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[] CORRESPONDANCE
DE
RUBENS
ET
DOCUMENTS ÉPISTOLAIRES
CONCERNANT SA VIE ET SES OEUVRES
PUBLIÉS, TRADUITS, ANNOTÉS
PAR
CH. RUELENS
CONSERVATEUR DES MANUSCRITS A LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE BELGIQUE, A BRUXELLES
TOME PREMIER
1600-1608
ANVERS
Veuve DE BACKER, Imprimeur-Éditeur, Rue Zirk, 35
1887


[]

[] CODEX
DIPLOMATICUS RUBENIANUS


[] CODEX DIPLOMATICUS RUBENIANUS
DOCUMENTS
RELATIFS
A LA VIE ET AUX OEUVRES
DE
RUBENS
PUBLIÉS SOUS LE PATRONAGE DE
L'ADMINISTRATION COMMUNALE DE LA VILLE D'ANVERS
TOME PREMIER


[] CORRESPONDANCE
DE
RUBENS
ET
DOCUMENTS ÉPISTOLAIRES
CONCERNANT SA VIE ET SES OEUVRES
PUBLIÉS, TRADUITS, ANNOTÉS
PAR
CH. RUELENS
CONSERVATEUR DES MANUSCRITS A LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE BELGIQUE, A BRUXELLES
TOME PREMIER
1600-1608
ANVERS
Veuve DE BACKER, Imprimeur-Éditeur, Rue Zirk, 35
1887

[]

[] AU CONSEIL COMMUNAL
DE LA
VILLE D'ANVERS.


[]

[I] INTRODUCTION.

“Il ne faudrait rien ignorer de la vie d'un artiste tel que Rubens,„ a dit M. Armand Baschet au commencement des articles célèbres qui nous ont révélé les belles découvertes opérées par lui dans les archives des Gonzague, à Mantoue. Nous prenons cette parole pour épigraphe de notre travail, en y changeant un mot, et nous disons: il ne faut rien ignorer de la vie d'un homme tel que Rubens.

Ainsi formulée, cette parole exprime rigoureusement le principe qui préside à notre publication, principe adopté par le Congrès d'Anvers, en 1877, et par l'Administration qui a fondé le comité chargé de recueillir les documents relatifs à la vie et aux oeuvres de notre illustre compatriote. Celui-ci n'a pas été seulement un des génies supérieurs de l'Art, il a été encore un grand citoyen, un savant, un lettré. Dans les missions diplomatiques dont il fut chargé, sans porter le titre d'ambassadeur, il accomplit par le seul ascendant de sa haute intelligence, des choses que l'on peut qualifier de prodigieuses; dans ses relations avec des savants de renom, il n'accuse aucune infériorité; dans ses écrits il fait preuve d'un esprit cultivé, imbu de classicisme, au courant du mouvement littéraire.

Sa carrière artistique est connue: ses oeuvres, dispersées en tous pays, constatent les étapes glorieuses qu'il a parcourues et elles entretiennent un courant d'admiration qui ne cessera d'augmenter; les services politiques qu'il a rendus ont été longtemps ignorés et ne sont découverts, pour ainsi dire, que d'hier; seules, ses qualités d'écrivain, ses connaissances sérieuses et si diverses n'ont pas encore été suffisamment révélées. Sous ce dernier rapport, l'on ne [II] pourra porter un jugement sur Rubens, que lorsque l'on aura sous les yeux non pas l'ensemble, - hélas! impossible à recueillir - mais tout au moins, une partie notable de ses écrits et de sa correspondance. Ce que nous en connaissons aujourd'hui n'est pas considérable; l'accès en est quelquefois difficile à cause de la dispersion de ces documents ou de la rareté des ouvrages dans lesquels ils ont été publiés; enfin, les recueils même que l'on a formés dans ces derniers temps, ne comprennent que des catégories spéciales de pièces et, par conséquent, ne suffisent point pour la fin que nous nous proposons: celle de faire connaître l'homme sous ses rapports multiples et par tous les témoignages.

Nous commençons ici la publication de cette série de documents qui se compose des lettres écrites par Rubens, de celles qui lui sont adressées, de lettres diverses ou fragments de lettres dans lesquelles il est question de lui, ou qui se rattachent à quelque circonstance, à quelque relation dans sa vie. Sous ce rapport, nous avons adopté une compréhension très large et nous donnons à ce recueil le titre de Documents épistolaires, considérant ceux-ci comme un ensemble de matériaux sui generis pour l'histoire de l'homme illustre. Ce sont ces documents, en effet, qui arrivent en première ligne, tant pour la connaissance de l'homme lui-même et de ceux avec lesquels il a eu des rapports, que pour l'intelligence des faits auxquels il a été mêlé. Nous y retrouvons ce qui manque souvent aux témoignages d'un autre ordre: l'actualité, l'autorité officielle, et avant tout, la pensée personnelle, l'expression originale qui dessinent les caractères. Mieux que d'autres, ils feront revivre, dans l'histoire encore à tracer, et les personnages qui doivent s'y mouvoir et les milieux dans lesquels Rubens a vécu.

D'autres séries seront consacrées aux témoignages historiques proprement dits, aux actes relatifs à la famille, aux propriétés, etc.

Avant notre recueil, on a rassemblé, à diverses reprises, des parties plus ou moins considérables de la correspondance de Rubens, les unes consacrées aux lettres privées, les autres aux lettres politiques, une troisième réunissant toutes celles qui, émanant exclusivement du peintre lui-même, avaient déjà paru dans des publications antérieures.

Négligeant de relever ici les ouvrages contenant passim une ou plusieurs lettres isolées, nous jetons un coup-d'oeil sur les recueils ex professo:

Lettres inédites de Pierre-Paul Rubens, publiées d'après ses autographes, et précédées d'une introduction sur la vie de ce grand peintre, et sur la politique de son temps, par Emile Gachet, attaché à la commission royale d'histoire de Belgique. Bruxelles, Hayez, 1840, in 8°.

[III] Ce recueil se compose de 86 lettres, dont 74 de Rubens, publiées en entier, par fragments ou par analyse. Soixante de ces documents avaient été copiés à Paris et à Aix en Provence pour M. Gachard, archiviste général, qui en confia la publication à M. Gachet; les 26 autres ont été fournies par la bibliothèque royale de Bruxelles. Quarante huit lettres ont été publiées d'après des autographes de Rubens, dont 45 à Paris et 3 à Bruxelles.

Pictorial Notices: consisting of a Memoir of Sir Anthony van Dyck with a descriptive catalogue of the etchings executed by him: and a variety of interesting particulars relating to other artists patronized by Charles I. Collected from original documents in Her Majesty's State paper office, the office of public records, and other sources, by William Hookham Carpenter. London, 1844, in-4°. Il a paru de cet ouvrage une traduction en français: Mémoires et documents inédits sur Antoine Van Dyck, P.-P. Rubens et autres artistes contemporains, publiés d'après les pièces originales des archives royales d'Angleterre, des collections publiques et autres sources, par William Hookham Carpenter, traduit de l'anglais par Louis Hymans. Anvers, Buschmann, 1845, 1 vol. g. 8°.

On y trouve, entr'autres documents, huit lettres du peintre.

Original unpublished papers illustrative of the live of sir Peter Paul Rubens, as an artist and a diplomatist. Preserved in H. M. State paper Office, with an appendix of documents respecting the Arundelian collection; the Earl of Somerset's collection; the great Mantuan collection; the Duke of Buckingham, Gentileschi, Gerbier, Honthorst, Le Sueur, Myttens, Torrentius, van der Doort, etc. etc. etc. collected and edited by W. Noël Sainsbury (of H. M. State paper office). London, Bradbury et Evans, 1859, 1 vol. in 8°.

Cet important ouvrage, dédié à Sylvain van de Weyer, contient 138 documents se rapportant à Rubens, à ses oeuvres et à ses négociations diplomatiques, parmi lesquels on compte 27 lettres de Rubens, dont les autographes existent, pour la plupart, en Angleterre.

Pierre-Paul Rubens, peintre de Vincent Ier de Gonzague, duc de Mantoue (1600-1608). Suite de quatre articles publiés par M. Armand Baschet, dans la Gazette des Beaux-Arts. Tomes XX, XXII, XXIV (Paris, 1866-1868).

Cet intéressant travail, fruit de longues recherches dans les archives de Mantoue, nous a fourni dix sept lettres de Rubens, publiées partie en texte original avec traduction, partie en traduction seulement ou même en analyse.

Rubens diplomatico Español, sus viajes á España, y noticia de sus cuadros, segun los inventarios de las casas reales de Austria y de Borbon, por Cruzada Villaamil. Madrid, 1874, 1 vol. in 16°.

[IV] L'auteur a exécuté pour l'Espagne les recherches que M. Sainsbury avait faites pour l'Angleterre: les deux ouvrages offrent le même intérêt. M. Villaamil, parmi les divers documents trouvés par lui dans les archives d'Espagne, public 23 lettres de Rubens.

Pierre-Paul Rubens. Documents et lettres publiés et annotés par Ch. Ruelens. Bruxelles, Muquardt, 1877. 1. v. in 16°.

Ce volume comprend neuf lettres de Rubens dont huit inédites et une publiée à nouveau d'une manière plus complète. Ces lettres avaient paru dans le journal l'Actualité de 1874 à 1877 et sont réunies ici dans un volume tiré à très petit nombre.

Histoire politique et diplomatique de Pierre-Paul Rubens, par M. Gachard. Bruxelles, 1877, 1 vol. in 8°.

Dans cet ouvrage, qui résume toute la vie active et militante du citoyen pour le rétablissement de la paix européenne, M. Gachard a publié 14 lettres ou missives, presque toutes inédites.

Après ces recueils plus ou moins considérables, il suffit de mentionner pour mémoire les noms de ceux qui ont publié ça et là quelque lettre du peintre: Bottari qui en a fourni deux, Lalanne, deux, Merlo, trois, Pinchart, trois, Crivelli, une, Chardon de la Rochette, une, Thicknesse, trois, etc. etc.

En 1881, toutes les lettres écrites par Pierre-Paul Rubens et publiées dans les recueils que nous venons de citer furent réunies dans un volume intitulé: Rubensbriefe gesammelt und erläutert von Adolf Rosenberg. Leipzig, 1881. 1 vol. in 8°.

Le nouvel éditeur n'a ajouté au contingent de ses prédécesseurs que les analyses sommaires de huit lettres existant en copie à Carpentras, sommaires fournis par M. Barrès, conservateur de la bibliothèque de cette ville, et publiés sans commentaires. Quant aux autres lettres, elles sont accompagnées de notes abrégées tirées des commentaires des premiers éditeurs.

Par ce résumé bibliographique on voit que, jusqu'à présent, il n'y a pas eu de tentative de réunir, même partiellement, en un corps, les documents épistolaires de Rubens, en leur donnant cette extension qui, seule, les fera considérer comme des matériaux historiques de premier rang. C'est ce travail que nous avons entrepris. Nous recueillons donc, d'abord, tout ce qui a été publié avant nous; nous y ajoutons, ensuite, ce que nous avons puisé à différentes sources, ouvrages ignorés des éditeurs précédents, dépôts d'archives, bibliothèques publiques ou privées que nous avons été explorer en divers pays.

Pour ce qui concerne les documents mis au jour avant notre recueil, [V] nous ne nous contentons point de les reproduire d'après le texte ne varietur de leur publication antérieure; nous avons, pour autant que ce travail a pu se faire, collationné les textes sur les originaux avec tout le soin que nous pouvions y mettre. Nous avons ainsi revu et complété à Mantoue tous les documents ressuscités par M. Baschet ou publiés par M. Rosenberg; à Paris, à Aix et ailleurs, les lettres du volume de M. E. Gachet. La provenance de nos pièces est indiquée minutieusement: l'on constatera que parfois nous avons été assez heureux d'apporter d'utiles additions à ces recueils.

Notre premier devoir était de fournir les textes dans leur intégrité, avec l'exactitude que l'on exige aujourd'hui dans la reproduction des documents. Nous n'avons rien changé à l'orthographe; la ponctuation même a été respectée quand il y avait lieu de le faire. Pour les documents latins seuls nous avons agi autrement. La plupart d'entr'eux sont tirés de recueils imprimés et, par conséquent, ont subi la manière de leurs éditeurs, qui tantôt les ont ornés d'accents, tantôt les en ont privés; ici ont imprimé ae, oe, et là oe, oe, etc. Ne pouvant atteindre aux pièces originales, souvent perdues, nous avons adopté le système généralement suivi aujourd'hui de la suppression des accents.

Les documents que nous publions sont pour la grande majorité en italien et en latin; un certain nombre sont en espagnol et en anglais; une quantité moindre est en flamand; quelques uns sont en français. Cette diversité d'idiomes n'était pas une difficulté pour Rubens: elle en serait une pour beaucoup de lecteurs. Afin de rendre notre recueil plus utile, la commission a décidé de faire suivre chaque document d'une traduction française. Nous avons opéré, entièrement à nouveau, ce travail souvent malaisé, bien qu'il existât déjà de bonnes traductions de plusieurs pièces. Il nous a semblé qu'il était nécessaire d'agir ainsi, afin de tenir, dans l'ensemble, une sorte d'harmonie de langage et de conception. Nous nous sommes efforcé de rendre toujours le sens littéral: nous n'avions pas à viser à l'élégance, mais à la sincérité; surtout en ce qui concerne les lettres émanant de Rubens lui-même. Celles-ci se distinguent, en général, par l'absence de recherche, quelquefois par la bonhomie; de ci et de là pourtant, influence de la période italienne de sa carrière, le peintre ne dédaigne pas les concetti ou la phrase un peu maniérée. Il fallait essayer, selon nous, de serrer de près ces manières toutes personnelles dans une version restant toujours personnelle aussi. Une suite de documents traduits, à tour de rôle, par MM. Gachet, L. Hymans, Gachard ou Baschet, avec toutes les variétés du style, eût formé, croyons-nous, un recueil disparate, quelle que fût, d'ailleurs, le mérite littéraire de chacune des traductions.

[VI] Jusqu'à présent, les divers éditeurs de correspondances de Rubens ont fait deux parts de celles-ci, en séparant les lettres diplomatiques des lettres privées. La commission Rubens avait d'abord adopté le même système, par déférence pour son regretté Président, qui s'était proposé de refondre en un corps tous les documents relatifs aux missions politiques, documents déjà publiés dans les ouvrages de MM. Sainsbury, Villaamil et dans le grand travail que lui-même avait consacré à ce sujet. Après le décès de M. Gachard, dans une réunion du Comité, nous demandâmes de revenir sur la décision primitive et, après un examen de la question, il nous fut octroyé de ne pas disjoindre les missives diplomatiques des missives d'ordre privé et de former un recueil unique des lettres, quel que fût le sujet traîté dans celles-ci.

Ce système nous a paru plus simple et plus logique. Si l'on doit regarder les missions dont le peintre a été chargé comme des hors-d'oeuvre de sa vie, elles se mêlent cependant tout à fait à ses autres actes: elles sont les conséquences de sa supériorité artistique et intellectuelle, elles sont l'accomplissement de ses devoirs de citoyen. Tout en traitant d'homme à homme avec des rois et des premiers ministres, il ne cessait point de peindre et de s'entretenir avec ses amis de choses concernant ses études de prédilection: familières ou officielles, ses lettres s'enchevêtrent, en quelque sorte, les unes dans les autres; il faut faire de puissants efforts d'abstraction pour opérer entre elles une séparation nette: il eût été impossible même d'éviter que plus d'une lettre ne figurât simultanément dans les deux recueils.

Une anecdote bien connue veut qu'un grand seigneur ayant aperçu Rubens, pendant une de ces missions diplomatiques, le pinceau à la main, lui ait dit: l'ambassadeur du Roi d'Espagne s'amuse parfois à peindre; à quoi l'artiste aurait fait cette réponse: non, c'est le peintre Rubens qui s'amuse quelquefois à faire l'ambassadeur.

Vraie ou apocryphe, cette réponse de Rubens est tout à fait acceptable et elle exprime, mieux que nous ne pourrions le faire, l'unité d'action qui caractérise la carrière du grand homme et le peu de place qu'y prenaient, à ses yeux, ses voyages de diplomate.

Pour ces motifs, nous avons résolu de ne faire qu'un corps de correspondance, classé par ordre chronologique; d'ailleurs, par la force des choses, il arrive qu'aux époques de ses missions, Rubens écrit moins que d'habitude à ses correspondants ordinaires, et que les missives diplomatiques se trouvent à peu près réunies d'elles-mêmes. Notre système d'unité offre surtout un grand [VII] avantage pour les commentaires; il ne donne lieu ni a des répétitions ni à des renvois, il permet de donner à l'annotation une continuité historique.

Nous avons cru qu'il était impossible de publier ces documents sans essayer de les éclaircir et de les lier entr'eux par un commentaire. Dans l'existence glorieuse et active de Rubens, les faits sont si multiples et si divers, ses relations ont été si nombreuses qu'à chaque instant on voit apparaître de nouveaux personnages, l'on se trouve en d'autres milieux, l'on est en présence d'événements ou de situations politiques inattendus. Le lecteur a besoin d'être guidé dans cet immense dédale. Il peut sans doute avoir en lui-même les lumières dont il a besoin ou entreprendre de son côté les recherches nécessaires; toutefois, pour ce qui concerne Rubens, on peut l'affirmer hardiment, il faudrait avoir à sa disposition une très grande bibliothèque pour recueillir les renseignements sur les hommes et les choses dont il est question dans ces documents. Nous avons pensé que l'éditeur de ceux-ci rendrait service au public en se chargeant d'opérer pour eux ce travail quelquefois long et difficile. Nos commentaires n'ont pas d'autre but.

Quant à la manière de les présenter, nous avions à choisir entre deux systèmes: celui de l'annotation, c'est-à-dire, de l'emploi de notes sommaires, au bas des pages, avec renvois au texte, et celui de l'interprétation continue, explicative d'une pièce ou d'un groupe de pièces.

Après avoir consulté des personnes de haute compétence et pesé les diverses raisons qui militent en faveur de l'un ou de l'autre système, nous avons adopté le deuxième que l'on nous a vivement conseillé et qui s'accordait le mieux avec nos prédilections personnelles. Nous l'avions suivi déjà dans le petit recueil de lettres de Rubens que nous avons publié en 1877. Nous lui reconnaissons deux avantages: il n'interrompt pas la lecture du texte, comme le font les notes au bas des pages; il se prête à des développements que l'autre système ne comporte point.

Ce développement peut, il est vrai, dégénérer en défaut et nous craignons un peu, qu'au premier coup d'oeil jeté sur ce volume, le lecteur n'ait été surpris de l'ampleur que nous avons donnée quelquefois à nos commentaires. Nous en avons été surpris de même. Mais si l'on nous taxe, cà et là, de prolixité, qu'il nous soit permis de dire, pour notre excuse, ce que nous écrivions dans la Préface de notre petit recueil: “Ayant sous la main ces lettres de notre grand Rubens, nous n'avons pu résister au désir de faire des enquêtes sur les personnages et les faits dont il est parlé dans ces précieux documents, nous avons poussé nos investigations aussi loin qu'il nous a été [VIII] possible d'aller, essayant de nous transporter, en quelque sorte, dans le temps de l'homme illustre. Cette étude offre un tel attrait qu'il est difficile de s'y livrer avec mesure. Les lettres de Rubens sont comme ses tableaux: des pages où abonde la vie. L'artiste n'est étranger à rien de ce qui se passe. Au même moment, sa prodigieuse intelligence traite des questions de la politique, de la science, des lettres et des arts. Pour bien comprendre aujourd'hui tout ce qui s'agite dans la très petite partie de sa correspondance qui est parvenue jusqu'à nous, il faudrait des volumes de notes. Nous en avons la preuve dans les travaux considérables que MM. Sainsbury, Baschet, Villaamil, ont entrepris pour élucider une centaine de documents relatifs au peintre diplomate ou émanant de lui.„ Nous nous autorisons de l'exemple donné par nos savants prédécesseurs et nous espérons obtenir l'indulgence qu'ils ont obtenue.

Si l'on trouve à s'étonner de l'étendue de quelques commentaires, on trouvera peut-être aussi que nous avons donné trop d'extension à ce recueil en y insérant une quantité de missives dans lesquelles le nom de Pierre-Paul Rubens n'est pas même prononcé, dans lesquelles il semble n'être aucunement question de lui; telles sont, par exemple, dans le premier volume, des lettres de Juste Lipse, de Gaspar Scioppius, de Balthasar Moretus, etc.

A première vue, en effet, ces documents sont étrangers à notre sujet: nos commentaires expliqueront par quel côté ils s'y rattachent. Si nous ne parvenons pas toujours à découvrir immédiatement ce lien moral, nous ouvrons, le plus souvent, des conjectures qui peuvent, avec quelque raison, devenir des vérités établies par la découverte de documents nouveaux. Pendant les années de séjour du peintre en Italie, les témoignages qui nous parlent de lui sont si clair-semés et ont si peu de suite, qu'il faut rechercher minutieusement tout ce qui peut encore, avec eux, jeter une lueur quelque faible qu'elle soit sur ses travaux, ses relations, sur les faits auxquels il peut avoir été mêlé. Nous avons réussi à découvrir, cà et là, quelqu'une de ces relations ignorées, se bornant parfois, sans doute, à la seule mention d'un nom d'homme; mais ce nom, par sa notoriété, fournit un indice, un détail, dont le biographe tirera parti.

Une adjonction assez considérable a été faite à ce recueil, une adjonction d'où vient la présence d'un certain nombre de ces documents qui n'intéressent le peintre que d'une manière lointaine, c'est celle d'une partie de la correspondance de son frère Philippe, lettres écrites par lui ou adressées à lui.

Nous n'avons pas hésité un seul instant à les regarder comme faisant [IX] partie intégrante de notre collection de documents, toutes celles, du moins, qui ne sont pas tout-à-fait étrangères à notre sujet, et ces dernières ne sont qu'un petit nombre. Il régnait entre les deux frères une intimité telle, une telle communauté d'idées que, tout en suivant des routes différentes dans la vie, ils étaient sans cesse préoccupés de se rejoindre. Pendant les deux voyages de Philippe en Italie, on entrevoit parfaitement les manoeuvres diplomatiques de Pierre-Paul pour se faire envoyer à Rome afin d'y retrouver son frère. Et quand, appelé par sa mère mourante, le peintre quitte l'Italie avec l'intention bien arrêtée de revenir dans cette patrie de ses rêves artistiques, c'est encore Philippe qui lui persuade de rester dans son autre patrie, celle de ses aïeux. Tout, dans leurs rapports, porte la marque d'un sentiment fraternel sincère, d'un dévouement absolu, dont nous aurions, sans aucun doute, trouvé des preuves nombreuses dans leur correspondance, malheureusement perdue, dont nous découvrons pourtant des traces très appréciables dans les documents qui nous restent.

Les missives de Philippe Rubens ou celles qui lui sont adressées ont, par conséquent, une importance historique: elles nous parlent des amitiés que les deux frères avaient au pays, elles nous apprennent celles qu'ils se sont créées à l'étranger, elles nous font connaître tout un monde de personnages élevés en dignité, ayant du renom dans la science, amis ou protecteurs, formant en quelque sorte leur famille externe. A une lecture isolée, on ne s'aperçoit pas toujours de ce qui peut intéresser l'histoire de Pierre-Paul dans l'une ou l'autre de ces lettres; en les combinant entr'elles, en y voyant un mot qui le concerne, on a la preuve de quelque relation intéressante, on soupçonne des entrevues, des conversations, des études même, qui doivent avoir exercé leur influence sur l'esprit du peintre. Telles sont, entr'autres, les curieuses lettres de Gaspar Scioppius à Juste Lipse et à Philippe Rubens.

La correspondance particulière de Philippe présente encore un intérêt d'une autre nature: elle nous révèle le mérite de l'homme, l'estime dont il jouissait, les espérances que l'on fondait sur lui. La haute opinion que son savoir et ses qualités avaient inspiré à Juste Lipse, qui le désignait pour son successeur, nous fournit la preuve d'une incontestable supériorité de jugement; d'autres témoignages, non moins honorables, doivent nous faire admettre que, s'il n'avait pas été surpris par une fin prématurée, Philippe Rubens aurait fourni, dans les lettres, une carrière glorieuse. Sa correspondance est donc un élément psychologique dont il faut tenir compte dans l'étude morale de Pierre-Paul: elle nous montre deux frères dignes l'un de l'autre, exerçant [X] l'un sur l'autre cette influence heureuse qui est propre aux esprits élevés. Philippe était l'aîné: la connaissance de son caractère, la mesure de son intelligence nous apprennent l'autorité qu'il a dû avoir, tout naturellement, sur un frère plus jeune que lui. Ses lettres, dans lesquelles il se montre tout entier, ne pouvaient donc manquer ici.

Nous ne présenterons point ici d'autres motifs en faveur de l'admission de tels ou tels documents dans ce recueil: nos commentaires feront valoir pour chacun d'eux la raison spéciale qui nous a porté à les considérer comme des témoignages historiques.

Ce premier volume des Documents épistolaires s'ouvre avec le siècle que Rubens a illustré: nous n'avons pu découvrir une seule lettre antérieure à l'an 1600; bien qu'il ait certainement écrit et reçu des lettres avant cette date: Rubens avait alors 23 ans.

Ce serait peut-être ici le lieu de présenter les résultats des enquêtes entreprises par la Commission Rubens pour rechercher les papiers et la correspondance du peintre. Les résultats obtenus jusqu'à présent sont exposés dans le Bulletin de la Commission et dans le Compte-rendu des séances du Congrès artistique tenu à Anvers en 1877. Mais ces recherches n'étant pas terminées, nous aimons mieux remettre au dernier volume de ce recueil l'historique complet de nos investigations opérées en divers pays. Il nous suffira de dire en deux mots la conclusion actuelle: de l'immense quantité de documents de tout genre, formant les archives domestiques d'un homme qui eut autant de relations et fut mêlé à tant d'affaires importantes, de toutes ces pièces qu'il a dû conserver avec soin, classer même avec l'ordre qui le caractérisait, de toutes ces pièces, il n'est rien parvenu jusqu'à nous. Ainsi nous ne possédons aucune lettre écrite par lui et adressée à sa mère, à son frère, à ses deux épouses, à ses enfants; nous ne possédons pas davantage une seule des innombrables lettres qu'il a reçues: tout est ignoré, latent, égaré peut-être; car, bien que les chances de les retrouver soient faibles, nous ne dirons pas encore: tout est perdu! Il nous parait impossible d'admettre que ce fonds précieux ait été détruit dans une intention quelconque, soit par la famille d'Hélène Fourment, peu soucieuse de la mémoire du peintre, soit par le gouvernement, à cause des secrets politiques qui pouvaient s'y trouver. D'après un renseignement recueilli par J. F. Mols, dans son vaste répertoire de matériaux pour l'histoire de Rubens, les papiers du peintre auraient péri en 1704, à Bruxelles, dans l'incendie de l'hôtel du comte de Bergheyck, un des descendants du second mariage d'Hélène Fourment. Cependant, après [XI] toutes les recherches opérées, on n'a découvert aucune trace de la réalité de cet incendie, qui n'aurait point passé inaperçu dans les relations de l'époque ou dans les archives communales.

Ce qui nous reste, par conséquent, pour composer ce recueil de documents épistolaires consiste: 1° en lettres de Rubens écrites à un petit nombre de personnes dans la succession desquelles on les a trouvées; 2° à celles de ces lettres qu'il a reçues et dont, par exception, il a été conservé soit des minutes, soit des copies, ou qui ont été publiées par leurs auteurs; 3° en quelques missives diplomatiques déposées dans les archives d'État; 4° en lettres diverses se rattachant à l'histoire de l'illustre artiste et recueillies de sources très variées. Cet aperçu sommaire donne une idée de la grandeur de la perte faite par la postérité, principalement en n'ayant pas sous les yeux la bonne majorité des lettres personnelles du peintre, déjà si appréciées de son temps: “J'ai leu avec un singulier plaisir les lettres de M. Rubens qui est né pour plaire et délecter en tout ce qu'il fait et dict.„ C'est ce que Peiresc écrivait à P. Dupuy, le 2 août 1627, et ce jugement ne sera pas contredit (1). Aussi regarderions-nous comme une des découvertes les plus importantes qui se pussent faire, celle de la correspondance intime de Rubens. En fait de documents pour l'histoire psychologique de l'humanité, il n'en est point de plus instructifs que ceux qui nous dévoilent la pensée, le caractère et surtout le développement moral d'un homme de génie. C'est, en outre, le meilleur commentaire de ses oeuvres ou de ses actions.

Nos documents, nous l'avons fait remarquer déjà, commencent au moment où le peintre atteignait sa vingt-troisième année. Il nous reste à dire quelque chose de ses années antérieures. Ne cherchant nullement à écrire l'histoire de l'homme, nous dirons brièvement ici ce qui est nécessaire pour introduire le lecteur, avec le peintre lui-même, dans la carrière qui s'ouvre pour celui-ci en Italie.

Pierre-Paul Rubens naquit en 1577, probablement le 28 juin. Trois villes se disputent l'honneur d'avoir été son berceau: Siegen, Cologne, Anvers. Nous ne nous occuperons point de la controverse qui s'est élevée à ce sujet. D'ailleurs, du chef de son père et de sa mère, qui ne s'étaient pas expatriés sans esprit de retour, il était anversois par le droit comme par le sang. Il le fut plus encore par l'affection qu'il a portée à cette ville.

[XII] Un an après sa naissance, il fut conduit avec son frère Philippe à Cologne où ses parents établirent leur résidence. Le jeune Pierre-Paul y fit ses premières études avec grand succès. Jean Rubens, le père, meurt le 1 mars 1587. Peu de temps après, Marie Pypelincx retourne à Anvers avec trois de ses enfants, sa fille Blandine et ses deux fils Philippe et Pierre-Paul (1). Celui-ci, âgé de dix ans, est mis à l'école, comme nous le verrons plus loin, chez Rumoldus Verdonck et doit y avoir acquis des connaissances solides en littérature classique. Toutefois il ne dut pas y faire un long séjour; car si nous prenons à la lettre un passage du testament de Marie Pypelincx où il est dit, qu'à l'époque du mariage de Blandine Rubens, les deux frères Philippe et Pierre-Paul n'étaient plus à la charge de leur mère et gagnaient leur vie, Pierre-Paul aurait quitté l'école avant le 25 août 1590, date du mariage de Blandine avec Siméon du Parcq. Or, à cette époque, le futur peintre n'avait que treize ans.

[XIII] Mais pendant toute la période depuis le retour à Anvers jusqu'à l'inscription du peintre comme franc maître de St. Luc, c'est-à-dire de 1587 à 1598, les documents font défaut pour dresser une chronologie rigoureuse de ses faits et gestes.

Philippe, ayant seize ans passés, entrait au secrétariat de Jean Richardot, alors conseiller et, plus tard, en 1597, chef-président du Conseil-privé, qui résidait à Bruxelles; Pierre-Paul, d'après la Vita Petri-Pauli Rubenii, écrite par le fils de Philippe, fut placé dans la maison de Madame Marguerite de Ligne, veuve de Philippe, comte de Lalaing, et y prit place pendant très peu de temps parmi les garçons d'honneur ou pages (ubi quantulum tempus illic inter honorarios pueros (paigios vocant) meruit).

Cette grande dame, Marguerite de Ligne-Arenberg, avait épousé en 1569, Philippe de Lalaing, sire du pays d'Escornaix, baron de Wavrin, capitaine général et grand bailli du Hainaut. Elle perdit son mari en 1583 et resta avec deux filles, Catherine ou Christine qui épousa Maximilien, comte de Bailleul, et Marguerite, qui épousa Florent de Berlaymont et fonda le couvent de Berlaymont, à Bruxelles. Marguerite de Lalaing mourut en 1598 et fut enterrée à Beloeil.

Il serait assez intéressant de savoir où résidait cette grande dame et quelles étaient dans son hôtel les occupations du jeune page.

Du vivant du comte de Lalaing, la résidence de la famille se partageait entre la ville d'Audenarde, où existe encore l'hôtel d'Escornaix, et Mons, où le grand bailli habita successivement l'hôtel de Naast et le château (1). Après la mort du Comte, la veuve n'avait plus à se rendre à Mons et il est à présumer qu'elle s'établit définitivement à Audenarde. Ce serait donc dans cette ville de Flandre que Rubens a passé quelque temps.

Nous verrons plus loin, dans une lettre de Philippe, un passage où il dit que lui et son frère ont presque toujours été séparés depuis le retour en Belgique, sans se trouver toutefois à une grande distance l'un de l'autre: il n'aurait point parlé ainsi, nous semble-t-il, si Mme de Lalaing avait habité Bruxelles, où Philippe demeurait pendant le même temps; car, alors les deux frères auraient vécu dans une même ville pendant une partie, au moins, de la période dont il parle dans sa lettre.

“Mais bientôt il s'ennuya de la vie de cour„ (sed statim aulicae vitae pertaesus) continue la Vita. La Douairière de Lalaing tenait donc un grand

[XIV] état de maison: en effet, elle avait deux filles à marier. On se demande ce qu'un jeune garçon, ayant vécu ses premières années dans la grave Allemagne puis fait des études classiques à Anvers, doué en outre d'un caractère sérieux, on se demande quels services il pouvait rendre dans cette maison aristocratique et mondaine. Car, bien que le pays fùt toujours livré aux misères de la guerre intestine et aux vicissitudes de la guerre à l'extérieur, la noblesse, surtout pendant le gouvernement d'Alexandre Farnèse, s'étourdissait grandement dans la dissipation. Ralliée presque tout entière au parti espagnol, elle accueillait volontiers, avec tout ce qu'elle pouvait y mettre encore de faste, après tant de désastres, ces nuées de cadets de famille d'Italie et d'Espagne qui venaient ici guerroyer en amateurs.

Nous n'avons aucune idée des occupations auxquelles on employait Rubens; nous n'en avons pas davantage sur l'avenir qu'il avait à espérer dans cette position. Nous comprenons donc que le séjour d'Audenarde et la vie dans l'hôtel d'Escornaix ne pouvaient satisfaire un esprit privilégié comme le sien. “L'impulsion de son génie le portait vers l'étude de la peinture, poursuit la Vita, voyant en outre que la fortune de ses parents avait été détruite par les guerres, il demanda à sa mère de pouvoir apprendre la peinture chez Adam van Noort d'Anvers.„

Ici, la Vita commet une omission. Il est certain qu'avant d'entrer dans l'atelier de van Noort, le jeune Pierre-Paul fit un premier apprentissage chez Tobie Verhaegt, un jeune peintre, proche parent par alliance de la famille Rubens et revenant d'Italie où il avait résidé et exécuté quelques travaux. C'était un paysagiste dont le genre de peinture et le talent ne pouvaient longtemps convenir aux aspirations de son jeune élève. Toutefois, le passage de celui-ci dans la compagnie de Verhaegt ne doit pas avoir été sans profit. A en juger par le seul tableau que nous connaissions de lui, celui du musée de Bruxelles, et par des gravures exécutées d'après des oeuvres perdues, c'était un dessinateur minutieux en même temps qu'un homme d'imagination, qui doit avoir habitué son élève au contour étudié et assouplissant la main. Il était en outre un lettré et c'est lui, sans doute, qui le premier, aura parlé de l'Italie au jeune Pierre-Paul.

Tobie Verhaegt est inscrit au Ligger ou registre matricule de la confrérie de St. Luc, comme franc-maître, en 1500, l'année même où il revient d'Italie (1);

[XV] il se maria peu de temps après. C'est seulement après ce mariage avec Suzanne van Mockenborch, cousine de Pierre-Paul, que celui-ci sera entré à l'atelier de Verhaegt, ce qui nous mène à l'an 1591. Il n'y resta pas longtemps et ne fut pas même inscrit à la confrérie comme élève du maître: d'après les calculs les plus probables, il doit avoir quitté ce premier atelier en 1592, pour entrer dans celui d'Adam van Noort. Né en 1562 (1), franc-maître en 1587, Van Noort était un peintre de mérite, très actif, ayant la vogue et tenant de nombreux élèves dans son atelier: ses leçons se payaient cher (2). “Sous ce maître, continue la Vita, il posa les premiers fondements de son art, et il le fit avec tant de profit, pendant quatre années, qu'il semblait que la nature l'avait créé peintre,„ C'est, en effet, dans l'atelier de Van Noort que Rubens apprit à traiter la figure humaine et à composer un tableau d'histoire: chez Tobie Verhaegt, il n'aura probablement fait que le dessin et la peinture du paysage. Les quatre années qu'il passa chez Van Noort nous conduisent à l'année 1596. “Ensuite, continue la Vita, il alla, pendant à peu près quatre autres années, se mettre sous la direction d'Otto Venius, en ce moment là le premier des peintres de la Belgique.„

Octave Van Veen était le fils de Corneille Van Veen, chevalier, seigneur de Hoogeveen, Desplasse, Vuerse, etc., qui descendait de Jan Van Veene, bâtard de Jean III, duc de Brabant, et d'Isabelle Van Vene, dite Ermengarde de Vilvorde. Il naquit à Leide, en 1556, reçut une instruction très soignée, et tout en se livrant à la culture des lettres classiques, apprit à peindre chez Isaac Zwanenburg. Après le siège de Leide, en 1372, son père qui était resté du parti espagnol se rendit avec sa famille à Anvers, puis peu de temps après à Aix-la-Chapelle et enfin s'établit à Liège. Là, le jeune Octave, protégé par le prince-évêque Gérard de Groesbeeck, devint l'élève de Dominique Lampsonius, le peintre-poète (3). Trois ans plus tard, ayant probablement rencontré aux Pays-Bas le peintre de Grégoire XIII, Federico Zucchero, il alla se mettre sous sa conduite à Rome, où il passa cinq années dans le palais du cardinal Madrucci. De retour à Liège, il entra dans la maison du prince-évêque Ernest de Bavière, fit partie d'une ambassade auprès de Rodolphe II, et se mit, vers 1585, au service d'Alexandre Farnèse en qualité

[XVI] d'ingénieur et de peintre. Après la mort de Farnèse (3 décembre 1592), il s'établit à Anvers et y fut inscrit comme franc-maître à la confrèrie de St. Luc, en 1594. La même année, il épousa une femme de famille patricienne, Maria Loots, dont il eut sept enfants.

C'était un savant, un lettré, un esprit original. Il cultivait la poésie latine, écrivait en diverses langues et pendant toute sa vie ne cessa de produire d'ingénieux recueils d'emblèmes, inventés, expliqués et dessinés par lui ou tirés d'auteurs classiques. Avec cela, gentilhomme de race et de tenue, aimant les grandes et belles manières, ayant de hautes relations dans le monde et d'honorables amitiés parmi les savants. A son retour d'Italie, en 1584, il alla revoir sa ville natale et l'on trouve dans son album amicorum qui existe encore (1), plusieurs témoignages de l'estime que lui portaient Janus Gruterus, Juste Lipse et d'autres professeurs de l'Université. Ajoutons à toutes ces qualités une figure d'une rare correction, un port plein de noblesse et l'on s'expliquera aisément l'attraction que l'homme dut exercer sur le jeune Rubens, qui avait en germe tant de qualités et de dons naturels du même ordre.

