, il vaut trop mieux
Suyure ce Cheureau gracieux,
De qui n’auray aucun dommage,
Que toy qui es tout plein d’outrage.
Car auec les bons on eſt bien,
Mais auec les malins courages,
On ne peult proufiter de rien.
|| [100]
Mutation d’estat ne peult muer
les mœurs.
Agrand peine ſauroit on faire
D’vn Chahuan vn Eſpreuier,
Et qui ſe penſe contrefaire,
Ne peult à ſon blaſme obuier.
|| [101]
De la Chate muee en femme.
Fable XLVII.
VN Iouuenceau trop fol & mal apris
Fut de l’amour d’vne Chate ſurpris
Qu’il nourriſſoit, voire ſi ardemment
Qu’il ſupplia affectueuſement
Venus, à fin qu’elle muaſt icelle
Chate amoureuſe en tresbelle pucelle:
Venus voulant plaire au vouloir infame
Du Iouuenceau, lors tranſmua en femme
La beſte mue, & la feit acomplie
Au fait d’aymer, & de beauté remplie.
Le ieune amant adonc ſe reſiouiſt,
Et de la dame à ſon aiſe iouiſt:
Mais il aduint que pour ſauoir ſi elle
Eſtoit en mœurs femme bien naturelle,
Venus laiſſa paſſer vne Souris
Par deuant elle, ô qu’il y eut de ris!
Icelle femme auſsi toſt qu’elle veit
Ceſte Souris, elle la pourſuyuit
En oubliant ſa beauté corporelle,
Et enſuyuant ſa vertu naturelle:
Donques Venus de cela deſpitee
Sa forme humaine alors luy ha oſtee.
Ainſi aucuns qui font mutation
De leur eſtat, ſont en complexion
Si deprauez que de tout bien s’eſtrangent,
Et leur malice en bonté point ne changent.
|| [102]
Ayder l’vn à l’autre.
Charité ne quiert point le ſien,
Mais tant ſeulement luy ſuffit
De faire à autruy quelque bien,
Tant peu luy chaut de ſon proufit.
|| [103]
De l’Aſne & du Cheual.
Fable XLVIII.
VN Villageois menoit en vne foire,
L’Aſne baſté de ſon faix trop chargé,
Et vn Cheual plein d’orgueil & de gloire,
Lequel eſtoit de tout poix deſchargé:
L’Aſne trop las de ſa charge peſante,
Prie au Cheual que ſecours luy preſente,
Ou qu’il faudra que ſouz le fardeau meure:
Mais le Cheual ay de & ſecours luy nie,
L’Aſne mourant ſouz la charge demeure,
Faute d’auoir meilleure compaignie.
Le Villageois voyant l’Aſne abbatu
Prend le fardeau, le met ſur le Cheual,
Auec cela il fut tresbien batu,
Et à bon droit il receut double mal.
Helàs (dit il) moy poure miſerable,
Qui n’ay eſté à l’Aſne ſecourable,
Le mal que i’ay ie l’ay bien merité.
Quiconques veult à autre auoir recours,
Quand il le voit en la neceſsité,
Du bon du cœur luy doit donner ſecours.
|| [104]
Hanter gens de bien.
Les meſchans & les vagabons
Gastent cestuy là qui les hante,
Mais qui conuerſe auec les bons
Ne peult mener vie meſchante.
|| [105]
Du Foulon & du Charbonnier.
Fable XLIX.
VN Charbonnier maintesfois inuita
Quelque Foulo ̅ pour demourer ense ̅ ble,
Mais le Foulon par reſponſe euita
Vn tel logis qui propre ne luy ſemble,
Car (diſoit il) ton meſtier ne reſſemble
En rien au mien, on le voit par effect,
Et aurois peur que ce que i’aurois fait
Beau, net & blanc, apres l’auoir mouillé,
Par ton charbon qui la blancheur deffait,
Ne fuſt bien toſt tout gaſté & ſouillé.
Les gens de bien nous deuons honorer,
Et les hanter en tout temps & ſaiſon:
Auec meſchans ne deuons demourer,
Car deshonneur habite en leur maiſon.
Fuyons donc ceux qui n’vſent de raiſon:
Leur compaignie eſt pire que la peſte.
Suyuez des bons la compaignie honneſte,
Voſtre vertu touſiours s’eſclaircira:
Si vous ſuyuez perſonne deshonneſte,
Voſtre renom tant plus s’obſcurcira.
|| [106]
Qui trompe autruy il ſe deçoit.
Qui tache à autruy deceuoir
Soit par fraude ou par menterie,
On le voit en fin receuoir
Le loyer de ſa tromperie.
|| [107]
De l’Oyſeleur & du Serpent.
Fable L.
VN Oyſeleur vn iour alloit
Chaſſer oyſeaux à la pipee,
Il veit vn Coulom qui voloit,
Dont il penſoit faire gripee.
Le Coulom ſur l’arbre ſe perche
L’Oyſeleur y va ſes retz tendre,
Qui les poincts & les moyens cherche,
Comme il pourra le Coulom prendre.
Ainſi quil eſtoit d’auenture,
En aguet, vn ſerpent caché
Luy feit au pied grieue pointure,
Car il auoit ſur luy marché.
O miſerable que ie ſuis!
(Dit l’Oyſeleur) lors que ie penſe
Surprendre autruy, las ie ne puis,
Car vn autre me fait offenſe.
I’auois à mon cas bien pourueu,
Pour prendre l’Oyſeau en ma ret,
Mais i’ay eſté à l’impourueu
Detenu & mis en arreſt.
Homme qui veult homme tromper,
Et fait à autruy vne foſſe,
On le voit en fin attraper,
Et tomber en ruïne groſſe.
|| [108]
Le conſeil merite la peine
du fait.
Le conſeil donné de mal faire
N’ha moindre peine merité,
Que le malfait de l’aduerſaire,
Car ilz ſont d’vne qualité.
|| [109]
De la Trompette de Guerre.
Fable LI.
VN qui ſonnoit la trompette à la guerre
Fut au combat prins par les ennemys,
Comme captif on le lie, on le ſerre,
Lors il ſe print à humblement requerre
Qu’en liberté il fuſt par eux remis:
Car (diſoit il) ie n’ay homme à mort mis,
Et contre aucun ie n’ay porté les armes,
Ny ie ne veux. lors diſent les genſdarmes,
Tu n’occis point, mais tu donnes l’aſſaut
En prouoquant les conflicts & alarmes,
Les durs combats, & les mortelz vacarmes,
Ainſi pluſieurs meurent par ton deffaut.
Aucuns auſsi par leur conſeil meſchant
Pechent autant que les executeurs.
Quiconques va le mal d’autruy cherchant,
Soit qu’il ne frape auec glaiue trenchant,
Mais de ſa langue, ainſi que les menteurs,
Semblablement tous calumniateurs
Conſeillans mal, ne ſont moins à blaſmer
Que les facteurs, moins on les doit aymer:
Car la pluſpart eſt cauſe des malfaits
Et telles gens ſont bien à diffamer,
Dont le conſeil qu’on doit deſeſtimer
Ne vaut pas mieux que les meſchans effects.
|| [110]
Liberté.
Liberté eſt ſouuent bannie
Des hauts lieux, & royales courts:
Car ſa puiſſance eſt là finie,
Et ſeruitude y ha ſon cours.
|| [111]
Du Loup & du Chien.
Fable LII.
DE dens vn bois tout ſemé de verdure,
Vn Loup trouua quelque Chie ̅ d’auen-
Qu’il ſalua, l’interrogant de fait, ???[ture
Comme il eſtoit ſi gras & ſi refait,
Le Chien reſpond, ie flate ainſi mon maiſtre,
Lequel me donne aſſez bien à repaiſtre
Des bons morceaux de ſa table tant graſſe:
Et qui plus eſt, i’ay l’amour & la grace
De tout chacun. O que tu es heureux!
(Ce dit le Loup) & moy trop langoureux.
Lors dit le Chien, Amy laiſſe ces bois
Et viens loger au lieu là ou ie vois,
Chez mo ̅ ſeigneur: lors ilz s’en vont enſemble,
Et en allant, le Loup dit: Il me ſemble
Qu’au col tu as vn colier, pourquoy eſt ce?
C’eſt (dit le Chien) vn colier qui m’oppreſſe,
Et qui reſiſte à la ferocité,
Que ie ſoulois auoir en liberté.
Le temps paſsé ie ſoulois les gens mordre:
Mais mon ſeigneur y ha mis ſi bon ordre
En m’enchaina ̅ t, que i’en ſuis bien plus doux.
I’ayme mieux eſtre au bois auec les Loups,
(Ce dit le Loup) en liberté planiere,
Qu’eſtre captif en ſi dure maniere:
Certes l’amour de ton maiſtre eſt trop rude,
Ie ne veux point de telle ſeruitude.
Petit ſeigneur ſur peu eſt plus notable,
Qu’vn grand ſubiet repeu en riche table.
|| [112]
Estre humain entre les
ſiens.
Qui vers les ſiens monstre ſa cruauté.
Agrande peine aura il loyauté
Aux eſtrangers, & chacune perſonne
Doit on fuyr, qui aux ſiens ne pardo ̅ ne.
|| [113]
Du Laboureur & des Chiens.
Fable LIII.
VN Laboureur l’hyuer durant,
Grand’ neceſsité endurant,
Pour le fort temps qui lors eſtoit,
Mengea ſes Brebis & Agneaux,
Cheureaux, Cochons & ieunes Veaux,
Pour la faim qui le tourmentoit.
Quand tout cela fut deuoré,
Que rien ne luy eſt demouré,
Fors que les Bœufz de ſa charrue:
Nonobſtant leur labeur ruſtique,
Oubliant ſon gain & pratique,
En la fin pour menger les tue.
Ses Chiens les voyans mourir tous,
Diſoient ainſi: Que ferons nous,
Puis que noſtre maiſtre inhumain,
N’eſpargne non plus qu’aduerſaires,
Les beſtes qui ſont neceſſaires?
Gardons de tomber en ſa main.
Si tu es comme mercennaire,
Auec vn homme debonnaire,
Ton loyer de luy tu prendras:
Mais auec vn fol courageux,
Aux ſiens cruel & outrageux,
Ta vie & ton gain tu perdras.
|| [114]
S’apriuoiſer auec les estran-
gers.
Tout ce qui n’eſt hanté
Eſt trouué bien estrange,
Mais s’il eſt frequenté,
L’opinion ſe change.
|| [115]
Du Lyon & du Renard.
Fable LIIII.
LE Renard au chemin trouua,
Le Lyon beſte fort terrible:
Qui luy ſembla ſi treshorrible,
Que de grand’ peur fuyt & s’en va.
Il le trouua ſecondement,
Vne autrefois dont il eut crainte:
Mais non pas de ſi forte attainte,
Qu’il auoit eu premierement.
La tierce fois le rencontra,
Donc pour l’auoir veu ſi ſouuent,
Il meit hardieſſe en auant,
Et ſans peur à luy ſe monſtra.
Auecques luy ſe meit en voye:
Lors il le trouua ſi priué,
Que d’eſtre vers luy arriué,
Il eut grande lieſſe & ioye.
S’apriuoiſer eſt difficile:
Mais quand on ha prins congnoiſſance,
L’amytié prend pleine croiſſance,
Et le hanter en eſt facile.
L’accouſtumance en pluſieurs lieux,
Auec les grans nous apriuoiſe:
Leſquelz nozions de peur de noiſe,
Regarder entre les deux yeux.
|| [116]
Les moindres peuuent nuyre
aux grans.