“Aussi exerça-t-il, dit avec raison M. Max Rooses, une influence considérable et bienfaisante sur son élève. C'est de ce passionné des lettres latines et des conceptions subtiles, que Rubens tient ce penchant pour les sujets allégoriques si fréquents dans son oeuvre et cette connaissance de l'histoire et de la mythologie qui lui fut si utile.„ Ce doit être en 1596 que Rubens fit son entrée dans l'atelier d'Octave van Veen. Nous n'avons point de renseignements sur les rapports du maître et de l'élève et sur les travaux de celui-ci. Tout ce que nous savons c'est que les progrès du jeune Pierre-Paul durent être assez marqués pour lui valoir, en 1598, son inscription comme franc-maitre au registre de la confrérie de St. Luc, dont Adam van Noort était alors le doyen. Pierre-Paul avait vingt et un ans.

Octave van Veen était en quelque sorte le peintre officiel de la ville d'Anvers. Quand les archiducs Albert et Isabelle firent leur entrée comme souverains des Pays-Bas, chacune des cités s'efforça de leur faire le plus brillant accueil. Anvers, qui avait la spécialité des réceptions princières, orna ses rues de théâtres et d'arcs de triomphe dont l'exécution artistique fut, en grande partie, confiée à van Veen. Il est à croire que celui-ci y employa ses élèves; et, peut-être, le jeune Rubens a-t-il pu faire là le premier apprentissage de cet art de la décoration dans lequel il excella plus tard.

[XVII] La solennité de l'entrée eut lieu le 8 décembre 1599: c'est ce jour-là, sans doute, que Pierre-Paul eut, pour la première fois, l'occasion de voir les Archiducs dont il sera un jour l'homme de confiance. Quelque temps auparavant, du 21 au 26 août, avait résidé à Anvers le duc de Mantoue, Vincent de Gonzague, à la cour duquel il va bientôt être attaché.

Le jeune homme, en effet, avait terminé ici ses études; il lui restait à faire, selon la coutume, le pèlerinage d'Italie. “Et comme l'opinion regnait déjà, poursuit la Vita, que l'élève disputait au maître la palme de la primauté, l'élève éprouva un violent désir de voir l'Italie afin de contempler de près les oeuvres les plus célèbres des artistes anciens et modernes qui se trouvent sur cette terre, et de se former le pinceau à leur étude. Il partit le 9 mai 1600.„

Malgré la grande distance qui sépare la Belgique de la péninsule transalpine; les rapports entre les deux pays ont été considérables du XVe au XVIIe siècle. Les Belges qui se sont rendus en Italie, soit pour leurs études, soit pour s'y établir, soit simplement pour la visiter, forment une nombreuse et brillante légion. Les anversois surtout s'y distinguent: dans les familles de la bourgeoisie aisée, un voyage en Italie était considéré comme un complément indispensable de l'éducation. Nous aurons l'occasion d'en rencontrer plusieurs à l'époque de la résidence de Rubens dans ce beau pays.

Pour les peintres flamands, on peut dire que, depuis l'origine de notre école, l'Italie a été une attraction irrésistible et l'on pourrait augmenter de beaucoup la liste, déjà longue, dressée par Vasari, de ceux de nos artistes qui y sont allés, en quelque sorte, fraterniser avec les maîtres des écoles italiennes. Pierre-Paul suivait donc le torrent général: deux de ses professeurs y ont vécu et doivent lui en avoir imposé le séjour. Il continuait aussi une tradition de famille. Son père, Jean Rubens, y avait été chercher à l'Archigymnase de la Sapience à Rome, le diplôme de docteur ès-droits; nous avons vu que Jean-Baptiste, le fils aîné de celui-ci, y était allé également. Puis on voit se diriger du même côté Pierre-Paul et Philippe, son frère; plus tard Albert, le fils du peintre, s'y rendra à son tour. Il s'attachait une sorte d'infériorité, dans toutes les branches de l'activité intellectuelle, à ceux qui n'avaient point, pendant quelque temps, respiré l'air de la noble Ausonie. Quant à ceux qui ont ce bonheur, ils se considèrent comme des privilégiés et afin d'entretenir en eux, au retour, le feu sacré du souvenir, ils formeront, à Anvers, un cercle spécial, celui des Romanistes.

Nous ignorons tout-à-fait dans quelles conditions le jeune Rubens est parti, quelles étaient ses ressources, ses espérances, ses protections. On a [XVIII] prétendu qu'il était muni d'une recommandation spéciale des archiducs: le fait n'est pas prouvé et n'est guère probable. La seule supposition qui puisse être admise, c'est qu'il partit accompagné de son élève et ami Déodat van der Mont ou del Monte, un jeune homme de dix huit ans, né à St. Trond en 1581 et fils d'un orfèvre établi à Anvers. Ce fut le fidèle compagnon de Rubens pendant son exode en Italie, ce que nous apprend une attestation de Rubens lui-même, bien que nous ne connaissions aucun détail de leur rapports et de leur vie commune.

C'est avec la carrière du peintre en Italie que nous commençons le recueil des Documents épistolaires.


I
BALTHASAR MORETUSPHILIPPO RUBENIO.

[1] Litterae tuae, mi Rubeni, animum hunc tui jampridem amantem egregie firmarunt, quod haud frustra tibi amorem meum impendi certo intelligam, et ultra tuum mihi abunde explices atque testeris. Fratrem tuum jam a puero cognovi in scholis, et amavi lectissimi ac suavissimi ingenii juvenem. An non magis nunc te? quem natura optimum magnus ille Didascalus virtute simul ac doctrina instruit atque informat; cujus disciplina et me aliquando gaudere et frui licuit, at pro dolore! nimis brevi. Et nescio quis infelix casus subito, velut infantem a matre abripuit. Sed fero fatum hoc meum, et vos amo quibus felicitas major. Pluribus amorem non exprimo, quem animo magis servo, et fide ipsa comprobare malo. [...]. Carmina tua laudo. Et hoc tantum: nequid affectu magis quam judicio loqui me censeas. Eo tamen fuere gratissima quo misisti. Vale, amicissime Rubeni, et D. Richardottum plurimum a me saluta.

Antverpiae, in officina Plantiniana. III Non. Novembr. 1600.

Minute au Musée Plantin-Moretus à Anvers. — Publie'e par M. Max Rooses dans Petrus Paulus Rubens en Balthasar Moretus (Bulletin Rubens, T. I, p. 213 (1882).


[2] TRADUCTION.
BALTHASAR MORETUS A PHILIPPE RUBENS.

Votre lettre, mon cher Rubens, a rassuré admirablement l'esprit de celui qui vous aime depuis longtemps. J'en ai maintenant la certitude: ce n'est point en vain que je vous ai voué mon affection; vous m'avez de plein gré exprimé et prouvé largement celle que vous me portez. J'ai connu votre frère depuis son enfance, à l'école, et j'aimais ce jeune homme qui avait le caractère le plus parfait et le plus aimable. Et maintenant ne vous aimerais-je pas davantage vous? Vous qui, excellent par nature, avez été élevé et formé dans la vertu comme dans la science par cet illustre professeur dont il m'a été donné, pendant quelque temps, trop peu de temps, hélas! d'écouter les fructueuses leçons. Je ne sais quel sort malheureux m'en a subitement arraché, comme on arrache un enfant à sa mère. Mais je supporte mon sort et je vous aime, vous qui avez un sort meilleur. Je ne vous exprime pas plus longuement mon affection, je la conserve en mon coeur; j'aime mieux vous la montrer par ma fidélité:

L'amitié veut des faits et non pas des discours.

J'approuve vos vers: je n'en dis rien de plus, afin de ne pas vous faire croire que c'est mon affection qui parle et non mon jugement. Du moins, ils ont été très agréablement reçus où vous les avez envoyés. Adieu, mon très cher Rubens; saluez bien de ma part M. Richardot. Anvers, de l'officine Plantinienne, le 3 novembre 1600.


COMMENTAIRE

. Ce document épistolaire est le plus ancien que nous connaissions de ceux qui nous parlent de l'homme illustre auquel ce recueil est consacré. Il émane d'un personnage qui fut toute sa vie l'ami de Rubens, et le peu de mots qui se rapportent à ce dernier dans ces quelques lignes ont une importance biographique considérable. Pour la faire apprécier, nous n'avons qu'à résumer le savant travail de M. Max Rooses sur les relations de ces deux hommes si dignes d'être liés d'affection (1). [3] Balthasar Moretus, né le 23 juillet 1574, était le petit-fils de Christophe Plantin, le grand typographe, fondateur de la célèbre officine Plantinienne d'Anvers. Sa mère était Martine Plantin, son père Jean Moerentorf ou Moretus, l'héritier de l'établissement. Après la mort de son père, en 1610, Balthasar et son frère Jean II dirigèrent l'officine; en 1618, par la mort de Jean, Balthasar en devint le directeur et s'associa à un cousin de son frère, Jean van Meurs. Enfin, de 1629 jusqu'à sa mort, en 1641, il en fut seul le propriétaire et le directeur. De faible santé, paralysé du côté droit, Balthasar fut condamné à une vie sédentaire; mais il avait une intelligence vive, l'amour du travail et fit de brillantes études. En 1592, il se rendit à Louvain pour s'y perfectionner dans la philologie latine, chez Juste Lipse, l'ami du père et de l'aïeul, qui prit à coeur le développement des heureuses qualités de son élève. Après deux ans de séjour à Louvain, il revient à Anvers, s'installe à l'imprimerie, y tient la correspondance latine; puis d'étape en étape, il conduit l'établissement dans la voie la plus brillante du succès commercial et de la renommée.

La lettre ci-dessus est adressée à Philippe Rubens, dont nous parlerons plus longuement dans les commentaires de la lettre suivante. Philippe, le frère aîné du peintre, était alors à Louvain, chez Juste Lipse, avec Guillaume Richardot, un des fils de Jean Richardot, président du conseil privé.

Le point capital de la lettre est le passage où Balthasar dit qu'il a été le condisciple de Pierre-Paul à l'école et lié d'amitié avec lui. Ces quelques mots ont permis de reconstituer en partie l'histoire de l'enfance du peintre.

Sa mère, la digne Marie Pypelinckx, était revenue à Anvers, comme on sait, en 1587. Pierre-Paul avait alors 10 ans, Balthasar Moretus, 13. Or, par son testament, Marie Pypelinckx nous apprend, qu'à l'époque du mariage de sa fille Blandine, qui eut lieu le 25 août 1590, Philippe et Pierre-Paul ne demeuraient plus dans la maison maternelle et gagnaient déjà leur subsistance. En effet, Pierre-Paul avait été placé comme page chez Madame Marguerite de Ligne, veuve du comte Philippe de Lalaing, et Philippe, qui avait 16 ans, était probablement déjà employé dans les bureaux du président Richardot. C'est donc, comme le fait très bien remarquer M. Rooses, entre juillet 1587 et août 1590 que Pierre-Paul fréquenta, de compagnie avec Balthasar Moretus, une même école à Anvers. Mais laquelle?

Les biographes ont dit jusqu'à présent que le peintre avait fait ses humanités au Collège des Jésuites; mais il n'en existe aucune preuve, et ce simple renseignement d'avoir été à l'école avec Moretus renverse la supposition. [4] Par ses patientes recherches dans les registres de l'officine plantinienne, M. Rooses est parvenu à découvrir que l'école fréquentée par les deux amis était dirigée par un laïque, père de famille, Rombaut Verdonck; un homme digne, de tous points, de l'honneur d'avoir aidé au développement de ces deux intelligences. La pierre qui couvre encore sa tombe à l'église St.-Jacques nous apprend qu'il naquit à Eersel (aujourd'hui dans le Brabant septentrional), qu'il fut pendant 52 ans directeur d'école latine, d'abord à Lierre, puis à Anvers, qu'il était renommé tant pour sa piété que pour son savoir “pietatis et doctrinae laude celebris ludimagister latinus,„ et qu'après avoir formé la jeunesse dans les bonnes moeurs et les bonnes lettres, il décéda le 12 juin 1620, à l'âge de 79 ans.

L'école était située sur le cimetière de Notre-Dame, derrière le choeur de l'église, actuellement le Marché au Lait. M. Rooses fait remarquer que Rubens, dont la mère habitait rue du Couvent, devait pour se rendre en classe passer devant le domicile des Moretus, alors rue des Peignes, et qu'il était obligé ainsi de faire tous les jours un bout de chemin avec son ami Balthasar.

Le musée Plantin conserve encore un vieux petit carnet dans lequel Moretus inscrivait des vers et des lettres. Parmi les poésies, il en est deux qui sont adressées à l'un des professeurs de l'école, Liévin Basius, et une autre dédiée au recteur R. Verdonck. Ce ne sont que des pièces d'élèves, sans doute, mais elles prouvent que l'on cultivait sérieusement les langues classiques à cette école et comme il est probable que Rubens a fait de semblables devoirs de son côté, on peut admettre que, lui aussi, a puisé là cet amour des études latines qu'il a conservé pendant toute sa vie.

La lettre de Moretus semble avoir été écrite en réponse à des compliments adressés d'Italie par Pierre-Paul: on voit, en effet, que c'est le souvenir de celui-ci qui a fourni l'occasion de la correspondance. Le jeune peintre était parti d'Anvers le 9 mai et commençait sa glorieuse carrière.

Nous ne savons quels sont les vers envoyés par Ph. Rubens; c'est peut-être l'un des poèmes qui se trouvent dans les Electorum libri II, publiés chez son ami Moretus, huit ans plus tard.


[5] II
PHILIPPUS RUBENIUSPETRO PAULLO FRATRI SUO S.

Annus est, mi frater, cum Italia te abduxit; sed longior hic quidem mihi, quam ille vel Eudoxi, vel

Attica quem docti collegit cura Metonis.

Nam etsi, cum patria te haberet, saepius una nos esse Fortuna invideret, et oculorum plerumque solatia subduceret; tamen et vicinitas et prompta conjunctionis facultas discidii sensum magno opere minuebant. Nunc illa terrarum spatia, quibus dispescimur, majorem in modum desiderium meum accendunt. Nunc, misero nescio quo mortalis ingenii vitio, in vetitum nitimur, atque impendio magis libet quod minus licet. Nunc per obstantia regionum munimenta ad te prorumpit iste tui amator animus, et quam celerrimis cogitationum pennis tot ardua montium excedens juga, suos amores idemtidem revisit, sed affectu non uno. Sicut enim suffimenta quaedam et odores, etsi nonnihil capiti graves, grati tamen et in deliciis sunt: ut cibi quidam et condimenta palatum velut morsu vellicant, neque tamen non delectant: ita mentis haec peregrinatio bonorum quà perceptorum quà ereptorum contemplatione quasi dulce-amarum gustulum exhibet. O suavem enim memoriam ejus temporis vere mihi aurei, sed nimium, heu! brevis, quod in tuo consortio mihi fluxit! Quod jam fugitivum, quantum possum, revoco, meaeque rursus possessionis vindiciarum jure facio; quippe quae una me tabula in hoc naufragio delectat, quoque velut soporifero medicamento magnam partem dolorem meum fallo.

Sic loquor, mi frater, et istud verbum usurpare nullus vereor, quod stultorum tantum et amentium esse deblaterant: qui dum omni prorsus affectu mentem humanam exui posse putant, suae profecto duritatem an diritatem produnt. Apage [...] illam quae reddit hominem non hominem, sed ferrum, sed scopulum, illoque in fabulis, [6] quod etiam sic lacrymis manat, Niobaeo saxo duriorem. Quin Aristoteli potius et divino Platoni plaudimus, qui non omnem omnino motum ex humani pectoris pomoerio deturbant, sed rectae rationis imperio subjiciunt, injectisque velut fraenis moderantur ac coercent. Quid apud Homerum, illum ingenii sapientiaeque principem, nonne omnia spei, metus, laetitiae, luctus plena? Quoties illic velut audire videris eductos magnis pectoribus gemitus? Quoties cernere oculis stillantes lacrymis genas, vix ipse siccus? At qualium virorum? Non Martialium illorum dumtaxat, omniumque, praeterquam sui, victorum; sed herois illius Ithacesii, quem ut expressam sapientis imaginem sequentibus proposuit saeculis, cui praesens ubique numen, et ipsa tamquam a consiliis Minerva. Huic tamen non semel, ut alia pro derelictis habeam, sola malorum recordatio sic penitus animum, ut auctoris verbis utar,

[...]

ut palam imparem dolori se fateretur, ut totum in fletum singultusque se laxaret. Hic patriae suae nidulum beatis Phaeacum arvis antiquiorem existimavit, et cum Penelope ceterisque caris laboriose consenescere praeoptavit, quam in Divae contubernio tranquillissimam vitam agere

[...].

Sed labor longius: quò tantam enim advocationem? Quasi vero tenerioris hujus animi apud eum caussa dicenda sit, quem similem mei puto; sed et sui. Memini qui fueris; et is esse porro pergas, non rogo, sed obtestor. Debes hoc naturae legi, quae praecipuam ab iis diligentiam exigit, quos praecipuo quodam titulo vinculoque conjunxit: debes communi gentium, quae mutuum pari modo rependi jubet. Quod tum demum mihi reddideris, si nulli tantumdem. Primas absque rivali sibi postulat noster amor, neque magis ferre socium, quam regna aut taedae, sciat. Vale meum desiderium. Lovanii, XII Kalend. Junii M. D. CI.


[7] TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A SON FRÈRE PIERRE-PAUL.

Il y a un an, mon cher frère, que l'Italie vous a enlevé, un an qui a été pour moi plus long que celui d'Eudoxe ou que celui

Dont on doit la durée aux calculs de Méton.

Quand vous étiez ici, dans la patrie, le sort nous empêchait souvent d'être ensemble et nous avions rarement la consolation de nous voir; néanmoins le sentiment de la séparation était grandement adouci par l'idée que nous vivions à peu de distance l'un de l'autre, et que nous pouvions nous réunir promptement. Maintenant que de larges espaces de pays s'interposent entre nous, mon désir d'être avec vous s'est accru bien davantage. Je ne sais quel misérable défaut de notre raison mortelle nous porte vers ce qui est défendu, et nous fait préférer ce qui est le moins permis. Aujourd'hui, dans un élan d'affection, mon coeur se précipite vers vous à travers les obstacles des contrées et, passant au-dessus des plus hautes cimes, sur les ailes les plus rapides de la pensée, il vient visiter de nouveau celui qu'il aime, mais avec une tendresse nouvelle. Certains parfums et odeurs, quoique un peu lourds pour la tête, sont cependant agréables et pleins de délices; certains mets et assaisonnements semblent attaquer le palais de morsures et cependant on les trouve excellents: il en est de même des voyages de notre esprit: la contemplation successive du bonheur dont nous jouissons, comme de celui qui nous a été ravi, nous fait l'effet d'un plat où la douceur se mêle à l'amertume. O délicieux souvenir de ce temps, trop court, hélas! que j'ai passé en votre compagnie et qui fut pour moi l'âge d'or! Quoique s'éloignant déjà, je le rappelle autant que je puis, j'en revendique le retour comme un droit. C'est la planche de salut que je saisis avec joie dans ce naufrage, c'est le médicament soporifique par lequel je m'efforce de tromper ma grande douleur. Je vous parle ainsi, mon frère, et ne crains nullement de vous tenir ce discours, bien qu'il appartienne, dit-on, aux insensés et aux imbéciles; mais ceux qui croient que l'esprit humain peut se dépouiller de toute affection, trahissent tout simplement leur caractère dur et cruel. Ne me parlez pas de cette apathie qui enlève à l'homme sa qualité d'homme, pour lui donner celle du fer ou du rocher, et le rendre plus dur que cette pierre en laquelle, selon la fable, fut changée Niobé, et qui, elle du moins, se couvre de larmes.

[8] C'est pourquoi nous serons plus volontiers de l'avis d'Aristote et du divin Platon: ceux-ci ne chassent pas du tout l'émotion du coeur humain, mais ils la soumettent à l'empire de la raison, ils lui imposent un frein et la modèrent. Homère, ce prince de l'intelligence et de la sagesse, ne nous transporte-t-il pas dans un monde où tout respire l'espérance, la crainte, la joie ou la tristesse? Que de fois n'y semble-t-on pas entendre sortir des gémissements du fond de puissantes poitrines? Que de fois, l'oeil humide, n'y voyons-nous pas des larmes ruisseler sur les joues? Et chez quels hommes! Non seulement chez ces guerriers vainqueurs de tous, excepté d'eux mêmes, mais encore chez cet illustre roi d'Ithaque, qu'Homère a proposé aux siècles futurs comme le type du sage, qu'il représente ayant partout une divinité auprès de lui, et Minerve pour sa conseillère. Plus d'une fois — je ne cite que cet exemple, — au seul souvenir de ses souffrances, son coeur, pour me servir des paroles du poète,

...bondit en sa poitrine

avec tant de force qu'il s'avouait ouvertement vaincu par le chagrin et se soulageait par les larmes et les sanglots. Son pauvre petit domaine paternel lui était plus cher que les champs fertiles des Phéaciens et il aima mieux vieillir péniblement auprès de Pénélope et de ceux qui lui étaient chers que chercher le repos dans la compagnie d'une déesse,

Et de vivre des jours sans vieillesse et sans fin.

Mais mon discours s'étend trop: pourquoi, d'ailleurs ce long plaidoyer? C'est comme si j'avais à défendre la cause de cette bonne disposition de l'esprit devant celui que je regarde comme semblable à moi, ou plutôt à lui-même. Je me souviens de ce que vous étiez; je ne vous demande pas de continuer à être de même, j'affirme que vous l'êtes toujours. Vous le devez à la loi de nature, qui exige une attention particulière de ceux qu'elle a unis par quelque qualité ou quelque lien; vous le devez à la loi sociale, qui ordonne de rendre l'équivalent de ce que l'on reçoit. Si vous en avez l'obligation envers quelqu'un, c'est à moi qu'elle revient. Notre affection demande le premier rang sans rivalité; elle ne saurait pas plus souffrir d'être partagée

...que le trône ou l'hymen.

Adieu, à vous que je regrette!Louvain, 21 mai 1601.

[9] COMMENTAIRE.

Cette lettre est la plus ancienne en date des lettres adressées par Philippe Rubens à son frère Pierre-Paul dont nous ayons connaissance. Elle a été publiée dans l'ouvrage posthume: S. Asterii Episcopi Amaseae Homiliae, graece et latine nunc primum editoe Philippo Rubenio interprete. Ejusdem Rubenii Carmina, Orationes, et Epistoloe selectiores: itemque amicorum in vita functum Pietas. Antverpioe, ex officina Plantiniana, apud viduam et filios Joannis Moreti. MDCXV. 1 vol. in-4°, avec le portrait de Philippe.

Philippe Rubens, frère aîné du grand peintre, naquit à Cologne, le 27 avril 1574 et reçut de son père, Jean Rubens, la première instruction, jusqu'à l'âge de 12 ans. Sa mère, Marie Pypelinckx, devenue veuve, lui donna des maîtres auprès desquels il surpassa bientôt ses condisciples par la vivacité de son esprit. La famille rentra dans Anvers en 1587; Philippe y continua ses études. Quand il les eut terminées, il devint secrétaire chez Jean Richardot, président du conseil privé, et celui-ci lui confia, en même temps, l'éducation de deux de ses fils, Guillaume et Antoine. Plus tard, Philippe alla s'établir avec ses élèves chez Juste Lipse, à Louvain; il s'y perfectionna dans la connaissance du grec et du latin et y resta quatre ans. En 1599, il était de retour chez Richardot, à Bruxelles.

En 1601, il conduit en Italie le jeune Guillaume Richardot. Poursuivant ses études à Rome, il y prend ses grades de docteur en droit (1), puis revient aux Pays-Bas en 1604. Juste Lipse le revit avec joie et voulait faire de lui son successeur; il s'en ouvrit même à l'archiduc. Mais Philippe avait, comme son frère, la passion de l'Italie; il y retourne comme bibliothécaire et secrétaire du cardinal Ascanio Colonna.

Pendant son séjour à Rome, il fut chargé par Juste Lipse de présenter au Pape Paul V, le commentaire sur Sénèque que le professeur de Louvain dédiait au souverain Pontife. Philippe Rubens s'acquitta de cette mission à la grande satisfaction du pape et de l'auteur. Son renom de savant était si bien établi que le cardinal Séraphin Olivier lui offrit une chaire à Bologne en remplacement de Robert Titius appelé à Pise, mais Rubens déclina cette proposition par modestie pure. D'ailleurs, il était appelé au pays

[10] par sa mère qui désirait avoir dans sa vieillesse un de ses fils auprès d'elle. Il revint à Anvers, au mois de mai 1607.

Un autre motif contribuait à son retour. Ses amis d'Anvers, particulièrement Jean van den Wouwere (Woverius) et Nicolas Rockox, avaient jeté les yeux sur lui pour les fonctions de secrétaire de la ville, fonctions importantes, que l'on confiait aux hommes les plus distingués. Une difficulté se présentait cependant à son égard: il était né à l'étranger et, quoique fils d'un père anversois, il ne pouvait être admis à exercer cet emploi dans sa ville d'origine, sans obtenir ce que l'on appelait alors des lettres de Brabantisation, c'est à dire de réintégration dans sa nationalité, et telle était la rigueur des lois qu'il fallut des démarches et des formalités assez longues pour régulariser cette situation. Elles furent enfin clôturées par un acte des États de Brabant de juillet 1607 (1).

Entretemps, le 19 octobre 1608, la digne et admirable Marie Pypelincx, mourut d'un accès d'asthme, sans avoir eu la consolation de revoir son second fils, Pierre-Paul; quelque temps après, un des secrétaires de la ville, le poète Jean Boghe, ou Bochius, vint à décéder. Le 14 janvier 1609, les magistrats, à l'unanimité, nommèrent Philippe Rubens pour lui succéder; le 19 suivant, une ordonnance des Archiducs confirma cette nomination ainsi que l'acte de naturalité brabançonne, “pour autant que de besoin„.

Deux mois plus tard, le 26 mars 1609, Philippe épousait Marie de Moy, fille d'Henri de Moy, le premier des quatre secrétaires de la ville. Un premier enfant lui naquit, Claire Rubens, baptisée le 4 avril 1610. Son existence s'ouvrait à tous les genres de bonheur, il jouissait de la considération générale, il était père de famille, il avait un frère qui commençait une carrière de gloire et auquel il était tendrement attaché, il s'était fait connaître déjà lui-même par un ouvrage de mérite, quand une mort inopinée le surprit à la suite d'une courte maladie, le 28 août 1611. Il n'avait pas 38 ans. Un fils, Philippe, vint au inonde quinze jours après.

Il a laissé deux ouvrages dont il nous faut ici donner une analyse, à cause des nombreux témoignages concernant Pierre-Paul, qui s'y trouvent:

1° Philippi Rubenii Electorum libri II. In quibus antiqui Ritus, Emendationes, Censurae. Ejusdem ad Justum Lipsium Poematia. Antverpiae, ex officina Plantiniana, Apud Joannem Moretum. 1608. 1 vol. in-4°.

[11] Ce livre parut à la fin de 1607 ou au commencement de 1608. La censure du chanoine Laurent Beyerlinck est datée du 13 et le privilège du 15 novembre 1607. Ce n'est pas un travail ex professo, mais un recueil de notes, d'études, d'observations sur des passages plus ou moins obscurs de divers auteurs latins, un de ces factums que devaient nécessairement publier, en ce temps-là, tous ceux qui aspiraient à obtenir une place parmi les érudits en sciences classiques. Juste Lipse avait ici donné l'exemple de ces Varioe lectiones ou Electorum libri: corrections proposées à des textes douteux, explications de phrases ou de termes insolites et, par dessus tout, étalage d'érudition dégénérant souvent en téméraire pédantisme. A sa suite vinrent Louis Carrion, Théodore Canterus, Janus Rutgersius, André Schott, Caspar Gevartius et tant d'autres. Pendant longtemps, les émules ou les disciples du maître se livrèrent à une course acharnée dans le champ des lettres grecques et latines, à la recherche de mots à éplucher ou d'emendationes à proposer. Sans doute, quelques-uns de ces ardents pionniers de la philologie ont rendu de vrais services, et le résultat de leurs travaux, condensé dans les savantes éditions hollandaises cum notis variorum, en fournit la preuve; mais il n'en est pas moins vrai que l'imagination et la subtilité ont trop souvent leurs coudées franches dans les thèses de ces fureteurs classiques.

Le recueil de Philippe Rubens peut être classé parmi les meilleurs et les plus sérieux du genre. Il fut commencé sur les bancs de l'école de Juste Lipse, poursuivi à Rome au milieu des trésors manuscrits et imprimés des bibliothèques du Vatican et du cardinal Colonna, terminé à Anvers et publié dans l'intention de se faire connaître de ses concitoyens.

Il débute par une longue dédicace au président Richardot auquel il distribue des louanges qui nous paraissent excessives, mais qui s'expliquent par les sentiments de haute reconnaissance dont Philippe Rubens est animé à l'égard de son bienfaiteur. “Ce que je sais, dit-il, je l'ai appris dans votre maison et sous votre conduite; la plus forte part de mon bonheur, je la dois à vos bienfaits; mes travaux vous sont donc entièrement dus.„

Une préface, plus courte, apprend ensuite au lecteur le but et la forme de l'ouvrage. Celui-ci est divisé en deux livres, dont le premier compte 40 chapitres, le second 37: chacun d'eux est consacré à la critique ou à l'explication de quelque passage de Plaute, Cicéron, Aristote, César, Quintilien, Frontin, etc. Dans le cours du travail, il trouve l'occasion de faire l'éloge de Jean Brant qui sera bientôt son beau-frère et le beau-père de Pierre-Paul, ou de dire quelques paroles obligeantes de Jean Woverius et de Nicolas Rockox.

[12] Après les Electorum libri, suit un appendice (p. 91-124), portant en faux titre: Philippi Rubenii ad Justum Lipsium Poematia, avec une dédicace à Guillaume Richardot, fils du président, ancien élève et compagnon de voyage de Philippe Rubens, et devenu depuis chancelier de l'Université de Douai. C'est une page émue, dans laquelle, évoquant le souvenir de leur vie commune chez Juste Lipse, il exprime la douleur qu'ils ont ressentie et qu'ils ressentent toujours, tous deux également, de la perte de leur ancien maître qui les aimait comme un père. Et la meilleure preuve de cette affection lui est fournie par la lettre qu'il leur adressait le 17 septembre 1601, au moment de leur départ pour l'Italie et en réponse au poème que lui offrait Philippe Rubens, et qui est publié ici. Après ce poème d'adieu, il en vient un second, présenté à Juste Lipse, au jour de son anniversaire, un troisième dans lequel l'auteur décrit les chagrins de l'absence, un quatrième en l'honneur du Sénèque commenté par le professeur illustre, un cinquième à l'occasion du nouveau départ de Philippe Rubens pour l'Italie, et, enfin, un poème funèbre, lacrymae in funere Justi Lipsii.

L'auteur termine le volume par un acte d'affection fraternelle, une élégie adressée à Pierre-Paul naviguant sur la Méditerranée à son retour d'Espagne en Italie, en 1604. Nous la donnerons à sa date.

Mais ce qui rend ce volume d'un haut intérêt pour l'histoire artistique de Pierre-Paul, ce sont les planches remarquables qui en font l'illustration et qui sont dues au jeune peintre, alors en Italie, et encore inconnu dans sa patrie. Elles sont au nombre de cinq et représentent: 1° avec le titre Iconismus statuoe togatoe (p. 21), la statue de Titus au musée de Latran (1), sous trois faces pour indiquer la forme de la toge romaine; feuille double, signée Corn. Galle sculp.; 2° Iconismus circensium et missionis mappae (p. 33), un bas-relief trouvé près de la porte Nomentane, sur lequel on voit le Préteur donnant le signal du départ, aux courses du Cirque, en jetant un drap dans l'arène, feuille double, Corn. Galle sculp.; 3° Iconismus duplicis statuae tunicatoe (p. 66), dessin d'une statue de Minerve assise, alors au palais Farnèse, et d'une statue de déesse debout, la Flore du cardinal Cesi, toutes deux au Capitole, pour servir de démonstration de la forme d'une tunique, feuille double, Corn. Galle sculp.; 4° petit cuivre, dans le texte (p. 73), donnant le dessin du pilleus que les Flamines portaient sur la tête, d'après deux pierres, l'une au Capitole, l'autre in fornice Fabiano; 5° Iconismus apicis in lapide Clivi [13] Capitolini, (p. 74), représentant les insignes et les ustensiles des Flamines, Corn. Galle sculp.; 6° une médaille de Faustine de la collection de Nicolas Rockox (p. 87).

Ces planches, sauf la dernière, ont été gravées d'après des dessins du peintre. En tête du dernier poème de son livre, Philippe Rubens dit qu'il insère là cette élégie comme une preuve de son affection et de sa reconnaissance pour son frère “dont la main habile et le jugement aussi fin que sûr m'ont été d'un grand secours dans cet ouvrage.„

Exécutés sans doute pendant le séjour des deux frères à Rome, ces dessins sont les premières oeuvres gravées que nous connaissons du peintre et elles offrent un curieux sujet d'étude, en ce sens que la personnalité de l'artiste y apparait déjà tout entière. En reproduisant des oeuvres de l'antiquité il obéit à son tempérament propre, il leur enlève cette rigueur de la ligne, ce repos dans la pose et dans l'expression qui sont la caractéristique de la statuaire helléno-romaine, il pétrit le marbre et le transforme en chair, il lui donne un puissant souffle de vie. Dans la Flore du palais Cesi surtout, il nous semble voir déjà le puissant créateur de “la femme de Rubens„.

Le deuxième ouvrage de Philippe Rubens, dont nous avons donné le titre, parut après sa mort, sur les instances de Pierre-Paul et par les soins de Jean Brant. Il est dédié par celui-ci au magistrat d'Anvers, et, dans une préface au lecteur, l'éditeur fait connaître que Philippe Rubens, ayant trouvé dans la bibliothèque du cardinal Ascanio Colonna, à laquelle il était préposé, le manuscrit de cinq homélies de St.-Astérius, évêque d'Amase, il les transcrivit et traduisit du grec en latin. Ce travail resté inédit fut soumis, après la mort de Philippe, à André Schott, à Pierre Pantin, à Théodore Canterus, qui en recommandèrent vivement la publication.

En tête du volume, on trouve d'abord une pièce de vers hendécasyllabes de Laurent Beyerlinck, le savant chanoine d'Anvers, ami des Rubens. Les Homélies, texte grec et latin, sur deux colonnes, prennent de p. 1 à p. 75.

Un faux titre, p. 77, précède un choix de poésies de Philippe Rubens, carmina selectiora e tenebris et schedis ejus eruta, avec un mot de préface de Jean Brant.

Le relevé de ces pièces de vers nous permet de connaître quelques-unes des relations de Philippe qui étaient en même temps celles de Pierre-Paul, et on les retrouvera en partie dans notre recueil. C'est pour ce motif que nous entrons dans ces longs détails.

A) La première pièce est une invocation à la divinité et tend à faire [14] croire que Philippe avait l'intention de publier un jour ses poèmes. Puis viennent successivement: Poëmation ad Ill. Card. Ascanium Columnam, nobilitatis romanoe principem, longue pièce de plus de 200 vers, dans laquelle il célèbre les ancêtres glorieux du cardinal et témoigne à celui-ci toute sa reconnaissance.

B) Eucharisticon pro pace confecta ad nob. et ampl. Proesidem Richardotum, panégyrique dans lequel la gratitude, encore une fois, est trop prodigue de louanges envers le président.

C) Suite de pièces de circonstance, dédiées à Hubert Audejans, l'ancien secrétaire de Juste Lipse, à l'occasion de son doctorat en théologie; à François Oranus, ou d'Heur honoré du titre de jurisconsulte, à Guillaume Richardot (1), J. B. Perez de Baron, Corneille Anchemant et Jacques Timon, pour le même motif. — Lettre à Juste Lipse datée de Rome, du 18 avril 1603, précédant une pièce adressée à Juste Lipse et une autre en l'honneur du village d'Isque, patrie du professeur de Louvain.

D) Pièces dédiées à un Mécène des lettres; à P. Pantin, pour sa traduction de quelques homélies de Pères grecs et de la vie de Ste Thècle par Basile de Séleucie; au R. P. Jean Pineda, pour ses commentaires sur Salomon; au R. P. Louis de la Cerda, pour ses commentaires sur Virgile; à Antoine Persius, pour son traité de Calida potione; à Erycius Puteanus créé citoyen romain, au même pour son ouvrage Musathena (1602), pour sa Suada Auspicalis, pour sa deuxième centurie de lettres, Epistolarum Fercula secunda.

E) Ode pour les noces de Jean Woverius et de Marie Clarisse, une pièce assez étrange, où des licences de paroles coudoient des licences de prosodie, telles que ...tacita affici dul -
cedine mentem.

F) Pièce à l'occasion du mariage de Pierre Paul avec Isabelle Brant. Nous la donnerons à sa date.

G) Suite de pièces plus petites, à diverses occasions, inscriptions d'album, épigrammes, etc.

La troisième partie du volume est intitulée au faux titre: Amicorum in Philippum Rubenium vita functum pietas, soluta et vincta oratione expressa; elle débute (p. 133) par la vie de Ph. Rubens, écrite par Jean Brant, vie d'où [15] nous avons tiré presque toute la notice ci-dessus. Cette Vita est suivie de: Joannis Woverii Antverpiensis de consolatione ad Petrum Paulum Rubenium liber. (p. 143-157). C'est une sorte de longue oraison funèbre, adressée au peintre, pour lui offrir des consolations selon toutes les règles de la Rhétorique, très intéressante, néanmoins, pour ses détails sur le caractère du défunt, sur l'amitié existant entre lui et Woverius dont il avait été le condisciple dans la maison de Juste Lipse, etc.

Les pièces de vers qui suivent ce panégyrique ont pour sujet la mort de Philippe. La première est une élégie dédiée à Jean Brant, par Laurent Beyerlinck; la seconde, une élégie encore, par Josse de Rycke, de Gand; la troisième émane de Louis Nonius; la quatrième de François Sweertius; la cinquième est une épitaphe, par le jésuite Bernard Bauhusius; la sixième est intitulée: Alloquium ad eximium virum Petrum Paullum Rubenium super obitu fratris ejus Philippi Rubenii; elle est signée des initiales D. B.; la septième est signée Ezandus Santenus et la dernière, une epigramma, Balthasar Moretus. Cette partie, comme la première, se termine par une censura de L. Beyerlinck, portant sur la deuxième et la troisième partie.

La quatrième partie (p. 177), a pour faux titre: Phil. Rubenii orationes et epistolae selectiores. Elle est précédée d'une courte préface de J. Brant et s'ouvre par une Laudatio funebris Philippi II Hispaniae regis.

L'éditeur Brant ne nous dit pas où Philippe Rubens a prononcé cette oraison funèbre. A l'époque de la mort de Philippe II, en 1598, il était à Louvain chez Juste Lipse, et nous y voyons un exercice d'éloquence sur un sujet imposé par le maître. “Aujourd'hui, dit-il en commençant, si je devais parler de manière à jeter dans l'âme de mes auditeurs une émotion égale à la grande perte que nous venons de faire, j'aurais fortement à craindre de n'être pas à la hauteur de mon sujet. Mais je prends courage, je me réjouis même, - s'il est permis en cette circonstance de se servir de ce mot, - en vous voyant tous spontanément frappés de telle façon qu'il n'est pas besoin de vous émouvoir davantage.„ Cette harangue est construite selon toutes les règles de l'école, parsemée de lieux communs, gonflée d'hyperboles; c'est un panégyrique glacial à force d'exagération.

Les discours suivants sont: un Éloge de Cicéron, un Éloge d'Annibal, un long compliment adressé à l'Archiduc Albert, à l'occasion de son mariage avec Isabelle et de son arrivée aux Pays-Bas, un Éloge de la Jurisprudence, un Discours sur la prééminence de la langue grecque, un Discours tendant à prouver qu'il faut faire la paix avec les Provinces-Unies, un Discours par [16] lequel Appius Claudius accuse Q. Fulvius Flaccus d'avoir, contrairement aux ordres du Sénat, ordonné de mettre à mort les habitants de la Campanie.

Toutes ces déclamations sont des devoirs d'élève et leur publication n'est qu'un faible service rendu à la mémoire de leur auteur.

Le choix de lettres qui suit (p. 239-274) est un peu plus intéressant. Ces lettres sont au nombre de 35 et vont de 1599 à 1611. Elles sont adressées aux personnages suivants: J. Woverius, 5 lettres; J. Hemelaer, 1; G. Timon, 1; P. P. Rubens, 3; Er. Puteanus, 4; Juste Lipse, 4; H. Audejans, 2; Cardinal Olivier, 2; G. Uwens, 1; P. Peckius, 5; L. Beccatelli, 1; F. Bartolini, 1; P. Pantin, 1; S. Claverius, 1; Max. Vrints, 1; A. Boucopius, 1; Marc Velser, 1.

A la fin de ce petit recueil épistolaire, Jean Brant annonce en quelques lignes que la dernière lettre, celle qui est écrite à Marc Velser, lui rappelle une élégie écrite par le poète éminent Justus Rycquius à la mémoire de l'illustre et savant mécène littéraire d'Augsbourg. La page 275 est donc remplie par le faux titre: Justi Rycquii Gandensis Pictas in funere ampliss. et Cl. V. Marci Velseri, R. P. Augustanae Vindel. Proef. perp. ad Cl. V. Joannem Brantium senatui antverpiensi ab actis. Une lettre de Rycquius datée de Louvain, 13 décembre 1614, et adressée à Brant, précède la pièce de vers. Cette lettre se termine: “Je vous salue, mon cher Brant, et en même temps l'excellent et savant père André Schott ainsi que l'Apelles de notre temps, votre gendre Pierre-Paul Rubens.„

Le volume se termine par une troisième censure de Laurent Beyerlinck et le privilège des Archiducs au nom de Martine Plantin, veuve de Jean Moretus, et de ses deux fils Balthasar et Jean, à la date du 5 mars 1615.

C'est de cet ouvrage important que nous avons repris les trois lettres adressées à Pierre-Paul: nous venons d'en donner la première.

Après avoir lu cette composition ampoulée, écrite en latin pédantesque, on se demande si elle appartient, en réalité, à la correspondance intime des deux frères. Philippe Rubens ne devait pas, d'habitude, nous semble-t-il, envoyer à Pierre-Paul, alors jeune peintre tout entier à son art, des pages de latin raffiné, comme on en produisait à l'école de Juste Lipse, bien que le destinataire ne fût pas étranger aux langues classiques. Cette lettre, comme les deux autres, nous apparaissent comme des missives d'apparat dont la raison d'être s'explique.

Philippe appartenait à cette grande pléiade d'humanistes qui composait, encore à cette époque, la caste supérieure dans la république des lettres. [17] L'étude de l'antiquité et des écrivains d'Athènes et de Rome était le moyen d'y obtenir droit de cité: il y régnait une extrême émulation d'habileté dans l'art de se servir de langues qu'on ne parle plus. Ils affectaient de n'écrire qu'en latin émaillé le plus souvent d'un peu de grec; il semble qu'ils avaient oublié leur idiome maternel, ils s'efforçaient même de le faire croire. Un grand nombre d'entr'eux ont publié, de leur vivant, des recueils de leur correspondance vraie ou supposée: or, dans ces recueils, il n'est pas rare de rencontrer des lettres adressées à des personnages qui, selon toute apparence, n'en auraient pu comprendre grand'chose: en réalité, la lettre est écrite pour le public.

A l'exemple de son maître Juste Lipse et de Puteanus, Philippe Rubens eut sans doute agi de même et, s'il avait vécu, mis au jour une ou plusieurs centuries de lettres bien ciselées, bien arrangées pour des lecteurs savants, mais dans lesquelles le travail de l'esprit aurait généralement remplacé le naturel, la franchise ou l'inspiration du coeur.

Pour nous, les 35 lettres publiées par Brant étaient destinées à faire partie d'un recueil dont la mort de Philippe a empêché l'apparition; on voit que leur auteur a poli ses phrases, arrondi ses périodes, choisi ses termes, distribué les citations grecques obligées, pour se présenter au lecteur de la manière la plus favorable. Celles qui étaient adressées à des érudits, à des collègues en classicisme, furent écrites, sans doute, telles qu'elles ont été publiées; mais quant à celles qui portent l'adresse de Pierre-Paul, nous y voyons de laborieuses paraphrases de missives intimes, écrites peut-être en vulgaire flamand.

Quoiqu'il en soit, la lettre est remarquable par les sentiments qu'elle exprime; elle est un document précieux pour la biographie des deux frères.

Comme le dit Philippe, il y a un an que Pierre-Paul est parti pour l'Italie: le passe-port qui lui fut délivré par le magistrat d'Anvers est daté du 8 mai 1600 (1) et nous lisons, dans la Vita rédigée par le fils de Philippe, que Pierre-Paul s'est mis en route le lendemain, 9 mai.

D'après le même document, il semble avoir été directement à Venise. “A son arrivée dans cette ville, dit la Vita, il se rencontra, par hasard, [18] dans le même logis, avec un noble Mantouan, attaché à Vincent de Gonzague, duc de Mantoue et de Montferrat, et lui fit voir quelques tableaux de sa façon; ce gentilhomme montra ces oeuvres au Duc. Celui-ci, grand amateur de peinture et de tous arts libéraux, prit immédiatement l'artiste à son service et l'attacha à sa maison, où il demeura sept ans.„

Ce passage nous paraît formel: il s'accorde sans difficulté avec les documents. On a fait de grandes recherches et proposé diverses conjectures relativement à l'itinéraire suivi par Rubens et à la première année de sa résidence en Italie; un de ses biographes, le licencié Michel, dit que le peintre traversa la France (1).

M. Armand Baschet, dans ses admirables découvertes aux archives de [19] Mantoue, n'a pas trouvé la mention de Rubens à la cour du duc Vincent, avant le 18 juillet 1601. Il en conclut que l'admission du peintre à la cour du Duc ne doit pas être de beaucoup antérieure à cette date.

Nous croyons que l'engagement de Rubens a eu lieu peu après son arrivée à Venise, lors du séjour que le duc de Mantoue fit en cette ville, selon M. Baschet, depuis le jeudi qui précède le 15 juillet jusqu'au mercredi après le 22. C'est bien à Venise même que le noble Mantouan de la Vita fit voir au Duc les oeuvres du jeune peintre; or, le Duc ne vint plus dans la cité de St. Marc cette année-là, et d'après un curieux passage d'une lettre de Peiresc, du 25 septembre 1622, lettre que nous publions en entier à sa date, Rubens se trouvait à Florence, le jeudi 5 octobre 1600, le jour du mariage, par procuration, de Marie de Médicis avec Henri IV, roi de France.

“J'ai vu avec plaisir„, écrit Peiresc à son ami, “que vous étiez présent aux épousailles de la Reine-Mère à Ste. Marie des Fleurs et dans la salle du banquet: je vous remercie de m'avoir remis en mémoire l'Iris qui comparut à la table avec cette Victoire romaine en habit de Minerve, et qui chanta avec tant de douceur. Je regrette beaucoup que nous n'ayons pas en ce moment-là contracté ensemble cette amitié qui nous lie maintenant.„ C'est en discutant, vingt-deux ans après, avec Peiresc les détails de la composition des tableaux de l'épopée de Luxembourg, que Rubens raconte sa présence aux fêtes de Florence. Il s'agissait du tableau représentant le mariage: Peiresc faisait à son ami quelques observations sur la Pietà de l'autel, sur le chapeau du cardinal posé sur une crédence, etc.; or, dans sa réponse à Peiresc, malheureusement perdue, il maintient ces minuties dont il se rappelait encore fort bien, dont il possédait peut-être un croquis. Tout nous fait admettre qu'il assistait à toutes les fêtes et cérémonies, notamment au banquet, en qualité d'attaché à la cour du duc de Mantoue. Il est peu probable qu'il y aurait obtenu son entrée autrement.

Le duc de Mantoue était arrivé à Florence, le 2 octobre, avec une brillante suite, selon son habitude. Comme il s'agissait du mariage de la soeur de sa femme et d'honneurs à rendre à une future Reine de France, on peut croire qu'il déploya ces jours-là plus de faste qu'en d'autres occasions. Est-ce aller trop loin dans le champ des conjectures que de supposer qu'il aurait emmené Rubens à Florence précisément pour demander à sa merveilleuse habileté des portraits de tels ou tels personnages?

Les fêtes durèrent plusieurs jours. D'après les relations du temps, le jeudi 5 octobre 1600, le légat Aldobrandini, neveu du pape Clément VIII, procédait [20] à la célébration du mariage. Il dit la messe; après l'Évangile, il alla s'asseoir sous un poêle de drap d'or au côté droit de l'autel. Le sieur de Bellegarde, grand écuyer de France, porteur de la procuration donnant au duc de Toscane, Ferdinand, la charge d'épouser Marie de Médicis au nom de Henri IV, alla prendre la Reine qui était sous un autre poêle avec le Grand-Duc et la conduisit à la main droite du Légat; puis le Grand-Duc présenta la procuration, qui fut lue par deux prélats. Cela fait, on célébra les épousailles au bruit du canon. Le soir du même jour, il y eut au palais un bal magnifique, suivi d'un souper “exquis et superbe„. Le vendredi, samedi et dimanche, il y eut des chasses, des joutes, des courses de bagues, des courses de chevaux, etc. Le lundi, 9 octobre, il fut joué une comédie en cinq actes dont les représentations et les machines coutèrent 60,000 écus.

Le vendredi, 13 octobre 1600, la Reine, accompagnée de la Duchesse de Toscane, de la Duchesse de Mantoue, de don Antonio, son frère, du Duc de Bracciano et du Sr de Bellegarde, partit pour la France. Le 3 novembre, elle était à Marseille, où les deux Duchesses la quittèrent, le jeudi 13, pour revenir à Florence.

En résumé, nous croyons que Rubens était à cette époque attaché à la cour de Vincent de Gonzague et qu'à ce titre il put assister aux fêtes du mariage. C'est à ce moment qu'il vit, pour la première fois, Marie de Médicis, cette princesse dont il peignit plus tard l'apothéose et avec laquelle il eut tant de rapports. Peut-être a-t-il été chargé, alors déjà, de peindre son portrait; et qui sait si, vingt ans après, lors de la commande de l'épopée du Luxembourg, elle ne s'est pas ressouvenue du jeune peintre flamand, devant qui elle avait posé, avec lequel elle a dû avoir plus d'un entretien? Cette supposition n'a pour nous rien d'invraisemblable: nous verrons plus tard, lors du projet de la galerie, avec quelle volonté Marie de Médicis désigna Rubens pour en être le peintre, malgré les efforts que l'on fit auprès d'elle en faveur d'autres artistes.

Après le départ de Florence, quelle direction prit Rubens et quelles furent ses occupations? C'est ce que nous essayerons de déterminer plus loin.

La lettre de Philippe ne nous apprend pas où se trouvait Pierre-Paul quand elle lui fut adressée: mais il est très probable qu'il était à Mantoue, d'où, nous le savons avec certitude, il partit le mois suivant.


[21] III
L'ARCHIDUC ALBERT A JEAN RICHARDOT.

(Extrait.) ... Le Président, votre père, nous a communiqué ce que luy avez escrit et du debuxo (qu'attendons par Vencislaus van Obberghen) du reliquiario, et des voix que faictes chercher, et va bien tout ce que luy en dictes. Et quant à la table d'aultel pour la Chapelle de Ste. Hélène, nous nous contentons que vous la faictes faire en telle forme que par delà entendrez sera la meilleure, puisque vous dictes qu'elle ne coustera que cent ou deux cens escus. Que quand nous sçaurons le pris, tant de cela que des debuxo et Reliquiario, nous vous ferons remettre par delà tout ce qu'en aurez desbourssé.


Minute aux Archives du Royaume à Bruxelles. Négociations de Rome. T. II, fol 317. - Expédition originale aux Archives de l'État, à Utrecht.


COMMENTAIRE.

Ce fragment de lettre, inséré ici à sa date, pour tenir l'ordre chronologique, se rapporte à l'une des premières oeuvres et en même temps des plus considérables que Rubens ait exécutées en Italie; il trouvera son explication dans les documents qui vont suivre.

Comme il s'agit d'un événement important dans la vie du peintre, que la lettre émane du prince avec lequel Rubens aura ensuite de grands rapports, qu'elle est adressée à un personnage qui, par lui-même et par sa famille, a exercé une influence sur la carrière du grand homme, il y a lieu d'entrer dans quelques détails.

Nous avons peu de mots à dire de l'Archiduc; tout le monde sait comment Albert, fils de Maximilien II, empereur d'Allemagne, épousa Isabelle, fille de Philippe II, et vint régner avec celle-ci sur les provinces des Pays-Bas restées à l'Espagne après trente ans de lutte. A peine arrivé dans ce pays, en 1599, le couple princier eut à s'occuper de la guerre et se trouva entouré [22] de difficultés de toute nature. La cession qui leur avait été faite des provinces belges n'établissait qu'une sujétion déguisée: le roi d'Espagne restait le suzerain du pays, le suprême directeur des affaires. Cette situation créait aux nouveaux princes régnants des obstacles sans nombre; car, tout en étant déclarés indépendants, ils subissaient, par la force des choses, toutes les conséquences des erreurs de la politique espagnole. En vain essayèrent-ils de se soustraire à cette association désastreuse; sans cesse ils y étaient rejetés: les traités de paix conclus par la cour de Madrid, comme ses entreprises de guerre, leur causaient les mêmes préjudices; à tout moment cette cour les abandonnait après les avoir entraînés dans quelque funeste aventure.

La question religieuse, surtout, les soumettait à de dures épreuves.

Quoique profondément catholiques, les Archiducs se fussent inspirés volontiers d'idées de tolérance dans la politique extérieure. Ayant reconnu l'impossibilité de réduire par les armes les Provinces-Unies détachées de l'Espagne, ils étaient prêts à accepter l'indépendance de celles-ci, à conclure même avec elles une trève ou une paix définitive, subissant, sans doute, en cela, le désir exprimé par les États des provinces restées fidèles. Mais l'Espagne, d'un côté, la cour de Rome, de l'autre, étaient inflexibles: elles forçaient les Archiducs à continuer la guerre pour réduire les rebelles et rétablir la religion catholique dans les pays qui avaient embrassé la Réforme.

Ruinées par la guerre, voyant leur commerce anéanti, les provinces du midi aspiraient donc à vivre en bon voisinage avec leurs anciens frères du nord dont elles admiraient l'énergie et enviaient la prospérité. Pour seconder ce vif désir, les Archiducs s'efforçaient de ramener les Cours de Madrid et de Rome à des conceptions plus justes du véritable état des choses: ces tentatives de persuasion leur valurent de profonds ennuis, de vrais déboires dont on retrouve les traces dans ce qui nous reste de documents diplomatiques de cette époque.

La lettre ci-dessus se rapporte à un des épisodes de cette situation. A Rome, les Archiducs étaient soupçonnés de faiblesse et de tiédeur dans la foi. Rien ne les sauvait de ces soupçons; ni les oeuvres de piété d'Isabelle, ni les faits d'armes d'Albert: on leur reprochait obstinément de ne pas réussir à courber de nouveau les Provinces-Unies sous le joug qu'elles avaient secoué. Ces reproches étaient particulièrement mortifiants pour Albert qui, avant d'être l'époux d'Isabelle, avait porté les titres d'archevêque, de cardinal et de grand-inquisiteur. Dans un de ces moments où, sans doute, on lui avait fait des représentations plus pressantes, il résolut de faire de nouveaux efforts à Rome.

[23] Il y envoya un agent dont les instructions nous sont parvenues. C'est à cet agent qu'est adressée la lettre dont nous venons de donner un fragment.

Jean Richardot est le fils de Jean Grusset de Richardot, le président du Conseil privé, dont Philippe Rubens avait été le secrétaire et accompagnait, en ce moment même, un autre fils en Italie. Il naquit à Malines en 1573: destiné à l'état ecclésiastique, il fut nommé prieur de Mortau en Bourgogne. Envoyé en Espagne et attaché à la Cour, il fit en ce pays ses études de philosophie et de théologie. Quand l'archiduchesse Isabelle se rendit aux Pays-Bas, il revint avec elle; l'année suivante, en 1600, les Archiducs le nomment ministre résident auprès du St. Siége à Rome. L'évêque d'Arras, Jean du Ploich, étant venu à mourir, le 1r juillet 1602, Jean Richardot, n'étant encore que sous-diacre, fut nommé à ce siége qu'avait occupé déjà son oncle François Richardot. Il fut intronisé évêque d'Arras, le 8 février 1604. En 1609, il devint archevêque de Cambrai, mourut en cette ville, le dernier jour de février 1614 et fut enterré devant le maître-autel de la cathédrale.

En partant pour aller occuper son poste de résident à Rome, le jeune Richardot avait reçu des instructions dont voici l'analyse (1).

Elles portent pour suscription: “Instruction pour vous, nostre cher et féal conseillier en nostre conseil privé, et maistre aux requestes ordinaire de nostre hotel, messire Jehan Richardot, sieur de Mortau de ce qu'aurez à faire en la commission et charge que vous donnons vers nostre St. Père le Pape, durant que résiderez en sa cour, où nous vous envoyons pour les affaires de nostre service, et en la qualité que vous a esté déclairée„.

D'après le premier point de cette instruction, le jeune Richardot devait s'acheminer à Rome “le plustot que convenablement faire se pourra„. Le document porte la date du 15 juin; le passe-port est du 21. Il dut voyager à petites journées, car la première lettre qu'il adresse d'Italie à l'Archiduc est datée de Milan, le 12 octobre, et il était à Parme le 15. La lettre suivante nous le renseigne à Florence, le 20 octobre; il y arrive après les fêtes et le départ de la Reine, mais il est fort probable qu'il y aura encore rencontré Rubens. Enfin, il arrive à Rome au commencement de novembre. Sa première [24] lettre à Prats, le secrétaire de l'Archiduc, est datée du 3 novembre 1600 et il vient de débarquer. Il aura sa première audience du Pape, le lendemain, 4.

“Estant arrivé à Rome, continue l'instruction, vous addresserez au ducq de Sessa, Ambassadeur du Roy, nostre frère, et présentant les lettres que lui escrivons. Après qu'il les aura leu, luy direz avoir expresse charge de nous, de en tout et partout vous conduire selon qu'il vous conseillera, estant notre intention que nos affaires ne soyent en rien separez de ceulx du dit seigneur Roy... Et vous advertirez de temps à aultre, par les occasions que s'en présenteront, de ce qu'aurez trouvé audit endroict, addressant vos lettres à nous en ciffre ou bien à... messire Jehan Richardot, vostre père.„

Suivent de minutieux détails sur des audiences à demander au Pape, sur des visites à des Cardinaux, etc. “Toutes lesquelles choses vous donneront occasion de cognoistre et remarquer l'humeur et manière de procéder en celle cour, et vous instruire (comme à ce vous debvez efforcer) de la praticque et usance d'icelle... Au surplus, pourrez excuser de visiter souvent les ambassadeurs et personnes publiques, d'aultres Princes... et fuyerez autant que pourrez de vous rencontrer avecq eulx aux églises, ou en d'autres lieux publicques, afin d'éviter les contentions des précédences et choses semblables... Au demeurant, rendrez peine et procurerez de temps à aultre de sçavoir et pénétrer si au consistoire se passe chose qui mérite nous en advertir, comme semblablement ce que traicteront les ambassadeurs ès audiences que leur seront données, aussi à quoy y viennent à celle cour les Ambassadeurs extraordinaires, et aultres estrangiers qui sont de considération et particulièrement ceux de noz pays de par-deçà ou de Bourgogne, qui se pourroient encheminer par-delà, vous informant de ce qu'ils y traictent, et avecq qui ils conversent, afin que nous donnez du tout particulier advertissement pour par nous y estre faicte la considération que conviendra.„

Cette première instruction est suivie d'une autre intitulée: Instruction secrète et particulière d'aulcuns poincts, ausquels ordonnons estre prins regard, etc... Cette pièce a une haute importance: dans les recommandations faites au jeune envoyé et dans les “discours„ qu'on le charge de tenir au Pape et aux Cardinaux sur les affaires des Pays-Bas, on lit entre toutes les lignes la situation fausse et précaire dans laquelle se trouvaient les Archiducs et les craintes qui leur venaient de toutes parts, même de Rome et de l'Espagne.

Ainsi, quoique les Archiducs eussent ordonné au jeune résident de se “regler et gouverner selon que le Ducq de Sessa„, ils lui disaient dans l'instruction secrète: “nous vous ordonnons que si par longue praticque vous apercevrés que du costé du dict Ambassadeur fut procedé de quelque froideur en ce qui vous concerne, (combien ne le pouvons ainsi croire) que vous le dissimulez doulcement, et avecq [25] discrétion, sans que luy se puist apercevoir que vous en ayez quelque umbraige ou ressentiment„.

Quant à la conduite à tenir avec le Pape et les Cardinaux, elle est tracée en grand détail: demontrer “que l'on ne trouvera Prince au monde qui soit plus sincèrement affectionné à l'Eglise et au St Siège, que ès villes et provinces de nostre obéissance nous voyons Dieu révéramment servy, son St Nom honoré et la Religion catholique y florir, avecq aultant de dévotion qu'en pays qui soit en Europe.„ “Mais que le mal est, que ceulx de Hollande et leur associez demeurent en la mesme obstination que par avant, et sans aulcun amendement, ni espoir d'icelluy.„

Après “le dict discours des affaires de ces Pays-Bas„ le Résident reçoit des instructions pour parler des affaires de la paix d'Angleterre “que vous sçavez estre en termes, et dont nous vous ferons avoir plus grande claireté avant vostre arrivée à Rome, soit que le traicté passe avant ou qu'il se rompe, dont vous serez particulièrement adverti.„

“Mais ce que pour maintenant vous ordonnons, est de dire au Pape que ceste praticque s'est mené durant nostre absence par le Cardinal d'Austrice lorsqu'il gouvernoit pardeça, ce que depuis nostre retour, nous l'avons continué par l'adveu et consentement du Roy, pour veoir si on en pourroit réuscir quelque chose de bon, et pour le bien de la chrestienté, en quoy jusques à maintenant ne voyons grande apparence, ores qu'il y ait eu lettres et envoy de personnes de part et d'aultre. Cependant supplions nous à Sa S de croire le plus grand désir que nous avons, seroit d'y advancer le faict de nostre Religion, qui nous est plus cher que la vie.„

"Mais que ne pouvons sinon grandement nous esbahir des brefs qu'elle nous a escript sur ceste matière, et de l'impression que semble l'on luy aura voulu donner, que nous serions peu soigneux de ce qui touche la Religion, chose tant éslongée de nos pensemens, que rien ne le peult estre d'avantaige, et que ne pouvons nous persuader qu'elle en ait telle opinion, et que ceux qui ont faict tel rapport pour zeleux qu'ils soyent, ils ont plus de zèle que de science.„

“Que s'ils se fondent sur ce que celluy qu'avons envoyé en Angleterre n'a riens touché de la Religion, outre les articles qu'il a proposé; la vérité est, que cela s'est obmis de volonté, et pour bons respects, mesmes afin qu'ils ne prinssent occasion de rompre le traicté avant que la conférence des deputez de part et d'aultre fut commencée, et non pour omettre ce pour quoy le feu Roy a tant travaillé et à quoy le Roy moderne et nous sommes tant affectionnez.„

“Que bien est vray, que d'attaindre a nostre but, se doibt plus tost désirer qu'espérer, mais sa S se peult asseurer que de nostre costé rien ne s'omettra de ce que sera en nostre puissance pour la consolation des catholicques audit royaume, et [26] vous noterez bien les propos que sa S vous tiendra sur ce particulier, pour fidellement nous en advertir.„

Les autres parties de ce document sont des recommandations pour la conduite à tenir envers les cardinaux ou les ambassadeurs et “gaigner la bienveillance des cardinaux Aldobrandini et de St Georges, les neveux du Pape, pour repondre aux questions qu'on lui poserait au sujet du Roy de France, etc.„

“Au surplus vous disons pour la fin de ceste instruction comme pour ce qu'estes joeusne, et que pouvez travailler comme convient et estes obligé, l'une des principales causes qui nous a meu de vous donner ceste charge, est afin qu'ayez moyen de vous habiliter en la praticque bénéficielle de Rome et que à vostre retour soyez tant plus qualifié à nous servir en telles matières, et aurons à plaisir, que vous vous y employez diligament, pour supplir à la faulte que sçavez avoir icy en ce regard, chose que ne pourra sinon estre à nostre service et à vostre advantaige et honneur.„

Sans s'arrêter à ce que nous connaissons des actes de la mission de Richardot, on peut dire que celui-ci, comme ses successeurs, a eu surtout la charge d'obtenir du Pape des faveurs spirituelles pour des couvents, des églises, des personnages de condition ou pour les Archiducs, de demander des concessions de reliques, d'autels privilégiés, de porter de riches offrandes. Par tous les moyens, et surtout par ce mouvement très actif de relations entre eux et le St. Siége, les Archiducs s'efforçaient d'effacer de l'esprit du Pape toute prévention, toute idée qui n'eut pas été celle d'une confiance entière dans leur zèle catholique. La lettre ci-dessus se rapporte à l'un de ces objets.

Le 18 décembre 1600, Richardot écrivait à l'Archiduc en toute hâte qu'il est arrivé à Rome un évènement dont il s'est vivement indigné: on a porté à vendre par toute la ville et présenté à tous les Cardinaux et à d'autres seigneurs, un reliquaire d'argent portant les armes de l'Archiduc; on insinuait en outre, que S. A. n'en avait pas payé la façon à l'orfèvre. Ce doit être un reliquaire envoyé, quelques années auparavant, par l'Archiduc, lorsqu'il se trouvait en Portugal, et qui était destiné à renfermer du bois de la croix pour l'église de Ste. Croix en Jerusalem, église dont S. A. portait alors le titre cardinalice. Après de nombreuses démarches, Richardot obtint que le reliquaire restât chez lui, moyennant qu'on payât le compte de l'orfèvre, se montant à 300 ducats. Il promit en même temps d'envoyer un dessin de la précieuse pièce à l'Archiduc et il attendit les ordres de ce prince. Le 9 mars 1601, l'Archiduc approuve les actes de son agent et ordonne d'ajouter au reliquaire les cristaux qui y manquent: quand ce travail sera achevé, il fera savoir la destination de l'objet.

[27] Nous n'avons plus trouvé d'autres nouvelles de ce dernier avant la date du fragment de lettre dont nous nous occupons. Le dessin (debuxo) en devait être exécuté et rapporté aux Pays-Bas par Wenceslas Cobergher (1). Quant au reliquaire, il semble résulter de la lettre des Archiducs du 9 mars qu'il était destiné à rester à l'Eglise de Santa Croce où sont encore aujourd'hui des reliques célèbres de la croix. Il semble résulter aussi de ce que nous avons retrouvé de cette correspondance que c'est la restitution de ce reliquaire qui donna l'idée de restaurer et d'achever la chapelle de Ste. Hélène. C'est dans les lettres échangées entre Richardot, père et fils, lettres dont nous ignorons le sort actuel, que doivent se trouver les détails relatifs à cette affaire. Mais le fragment donné ci-dessus démontre que le 8 juin, l'Archiduc avait approuvé une proposition faite par Jean Richardot concernant le tableau de l'autel, “qui ne doit couter que cent ou deux cents escus„. Le 30 juin, le Résident écrit encore à son père: “Je feray fayre ce que S. A. me commande à la chapelle de Ste Hélène.„ Or, nous verrons tout à l'heure que ce tableau, une oeuvre capitale, fut exécuté par Pierre-Paul Rubens.

Quant aux voix que Richardot doit chercher pour l'archiduc Albert, d'après notre fragment de lettre, il s'agit là du recrutement de chantres pour la chapelle du Palais de Bruxelles. Il en est plusieurs fois question dans les missives du Résident.


[28] IV
AL Sr CARDINALE MONTALTO.

Illmo et Rmo Sre mio Ossmo.

L'esibitore della presente sarà Pieto Paolo fiamingo mio Pittore, qual mando costà per copiare, et fare alcuni quadri di pittura, come piu diffusamte V. S. Illma piacendole intendera dal medesimo. Confidato al solito nella molta amorevoleza di lei, ho voluto accompagnarlo con la presente, con la quale prego V. S. Illma strettamente a favorirlo con la molta autorita sua in tutto quello che da esso lui verrà ricercata per mio servitio, che assicurandola che aggiungerò questo novo favore a tanti altri da me ricevuti dalla bonta sua, di che le vivo con infinito obligo, a me non restà a dire altro a V. S. Illma se non che questa sera sono per incaminarmi alla citta di Gratz per trasferirmi poi di là alla guerra in Croatia...

Mantova, a, 8 di Luglio 1601.

Vincenzo

.

Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. Publié en traduction française par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 415. Texte italien inédit.


TRADUCTION.
A S. E. LE CARDINAL MONTALTO.

Eminence,

Le porteur de la présente est Pierre-Paul, un flamand, mon peintre, que j'envoie de votre côté pour copier et exécuter quelques tableaux, comme V. E., si cela Lui plait, l'apprendra du peintre même avec plus de détails. Me confiant, comme de coutume, à votre bonne affection, j'ai voulu accompagner le porteur avec cette lettre, pour prier instamment V. E. de lui accorder la [29] protection de sa grande autorité en tout ce qu'il pourrait demander pour mon service. J'assure V. E. que j'ajouterai cette faveur nouvelle à tant d'autres faveurs que je dois à Sa bonté et qui augmentent infiniment mes obligations envers Elle.

Il ne me reste plus rien à dire à V. E. sinon que ce soir je vais me mettre en route pour Gratz, d'où je partirai ensuite pour aller sur le théâtre de la guerre en Croatie...

... Mantoue, le 18 juillet 1601.

Vincent.


V
IL CARDINALE MONTALTO AL DUCA DI MANTOVA.

Sermo Sre mio Ossmo.

Ho qui volentieri veduto il Pittore Pietro Paolo Fiamingo, e non solo me li sono prontamente offerto, ma gli ho fatta istanza d'havermi ordinariamente ad avvertire di tutto quello, che li potrà occorrere per servitio di V. Altza, il quale sarà da me sempre mai riputato più che proprio, secondo che si richiede da la vera osservanza mia verso di Lei. Restami di ringratiarla come fò, dell'avviso, che le è piaciuto darmi de la partenza sua per la guerra di Croatia e pregando affettuosamte il Sre Iddio, che al Altza V. conceda ogni più desiderato felice successo, le baccio per fine le mani.

Di Roma, alli 15 d'Agosto 1601.Di V. Altza
Affmo Serre

Il Card. Montalto.

Sor Duca di Mantova.

Original à l'Archivio Gonzaga. - Publié par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX. 415.


[30] TRADUCTION.
LE CARDINAL MONTALTO AU DUC DE MANTOUE.

Altesse Sérénissime,

J'ai reçu ici avec plaisir le peintre flamand Pierre-Paul, et non seulement je me suis mis de suite à sa disposition, mais je l'ai prié instamment de m'avertir toujours de tout ce dont il pourrait avoir besoin pour le service de V. A., service qui sera toujours considéré par moi plus que le mien propre, ainsi que le demande le respect que je dois à V. A. Il me reste à remercier V. A. de l'avis qu'il lui a plu de me donner de son départ pour la guerre en Croatie, et je prie Dieu de tout mon coeur d'accorder à V. A. l'heureux accomplissement de ses désirs. Et, pour finir, je lui baise les mains.

De Rome, le 15 août 1601.De V. A.
Le très affectionné Serviteur,

Cardinal Montalto.

A S. A. le Duc de Mantoue.

VI
LELIO ARRIGONI A CHIEPPIO.

Mto Illre Sigre mio Sre Ossmo

(Ajouté en Post-scriptum.) ...Il Pittor fiamengo che serve all' A. S. comparque quà alli di passati, et hebbi cinquanta scuti a conto dei cento, che V. S. m'ha significato che gli debba dare d'ordine di S. A. ad ogni sua richiesta.

Di Roma, il di 14 di Settembre 1601.Di V. S. Mto Illre
S. et obligmo Serre

Lelio Arrigoni.


Sr Chieppio.

Original à l'Archivio Gonzaga. - Publié en traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX. 415. - Texte inédit.


[31] TRADUCTION.
LELIO ARRIGONI A CHIEPPIO.

Monsieur,

... Le peintre flamand qui est au service de S. A. s'est présenté ici ces jours passés et a reçu cinquante écus à compte des cent que vous m'avez enjoint de lui donner, d'après les ordres de S. A., chaque fois qu'il le demanderait.

De Rome, le 14 septembre 1601.De V. S.
Le très humble et très obéissant Serviteur,

Lelio Arrigoni.


COMMENTAIRE.

L'admirable série de documents, découverte par M. A. Baschet dans les archives de Gonzague à Mantoue, s'ouvre par cette lettre tout-à-fait inattendue. On savait par la Vita que Rubens avait été attaché au duc de Mantoue, on pouvait espérer de retrouver l'histoire du séjour du peintre à cette cour dans une suite de témoignages officiels constatant son arrivée, ses travaux, ses honoraires etc. et la première pièce que l'on découvre est relative à une mission au dehors. Le fragment de lettre donné précédemment nous en fournit, ce nous semble, une explication plausible.

Il nous faut faire connaître d'abord le signataire de la lettre au Cardinal. Vincent I, duc de Mantoue, était fils de Guillaume de Gonzague et d'Éléonore, fille de l'Empereur Ferdinand I. Il naquit le 2 septembre 1562. Doué d'une vive intelligence, il eut de bonne heure le goût du savoir, la passion des arts, le respect des hommes illustres. C'est lui qui alla retirer le Tasse du monastère de Ste. Anne, à Ferrare, où le poète était enfermé sous prétexte de folie, et qui le conduisit à Mantoue. Mais il ne conserva pas longtemps ces heureuses dispositions: il se livra bientôt au plaisir plus qu'à l'étude. En succédant à son père, en 1587, et devenant souverain, il lâcha complètement la bride à sa fougue de viveur et de dépensier. Sa cour devint bientôt la plus magnifique de l'Italie, après avoir été la plus chevaleresque du vivant du duc Guillaume. [32] Il y réunissait tout ce qui était splendeur. Sa troupe de comédiens, où brilla la célèbre Isabelle Andréini, faisait les délices de la Péninsule et même de la France; sa galerie de tableaux s'enrichissait sans cesse, soit par le travail des peintres qu'il attachait à sa maison, soit par des acquisitions coûteuses; les fêtes qu'il donnait à toute occasion étaient merveilleuses de fantaisie et de prodigalité. C'est surtout aux noces princières qu'il aimait à étaler son faste. Ainsi, en 1598, quand il se rendit à Ferrare aux doubles épousailles de nos archiducs Albert et Isabelle et de Philippe III avec Marguerite d'Autriche, il avait avec lui une suite de deux mille personnes; il fit de même, nous l'avons déjà dit, au mariage de Marie de Médicis, et plus tard, en 1605, en allant rendre visite à Henri IV, à Paris.

Ses goûts somptueux et artistiques, ses inclinations déréglées s'alliaient chez lui à des actes de dévotion et à des velléités guerrières qui s'accusaient surtout, comme en toute autre chose, par l'étalage et l'ostentation. Ainsi, on le vit partir trois fois en campagne contre les Turcs, en Hongrie, en 1595, 1597 et 1601, autant pour y faire montre de ses troupes magnifiquement équipées que pour y accomplir des prouesses. Néanmoins, il s'y conduisit avec courage et s'il subit des désastres, ce n'est pas lui que l'on doit en rendre responsable.

Ses prodigalités de tout genre lui causèrent de grands embarras financiers. Son domaine ducal n'était pas considérable, ses sujets ne pouvaient pas être imposés à outrance. Pour faire de l'argent et payer ses dettes, il eut recours à des moyens très blâmés: ventes de titres et de fiefs à des étrangers, dilapidation des domaines, emprunts usuraires. Il mourut le 4 février 1612, peu regretté, sinon du commun peuple, qui l'aimait à cause de ses largesses et de ses fêtes.

Il avait été marié deux fois. Sa première femme fut Marguerite Farnèse, fille d'Alexandre; il l'épousa en 1581 et s'en sépara bientôt sous prétexte de stérilité. Les détails de ce divorce et de son deuxième mariage, en 1584, avec Éléonore de Médicis, forment un épisode historique que l'on croirait tiré de quelque fabliau gaulois. Sa deuxième femme, par sa conduite prudente, généreuse et digne, s'est attiré l'estime de ses contemporains: elle mourut le 19 septembre 1611, à l'âge de 43 ans.

Il n'était pas inconnu dans les Pays-Bas: en 1599, il y avait fait un [33] voyage dont M. A. Baschet a tracé l'itinéraire et sur lequel il faut nous arrêter un instant.

Ayant subi quelque délabrement de santé par suite de sa vie trop galante, Vincent Ier, sur le conseil de ses médecins, forme la résolution d'aller prendre les eaux de Spa. Il quitte Mantoue en juin, arrive à Spa vers le milieu de juillet et y séjourne jusqu'au 11 août. Il faut croire que la cure, quoique bien courte, lui fit du bien; il ne cessa, du reste, après son retour en Italie, de consommer de l'eau de Spa, dont on lui expédiait des bouteilles par centaines. Le 12 août, il se rendit à Liège; le 21, il arrivait à Anvers; le 26, il était à Bruxelles et y assista, le 5 septembre, à l'entrée solennelle des Archiducs; il y resta jusqu'au 21 septembre.

Les trois ou quatre jours qu'il a passés à Anvers fournissent le sujet d'une question que M. Baschet a déjà examinée. Le Duc n'aurait-il pas eu, dès lors, l'occasion de connaître le jeune Rubens?