L’homme de condition baſſe,
Peult nuyre à vn plus grand que ſoy,
Son dommage donc ne conçoy,
Qu’vn mal plus gra ̅ d ne te pourchaſſe.
|| [117]
De l’Aigle & de la Renarde.
Fable LV.
L’Aigle qu’on dit le Roy de tous oyſeaux
Vn iour trouua des petis Renardeaux
Hors du terrier, & des ce qu’il les veit,
Pour ſon butin il les print & rauit,
Et s’enuola auecques ceſte proye
Dedens ſon nid: la Renarde s’effroye,
D’auoir perdu ſes Faons, & s’eſcrie,
Et humblement ceſte grande Aigle prie
Les rebailler, dont l’Aigle ne tint conte:
Ceſte renarde en ſa colere monte,
Et par courroux fut tellement fachee,
Qu’au pied de l’arbre ou l’Aigle eſtoit nichee
Feit vn grand feu, & diſoit la Renarde:
Or maintenant de ce peril te garde,
Toy & les tiens. le feu l’arbre enuironne,
Dont l’Aigle ha peur, ſe complaint & eſtonne
Pour ſes petis qu’elle ne peult ſauuer.
Ne ſachant donc nul remede trouuer,
A la Renarde elle requiert pardon,
Pour ſes oyſeaux qui ſont en l’abandon,
Du feu ardent. Lecteur icy ie prens,
L’Aigle volant pour les riches & grans,
Et la Renarde auſsi pour les petis,
Dont les grans ſont ſouuent aſſubiettis:
Car qua ̅ d on fait aux poures quelque offenſe,
Pour s’en venger trouuent bien leur deffenſe.
|| [118]
Porter la peine pour les
mauuais.
Auec les meſchans ne te mets
Vueille toy d’iceux estranger,
Qu’il ne t’en vienne aucun danger,
Tel l’achete qui nen peult mes.
|| [119]
Du Laboureur & de la Cigoigne.
Fable LVI.
VN Ruſtique,
Si s’applique,
A prendre aux retz à couuert
Grues coyes,
Et les Oyes,
Qui mengeoient ſon bled en verd.
Oyes, Grues
Retenues
Furent aux rets & ficelles,
La Cigoigne,
Ne s’eſlongne,
Mais fut prinſe auec icelles:
Salut quiert,
Et requiert,
Au Laboureur ſa franchiſe,
Point ne penſe,
Quelque offenſe,
Auoir contre luy commiſe.
Tu mourras,
Et n’auras
(Dit le Labourcur) mercy,
Qui s’y treuue,
Il eſpreuue,
Qu’à chacun on fait ainſi.
|| [120]
Chercher occaſion de mal
faire.
Le mauuais qui cherche la mort
D’autruy, ou luy faire dommage,
S’il n’ha par droit quelque auantage,
Toutesfois le fera à tort.
|| [121]
Du Chat & du Poulet.
Fable LVII.
VN Chat plein de feintiſe,
Rempli de friandiſe,
Print vn Poulet d’aſſaut:
Par vn tour de maiſtriſe,
Sur luy la pate ha miſe.
Diſant, Mourir te faut,
Car tu cries ſi haut,
Que chacun en treſſaut
A mynuit, i’en ſuis ſeur:
Puis tu es vn ribaut,
Inceſtueux, ſi chaut,
Qu’à monter ne te chaut,
Sur ta mere ou ta ſœur.
Le Poulet s’en excuſe
Diſant ainſi, i’en vſe
Par la Loy naturelle.
Mais le Chat plein de ruſe,
Sa reſponſe refuſe,
Comme beſte cruelle:
Et pour ceſte querelle
Luy feit playe mortelle,
Puis ſon ventre s’en ſent.
Tout ainſi par cautelle,
Et calumnie telle,
L’homme meſchant flagelle,
Et deſtruit l’innocent.
|| [122]
La mauuaistié d’enuie.
Enuie deuient toute ſeiche
De voir quelqu’vn bien à ſon aiſe:
Rien ne voit qui ne luy deſplaiſe
Du bien d’autruy, tant elle peche.
|| [123]
Du Chien enuieux & du Bœuf.
Fable LVIII.
VN enuieux Chien,
Sur du foin eſtoit,
Qui n’eſtoit pas ſien,
Et s’y arreſtoit:
Là ſe tranſportoit
Vn Bœuf pour repaiſtre,
Le Chien feit du maiſtre,
Et luy deffendit.
Lors le Bœuf ha dit:
O meſchante enuie,
Qui m’oſtes ma vie,
O facheux danger,
Ta gueule allouuie
N’en ſauroit menger.
Ainſi l’Enuieux
D’autruy mal deſire,
Sans qu’il en ayt mieux:
Mais pluſtoſt empire,
Si quelqu’vn aſpire
Au bien qu’il attend,
L’enuieux y tend,
Et s’il peult reſiſte:
Sinon il eſt triſte,
Soit richeſſe, auoir
Lettres & ſauoir,
Beauté aſſouuie,
S’il n’en peult auoir,
Encor il l’enuie.
|| [124]
De la Corneille & de la Brebis.
Fable LIX.
VNe Corneille ſe iouoit
Sur le dos d’vne Brebis douce,
Elle trepignoit & marchoit
Si rudement qu’elle fachoit
Ceſte Brebis, qui ſe courrouce,
Diſant, Si par telle ſccouſſe
Tu fachois le Chien, ie t’aſſeure
Que tu aurois grieue morſure.
Ie ſçay bien (ce dit la Corneille)
A qui ie me ioue & m’eſbas,
Car les paiſibles ie reſueille,
Et les innocens ie traueille,
A leur ſimpleſſe ie combas:
Mais aux mauuais ie ne debas,
Ie ſçay bien ce qui en ſeroit,
Car le Chien ſe reuencheroit.
Ainſi le doux & ſimple porte,
Tout le faix & toute la charge:
Mais le mauuais qui ha main forte
On le ſoulage, on le ſupporte,
On n’oſe luy faire dommage:
Par ainſi il ha l’auantage:
Il tient le mylieu & le bout,
Et l’innocent endure tout.
|| [126]
Se contenter des dons de
Dieu.
Les graces ſont de Dieu infuſes,
Et aux perſonnes diuiſees:
Elles doiuent estre priſees,
Quand elles ne ſont point confuſes.
|| [127]
Du Pan & du Roſsignol.
Fable LX.
LE Pan à Iuno conſacré,
Se plaingnoit à celle Deeſſe,
Qu’il n’auoit pas le chant à gré,
Doux & plaiſant: plein de lieſſe,
Et que le Roſsignol l’auoit:
Car tant bien chanter il ſauoit,
Qu’il en eſtoit par tout loué:
Mais luy il chantoit enroué.
Lors dit la ſœur de Iupiter,
O Pan il te faut contenter,
Si tu n’as le chant tres plaiſant,
Tu as plumage reluyſant,
Cela te doit reconforter.
Vn chacun doit eſtre content
Des propres graces que Dieu donne:
L’vn en ha peu, l’autre en ha tant
Qu’il plaiſt à Dieu, & qu’il ordonne:
L’vn ha vne grace ſi bonne
A chanter, parler & bien dire,
Qui ne ſauroit lire n’eſcrire:
L’vn ignorant riche de biens,
L’autre bien ſauant qui n’ha riens:
L’vn en conſeil ſage ſe penſe
Pour mener guerre, & l’autre eſt fort.
Dieu ne te veult point faire tort,
Car touſiours il te recompenſe.
|| [128]
Plus par fineſſe que par
force.
S’il te ſemble que par la force
L’impuiſſant ne te puiſſe atteindre,
Vray eſt, mais ſa vertu s’efforce,
Et l’eau qui dort eſt moult à craindre.
|| [129]
De la Muſtelle & des Souris.
Fable LXI.
VNe Muſtelle eſtoit tant enuieillie,
Que ſa vertu & force eſtoit faillie,
Et ne pouuoit prendre à legere courſe
Rats & Souris comme ſouloit: & pource
Elle penſa de trouuer la maniere
De ſe cacher en huche fariniere,
En eſperant que ſa proye viendroit,
Et la dedens à l’aiſe la prendroit:
Ce qui fut fait, car les Souris y vindrent,
Et leur repas de la farine prindrent,
Mais la Muſtelle eſtant illec cachee,
L’vne apres l’autre ha coupee & trenchee
A belles dents, ainſi ſouz telle embuche
Les meit à mort toutes dens ceſte huche.
Voila comment quand la force prend ceſſe,
Il faut auoir recours à la fineſſe,
Et à l’eng in qui la force ſurmonte,
Car tant que luy n’eſt legere ne prompte.
Liſander dit ce petit mot tant beau:
Tu feras plus bien ſouuent par la peau
Du caut Renard beſte ſubtile & fine,
Que ne feras par la peau Leonine.
|| [130]
Recongnoitre le bien fait.
Nous deuons estre diligens,
A recongnoitre les biens faits,
Qui par les autres nous ſont faits,
C’eſt la Loy & le droit des gens.
|| [131]
De la Formis & de la Colombe.
Fable LXII.
VNe Formis alloit à la fontaine
Aya ̅ t grand’ ſoif, & comme elle beuuoit
Cheut dedens leaue par fortune ſoudaine.
Sur la fontaine vn bel arbre y auoit,
Et la Colombe eſtoit deſſus perchee,
Qui la Formis dedens l’eaue nager voit.
La voyant donc en l’eaue ſi empeſchee
Se ſubmergeant, luy ietta vne branche,
Que de ſon bec elle auoit arrachee.
Lors la Formis à ſon pouoir leaue trenche,
Et au rameau ſe ioingnit & ſauua,
Remerciant vne bonté ſi franche.
Vn peu apres l’Oyſeleur arriua,
Et ſes filetz aupres d’illec tendit,
Ses chalumeaux auſsi ſonner il va.
Et ce pendant qu’à prendre il entendit
Celle Colombe, alors ſoudainement
Vint la Formis qui au pied le mordit.
Lors pour ce mal receu ſi promptement,
Iette ſes retz & chalumeaux à terre,
Dont la Colombe eut peur & tremblement.
Pour la frayeur s’en vola à grand’ erre,
Et la Formis remercia bien fort,
Qui ſon ſalut eſtoit venu acquerre.
Qui ſecourir autruy fait ſon effort,
Le deliurant de peril & d’angoiſſe,
Et puis il tombe en quelque deſconfort,
C’eſt bien raiſon qu’apres on le congnoiſſe.
|| [132]
Prudence requiſe à vn Prince.
Celle beauté qui l’homme recomma ̅ de,
Vie ̅ t de l’eſprit qui eſt prude ̅ t et ſage:
L’autre beauté du viſage & corſage,
N’eſt pas du tout ſi louable ne grande.
|| [133]
Du Pan & de la Pie.
Fable LXIII.
LEs Oyſeaux n’auoient point de Roy,
Pour les gouuerner & conduire,
Mais viuoient ſans Prince & ſans Loy,
Dont on voit les regnes deſtruire,
Vn iour ſe meirent en arroy,
A fin qu’vn Roy peuſſent eſlire:
Le Pan ſa beauté allegant,
Se preſenta comme arrogant.
Pour la beauté de ſon plumage
Il fuſt eſlu, mais vne Pie
Luy dit: Nous te ferons hommage,
Si en toy n’eſt force aſſopie,
Et tu nous gardes de dommage,
Contre l’Aigle qui nous eſpie:
Mais ſi tu n’as point de vertu,
Comment nous deffenderas tu?
Quaſi diſant, il eſt requis
Non ſeulement beauté au Prince,
Mais vn prudent ſauoir acquis,
Pour mieux gouuerner ſa prouince.
Le ſage Roy eſt plus exquis,
Qui deffend le riche & le mince,
Que le beau remply de parage,
Qui n’ha ne force ne courage.
|| [134]
Se chastier par autruy.
Plein de bon ſens et bien ſage eſt celuy
Qui fuyt d’autruy la ruïne et cade ̅ ce,
C’eſt vne aſtuce & acte de prudence,
Se chastier par le peril d’autruy.
|| [135]
Du Lyon de l’Aſne & du Renard.
Fable LXIIIII.
VN fier Lyon, vn Aſne & vn Renard
S’en vo ̅ t chaſſer enſemble quelque part,
En la foreſt branchee:
Tant ont chaſsé qu’ilz ont corné la priſe,
Et pour partir la proye ainſi ſurpriſe,
Elle fut detrenchee.
L’Aſne qui trop d’audace s’atribue,
A chacun d’eux le butin diſtribue,
Dont le Lyon deſpit
Rugiſt & brait en ſa fureur & ire,
Et l’Aſne prend, le deſpece & deſsire,
Sans luy donner reſpit.
Puis au Renard bailla commiſsion,
De faire entr’eux la diſtribution,
Lors par prudence caute,
La moindre part à luy ſe reſeruant,
De la grand’ part fut le Lyon ſeruant,
De peur de faire faute.
Qui t’ha ainſi (dit le Lyon ireux)
Fait ſi ſauant, ſi prudent, ſi heureux:
Lors le Renard parla,
Diſant, le mal d’autruy m’ha enſeigné,
Car i’auois peur d’eſtre ainſi empongné,
Que l’Aſne que voila.
|| [136]
Contre ceux qui appetent choſes
nouuelles.
Les choſes preſentes blaſmons,
Et les nouuelles nous aymons:
Mais on voit en la fin aymer,
Ce qu’on ſouloit deuant blaſmer.
|| [137]
De l’Aſne & de ſes maiſtres.
Fable LXV.
L’Aſne trop las de ſeruir, deſdaignoit
Le Iardinier, lequel eſtoit ſon maiſtre,
Et d’iceluy grandement ſe plaingnoit,
Car de durs coups ſouuent le faiſoit paiſtre.
A Iupiter le donna à congnoitre,
Luy demandant vn maiſtre familier,
Lors Iupiter luy bailla vn Tuillier:
Mais quand il veit la charge trop peſante,
A Iupiter derechef ſe preſente,
Luy ſuppliant luy faire ce bon heur
(Veu que ſa vie eſt rude & deſplaiſante)
De luy donner plus doux maiſtre & ſeigneur.
Iupiter rit, l’Aſne prie ſans ceſſe,
Alors luy donne vn Courroyeur de cuir,
Duquel ſouffrit maint tourment & deſtreſſe,
Et ne pouuoit les horions fuyr.
En haniſſant il ſe faiſant ouyr,
Diſoit: Helàs malheur ſur moy s’eſtend,
Qui n’ay eſté d’vn ſeul maiſtre content,
Ie ſuis tombé en la main du bourreau,
Qui ne pardonne à ma chair n’à ma peau:
C’eſt bien raiſon. Car qui tant veult changer,
Et rien ne treuue à luy plaiſant & beau,
D’vn petit mal chet en vn grand danger.
|| [138]
Cheoir d’vn peril en vn plus grand.
Qui veult fuyr & euiter le gouffre
De Carybdis, qua ̅ d il vient pres de là,
Souuent il tombe au gouffre de Silla,
Auquel plus grand danger & peril ſouffre.
|| [139]
De la Vieille & de ſes Chambrieres.
Fable LXVI.
VNe Vieille auoit des ſeruantes,
Qu’elle eſueilloit auant le iour,
Le chant du Coq bien obſeruantes,
Se leuoient ſans faire ſeiour.
Voyans donques ce facheux tour
Et ce treſennuyeux reſueil,
Qui les excitoit du ſommeil,
Dont le Coq chantoit la vraye heure,
Dirent enſemble, il faut qu’il meure:
Lors ſelon leur concluſion,
Du Coq feirent occiſion,
Mais leur malice en vain labeure.
Ces Ch???mbrieres furent fruſtrees
De leur fole & vaine eſperance,
Elles furent mal rencontrees,
De la maiſtreſſe qui les tance:
Car ſans paix, repos, ne conſtance,
Les eſueille chacune nuict,
Auec vn tumulte & grand bruit,
Et les fait plus matin leuer.
Qui donc veult vn mal eſcheuer,
Par fait iniuſte & vicieux,
Chet en mal plus pernicieux,
Qui d’auantage peult greuer.
|| [140]
Ne s’eſtimer heureux ſelon le
monde.
Les grans & riches ne ſont pas
Si heureux qu’à chacun il ſemble,
Le poure qui petit aſſemble
Prend plus gayement ſon repas.
|| [141]
De l’Aſne & du Cheual.
Fable LXVII.
L’Aſne reputoit bienheureux
Le Cheual gras & en bon point,
Et ſe tenoit treſinalheureux,
Car de repos il n’auoit point:
On me pique (dit il) & poingt,
Ie vois aux champs touſiours chargé,
Et le Cheual eſt mis à point,
Aymé, nourry & hebergé.
Or aduint il qu’on publia
En ce païs guerre mortelle,
Le Cheual on y enuoya
Garny de harnois & de ſelle.
Combien qu’il fuſt dur & rebelle
On luy mit le mors en la bouche,
Et pour ſouſtenir la querelle
On le conduit à l’eſcarmouche.
Ce voyant l’Aſne rendoit graces
Aux Dieux de ce qu’ilz ne l’ont fait
Cheual, pour enſuyure les traces
De guerre qui chacun deffait,
Mieux aymoit eſtre Aſne imparfait
Que Cheual piqué & dompté,
Congnoiſſant que peu vaut l’effect
Des grans, puis qu’il eſt ſurmonté.
|| [142]
Ne ſe laiſſer deceuoir ſouz l’ombre
d’vn bien fait.
Tous ceux qui ont vn beau parler
Ne ſont pas vrays amys fideles,
Car deſſouz paroles ſi belles
Le mal ſe peult dißimuler.
|| [143]
Du Vaultour & des petis Oyſeaux.
Fable LXVIII.
LE Vaultour feit ſemblant de celebrer
Vn beau banquet & copieuſe feſte,
Pour ſon natal en ce iour remembrer,
A fin qu’il fuſt aux oyſeaux manifeſte:
Tout l’appareil dedens vn Temple appreſte,
Et au ſouper petis Oyſeaux inuite,
Qui vindrent tous: puis du Temple bien viſte
Les portes ferme, & là tout demoura,
Rien n’y vallut la priere ne fuyte,
L’vn apres l’autre en fin les deuora.
Souz l’ombre donc de quelque bel acueil,
Gardo ̅ s nous bien d’eſtre en ce poinct ſurpris,
Si on nous fait vn gracieux recueil,
Conſiderons ainſi que bien apris,
Si aucun mal eſt point deſſouz compris,
Car ſouz miel le fiel eſt muſsé:
Quand tout cela ſera amſi pensé,
Vainqueurs ſerons des ſecrettes enuies:
De l’ennemy le fait ſera paſsé,
Sans pouuoir nuyre aux ho ̅ neurs ny aux vies.
|| [144]
N’entreprendre outre ſes
forces.
Qui plus que ne doit entreprend,
Et ne met fin à l’entrepriſe,
Chacun l’argue & le reprend,
Et ne treuue homme qui le priſe.
|| [145]
De l’Aigle & du Corbeau.
Fable LXIX.
L’Aigle volant d’vne treshaute roche
Deſce ̅ d en bas, & pres d’vn parc s’approche
Auquel choiſit vn Agneau blanc & tendre,
Et deſſus luy vint ſes pates eſtendre,
Des ongles ſerre, & l’emporte & rauit.
Le noir Corbeau qui ceſte proye veit,
Cuide ainſi faire, & dens le parc s’en vint,
Ou il eſlut vn Mouton entre vint,
Le plus refait, ſur lequel s’eſt aſsis:
Mais auſsi toſt ſes ongles endurcis,
Se ſont meſlez & ahers à la laine,
Et d’autant plus qu’il prenoit grande peine,
Au mouuement des æſles pour voler,
Et d’autant moins ſe pouuoit demeſler.
Lors vn Paſteur qui veit ceſte folie,
Acourt bien toſt, puis le prend & le lie,
Les æſles coupe, & ſans autre debat,
A ſes enfans le baille pour esbat,
Dont l’vn diceux l’interroga, diſant:
Mais qui es tu oyſeau tant deſplaiſant?
Helàs (dit il) pour vray ie me penſoye,
Vne grande Aigle, & ne me congnoiſſoye.
Mais ie voy bien que ie ſuis vn oyſeau,
Moindre de tous, qui m’appelle Corbeau,
C’eſt à bon droit, s’il m’en eſt ainſi pris,
Pource que i’ay ſur ma force entrepris.
|| [146]
Se tenir à ce qu’on ha.
Qui laiſſe aller ce qu’il tie ̅ t en ſes mains
En eſperant auoir meilleure choſe,
Maintesfois perd, & treuue beaucoup moins,
Telle eſpera ̅ ce eſt de ſon fruit forcloſe.
|| [147]
Du Roſsignol & de l’Oiſeleur.
Fable LXX.
LE Roſsignol ſur vn cheſne chantoit,
Se deſgoiſant ainſi qu’il ha d’vſage:
Pres de ce lieu vn Oiſeleur eſtoit,
Qui aux filetz le Roſsignol guettoit,
Pour le menger en roſt ou en potage:
Il luy feit peur, le Roſsignol volage
Se meit en fuyte, aux retz fut arreſté,
Donc l’Oiſeleur le print à ce paſſage.
Qui trop ſe haſte eſt eſtimé peu ſage,
Quand tombe aux laz ou il eſt aguetté.
Le Roſsignol prie à ceſt Oiſeleur
De le lacher, car peu de choſe il monte
Pour tel mengeur & ſi grand aualleur,
Et qu’autre oyſeau de plus grande valleur
Pre ̅ dre pourroit. l’Oiſeleur n’en tint conte:
Mais teſpondit, ce me ſeroit grand honte
De te quitter, certes tu en mourras,
Par fol eſpoir qui l’imprudent ſurmonte,
Ie ne croiray en parole ſi prompte.
Mieux vaut vn tien, que deux fois tu l’auras.
|| [148]
Regarder la fin de ſon
œuure.
Ce n’eſt pas tout que commencer,
Il faut voir ſi la fin eſt bonne:
Car lors n’eſt pas temps d’y penſer,
L’œuure par la fin ſe couronne.
|| [149]
Du Renard & du Bouc.
Fable LXXI.
VN fin Renard & vn Bouc s’en allerent,
Boire en vn puits, auquel ilz deualerent:
Apres auoir bien beu leur ſaoul tous deux,
De leur ſortir furent aſſez douteux:
Mais le Renard garny de ſa cautelle,
Dit à ce Bouc vne parole telle:
Prenons courage apres la peur receûe,
I’ay aduisé le poinct de noſtre yſſue,
Fay mon conſeil, ne le mets en arriere:
Si tu te veux ſur les pieds de derriere
Dreſſer debout, & tes deux cornes ioindre
Contre le mur, d’agilité non moindre,
Qu’à vn bon Cerf, d’icy ie ſauteray,
Et cela fait dehors t’en ietteray.