Il est certain qu'il alla voir des peintres dans cette ville, où il y avait une école florissante, puisqu'il y engagea, pour son service à Mantoue, François Pourbus, le jeune, qui cependant ne se rendit pas immédiatement en Italie. Pierre-Paul, à ce moment, pouvait déjà avoir assez de notoriété pour être présenté au Duc, lequel, à ce qu'il semble, cherchait à trouver de bons portraitistes. Il n'est donc pas impossible que Vincent de Gonzague ait vu des oeuvres du jeune homme à Anvers; le fait ne serait pas en contradiction avec celui de la rencontre du gentilhomme Mantouan à Venise. Mais nous n'en avons aucune preuve. Cependant on ne peut s'empêcher de signaler une curieuse coïncidence. M. A. Baschet a publié le passage d'une lettre dans laquelle le Duc écrivait, le 10 août 1600, à un Sigr Francesco Marini, à Bruxelles, de lui faire venir le peintre qu'il a engagé en ce pays. Ce peintre est François Pourbus, le jeune. Or, la date de cette lettre correspond à la rentrée du Duc à Mantoue, après l'excursion de Venise, vers la fin de juillet 1600, époque où, suivant nous, Rubens fut engagé également. Près d'un an s'est passé depuis que Gonzague avait traité avec Pourbus à Anvers sans l'appeler: tout-à-coup il s'en souvient, presse son départ et l'adjoint à Rubens. Sans émettre des conjectures à ce sujet, on ne peut s'empêcher de signaler le fait. Parti d'Anvers au milieu de septembre, Pourbus doit être arrivé assez à temps pour assister aussi aux fêtes de Florence. Comme son collègue Pierre-Paul, il est probable qu'il y a été employé à peindre des portraits de belles dames.

Après les fêtes, le duc de Mantoue resta quelques jours encore à Florence, puis se rendit à Gênes et ne rentra dans sa capitale que vers Noël.

[34] Le 20 octobre, Jean Richardot date de Florence une lettre à l'archiduc Albert: il vient d'arriver et partira pour Rome dans quatre jours. On peut croire qu'il y aura rencontré Rubens.

Nous ignorons absolument à quel genre de travail Rubens a pu se livrer pour le service du Duc avant son envoi à Rome. Il est assez étrange que les archives de Mantoue n'en aient pas conservé quelques traces, tandis qu'elles sont remplies de documents relatifs à tout ce qui concerne l'augmentation de la Galerie ducale et l'ornementation artistique du palais (1).

Tout-à-coup donc, le duc Vincent charge Pierre-Paul de se rendre dans la ville éternelle et lui donne une lettre de recommandation pour le cardinal Montalto, neveu du Pape.

Le ton de cette lettre et la réponse qu'elle reçut, nous semblent faire entendre qu'il ne s'agissait pas seulement de la copie de quelques tableaux, mais peut-être bien aussi de quelque communication verbale d'une autre nature. Tout nous autorise à croire que le Duc s'était aperçu déjà de la haute intelligence de l'homme en même temps que du talent du peintre. Au moment de quitter ses états pour aller guerroyer en Autriche, Gonzague pouvait avoir à demander plus d'une faveur à Montalto, qui partageait avec le cardinal Aldobrandini, autre neveu du Pape, la direction des affaires politiques du St. Siège. S'il se fut agi seulement de faire accorder à Rubens certaines facilités pour son travail de copie, il suffisait ce semble, d'en écrire deux mots à son résident officiel de Rome, à ce même Lelio Arrigoni qui, le 14 septembre, annonce avoir payé à Rubens, son premier salaire.

Le signor Chieppio auquel est adressé le billet de L. Arrigoni est un personnage qui va jouer un grand rôle dans l'histoire du séjour de Rubens à Mantoue. Nous devons aux recherches de M. Baschet d'amples détails sur lui.

Annibale Chieppio était fils de Giovanni Chieppio et d'Anne Arrigoni. Homme de loi et professeur de droit civil, il était devenu, en 1591, le secrétaire du Duc et fut envoyé, l'année suivante, en mission extraordinaire à Rome. En 1601, sans doute un peu après la date de la lettre ci-dessus, il alla rejoindre son maître en Hongrie. Plus tard, il reçut le titre de Comte et devint Ministre d'État. “C'était, dit M. Baschet, un bon politique, un [35] homme d'un esprit droit et sûr, de grand goût et, en plus, un excellent lettré. Toutes ces qualités devaient établir entre lui et Pierre-Paul Rubens des affinités immédiates: il fut, en effet, pour celui-ci, un protecteur sérieux dans une cour frivole, où le peintre eut à subir plus d'un froissement, mais qu'il regardait comme un milieu favorable au développement de ses grandes facultés.

Lelio Arrigoni était probablement un parent de Chieppio. Ce dut être un personnage assez considérable, car le poste qu'il occupait à Rome ne semble pas avoir été une sinécure; pour le remplir il fallait un homme de tact et de confiance. Il avait été envoyé à la cour pontificale au commencement de l'année 1601: le 20 février, il faisait son entrée dans la ville éternelle. Le dossier de sa mission est très volumineux: Arrigoni écrivait souvent et longuement. Nous avons parcouru ce dossier pour avoir une idée des affaires qu'il avait eu à traiter jusqu'à l'arrivée de Rubens. Elles sont de nature très diverse. En politique, le Résident devait surtout s'appliquer à défendre son maître contre l'opinion assez défavorable qui régnait contre celui-ci à la cour de Rome. Le récit que fait Arrigoni de la première audience qu'il eut du Pape est tout-à-fait typique (1).

“... Je baisai les pieds de Sa Sainteté afin de la remercier des grâces spirituelles obtenues par Monseigneur de Mantoue pour l'entière tranquillité de la conscience de V. A. Sur quoi le Saint Père me dit qu'il exauce volontiers les prières de V. A. mais qu'il la prie d'avoir bien l'oeil sur les perfidies des juifs, lesquels, au moyen des intérêts, s'insinuent dans les bonnes grâces du Maître et font leur fortune par la ruine des peuples chrétiens, au grand mépris des sacrés canons et des lois divines. J'opposai à ces paroles le souci qu'en avait eu V. A., en réduisant le taux des intérêts de 25 à 15 et à 17 1/2 pour cent. J'exaltai ce que V. A. avait fait à cet égard et j'affirmai à S. S. qu'elle pouvait être certaine que quand il s'agit du service de Dieu et du bien-être du peuple, V. A. ne manque jamais de s'y employer avec le zèle et la piété chrétienne que doit y mettre un bon souverain et que doit le désirer S. A. Je finis là mon discours.„

Après avoir raccommodé le duc de Mantoue avec le Pape à propos des juifs, dont le Duc s'était fait le protecteur parce qu'ils étaient pour lui une précieuse ressource financière, Lelio Arrigoni s'occupe de commandes de peinture et d'acquisitions d'oeuvres artistiques pour compte de Vincent de [36] Gonzague. “A peine arrivé à Rome, écrit-il le 24 mars, j'ai demandé à voir un certain Pietro Facchetti et je lui fis part du désir de V. A. d'acheter des tableaux rares, dus à des artistes de premier ordre et surtout d'artistes anciens (et massime d'homini antichi). Le 7 avril, il annonce que Facchetti a deux tableaux en vue: l'un d'eux est de la main de Raphaël et a été donné par lui à la confrérie des peintres: “c'est la plus belle chose qui soit à Rome et, par conséquent, en toute l'Europe.„ Quelques jours après, il annonce qu'il a fait l'acquisition d'un tableau de maître inconnu (Lettre du 24 avril). Les lettres suivantes du 3, 12 et 26 mai, se rapportent au tableau de Raphaël, qui a un défaut, que M. Pietro Facchetti pourra probablement corriger. Mais l'acquisition du tableau souffrira des difficultés, les peintres sont irrités et s'opposent à ce qu'il sorte de Rome. Le 19 mai, Arrigoni écrit qu'il a reçu un certain Africano Fabio qui propose au Duc un moyen de faire de l'or. “Nos alchimistes, écrit-il quelques jours plus tard (29 mai), ont certainement fait leurs preuves dans la maison de M. Giulio Capilupi, et Monseigneur le cardinal Montalto est prêt à acheter le secret si l'opération réussit pour lui.„ Le 14 juillet, il en parle encore: “Nos alchimistes font grand bruit à Rome et tous ceux qui veulent devenir riches s'adressent à eux. Ainsi, le duc de Sessa voudrait bien les envoyer en Espagne, mais ils se défient et refusent.„ Il résulte d'autres lettres de Lelio, qu'il avait été chargé d'acheter quelques petits tableaux que le Duc voulait emporter avec lui en Allemagne. Mais les propriétaires n'étant pas à Rome, l'acquisition ne put se faire (Lettre du 30 juin). Plus tard, ils furent achetés par Facchetti et expédiés au Duc par voie de Bologne et de Modène (Lettres du 30 juin et du 6 juillet).

Dans une missive du 23 juin, Arrigoni parle d'un prince dont il sera question plus loin, dans une lettre de Rubens. “S. E. Don Virginio Orsino, écrit-il, a enfin été relevé de l'excommunication qu'il avait encourue pour s'être rendu en Angleterre sans l'autorisation de S. S. Le Saint Père avait été très mécontent de ce voyage et se plaignait de ce que, par la fréquentation de la reine et par les entretiens qu'il avait eus avec elle, Orsini aurait entièrement brouillé les rapports que S. S. tient avec les catholiques de ce royaume, à cause du soupçon qui en était résulté que S. E. se serait rendue là, non seulement avec la participation de S. S. mais même d'après son ordre. Enfin, à la prière du grand duc de Toscane et de Monseigneur Montalto, il a été rétabli dans les bonnes grâces du Pape.„

Ces rétroactes diplomatiques de Lelio Arrigoni, avant le post-scriptum du 14 septembre, nous fournissent la preuve de la diversité des affaires dont il [37] s'occupait pour compte du duc de Mantoue. On peut dire qu'il était l'agent général de celui-ci, un véritable ambassadeur. Sa nomination au poste de résident avait été signifiée à chacun des cardinaux en particulier et à tous les hauts fonctionnaires de la cour de Rome. Plus de 50 lettres de réponse à ses lettres de créance, conservées dans le dossier, en font foi. Or, comment se fait-il que lui, qui écrit plusieurs fois par mois, qui raconte tant de nouvelles de Rome, qui traite tant d'affaires, depuis la politique jusqu'à l'alchimie, ne parle ni de l'arrivée de Rubens à Rome, ni de ses travaux, et que seulement deux mois après, il en dise deux mots pour dire tout simplement que le peintre a passé à la caisse? Il nous semble que ce silence confirme la conjecture que nous avons émise plus haut. Rubens a été envoyé à Rome, pour une mission spéciale dont des travaux de peinture ne sont que le prétexte, il n'a pas été accrédité auprès du Résident; celui-ci même ne paraît pas avoir été prévenu de son arrivée; il lui a été enjoint seulement de le payer. Il y a là, évidemment, quelque chose de tout à fait particulier, disons même d'étrange.

Ajoutons qu'il existe dans l'Archivio Gonzaga le dossier d'un autre résident du Duc à Rome, d'un certain Giulio Cesare Foresti, dont la correspondance avec Chieppio donne de nombreux détails sur des acquisitions de statues et autres objets d'art. Nous l'avons parcourue: pendant toute l'année 1601, il n'y est pas dit un mot de Rubens.


[38] VII
PETRO PAULO RUBENIO FRATRI SUO S.

Prima votorum Italiam videre, et in eâ te, mi frater; altero potitus sum, alterum in spe. Quid enim? Quantillum iter MantuâPatavium? Curriculo, ut ita dicam, confici poterit, cùm anni tempus feret; sed tum id videbimus. Nos hîc ante paucos dies (decimus quintus jam labitur) advenimus; ubi interim tamdiu?

In Sequanis mensem quae nescio sera morata est
Segnities; nec sera tamen, transivimus Alpes
Nondum praeclusas, niveo nondum aggere septas;
Sed faciles, nullóque morantes objice gressum.

Nam ad te, quidquid in buccam. Venetias sub Natalem Domini cogitamus, sed ad duos aut tres dumtaxat dies; quippe in Bacchanalibus eódem redituri, nisi frigus et gelu obstiterint, quod nunc adeò vehemens et acre in his locis, ut Venetiae velut in solido sitae non nisi per glaciem, si quidem satis ea firma, adiri possint, quod ante duodecim item annos accidisse narrant. Quid tibi de hac urbe videatur, ceterisque Italiae quas lustrasti jam plurimas, ut volupe sit ex te audire: de Româ inprimis, quae brevi tibi deserenda, si Princeps Mantuanus, quod spero, salvus domum redit. O rem malè ad Canisiam gestam! Felicem verò te, qui procul abfuisti, et occasione istâ eundi Romam usus es. Quid Pourbio quaeso factum?

... superéstne et vescitur aurâ
Aethereâ?

Post discessum nihil à matre, nec potuit; quò enim misisset? Spero valere et sustentare sedulò. Tu fac idem, mi carissime frater, et longiores litteras magisque serias exspecta, cùm ubi sis cognôro.

Patavii, Idib. Decemb. MDCI.

S. Asterii Episcopi Homiliae, etc. P. 245.


[39] TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A SON FRÈRE PIERRE-PAUL.

Mes premiers voeux étaient de voir l'Italie, puis de vous y voir, mon cher frère; j'en ai accompli un, j'espère accomplir l'autre. Que faut-il pour cela? Ce petit voyage de Mantoue à Padoue? Il peut pour ainsi dire, se faire d'une traite; quand la saison le permettra, nous y songerons. Nous sommes arrivés ici, il y a quinze jours. Avant cela, où sommes nous restés si longtemps?

Paris, pendant un mois, retint notre paresse,
Puis, sans plus de retard, aux Alpes nous courons;
Devant nous, point de mur de neige qui se dresse,
La route est libre encor; sans peine, nous passons.

Je vous écris ce qui se présente sous ma plume.

Nous pensons aller à Venise à la Noël, mais pour deux ou trois jours seulement, car nous comptons y retourner au carnaval, si le froid et la gelée ne nous en empêchent. Dans ce moment, la saison est en cette contrée tellement âpre et rude, que Venise semble être en terre ferme et qu'on pourrait y arriver sur la glace, si celle-ci devient assez solide, comme cela eut lieu, dit-on, il y a douze ans. Que je voudrais entendre de vous-même ce qu'il vous semble de cette ville et des autres villes d'Italie, que vous avez parcourues pour la plupart; ce qu'il vous semble surtout de Rome, que vous serez obligé de quitter bientôt si, comme je l'espère, le duc de Mantoue revient chez lui sain et sauf. O comme cette affaire de Canischa a été mal conduite! Vous êtes heureux d'avoir été loin de là et d'avoir profité de cette occasion pour aller à Rome. Qu'est-il advenu de Pourbus?

... existe-t-il? Respire-t-il encore?

Depuis mon départ, je n'ai rien reçu de notre mère. Elle n'a pu m'écrire; où aurait-elle adressé sa lettre? J'espère que sa santé se soutient. Portez-vous bien, mon très cher frère, et attendez de moi une lettre plus longue et plus intéressante quand je saurai où vous êtes.

Padoue, 13 décembre 1601.

COMMENTAIRE.

Pierre-Paul se trouvait à Rome depuis le mois d'août: c'est là qu'il [40] reçut cette nouvelle lettre de son frère Philippe. Celui-ci était arrivé, avec le jeune Guillaume Richardot, à Padoue, à la fin de novembre 1601.

Il ressort de cette lettre que Pierre-Paul, à ce moment-là, avait déjà parcouru la plupart des villes d'Italie: il faut donc croire qu'avant d'être envoyé à Rome, il avait été chargé d'autres missions. Nous avons quelque indice sur un séjour qu'il aurait fait à Padoue; mais nous croyons qu'il a eu lieu un peu plus tard, après son retour de Rome.

Nous avons vu qu'après avoir expédié son peintre au Cardinal Montalto, le Duc annonçait son départ pour Gratz et la guerre en Croatie. Le fait auquel Philippe Rubens fait allusion dans sa lettre, est un des plus tristes épisodes de cette folle équipée.

Canise ou Canischa est une ville forte de Hongrie, sur la frontière de la Styrie, qui avait été prise l'année précédente par les Turcs, ou plutôt qui leur avait été livrée par le Capitaine Paradisio. L'Empereur Rodolphe II résolut de tenter un effort pour chasser les Turcs de leurs conquêtes et arrêter leur marche inquiétante. Il invita Vincent de Gonzague, Jean de Médicis et d'autres à venir se joindre à lui. Vincent hésite; son peuple n'est pas disposé en faveur de cette guerre. Mais la vieille amitié qui le lie à l'Empereur le détermine: il rassemble de l'argent et des troupes, puis se rend en Styrie. Là des discussions s'élèvent entre les Allemands impériaux et les Italiens: ceux-ci, bien armés et bien équipés, faisaient envie à leurs alliés; de malheureux débats éclatent entre les chefs, le général de l'empire veut avoir une autorité absolue, il se refuse à communiquer ses projets aux princes italiens. Vincent essaie de rétablir l'union et n'y parvient pas. C'est dans ces tristes conditions que l'on entreprend le siège de Canischa: mais l'imprévoyance des Allemands, qui n'avaient soigné ni pour les vivres ni pour les fourrages, un hiver cruel, des neiges extraordinaires, les divisions intestines, tout vient attaquer à la fois l'armée impériale, qui se dissipe avec de terribles pertes. Vincent parvient à ramener ses troupes fortement décimées et regagne Mantoue sain et sauf.

Le passage de la lettre où Philippe Rubens félicite son frère d'avoir été absent de Mantoue pendant l'expédition et d'avoir profité de cette occasion pour aller à Rome, ce passage pourrait être entendu en ce sens que Pierre-Paul aurait provoqué sa mission dans la grande ville. Nous n'avons pas de données pour l'interpréter exactement. La mention de Pourbus est également intéressante. N'y pourrait-on pas voir une pointe ironique? On ne trouve pas de trace d'amitié entre les deux enfants d'Anvers, pensionnaires du duc de Mantoue.


[41] VIII
LELIO ARRIGONI AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Mto Illre Sigre et mio Sre ossmo

... Questi di passati fui ricercato da quel Gentilho che qui risiede per servizio del Smo Arciduca Alberto a voler far sapere a S. A. che l'Arciduca suo Sige havria ricevuto per gran servitio quando ella si fosse compiaciuta ch'l suo Pittore fiamengo gli potesse far un quadro da mettere in Santa Croce di Gierusalemme, hora ne do parte a V. S. acciò ella possa far l'ufficio con S. A. et significarli insieme che per questo conto gli non sara necessitato fermarsi in Roma più d'un 15 o 20 giorni...

Di Roma il di 12 di Geno 1602.Di V. S. Mto Illre Svisceratissmo et cordialmo serre

Lelio Arrigoni.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. L'adresse manque. Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts. XX. 416. Texte italien inédit.


TRADUCTION.
LELIO ARRIGONI A ANNIBAL CHIEPPIO.

Ces jours passés, le Gentilhomme qui réside ici pour les affaires du Sérénissime Archiduc Albert m'a demandé de faire savoir à S. A. qu'Elle rendrait un grand service à l'Archiduc son maître, si Elle daignait permettre à son peintre flamand d'exécuter pour lui un tableau destiné à l'église de Sainte Croix de Jérusalem. Je vous communique cette requête afin que vous puissiez en faire le devoir à S. A. et la prévenir en même temps que pour ce travail le peintre ne devra pas rester à Rome plus de quinze à vingt jours.

Rome, le 12 janvier 1602.Votre affectionné serviteur,

Lelio Arrigoni.


[42] COMMENTAIRE.

Dans la première partie de cette lettre d'Arrigoni, dont nous ne donnons qu'un fragment, il est question d'un achat de statues que le Duc avait fait depuis longtemps et qui donna lieu à un procès à la suite duquel furent incarcérés un certain Belhomo et son notaire. Les statues furent envoyées à Mantoue.

Quant au passage qui concerne Rubens, il nous semble prouver de nouveau que Lelio Arrigoni n'avait guères de rapports avec “le peintre flamand„ du Duc. Les seuls devoirs envers lui consistaient à lui payer ses gages. Pendant les premiers mois de l'année 1602, il écrit plusieurs fois à Mantoue, sans dire un mot du peintre, jusqu'au 20 avril.

Il est vrai qu'il eut, pendant ce temps, d'autres préoccupations.

Le dimanche avant le 16 janvier était arrivé à Rome M. Carlo di Rossi, un des dignitaires de la cour de Mantoue, accompagnant Cesare et Don Giovanni Ottavio Gonzaga, parents du Duc. Il repartit au commencement de février pour Mantoue.

Don Giovanni Ottavio se livrait à Rome à la débauche la plus effrénée, contractant des dettes, causant un scandale intolérable, surtout depuis le départ de Rossi, au point que Lelio en écrivit sérieusement à Mantoue et demanda le rappel du jeune homme. Les détails qu'il en rapporte dans ses relations sont de nature à donner la plus triste idée des moeurs de ce Gonzague et l'on aime à croire qu'il s'y mèle un peu d'exagération. Heureusement pour la tranquillité du résident, Don Giovanni quitta Rome le 16 mars, ce que Lelio s'empresse d'écrire à Chieppio.

Rubens doit avoir connu ce jeune prince, il y a donc quelque intérêt à rappeler ici ses faits et gestes qu'Arrigoni, par métaphrase, qualifiait de “vertus héroïques„. Il était fils d'Ottavio Gonzaga, comte de Guastalla et cousin du duc Vincent. Plus tard, il devint un bon soldat, entra au service de l'Espagne et fit, dans les Pays-Bas, la guerre contre la France (1).


[43] IX
JEAN RICHARDOT AU DUC DE MANTOUE.

Sermo Signore

Se bene sara importunita la mia di fastidire a V. A. con questa lettera, nientedimeno io spero mi darà licenza che gli faccia intendere brevemente, come havendo ordine dal Arciduca Alberto, mio Sigre, di restaurare una cappella di Sta Helena nella chiesa Sta Croce in Hierusalem, che fu titolo di S. A. nel tempo del cardinalato, feci diligentia di ricercare un giovane pittore fiamengho Pietro Paulo, ch'ha nome d'esser valent'huomo nel l'arte sua, serre di V. A., et col beneplacito del Sigr Lelio Arrigoni, suo ambasciatore in questa corte, mi lasciò finito di mano sua un quadro grande per detta cappella, il quale però deve essere accompagnato d'altri duo piccoli, o altrimente restaria del tutto l'opera imperfetta et priva dell'ornamento suo, ma essendo richiamato esso Pietro Paulo di V. A. non potria finirli senza licenza espressa sua, di che io ne prego humilisste V. A. come si possa pero fare senza ritardare il servitio suo, et credo bene che cosi poco tempo non pregiudicarà niente alle grande et magnifiche opere che mi dice ha comminciato V. A. in Mantoa, et haverà anco parte in questa devotione dell'Arciduca, mio patrone, dove io pregarò et in ogni altro luogo, nostro Sre Iddio concedi a V. A. tutto il bene et prosperità che Lei desidera. Da Roma a di 26 Gennaro 1602.

Di V. A. Serma
Hummo et devotmo Serre
,

Gio. Ricciardotto.


Original à l'Archivio Gonzaga. Le feuillet de l'adresse manque. Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XX. P. 417. Texte italien inédit.


[44] TRADUCTION.

Prince Sérénissime,

Ce sera sans doute une importunité de ma part que de tomber à charge à V. A. par cette lettre; néanmoins V. A. me permettra, je l'espère, de lui exposer brièvement qu'ayant reçu de mon maître, l'archiduc Albert, l'ordre de restaurer la chapelle de Ste Hélène dans l'église de Ste Croix en Jérusalem, église dont l'Archiduc portait le titre au temps de son cardinalat, j'ai fait diligence de m'adresser à un jeune peintre flamand nommé Pierre-Paul, qui a la réputation d'être un homme de mérite dans son art. Il est au service de V. A. et, avec la permission de son ambassadeur en cette cour, M. Lelio Arrigoni, il m'a livré, terminé de sa main, un grand tableau pour cette chapelle, tableau qui doit être accompagné de deux autres plus petits, sans lesquels l'oeuvre serait imparfaite et privée de sa parure. Mais V. A. vient de rappeler Pierre-Paul, qui ne pourra donc achever son travail, sans une permission expresse de V. A. Je la supplie donc humblement de faire tout ce qu'Elle pourra sans que son service en souffre.

Le peu de temps qu'il lui faut encore ne préjudiciera aucunement, je le crois, aux oeuvres considérables et magnifiques que V. A. a commencées, dit-on, à Mantoue; Elle prendra sa part aussi à cet acte de dévotion de l'Archiduc, mon maître. En cette chapelle et en tout autre lieu je prierai Notre Seigneur de concéder à V. A. tout le bonheur et la prospérité qu'Elle désire. De Rome, le 26 janvier 1602.

De V. A. Sérénissime
Le très humble et très obéissant serviteur,

Jean Richardot.


COMMENTAIRE.

Nous avons vu, par la lettre de l'archiduc Albert, du 8 juin 1601, à Jean Richardot, que celui-ci avait été autorisé à faire exécuter le tableau d'autel pour la chapelle de Ste Hélène, moyennant le prix de cent ou deux cents écus.

En comparant cette lettre avec celle du 13 décembre 1601, de Philippe Rubens, il semblerait que le voyage à Rome est dû aux instances de [45] Pierre-Paul dans le but d'y aller exécuter l'oeuvre de la chapelle de Ste Hélène et que, dès le mois de juin, il s'était entendu avec Jean Richardot. Mais l'ordre direct, reçu deux mois après du Duc, doit faire abandonner cette conjecture.

Des deux lettres de Jean Richardot il ressort que ce n'est pas l'archiduc Albert qui a commandé le tableau à Rubens; l'Archiduc ne connaissait probablement pas le jeune peintre, pas même de nom. C'est bien Jean Richardot qui, en vertu de l'autorisation générale qu'il avait obtenue, a désigné Pierre-Paul et s'est directement engagé avec celui-ci. C'est à lui que revient l'honneur d'avoir, en quelque sorte, produit le peintre en lui commandant cette oeuvre destinée à une église de la capitale du monde catholique. L'Archiduc s'est borné à la payer.

Le grand dépôt des archives de l'État, à Bruxelles, possède la correspondance de la cour de Bruxelles avec son agent à Rome. Nous l'avons parcourue avec soin et nous n'y avons trouvé, relativement à l'affaire de la chapelle de Ste Hélène, que les deux passages publiés plus haut. Nulle part le nom de Rubens n'est prononcé. Cela ne doit pas nous étonner. D'abord la correspondance a des lacunes; ainsi, nous n'y trouvons pas la lettre à laquelle répond l'Archiduc le 8 juin, ni bien d'autres, et puis nous avons à faire à un homme d'une nature tout exceptionnelle, peu sympathique en somme. Jean Richardot écrit souvent, mais ses lettres ne sont que des courriers de la haute politique. Du 12 octobre 1600 au 21 juin 1603, nous avons une bonne centaine de missives aux Archiducs, à leur secrétaire Prats, à Jean Richardot, le président du conseil privé, son père, etc. A part quelques-unes qui se rapportent à des affaires ecclésiastiques, la grande majorité des lettres se composent de nouvelles des évènements, de considérations sur les projets, les actes, les évolutions des cabinets européens, et surtout de plaintes personnelles au sujet de l'exiguité de ses ressources, de la modestie de son titre de résident, etc. Jamais rien des sciences, des arts, de l'anecdote, jamais même rien du coeur: sa préoccupation constante c'est de faire le courtisan, de montrer du zèle pour servir en particulier l'Archiduchesse dans ses petites requêtes pieuses, et surtout, mais surtout, de travailler à l'élévation de sa famille en commençant par lui-même.

Il avait alors vingt huit ans, jouissait de riches bénéfices et, quoique n'étant encore que diacre, il aspire déjà à obtenir un évêché; il presse son père pour qu'il fasse les démarches les plus actives et, enfin, il est nommé évêque d'Arras.

[46] Dans les lettres d'un tel homme, l'absence du nom même de Rubens s'explique.

Au milieu des missives officielles se sont fourvoyées deux ou trois lettres de Guillaume et d'Antoine Richardot à leur père, lettres probablement communiquées par celui-ci à l'Archiduc et restées dans le dossier. Ces deux jeunes gens ressemblent beaucoup à leur aîné: ainsi, Guillaume, dans aucune de ses deux lettres, ne dit un mot de son compagnon Philippe Rubens. Ce sont des gentilshommes très fiers, en leur qualité de fils d'un parvenu.

Malgré la hauteur de ses manières, Jean Richardot doit avoir eu quelque affection pour Pierre-Paul; sa lettre du 26 janvier, comme la démarche faite auprès de Lelio Arrigoni en fournissent la preuve. Nous n'avons pas trouvé de traces de la continuation de ces bons rapports. Rubens quitta Rome après l'achèvement de son travail, vers le mois d'avril; Richardot y resta encore jusques vers le 25 juin 1603, date à laquelle on le rappela pour aller prendre possession de son siège épiscopal. Il est fort probable qu'ils ne se sont plus revus.

Pierre-Paul exécuta donc l'oeuvre capitale destinée à l'église de Santa Croce in Gerusalemme. Elle se compose de trois pièces. Baglione (1), le plus ancien des biographes de Rubens, la décrit en ces termes: Il lui fut donné d'exécuter des peintures à l'église de Ste Croix en Jerusalem, dans la partie inférieure de la chapelle de Ste Hélène, mère du grand Constantin, chapelle qui avait été restaurée par ordre du cardinal archiduc Albert d'Autriche. A l'autel principal il représenta Ste Hélène embrassant la croix du Rédempteur. La sainte est dans une attitude pleine de dévotion; elle est entourée d'enfants qui folâtrent. C'est une peinture à l'huile qui a de la perspective et a été traitée con amore.

“Sur un autel à main droite, il a retracé le Sauveur que l'on couronne d'épines. Les divers personnages qui l'entourent sont peints dans un ton très [47] obscur, pour imiter la nuit. Sur l'autre autel, à main gauche, on voit le crucifiement: les bourreaux qui s'efforcent d'élever la croix sont de très bonnes figures. Le Christ est également très beau; les Maries et la Sainte Vierge évanouie sont très gracieuses. C'est une peinture à l'huile, très vigoureuse et de bon goût.„

Ces tableaux n'existent plus à la place qu'ils ont occupée et leur destinée fut assez étrange.

Ayant souffert, sans doute, des suites d'une mauvaise exposition, le tableau du milieu fut retiré d'abord, au milieu du XVIIIe siècle, de l'obscure chapelle de Ste Hélène et transporté dans la bibliothèque des Cisterciens desservant l'église. En 1811, les trois tableaux se trouvaient en Angleterre, d'où ils passèrent en Allemagne et finalement furent acquis par un riche industriel de Grasse (Alpes-maritimes), en France, qui les légua en 1827 à l'hôpital de cette petite ville, où ils sont encore aujourd'hui.

En dehors des trois tableaux de l'église de Santa Croce, quelles sont les oeuvres exécutées par Pierre-Paul pendant son premier séjour à Rome? Encore une fois, nous n'avons pas de données précises pour répondre à la question. Sans doute, avec tous les historiens du peintre, on peut affirmer qu'il a passé de nombreux jours à étudier les restes antiques et les oeuvres des artistes de la Renaissance. En défalquant ces jours d'étude et de méditation des sept mois qu'a duré cette résidence, on doit dire que la prodigieuse facilité du peintre s'est déjà révélée à cette époque: quelques copies pour le duc de Mantoue et trois grandes toiles d'histoire forment un contingent de travail que peu d'artistes eussent pu accomplir en si peu de temps.

Il y a un certain intérêt aussi à connaître les relations qu'il a pu se former dans cette ville qui n'avait pas cessé d'être le centre principal des arts, des lettres, voire de la politique. Sans doute, nous ne pouvons guère espérer de recueillir sur le jeune peintre, encore perdu dans la foule, des témoignages de l'attention qu'il aurait attirée sur lui ou des éloges de ses premières oeuvres, mais ce que nous serions au moins en droit de trouver, ce sont quelques mentions de lui, de ses travaux, de ses amitiés, dans les correspondances de ses compatriotes, de ceux-là même qu'il doit avoir connus.

Nous avons déjà fait la remarque du silence observé à son égard par les Richardot qui, pourtant, lui ont été favorables. Pendant tout son séjour à Rome, il y avait là Jean et Antoine: dans aucune des missives qui nous restent d'eux le nom de Rubens n'est prononcé. Plusieurs autres belges y résident, d'autres voyagent en Italie. Juste Lipse, l'ami de Philippe Rubens, [48] leur adresse des lettres; jamais il n'y est question du peintre: il pouvait, ce semble, parler de lui à ses élèves François Oranus ou d'Heure, un liégeois, à Della Faille, à Jean Baptiste Perez de Baron, des anversois, des amis de la famille et surtout à Jean De Hemelaer, le condisciple de Philippe Rubens. De Hemelaer était un excellent antiquaire et un savant numismate; il n'y a point de doute qu'il ne se soit lié étroitement à Rome avec le jeune peintre qui, comme on sait, cultivait les mêmes coins de la science.

Erycius Puteanus, qui fut pendant longtemps l'intime ami de Philippe Rubens, vécut quatre années en Italie en même temps que Pierre-Paul; dans sa volumineuse correspondance on voit, à la même époque, des lettres adressées à Rome à diverses personnes entr'autres à Florent Laurin, de Bruges. Encore une fois, on n'y rencontre aucune mention du peintre.

Jean Richardot, dans sa missive, parle des oeuvres considérables que le Duc a commencées à Mantoue et auxquelles devait travailler Rubens. Quelles sont ces oeuvres?

Malgré nos investigations minutieuses, après M. Baschet, nous n'avons rien découvert sur ce point dans l'Archivio Gonzaga, qui ne possède plus, malheureusement, ni les diaires de la Cour, ni les registres des dépenses domestiques, dans lesquels on eût probablement trouvé quelques détails. Nous avons interrogé les murs du vaste palais tout couverts de peintures, ceux de l'église de Saint André et d'autres monuments décorés sous le règne de Vincent; nulle part on ne découvre une page que l'on pourrait attribuer à Rubens. Sauf le tableau de la Trinité et les tableaux exécutés pour l'église des Jésuites, oeuvre dont il sera question plus loin, nous ne connaissons officiellement aucune composition due à son pinceau pendant son séjour à Mantoue. Baglione se contente de dire, en passant, qu'à Mantoue, Rubens exécuta diverses oeuvres, et peignit, particulièrement, quelques très beaux portraits. Nous traiterons de ce sujet dans un aperçu général sur la cour de Vincent et de ceux qui y étaient attachés.


[49] X
LELIO ARRIGONI AD A. CHIEPPIO.

Moto Illre Sigre et mio Sigre Ossmo

Saro in pratica per trovar giovani valenthi che servino S. A. della quantita de quadri che vengono desiderati da lei, et procurarô che le copie siano cavate d'originali di grido et di fama, et che la spesa di esse non ecceda la somma delli 15 fin alli 18 ducati che V. S. mi scrive. Ma per compito servitio di S. A. crederei che fosse bene, ch'ella intendesse dal Pittor suo fiamengo ciò che di bello et di raro egli ha visto qui, et che poi commandasse a me che le facessi havere copia delle tali et tali pitture, coll'accennarmi anco i luoghi dove si trovano, perche in tal caso saprei d'havere ad affrontare il gusto di Se' A. et di non dover errare in cosa che mi facessi fare. Se parerà à V. S. che questo mio pensiero habbia proposito la mi favorira di significarlo a S. A. et d'ordinar poi a me quanto deverò eseguire. Se'l Sigr Don Gio. Ottavio pigliara altra strada che quella di Roma sara ottima cosa per lui, atteso ch'in queste parti per parer mio egli non e per far bene. Crederei che fossi di servitio suo che quanto prima si vendessero i cavalli et il cocchio che qui gli stanno su la spesa, et che del ritratto si pagassero i creditori. Et a V. S. bacio le mani. Di Roma, il di 20 d'Aprile 1602.

Di V. S. Mto Illre
Svisceratismo et obligmo servre

Lelio Arrigoni.

Al Mto Illre Sre mio Ossmo il Sr Annibale Chieppio Consre di S. A. Sma

Original à l'Archivio Gonzaga. Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts. XX, p. 418. Texte italien inédit.


[50] TRADUCTION.
LELIO ARRIGONI A ANNIBAL CHIEPPIO.

Je ferai en sorte de trouver des jeunes gens de talent qui fourniront à S. A. telle quantité de tableaux qu'Elle en désirera; je veillerai à ce que les copies soient faites d'après des oeuvres originales de grand renom et à ce que la dépense n'excède pas la somme de 15 à 18 ducats que vous m'assignez à cet effet. Mais pour le parfait service de S. A. il serait bon, je crois, qu'Elle apprît de son peintre flamand ce qu'il a vu ici de beau et d'exquis, et qu'Elle me recommandât ensuite de faire exécuter des copies de tels ou tels tableaux, en m'indiquant en outre en quels endroits ils se trouvent. Car je serais sûr, en ce cas, de me conformer au goût de S. A. et de ne pas commettre des erreurs dans les ordres qu'Elle me donne. Si vous êtes d'avis que mon idée puisse être admise, je vous prie de la soumettre à S. A. et de m'ordonner ensuite tout ce que je dois exécuter. Si don Giovanni Ottavio prenait une autre voie que celle de Rome, ce serait une très bonne chose pour lui, attendu qu'ici, selon moi, il ne fera rien de bon. Ce qui ferait, je crois, son affaire, c'est que l'on vendît au plus tôt les chevaux et le carrosse qui nous coûtent ici de l'argent et qu'avec leur produit on payât les créanciers. Je vous baise les mains. De Rome, le 20 avril 1602.

Votre affectionné serviteur

Lelio Arrigoni.


COMMENTAIRE.

Après avoir achevé les troix tableaux destinés à l'église de Santa Croce, le jeune Rubens dut revenir à son poste à Mantoue. Cette lettre d'Arrigoni nous fait connaître approximativement la date du retour de l'artiste et la fin de son premier séjour à Rome. Elle nous apprend, en outre, en quelle estime Arrigoni tenait l'opinion du jeune peintre, puisqu'il conseille au Duc de s'en rapporter au goût de Rubens pour l'indication des oeuvres à copier à Rome. Nous ignorons jusqu'à quel point ce conseil fut suivi, car, après cette lettre, le silence se fait dans les archives des Gonzague. De cette lettre il nous semble ressortir encore que le Duc avait insisté pour faire revenir à Mantoue le peintre qu'il avait envoyé à Rome à l'effet d'y copier des tableaux. Il doit [51] avoir écrit à Lelio Arrigoni de lui chercher “des jeunes gens de talent„, qui pussent faire les copies dont il a besoin. Pourquoi ce rappel de Pierre-Paul? A quelles occupations s'est-il livré ensuite à Mantoue? Nous l'avons déjà dit à propos de la lettre précédente: nous en sommes réduits à de vagues indications et à des conjectures.


XI
JOANNI WOVERIOANTVERPIENSI S. P. PHILIPPUS RUBENIUS.

Gaude, mi Woveri. Videbimus nos, si quà fata sinant, intra paucos dies. Bononiam enim cogitamus, & ante Veronam, ut scilicet inde simul Mantuam. Nam ita decrevisse te scribis, & etiamsi non decreveris, aut mutaris, facilè tamen impetraturum me confido. Vix enim existimo, nos praeterhac adeò citò jungendos. O si Bononiae aliquamdiu licuisset, & in eodem rursus contubernio! Sed haec vota, quippe nimis magna et paenè improba

Caurusque Notusque
Irrita per terras et freta summa ferunt.

Quare saltem hanc, quae datur, occasionem arripiamus, et duorum aut trium dierum usurâ fruamur. Quos ego quidem vivaci semper memoriâ et velut ex aequo cum illo die colam, qui mihi vitae hujus auspex. Eam mihi voluptatem, adeò solidum animi gaudium et conspectus tuus et suavissimi sermones pollicentur. Quàm cupidè tua de Hispanià, de Italià judicia auscultabo! Quàm avidis hauriam auribus tot varios itinerum casus,

Totque maris vastoeque exhausta pericula terrae! (1)

Nam a nobis quidem quòd multum exspectes, caussa nulla est. In limine etiamnum haeremus, nec diù, cùm in patriâ adhuc et [52] larem apud familiarem. Plura cupiebam, sed impediunt interventores; et, ut quid? Brevi coràm, id est, post octo plus minus dies. Vale igitur, mi amicissime, et prorsus cari fratris amate vicem. Patavii, VI Kal. Quinctil. 1602.


S. Asterii Homilioe, p. 252.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A JEAN VAN DEN WOUWERE D'ANVERS.

Réjouissez-vous, mon cher Van den Wouwere: dans peu de jours, si nos destins le permettent, nous allons nous voir. En effet, nous comptons nous rendre à Bologne, mais auparavant nous irons à Vérone, afin que nous puissions aller ensemble de là à Mantoue. Comme vous me l'avez écrit, c'est votre décision: et même si vous ne l'aviez pas décidé ou si vous aviez changé d'idée, je suis certain de l'avoir aisément obtenu de vous, car, plus tard, il ne sera pas facile, je crois, de nous ménager de sitôt une entrevue. Oh! si elle pouvait durer pendant quelque temps à Bologne, et sous le même toit! Mais mes voeux sont excessifs, presque déraisonnables, et

livrés aux vents des Cieux,
Inutiles jouets, vont se perdre en tous lieux.

C'est pourquoi nous saisirons du moins cette occasion qui s'offre et nous en jouirons avec usure pendant trois ou quatre jours: quant à moi, j'en garderai le souvenir, je les fêterai à l'égal du jour ou j'ai commencé ma vie. Vous voir, entendre vos chères paroles, c'est la joie, c'est le plaisir complet de l'esprit qui me sont promis. Comme je brûle de connaître votre jugement sur l'Espagne et l'Italie! Avec quelle avidité j'écouterai le récit de vos nombreux incidents de voyage, car vous devez avoir

Epuisé les périls de la terre et de l'onde!

Mais pour vous il n'y a aucune raison d'attendre de nous de grandes nouvelles. Jusqu'à présent, nous sommes arrêtés sur le seuil, mais pas pour longtemps, puisque nous sommes encore dans la patrie et auprès d'un foyer familial. Je désirais vous écrire davantage, mais j'en suis empêché par des gens qui me surviennent. A quoi bon d'ailleurs? Dans peu, c'est à dire dans [53] une huitaine environ, je dirai tout à vous-même. Donc, mon ami, portez-vous bien et accueillez la réciprocité d'affection de mon cher frère. Padoue, 26 juin 1602.


COMMENTAIRE.

Le personnage auquel s'adresse cette lettre n'est pas un correspondant d'occasion, c'est un compatriote, un ami sincère et dévoué des deux Rubens. A ce titre, nous devons entrer dans quelques détails.

Jean Van den Wouwere, fils de Jean, échevin d'Anvers, seigneur de Neppes, etc., et d'Elisabeth de Bisthoven, naquit à Anvers, le 27 mai 1576. Il avait donc deux ans de moins que Philippe et un an de plus que Pierre-Paul. Il fut élevé au collège des Jésuites, sous le rectorat du père Héribert Rosweyde, et acheva ses études à Louvain, où il devint le pensionnaire de Juste Lipse, en même temps que Philippe Rubens et les fils du président Richardot, Guillaume et Antoine. C'est là que les deux compatriotes se lièrent d'une amitié dont témoigne la lettre de Philippe à Woverius datée de Louvain 23 juin 1599, après que ce dernier eût quitté la demeure de Juste Lipse, pour retourner à Anvers. D'après cette lettre, il avait alors l'intention de faire une excursion en Italie: mais il changea la direction de son voyage.

Le 10 août, Juste Lipse lui donne un de ces magnifiques testimonia, comme il en délivrait volontiers à ses élèves, et le jeune homme se rendit à Paris. Grâce aux lettres de recommandation de son maître, il y est reçu par l'historien de Thou et d'autres personnages de marque. Il s'y rencontre avec un homonyme, un parent, un lettré comme lui, avec lequel on l'a souvent confondu (1), Joannes Woverius, Woverus ou Wowerenus. Celui-ci était fils de Nicolas Wouwer ou Van den Wouwere, d'Anvers, lequel s'était retiré à Hambourg, pour cause de religion. Jean Woverus naquit en cette ville, le 10 mars 1574. S'étant adonné aux études classiques, il publia des ouvrages qui furent attribués, même par nos bibliographes, à son cousin d'Anvers. Juste Lipse l'avait connu à Hambourg; il vante son savoir, son caractère et félicite son élève de se trouver avec lui à Paris.

Après quelques mois de séjour en France, Woverius partit pour l'Espagne. Le 9 mai 1600, Juste Lipse lui adresse une lettre à Séville, par laquelle il lui demande s'il s'y livre à l'étude ou au commerce. Cinq autres lettres [54] figurent encore dans les centuries du célèbre professeur. Parmi ces épitres, il en est une particulièrement curieuse, celle du 1er octobre 1600, contenant une biographie de Juste Lipse, écrite par lui-même, évidemment pour servir au futur éditeur de ses oeuvres posthumes. Les autres contiennent des encouragements à l'étude, des nouvelles du pays ou simplement de belles phrases.

Dans l'une d'elles, du 3 novembre 1600 (1), il lui parle de Philippe Rubens. “Le reste vous sera écrit par notre cher Rubens, que j'aime, que je veux que vous aimiez comme un frère. C'est un esprit généreux, créé pour les plus grandes choses.„ Liberale ingenium est, et ad optima quoque factum.

Par la dernière lettre adressée à Séville, du 24 juillet 1601, on voit que Woverius ne cherchait pas à quitter l'Espagne où quelque chose le retenait. Juste Lipse le reprend et lui dit qu'il a reçu de Woverius père une lettre dans laquelle celui-ci exprime le désir de voir son fils se rendre en Italie.

Il quitta donc l'Espagne et il est évidemment déjà dans l'autre péninsule quand Philippe Rubens lui écrit cette lettre sans adresse que nous venons de donner. Elle est importante parce qu'elle nous permet de connaître le commencement d'une amitié et un épisode du séjour de Pierre-Paul en Italie.

Il existe une très belle gravure dont la bibliothèque royale de Bruxelles possède l'épreuve de Mariette et que M. H. Hymans (2) dit être “la plus importante des planches exécutées d'après Rubens pendant les premières années qui suivirent son retour à Anvers.„ Nous avions déjà attiré l'attention sur elle (3), nous avons même découvert un tableau dont elle est la reproduction exacte. Cette estampe, connue sous le nom de la Grande Judith, représente la belle juive de Béthulie tenant d'une main le glaive et, de l'autre, la tête d'Holopherne qu'une vieille servante va plonger dans un sac; la gravure est de Corneille Galle et M. Hymans en fixe la date probable à l'année 1610. La souscription porte: Cl. Viro D. Joanni Woverio paginam hanc auspicalem primumque suorum operum typis aeneis expressum P. P. Rubenius promissi jam olim Veronae a se facti memor Dat Dicat. Ce que l'on peut traduire: “P. P. Rubens, se souvenant d'une promesse faite jadis à Vérone, dédie à noble homme Jean Woverius cette page inaugurale représentant la première de ses oeuvres reproduites par la gravure.„ Cette entrevue de Vérone [55] est bien celle dont il est question dans la lettre et elle doit avoir lieu dans les premiers jours de juillet 1602.

La lettre nous parait avoir été écrite au nom des deux frères qui se trouvaient alors ensemble à Padoue. Nous basons cette opinion sur la dernière phrase. On ne sait trop s'il applique à lui même le terme cari fratris, en prenant ce terme dans le sens figuré comme il l'est dans la lettre de Juste Lipse citée plus haut, ou s'il faut sous-entendre mei, et croire qu'il parle là de son frère Pierre-Paul. Les deux interprétations sont admissibles, nous avons préféré la seconde, qui, selon nous, s'explique mieux par les autres circonstances de la lettre, l'entrevue à Vérone, le projet d'aller à Mantoue, etc. Philippe quittait cette ville pour se rendre à Bologne avec son jeune élève. Le 7 juillet Guillaume Richardot écrit à son père qu'il restera encore trois ou quatre jours à Padoue, puis ira à Bologne où il restera deux mois et attendra son frère le Prévôt qui doit y venir de son côté (1).

Tous devaient s'arrêter à Vérone pour y rencontrer Woverius. Après y avoir passé trois ou quatre jours, Woverius aura continué sa route vers le Nord; les Rubens et Richardot auront pris par Mantoue où le peintre avait à reprendre son service, puis Philippe et son élève se seront installés à Bologne.

Une question se présente au sujet de la souscription de l'estampe. Comment faut-il l'interpréter? Pierre-Paul a-t-il fait à son nouvel ami la promesse de lui dédier la première estampe qui serait gravée d'après l'une de ses oeuvres, ou lui a-t-il promis de faire reproduire par le burin le tableau même de Judith? La première supposition paraît difficile à accepter; la deuxième s'expliquerait mieux. On peut admettre, en effet, que Woverius a vu le tableau en passant par Mantoue, qu'il en a été satisfait au point de témoigner le désir d'en avoir une reproduction. La gravure de Galle aurait été, dans ce cas, l'exécution d'une promesse faite à Vérone au moment de la séparation. Cette conjecture s'accommode avec la tradition qui veut que le tableau de Carpentras, aujourd'hui à Nice, dont nous avons parlé dans le Bulletin-Rubens, soit une oeuvre exécutée par Rubens en Italie (2).

[56] Quoiqu'il en soit, il est constant, d'après la lettre de Philippe et la dédicace de la gravure, que le peintre et Woverius se sont rencontrés à Vérone. Woverius est parti pour la Belgique, en prenant par l'Allemagne et les Provinces-Unies. Le 27 octobre, Juste Lipse écrit à Philippe Rubens qu'il attend le voyageur et le 2 décembre, Juste Lipse adresse déjà à celui-ci une lettre à Anvers (1). Quelques mois après, Woverius épousait Marie Clarisse, fille de Roger Clarisse, de Lille, mais établi à Anvers où il devint un très riche négociant, qui se prétendait issu d'une ancienne famille chevaleresque de Picardie. Marie Clarisse était veuve de Philippe Doncker.

Presque en même temps, il publiait son premier ouvrage: Joannis Woverii Eucharisticum clarissimo et incomparabili viro Justo Lipsio scriptum. Antverpiae, ex officina Joach. Trognaesii. 1603, in 4°, 32 pp. C'est un panégyrique de son ancien maître, une composition de rhétorique qu'il dédie à son père Jean Woverius ou à son beau-père Roger Clarisse. Le 3 novembre, Juste Lipse le remercie chaleureusement de cette civilité littéraire, par une lettre qui n'est pas le comble de la modestie et renchérit encore un peu sur les éloges adressés au maître par son ancien élève. Celui-ci, du reste, avait une sincère passion pour le maître qui le lui rendait en confiance, et qui le nomma l'un de ses trois exécuteurs testamentaires, en le chargeant, lui seul, de la publication d'une centurie de lettres déjà préparée. Une seconde centurie fut publiée par les trois mandataires ensemble. Il devait publier, en outre, deux centuries de lettres adressées à Juste Lipse: ce désir ne fut pas réalisé et c'est une grande perte. Cette correspondance reçue devait être plus intéressante que celle de Juste Lipse lui-même: nous en voyons la preuve dans la nombreuse partie qui en a été publiée par Burman dans sa Sylloge epistolarum.

Nous avons déjà dit que Philippe Rubens devait être le successeur de Juste Lipse à Louvain, désigné par Juste Lipse lui-même. Celui-ci l'avait présenté aux Archiducs; Rubens en revenant d'Italie s'était établi à Louvain pour s'initier aux travaux du professorat, Woverius usait de son influence pour faire réussir le projet. Juste Lipse, déjà malade, allait sans doute donner [57] sa démission, afin de faire place à son protégé, quand tout-à-coup celui-ci changea d'idée. Dans les lettres qu'il écrivit à ce sujet à Woverius (1) on ne lit pas trop bien entre les lignes les motifs qui portèrent Philippe Rubens à sa nouvelle détermination. Toujours est-il que, tout-à-coup, il retourne à Rome et ne revient qu'après la mort de Juste Lipse. Pendant son absence, ses amis, et surtout Woverius, avaient travaillé à le faire nommer secrétaire de la ville d'Anvers.

Non content d'avoir célébré Juste Lipse de son vivant et d'avoir publié ses lettres posthumes, Woverius voulut être encore le défenseur de sa mémoire. Le professeur de Louvain avait fait verbalement à la Vierge le don de sa toge académique, garnie de fourrures: cet acte de dévotion fut interprété de diverses façons en Hollande et en Allemagne; il donna lieu à des sarcasmes très vifs de la part des protestants. Woverius prit la plume pour la défense de son maître et publia: Assertio Donarii Lipsiani adversus Gelastorum suggillationes. Ant. ex off. Plant. 1607, in 4°. C'est un plaidoyer très travaillé par lequel il semble, surtout, vouloir montrer qu'il était initié à toutes les habiletés de son maître dans l'art de ciseler du latin et de se servir de citations dans les deux langues classiques.

Une autre oeuvre du même genre est celle qu'il fit paraître deux ans après et qui a pour titre: J. Woverii Antverpiensis Panegyricus Austriae Serenissimis Archiducibus Belgicae, clementissimis, piiissimis, optimis principibus Patriae parentibus scriptus. Antv. Ex off. Plantin. apud J. Moretum, 1609. in-8°, avec une dédicace au magistrat et aux habitants d'Anvers.

Il est auteur encore d'une vie du bienheureux St Simon: Vita B. Simonis sacerdotis Valentini. Antv. Plant. 1612. in-8°.

Après la mort de Philippe Rubens, Woverius adressa à Pierre-Paul une grande composition oratoire: De Consolatione ad Petrum Paullum Rubenium liber, publiée dans le recueil posthume S. Asterii Homiliae, que nous avons analysé plus haut.

On conserve encore de lui quelques lettres inédites, adressées à Gevartius, à Puteanus, à B. Moretus, etc., à la bibliothèque royale de Bruxelles et au Musée Plantin-Moretus, à Anvers. Selon Valère André, il préparait une traduction d'un ouvrage de Jérôme Muzio.

Mais il cessa bientôt de se livrer aux lettres. Riche, considéré, intelligent, il se devait à la chose publique. En 1614, il fut échevin d'Anvers; il occupa [58] encore ce poste en 1617 et en 1619. Il se signala pendant sa magistrature en favorisant l'institution du Collegium medicum. Le 2 mars 1620, par lettres patentes des Archiducs, il est nommé conseiller et commis des domaines et finances. Quelque temps après, il est mêlé aux négociations pour le renouvellement de la trève entre l'Espagne et les Pays-Bas, négociations entamées par Jean Brant, cousin d'Isabelle, femme de Pierre-Paul Rubens, et appartenant à une branche de la famille Brant établie en Hollande; à cette occasion, Woverius est envoyé en Espagne, où Philippe IV le crée chevalier, le 8 juin 1624. Il fut donc, en quelque sorte, le prédécesseur de Pierre-Paul dans la voie diplomatique; car ce dernier prit une part active à toutes ces affaires de politique aussi délicates que difficiles, et fut chargé, comme on sait, d'aller les terminer lui-même en Espagne. Nous aurons l'occasion d'en parler plus amplement (1).

Woverius fut pendant toute sa vie un des amis les plus dévoués du peintre, bien qu'ils semblent avoir eu quelques dissentiments lors des négociations pour la paix: il ne le précéda dans la tombe que de quelques mois, le 23 septembre 1639. Il est enterré à Quenast, dont il était devenu le seigneur, et avait eu de sa femme quatre fils et une fille. Le musée de Dresde possède son portrait et celui de sa femme, de la main de Rubens (Nos 926 et 927 du catalogue).


[59] XII
PETRO-PAULLO RUBENIO FRATRI SUO S.

Fabulam narras, vel potiùs agis, mi frater. Adeò graphicè depingis, ac velut ob oculos ponis clandestinum illum et furtivum hospitis adventum; et quemadmodum ipse, detractâ homini personâ, praeclarè fraudem eam iveris ultum, quod certè mihi quàm gratissimum, et si quid aspectu mei factum, gratias ago. Gratum etiam D. Guilielmo, cui parte m eam epistolae legi, quique vel idcircô profectionem accelerabit. Tantumdem enim a te exspectat, et ego tuo nomine promitto: nec ullo timore sum, ne temerè spopondisse videar. Scio quàm religiosè [...] illum Jovem sive hospitalem colas, rectè sanè atque ex moribus aevi prisci, quo in tantâ ille veneratione. Nam publica vix ulla cùm essent hospitia, quisque ad amicos divertebant: saepe etiam ignotos: sed tum symbolo sive tesserâ, quae ad illum servabatur usum, et a parentibus ad liberos transibat, amicitiae fidem adstruebant. Sic Graeci, sic Romani; de quibus hoc praetereà Noctium Atticarum auctor, ante clientelam et cognationem illis hospitii jus fuisse, majoremque hujus quàm illarum in operâ dandâ faciundoque officio habitam rationem. Quid veterrimi sanctissimique patres, qui quò propiùs ab exordio mundi aberant, eò magis ad ejus conditorem et perfectam naturam accedebant? Quid illi fortissimi apud Homerum [...], quibus inter curas primas exercere liberalitatem in advenas, et hospitii sacra semel suscepta semper inviolata servare, etiam in ipsâ acie inter caedes et sanguinem. Quid mirum? Magnum id amicitiarum vinculum et firmamentum: [...], [...] (1).

Sed quid de his tam multa, ad te praesertim, cui potiùs fraeno quam calcaribus opus? Non alia certè caussa, quàm quòd et argu [60] mentum hoc delectaret, et aliud vix esset. Nam de meis rationibus meliùs coram. De tuis verò quid dicam, quando susceptâ jam eâ provinciâ, frustraque re non integrâ conqueramur. Cave tamen ne tempus tibi prorogetur, per mutuam hoc caritatem,

Perque tuos oculos per Geniumque rogo.

Quod ipsum tamen nescio quomodo subvereor, quòd et facilitatem tuam non ignorem, et quàm sit arduum negare Principi tum tali, tum annixè petenti. Sed animum obfirma, et aliquando te in plenam, quae ab Aulâ ferè exulat, assere libertatem. Tibi hoc licet.

Utere forte tua...

Dices actum me agere et eamdem usque cantilenam occinere. Ita est, et saepiùs idem peccabo:

Verus amor nullum novit habere modum,

et talis meus erga te, mi frater, non solum quia frater, verùm etiam. Sed nolo in os, quod aiunt, cetera ab animo tuo interroga. Tu ut aliud nihil, fraternitatem in me ama, quae quid est aliud, quam divisus, ut quidam ait, spiritus? Et vale.

Patavii, Idibus Quintil. 1602.

S. Asterii Episc. Amaseae Homiliae, etc. P. 254.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A SON FRÈRE PIERRE-PAUL.

Vous nous racontez une comédie, mon cher frère, ou plutôt vous la jouez. Vous peignez si bien d'après nature que vous nous avez mis, pour ainsi dire, devant les yeux l'arrivée clandestine et sournoise de votre hôte et fait voir comment, après avoir arraché son masque au personnage, vous aviez tiré vengeance de cette fraude. Certainement, cette description m'a été très agréable et si vous l'avez tracée pour me faire plaisir, je vous en remercie; M. Guillaume Richardot, à qui j'ai lu ce passage de votre lettre, y a également pris [61] plaisir, et même il hâtera son départ à cette occasion. Il n'en attend pas moins de vous, en effet; et je lui promets tout en votre nom, n'ayant aucune crainte d'être taxé de faire des promesses téméraires. Je sais le culte que vous professez pour Jupiter hospitalier: vous l'honorez, comme on le faisait aux temps antiques où il était si hautement vénéré. A l'époque où il n'y avait que de rares hotelleries publiques, on se logeait chez des amis, souvent même chez des inconnus; mais alors on formait avec eux un pacte d'amitié fidèle, au moyen d'un souvenir ou d'une tablette, qui servait à cet usage et se transmettait de père en fils. Ainsi en usaient les Grecs et les Romains. L'auteur des Nuits attiques dit, en outre, que le droit à l'hospitalité a existé chez eux avant le patronage et la parenté, et qu'ils considéraient comme un devoir supérieur aux autres celui de se soumettre à ce droit et de le pratiquer. Comment agissaient nos vertueux premiers pères, qui, pour avoir vécu plus près de l'origine du monde, se sont approchés davantage du Créateur et de la nature parfaite? Comment se comportaient ces vaillants héros d'Homère, qui comptaient parmi leurs premiers devoirs ceux de traiter libéralement les étrangers, de regarder comme inviolables, dès qu'ils ont été exercés une fois, les droits de l'hospitalité, et cela même en pleine guerre, au milieu du sang et du carnage? Faut-il s'en étonner? N'est-ce pas un moyen puissant d'établir et de consolider l'amitié?

L'étranger, tous les jours, se souvient volontiers
De ceux dont il reçut des soins hospitaliers.

Mais pourquoi vous en parler si longuement, à vous surtout, qui avez plus besoin de frein que d'éperon? Je n'en ai aucun motif, sinon que le sujet m'est agréable et que je n'en ai pas d'autre à traiter. Quant à mes raisons personnelles, j'aime mieux vous les dire quand nous nous verrons. Je vous parlerai des vôtres, quand nous nous plaindrons en vain de ce qu'après avoir accepté cet emploi, l'affaire n'aura pas réussi complètement. Toutefois, prenez garde que l'on ne vous prolonge votre temps; je vous en conjure par notre affection,

Par vos yeux, par votre génie,

quoique je craigne un peu, je ne sais pas pourquoi, parce que je connais votre condescendance et que je sais combien il est difficile de refuser à un tel Prince, à un Prince qui vous en supplie instamment. Mais soyez ferme, [62] et conservez votre pleine liberté dans une cour d'où elle est presque bannie. Vous en avez le droit,

Usez de votre bonne fortune.

Vous direz que je perds mon temps et que je chante toujours la même chanson. J'en conviens et je commettrai souvent encore le même péché.

L'amour vrai ne sait pas de mesure.

Et tel est mon amour pour vous, mon frère, d'abord parce que vous êtes mon frère, ensuite parce que... Ce que l'on dit, je ne veux pas le dire devant vous: pour le reste, interrogez vous vous-même. Plus que tout autre chose, aimez en moi la fraternité, qui n'est, comme quelqu'un l'a dit, qu'un esprit partagé. Au revoir.

Padoue, 15 juillet 1602.

COMMENTAIRE.

La correspondance de Philippe Rubens, publiée après sa mort, est, en général, d'une insignifiance désespérante au point de vue biographique. Les 35 lettres réunies par ses amis semblent être une suite de thêmes, composés uniquement pour faire preuve de virtuosité classique. Élève de Juste Lipse, émule d'Erycius Puteanus, il a de beaucoup surpassé son maître dans l'art de condenser une phrase et de se servir des expressions perdues dans les produits littéraires de la décadence latine, et il a égalé son condisciple en pédantisme savant.

La troisième lettre à Pierre-Paul nous apporte un nouvel exemple de cette affectation de laconisme et d'obscurité, qui est la caractéristique du style de Philippe Rubens. Quelques années plus tard, lorsque Puteanus publia son traité: De laconismo, Syntagma, Philippe s'empressa de le féliciter d'avoir écrit cette apologie de l'extrême concision du style et de dire à l'auteur qu'il s'était vaincu lui-même. La vérité est que Philippe voyait dans ce petit traité la justification de son système.

Nous avouons avoir eu une certaine difficulté à traduire la lettre dont nous nous occupons: on y remarque une réduction de mots telle que le sens de la phrase est fréquemment douteux, d'autant plus que tout le sujet est une allusion à des choses que nous ne connaissons pas. La lettre est une véritable [63] énigme, en l'absence de la lettre de Pierre-Paul à laquelle elle répond et à défaut de lumières à prendre dans les autres missives de la même époque. Néanmoins, en nous servant de ces dernières, nous allons essayer de la comprendre.

Nous avons vu que Philippe était arrivé à Padoue vers la fin de novembre 1601, muni d'un Testimonium délivré par Juste Lipse le 17 septembre; il comptait y suivre avec son élève Guillaume Richardot, quelques uns des cours de l'Université.

En passant par Milan, ils avaient fait une visite à Erycius Puteanus, qui y occupait la chaire d'éloquence à l'École palatine, ils avaient assisté à l'une de ses leçons (1), et noué connaissance avec Louis Settala, le savant médecin, Jean Baptiste Sacco, le secrétaire de la ville et d'autres amis de Juste Lipse et de Puteanus (2). A Padoue, ils étaient recommandés à l'éminent antiquaire Lorenzo Pignoria et ils rencontrèrent Nicolas Fabri de Calas, qui peu de temps après, à la mort de son père, prendra le nom de Fabri de Peiresc (3). A peine arrivé, Philippe avait envoyé à Puteanus un poème sur le Peplum, avec prière de le revoir, poème dont il sera question encore un an plus tard et qui est resté inédit (4). Richardot et Philippe Rubens assistèrent peu aux leçons; “après le nectar qu'ils ont bu chez Juste Lipse, le petit vin grossier de Padoue ne leur plaît pas (5).„ Cependant à ce moment là, l'Université comptait depuis dix ans Galilée parmi ses professeurs. Mais ce nom ne vient point sous la plume de Philippe ou de Guillaume. “En dehors de la médecine, écrit le premier à Juste Lipse, les autres sciences sont presque méprisées (6)„. Ils ne resteront pas longtemps en cette ville et aspirent à se rendre à Bologne. Le 26 juin, il en informe Jean Woverius d'Anvers, qui, d'Espagne est attendu en Italie. Mais avant cela, Philippe ira d'abord à Vérone, puis à Mantoue où il espère rencontrer son ami (7). Une mention encore de deux excursions que Philippe et Richardot ont faites à Venise au temps du carnaval: voilà tout ce que nous avons trouvé dans les diverses correspondances.

[64] Dans la lettre de Philippe à Pierre-Paul que nous venons de reproduire, il n'est pas dit un mot d'une entrevue des deux frères depuis le retour du peintre à Mantoue: la lettre répond à une lettre. Toutefois, en combinant la missive du 13 décembre 1601 avec celle du 15 juillet 1602, il est hors de doute qu'ils se sont vus et même qu'ils ont tous deux franchi plus d'une fois la petite distance qui sépare Padoue de Mantoue. Il est impossible d'admettre que, loin de leur pays, ils aient résidé à quelques lieues l'un de l'autre sans se faire de temps en temps visite.

C'est entre le mois d'avril, époque de la rentrée de Pierre-Paul à Mantoue, et le mois d'août, époque du départ de Philippe et de Guillaume Richardot pour Bologne (1), que nous croyons devoir placer un séjour de Pierre-Paul à Padoue, séjour sur lequel on a des données vagues.

Nous avons émis une conjecture relative à des rapports entre Rubens et Galilée (2).

Dans une lettre adressée à celui-ci, le 1er avril 1635, au sujet d'une horloge hydraulique, inventée par le père Linus, Peiresc annonce que M. Rubens, d'Anvers, lui assure que cette horloge marche très bien. “Du reste, ajoute-t-il, M. Rubens, qui est un grand admirateur de votre génie, me promet de se rendre à Liége, pour aller voir le père Linus et sa machine„. Et, en effet, dans sa correspondance, on trouvera des preuves de l'intérêt que prend Rubens aux découvertes du grand mathématicien, de l'attrait particulier qu'il a toujours eu pour les questions d'astronomie et de météorologie. Il s'est occupé toute sa vie d'expériences avec le télescope et le microscope et se tenait au courant des perfectionnements que l'on apportait en divers pays à ces-instruments nouveaux.

Dans son remarquable ouvrage Galileo Galilei e lo studio di Padova (3) M. Ant. Favaro, qui occupe une des chaires illustrées par le glorieux italien, accepte cette opinion comme probable et il y ajoute un fait important qui peut la corroborer. Dans les collections de la très noble famille Emo-Capo-dilista, à Padoue, on conserve un tableau de famille que, selon la tradition, Rubens aurait peint à Padoue même, pendant une résidence en cette ville. Quoiqu'il en soit, il est certain que Rubens a vu Galilée à Mantoue, ainsi que nous le verrons plus loin.

[65] Le ton de la lettre de Philippe est bien celui d'un frère qui vient de parler à son frère; mais de quelles circonstances personnelles y est-il question? Il s'agit, semble-t-il, d'un hôte qui doit être reçu par Pierre-Paul. Quel est ce personnage pour lequel on demande l'hospitalité avec un pareil luxe d'érudition classique?

Si nous comprenons cette longue énigme, il s'agit tout simplement d'une excursion de Guillaume Richardot à Mantoue et d'une prière adressée à Pierre-Paul de recevoir ce jeune homme avec tous les honneurs dûs à sa qualité de fils du Président du Conseil Privé.

Un point plus obscur de la lettre est celui qui a trait à un emploi accepté par Pierre-Paul avec trop peu de souci de son indépendance. Les documents de Mantoue ne nous fournissent aucun éclaircissement à ce sujet: il n'était probablement pas question de l'envoi de Pierre-Paul en Espagne, il semble plutôt qu'il s'agit d'un engagement à long terme d'attaché à la maison du Duc. Philippe, qui, pour se trouver à quelque distance, jugeait mieux que son frère du caractère capricieux de Vincent de Gonzague aura, sans doute, déconseillé d'accepter des fonctions qui eussent trop lié le peintre à la cour. Aujourd'hui que nous savons quelque chose des ennuis éprouvés par ce dernier pendant sa longue servitude volontaire à Mantoue, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître la perspicacité de Philippe et les bons conseils qu'il donnait à son frère.

Celui-ci les prit-il en bonne ou en mauvaise part? On ne le sait. Toujours est-il que, tout en restant les meilleurs frères du monde, on ne trouve plus de traces de correspondance entr'eux; du moins, les éditeurs des oeuvres posthumes de Philippe n'ont pas jugé à propos de publier d'autres lettres que les trois que nous avons reproduites, et nous ne connaissons aucune missive adressée par Pierre-Paul à son frère ou à sa famille pendant tout le temps de son séjour en Italie.


[66] XIII
J. LIPSIUSPHILIPPO RUBENIO SUO NUNC ET SEMPER S. D. (Romam).

Postremae tuae litterae valde gratae, quia et in iis libere te revelas (quod apud me debes) et viam aperis, quâ idem ego possim. Omitto solemnia et amica, nosti me: de re dicam. Quod deliberas de migratione in illius magnatis domum, ego ex usu censeo, nec probo solum, sed suadeo, ut rem tuam illic, sed et publicam nostram esse video, et fore divino. Nam nobis quid superest, quam [...]; Miseram Belgicam, cui asperum fatum incumbit, et mala malis addit! Audistis de Gravia obsessa (quid si nunc dedita? ita fama mussat) sed exitiale malum accessit discordia et seditio, et bona pars militum avulsi a nobis, et publico Edicto hostes judicati. In eos arma vertimus, hostis subsidiis nixos: et quis exitus, pro bonorum votis, speretur? Ego tibi dicam, mi Rubeni, [...],(1) sed dicam, convertimur et ad novam rerum faciem imus. Inter dolores et lapsus publicos, juvet tamen sapere, et recto mentis oculo arbitrari quae fiunt. Quid oporteat, videmus, quid possit etiam: sed oculi ac mentes quasi fascino illis praepediuntur, et mali coeptam viam pergunt. Viderint Principes:

...nos vilis in omnes
Prompta manus casus, domino cuicumque parati.

Me tamen excepto, qui Catones, Brutos, Senecas in animo gesto: et morti potiús, quam dedecori occumbam. Sed ad te redeo: quem [67] retinet nonnihil iste, scio, [...]: sed si examinas et te cogitas, quid erit? [...][...] (1)

Res et effectus erunt tarda. Itaque de illo Ibero ego auctor sim audendi, si tamen decora et te digna offert. Si non; me vide, adnitar et manibus pedibusque protraham, quo tua virtus et ingenium vocant. Pudor! blennos et buccones evehi, vos tales jacere, qui variis verisque eminere potestis! Vides liberam epistolam, ad matrem misi; si quid ultra est, significa, et me ut amico utere, imo (scriptum ante repeto) ut parente. Lovanii, X Kal. Oct. 1602.


Burman, Sylloges Epistol. T. II. Epist. DCCXCIX.


TRADUCTION.
JUSTE LIPSE A PHILIPPE RUBENS, son ami aujourd'hui et toujours, a Rome.

Votre dernière lettre m'a été très agréable, parce que vous m'y parlez en toute liberté, comme vous devez le faire avec moi, afin que je puisse agir de même envers vous. Je laisse les phrases de compliments et d'affection; vous me connaissez, je vais droit à la chose. Vous délibérez sur votre entrée dans la maison de ce grand seigneur: je la crois avantageuse; non seulement je vous approuve, mais je vous y engage, quand je vois votre situation là bas, en présence de ce que sont et deviendront nos affaires ici. Car, que nous reste-t-il que d'être accablés de douleur et d'insurmontables souffrances?

O Belgique malheureuse, dont le sort le plus dur augmente sans cesse les maux!

Vous avez appris le siège de Grave; que sera-ce si la ville s'est rendue, comme il en court le bruit? Ajoutez-y la discorde et la sédition, le renvoi d'une bonne partie de nos troupes, qu'un édit public a déclaré ennemis de [68] la patrie! Nous avons tourné nos armes contre eux et ils sont soutenus par les secours de nos adversaires! Quelle fin peuvent espérer les voeux que forment les bons? Je vous le dirai, mon cher Rubens, et cependant

Je ne suis ni devin ni clairvoyant augure,

je vous le dirai: nous nous transformons et nous allons vers une nouvelle face des choses. Au milieu des douleurs et des chutes publiques, il est bon cependant de savoir et de juger les événements avec les yeux de l'esprit. Nous voyons ce qu'il faudrait faire et aussi ce que l'on pourrait faire. Mais les yeux et les esprits des bons sont rendus inertes comme par un charme et les mauvais poursuivent leur voie. Les Princes verraient en nous

...un troupeau d'âmes viles
Prêtes à tous destins, à tous maîtres dociles,

excepté moi pourtant, moi qui porte dans mon âme les Catons, les Brutus, les Senèque, moi qui m'endormirai dans la mort plutôt que dans le déshonneur. Je reviens à vous: je sais quel est celui qui vous retient un peu: il possède une grande force en Belgique, mais si vous examinez et si vous en délibérez, que sera-ce?

Par ses discours trompeurs et ses douces paroles,
Il vous flatte...

L'affaire et ses effets seront tardifs. Donc, j'oserais le risquer avec cet Espagnol, si toutefois il vous fait des offres honorables et dignes. Sinon, regardez vers moi, comptez sur mes efforts, je ferai des pieds et des mains pour vous mener où votre mérite et votre intelligence vous appellent. Quoi? Voir s'élever des niais et des sots, et languir des hommes comme vous qui avez le droit de dominer par la variété et la solidité de vos connaissances! Vous le voyez: ma lettre parle franchement; je l'ai envoyée à votre mère. Si l'affaire a des suites, dites-le moi, servez-vous de moi comme d'un ami, même, je vous l'ai déjà dit, comme d'un père. Louvain, 22 septembre 1602.


COMMENTAIRE.

Une remarque que l'on ne peut s'empêcher de faire en parcourant la correspondance de Philippe Rubens, c'est celle de l'extrême rareté de mentions [69] de son frère. On la comprend lorsque l'échange de lettres a lieu entre Philippe a et des personnages étrangers n'ayant eu aucun rapport avec le peintre, mais elle étonne quand il s'agit de ceux qui ont connu celui-ci. Elle étonne surtout de la part de Juste Lipse qui, nécessairement, a dû connaître Pierre Paul et l'avoir vu plus d'une fois, soit à Anvers, soit à Louvain. Or, dans aucune de ses lettres connues, il ne parle du jeune peintre qui, pourtant, même à l'époque de la lettre publiée ici, était déjà quelqu'un. Juste Lipse était l'ami de la famille, il se représente comme le père de Philippe, il écrit en Italie où les deux frères sont peut être ensemble en ce moment, et il n'a pas même pour Pierre-Paul un de ces salve dont il est si prodigue à la fin de ses épîtres. Nous avons essayé d'expliquer ce silence de la part de Jean Richardot: pour Juste Lipse nous ne trouvons pas de conjecture à émettre, sinon celle que, n'occupant pas un rang dans la société de ce temps ou dans la république des lettres, Pierre-Paul n'avait pas un nom à mêler aux noms savants ou nobles qui défilent dans les nombreuses centuries du professseur de Louvain. Le peintre ne ressentit point cet oubli: plus tard, il retraça les portraits de Juste Lipse que l'on voit encore aujourd'hui à Florence, aux Uffiri et à Anvers, au Musée Plantin.

L'importance de cette lettre réside dans l'allusion qu'elle fait à une circonstance de la vie de Philippe sur laquelle nous n'avons aucun renseignement et qui, si elle se fût réalisée, aurait donné à sa carrière et peut être à celle de Pierre-Paul, une autre direction. Philippe avait consulté Juste Lipse sur des offres que lui faisait un grand seigneur espagnol pour l'attacher à sa maison. Quel est ce grand seigneur et à quel service aurait-il employé Philippe Rubens? N'ayant pas la lettre de celui-ci à Juste Lipse, nous n'en savons rien. Cependant, par une lettre de Guillaume Richardot adressée à son père, et datée de Padoue, 7 juillet, nous voyons que Philippe et son élève ont rencontré là le comte de Fuentes, ci-devant gouverneur des Pays-Bas, et que celui-ci gratifia le jeune Richardot d'une belle épée valant bien 40 ou 50 écus (1).


[70] XIV
ERYCIO PUTEANO PHILIPPUS RUBENIUS S.

Magno jam intervallo nullae a me litterae venerunt, ne videlicet solae venirent. Expectavi occasionem adiungendi Pepli, sed frustra. Quam enim per Antonium Richardotum oblatum iri scripseram, eam jam datam nescio quae mala sors elusit. Huic quippe adscribas velim; non culpae, quâ vacamus. Superest nunc, de voluntate tua certior ut fiam, incertamne amici profectionem expectari velis, an ut certâ tabellarii cursoris operâ quamprimum utamur. De studiis meis quid quaeris? Languent et frigent, ex quo sole suo carent; tua vero magis magisque in dies vigere et fervere, res ipsa dicit. Macte ista virtute, mi amice, quaeque velut gemmae in pectoris tui scrinio recunduntur, in publicum proferre perge ... [...] (1) At de Borromaeo sperare jam desiisti? Spero sane, nec amplius spem sed rem habere. Fac, quaeso, sciam omnia, gaudiumque tuum participem Butrigm in cute nosti. In musicis occupatur, invitis certe Musis (intra nos haec erunt) si non magis hae quam Gratiae favent. Crudâ est viridique senectute et, uno ut verbo dicam, petro; nec ingenio, quod mihi quidem videtur, valde diverso. Quanquam nobis sese perhumanum exhibuit et Bibliothecam suam, multiplicesque nummorum ordines et ambitiosam plane copiam ostendit. Fuit hic alter rei nummariae peritissimus et antiquitatis, Julius Caesar Velius sed, heu, fuit [...], (2) vir plenus officii et humanitatis qui [...] vulgò audiebat, et reverà erat. Titium et Ascanium necdum novi, ne quidem de formâ. Cum enim plerique Professorum hisce feriis in patriam aut villas concessissent, distulimus in hoc, quod [] [] [71] instat, tempus, et ad munus quemque suum citat. Sed heus, istone modo rogandum me censes, qui cupio quaecunque tu cupis? praesertim rem talem, quae mihi non onus, sed honos. Apage, quaeso, delicias, et, cum usus, impera fidenter. In carmine verò si quid non placet, vel nihil, scis quid juris olim tibi concesserim, eo utere et vale. Bononiae, prid. Non. Novemb. 1602.