Le Bouc le creut, le Renard dehors ſaute,
Puis il reprint le Bouc de ſa grand’ faute,
En le moquant & luy niant ſecours,
Diſant ainſi: ſi tu euſſes recours
A la prudence, au ſauoir & vſage,
Comme ta barbe en porte teſmoignage,
Penſer deuois deuant qu’entrer au puits,
Si tu pourrois ſortir comme ie ſuis.
Car le prudent, le bien ſage & bien fin,
De tous ſes faits il regarde la fin:
Et quand il ha en ſon eſprit conceu
La fin du fait, il n’eſt iamais deceu,
Comme en tous arts dont la fin eſt penſee,
Auant que ſoit quelque œuure commencee.
|| [150]
Chercher ſa commodité aux
deſpens d’autruy.
Souz l’eſpece dé charité,
Et ſouz l’ombre de verité,
Nous conſeillons autruy tant bien,
Mais c’eſt ſouuent pour nostre bien.
|| [151]
Du Renard ſans queu
̅
e.
Fable LXXII.
QVelque Renard par la queu ̅ e eſtoit pris,
Pour eſchaper il la tre ̅ che & la coupe,
Parquoy craingnant deshonneur & deſpris,
D’autres Renards il euitoit la troupe:
Lors il penſa ſes compaignons tromper,
Les exhortant de leur que ̅ e couper:
A fin que ſouz telle eſpece & tel nombre,
Il peuſt cacher ſa honte & ſon encombre,
Ainſi que font ſouuent les malheureux,
Qui pour auoir co ̅ fort comme il leur ſemble,
Ne leur ſuffit d’auoir mal tout par eux,
Ains ilz voudroient co ̅ me il ſont langoureux,
Que chacun fuſt, pour auoir part enſemble.
De ces Renards la compaignie eſtoit
Dedens vn champ, le Renard eſcoué,
Couper la queüe à tous amonneſtoit,
A celle fin qu’il ne fuſt deſloué,
Leur ſuadant que la queüe ſi large,
Eſtoit pour eux vne peſante charge.
Lors vn Renard de ceux qui eſtoient là,
En ſouriant pour tous ainſi parla,
Diſant: Amy pource que l’accident
T’oſta la queüe, il eſt bien euident
Que pour couurir ton mal & infortune,
Tu voudrois bien l’eſpece eſtre commune:
Mais ton conſeil eſt ſot & imprudent.
|| [152]
Ne demander ayde à celuy qui nuyt
naturellement.
Il eſt fol qui ſecours demande,
A celuy qui nuyt par nature,
Dont la malice ne s’amende,
Baillant pointure pour ointure.
|| [153]
Du Renard & du Buiſſon.
Fable LXXIII.
VNe autre Renard ayant peur
Du Veneur, court vers vne haye:
Mais lors fut trompé le trompeur,
Quand pour grinper à mont s’eſſaye.
Voulant trouuer chemin & voye,
Par dedens l’eſpineux Buiſſon,
Des pointes receut mainte playe,
Dont il eut grieue marriſſon.
Lors en gemiſſant & plourant
Dit au Buiſſon, ie vien icy
Pour eſtre ton ayde implorant,
Et tu me naures ſans mercy:
Le Buiſſon luy reſpond, auſsi
Renard tu erres grandement,
Car tu me penſois prendre ainſi,
Que prens les autres cautement.
C’eſt grand’ folie de querir
Secours à celuy qui veult nuyre,
Et qui tache à faire perir
Le demandeur, pour le deſtruire.
Ceſte fable auſsi veult inſtruire
De ſe garder d’eſtre ſurpris:
Plus que ſoymeſine on treuue pire,
Et tel veult prendre qui eſt pris.
|| [154]
Porter patiemment les iniures.
On endure bien doucement
Iniure de ſon aduerſaire,
Quand on ſcait veritablement,
Qu’il est coustumier de ce faire.
|| [155]
De la Perdrix & des Coqs.
Fable LXXIIII.
QVelque Laboureur acheta
Vne Perdrix pour ſon plaiſir,
Dedens ſon hoſtel la porta,
Et toute nuict la feit geſir
Auec les Coqs au poulailler,
Leſquelz la vindrent trauailler,
Et de leurs becs la piquoterent,
De leur fiente l’infecterent,
Dont la Perdrix plaint & lamente,
Penſant que ce ſoit la maniere,
Que pource qu’elle eſt eſtrangere,
On la batte ainſi & tormente.
Ceſte Perdrix vn peu apres
Veit ces Coqs qui s’entrebatoient.
L’vn de l’autre approchoient ſi pres,
Que des ongles & becs iouſtoient:
Ie n’ay (dit elle) de merueille,
S’ainſi on me fache & traueille,
Veu que ces Coqs d’vne nature,
Ont entr’eux vne guerre dure.
L’iniure à porter eſt facile,
Du mauuais & l’iniurieux,
Qui d’vne couſtume inciuile
Eſt à tous ainſi furieux.
|| [156]
Estre ſemblable en parole &
en mœurs.
Vn traytre, vn trompeur ou moqueur,
S’il te ſermone ou te harangue,
Tu dois bien penſer que ſa langue
N’eſt point correſpondante au cœur.
|| [157]
Du Renard & du Foreſtier.
Fable LXXV.
VN Renard fut par les Veneurs chaſsé,
Et tant courut qu’il en eſtoit laſsé:
Pres d’vne tente & cabane arriua,
Ou tout ioingnant vn Foreſtier trouua,
Auquel il feit la ſupplication,
De luy monſtrer lieu de ſaluation
Pour ſe muſſer: le Foreſtier monſtra
Son petit toict, le Renard y entra,
Et ſe cacha en quelque petit coin.
Iceux Veneurs qui le ſuyuoient de loin
Au Foreſtier demanderent, s’il ha
Veu vn Renard lequel fuyoit par là.
Le Foreſtier par ſa fraude maligne
Monſtrant le lieu, de la main leur feit ſigne
Qu’il eſtoit là, mais il dit de la bouche
Ne l’auoir veu. chacun Veneur s’approche,
Et le Renard par derriere s’eſchappe,
Si que pas vn des Veneurs ne l’atrappe:
Et celà fait, le Foreſtier ſe cource
A ce Renard, & l’iniurie, pource
Qu’il ne luy ha rendu mer cis & graces.
Dit le Renard, i’ay bien veu tes fallaces,
Si tu auois les mœurs & le courage
Sans ſimuler, pareilz à ton langage,
Gré t’en ſaurois mais conte on ne doit fure,
D’vn qui ha cœur à la Langue contraire.
|| [158]
Faire du bien par force.
Ceux qui ſont durs au doux parler,
Et ne font rien que par contrainte,
Il leur faut bailler vne crainte,
Et les frapper & mutiler.
|| [159]
De l’homme & de ſon Dieu de
bois. Fable LXXVI.
VN homme auoit en ſa maiſon
Vn Dieu de bois qui eſtoit creux,
Qu’il prioit en toute ſaiſon
Le faire riche & bienheureux:
Mais tant plus ſon Dieu il prioit,
Et moins ſon bien multiplioit,
En fin tomba en indigence,
Parquoy ſon Dieu iniurioit,
Tachant d’en faire la vengeance.
Ceſt homme en courroux incité,
Par les deux iambes print ce Dieu,
Et d’vn deſpit tout irrité,
Le ietta par terre en ce lieu:
La ſtatue tant deſpriſa,
Que la teſte en pieces briſa,
Dont il iſsit or & argent,
Que cher eſtima & priſa,
Comme neceſſaire & vrgent.
L’homme recueillant la richeſſe
Diſoit, tu es traytre & peruers:
Tu te veux auoir par rudeſſe,
Et par tourmens durs & diuers:
Quand ie t’ay porté tout honneur,
De rien ne m’as eſté donneur,
Ie n’en ay eu rien que par force.
Le mauuais eſt donc fait meilleur,
Quand on le contraint & efforce.
|| [160]
Ne s’aſſubiettir pour nuyre
à autruy.
Qui ſe met en ſubiection
D’aucun, pour à ſon prochain nuyre,
Tant mieux penſe ſon fait conduire,
Tant plus voit ſa destruction.
|| [161]
Du Cerf & du Cheual.
Fable LXXVII.
COntre vn grand Cerf vn Cheual auoit guerre,
Et pour le batre il le ſuyuoit grand erre:
Mais voyant bien qu’il n’en ſeroit le maiſtre,
Pria vn homme à fin qu’il luy pleuſt eſtre
Son adiuteur, à vaincre celuy Cerf,
Tant que ſouz luy il fuſt vaincu & ſerf:
L’homme l’accepte, & à fin qu’il le guide,
Luy met la ſelle & le mors, & la bride,
Monte deſſus, & tous deux vont apres
Le Cerf cornu, le ſuyuant de ſi pres,
Qu’ilz l’ont ſaiſy: le Cheual glorieux
D’auoir eſté du Cerf victorieux,
Rend grace à l’homme, & le prie deſcendre
De deſſus luy, mais il n’y veult entendre,
Ains luy reſpond que fouz luy demourra,
Et que de l’homme au ſeruice mourra,
Puis qu’il s’eſtoit mis deſſouz ſa puiſſance
Failloit par force y faire obeïſſance.
En pareil cas pluſieurs en liberté
Veulent combatre & nuire à poureté,
Et pour la vaincre ilz amaſſent richeſſes,
Threſors mondains, par fraudes & fineſſes,
Dont il aduient que par force d’eſcus,
Eſtans victeurs ilz demeurent vaincus,
D’vn cruel monſtre & tres damnable vice,
Qui eſt nommé famelique auarice.
|| [162]
Se reſiouir des choſes qui appor-
tent le mal.
Bien ſouuent ce qu’on penſe
Estre tres proufitable,
Contre toute eſperance,
Se treuue dommageable.
|| [163]
Du Chien inuité au banquet.
Fable LXXVIII.
VN homme auoit ſemond vn ſien amy,
A vn banquet que chez luy apreſta:
Son Chien auſsi, qui n’eſtoit endormy,
Le Chien de l’autre au banquet inuita,
Qui de venir à l’hoſtel ſe haſta:
Et quand il veit la cuyſine garnie,
Il dit en ſoy, ſi bien ie ſouperay,
Et tant ſera ceſte pance fournie,
Que de trois iours apres m’en ſentiray.
En ce diſant ſa queüe remouuoit,
En eſperant s’en bailler par la moue:
Le Cuyſinier qui reſiouir le voit,
Le prend ſoudain par la queüe, & le roue
Trois tours en l’aer, ainſi comme on ſe ioue,
Puis le ietta en bas par la feneſtre,
Dequoy il fuſt eſtourdy longuement,
Lors chancellant à dextre & à ſeneſtre
Print à fuyr, criant horriblement.
Les autres Chiens qui le veirent courir,
Luy demandoient s’il auoit bien repeu,
Luy qui penſoit (ſans eſchaper) mourir,
Leur reſpondit: Ouy tant que i’ay peu,
I’en ay tant prins, i’ay tant mengé & beu,
Que ie ne ſcay par ou ie ſuis ſorty.
Voila comment ne faut prendre lieſſe,
Pour quelque bien, lequel eſt conuerty
Le plus ſouuent en douleur & triſteſſe.
|| [164]
Labeur continuel fait vn grand
threſor.
De peu à peu à gra ̅ d bien on paruient,
Quand par labeur d’estre riche on af- fecte:
Auec eſpoir perſeuerer conuient,
Car pierre à pierre est vne maiſon faite.
|| [165]
Du Laboureur & de ſes enfans.
Fable LXXIX.