Original à la Bibliothèque royale de Bruxelles. Correspondance d'Er. Puteanus.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A ERYCIUS PUTEANUS.

Depuis longtemps il ne vous est plus venu de lettre de moi: c'est que pour qu'elle n'allât pas toute seule, j'avais attendu l'occasion d'y joindre le Peplum, mais je l'ai attendue vainement. Cette occasion dont je vous avais écrit et qui m'était donnée par Antoine Richardot, ne s'est pas présentée, je ne sais par quel hasard malheureux. Veuillez lui en attribuer la faute, non à moi qui suis innocent. Il ne me reste qu'à savoir de vous si vous préferez attendre le départ incertain d'un ami, ou si vous voulez que je me serve de la voie certaine d'un messager.

Vous me demandez des nouvelles de mes travaux littéraires. Ils languissent, ils ont froid depuis qu'ils manquent de leur soleil; quant aux vôtres, vous en donnez des preuves, vous acquérez de jour en jour plus de force et d'ardeur. Continuez ainsi, mon ami, continuez à donner au public ce que vous conservez dans votre coeur comme des perles dans un écrin, ces

...dons glorieux des Dieux.

Avez-vous renoncé déjà à vos espérances du côté du cardinal Borromée? J'espère, quant à moi, que votre espérance deviendra une réalité. De grâce, tenez-moi au courant de tout, afin que je participe à votre joie. Vous connaissez Butrigario à fond. Il s'occupe de musique, certainement malgré les Muses (ceci soit dit entre nous), si les Muses ne lui sont pas plus favorables que les Grâces. Il est d'une verte et rude vieillesse, mais pour le dire en un mot, c'est un rustre, et pour ce qui est de son esprit, celui-ci me [72] semble-t-il, n'est pas très varié. Cependant il s'est montré très poli envers nous, il nous a fait voir sa bibliothèque et ses nombreuses layettes de monnaies dont il a une collection vraiment surabondante. Il y avait ici un autre savant en numismatique et en antiquités: Jules César Velius, hélas!

...au destin il a payé sa dette.

C'était un homme très serviable, très poli, qui avait la réputation d'être hospitalier et l'était en effet. Je n'ai vu ni Titius, ni Ascanius, pas même en peinture. La plupart des professeurs étant, à cause des fêtes, partis pour leur pays ou leurs maisons de campagne, nous avons remis de les voir au jour, qui est prochain, où chacun rentre pour sa besogne. Mais, comment! Est-ce là une façon de me demander quelque chose, à moi qui désire tout ce que vous désirez? Surtout quand vous me demandez ce qui n'est pas une charge, mais un honneur pour moi. Je vous en prie, point de compliments; comme d'habitude, commandez en confiance. Si, dans mon poème, il y a des choses qui vous déplaisent ou s'il ne vaut rien, vous savez que je vous ai donné à son égard tous les droits. Usez-en et portez-vous bien. Bologne, 3 novembre 1602.


COMMENTAIRE.

Si nous intercalons ici cette lettre dans laquelle il n'est pas dit un mot de Pierre-Paul, c'est qu'elle nous fournit l'occasion de présenter quelques remarques au sujet de certaines relations des deux frères. Cette lettre et un petit nombre d'autres semblent établir une intimité entre Philippe Rubens et Erycius Puteanus: cette intimité eût dû exister, non seulement entre ceux-ci mais encore entre Puteanus et le peintre. En réalité, malgré les lettres chaleureuses qu'ils ont échangé, elle n'exista point: c'est le lieu de fournir quelques explications à ce sujet.

Henri de Put ou Van de Putte, fils de Jean et de Gertrude Segers, naquit à Venlo le 4 novembre 1574. Il était donc de six mois plus jeune que Philippe Rubens. Dans l'interminable série de ses ouvrages et opuscules, on trouve un livre écrit tout spécialement pour apprendre au monde que lui, Henri de Put, appartenait à la race des Bamelrode, famille illustre... dans la localité, et portant “d'or au chevron de sable, accompagné de trois quintefeuilles de même, boutonnées d'or„.

[73] A l'âge de dix ans, après la mort de sa mère, il fut envoyé à Dordrecht auprès de son oncle et y suivit une excellente école latine récemment fondée. Doué d'une vive intelligence, il y fit des progrès rapides et devança tous ses condisciples. Puis il alla faire sa rhétorique et sa philosophie au collège des Jésuites à Cologne: il y reçut, le 28 février 1595, le bonnet de maître ès arts. Enfin, il se rendit à Louvain où il étudia le droit et fut créé bachelier le 1 juillet 1597.

Pendant son séjour en cette ville, il fréquente surtout les leçons de Juste Lipse, s'étudie à imiter sa latinité, s'insinue si bien dans ses bonnes grâces que le maître le regarde bientôt comme un de ses plus brillants élèves et lui donne, le 1r avril 1597, un Testimonium des plus nourris. Muni de ce passeport, qui était puissant dans la république des lettres, porteur de bonnes recommandations de l'illustre professeur, Puteanus part pour l'Italie, arrive en octobre à Milan, et y reçoit un bon accueil du gouverneur, Juan Hernandez de Velasco, qui lui confie en partie l'éducation de son fils, en attendant qu'il lui procurât une position. Par une heureuse chance, le jeune homme trouve, en outre, dans cette ville, un petit cénacle de lettrés, admirateurs de Juste Lipse, passionnés de classicisme, au milieu desquels il apparait comme un prodige. Il l'était, en effet. A 23 ans, il était plus virtuose que son maître.

Habile à se servir des circonstances et des hommes — il fut solliciteur pendant toute sa vie — il écrivit immédiatement un petit ouvrage dans lequel il fait défiler, parés des charmes du beau langage de Juste Lipse, tous ses nouveaux protecteurs de Milan, tous hommes haut placés, qui furent flattés de ces éloges dans lesquels l'adulation semblait disparaître sous les fleurs de l'érudition classique et de la science grammaticale. Deux ou trois autres ouvrages, lancés coup sur coup et dédiés à des personnages influents, attirèrent sur lui l'attention: il devint l'hôte du comte Wolfgang Frédéric Altaemps, à Gallarata, puis du célèbre mécène littéraire Jean Vincent Pinelli, à Padoue. A la fin de 1600, l'appui de ses puissants patrons lui fit obtenir une chaire, créée pour lui, la chaire d'éloquence ou, comme nous dirions aujourd'hui, de philologie latine, à l'école dite palatine, de Milan. Il l'occupait depuis un an, quand Philippe Rubens, comme nous l'avons dit déjà, vint lui faire visite et assister à une de ses leçons.

S'étaient-ils connus auparavant à Louvain? C'est probable, quoique nous n'ayons pu constater leur présence simultanée en cette ville. Mais, sous les auspices de Juste Lipse, il s'établit entre eux une correspondance: Rubens écrivit le premier. Nous n'avons point sa lettre, celle-ci nous est connue [74] par une courte réponse que Puteanus lui adressa à Louvain. “Vous m'avez touché au coeur, mon cher Rubens, par votre lettre si nourrie, si obligeante, et j'ajoute si élégante et si érudite. Je ne pouvais exiger davantage d'un ami ni attendre autant d'un savant. Vous gouvernez si bien votre plume que l'on ne sait si ce sont vos paroles qui imposent l'amitié ou s'il faut remercier l'amitié de vous les dicter. Vous avez fait de grands progrès dans ce genre d'études, de plus grands encore dans votre affection pour moi.„ (1)

Philippe Rubens y répondit seulement le 12 juillet suivant (2). “Je vous ai écrit une seule lettre, mon très cher Puteanus, j'en ai reçu une seule: en voici une nouvelle, pour répondre aux salutations que vous m'avez envoyées. Je l'avoue; en effet, je ne suis pas l'homme actif qui sait se mettre de lui-même à écrire; il faut, si je puis m'exprimer ainsi, quelque machine qui me mette en mouvement, surtout quand je suis persuadé que l'affection n'a subi aucun dommage. Je crois même que celle qui existe entre nous est assez ardente pour n'avoir pas besoin d'être attisée de cette façon. De mon côté, si l'affection ne se montre point par des effervescences, en jetant des globes enflammés, elle respire et brûle dans l'intérieur de moi-même, comme les feux dans les fournaises de l'Etna. Vous la verrez éclater si jamais le sort nous réunit. Mais si je puis à peine espérer de réaliser ce désir, (je connais ma bonne chance!) cependant cet espoir que je forme de nous voir, de nous entretenir un jour, est pour moi un commencement d'espérance.„

Ce dernier passage fait allusion, sans doute, à des arrangements en train de se conclure pour le prochain départ de Rubens avec le fils de Richardot. Toutes ces expressions si incandescentes ne sont que jeux de phraséologie: Puteanus n'en est guère ému: une petite lettre datée de Milan, le 19 septembre 1601 (3), et adressée collectivement à Philippe Rubens et à Hubert Audejans, est la seule réponse qu'il daigne y accorder: “Vous êtes réunis sous le même toit, leur écrit-il, j'ose vous réunir dans la même lettre; n'y voyez pas une épargne d'affection, mais une épargne d'écriture. En agissant ainsi, je vous rends d'ailleurs votre poids et votre mesure. Je fais ce que vous avez fait chacun à part. Je n'ai reçu de vous qu'une lettre, je ne vous réponds que par une lettre. Ne froncez pas le sourcil: je vous le prouve. C'est le sujet [75] qui forme la lettre, non la page d'écriture. Une lettre copiée sur divers papiers et envoyée à plusieurs reprises, ne cesse pas d'être la même, car l'écrivain, s'il avait voulu se servir d'un caractère compact, aurait pu l'écrire plusieurs fois sur une même page. J'ai reçu de vous deux pages contenant la même chose, je n'ai donc reçu qu'une lettre. Si cela est arrivé par hasard, ces lignes serviront d'excuse, si vous l'avez fait exprès, elles serviront d'exemple. Acceptez-les de bonne grâce: car pendant que je cherche de quelle manière je vous tournerais ma lettre, celle-ci est faite. Adieu.„

Cette recherche d'esprit semble répondre froidement aux ardeurs de Rubens. Il ne fallait rien moins que l'arrivée de celui-ci en Italie et l'entrevue à Milan, pour établir de nouveaux liens épistolaires entre les deux rivaux. Il est, en effet, facile de voir qu'une certaine rivalité existe entre les deux élèves de Juste Lipse.

Après l'entrevue de Milan, un nouvel échange de missives s'établit entre eux. Le 12 décembre 1601, Puteanus adresse à Philippe Rubens, qui est à Padoue, une réponse à une lettre de celui-ci, lettre perdue, qui devait contenir de fortes louanges, contre lesquelles le destinataire se défend mollement. Rubens lui avait envoyé le Peplum, le poème dont il est question dans la lettre que nous commentons ici. “Le Peplum, dit-il, déjà maltraité par une trop grande démangeaison, a senti encore mes ongles, et maintenant il se hâte de recourir à votre aiguille. Venez, je vous en supplie, au secours de vers qui en ont besoin çà et là, mettez un frein à mes éloges comme à votre fougue de louangeur. J'ai accepté de l'auteur le plein pouvoir de brûler et de couper; je le résigne et vous le transmets tout entier, soit pour ce qui est de moi, afin que vous reconnaissiez volontiers les peines que je me suis données, soit pour ce qui n'est pas de moi, afin que vous acceptiez la sévérité de mon jugement. Je vous embrasse de coeur, mon cher Rubens; car, sachez-le, mon coeur est parti d'ici avec vous pour Padoue comme une ombre de moi-même.

“Votre Apobaterion à Juste Lipse est tel qu'il m'a déjà fait rougir du mien. En échange de ce poème je vous envoie cette pièce de phaleuques que m'adresse Guillaume Barclay: elle est très élégante, à part les éloges qu'elle me décerne, et peut, sans le vouloir, soutenir la comparaison avec vos inspirations poétiques.„(1)

Malgré son apparence amicale, cette lettre n'est rien moins que gracieuse pour Rubens, on y sent la pointe poussée par le pédant jaloux et autoritaire [76] qui, depuis, joua pendant quarante années le rôle de dictateur des lettres dans les Pays-Bas. L'Apobaterion de Philippe Rubens est, sans doute, une pièce de vers longue, médiocre, un tissu de licences imitées des petits auteurs, un chaos d'obscurités voulues, mais en somme, elle n'est pas plus mauvaise qu'une pièce de vers de Puteanus lui-même; aucun de ces deux hommes n'avait un tempérament de poète. Mais ce qui nous apparaît comme un comble d'audace, c'est d'offrir, en échange de ce panégyrique de Juste Lipse, une poignée de vers aussi pauvre de style et d'idées que celle de Barclay et ne se composant que de louanges banales de Puteanus. “Si je disais, o Puteanus, vos mérites cachés, ceux que vos amis seuls connaissent, le public ondoyant et jaloux dirait que je suis un menteur. Si j'écrivais ce dont vous êtes digne, de l'aveu de tous, mon écrit serait-il épargné de la dent de l'envie? Non, même quand on le reconnaît, tout mérite qui se montre doit avoir des ennemis. Dois-je donc continuer? Qui, je veux révéler mon ami! Que les jaloux s'arrachent les entrailles, qu'ils grincent des dents, je le leur permets. La science sévère te regarde comme son protecteur et son soutien, Orphée, par son testament, t'a laissé sa lyre, Apollon lui-même ceint ton front de laurier; il aime les vers délicats, il chante les tiens ou t'écoute quand tu les chantes, comme s'ils étaient de lui, etc. etc.„ Tout le reste est sur ce ton. Philippe Rubens a-t-il senti l'altière ironie que nous croyons remarquer dans cette lettre? Il faut le croire, car il resta quelque temps sans écrire. Ce fut Puteanus qui lui adressa le premier une missive (que nous n'avons plus), en même temps qu'un de ses opuscules.

Philippe Rubens lui répondit de Padoue, le 2 mars 1602. Sa lettre débute ainsi: “Je suis resté bien longtemps sans rien vous écrire, et je ne sais vraiment que vous dire pour me défendre, car mon silence n'a pas d'excuse, sinon que nous avons été à Venise pendant les beaux jours du Carnaval. Comment aurions-nous pu songer à quelque chose de sérieux, quand autour de nous il n'y avait que jeux et plaisirs, que les yeux et les esprits de tous étaient aux spectacles et aux concerts? Comment! nous direz-vous, vous vous êtes livrés aux folies populaires? Et pourquoi pas? Il est doux de folâtrer à propos, et ce grand sage n'avait ni honte, ni remords de retourner plusieurs fois aux Floralies, pas plus que nous... J'arrive à votre lettre: nous l'avons reçue en même temps que les Auspicia secundo, (1) et au moment [77] de nous mettre en route: nous avons lu votre opuscule avec grand plaisir et avec fruit, comme nous avons lu un peu auparavant votre Centurie (1) et d'autres de vos travaux.„

Et pour post-scriptum: “J'allais cacheter ma lettre, quand Fabri de Calas vient me donner de fâcheuses nouvelles de votre santé. J'en ai été fortement ému: autant que je le devais être; je suis cependant un peu soutenu par l'espoir que me donnent votre bonne constitution et la prudence des grands médecins dont vous êtes l'ami. Aidez-y par votre courage et votre calme, et à l'avenir, je vous en prie, étudiez avec plus de modération. Richardot vous salue„.

Ce passage nous apprend que Philippe Rubens avait fait alors à Padoue la connaissance de ce Fabri de Calas, plus tard, Fabri de Peiresc qui, vingt ans après, deviendra le plus intime, le plus chaleureux des amis de Pierre-Paul. Nous avons vu que tous deux s'étaient trouvés à Florence en même temps sans se connaître.

Puteanus fit encore à cette lettre une réponse que nous n'avons pas, Philippe Rubens lui écrit de nouveau le 29 mars (2). “Vous êtes guéri, me dites-vous; la santé “cet or de la vie,„ comme dit Pindare, vous est revenue. Je vous en prie, mon ami, soignez-la religieusement et ne la compromettez plus par un travail immodéré. Vous me dites que vous y allez prendre garde: j'ai lieu d'en douter en présence de cette nouvelle récolte de commentaires que vous annoncez. Chez tout autre ce serait un vrai motif de crainte: chez vous on n'en a aucune; le sol de votre intelligence est si heureux et si fertile que, sans grands efforts de culture, il produit presque spontanément une abondante moisson. Je vous félicite de ce privilège, autant que je m'intéresse à votre réputation et à votre gloire. Mais, avant tout, je jouis de vous savoir maintenant bien portant. Quant à moi, mes catarrhes me sont plus que pénibles. Mais tout est bien, puisque vous allez bien. J'approuve beaucoup votre Musathena (3). Vous me demandez une pièce de vers: je voudrais vous la refuser. En effet, ne serait-ce pas offrir

Un nuage bien noir à vos blanches étoiles?

Peut-être me le demandez-vous pour qu'il fasse l'effet d'une tache au [78] milieu d'un visage, c'est à dire qu'il fasse valoir par comparaison l'excellence de votre oeuvre. Quoiqu'il en soit, voici ce que j'ai improvisé: vous jugerez si cela vaut la peine d'être publié.„

Voilà, en résumé, les rétroactes épistolaires des deux amis. Du 29 mars au 3 novembre, nous ne connaissons pas de lettre échangée entre eux: et d'après les premiers mots de celle que nous commentons ici, il est probable qu'il n'y en a pas eu.

Il est de nouveau question du Peplum dans la lettre du 3 novembre. Nous n'avons rien pu découvrir au sujet de ce poème. Etait-ce une étude, en vers, sur ce vêtement de femmes chez les Anciens? Les Rubens, comme on sait, Philippe, Pierre-Paul et Albert, son fils, se sont occupés tous de l'histoire de l'habillement chez les Grecs et les Romains. Nous avons pensé qu'il s'agissait peut-être d'une oeuvre de Philippe, illustrée par Pierre-Paul, qui avait déjà illustré des commentaires semblables pour son frère. Mais ce n'est qu'une conjecture: le Peplum, qui n'avait pas trouvé grâce devant Puteanus, paraît avoir été voué à l'oubli.

Le Butregario, dont il est parlé dans la lettre, est Ercole Bottregari, patricien de Bologne, né en 1531, qui publia quelques ouvrages sur la musique, l'astronomie et des poésies. Il recueillit un riche cabinet d'objets mathématiques et une belle bibliothèque. Il mourut en 1609 (1).

Ascanius Persius était ecclésiastique, professeur des lettres grecques, à Bologne. Philippe Rubens composa une pièce de vers sur la mort de cet ami (2).

Robert Titius, un excellent philologue, professait également à Bologne.

Quant au passage où il est parlé du cardinal Frédéric Borromée, il fait allusion à l'espoir qu'avait Puteanus de devenir son secrétaire. Il s'était fortement insinué dans les bonnes grâces de ce grand prélat, auquel il venait de dédier sa Musathena. Il lui écrivit de nombreuses lettres, on dit même qu'il revoyait ses sermons. L'une de ces lettres, du 27 juillet 1606 (3), nous montre qu'il était l'intermédiaire du peintre Breughel auprès du Cardinal, fonction qui fut, comme on sait, remplie plus tard, par Pierre-Paul Rubens.

Nous aurons l'occasion de reprendre plus loin la suite des relations de Puteanus et des frères Rubens.


[79] XV
VINCENZO AL SreIBERTI.

Vincenzo, per la gratia di Dio, duca di Mantova et di Monferrato, etc.
Magco et Eccte nostro Carmo,

Finalmente habbiamo poste insieme le Pitture et alcune altre gentilezze per mandarle a donare costi, in conformità di quello che con molte lettere nostre vi habbiamo scritto, et con la presente se ne viene Pieto Paolo fiamengo, nostro pittore, sotto la cui carica habbiamo risoluto di mandar dette robbe, le quali saranno descritte particolarmte nella nota che sarà con questa, et secondo la quale si haveranno costi a distribuire.

Il dono di S. Mta sara principalmte il carrocino con li sei cavalli falbi, che seguendo il parere del conte Vincenzo approvato da voi ancora crediamo che in genere di cosa non cosi ordinaria et di buona commodità per chi va molto in campagna, possa essere di qualche gusto alla Mta; ma insieme con gli arcobugi, i quali essendo secondo l'uso qui del paese assai ben fatti et tutti di acciaio fino et con qualche bello artificio, come mostrerà il medmo Pieto Paolo, non saranno forse discari a S. Mta, alla quale presentarete anchora il vaso di christallo con profumi di cui forse si valera per un qualche gusto per bever aqua, et il tutto come cosa, se ben per se stessa molto debole, accompagnata però da infinita divotione et che presupponiamo habbia a servir solo per testimonio di essa et dell' hummo ossequio, col quale in altra maggior occorrenza saremo pronti ad impiegare noi et quanto habbiamo in questo mundo nel servitio di S. Mta, alla quale se gl'arcobugi piaceranno potrete farne larga proferta d'altri della medma qualità, o di diversa, poiche haveremo qui sempre i maestri pronti per corrispondere ad ogni gusto alla Mta S. Le pitture et i vasi d'argento et di profumo saranno [80] per il Srduca di Lerma, et perchè quanto alla qualità et a gli autori di esse pitture, Pieto Paolo dirà ciò che bisogna, essendo di tutto informatissmo, non ci estenderemo in darvene piu minuto conto, ben potrete dire à S. Eccza circa i profumi, che se bene il mandarve costà in Spagna, donde si cavano, parerà cosa forse superflua, che tuttavia in questi habbiamo riguardata piu tosto la qualità del lavoro che la materia, con pensiero che possa riuscire all' Eccza S. di qualche sodisfatione, alla quale per il resto presentarete il tutto, accompagnando il dono con quei termini che vi pareranno convenirsi di affettuosa amorevolezza.

La croce et i candelieri di cristallo saranno per la Sra contessa di Lemos, et doveranno servire per ornamento di un suo altare, dandosi noi a credere che le debbano essere accetti, se non per la valuta della cosa almeno per l'uso di divotione spirituale, al quale sono destinati et si giova di sperare, come doverete dir particolarmte a S. Eca che vedendoli ella spesso havera occasione di ricordarsi di Noi nelle sue orationi spirituali et temporali.

I due vasi di cristallo et l'apparamento da stanza si daranno al Sr Dn Pietro Franqueza, per segno dell'obligata volontà che teniamo all'amorevolezza che va mostrando verso gli interessi nostri, alla quale dimostratione seguirà forse anche alla giornata altra maggiore secondo che il tempo et le occasioni andaranno somministrando.

Questi presenti si doveranno fare da voi personalmente con la presenza però ed assistenza di Pietro Paolo, che haveremo a caro sia introdotto anch'egli come persona mandata di quà espressamente con essi, et perchè sete voi di già molto bene informato de gli interessi che passano et della qualità et inclinatione dei sogetti coi quali s'ha da trattare, riputiamo superfluo il dirvi cosa di più in questa occasione, remettendo il resto sul fatto alla prudenza et destrezza vostra. Riceverete con questa lettere nostre per il Sr duca di Lerma, per la Sra Contessa sua sorella et per il Sr Pietro Franqueza, le quali sono in vostra credenza et toccano pur anco non so che di questi presenti, circa li quali vi doverete poi voi diffendere come soprà più ampiamente. Alla [81] Mta del Re non habbiamo giudicato bene di scrivere con occasione cosi debole, onde rimettiamo a voi il fare l'ufficio a bocca nella forma che più vi parerà convenevole, (1) et perche esso Pietro Paolo riesce assai bene nelle pitture di ritratti, vogliamo che restando altre Dame di qualità, oltre quelle che fece ritrarre costi il Co. Vincenzo, vi vagliate dell'opera sua per mandarcene i ritratti con minor spesa et forse con maggior eccellenza. Se Pieto Paolo per il suo ritorno havera bisogno de danari, gliene providerete costi, avisandoci della quantità, che vi li faremo rimettere per la via di Genova.

Di Mantova, li 5 di Marzo 1603.
Chieppius.

Vincenzo

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Minute à l'Archivio Gonzaga. Publiée partiellement en traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 431. Texte inédit.


TRADUCTION.
VINCENT Ier AU RÉSIDENT IBERTI.

Vincent, par la grâce de Dieu, duc de Mantoue et de Monferrat, etc.

Nous avons, enfin, réuni les peintures et quelques autres cadeaux pour être envoyés et donnés en Espagne, conformément à ce que nous vous avons fait savoir par plusieurs missives. La présente est accompagnée de Pierre-Paul, le Flamand, notre peintre, à qui nous avons voulu confier la charge d'apporter ces objets, lesquels sont décrits en détail dans la notice ci-jointe, notice qui indique en même temps comment ils seront distribués.

Le présent destiné à S. M. sera principalement le petit carrosse avec les six chevaux fauves: selon l'avis du comte Vincent, approuvé aussi par vous, nous croyons que ce présent, qui est dans son genre une chose peu commune et sera fort utile à quelqu'un qui va beaucoup a la campagne, nous croyons qu'il a chance d'être assez goûté de Sa Majesté. Il en est de même [82] des arquebuses: elles sont très bien faites sur le modèle usité dans ce pays, toutes de fin acier, dotées d'ingénieux détails, comme le fera voir le susdit Pierre-Paul; elles ne seront probablement point désagréables à S. M. Vous présenterez encore à celle-ci le vase de cristal contenant des parfums; S. M. en fera probablement usage pour donner du goût à l'eau qu'Elle boit; enfin vous présenterez le tout comme choses très peu importantes par elles-mêmes, mais auxquelles se joint notre attachement sans bornes. Nous n'avons d'autre idée que de les offrir comme un témoignage de cet attachement et de la très humble soumission avec laquelle, dans une autre circonstance plus importante, nous serons prêts à nous employer au service de Sa Majesté, nous et tout ce que nous avons au monde.

Si les arquebuses Lui plaisent, vous pouvez largement en offrir d'autres de la même qualité ou de qualité diverse: nous aurons toujours ici des maîtres artisans prêts à répondre à tous les désirs de Sa Majesté.

Les peintures et les vases d'argent avec parfums sont destinés au duc de Lerme. En ce qui concerne la qualité et les auteurs de ces peintures, Pierre-Paul en dira ce qu'il est nécessaire: il est très bien informé de tout; en conséquence, nous ne nous étendrons pas davantage à en donner le détail. Quant aux parfums, vous pourrez bien dire à Son Excellence, s'il lui paraissait chose superflue de les envoyer en Espagne d'où ils ont été tirés, qu'en cela nous avons considéré la qualité du travail plutôt que la matière, et que nous avons eu la pensée qu'Elle en éprouverait quelque satisfaction. Pour le reste, vous lui offrirez le tout en vous servant des termes qui vous sembleront les plus convenables pour exprimer notre affection cordiale.

La croix et les chandeliers de cristal sont pour Mme la comtesse de Lemos et doivent servir à l'ornement de son autel domestique. Nous aimons à croire qu'ils seront acceptés, sinon pour la valeur matérielle, au moins pour l'usage spirituel de dévotion, auquel ils sont destinés, et nous nous plaisons d'espérer — ainsi que vous le direz tout particulièrement à Son Excellence — qu'à la vue de ces objets, Elle aura souvent l'occasion de se souvenir de Nous dans ses prières, tant pour le bien spirituel que pour le bien temporel.

Les deux vases de cristal et la tenture d'appartement seront donnés au Seigr Don Pedro Franqueza, en signe de l'obligation que nous avons contractée envers lui pour la bienveillance dont il fait preuve à l'égard de nos intérêts, obligation dont nous pourrons sans doute lui fournir des marques plus grandes encore, quand les circonstances et les occasions s'en présenteront.

[83] Ces présents devront être remis par vous personnellement, mais en présence et avec l'assistance de Pierre-Paul qui, selon notre désir, sera introduit en même temps comme envoyé expressément d'ici avec ces objets. Et comme vous êtes déjà largement informé des intérêts qui s'agitent, de la qualité et de la tendance des sujets que vous avez à traiter, je trouve superflu d'en dire d'avantage aujourd'hui, remettant le reste entièrement à votre prudence et à votre habileté. Vous recevrez, avec la présente, nos lettres pour le duc de Lerme, pour Mme la Comtesse sa soeur, et pour le Seigr Don Pedro Franqueza: ce sont vos lettres de créance et elles parlent encore incidemment de ces présents, au sujet desquels vous aurez à vous expliquer ensuite, comme il vient d'être dit plus amplement.

Nous n'avons pas jugé bon d'écrire à S. M. le Roi dans une occasion si peu importante; nous nous en remettons à vous pour bien faire la commission dans la forme qui vous paraîtra la plus convenable.

Et comme le susdit Pierre-Paul réussit parfaitement la peinture des portraits, nous voulons que s'il reste d'autres Dames de qualité, outre celles dont le comte Vincent a fait reproduire là bas les traits, vous vous serviez de son talent pour m'envoyer des portraits exécutés avec moins de dépense et peut-être plus de mérite. Si Pierre-Paul, pour son retour, avait besoin de fonds, vous lui en fournirez là, en nous avisant de la somme que nous vous ferons restituer par la voie de Gênes.

De Mantoue, le 5 mars 1603. Chieppio.

Vincent.


[84] XVI

A S. Mta, la carrozza con li cavalli, li arcobugi che sono undici, sei da balini et cinque rigati.

Un vaso di cristallo di monte con odori sopra.

Al SrDuca di Lerma, tutte le pitture, un vaso grande d'argento con odore e figure, due vasi d'oro.

Alla Sra Contessa di Lemos, una croce, due candeglieri di cristallo di monte.

A D. Pietro Francheza, due vasi di cristallo di monte, un paramento da camera in pezzo di Damasco, con colonne di tela d'oro.


Minute à l'Archivio Gonzaga. Publié en traduction par M. A. Baschet (Gazette des Beaux-Arts. XX, 429). Texte inédit.


TRADUCTION.

A Sa Majesté, le carrosse avec les chevaux, les arquebuses au nombre de onze, six à baleine et cinq rayées.

Un vase de cristal de roche contenant des odeurs.

Au Sgr Duc de Lerme, toutes les peintures, un grand vase d'argent avec odeurs et figures, deux vases en or.

A Mme la Comtesse de Lemos, une croix, deux chandeliers en cristal de roche.

A Don Pedro Francheza, deux vases en cristal de roche, une tenture d'appartement, en pièces de Damas avec montants de toile d'or.


[85] XVII

Mto Illre Sre mio Sigre Ossmo

Mi trovo qui a Manta spedito da S. A. per far metter dentro alla croce di cristallo che manda alla Contessa di Lemos, una reliquia et ho meco portate le lettere per Ispagna fermate, con ordine che a quella dell' Iberti vi si aggiunga che, in caso che a Mr Pieto Pauolo mancassero denari per lo ritorno, egli proveda del bisogno, che si rimetteranno à Genova. Intorno alla sovventione di che si e dalla speranza all' Iberti, dice S. A. che egli tiene certe gioie nelle masse lasciate dal Sr Conte Vincenzo, de quali dovera procurare di farne vendita per quel prezzo che si potra haver, se ben fosse inferiore a quello che si pretenderà, et che di quelli danari li fa mercede di tre cento scudi, si che la mi pare per una sol volta et non annua. Si è però contentata S. A. S. che do Iberti possi valersi del cocchio et cavalli lasciatili dal Sr Conte Vincenzo, con che però ne tenghi buone cura perche ne si fece grossa spesa. Mi haveva dato in commissne S. A. che vedessi se vi era suo ritratto dal mezo in sù, et che lo facessi consignare a Mr Pietro Pauolo per darlo all' Iberti, ma non so quanto sia per concedermi l'angustia del tempo, massime in questa hora che niuno se trova in casa, però quando non possi dar questi ordini, si compiacerà V. S. di pigliarsene pensiero, si come restarà servita d'intendere dal Campagna, se per lo fornimento della stanza ha consignato a Mr Pietro Pauolo il damasco giallo et cremesino con le collone di tela d'oro che l'accompagnano...

Di Castello, 5 Marzo 1603.

Gio. Magno.


Mto Illre Sre mio Sigre Ossmo

Non ho potuto intender dal Campagna se il fornimto da stanza consegnato a Mesr Pieto Paulo sia quello stesso che da S. A. era [86] destinato per presentare in Ispagna, per lo resto ho parlato con Monsr Follini per la reliquia, et con Mesr Frano Fiamingo per lo ritratto di S. A. quale potra V. S. dar ordine che sia datto all' Iberti, se ben non so a che effetto. Restarà però servito V. S. d'intender dell'identità del fornimento, che per fine me le racommando sue gratie.

Di Castello, 5 Marzo 1603. Di V. S. Mto illma
Prontisso et obligatisso servre
,

Giovanni Magno.


Original à l'Archivio Gonzaga. Texte inédit.


TRADUCTION.

Je suis ici à Mantoue, envoyé par S. A. pour faire insérer une relique dans la croix de cristal qu'Elle expédie à la comtesse de Lemos, et j'ai porté avec moi les lettres signées pour l'Espagne, avec ordre d'ajouter à celle qui est adressée à Iberti, que s'il arrivait à M. Pierre-Paul de manquer d'argent pour le retour, Iberti lui fournirait ce dont il a besoin, et qu'on en ferait la remise à Gênes. Quant à la subvention dont on a donné l'espérance à Iberti, S. A. dit qu'Iberti tient en réserve un certain nombre de joyaux délaissés par le comte Vincent, joyaux dont il cherchera à faire la vente pour le prix que l'on en pourra obtenir, même s'il était inférieur à celui que l'on en prétendait. C'est sur ces deniers que l'on prélèvera pour lui trois cents écus. Ce subside, me semble-t-il, ne sera donné que pour une seule fois et non pas annuellement. S. A. S. approuve cependant qu'Iberti fasse usage du coche et des chevaux qui lui ont été laissés par le comte Vincent, mais il faut qu'il en ait grand soin afin d'en faire beaucoup d'argent. S. A. m'avait chargé de voir s'il y a ici un portrait d'Elle à mi-corps, et de le remettre à M. Pierre-Paul pour qu'il le donnât à Iberti. Mais je ne sais si on pourra me l'apporter dans le peu de temps qui reste et surtout à un moment où personne n'est au logis, c'est pourquoi, s'il m'est impossible de donner les ordres nécessaires, je vous prierais de vouloir bien vous occuper de la chose et en même temps de demander à Campagna si, pour la tenture d'appartement, [87] il a remis à M. Pierre-Paul, le damas jaune et cramoisi, avec les montants en drap d'or qui en font partie.

Du château (1), 5 mars 1603.

Gio. Magno.


Je n'ai pu savoir de Campagna si la décoration d'appartement, délivrée à M. Pierre-Paul, est bien celle-là même que S. A. avait destinée à être offerte en Espagne. Pour le reste, j'ai parlé à Monseigneur Follini pour la relique et avec M. François, le Flamand (2) pour le portrait de S. A. Vous pouvez donner ordre qu'il soit livré à Iberti, bien que j'ignore pour quelle destination. En vous priant de vous assurer de l'identité de la susdite décoration, je me recommande à vos bonnes grâces.

Du château, 5 mars 1603.

Gio. Magno.


[88] XVIII
COPIA AL Sr IBERTO ALLI 5 DI MARZO 1603.

Si contenta S. A. che V. S. si vaglia del cochio e cavalli lasciati, dopo la partita sua da cotesta corte, dal Sr conte Vinceno Guerreri presso di V. S. et de quali fra occasione della sua Ambasseria costi, s'è valuto il detto Sr Conte; de quali cochio et cavalli torra seco V. S. cum tale che non si consumino et vaddino a male, essendosi nell' accompro d'essi fatta considerabil spesa. Del resto poi della detta mercede che a S. A. pare di fare per adesso a V. S. et del modo d'effettuarla, mi riporto al Sr Consigliere Chieppio, quel di ciò ha havuto ordine particolare; s'è contentata S. A. d'aiutare il Sr Fulvio Frco nel caso suo presente. Io per adesso non le scrivo; piacerà a V. S. di farlene motto, et forsi anco capitarono le lettere, a quel effetto prima ch'agionga la presente, perchè vorrano per mano del Sr Gio. Antonio, in comando di cui si rivellerano le lettere, perchè con altre sue diligenze le incamina per via di corrieri a V. S. alla quale raccommando anc' io esso modo, se bene lo reputo superfluo per diverse ragioni. Col fine donq. di questa le baccio le mani, pregando Dio che lungamente lo prosperi. Da Mantova.


Original à l'Archivio Gonzaga. Inédit.

Cette pièce est jointe à l'ordonnance de Vincent, du 5 mars.


TRADUCTION.
A M. IBERTI.

S. A. consent à ce que vous fassiez usage du coche et des chevaux, laissés auprès de vous par le comte Vincent Guerrieri, après son départ de cette cour et dont il s'est servi lors de son ambassade. Vous pourrez les tenir chez vous, à condition de les tenir propres et en bon état, car ils ont été achetés à un prix très élevé. Pour ce qui concerne le subside que S. A. [89] semble disposée à vous faire en ce moment et la manière d'en effectuer le paiement, je m'en rapporte à M. le conseiller Chieppio, qui a reçu des ordres particuliers à ce sujet, S. A. s'étant contentée dans le présent cas d'envoyer un secours à M. Fulvio Francesco. Je n'en écris pas maintenant à S. A.; je vous prie de lui en toucher un mot; il est possible d'ailleurs, que des lettres sur ce sujet vous arriveront avant celle-ci, car elles sont remises aux mains de M. Jean Antoine qui a la charge de l'expédition des lettres et qui vous les envoie, avec d'autres missives, par courriers. Je vous recommande ce moyen, bien que je le regarde comme superflu, pour diverses matières. Je vous baise les mains et prie Dieu de vous accorder une longue prospérité. De Mantoue.


COMMENTAIRE.

Après son retour de Rome à Mantoue, en avril 1602, le jeune Pierre-Paul disparaît dans un silence profond, à peine interrompu par la lettre de son frère Philippe, du 15 juillet 1602. Il est rentré au service du Gonzague, il y a repris des travaux sur lesquels nous n'avons que de faibles renseignements. Probablement il y faisait, ainsi que Pourbus, pour la galerie ducale, des portraits de belles dames; et l'on sait que celles-ci ne manquaient pas à la cour. En ce moment-là, en mars et avril, la fameuse troupe des comédiens “de Monsieur de Mantoue„, comme les appelait la renommée, la troupe des Gelosi, ayant pour étoile la belle et célèbre Isabella Andreini, donnait des représentations pour Son Altesse. Rubens doit l'avoir admirée comme tous les contemporains; mais nous ne voyons pas qu'elle ait posé pour son pinceau: c'est Raphaël Sadeler qui gravait alors le portrait de la diva. Dans ses Rime, où elle adresse des sonnets à tout le monde: aux princes, aux cardinaux, aux poètes, à des savants, à des artistes, tels que Jean Bologne, il n'y a pas un pauvre tercet en l'honneur de Rubens. Dans sa correspondance inédite avec Erycius Puteanus, il n'en est pas question davantage. Ce silence, celui de Puteanus, des Richardot, et d'autres flamands, nous fait croire que le jeune peintre a vécu là dans la claustration de l'étude et du travail.

Philippe Rubens avait quitté Padoue avec son compagnon Guillaume Richardot et s'était rendu à Bologne, en même temps que le jeune Perez de Baron, dès la fin de juillet. Il y resta quelques mois à peine; au commencement de l'année 1603, il est établi à Rome, où se trouve Jean [90] Richardot. Celui-ci, en avril 1603, est nommé évêque d'Arras, et quitte la ville éternelle à la fin de juin. Tout-à-coup apparaissent de nouveau une série de documents, heureusement trouvés, dans les archives de Mantoue, par M. A. Baschet, documents qui viennent fournir une page, tout-à-fait inattendue, dans la vie de Pierre-Paul Rubens. Nous en donnons ici les premiers, parmi lesquels se trouve la plus ancienne lettre que nous connaissions du peintre; nous les faisons suivre d'un commentaire, pour lequel nous avons utilisé, en partie, celui de l'heureux inventeur des pièces.

Il s'agit d'une deuxième mission, confiée au jeune peintre par Vincent de Gonzague: comme pour la première, Rubens met son talent, sans trop le savoir, peut-être, au service d'une petite manoeuvre de stratégie politique. A Rome, il a contribué à maintenir les bonnes relations avec la cour pontificale, en Espagne, il sera porteur de cadeaux, sinon de paroles, pour raffermir la bienveillance du Roi, qui est l'arbitre des affaires en Italie.

En envoyant en Espagne cette singulière ambassade, composée d'un peintre, de quelques palefreniers, d'un carosse, de chevaux, d'arquebuses, de vases de cristal et de tableaux, il est hors de doute que le duc de Mantoue n'agissait pas dans le seul but de faire une gracieuseté au Roi, au premier ministre, à une âme damnée de celui-ci et à une dame de la Cour: il connaissait son Machiavel par coeur, comme tous ses collègues, les petits princes d'Italie, et il usait de tous les moyens en son pouvoir pour maintenir sa securité.

Le duché de Mantoue formait une minuscule souveraineté, entourée de voisins qui tous jetaient sur elle des regards de convoitise, et c'est par une habileté constante, par des prodiges d'équilibre, que la famille, qui en avait alors la possession, parvenait à conserver son pouvoir féodal. L'Espagne, après de longues guerres, dominait sur Naples, la Sicile, le Milanais, la Sardaigne; les Papes avaient, peu à peu, arrondi leur premier domaine et ne cessaient d'y ajouter, de temps en temps, une ville, un territoire, ou tout au moins quelque fief pour leur famille; la république de Venise cherchait quelquefois aussi à étendre le rayon de ses frontières; les Médicis de Toscane, les Farnèse de Parme, de leur côté, se seraient fort bien accommodés de quelque nouvelle accession. Enfin, brochant sur le tout, la France n'oubliait pas ses incorrigibles idées d'envahissements transalpins, et l'Empire lui-même, n'abandonnait pas ses antiques prétentions gibelines. Rien n'était donc moins assuré que l'existence d'un de ces états secondaires de l'Italie, surtout s'il faut y ajouter encore, comme il arrivait assez souvent, la désobéissance ou la révolte des peuples contre les fréquents abus de pouvoir de ces potentats en miniature.

[91] Leur politique était donc un qui-vive de tous les instants, une mise en oeuvre perpétuelle de toutes les ressources de l'esprit, de toutes les ruses, de tous les moyens occultes pour se gouverner au milieu de tous ces écueils. Nous avons déjà vu Vincent de Gonzague courir par deux fois au secours de l'Empereur, pour se maintenir de ce côté par un lien de reconnaissance, nous l'avons vu porter, en personne, un somptueux hommage au pape, dans cette ville de Ferrare que celui-ci venait de détacher du patrimoine de la maison d'Este. Pouvant se croire tranquille du côté de la France, dont le Roi était devenu son beau-frère, n'ayant rien à craindre non plus de son autre beau-frère de Florence, il n'avait, en réalité, de sujet d'appréhension que de la part de l'Espagne (1).

Philippe II était mort depuis peu d'années: son successeur n'avait pas, sans doute, les mêmes aspirations à la monarchie universelle; néanmoins, il n'abandonnait pas le système relatif à l'Italie et, si l'occasion s'en fût offerte, il aurait volontiers ajouté au Milanais le petit état limitrophe que possédaient les Gonzague, ce qui eût rapproché davantage les possessions du roi d'Espagne des états de la maison d'Autriche dont il était lui-même issu.

Heureusement pour le duc Vincent, ce n'était plus le génie de Charles-Quint ou la vigueur de Philippe II qui vivaient en leur successeur. Le caractère de celui-ci peut se définir en deux mots: inertie et faiblesse. Il avait confié le gouvernement aux mains d'un favori, premier ministre, don Francisco de Sandoval y Rojas, marquis de Denia et, depuis 1599, duc de Lerma, nom sous lequel il est connu dans l'histoire. A l'instar de ses prédécesseurs, conseillers royaux, les Granvelle, les Viglius, les Hopperus, il était insatiable de richesses, mais il n'avait point leurs qualités réelles, il ne les dépassait qu'en rapacité. Toujours prêt à seconder la passion d'indolence du Roi, afin d'avoir de plus en plus ses coudées franches dans les affaires, il occupait les instants du monarque par des fêtes et des jeux, ou favorisait ses goûts pour la chasse et les excursions. Pendant ce temps, il ruinait le pays par sa politique aventureuse et son imprévoyance. La misère était grande, l'agriculture délaissée, le commerce en décadence continue, l'argent manquait pour maintenir [92] la puissance espagnole dans ses possessions lointaines. On peut avoir une idée du triste état des finances de la grande monarchie, en lisant dans la correspondance de l'archiduc Albert avec le duc de Lerme, les incessants appels de fonds de la part du premier pour payer les troupes et les difficultés qu'éprouvait le ministre à envoyer de maigres subsides (1).

C'est en Italie surtout que se faisaient sentir les désastreux effets de ce régime d'imprévoyance et de dilapidation. Impuissante à dominer par elle-même, l'autorité espagnole s'y soutenait au moyen de la politique d'intrigue: par des agents soudoyés, elle y entretenait un système de bascule entre tous ces petits états, se tenant avec les uns, menaçant les autres, jusqu'au moment où princes et peuples, s'apercevant de la décadence du pays suzerain, commencèrent eux-mêmes à travailler à leur délivrance.

Quand Vincent de Mantoue se résolut à un envoi de cadeaux en Espagne, il faut croire qu'il se trouvait dans un de ces moments où on lui cherchait noise. Il devait avoir un motif immédiat. Nous avons cherché à le découvrir.

A cet effet, nous avons parcouru la correspondance de l'envoyé Iberti, pendant l'année 1603. Ses lettres sont extrêmement intéressantes: elles forment en quelque sorte un diaire de la cour de Philippe III, et l'on y trouverait à glaner pour notre histoire des Pays-Bas. Mais elles donnent peu de renseignements clairs et nets sur la négociation secrète pour laquelle Iberti a été envoyé en Espagne. Souvent ces lettres sont écrites en chiffres plus ou moins traduits dans une suscription interlinéaire, mais le prudent diplomate parle de “l'affaire„ en termes tellement voilés, que nous n'en saisissons guère la signification exacte. On devine cependant, qu'il est chargé de négocier un mariage entre quelqu'un des Gonzague et une princesse d'Espagne. Mais laquelle? Philippe III n'avait en ce moment qu'un enfant ayant moins de deux ans, l'infante Anna, qui fut plus tard la femme de Louis XIII, roi de France. Ce qu'on voit plus clairement, c'est que, pour appuyer son éloquence ou ses raisons diplomatiques, il lui était permis d'employer des arguments substantiels. “Je pousse l'affaire, écrit-il en chiffres le 3 février 1603, avec la meilleure dextérité possible, afin qu'après avoir si bien commencé, ainsi que je l'ai écrit, elle arrive à se terminer selon nos désirs; je prends de don Francesco Roccaful des conseils qui pourront faciliter cette conclusion; je laisserai entendre en... (chiffre non traduit) ...quelle est la plus grande dépense que je puisse faire par ordre exprès de V. A. et seulement en promesses de [93] gratification en général, mais avec certitude de paiement„, et un peu plus loin: “J'userai des moyens les plus propres à bien disposer l'esprit de Leurs Excellences; je ferai de même à l'égard de don Pedro Franqueza, qui est la clef de toutes ces affaires.„

La présence d'un peintre s'expliquerait dans la négociation de quelque alliance matrimoniale. C'était assez l'habitude, à cette époque, de se procurer, des deux côtés, avec les renseignements politiques et autres, les portraits des personnages en jeu, et Rubens lui-même n'a pas manqué de faire allusion à cette coutume dans le tableau de la galerie du Luxembourg, où l'Amour et l'Hymen viennent présenter à Henri IV le portrait tout encadré de Marie de Médicis. Le duc de Mantoue peut donc fort bien avoir confié à son peintre une double mission, celle de conduire une cargaison de cadeaux et celle de rapporter quelque portrait d'infante.

Nous venons de voir, dans les Instructions données le 5 mars par le Duc, que Rubens est chargé de peindre certains portraits de dames de qualité. Or, nous faisons une curieuse remarque au sujet du document susdit: la minute en est écrite par quelque secrétaire, mais les dernières lignes qui concernent la mission personnelle du peintre, sont, comme nous l'avons fait remarquer déjà, ajoutées à la suite de la main de Chieppio. Cette particularité nous semble établir que cette partie de l'ordonnance ne devait pas être connue de l'administration et formait une sorte de commission confidentielle.

Plus tard, dans le cours de sa glorieuse carrière, nous le verrons plus d'une fois être envoyé avec ses pinceaux auprès de grands monarques. Tout en faisant leurs portraits, dans le tête-à-tête de la pose, il entamait avec eux les entretiens sur les affaires les plus graves et, par l'ascendant de sa haute raison, réussissait à les conquérir. Il nous parait très admissible que Vincent de Gonzague, ayant remarqué les grandes qualités de son peintre, ait dès lors déjà, voulu se servir de lui comme d'un auxiliaire dans une négociation diplomatique fort délicate. Dans la circonstance, il y avait lieu peut-être, de tenir compte d'appréciations “psychologiques„ comme nous dirions aujourd'hui, ou de “pousser à la roue„ par des efforts moraux: or, qui aurait pu mieux que l'élégant, l'intelligent, l'habile Rubens, s'acquitter d'une besogne aussi intime et, disons-le dès à présent, aussi conforme à ses goûts personnels? Car il n'y a pas le moindre doute à cet égard, le peintre aimait à s'occuper des choses de la politique; une sorte “d'influence secrète„ ou plutôt sa raison élevée le poussait à être acteur dans la direction des affaires pour travailler à l'avènement d'une ère de paix. Dans [94] la suite des documents relatifs à ce premier voyage en Espagne, nous aurons l'occasion de faire remarquer d'autres indices d'une commission particulière, donnée à Pierre-Paul en outre de celle de conduire un convoi de cadeaux d'Italie au fond de la Vieille-Castille.

Le duc de Mantoue, ainsi que nous l'apprennent les patientes investigations de M. Baschet, avait préparé ces cadeaux de longue main. Dès la fin de juin 1602, il y songeait; au 31 août, il donnait l'ordre à un peintre de Mantoue, nommé Pietro Facchetti, de copier à Rome une dizaine de toiles choisies parmi les plus célèbres ouvrages originaux qui se trouvaient là. Et de fait, le 21 décembre, l'artiste expédiait de Rome un convoi de seize tableaux, tous copiés d'après Raphaël (1).

Quand ceux-ci furent déballés à Mantoue, le Duc y fit ajouter les divers objets mentionnés dans la liste qui vient d'être donnée, et confia à Rubens le soin de conduire le tout en Espagne.

Le choix même du jeune flamand ne semble-t-il pas étrange s'il n'est appuyé sur quelque motif particulier? S'il ne s'agissait que de convoyer des cadeaux et de peindre quelques effigies de belles dames, pourquoi ne pas plutôt dépêcher en Espagne Pietro Facchetti, l'auteur des tableaux à offrir? Ce peintre était réputé bon portraitiste; il pouvait donc, lui aussi, retracer les beaux visages de la Cour de Castille. Et n'eût-il pas été plus raisonnable, plus digne d'un vrai Mécène, de fournir à cet artiste la satisfaction de présenter lui-même ses oeuvres à la cour d'Espagne? Pourquoi même n'avoir pas choisi François Pourbus qui, à cette époque, devait avoir, en fait de portraits, plus de renom que le jeune Pierre-Paul?

Ces réflexions viennent spontanément à l'esprit quand on examine de [95] près les documents relatifs à cette mission: les instructions données à l'agent de Mantoue, la correspondance de celui-ci et celle du peintre.

Le résident Iberti, avant ces instructions, a déjà été averti de l'affaire par plusieurs lettres. Il a été consulté sur la nature des objets à envoyer: il a dû s'enquérir des goûts particuliers de chacun des destinataires. Au Roi, passionné pour la chasse et la villégiature, un carrosse de campagne, des chevaux, des arquebuses; au duc de Lerme, amateur d'objets d'art, des peintures et des vases ciselés; à la comtesse de Lemos, femme du futur vice-roi de Naples, qui passe pour dévote, des objets de piété; à don Pedro de Franqueza, une des créatures du duc de Lerme, aussi intéressé, aussi vénal que lui, des vases de cristal et une riche tenture d'appartement.

On n'écrit pas de lettre au Roi: c'est bien inutile; on sait que le Roi ne lit pas les missives qu'il reçoit, au rebours de Philippe II, qui les couvrait de notes. Tout ce qui doit être fait, se fera entre les envoyés de Vincent de Mantoue et les directeurs de la politique de l'Espagne, le duc de Lerme et Franqueza.


[96] XIX
P.-P. RUBENS AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Illmo Sigr et Patron Colendmo Primo per obedire a Su Altezza Serma, che mi commandò expressamente referirgli il successo del viaggio di loco in loco, et poi necessitato di maggior occorrenza mi risolvo più tosto di travagliar V. Sigia Illma ch'altri, confidandomi nella bontà e cortesia di lei; che nel vasto mare di tanti suoi importantissimi negocii non sprezerà la cura di questa mia picciola navicella, molto male guidata sin'hora per consiglio di non so chi puoco accorto, parlando sempre con rispetto, et non a fine d'incolpar alcuno, ne d'iscusar me stesso, ma per chiarir a Su Altezza Serma come del errore d'altrui, il danno redonda in lei. La summa è ch'arrivato subito a Firenza (non senza grandissima speza di condur le robbe per l'Alpi, e principalmente il carroccino, come di sotto dirò) deidi le lettere del SigrCosimo Gianfilliacci al SigrCapponi, et ultre d'altri al SigrPierio Bonsi, mercanti primi di quella città. Gli quali si stupirono inteso il negocio, et quasi si segnorono per maraviglia di tanto errore, dicendo che dovevamo andar a Genova ad imbarquarsi, et non arrisigarsi cosi temerariamente a venir girando verso Livorno senza esser avisati prima di qualque passagio. Et affirmorono tutti che forse aspettarei tre o quatro mesi in vano, non senza pericolo doppo tanta tardanza d'esser sforzato d'andare a Genova per recapito. Il giorno seguente sopra giungero (sorte nostra) alcuni mercanti Genovesi fresci di Genova, et mi dissero ch'a Genova eran galere in punto di partirsi; et oltra, una nave cargava per Alicanti, et staria al porto ancora per otto o dieci giorni. Si che per consiglio di sopradetti Sigri Fiorentini et Genovesi ho conchiuso di partirmi quanto prima per Livorno, et subito junto imbarcarmi per Genova, ove (vogli Idio) che possa arrivare a tempo, si come spero in virtù del Genio di nostro Principe. Io non mancarò d'ogni possibil diligenza, [] [] [] [] [97] et sarei ja ito s'il caroccino non mi trattenesse che non è arrivato ancora, mercè gli bovi che tirano la treggia, in dispetto di muli, et la nostra machina con le stange fatta a posta a Mantova et condotta sin la, per lassarla non senza irrisione di mulattieri, che dissero che voda compyva il peso de le somme senza altro carico. La carozza sola senza altre sette somme, costa a condurre da Bologna a Firenza, quaranta ducatoni, fatto il precio con tutti gli avantagij et adiuti del SigrAndrea de Rossi et altri mercanti amorevolissimi et officiosissimi verso noi per efficacia de le lettere del Sigr Cosmo, come parimente a Ferrara il Sigr Martellino a requisitione sua, ove ancora si adoperò bene per servicio del Sigr Ducca il Sigr Conte Balthassar Langosco, appresso il Sigr Cardinale, in riparo de l'importunità di Gabellieri che volsero in tutti modi aprir le robbe. Ma Su Sigia Illma non solo si assicurò di questa lor violenza, ma facendo gracia più ampla de la supplica si liberò d'ogni fastidio e speza. Si come a Bologna ancora, mossi forse de si buono essempio, si contentorono d'honesta mancia. Et spero che faranno il simile a Fiorenza, si benè ch'el Gran Ducca sia a Livorno. Non e poco l'esser essemto, che si non fosse (come temo Spagna) importariano più le gabelle (1) (secondo il conto Ferrarese di cento e cinquanta scudi di datio) che tutto il viaggio, che ancora sin adesso di gran longa excede gli termini limitati e prescritti nella scarsa idea del Sigr Maestro di casa et altri. Io farò quello che poterò, il risigo è del Sigr Duca e non mio. Il quale se non si fida di me, mi ha dato molti dinari, ma si se fida, poci; il cui mancamento (non accada l'experiença) di quanto preiudicio sarebbe a la reputatione sua. E certo nel darmi troppo alcun pericolo non era, rimettendo sempre gli mei conti a qual si voglia severa censura.

L'avanzo non sarebbe egli suo? quanto inanti che me lo consegnasse. Che perdita dunque si non d'usura e di tempo? Quel istesso [98] dico, ch'adesso fo perdere a V. S. Illma con questa mia longa et noiosa lettera non accorgendomi di tanto errore trasportato di qualque affetto forse troppo libero e violento nel trattar co' pari suoi. Perdonami dunque la bontà vostra, e supplisca gli mei difetti sua modestia, pregando sempre et supplicandola voler far relatione a Su Altezza Serma di quello che più gli piace e pare necessario a mei bisogni, et si queste mie querele e lamenti non hanno forse bisogno di tanta energia e emphasi, mi rimetto totalmente nel suo savijssimo senno. Lei dica, lei faccia a suo modo e disponga del suo servitore. A cui Padrocinio baciando le mani humilmente m'inchino. Di Firenza a di 18 di Marzo l'anno 1603.

Di V. Sigia Illma
Affettmo servitore,

Pietro Paulo Ruebens.


Io desiderarei summamente si possibil fosse d'ottenirla per mezo di V. S. Illma una lettera per Genova a qualque Agente o Gentilhuomo amico del Sigr Ducca ad ogni caso che potria nascere.


Original à l'Archivio Gonzaga. Texte publié par M. A. Rosenberg: Rubensbriefe. Leipzig, 1881. P. 11. Traduction partielle par M. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 432.


TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A ANNIBAL CHIEPPIO.

C'est, d'abord, pour obéir à S. A. Sme qui m'a ordonné expressément de lui rapporter comment se poursuit mon voyage d'étape en étape, c'est pour m'y voir obligé, ensuite, par une circonstance majeure que je me suis résolu de vous tourmenter, vous plutôt que tout autre. Plein de confiance en votre bonté et en votre courtoisie, je sais que, dans le vaste océan de vos affaires si nombreuses et si importantes, vous ne dédaignerez pas de vous occuper de ma petite barque, très mal guidée jusqu'à présent par le conseil de je ne sais quel maladroit. Je parlerai toujours avec déférence, non pas dans le but [99] d'incriminer quelqu'un ou de m'excuser moi-même, mais pour faire connaître à S. A. comment, par l'erreur d'autrui, le dommage retombe sur Elle.

Enfin, je suis tout à coup arrivé à Florence, le 15 mars, non sans avoir largement dépensé pour conduire au-dessus des Alpes tous les bagages et surtout le carrosse, comme je le dirai plus loin. Je donnai les lettres de M. Cosme Gianfigliazzi à M. Capponi, et des lettres d'autres personnes à M. Pierio Bonsi, qui sont tous deux les premiers des marchands de la ville. Quand ils eurent appris l'affaire, ils demeurèrent stupéfaits et furent près de se signer d'étonnement de la grande erreur commise; ils disaient que nous devions aller à Gênes pour nous embarquer et ne pas risquer si témérairement de faire ce détour vers Livourne, sans être avisés auparavant de quelque départ de navire. Tout le monde m'affirmait que j'aurais peut-être attendu en vain pendant trois ou quatre mois, avec la chance de devoir encore, après une si longue attente, me rendre à Gênes pour en finir.

Le lendemain, par hasard, arrivaient directement de Gênes des marchands de cette ville qui me dirent qu'il s'y trouvait des galères prêtes à partir, et en outre, qu'un navire y chargeait pour Alicante et s'arrêterait encore dans ce port huit ou dix jours. En conséquence, sur le conseil de ces Florentins et de ces Génois, j'ai décidé de partir au plus tôt pour Livourne et de m'y embarquer de suite pour Gênes, où Dieu veuille que je puisse arriver à temps, comme je l'espère, par la protection du bon génie de notre Prince. Je ne manquerai pas de faire toute la diligence possible, je serais même déjà en route si je n'étais retenu par le carrosse, car celui-ci n'est pas encore ici, grâces aux boeufs qui tirent le traîneau à défaut de mules. Je suis arrêté aussi par notre machine à bannes, expressément fabriquée à Mantoue et conduite jusque-là, pour y être abandonnée à la risée des muletiers qui disaient que, vide, elle devait à elle seule, sans autre charge, parfaire le poids que peuvent tirer nos bêtes de trait. Le carrosse seul, sans les sept autres bêtes de trait, coûte à conduire de Bologne à Florence quarante ducatons, prix fait avec tous les avantages obtenus par le secours de M. André de Rossi et d'autres marchands, qui se sont montrés très complaisants, très officieux envers nous, par l'efficace des lettres de M. Cosme, lequel a requis également pour nous l'assistance de M. Martellino à Ferrare. Dans cette ville s'est bien employé aussi pour le service du Duc, M. le comte Balthasar Langosco qui est intervenu auprès de Mgr le Cardinal, pour nous défendre de l'importunité des gabelous, lesquels voulaient, de toute façon, ouvrir nos caisses. Son Éminence non seulement daigna nous garantir contre leurs procédés violents, mais encore, accordant [100] à la supplique une grâce plus ample, Elle nous affranchit de tout ennui et de toute dépense. Ce bon exemple porta sans doute ses fruits à Bologne, car les gens de la gabelle s'y contentèrent d'un honnête pourboire; j'espère qu'ils agiront de même à Florence, bien que le Grand Duc soit à Livourne. Ce n'est pas peu de chose que d'être exempté des gabelles; s'il fallait les payer — et je crains pour l'Espagne (1) — elles coûteront plus que tout le voyage, témoin le compte des taxes de Ferrare lequel se montait à 150 écus. Aujourd'hui déjà, les frais excèdent de beaucoup les étroites limites que M. le Maître d'hôtel et d'autres nous ont tracées dans une idée mesquine. Je ferai ce que je puis: les risques sont pour Mgr le Duc et non pour moi. S'est-il défié de moi? Dans ce cas, il m'a donné beaucoup d'argent. Se fie-t-il à moi? Dans ce cas j'en ai peu. Si les fonds venaient à manquer — puissé-je n'en pas faire l'expérience! — quel préjudice n'en résulterait-il point pour sa réputation! En me donnant plus qu'il ne me faut, il est certain qu'il ne court aucun danger; je soumettrai toujours mes comptes à tout examen, quelque sévère que l'on voudra. Le reste ne lui reviendrait-il pas, quoiqu'il m'eût été confié d'avance? Et quelle perte donc d'intérêts et de temps!

C'est ce même temps je vous fais perdre à cette heure, par cette longue et ennuyeuse lettre, sans m'apercevoir d'une aussi grande erreur, tout en me laissant transporter d'une émotion, peut-être trop libre et trop violente, pour cet entretien avec une personne de votre élévation. Que votre bonté me pardonne, que votre sagesse supplée à mes défauts: je vous prie, je vous supplie de vouloir bien faire à Son Altesse la relation de ce qui vous aura plu davantage et de ce qui vous paraîtra nécessaire à mes besoins. Et si mes plaintes et mes importunités ne doivent pas se présenter avec autant de vigueur et d'emphase, je m'en remets totalement à votre jugement éprouvé. Parlez, agissez à votre gré, disposez de votre serviteur qui s'incline sous votre patronage, en vous baisant humblement les mains.

De Florence, le 18 mars 1603.Votre affectionné serviteur,

Pierre-Paul Rubens.


Pour tout ce qui peut arriver, je désirerais extrêmement, s'il vous est possible de l'obtenir, une lettre pour Gênes, adressée à quelque agent ou à quelque Gentilhomme, ami de Mgr le Duc.


[101] COMMENTAIRE.

Par cette lettre, la plus ancienne en date que nous connaissions de Pierre-Paul Rubens, s'ouvre la correspondance d'un homme qui compte parmi les plus illustres; correspondance dont, malheureusement, comme nous l'avons déjà dit, il n'existe plus qu'une faible partie. Cette lettre, dont nous reproduisons le fac-simile en même temps que le texte, est un document d'histoire et de psychologie personnelles: elle nous apprend des détails biographiques et dessine un caractère. Celui qui veut étudier la vie de Rubens, en pèsera les termes et l'esprit, et, l'interprétant à l'aide des autres documents connus, il pourra se faire une idée de la position acquise par le jeune peintre, à l'âge de 25 ans, et des qualités d'homme qui se manifestent en lui. Ce n'est pas le rôle du simple commentateur de ces documents de se livrer à cette étude morale: cependant, il sera permis de dire, que dans ce premier témoignage autographe, le jeune flamand nous semble dépeindre d'une manière vive, saisissante, le milieu dans lequel il se trouve et la nature de ses relations officielles; nous y remarquons encore le développement des idées de dignité, d'ordre, de devoir qui, pendant toute sa carrière, s'associeront à son génie, et enfin, la finesse diplomatique qui s'unit dans cette lettre, à un style et une connaissance de la langue italienne, assez remarquables chez un étranger.

Ce qui s'en dégage surtout c'est l'impression des heureux rapports de Rubens avec Chieppio: de la part du secrétaire ducal, que les documents nous représentent comme le sage directeur des affaires de l'État, c'est un sentiment de protection affectueuse, éclairée; de la part du peintre, c'est un sentiment de gratitude et de confiance. On sent que tous deux peuvent compter l'un sur l'autre. Rubens, qui a beaucoup à souffrir du désordre qui règne dans les finances de Mantoue, exhale ses plaintes avec une grande franchise, concertée peut-être entre lui et Chieppio, de façon à ce que sa lettre pût être montrée au Duc. C'est même par suite de la communication faite à celui-ci, que cette lettre et d'autres se trouvent dans les Archives des Gonzague. Mais on ne peut nier que la manière dont Rubens s'exprime ne soit ferme et digne sous son enveloppe tissée d'habileté. On voit qu'il ne transige pas avec les habitudes d'imprévoyance et d'étourderie de l'administration ducale: on l'a chargé d'une mission, il veut être mis en mesure de l'accomplir avec honneur. Il écrit à Chieppio, mais il donne respectueusement une leçon à Vincent de Gonzague: ce ne sera pas la dernière; nous aurons plus d'une fois l'occasion d'entendre des plaintes du même genre.

[102] La lettre est datée de Florence: Rubens avait reçu ses passeports à Mantoue, le 5 mars, le jour même où le Duc envoyait ses instructions à son résident Iberti. Il était arrivé à Florence le 15 avec sa suite et ses bagages si étranges et si variés.

Florence n'est pas sur la ligne la plus courte pour se rendre de Mantoue en Espagne: l'on peut s'étonner de voir la caravane suivre ce chemin fantaisiste de Mantoue à Ferrare, qui est près de l'Adriatique, et de là par Bologne à Florence en traversant les Apennins. Rubens dit avoir été fourvoyé par un personnage qu'il ne nomme point. Mais si l'on ne comprend pas la singulière carte de voyage qui a été dressée par ce personnage, on ne s'explique pas non plus les difficultés douanières qu'eut à subir en Italie un envoi fait par un prince italien.

Pour la gabelle de Ferrare, sa réputation était mauvaise. Cette ville avait passé des princes d'Este au St. Siège, par la convention de Faenza, du 12 janvier 1598, entre Clément VIII et don César d'Este. Le Pape y entreprit de grands travaux et de notables changements administratifs. Ainsi, les tarifs et règlements de la Gabelle étaient ignorés du peuple: les percepteurs seuls les connaissaient et les appliquaient de la façon la plus arbitraire. En 1602, le magistrat obtint de pouvoir les imprimer avec les modifications accordées par le Pape (1); c'est à ce moment de transition que Rubens passa par Ferrare et put se soustraire aux exigences fiscales, grâces au Cardinal qui administrait la ville.

Nous ne pouvons omettre de signaler cette particularité que, dans la lettre dont nous nous occupons et dans quelques autres, le jeune peintre écrit son nom Ruebens.

Le lecteur remarquera également que, dans le corps de la lettre, il nomme Martellino celui qui, dans la note marginale, est appelé Martinello.


[103] XX
PIETRO PAOLO RUBENS A CHIEPPIO.

Illmo Sigr mio Colendmo

Spero ch'el consiglio del Sigr Cosmo riescirà meglio che non era l'opinione d'ognuno a Firenza, forse per sorte et accidente, e basta cosi senza ricercar altro. La carozza m'a ritardata alquanto e ritenuta in Fiorenza, per il spacio di sei giorni di più per causa d'acque et altri impedimenti fortuiti trattenendosi dieci giorni in si poco viaggio. Poi arrivato a Pisa salve le robbe, cavalli et huomini, menandai solo quella sera a Livorno, et trovai duoi o tre navi di Hamburg venute a requisitione del Gran Ducca, carice di grano e biada, et pronte per cercar noli in Spagna. L'occasione mi piacque e trattai con uno di paroni restando d'accordo in sperança d'imbarcarmi subito, ma s'intervenne il Gran Ducca chi la cargò simillmente di biade per Napoli, si che decaduto de la prima, riccorò a l'altra e quasi non dubito de la riuscita, pende però la resolutione per non esser il padrone spedito ancora di mercadanti. Domani intendero il certo. Io non mi sono scoperto dal Gran Ducca ne manco dal Don Virginio, prima per non haver lettere ne ordine di Su Altezza Serma ne fin adesso occasione o bisogno di molestarli, e più per non parer pescatore de le cortesie loro a rifrancar gli cavalli o donar la provisione per barca, come ha usato il Gran Ducca di fare a molti si come intendo e vedo. Egli è benissime per altri informato si come mi hanno riferito alcuni Gentilhuomini miei amici in questa Corte, a tal segnale che sta sera me ha fatto ricercare per mezo d'un Gentilhuomo Fiamengo suo servitore a voler pilliare in compagnia de gli altri cavalli una sua Hicquenea et donarla in Cartagena a non so chi. Io m'offersi con la maggior promptezza che possibil fosse ad accettarla, offerendo la servitù mia e quella di servitore di stalla a governarla et cetera. Egli l'intese cosi iscusando la speza di mandar altri. Ecco la historia del nostro viaggio [104] sin hora. Perdonami V. S. Illma si l'oreccie sue occupati de maggior negotii straccò con le mie ineptie recitando cosi minutamente cose de nessun momento, e per tal rispetto facendo fine bacio le mani di V. Sigria Illma. Di Pisa a di 26 di martio l'anno 1603.

Di V. Sigria Illusma
Humilissimo Serre

Pietro Paulo Ruebens.


L'adresse porte: Al Illusmo Sr mio et Padrone Colendissimo il Secretario Chieppio. In Mantova.


Original à l'Archivio Gonzaga. Citée par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 433. Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 14.


TRADUCTION.
RUBENS A CHIEPPIO.

J'espère que le conseil donné par M. Cosme nous fera réussir mieux qu'on ne le croyait généralement à Florence; que ce soit l'effet du sort ou de quelque accident, peu nous importe: nous n'en chercherons pas d'autre. Le carrosse étant un peu resté en retard, j'ai été retenu à Florence pendant six jours de plus, à cause des eaux et d'autres empêchements fortuits; j'ai donc dû mettre dix jours à un voyage de si peu d'importance. Puis, arrivé à Pise avec mes objets, mes chevaux et mes hommes sains et saufs, je suis allé le soir, seul, à Livourne, où je trouvai deux ou trois navires de Hambourg, venus à la réquisition du Grand Duc, chargés de blé et prêts à chercher du fret en Espagne. L'occasion me plut et je traitai avec un des patrons. Nous étant mis d'accord, j'espérais m'embarquer de suite, quand intervint le Grand Duc qui fit mettre sur le navire un semblable chargement de blé pour Naples. Me voyant donc enlever ce premier navire, je m'adressai au second et je ne doute point de l'obtenir: cependant la décision en est suspendue, parce que le patron n'est pas encore affrété par des marchands. Demain je saurai ce qui en est.

Je ne me suis pas découvert au Grand Duc, moins encore à Don Virginio; d'abord parce que je n'ai ni lettres ni ordres de S. A. S. et que [105] je n'ai eu jusqu'à présent ni l'occasion ni le besoin d'importuner l'un ou l'autre, et ensuite pour n'avoir pas l'air d'aller à la pêche de leur générosité afin d'obtenir la franchise des chevaux ou la provision de l'embarquement, ce que le Grand Duc a concédé souvent à un grand nombre de gens, comme je l'ai entendu dire et vu. Il est très bien informé de tout, à ce que m'ont rapporté des gentilshommes de mes amis en cette Cour, à telles enseignes que, ce soir même, il m'a fait rechercher par un gentilhomme flamand, attaché à son service, pour me demander de prendre avec moi, en compagnie de mes chevaux, une de ses haquenées qu'il destine à je ne sais qui de Carthagène. J

'ai mis à accepter la mission le plus d'empressement possible; j'ai offert mon service et celui d'un garçon d'écurie, pour soigner l'animal, etc. Le gentilhomme l'agréa ainsi, en donnant pour excuse les frais qu'aurait occasionnés l'envoi par d'autres agents.

Voilà jusqu'à présent l'histoire de notre voyage. Pardonnez-moi de fatiguer ainsi par des niaiseries vos oreilles occupées de choses plus importantes, et de vous raconter si minutieusement tous ces détails sans intérêt. Je finis en vous baisant les mains respectueusement.

De Pise, le 26 mars 1603.Votre très humble serviteur,

Pierre-Paul Rubens.


[106] XXI
P.-P. RUBENS A CHIEPPIO.

Illmo Sigre mio Colmo

Hoggi apunto ho trattato e conchiuso del imbarquamento per Spagna con quel Parone d'Amburg ch'io scrissi a V. S. Illma a l'altra posta ritrovarsi a Livorno, si che spero con la gracia d'Idio, far vele al terzo di Festi. Il Gran Ducca me fece chamar hoggi dopo pranso, et usò molte amorevolezze et cortesie di parole verso Su Altezza Serema et Madama nostra Senra, et ricercando alquanto curiosamente del viaggio mio et altri mei particolari proprij, me fece quel principe stupire a scoprirsi talmente informato d'ogni minutezza de la quantità e qualità di presenti destinati a questo o quel altro, et de più mi disse non senza gran mia ambitione qual io fus(se) (1), qual patria, qual professione et il g(ra)do (in quel)la (2). Io me ne restai quasi imbalordito per sospetto di qualque spirito familiare o vero l'eccellente correspondencia de relatori per non dir spioni in casa del Nostro Principe istesso, che altremente non puole esser, non havendo io specificato le robbe ne in douana no altrove. Forse la simplicità mi causa tal maraviglia di cose ordinarie nelle Corti. Perdonami V. S. Illma e lega per passatempo gli avisi d'un novicio e mal pratico, considerando solo la bona intencione di servir gli Padroni, et in particolar V. Sigria Illusma. Da Pisa, a di 29 di Martio l'ano 1603.

Di V. S. Illusma
Humilmo Serre

Pietro Paulo Ruebens.


[107] Au dos l'adresse: Al Illmo Sigr mio et Padrone colendissmo Secretario Chieppio in Mantova.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. Traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 434. Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 15.


TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

Aujourd'hui même, j'ai débattu et conclu un traité d'embarquement pour l'Espagne avec ce patron de Hambourg que je vous écrivais, dans ma dernière lettre, se trouver à Livourne; j'espère donc, avec la grâce de Dieu, faire voile au troisième jour des Fêtes. Le Grand-Duc m'a fait appeler aujourd'hui après le diner; il s'est servi des expressions les plus amicales et les plus courtoises à l'égard de S. A. Serme et de Madame notre Souveraine; et tout en s'informant avec assez de curiosité de mon voyage et de ce qui me concerne personnellement, ce Prince me jeta dans la stupéfaction en me montrant comment il était informé des moindres détails sur la quantité et la qualité des présents destinés à tel et à tel; il me dit encore, à la grande satisfaction de mon orgueil, qui j'étais, ma patrie, ma profession et le rang que j'y occupe. J'en restai comme hébété, soupçonnant l'action de quelque esprit familier, ou l'excellente correspondance des rapporteurs, pour ne pas dire des espions qui se trouvent au palais de notre Prince: il n'en peut être autrement, car je n'ai pas spécifié mes objets, ni à la douane, ni ailleurs. Peut-être aussi ma simplicité me fait-elle crier merveille pour des choses qui sont ordinaires dans les Cours. Pardonnez-moi et veuillez lire en guise de passe-temps, ces nouvelles que vous envoie un novice sans expérience, en ne tenant compte que de ma bonne intention de servir mes maîtres et particulièrement Votre Seigneurie. .

De Pise, le 29 mars 1603.Votre très humble serviteur,

Pierre-Paul Rubens


COMMENTAIRE.

Le Grand duc de Toscane dont parle Rubens dans ces deux lettres est Ferdinand Ier de Médicis, fils de Côme Ier. Cardinal dès l'âge de quatorze [108] ans, il vécut à Rome, dans la splendide villa Médicis, aujourd'hui Académie de France, et la transforma en véritable musée. Devenu Grand-Duc, par la mort de son frère François, décédé sans enfants en 1587, il prit d'une main ferme les rènes du gouvernement, épousa en 1589, Christine de Lorraine et porta le pays à un haut degré de prospérité. Il favorisa surtout l'agriculture, éleva de nombreux établissements utiles et des monuments à Florence, à Pise, à Livourne, il protégea les arts et les lettres. Jean Bologne exécuta pour lui des chefs-d'oeuvre de sculpture, Ottavio Rinuccini, Jac. Peri et Giulio Caccini créaient pour ses fêtes le drame musical d'où est sorti l'opéra moderne. Sa cour était une des plus somptueuses de l'Europe.

Mais, en même temps, il complétait l'organisation monarchique ébauchée par ses prédécesseurs. Le peuple fut déshabitué de toute ingérence dans le gouvernement, surveillé de près sans tyrannie, enguirlandé par l'éclat du règne.