VN Laboureur voyant finer ſa vie,
De bien pouruoir ſes Enfans eut enuie,
En deſirant les faire riches gens,
Par leur labeur, s’ilz eſtoient diligens.
Se mourant donc il leur va dire ainſi:
Mes beaux enfans, apres ma mort, voicy
Que vous ferez, ma vigne fouyrez,
Et tout au fons vn threſor trouuerez,
Que i’y ay mis pour la ſucceſsion,
Dont ie vous mets en la poſſeſsion.
Le Pere mort les enfans s’en allerent
Droit a??? la vigne, & ſoudain la fouillerent,
Auec houyaux & houes iuſqu’au fons,
Mais nul threſor trouuerent aux parfons,
Dont ilz penſoient auoir eſté deceuz:
Mais celle vigne apres les coups receuz
Des inſtrumens ſeruans aux Laboureurs,
Produit ſes fruits & ſes raiſins bien meurs:
Et neantmoins qu’elle euſt eſté en friche,
Par ce labeur chacun d’iceux fut riche.
Il appert donc que quand on continue
A labourer, le bien ne diminue,
Mais il s’augmente & ſuruient au beſoin:
De peu à peu certes on va bien loin,
Plus eſt prisé vn bien ainſi acquis,
Qu’vn bien trouué, ou vn threſor exquis.
|| [166]
De fuyr la mort.
Lo mort eſt ſouuent ſouhaitee,
Quand on ha des maux ſouuenir:
Mais quand on l’apperçoit venir
Du ſouhaiteur eſt reiettee.
|| [167]
Du Vieillard appellant la Mort.
Fable LXXX.
VN Vieillard portoit
Vn fardeau de bois,
Dont laſsé eſtoit,
Pour ſon trop lourd poix.
Donques tant laſsé
De porter ſa charge,
Aupres d’vn foſsé
Son fardeau deſcharge.
Puis par deſeſpoir
La Mort appella,
Et tout ſon pouuoir,
Laquelle vint là.
Diſant, que veux tu?
Es tu las de viure?
Es tu abbatu?
Veux tu la Mort ſuyure?
Non dit le Vieil homme,
Ie ne veux mourir,
Ie t’appelle & ſomme
Pour me ſecourir.
Preſte vn peu ta main
Pour me recharger,
Car c’eſt acte humain
Dautruy ſoulager.
|| [168]
Contre les orguilleux.
L’homme humble eſchappe bien ſouue ̅ t
Des grans perilz, mais l’orguilleux
Tombe aux dangers tres perilleux:
Petite pluye abbat grand vent.
|| [169]
Du Roſeau & de l’Oliuier.
Fable LXXXI.
VN Roſeau tendre & vn Oliuier haut,
De leur beauté & valeur contendoient,
Et l’vn de l’autre accuſoient le defaut:
A qui mieux mieux leur cauſe deffendoient,
Dit l’Oliuier, ie ſuis fort & conſtant,
Et contre moy n’es au vent reſiſtant,
Car tu flechis, & ie ſuis ferme & ſtable.
Lors le Roſeau ſe teut & le laiſſa:
Mais tout ſoudain vn fort vent ſe hauſſa
Impetueux, & ſi inſuportable
Que l’Oliuier par terre il renuerſa,
Et le Roſeau entier il delaiſſa,
Car il ployoit & eſtoit variable.
Ainſi eſt il des orguilleux mondains,
Trop glorieux & pleins de fier courage,
Qui par des cas & accidens ſoudains
Sont ruïnez à leur perte & dommage:
Car de tant plus qu’en leur pouuoir ſe fient,
Qu’en leur richeſſe & biens ſe glorifient,
Pluſtoſt auſsi trouuent vn plusfort qu’eux,
Souz le pouuoir duquel ilz ſont liez
Aſſubiettis, prins, & humiliez:
C’eſt voluntiers la fin des orguilleux.
Mais les petis, humbles, obeïſſans,
Qui de leur gré ſont doux & flechiſſans,
Eſchappent mieux les dang ers perilleux.
|| [170]
Contre les pareſſeux.
Qui ſe veult estranger
Du labeur ordinaire,
Soit maistre ou mercenaire,
Il chet en grand danger.
|| [171]
De la Vache & du Bœuf.
Fable LXXXII.
VNe Vache eſtant de ſeiour,
Voyant que tout le long du iour
Le bœuf ne bougeoit du labeur,
Eſtima cela grand malheur.
Comme meſchant le condemna,
Le deſpriſa & contemna.
Car ſans rien faire elle viuoit
Tandis qu’au labeur il ſeruoit.
Mais quand le iour du ſacrifice
Fut eſcheu, icelle Geniſſe
Fut menee à l’occiſion,
Pour faire l’immolation:
Dont le Bœuf ſe print à ſouzrire,
Et en ſe moquant luy va dire:
Puis que iamais ne labouras,
Comme inutile tu mourras.
Tu t’es de moy cent foys moquee,
Mais la peine t’eſt retorquee,
Ie demeure encore viuant,
Et la mort t’eſt de pres ſuyuant.
Ainſi en aduient il à ceux
Qui ſont tardifs & pareſſeux,
Perilleux dang er les rauit,
Maugré eux le Laboureur vit.
Celuy n’eſt pas digne de viure,
Qui veult oyſiueté enſuyure.
Ou voit ſouuent mourir de faim
Cil qui ne ſçait gaigner ſon pain.
|| [172]
Le mal vient de nous.
Ordinairement par nous meſmes
Nous tombons en perilz extremes,
Nostre faute & coulpe excuſons
Et la Fortune en accuſons.
|| [173]
De l’Enfant & de Fortune.
Fable LXXXIII.
PRes d’vn puits eſtoit
Et s’y esbatoit
Vn beau ieune Filz.
Sommeil le ſurprint,
Et dormir s’ent vint
Au bort de ce puits.
Fortune qui va,
Au lieu arriua,
Et celuy reſueille,
Diſant, mon amy,
Ne ſois endormy,
Et plus ne ſommeille.
Sy tombé tu fuſſes,
Excusé ne m’euſſes,
Et chacun euſt dit,
Que trop importune
Luy eſtoit Fortune
Qui mort le rendit.
Moy donc accuſee,
Ta faute excuſee
Touſiours euſt eſté.
Mais l’homme imparfait
Luy ſeul mal ſe fait,
Par ſa lacheté.
|| [174]
Le mauuais vouloir d’inimitié.
Haine eſt de ſi faulſe nature,
En cœur, en fait, & au combatre.
Qu’vn ſouflet voluntiers endure,
A fin d’en rendre trois ou quatre.
|| [175]
De deux Ennemys.
Fable LXXXIIII.
DEux gladiateurs ennemys,
Pour paſſer la mer ſe ſont mis
En vne nauire: & pourtant
Que l’vn d’eux l’autre hayoit tant,
Qu’ilz ne ſe pouuoient entreuoir,
L’vn ſe meit pour ſa place auoir
En la proue, l’autre en la poupe,
Et alors voicy vne troupe
D’ondes & de flotz arriuer,
Que les grans vents faiſoient leuer,
Si que la mer tant perilleuſe,
Leur feit vne peur merueilleuſe.
Celuy de la proue voyant
La mer enflee, & ondoyant
Par les vents & par la tempeſte,
Feit au Patron vne requeſte,
De luy dire quelle partie
De la nef ſeroit ſubuertie,
Premierement. Lors, dit le maiſtre,
La poupe premier conuient eſtre
Submergee. Donc dit celuy,
Plus aiſe ſeray ce iourd’huy,
Et de mourir n’auray eſmoy,
Si ie voy mourir deuant moy,
Celuy que i’ay en ſi grand’ hayne,
I’en mourray en plus douce peine.
|| [176]
Ne laiſſer l’amy au beſoin.
Ne ſois pas amy à demy,
Il le faut estre entierement:
L’amour ne vaut rien autrement,
Au beſoin congnoit on l’amy.
|| [177]
De deux amys & de l’Ourſe.
Fable LXXXV.
DEux co ̅ paignons amys s’entr’appelloie ̅ t
Leſq ̅ lz vn iour parmy les cha ̅ ps alloie ̅ t:
Vne grande Ourſe en leur chemin trouuerent,
Et auſsi toſt que la beſte aduiſerent
L’vn d’eux eut peur, & du danger s’oſta,
Et ſur vn arbre illecques pres monta.
L’autre doutant n’auoir force & puiſſance,
Pour faire à l’Ourſe aucune reſiſtance
Se couche bas, fait du mort en grand’ peine,
Sans retirer aucun vent ny allaine:
L’Ourſe approcha, & ne ſentant tirer
Allaine ou vent, ny l’homme reſpirer,
Là le laiſſa, l’eſtimant comme mort,
Car aux corps morts iamais elle ne mord:
Donques apres qu’elle s’en fat allee,
Le premier feit de l’arbre deuallee,
Et demanda à l’autre quell’ merueille,
L’Ourſe auoit dit ſi pres de ſon aureille.
Lors reſpondit par douce vrbanité,
L’Ourſe (dit il) m’ha bien admonneſté,
Que ie ne voiſe à iamais pres ou loin,
Auecques ceux qui laiſſent au beſoin
Leurs co ̅ paignons, ceux qui font telz defaux,
On les peult bien appeller amys faux,
Qui ſont amys ſeulement de la bouche:
Mais par effect l’amour au cœur ne touche.
|| [178]
Ne s’esleuer en orgueil.
Pluſieurs ſont qui ſe meſcongnoiſſent,
Se voyans en proſperité,
Mais s’ilz ſont en aduerſité,
Leur infirmité recongnoiſſent.
|| [179]
De la Mule ſuperbe.
Fable LXXXVI.
QVelque Mule graſſe en bon poinct,
Bien nourrie d’orge en l’eſtable,
De rien ne ſe ſoucioit point.
Et ne portoit charge greuable:
Sentant donc fortune amyable,
En ſon courage ſe priſoit,
L’eſtimant touſiours fauorable,
Et par orgueil ainſi diſoit:
Mon pere eſt vn tresbeau Cheual
Noble & puiſſant, plein de proueſſe,
Qui peult courir à mont, à val,
Ie luy reſſemble de viſteſſe.
Peu apres aduint qu’en la preſſe
Des Cheuaux leg ers fut menee:
Mais de courir bien toſt feit ceſſe,
Quand la courſe luy fut donnee.
La Mule clochant & deffaite,
Dit en ſoymeſine: l’apperçoy
Qu’vn Aſne m’ha forgee & faite,
Non vn Cheual, ie le conçoy,
D’autrement penſer me deçoy,
Car vn Aſne eſt mon propre pere.
Bien ſouuent ſe retourne en ſoy,
Qui perd la fortune proſpere.
|| [180]
Contre les menteurs.
Qui s’accoustume de mentir,
Apres qu’il ha baillé de bourde,
On ne peult à luy conſentir,
Car on luy fait l’aureille ſourde.
|| [181]
Du Berger menteur.
Fable LXXXVII.
VN Paſtoureau deſſus vn mont gardoit
Ses doux Agneaux, ſes Mouto ̅ s & brebis
De ſes voiſins ſe moquoit & lardoit,
Quand il eſtoit ſaoul d’eaue & de pain bis,
Il s’eſcrioit: Helas les Loups famis
M’ont deſrobé, & mes Moutons emportent.
Gens menſongers iamais vray ne rapportent.
Par pluſieurs fois les Laboureus d’entour,
Vindrent au cry: mais les Loups ne trouuoie ̅ t,
Et bien ſouuent leur dreſſa ce bon tour,
Eſtans deceuz quand ilz y arriuoient.
Vn iour les Loups le parc de pres ſuyuoient,
Vne Brebis leur demoura pour proye.
Toſt vient le mal combien qu’enuis on croye.
Ce Paſtoureau le larrecin voyant,
Du maiſtre loup qui la brebis emporte,
Au loup, au loup, diſoit il en criant,
Mais de ſecours ame ne le conforte:
Là on le laiſſe, aucun ne s’y tranſporte,
Car trop ſouuent les auoit abuſez.
Touſiours en fin ſont prins les plus ruſez.
Homme qui eſt ſouuent trouué menteur,
S’on l’appetçoit on ne le veult pas croire:
Voire fuſt il de verité l’autheur,
Ne ſera creu ny tenu pour notoire:
C’eſt ſon loyer, il n’ha point d’autre gloire:
C’eſt bien raiſon s’il vſe de menſonge,
Que verité luy ſoit imputé ſonge.
|| [182]
Se corriger le premier.
Tel voit dedens les yeux d’autruy
Vn festu, mais ſans voir plus outre,
N’apperçoit vne groſſe poutre,
Qui l’aueugle, & s’adreſſe à luy.
|| [183]
D’aucun Deuin ou Prophete.
Fable LXXXVIII.
QVelque Deuin en vne Ville eſtoit
En plein marché, qui diſoit l’auenture
A tout chacun qui là ſe preſentoit,
Et annonçoit toute choſe future:
Lors ſe moquant quelque homme de raiſon
De ce Prophete, & de ſon ſot blaſon,
Dire luy vint choſe qui eſtoit vraye,
Que les Larrons eſtoient en ſa maiſon,
Qui emportoient par fraude & trahiſon
Son or, ſon bien, & ſa robe, & ſon ſaye.
Vers ſa maiſon ſe haſtant de venir
En ſon chemin vn homme incongnu treuuc,
Lequel luy dit:ſi tu ſcais l’aduenir,
Tu en as fait maintenant faulſe eſpreuue,
Pourquoy veux tu au peuple faire acroire
Le temps futur, toy qui n’as en memoire,
Ton propre mal & aduerſe fortune?
Celà eſt laid de vouloir pour la gloire
Reprendre autruy, & de ſon fait notoire,
N’en auoir ſoin & ſouuenance aucune.
|| [184]
Demander à Dieu choſe iuste.
Priere & requeſte,
A Dieu preſentee,
S’ elle n’eſt honneste,
N’eſt point acceptee.
|| [185]
De Iupiter & de la Mouche.
Fable LXXXIX.
LA Mouche à miel pour faire ſacrifices
Aux iuſtes Dieux, de leur grans benefices,
A Iupiter le plus grand Dieu du Ciel,
Feit vn preſent du meilleur de ſon miel:
Dont luy ioyeux de telle oblation,
Luy ottroya que la petition
Qu’elle feroit, luy ſeroit accordee
Tout auſsi toſt que ſeroir demandee.
La Mouche donc ſa priere faiſant
De mauuais cœur, ainſi luy va diſant:
Treſpuiſſant Dieu concede à ton ancelle,
Et luy permets que ceſtuy là ou celle,
Qui me prendra mon miel furtiuement,
De mon piquant ſoit attaint viuement:
Et à l’inſtant qu’il ſouffrira piqueure,
Il tombe mort, ſans qu’aucun le ſequeure.
Lors Iupiter douteux de l’oraiſon,
Luy reſpondit, ce n’eſt pas la raiſon:
Mais ie permets, & le veux en ce poinct,
Que ſi quelcun de ta piqueure eſt poingt,
Et il aduient que l’aiguillon demeure
Dedens ſa chair, il faut lors que tu meure.
En l’aiguillon conſiſtera ta vie,
De qui tu as de poindre tant d’enuie:
C’eſt ton loyer. Car qui prie ou ſouhaite,
Qu’à ſon prochain mort ou perte ſoit faite,
Le mal requis (ainſi qu’il eſt bien iuſte)
Tombe deſſus le ſuppliant iniuſte.
|| [186]
Conſiderer le temps.
Ce qui n’eſt point fait en temps deu,
Ne peult trop longuement durer:
Le fruit eſperé eſt perdu,
Et puis apres faut endurer.
|| [187]
De l’Adoleſcent & de l’Arondelle.
Fable XC.
VN ieune Filz viuant en ſes delices,
Auoit ſes biens deſpendus folement,
Et conſumé ſes eſtas & offices,
Tant qu’il n’auoit plus qu’vn ſeul veſtement.
Voyant vn iour voler legierement,
Vne Arondelle annonçant ce luy ſemble
L’eſté prochain, non pas l’hyuer qui tremble,
Au plus offrant ſa robe en vente ha miſe,
En demourant tout nud en ſa chemiſe.
Contre l’eſpoir arriua la froidure,
L’hyuer ſuruint auec gelee & glace:
L’adoleſcent extreme froit endure,
Le vent le fiert, la neige le menace.
Et apperçoit l’Aronde qui treſpaſſe
Pour le grand froid, & douloureux martire.
Et la voy ant luy commença à dire,
O faux oyſeau ſi de toy ie me deulz,
C’eſt bien raiſon, car tu nous perds tous deux!
Tout ce qui n’eſt fait en temps & ſaiſon,
Trop lentement ou trop haſtiuement,
Sans meſurer à l’aune de raiſon,
Le repentir le ſuyt ſoudainement.
En ſon fait faut auoir bon iugement,
Ne ſe reigler ſouz perſonne inconſtante:
Mais ſe reigler ſouz perſonne ſauante.
Qui bien du mal, & droit du faux diſcerne,
Sage eſt celuy qui ainſi ſe gouuerne.
|| [188]
Contre les auaricieux.
L’homme eſt maintesfois trop expert,
En exerçant ſon auarice:
Dangereux eſt tel exercice:
Car tel cuide gaigner qui perd.
|| [189]
De la Femme & de la Geline.
Fable XCI.
QVelque femme vne Poule auoit,
Qui luy portoit grand auantage,
Chacun iour pondre luy deuoit
Vn œuf d’or comme elle pouuoit,
C’eſtoit ſon naturel vſage:
Dont fut augmenté le meſnage,
Et riche grandement deuint,
Pour ce beau threſor qui luy vint.
Ceſte Femme auaricieuſe,
Penſant la Poule eſtre au dedens
Toute doree & precieuſe,
La tua comme furieuſe,
Sans aduiſer les accidens:
Mais à l’œil de tous regardans,
Fut trouuee dens ſa poictrine
Tout ainſi qu’vne autre geline.
En penſant donques s’enrichir,
Elle perdit par couuoitiſe.
Auarice nous fait flechir,
Et nous augmente le deſir,
Qui nous fait perdre choſe acquiſe.
Deſir de gain fait entrepriſe,
Qui eſt cauſe de perte à maints
De ce quilz tenoient en leurs mains.
|| [190]
Contre les vanteurs.
Qui cherche honneur par ſa ventance,
Et il ne met riens à effect,
Il eſt bien digne qu’on le tenſe.
De grand’ ventance peu de fait.
|| [191]
De l’Homme & du Lyon.
Fable XCII.
AInſi qu’vn Homme & vn Lyon alloient
Par le chemin, & enſemble parloient
De leur vertu, de leur force & courage,
Diſans auoir l’vn ſur lautre auantage,
Vne colomne aſſez haute trouuerent
Au carrefour, pres duquel arriuerent,
Dedens laquelle eſtoit entaille comme
Vn grand Lyon eſtoit occis par l’homme.
Ce que voyant l’Homme dit au Lyon:
O fier Lyon plein de rebellion
Regarde icy, vn homme tu peux voir,
Qui le Lyon ha mis ſouz ſon pouuoir.
Le ſuffoquaut comme victorieux.
Ainſi l’Homme eſt plus noble & glorieux,
Que le Lyon, de ſa propre nature.
Dit le Lyon, ie ne croy en peinture:
Car peineres ont en leur art grand’ licence.
Si les Lyons auoient ceſte ſcience,
Peindre pourroient le Lyon comme maiſtre,
Etvainqueur d’ho ̅ me, ainſi qu’il peult bie ̅ eſtre
Tu le verras: Lors acheuant ſon dire,
C’eſt homme prend & le tue & deſsire.
Il appert do ̅ c qu’vn va ̅ teur plein de gloire,
Veult ſes beaux faits à chacun faire acroire:
Mais en la fin ſe trompe & ſe deçoit
Si lourdement, que chacun l’apperçoit.
|| [192]
Contre les traytres.
Ne vueillez trahir, ne riens faire
Non plus que voulez qu’on vous face:
Car trahiſon ne peult complaire,
A cœur qui eſt de bonne race.
|| [193]
De l’Oyſeleur & de la Perdrix.
Fable XCIII.
VN Oyſeleur tuer vouloit
Vne Perdrix qu’il auoit priſe
Aux champs, ainſi qu’elle voloit:
Mais quand elle ſe veit ſurpriſe,
Pria par gand’ humilité,
Qu’il luy donnaſt ſa liberté,
Et la lachaſt, luy promettant
Qu’en ſes retz feroit venir tant
D’autres oyſeaux, tous de ſa bande,
Qu’il en ſeroit plus que content:
Mais l’Oyſeleur en debatant
N’eut cure d’vne telle amende.
Lors il luy dit, au vray ie iuge,
Que tu es digne de la mort,
Sans auoir à mercy refuge:
Car tu veux faire à autruy tort.
Tu promets pour te deliurer,
Qu’en mes mains tu feras liurer
Pluſieurs oyſeaux de ta nichee,
Mais premier ſeras deſpeſchee,
Pour te rendre iuſte ſalaire.
Qui ha la trahiſon cherchee,
Sa chair doit eſtre detrenchee,
Pour eſtre aux autres exemplaire.
|| [194]
Plus par diligence que par force.
Par long labeur aſſez continué,
On treuue fin de ce qu’eſt entrepris:
Perſeuerrce obtient touſiours ſon prys,
Qui n’eſt iamais de l’honneur deſnué.
|| [195]
Du Lieure & de la Tortue.
Fable XCIIII.
VN Lieure print debat à la Tortue,
Luy reprocha ̅ t ſes pieds tant pareſſeux,
Louant les ſiens deſquelz il s’eſuertue
Courir au loin non las & angoiſſeux:
Mais la Tortue en ſes pieds ſe confie
Autant que luy, en courſe le deffie.
De leur debat le Renard iuge fut,
Qui leur bailla pour courſe vn certain but.
Lors la Tortue, oſtant ſa negligence,
Vint iuſqu’au but en prompte diligence,
Ce temps pendant que le Lieure ſommeille,
Lequel penſoit auoir gaigné ſa part,
Mais pour neant apres qu’il ſe reſueille
Courut au but, car il y vint trop tard.
Le Lieure alors confeſſa ſa pareſſe,
En approuuant ferme perſeuerance,
Faite à loiſir par prudence & ſageſſe,
Trop plus que force & legere inconſtance,
Qui ha de ſoy ſi grande confiance,
Qu’elle s’attend à ſa propre vertu:
Mais ſon pouuoir ſouuent eſt abatu:
Et au contraire, induſtrie aſſez lente,
Conduit à fin ſon fait bien debatu,
Mieux la moytié que force violente.
|| [196]
Contre les oyſifs.
C’eſt vn monstre en choſe publique,
D’vn qui ne veult ou ſcait rien faire:
Car il eſt à vertu contraire,
Laquelle à bien ouurer s’aplique.
|| [197]
Du Feure & du petit Chien.
Fable XCV.
VN Feure auoit vn petit Chien,
Qui touſiours dormoit ce pendant
Que ſon maiſtre beſongnoit bien,
Le diſner eſtoit attendant:
Mais quand ſon maiſtre eſtoit mordant
Et qu’à table prenoit repas,
Ce petit Chien l’heure entendant
A ce diſner ne failloit pas.
Le Feure ne ſe pouuoit taire,
Mais diſoit au Chien rudement,
Content ne ſuis de ce miſtere,
Tu me deſtruis entierement.
Car tu dors pareſſeuſement
Quand ie beſongne à mon ouurage,
Mais au diſner ſoudainement
Tu viens menger à mon dommage.
Tout ainſi aux champs & aux villes
Les vns ſeruent au bien commun,
Les autres y ſont inutiles
Sans y faire proufit aucun.
O la grand’ faute! quand quelqu’vn
Veult tant l’oyſiueté enſuyure,
Sans rien faire en temps opportun,
Qu’il veult du labeur d’autruy viure.
|| [198]
Perdre pour gaigner.
Pour ſauuer la choſe plus chere,
Il nous faut la moindre quitter,
De peur qu’on ne paye l’enchere.
On recule pour mieux ſauter.
|| [199]
Du Veneur & du Caſtor.
Fable XCVI.
LEs genitoires du Caſtor
Seruent à faire medecine,
Pource eſt il à cry & à cor
Chaſsé, pour en auoir ſaiſine:
Mais quand il congnoit ſa ruïne
Ses genitoires va trencher.
Rien neſt que le ſalut tant cher.
Quand du danger ſe voit ſi pres,
Pour les genitoires qu’il ha,
Aux dents les trenche tout expres
Et aux Veneurs les iette la:
Leſquelz conſiderans cela
Les prennent, & laiſſent la chaſſe.
Bien fait qui ſon ſalut pourchaſſe.
Pour euiter plus grand dommage,
Aucunesfois perdre conuient:
Le peril fait l’homme eſtre ſage
Dont il eſchape & en reuient.
Le bon Chreſtien auſsi paruient
Au ciel, quittant les biens du monde.
En tel ſalut tout bien abonde.
|| [200]
Ne receuoir en gré les dons des
mauuais.
Si on te preſente aucun don,
Penſe s’il eſt mauuais ou bon:
Conſidere le perſonnage,
Et le vouloir de ſon courage.
|| [201]
De Iupiter & du Serpent.
Fable XCVII.
IVpiter feit celebrer vn conuiue
Auquel chacun des hautains Dieux arriue,
Et pour parfaire & agrandir la feſte,
De chacun genre il y vint vne beſte,
Auec preſens & dons treſprecieux,
Pour preſenter au ſouuerain des cieux.
Chacun s’efforce à faire ſon offrande
A Iupiter, ſoit petite ou ſoit grande,
Entre leſquelz le Serpent s’appareille
De luy offrir vne roſe vermeille:
Mais Iupiter à plein la refuſa,
Et le donneur & le don deſpriſa,
Diſant tout haut: I’ay pris pour aggreables
Des autres tous les preſens honorables:
Mais du Serpent, qui eſt la beſte ſeule
Pleine de dol, qui m’apporte en ſa gueule
Le ſien preſent, pource qu’il eſt mauuais,
Le don offert ie ne prendray iamais:
Car des mauuais on ne doit receuoir
Preſent ou don, il y peult bien auoir
Deception, fraude, dol & malice.
Tel don n’eſt point ſouuentesfois ſans vice.
Par ce propos congnoiſſons clerement,
Que le preſent fait indiſcrettement
D’vn cœur pecheur, ou tout vice eſt conceu,
N’eſt voluntiers du ſeigneur Dieu receu.
|| [202]
Ne nourrir les enfans trop
delicatement.
Le pere qui trop l’enfant flate,
Nourriture trop delicate,
Liberté, & ſote doctrine,
Sont cauſe que l’enfant mal fine.
|| [203]
Du Singe & de ſes enfans.
Fable XCVIII.
VN Singe auoit deux petis ieunes Singes,
Dont l’vn aymoit d’vne amour ſote &
Fort tendreme ̅ t l’enuelopoit en linges, (fole,
Le nourriſſoit giſant en couche mole,
Touſiours le baise, amignote, & acole.
L’autre il hayoit, & n’en tenoit point conte,
Ains le chaſſant, de le voir auoit honte:
Mais ceſtuy là qu’il aymoit ſi tresfort,
Par trop aymer qui la raiſon furmonte,
Tant l’eſtraingnit qu’en fin le mit à mort.
Tout ainſi font les parens imprudens,
Qui ayment trop leurs enfans ſans meſure:
Par tel amour tombent en accidens,
Perdent l’eſprit, & gaſtent leur nature:
Car leur baillant trop douce nourriture,
Et les tenir trop chers & trop aymez,
Tombent en mal, dont ilz ſont diffamez,
La vie eſt fole, & la fin eſt mauuaiſe,
Mais telz parens doiuent eſtre blaſmez,
Quand telle fin procede de telle aiſe.
|| [204]
Prouiſion de ſaiſon.
La prouiſion de ſaiſon,
Soit bonne ou ſoit mauuaiſe annee,
Quand elle eſt par droit ordonnee,
Elle fait riche la maiſon.
|| [205]
Des Formis & de la Cigale, ou Gril-
lon. Fable XCIX.
VNe grand’ troupe de Formis
Enſemble en vn creux s’eſtoint mis,
Et auoient durant tout l’eſté
Amaſsé grande quantité
De bled, qu’ilz auoient peu trouuer
Pour ſe nourrir durant l’hyuer,
Lequel venu, vne Cigale
De qui la cure principale
Eſt de chanter l’eſté durant,
Laquelle eſtoit faim endurant,
Vint aux Formis, & leur pria
Luy donner fi peu qu’il y ha
De leur bled, ce qu’ilz refuſerent,
Et par rigueur luy demanderent
Qu’elle auoit fait l’eſté paſsé,
Sans auoir ſon pain amaſsé.
Dit la Cigale, ie chantoye,
Et par les bleds ie m’esbatoye.
Lors dirent les Formis ainſi,
Il faut que l’endures auſsi,
Puis qu’ainſi eſt que tu as tant
Chanté l’eſté en t’esbatant,
Il te faut en hyuer dancer,
Ainſi te faut recompenſer.
Qui ne pouruoit en temps & heure,
En grand’ neceſsité demeure.
|| [206]
De fuyr les femmes.
Qui ſe veult mettre en mariage
Il faut chercher la femme ſage,
De la fole ne tenir conte,
Qui ne fait que dommage & honte.
|| [207]
D’vn homme & de ſes deux femmes.
Fable C.
AV beau Printe ̅ ps que tout eſt en vigueur,
Vn ho ̅ me plein de ieuneſſe & gra ̅ d cœur
D’aage moyen, deux femmes eſpouſa,
Et leur complaire en tout ſe diſpoſa.
L’vne eſtoit vieille, & l’autre ieune aſſez,
Et il auoit trente cinq ans paſſez,
Cheueux auoit griſons & demy blancs,
A la vieilleſſe aſſez bien reſſemblans:
Parquoy la vieille aymant ſon amytié,
De ſes cheueux luy oſta la moytié,
Ceſtaſauoir ceux de noire teinture,
Pour mieux ſembler à la vieille nature.
Les cheueux noirs perdit entierement.
La ieune femme auſsi ſemblablement,
Les cheueux blancs luy oſta par cautelle,
A celle fin qu’il reſſemblaſt à elle.
De ſes cheueux noir ne blanc ne ſe ſauue,
Et par ainſi l’homme demoura chauue,
Non ſans opprobre & laide moquerie,
Qui luy tourna à grande facherie.
Les hommes vieux ſe doiue ̅ t donc diſtraire
D’amour de femme, ainſi à eux contraire:
Les ieunes gens qui en veulent iouyr,
N’en doiuent tant approcher que fuyr.
Bref, ceſtuy là qui veult viure en honneur,
Ne doit de femme en faire ſon ſeigneur.
|| [208]
La vie d’Eſope extrai-
te de volaterran,
& autres autheurs: par An-
toine du Moulin Maſconnois.
Esope fut du païs de
Phrygie, & eſtoit de
ſerue co
̅
dition, & na-
turellement laid &
difforme de corps: mais Nature
en recompe
̅
ſe de telle difformité
luy donna vn don ſingulier, ceſt
quil fut fin, caut, & plaiſant en
paroles. Or aduint vn iour quil
fut enuoyé aux champs pour la-
bourer: & eſta
̅
t accusé de la part
des autres ſeruiteurs d’auoir me
̅
-
gé des Figues, leſquelles on gar [209] doit
pour leur Seigneur, il mon-
ſtra le contraire: car ſoudain il
print de leaue chaude laquelle il
beut, & ce fait incontinent vo-
mit: dont on congnut ſon inno-
cence. Mais les autres ſeruiteurs
qui l’accuſoient eſtans contrains
boire ſemblableme
̅
t deaue chau-
de, vomirent les figues. Apres ce
il fut do
̅
né par ſon maiſtre à Ze-
nas receueur de la Metairie, qui
le vendit à vn marchand ayant
par là, lequel marchant ayant
faute de cheuaux feit comman-
deme
̅
t à ſes ſeruiteurs quilz por-
taſſent chacun leur fardeau, &
auſsi à Eſope. Mais ledit Eſope
ſe diſant eſtre foible & debile,
eut le choix & eslite de porter la
plus legere charge. A ceſte cauſe
il print vn pe
̅
nier plein de pains,
[210]
lequel ſembloit eſtre le plus gros
fardeau, do
̅
t les autres ſeruiteurs
ſe prindrent à rire, car pour vray
ceſtoit la plus peſante charge.
Mais eux allans par les chemins
s’arreſterent pour pre
̅
dre leur re-
fectio
̅
: auſquelz Eſope diſtribua
des pains tant quilz en voulure
̅
t,
& par ce moye
̅
ſe trouua ſa char-
ge diminuee, telleme
̅
t quil alloit
loin deuant eux. Et eſtant par-
uenu iuſques en Epheſe, il fut de-
rechef vendu à vn nommé Xan-
thus: lequel l’interroga dou il
eſtoit, iceluy Eſope reſpondit, de
chair. Lors Xanthus dit, ie ne de-
ma
̅
de pas cela, mais ie te deman-
de, ou tu fus nay: Eſope reſpon-
dit, au ventre de ma mere. Xan-
thus luy repliqua, diſant, ie ne de-
mande pas cela, mais en quel lieu
[211]
tu fuz nay. Auquel derechef re-
ſpondit Eſope, diſant, ie ne ſcay
ſi ie fuz nay dedens le lict ou de-
hors. Xanthus derechef linterro-
ga, en luy dema
̅
dant quil ſauoit
faire: à quoy Eſope reſpo
̅
dit, quil
ne ſauoit rien. De laquelle re-
ſponſe eſtant eſtonné Xanthus,
Eſope dit: Veu que les ſerui-
teurs leſquelz tu as acheté quant
& moy diſent quilz ſauent tou-
tes choſes, ilz ne m’ont laiſsé
aucune choſe à ſauoir. Vn iour
aduint qu’on propoſa??? vne que-
ſtion laquelle eſtoit telle: Pour-
quoy eſt ce que les choux pro-
uenans naturellement & à leur
volunté, croiſſent pluſtot que
ceux qu’on plante? Xanthus di-
foit que cela venoit par pro-
uidence: à quoy Eſope amena
[212]
vne co
̅
paraiſon de la Maraſtre,
laquelle nourrit les enfans d’vne
eſtrange femme auſsi à malgré
& contre ſon vouloir, que la ter-
re produit ſemences d’eſtranges
paîs. On luy commanda de faire
cuy re quatre pieds de pourceau,
leſquelz on auoit acheté, mais le
maiſtre pour le tromper, luy en
deſroba vn:ce congnoiſſant Eſo-
pe, il coupa le pied d’vn pour-
ceau, lequel on nourriſſoit en la
maiſon. Le maiſtre voya
̅
t qu’on
auoit mys vn pied au lieu de ce-
luy quil auoit caché, dit en telle
ſorte, ce pourceau auoit il cinq
pieds? A quoy Eſope reſpondit,
non: mais deux pourceaux en
ont bien huit: & certes les autres
ſont demeurez ſains & ſauues à
ton porc. On commanda audit
[213]
Eſope quil apportaſt vn baſsin
pour lauer les pieds, ce quil feit,
car il l’apporta ſans point d’eaue,
par ce qu’on n’auoit nommé que
le baſsin ſeuleme
̅
t. On luy com-
ma
̅
da auſsi quil appreſtaſt le ban
quet des meilleures viandes quil
pourroit: Pour laquelle choſe
faire, il acheta des langues, diſant
que elles eſtoient bonnes, & les
louoit, & exaltoit en racontant
beaucoup de biens dicelles. De-
rechef on luy commanda quil
appreſtaſt vn banquet des plus
mauuaiſes viandes quil pour-
roit, pourquoy faire il appreſta
ſemblablement des langues: &
declaroit les maux & meſchan-
cetez prouenantes par icelles. Il
fut interrogué, pourquoy ceſt
que qua
̅
d on va tuer vne brebis,
[214]
elle ne dit mot, & le Porc gron-
gne: à quoy il reſpondit, par ce
que la Brebis eſtant acouſtumee
qu’on luy tire le laict, & qu’on la
to
̅
de, ne craint point le fer. Apres
ces choſes Xanthus alla voir les
ieux, & eſtant au theatre des Sa-
miens, il veit vn Aigle porta
̅
t en
lair vn anneau, leq
̅
l elle auoit ar-
raché de la main du Preteur: de
laquelle choſe s’eſmerueillans les
Samiens, il leur dit, que ſon ſer-
uiteur Eſope pourroit facileme
̅
t
dire quelle choſe eſtoit ſignifiee
par ce miracle: & ſoudain fut ap-
pellé Eſope, lequel auant toutes
choſes, en reco
̅
penſe de linterpre-
tation du prodige, requiſt eſtre
en liberté & fra
̅
c. Laquelle liber-
té luy eſta
̅
t ottroyee & accordee
à la requeſte des Samiens, il acco
̅
[215] plit
ſa prediction & diuination:
car il auoit au parauant dit à ſon
maiſtre, quil ſeroit deliuré quel-
que iour maugré luy. Quant au
prodige de lanneau il dit, que
dens peu de iours il y au roit vn
Roy d’eſtrange paîs, lequel leur
oſteroit leur liberté. Ce qui ne
tarda gueres, car il aduint quilz
receurent incontinent lettres de
Creſus roy de Lydie, par leſquel-
les leur dema
̅
doit argent, laquel-
le choſe les Samiens ne voulure
̅
t
accorder, ſuyuans le conſeil d’E-
ſope. Et aua
̅
t toutes choſes, apres
ce, le Roy dema
̅
da Eſope, & Eſo-
pe dit aux Samiens ceſte fable:
Les Loups ont deno
̅
cé la guerre
aux Lieures: les Lieures requie-
rent les chiens à leur ayde. Les
Loups accordent & font paix,
[216]
ſouz telle condition, q
̅
les chiens
leur ſeront donnez en garde:
quoy fait, apres ilz courent ſur
les Lieures. Et en fin Eſope ſen
alla vers Creſus, bien que les Sa-
miens nen fuſſent conſentans. Et
illec eſta
̅
t paruenu fut receu ho-
norablement, & luy feit on plu-
ſieurs beaux dons. Et auec ce il
impetra liberté aux Samiens, en
recompenſe dequoy il dedia ſes
Fables audit Creſus. Et eſta
̅
t re-
tourné à la grand’ ioye & conſo-
lation des Samiens, peu de iours
apres il ſen alla en Babylone, vers
Lycurgus Roy des Roys, auquel
il apprint le moyen de pouuoir
ente
̅
dre & interpreter les Enig-
mes & ſentences obſcures: & cer-
tes en ce temps là ceux d’Orient
eſtoient en ce treſſauans, à cauſe
[217]
dequoy impoſoient tailles & tri-
buts à ceux qui ne ſauoient en-
te
̅
dre iceux enigmes. Eſope eſta
̅
t
vn iour accusé enuers le Roy, &
ce par le moyen dun ho
̅
me no
̅
mé
Ennus, lequel ledit Eſope auoit
pris en adoption, fut co
̅
traint de
ſe cacher long te
̅
ps en vn ſepul-
chre. En ces entrefaites, Necte-
nabo roy d’Egypte, enuoya vn
Enigme à Lycurgus, qui eſtoit
tel, ceſt, quil vouloit edifier vne
tour, qui ne toucheroit ciel ny
terre. Pour interpreter ceſt enig-
me, Eſope fut dema
̅
dé, lequel ſor
tit hors du ſepulehre do
̅
t le Roy
eut grand ioye & plaiſir, lequel
do
̅
na lettres de pardon & grace,
au filz adoptif dudit Eſope, do
̅
t
auons parlé cy deſſus. Puis apres
le Roy Lycurgus donna la lettre
[218]
de Nectenabo à Eſope pour la li-
re: & qua
̅
d il l’eut leuë, il ente
̅
dit
inco
̅
tinent la ſolution de la que-
ſtion, & ſe print à rire, & dit au
Roy Lycurgus, quil eſcriuiſt à
Nectenabo, que quand lhyuer ſe-
roit paſsé, il luy enuoyeroit des
ouuriers qui luy baſtiroient ſa
tour, & auſsi vn ho
̅
me qui reſpo
̅
-
droit à toutes ſes dema
̅
des. Apres
ce Lycurgus re
̅
uoya les Ambaſ-
ſadeurs d’Egypte: & redonna à
Eſope toute ſa premiere admini-
ſtration, & luy rendit Ennus &
tout ſon bien. Or Eſope receut
benignement Ennus, & ne le co
̅
-
triſta en rien, mais le traita dere-
chef come ſon propre filz: & en-
tre autres choſes lenhortoit ainſi:
Mon filz, ayme Dieu. Sur toutes
choſes honnore le Roy. Monſtre
[219]
toy terrible à tes ennemis, à celle
fin quilz ne te meſpriſent. Sois à
tes amys priué, affable & benin,
à fin quilz ſoient enclins à te bie
̅
vouloir. Reiette toute parole le-
gere. Sois ſobre de ta la
̅
gue. Naye
honte dapprendre touſiours. Ne
dy iamais ton ſecret à ta femme:
car elle cherche touſioursle moye
̅
pour eſtre ta maiſtreſſe. Amaſſe
chacu
̅
iour pour le le
̅
demain: car
il vaut mieux en mourant de-
laiſſer à ſes ennemys, que eſta
̅
t en
vie auoir beſoin de ſes amys.
Chaſſe de ta maiſon le meſdi-
ſant: car ce que tu fa is & dis, il le
rapportera aux autres. Ne te fa-
che point de ce qui tauiendra.
Ennus eſta
̅
t inſtruit de toutes ces
choſes & pluſieurs autres par Eſo
pe, & ayant le cœur frappé a inſi
[220]
que dune fleſche, tant par la pa-
role d’Eſope, q
̅
par ſa propre con
ſcience, mourut peu de iours
apres. Eſope appella tous les oy-
ſeleurs, & leur co
̅
manda de pren
dre quatre pouſsins daigles, & les
ayant, les nourrit & leur apprint
de porter en vola
̅
t bien haut des
enfans dedens des corbeilles pen-
dues à leur col: & les induiſoit à
ceſte obeiſſance, de ſorte quilz
volaſſent ou les garçons vou-
droient aller, ou en lair bien
haut, ou en bas pres terre. Quand
lyuer fut paſſé, Eſope appreſta
tout ce qui eſtoit neceſſaire pour
vn tel voyage, & print les garço
̅
s
& les aigles, & ſen allà en Egy-
pte, eſtonnant tout le mo
̅
de par
vn tel ſpectacle. Eſope eſta
̅
t arri-
ué, le Roy des Egyptiens dit à ſes
[221]
amys, ie ſuis trompé: car iauoye
ouy dire que Eſope eſtoit mort.
Peu de iours apres Nectenabo
dit à Eſope: Nous as tu amené
des maſſons pour baſtir la tour?
Eſope luy dit, Ilz ſont preſts
moyennant que mo
̅
ſtres le lieu.
Le Roy ſortit hors la ville, &
vint en la campagne, ou luy mon
ſtra vn lieu co
̅
paſſé: Eſope alors
amena aux quatre coins de ce
lieu lequel on luy auoit monſtré,
les quatre aigles auec les quatre
iouue
̅
ceaux pe
̅
duz aux corbeil-
les: & apres quil eut donné en
main à chacun ſon inſtrume
̅
t de
maſſon, il commanda aux aigles
de ſen voler. Or les co
̅
paignons
eſtans bien haut, commencerent
à crier: donnez nous des pierres,
donnez nous de la chaux, do
̅
nez
[222]
nous du bois, & toutes autres
choſes propres pour baſtir. Ne-
ctenabo voyant ces ruſtres ainſi
mo
̅
ter en haut par le moyen des
aigles dit, Dou nous ſont venuz
ces ho
̅
mes volans? Eſope reſpon-
dit: Lycurgus en ha de telz. Et
toy iaſoit que tu ſois ho
̅
me, tu te
veux co
̅
parer à vn Roy ſembla-
ble aux Dieux. Nectenabo luy
dit, Eſope, ie ſuis vaincu. Vn peu
de temps apres Eſope ſen alla en
Delphos, auquel lieu on ne tint
gueres conte de luy, & ne luy
feirent honneur, comme on luy
auoit fait aux autres lieux, dont
il leur dit publiquement: Il me
ſemble en vous voya
̅
t, que ie voy
du bois ꝗ eſt en la mer: car quand
il eſt agité des vagues, il nous eſt
aduis ꝗl eſt bie
̅
gros, mais qua
̅
d il
[223]
eſt pres de nous, nous le trouuons
petit. Et moy, quand ieſtoye loin
de voſtre ville, ie vous auois en
ad miratio
̅
: mais depuis q
̅
ſuis ar-
riué icy, ie vous ay trouuez plus
inutiles q
̅
to9 les autres, parquoy
iay eſté deceu. Les Del phie
̅
s oya
̅
s
ce propos fure
̅
t telleme
̅
t indignés
co
̅
tre luy, ꝗlz prindre
̅
t vne phio-
le darge
̅
t dens le te
̅
ple d’Apollo
eſta
̅
t en leur ville, & puis la mei-
rent ſecrettement en ſa malette.
Eſope ignorant ce, ſortant de la
ville fut ſuyui, & eſtant trouué
ſaiſi dicelle phiole, fut ramené
de
̅
s la ville, & par la faulſe accu-
ſation & impoſition enuers luy
faite, fut condemné comme ſa-
crilege, parquoy le ietterent du
haut dun roc en bas. Telle fut ſa
fin ſans auoir mesfait.
|| [ID00226]
|| [ID00227]
|| [ID00228]