Dans ses deux lettres de Pise, Rubens s'étonne ou, peut-être, feint de s'étonner de la promptitude et de la sûreté des renseignements dont il a été l'objet. C'était un effet du nouveau genre d'administration créé par le duc Ferdinand. Ancien cardinal, exercé à la politique raffinée de la Cour de Rome, la mieux au courant de tout ce qui se passe, soupçonneux et dissimulé par caractère, voulant rapporter tout à lui, le Grand-Duc avait organisé un système d'informations très étendu tant au dehors qu'au dedans de son duché. Dans les cours étrangères, il tenait des agents affidés ou soudoyait des personnages qui lui en rapportaient les secrets; dans son pays, il ne lui était pas difficile d'être instruit de la moindre affaire.

Le duc Ferdinand était regardé comme le prince le plus adroit de son temps: tout son règne ne fut qu'une lutte diplomatique tant pour la sécurité de son patrimoine que pour l'indépendance de l'Italie. Toujours, il sut se tirer des plus mauvais pas, grâces à son extrême habileté, grâces aussi à ce facteur qu'il avait à sa disposition et qui était le plus important, en ce temps-là, dans les choses de la politique: grâces à l'argent qu'il avait à foison. Tandis que la plupart des autres souverains se trouvaient sans cesse en proie aux difficultés financières, ou ne se créaient des ressources qu'en pressurant leurs sujets de taxes et d'impôts, lui seul augmentait ses revenus d'une manière plus aisée et moins dangereuse. Les Médicis, on le sait, étaient dans l'origine de simples commerçants qui s'élevèrent peu à peu au plus haut degré de la richesse, puis s'érigèrent en dynastie souveraine; mais ils ne rompirent point pour cela avec leur ancienne industrie. Les Grands-Ducs continuèrent, sans déroger, à faire du commerce et à trafiquer de l'or qu'ils gagnaient. [109] Ferdinand usa de ce privilège comme ses prédécesseurs, se souciant fort peu de ce que les frondeurs de France l'appelaient Duc marchand ou Prince des banquiers. Ses bénéfices lui permettaient de prêter de grosses sommes au roi Henri IV, qui ne les rendait pas, de donner une dot superbe à sa nièce pour en faire une reine de France, et surtout de se rendre favorables, en cas de nécessité, les ministres de son ennemi le roi d'Espagne.

Il se trouvait précisément alors dans un de ces moments critiques si fréquents de son règne. Profondément italien, il avait toujours souffert avec impatience la domination espagnole sur la Péninsule et, rompant avec la politique de ses prédécesseurs, il s'était résolument attaché à la cause d'Henri IV, avec l'espoir de trouver en celui-ci un défenseur de la cause de l'Italie. C'est Ferdinand qui décida le roi de Navarre à faire son abjuration pour devenir roi de France; plus tard, il lui donna sa nièce pour épouse, il lui rendit mille services; tout récemment encore, il lui sauvait la vie en l'avertissant de la conspiration de Biron, concertée avec la Savoie. Tous ces bienfaits ne lui valurent que des expressions toutes platoniques de reconnaissance de la part de Henri IV, le plus léger, le plus versatile des politiques, et, en fin de compte, un abandon complet. Livrée à de tristes intrigues, divisée par les influences occultes de l'Espagne, la cour de France regardait avec indifférence ce qui se passait en Italie.

En ce moment, une nouvelle tentative se préparait en Espagne contre le Grand-Duc. Celui-ci avait soutenu en secret le duc de Modène, dont les Espagnols avaient attaqué les possessions; il réclamait l'ile d'Elbe, occupée par eux, il refusait à Philippe III de payer les dettes de Pierre de Médicis, frère de Ferdinand, depuis longtemps réfugié en Espagne. Toutes les vieilles animosités s'étaient reveillées, l'orage allait fondre sur la Toscane: pour se mettre à l'abri, le Grand-Duc fut obligé de recourir à toutes les ressources de son habileté.

Il se trouvait alors à Pise, comme on le voit par la lettre de Rubens, et s'y occupait, sans doute, des travaux en exécution, tant pour l'embellissement que pour la défense de la ville: c'est de là qu'il observait les événements. Les Espagnols étaient proches; ils tenaient garnison à Piombino, la capitale d'un petit duché, dont le dernier prince, Orazio Appiani, était mort. Ce duché allait donc devenir un sujet de litige entre eux et le Grand-Duc.

Dans ces circonstances, il n'est pas étonnant que le Grand-Duc fût au courant de la mission envoyée en Espagne par son neveu le duc de Mantoue. Bien que les deux princes n'aient pas toujours suivi la même ligne politique, [110] il est pourtant certain que Vincent devait, en général, n'être que le satellite de son oncle, plus puissant, plus respectable, plus élevé que lui. L'on pourrait même très raisonnablement supposer que la mission faisait partie d'un programme diplomatique tracé par Ferdinand et exécuté à la suite d'un secret accord entre le neveu et l'oncle, peut-être pour tâter le terrain en Espagne. Quelque temps après, en effet, le Grand-Duc y envoyait, dans le même but, un de ses affidés, Côme Concini, qui, par des manoeuvres habiles, parvint à connaître d'abord les desseins secrets de l'Espagne puis à détourner l'orage prêt à éclater. On trouve aux archives de Florence, les documents relatifs à son ambassade (1). Il semble résulter cependant de sa correspondance qu'il n'était pas satisfait de la manière dont se conduisaient les résidents du duc de Mantoue. Nous en parlerons plus loin.

Le résident Iberti n'était pas non plus persona grata auprès des agents du Grand-Duc en Espagne. Un de ceux-ci, Domitio Perone, écrivait de Valladolid, le 28 avril 1603, au premier secrétaire, le cavre Belisario Vinta: “Le docteur Annibal Liberti, agent de Mantoue, s'intitulait d'abord secrétaire; ensuite, petit à petit, il a usurpé le nom de gentilhomme et ne se refuse pas le titre d'ambassadeur. C'est un homme de cinquante ans, connaissant les affaires de cette cour, très pédant (gran baccalaureo), ne traitant que de petites choses avec la plus grande gravité; mais il n'est pas estimé parce que, étant déjà un solliciteur, il est devenu un fâcheux„ (2).

On ne peut s'empêcher d'admirer, surtout dans la lettre du 29 mars, les progrès accomplis par Rubens dans la science de Machiavel. La surprise qu'il éprouve en entendant les détails que le Grand-Duc lui communique, cette surprise n'est pas sincère et se présente avec un air de malice qui annonce un futur diplomate. Il vivait, on le voit, dans un milieu où l'on possède à merveille l'art de déguiser sa pensée; nous ne sommes pas dupes de son aveu de simplicité et des qualificatifs de novice, d'homme peu pratique qu'il se donne. On voit qu'il en sait plus qu'il ne veut le dire à Chieppio, mais il est bien aise de le lui faire entendre.

La circonstance des navires retenus par le Grand-Duc, nous met en présence d'un des actes les plus dignes d'éloges de son règne. Les disettes étaient, à cette époque, assez fréquentes en Italie; dès qu'un de ces fléaux s'annonçait, Ferdinand s'empressait de faire arriver d'Angleterre, de Hollande [111] ou d'ailleurs, de fortes quantités de blé, qu'il livrait à la consommation avec beaucoup de désintéressement. Il sauva plus d'une fois son pays de la famine. Le Don Virginio dont parle Rubens est Virginio Orsini, duc de Bracciano, fils de Paolo Giordano et d'Isabelle de Médicis, fille de Côme Ier et soeur de Ferdinand. C'était un prince très riche, auquel Philippe II avait donné la Grandesse et la Toison, et que Grégoire XIII avait décoré du titre d'assistant au trône pontifical, ce qui le mettait de pair avec les cardinaux. En 1594, le Grand-Duc l'expédie contre les Turcs, en Hongrie, avec cent arquebuses et cent cuirasses et il y est blessé au siége de Giavarino. En 1599, il attaque l'île de Scio, mais sans succès, avec les galères toscanes; l'année suivante, il assiste aux fêtes du mariage de Marie de Médicis avec Henri IV et y élève de grandes prétentions de préséance, puis il accompagne la reine en France. En 1601, il est avec Doria de l'entreprise contre Alger, mais la tempête disperse leur flotte. Au moment où Rubens est à Pise, Virginio, souffrant de la goutte, avait quitté le service. C'était un prince lettré, ami du Tasse, auquel il fit du bien. En 1589, au mariage de Virginio avec Flavia Damasceni Peretti, nièce de Sixte V, le grand poète dédia aux époux une de ses plus charmantes poésies (1). Orsini mourut à Rome, le 9 septembre 1615.

Le gentilhomme flamand, attaché au service du Duc, qui vient trouver Rubens le soir de son arrivée à Pise, se nommait Jean Van der Neesen, comme nous le verrons par la lettre du 22 avril, donnée plus loin.

Rubens parle de “gentilshommes ses amis à la cour du Grand-Duc„: il a donc séjourné à Florence, ce que nous avons déjà constaté. D'un autre côté, il semble ressortir de sa lettre qu'il n'a jamais eu de rapports avec le Grand-Duc avant son audience à Pise. Le fait est fort possible et ne serait pas en contradiction avec les conjectures que nous avons émises, en parlant du séjour de Rubens à Florence lors des fêtes du mariage de Marie de Médicis. Il peut très bien, en cette occasion, avoir fait partie de la suite du duc de Mantoue, et même avoir peint des portraits de personnages, voire de la future reine, sans être entré en relation personnelle avec le Grand-Duc. La manière dont celui-ci parle du peintre et de ses travaux prouve, d'ailleurs, que Rubens n'était pas un inconnu pour lui et, même, commençait déjà à avoir une notoriété.


[112] XXII
P.-P. RUBENS A CHIEPPIO.

Illustrissmo Sige mio Colendmo

Hormai mi pare d'haver quasi condutto il viaggio a buon fine del canto mio. Il resto faccia Dono Idio. Gli cavalli, huomini e robbe sono imbarcate et altro non manca si non il vento favoravole che s'aspetta d'hora in hora. Habiamo fatte le provisioni per un mese et pagato il nolo. In summa il tutto e perfettamente accomodato per mezo del buon aiuto del SigreDario Thamagno, mercante primo di Livorno, Firentino però, huomo veramente oltra l'amicitia del Sigre Cosmo molte affettionato al Sigre Ducca. Et a me non dispiacerebbe che Su Altezza passando o ripassando di quà lo accarezzasse un puoco di qualque benigna ochiata o favorevol parollina, de la quale lui (che aspira a li honori et si pasce del fumo de le Corti) potesse argumentar la bona relatione fatta di suoi benmeriti verso noi.

In quanto a gli danari che Su Altezza mi fece dare a gran mala stinta di censori del viaggio, non basteranno per speze d'Alicante sin Madrid senza datij, gabelle ne qual si voglia caso che possa intravenire. El Sigre Cosmo mi disse che c'era poca strada di tre o quattro giornate, et intendo che passa ducento et ottanto millij, e noi per rispetto di cavallucci caminiamo poco al giorno. Di quei di Su Altezza Serma, mi sono rimasti poci più di cento ducatoni, che non importa si non bastano perchè mi servirò di quei che'l Sigr Ducca mi dette a mio conto. Non accada che alcuno se dubiti di qualche mia negligenza o facilità nel spendere, che farò evidente el contrario per via de conti exquisiti. Io non farei questo discorso tanto noioso a me e più a l'orecchie di V. Sigria Illusma si non fosse che me incita et accende la rimembranza de molte parole da me udite di bocca di Su Altezza propria, et altri infiniti infacendati come gran pratticaccij d'intorno di questo negocio, che tutti conchiusero, come per ammiracione de la [113] liberalità del Sigr Ducca, che molto maggiore era la somma che non gli bisogni di tal viaggetto, et de più che ch'era largamente provisto ad ogni caso stravagante o disgratia che potesse nascere, oltra la gravezza de datij, i quali non comportava la riputatione di Su Altezza di schivare o procurare essemtione, che tutto sta bene, et presumo d'havere osservato il decoro in questo et ogni altra minutezza. Hora juro per mi a fè da quel servitore ch'io sono a Su Altezza Sema et a V. Sigria Illusma in particolare che n'abbiamo avuto adversità d'alcun momento (Idio gracia), ansi grandissima sorte a trovar passaggio, si promto e opportuno, di più exsemtione de gabelle per spontanea liberalità di superiori per tutto, excette poce mancie date a gli officiali de la dogana. La speza de gli huomini honesta, et secondo il tasso jà fatto in Mantova d'un tanto per giorno, per gli cavalli sumtuosa ma necessaria, come bagni di vino et altro, gli noli avantagiosi e pattuiti (come si vedera per gli conti, bona parte scritti de loro mano) di Martellini in Ferrara, di Rossi in Bologna, Capponi e Bonsi a Fiorenza (come anco il cambiamento di danari dagl'istessi) Riccardi in Pisa et il nolo de la nave che più importa insieme con le provisioni fatte per il Sigr Dario Thagmano non senza singolar sua destrezza e nostra ventura per esser in tre le navi e vode, a pilliar noli in Alicante. In somma ove comportava l'honor del Sigre Ducca habeamo proceduto a la mercadantesca, et con tutto questo la speza arriva a quel segno ch'io dissi. Il Gran Ducca mi ha consignato la su cavalla Achinea da presentare al Sigre Don Giovan de Vich, capitaneo di Su Maesta Catolica in Alicante, insieme con una Tavola de marmo bellissima. Altro non ho per adesso, il resto di Spagna. Prego V. Sigria Illusma voler favorirmi di far libera demonstratione del tutto a Su Altezza o farli leggere questa presente, a fine (1) che sciacci del animo ogni oltra vana persuasione d'intorno le speze del [114] viaggio, che tali sono realmente quali le mantenerò in faccia d'ognuno. Et con questo V. Sigria Illma mi mantenga nella sua bona gratia et conserva parimente in quella di Su Altezza Serma, la quale io pretendo non per via di meriti ma di puro e sincero affetto verso lei.

Di Livorno a di 2 d'aprile l'ao 1603.Di V. Sigria Illusma
Humilissmo Serre

Pietro Paulo Ruebens

.

Sur une enveloppe l'adresse: All' Illusmo Sigr mio et Padrone Colendissimo il Secretario Chieppio in Mantova. Avec cachet de cire assez indéchiffrable.


Original à l'Archivio Gonzaga. Publiée, partie en traduction, partie en analyse par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts, XX, p. 435. Texte publié par M. Rosenberg, Rubensbriefe, p. 16.


TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

Jusqu'à présent, ce me semble, j'ai à peu près conduit mon voyage à bonne fin, quant à moi; le Seigneur Dieu fera le reste. Les chevaux, les hommes et objets sont embarqués; il ne nous manque plus qu'un vent favorable et nous l'attendons d'heure en heure. Nous avons pris des provisions pour un mois et payé le passage: en somme tout est parfaitement arrangé, grâces au bon aide que j'ai trouvé en M. Dario Thamagno, premier négociant de Livourne, mais Florentin d'origine, ayant une grande affection pour Mgr le Duc et en même temps lié d'amitié avec M. Cosme. Il ne me déplairait pas que S. A., en passant ou en repassant par ici, voulût bien un peu le caresser d'une oeillade bienveillante ou d'une petite parole favorable; lui, qui aspire aux honneurs et se nourrit de la fumée des cours, en tirera la preuve que j'ai fait une exacte relation des services qu'il nous a rendus. Quant aux sommes que S. A. m'a fait remettre, au grand déplaisir des censeurs du voyage, elles ne suffiront point pour nous défrayer d'Alicante à Madrid, sans compter les taxes, les gabelles ou tout incident qui pourrait arriver. M. Cosme m'avait dit qu'il ne s'agissait que d'un petit voyage de trois ou quatre journées, et j'apprends qu'il y a en réalité plus de [115] 280 milles: or, par égard pour nos petits chevaux, nous faisons peu de route en une journée. Des fonds de S. A. il me reste un peu plus de cent ducats; il n'importe pas qu'ils soient suffisants, car je me servirai de ceux que le Duc m'a donnés pour mon compte. Il ne faut point que quelqu'un mette en doute le manque de soin de ma part ou ma discrétion dans la dépense: je démontrerai qu'il n'en est rien, à toute évidence, au moyen de mes comptes parfaitement tenus.

Je ne vous tiendrais pas ce discours ennuyeux pour moi et plus encore pour vous, si je n'y était poussé et obligé par le souvenir de nombreuses paroles que j'ai entendues de la bouche de S. A., par le souvenir aussi de cette foule d'affairés et de grands experts qui se sont mêlés de notre mission et affirmaient tous, d'un commun accord et presque en extase devant la libéralité du Duc, que la somme accordée dépassait de beaucoup les frais d'un pauvre petit voyage. Ils affirmaient, de plus, que l'on avait largement pourvu à tous les cas exceptionnels, à tout accident qui pouvait survenir, même à l'énormité des taxes. D'après eux, il ne convenait pas, d'ailleurs, à la réputation de S. A. d'en esquiver le paiement ou d'en demander l'exemption. Tout cela est bien; mais je crois avoir observé les règles de la dignité en cela comme en toute autre chose de moindre importance. Maintenant je vous jure, foi de bon serviteur que je suis de S. A. S. et de vous en particulier, que nous n'avons, grâces à Dieu, éprouvé aucun désastre de conséquence. Nous avons, au contraire, eu la chance très heureuse de trouver un passage prompt et opportun, de jouir de l'exemption de toutes gabelles, par la libéralité toute spontanée des intendants, et de n'avoir eu à payer que de légères gratifications aux employés de la douane. Le salaire de mes hommes est suffisant: il a été fixé à tant par jour suivant une convention faite à Mantoue; la dépense pour les chevaux est somptueuse mais nécessaire, ainsi elle comprend des bains de vin et d'autres soins coûteux. Les frais de passage, ainsi qu'on le verra par les comptes, ont été conclus avantageusement par des contrats écrits en bonne partie de la main de Martellini à Ferrare, de Rossi à Bologne, de Capponi et Bonsi à Florence, lesquels ont fait aussi le change des monnaies, de Riccardi à Pise. L'affrêtement du navire, ce qui était le plus important, et les provisions ont été faits par M. Dario Thamagno avec une habileté particulière et nous avons eu la chance de rencontrer ici trois navires vides prêts à chercher du frêt à Alicante. En somme, où il s'agissait de l'honneur de Mgr le Duc, nous avons procédé à la façon des marchands et avec tout cela la dépense arrive au point que j'ai dit. Le [116] Grand-Duc m'a confié sa haquenée, un cheval que je dois offrir à Don Giovan de Vich, capitaine de S. M. Catholique à Alicante, en même temps qu'une très belle table de marbre.

Pour le moment je n'ai rien d'autre à vous dire; le reste, je vous l'écrirai d'Espagne. Je vous prie de vouloir bien rendre compte librement de tout ceci à S. A. ou de lui faire lire ma lettre (1), afin que S. A. chasse de son esprit toute autre vaine persuasion relativement aux dépenses du voyage, dépenses qui sont réellement aussi fortes; ce que soutiendrai devant tout le monde.

En finissant, je vous prie de me tenir dans vos bonnes grâces et de me conserver celles de S. A. S. auxquelles je prétends avoir droit, non par mon mérite, mais par l'affection pure et sincère que je lui porte. .

De Livourne, le 2 avril 1603.Votre très humble serviteur,

Pierre-Paul Rubens


COMMENTAIRE.

Il n'y a guère d'éclaircissements à fournir sur cette lettre écrite par Rubens ayant déjà un pied dans le vaisseau qui l'emporte en Espagne. On ne peut qu'attirer l'attention sur les plaintes réitérées au sujet de l'insuffisance de son budget de voyage. La parcimonie dont Vincent de Gonzague use à propos de la mission en Espagne, les avis des gros bonnets de la cour de Mantoue sur la quotité des frais présumés, nous dépeignent en traits accentués la situation de ce petit prince qui d'un côté fait de l'ostentation et de l'autre se voit forcé, faute de ressources, à liarder comme un simple bourgeois. Par les détails que donne cette lettre sur les opérations, les comptes, les économies du voyage, nous voyons se dessiner ces hautes qualités qui distingueront Rubens dans toute sa carrière: l'ordre et la dignité. Comme un bon négociant d'Anvers, il tient ses livres à jour, il traite ses affaires aussi avantageusement que possible, mais en même temps il est large clans sa dépense obligée, il a, surtout, le plus grand souci de sa considération. Dans un de ses nombreux moments de gêne financière, le Duc, aura marchandé, sans doute, les frais de [117] la mission confiée au peintre; mais celui-ci, qui avait de la fierté, tant pour lui-même que pour son maître, ne pouvait s'astreindre à n'être qu'un chef de palefreniers.

Un passage de la lettre parait obscur: celui dans lequel Rubens dit que le voyage, qui, d'après M. Cosme, ne doit durer que trois à quatre jours, sera, en réalité, beaucoup plus long. En effet, d'Alicante à Valladolid où se trouve le Roi, Rubens a du mettre vingt jours. Cette différence d'appréciation ne peut être mise sur le compte de l'ignorance géographique, mais bien sur une indication erronée du séjour actuel du Roi. Philippe III, on le sait, était souvent en route: on pouvait croire qu'il se trouvait alors à Valence, par exemple, où il se rendit, en effet, quelques mois plus tard.


[118] XXIII
P.-P. RUBENS AL SreGIO. VAN DER NEESEN.

Sig. mio Ossermo

Sono arivato (gratia Idio) sano e salvo insieme le robbe,. cavalli, gl'huomini, et subito ho esseguito quel poco che toccava al servicio del Gran Duca. Le lettere al Sig. Don Giovanni et il cavallo vestito e senza mancamento di sorte alcuna, ho consegnato al Sig. Louis Pasquall, logotente del Don Giovanni per esser egli absente in Valencia. L'altra lettera al Sig. Lorenzo de Puigmolti, notario del Sto Officio in propria mano. Il quale certo s'e adoperato bene a servicio mio et de gli capitani de le navi, che tutti restorono sottisfattissimi di lui, et pregoronomi di voler fare questa relatione de beneficii ricevuti a V. Sigia, et per consequenza di bocca vostra al Gran Duca, con infiniti ringratiamenti d'ogni suo favore, l'istesso da parte mia con quella maggior instanza che possa. Et di questi restarò in obligo verso V. Sigria desiderando contracambievol cagione per servirla. A di 22 d'aprile l'anno 1603. In Alicante.

Di V. Sigria Illustma
mo servitore,

Pietro Paulo Ruebens.


L'adresse porte: Al Illuse Sig. mio et Patron osservandmo Il Sig. Giovanni Van der Neesen. In casa del Sig. Dario Thamagno o del Sig. Cavagliere Picciolini.

In Livorno.
In Pisa.


Original dans l'Archivio di Stato, à Florence (Carteggio Mediceo, Filza 952, carte 454). Copie envoyée en même temps par M. Milanesi, le savant e'diteur de Vasari, et par M. Guasti, surintendant des Archives de Florence. Publiée au Bulletin Rubens, 1883. T. II, p. 81.


TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A M. JEAN VAN DER NEESEN.

[119] Grâces à Dieu, je suis arrivé sain et sauf avec les bagages, les chevaux et les hommes, et j'ai exécuté immédiatement le peu que j'avais à faire pour le service du Grand-Duc. Les lettres pour M. Don Juan, le cheval tout équipé, auquel il ne manque rien d'aucune manière, je les ai consignés à M. Louis Pasquall, lieutenant de Don Juan; celui-ci étant absent à Valence. J'ai remis l'autre lettre en mains propres à M. Lorenço de Puigmolti, notaire du Saint Office. Celui-ci s'est vraiment bien mis à mon service et à celui des capitaines des navires, lesquels ont été très satisfaits de lui et me prient de vous signaler la bienveillance dont ils ont été l'objet.

En conséquence, veuillez dire tout cela de bouche au Grand-Duc et lui adresser les plus vifs remerciements de ses faveurs; faites-le de ma part aussi avec toute l'instance possible. Je vous en serai très obligé et je désire trouver une occasion de vous rendre service en revanche.

Alicante, le 22 avril 1603.Votre affectionné serviteur,

Pierre-Paul Rubens


COMMENTAIRE.

En supposant que le vent favorable ait permis à Rubens de s'embarquer au lendemain de la lettre précédente, le 3 avril, il doit être arrivé à Alicante vers le 20, après une traversée de 17 ou 18 jours. On voit par cette lettre que, le 22, il a déjà rempli diverses commissions dont il a été chargé.

La lettre ci-dessus a été publiée par nous dans le Bulletin-Rubens T. II, p. 81. M. Génard la fit suivre d'une commentaire que nous reproduisons:

“Jean Van der Neesen, à qui Rubens écrit la lettre du 22 avril 1603, était, suivant toutes les apparences, le fils de M. Denis Van der Neesen, secrétaire d'Anvers, depuis 1567 jusqu'en 1610. Sa mère était Adrienne De Wilde, décédée le 1r novembre 1627. Il eut pour frères et soeur: 1° Denis Van der Neesen, secrétaire de la ville depuis le 30 avril 1610 jusqu'au 5 septembre 1616; 2° Pierre Van der Neesen, chevalier (Eques [120] auratus), maïeur de Halen en 1617, mort le 19 novembre 1625; 3° Marie Van der Neesen, morte le 5 juin 1641. Toutes ces personnes furent enterrées dans l'église des Dominicains à Anvers, où l'on voyait autrefois leur pierre funéraire. Un autre frère de Jean, Gabriel Van der Neesen J. U. L. mourut en 1587 et fut enterré dans l'église de St. Georges. Les deux Denis Van der Neesen furent des amis particuliers des secrétaires Henri De Moy, Jean Bochius et Philippe Rubens et alliés aux familles de Van Bueren et Van Valckenisse.„

On voit, par ces détails, que le personnage appartenait à la haute bourgeoisie Anversoise et qu'il était au service du Grand-Duc, probablement dans un de ces comptoirs.

Nous avons trouvé, sur lui, dans les Archives de Florence, des documents assez curieux dont il n'est pas inutile de donner un résumé (1).

La plus ancienne lettre de son dossier, datée du 29 août 1602, nous le montre à Venise et partant pour Dantzig; le 3 septembre, il écrit de Nuremberg; il y est encore le 14 du même mois et revient à Florence. C'est de là qu'il écrit au secrétaire Vinta, le 20 mars 1604, une lettre qui nous présente des détails biographiques. “Je vous supplie„, écrit-il “de ne pas m'oublier et de vouloir bien m'expédier mon Ample Patente, afin que dans l'occasion, le monde puisse voir, surtout dans les Pays-Bas, ma patrie, quels ont été mes comportements au service de cette Sérénissime maison. Daignez ordonner aussi que l'on mette au rôle la pension qui m'est accordée, de 25 écus par mois, à commencer du premier janvier passé: vous m'obligerez éternellement. J'attends de même qu'il vous plaise de m'attacher par cette chaîne, selon la promesse et la parole données par le Trésorier général, quand même cette chaîne serait aussi forte que celle à laquelle j'ai été lié par les barbares de Tunis quand je fus leur esclave; je supportais tout en patience au service de S. A.„

“J'ai été en pourparlers avec le trésorier général sur la voie que nous avons à tenir relativement à la concession de ma petite villa: tout se déterminera conformément à la parole qui vous a été donnée. Sauf correction, il me semble cependant qu'il serait bon que j'eusse d'abord cet acte de concession, afin que je voie mon ami, avant que je ne parte de ce pays. Toutefois, je [121] m'en remets à votre bonne volonté à laquelle je me soumettrai pendant toute ma vie avec l'affection que je dois à celui qui a daigné, depuis 23 ans, se faire mon protecteur, et auquel je présente humblement l'expression de mon respect. De Florence, le 3 mars 1604.„ (1)

On voit par cette lettre qu'il allait quitter l'Italie pour occuper un poste dans les Pays-Bas. En effet, l'année suivante, il envoie des lettres d'Amsterdam, où il s'occupe des affaires commerciales du Grand-Duc. Dans l'une de ces lettres, datée du 10 octobre 1606, et adressée à son cousin Abraham Luc, il se dit pauvre: povero come sono. Après cette date, nous le perdons de vue, le dossier n'a plus de lettres de lui jusqu'en 1611. Cette année, le 7 janvier, il écrit d'Anvers, où il est définitivement installé comme correspondant pour les nouvelles de la politique et du commerce. Pendant cette année et la suivante, il adresse à Florence 32 lettres quelquefois en chiffres, et souvent assez intéressantes. Enfin, le dossier contient encore deux lettres datées de Paris, l'une du 13 mars 1614, l'autre du 2 novembre 1616. Puis il disparaît tout à fait de la scène.

Nous sommes entré dans ces détails sur ce personnage pour faire part [122] d'une circonstance qui nous a frappé. Ce compatriote de Rubens, qui fut en rapport avec celui-ci en Italie, dont la famille est liée avec celle du peintre, vient s'établir à Anvers, adresse à la cour du Grand-Duc de nombreuses relations, quelquefois assez longues, de ce qui se passe en Belgique et surtout dans la ville qu'il habite: dans aucune de ces missives le nom de Rubens n'est prononcé. Et cependant, en 1612, ce nom était déjà célèbre; l'artiste avait produit de grands chefs-d'oeuvre; Ferdinand de Médicis n'était pas indifférent aux choses de l'art, il avait connu Rubens: il semble que des nouvelles de celui-ci auraient été bien reçues. Ce silence de Van der Neesen nous étonne et nous ne pouvons l'expliquer.

La lettre de Pierre-Paul dont nous nous occupons, et qui n'est, probablement, pas la seule qu'il ait écrite, en ce moment-là, à l'agent du duc de Toscane, cette lettre se trouve dans le dossier de Van der Neesen, à Florence et voici comment.

Un des fonctionnaires de la Cour avait demandé des renseignements sur Lorenzo de Puigmolto, qui est nommé dans la lettre de Rubens; Van der Neesen lui répond, le 26 septembre 1603:

“Je suis au regret de ne pouvoir donner au cav. Vinta la note et l'information complète qu'il désire sur la haute situation et la qualité de Lorenzo de Puigmolto, notaire du Saint-Office. Ce personnage vient justement de m'écrire par la voie de Pierre-Paul Rubens, qui a conduit en Espagne les chevaux et les autres objets envoyés par l'Altesse Sérénissime de Mantoue. Ce Puigmolto a non seulement secouru et favorisé la personne de Rubens, il est encore venu en aide aux capitaines de vaisseau qui ont transporté ce dernier, ainsi que le cav. Vinta peut le voir par la lettre que M. Pierre-Paul m'écrit d'Alicante et que je vous envoie ci-incluse pour votre satisfaction. Bien qu'elle soit très vieille de date, c'est avant hier seulement que je l'ai reçue par un envoi de Livourne. Je me rappelle très bien que le cav. Guidi, secrétaire de Madame Sérénissime, notre Souveraine, me donna je ne sais quelles lettres pour Alicante avec ordre de les y faire parvenir, ce que je fis en les remettant au susdit Pierre-Paul. Peut-être le cav. Guidi saura-t-il en donner plus ample information au cav. Vinta. Quant au cheval que la même susdite personne y conduisit pour un certain Don Giovanni, par ordre de S. A. Sme, il a été consigné en parfait état à M. Louis Pasquall, lieutenant du susdit don Giovanni, attendu que celui-ci se trouvait à Valence. On peut voir tout cela par la lettre que m'a écrite M. Pierre-Paul, lettre que je vous envoie avec celle que j'ai reçue de M. Lorenzo Puigmolto lequel est ce que [123] j'ai dit plus haut, je puis l'affirmer tant à vous qu'au cav. Vinta, etc. De Florence, samedi 26 septembre 1603 à midi„ (1).

Ces deux lettres et un passage de la lettre de Rubens du 26 mars contiennent tout ce que nous savons des rapports de Rubens avec son compatriote Jean Van der Neesen.


[124] XXIV
DOMITIO PERONI AL SIGre BELISARIO VINTA.

.....E arrivato quà l'huomo del Duca di Mantova che conduce la carrozza et cavalli per donare a S. M.

.....Di Valladolid, al 13 di Maggio 1603.

Lettre originale aux Archives de Florence. (Lettere et inserte del secrrio Domitio Perone di Spagna, di 4 di febb. 1601 al 30 di dec. 1603.)


TRADUCTION.
DOMITIO PERONI A BELISAIRE VINTA.

L'homme du duc de Mantoue, qui conduit le carosse et les chevaux pour les offrir à Sa Majesté vient d'arriver ici.

De Valladolid, le 13 mai 1603.

COMMENTAIRE.

Ce passage est extrait d'une lettre du résident de Toscane en Espagne. Sa correspondance, adressée au premier secrétaire du Grand-Duc, Belisario Vinta, est, comme toutes celles de ce genre de fonctionnaires, une intéressante source d'informations. Ce résident fait connaître l'arrivée de Rubens à Valladolid au jour même et avant que le résident de Mantoue n'en informe sa Cour. On remarquera qu'il ne sait pas encore le nom de “l'homme„ qui est envoyé par Vincent de Gonzague.

Dans une nouvelle lettre, datée du 17, le même résident annonce un détail qu'il nous faut renseigner: “Don Juan Vich d'Alicante„, écrit-il, “est venu ici et m'envoie par un domestique le pli ci-inclus pour le remerciement et il m'a fait voir une lettre de Son Altesse, par laquelle celle-ci lui envoyait [125] une haquenée„ (1). Ce détail nous fait croire que ce de Vich a fait la route d'Alicante à Valladolid avec Rubens. A une époque où, pour sa sûreté, l'on recherchait de voyager en compagnie, il est assez naturel d'admettre que ces deux hommes, qui viennent d'être mis en rapport officiel, se soient concertés pour accomplir ensemble un aussi long trajet. Cependant, les lettres de Rubens et d'Iberti n'en disent rien.


XXV
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Le due benignissime di V. A. dell' ultimo di Marzo mi capitarono tre dì sono, nel medesimo tempo ch'arrivô il Fiamengo con la cassa dei cristalli, et un altra dei vestiti che potè portar seco sopra muli, et con i cavalli cosi ben trattati che pare non habbiano fatti viaggio. L'altre robbe vengono appresso sui carri, ma non potranno gionger anco fra due giorni. Del arrivo loro darò subito conto al SrDuca di Lerma acciò m'ordini quel c'havro da fare, se ben credo che non potendo esser a tempo per servir nel viaggio che fa S. M. da Aranjuez a Burgos, per dove si mosse con la Regina a 13 di questo, mi bisognerà aspettar l'arrivo suo in quella città o in questa secondo gli parerà meglio. Penso che sarà ben ricevuto il carrozzino per la novità et per il servitio, et anco le pitture del Sr Duca, per il desiderio che ne mostrò et per esser, come intendo, cavate da bonissimi originali. Il tutto si dispenserà con quella maniera più conveniente al servizio di V. A. et con l'assistenza del Fiamengo come l'A. V. ordina.

La Sra Contessa de Lemos e camariera maggr della Reina come già scrissi, et reintegrata nell'amor del Sr Duca suo fratello, onde [126] sarà a proposito il presente che solo si manda per introdur buona corrispondenza con S. E. et per l'aiuto che si desidera di V. A. Hor con l'occasion di questi presenti ripiglierò la negociation passata. (Suivent cinq pages en chiffres très serrés, sans transcription) ...nel far i presenti a che vanno, darò le 24 Imperatrice mie a (chiffre), come l'A. V. comanda havendole desiderata (chiffres) ...Conforme alla quale mi governarò con l'uno e l'altro nel darli le cose destinate, di maniera che non siano gettate. Al Tenente della Capella Regia farò haver il donativo che V. A. e servita di farli dei mille reali, che mi pare siano bastanti, e gradirò in voce l'amorevolezza sua et l'animo che ha di continuarla con altre cose di quel genere, usando in tutto il decoro che conviene alla grandezza di V. A. alla quale per non allongar più questa lettera, faccio per fine humilissima riverenza. Di Vagliadolid alli 16 di Maggio 1603.

Di V. A. Serma
Humilissmo et divotmo serre
,

Annibal Iberti.


Texte inédit. Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Les deux gracieuses lettres de V. A. du 31 mars m'ont été remises, il y a trois jours, et en même temps le Flamand m'arrivait avec la caisse des cristaux, une autre caisse d'habillements qu'il avait pu faire porter à dos de mulets, et avec les chevaux, qui sont en si bel état qu'ils semblent n'avoir pas fait de voyage. Les autres bagages arriveront après, sur des charrettes; mais ils ne pourront être ici avant deux jours. Je donnerai immédiatement avis de leur arrivée au duc de Lerme afin qu'il m'ordonne ce que j'aurai à faire. Cependant, je crois qu'ils ne pourront venir à temps pour servir au voyage de S. M. qui est partie avec la Reine, le 13 de ce mois, d'Aranjuez à Burgos; il me faudra attendre l'entrée du Duc dans cette [127] dernière ville ou ici, selon qu'il l'aimera mieux. Je pense que le grand carrosse sera bien reçu, tant à cause de sa nouveauté que pour le service qu'il rendra. Il en est de même des peintures pour le Duc, à cause du désir qu'il en a montré, et aussi parce que, comme je l'apprends, elles sont copiées des plus excellents originaux. Le tout sera distribué de la manière la plus digne du service de V. A. et avec l'assistance du Flamand, selon l'ordre de V. A.

Madame la duchesse de Lemos, ainsi que je l'ai écrit, est camerera mayor de la Reine et a été réintégrée dans l'affection du Duc, son frère. Aussi vient-il à propos ce cadeau, qui est envoyé uniquement pour introduire une bonne correspondance avec S. E. et pour l'appui que V. A. désire trouver en Elle. Aujourd'hui, avec l'occasion de ces cadeaux, je reprendrai la négociation passée... (suivent cinq pages en chiffres non transcrits) ...en offrant les cadeaux à leurs destinataires, je donnerai mes 24 impératrices à (chiffres) comme V. A. me le commande sur le désir exprimé par (chiffres) ...Conformément à cela je me gouvernerai avec l'un et avec l'autre, en leur donnant les objets qui leur sont destinés; de cette manière ils ne seront pas jetés. Au directeur de la Chapelle royale je ferai le don de mille réaux que V. A. veut bien lui faire. Cette somme me paraît suffisante. Je lui ferai agréer de vive voix votre amitié pour lui et votre désir de la continuer par d'autres marques du même genre, usant en tout cela de la dignité qui convient à la grandeur de Votre Altesse. Et pour ne pas allonger cette lettre, je vous présente mes très humbles révérences. De Valladolid, le 16 mai 1603.

De V. A. S.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


[128] XXVI
PIETRO-PAULO RUBENS AL DUCA DI MANTOVA.

Serenissmo Sigre

Io mi sono scaricato in su le spalle del Sigr Hannibal Iberti de gli huomini, cavalli o vasi, questi intieri, quelli pieni e belli come gli levai de la stalla di Vosra Alteza Serma, gli altri sani eccetto il fameglio solo. Il restante et in particolar la carozza viene poco a poco in carretta tirata de muli senza alcun pericolo di patimento, et hormai s'avicina. Si che per questa prima volta che Vosra Altezza Serma s'e degnata de comandarmi, spero che la bona sorte m'havera conceduta si non integra almanco in parte qualque satisfattione sua. Et si fosse intravenuta alcuna attion mia disgustevole in apparenza o circa l'excesso de le speze od'altro, prego e supplico voler differir l'incargo sin al tempo e loco che mi permetteranno dichiarare l'inevitabil necessità de quella. In tanto mi consolarò nella immensa sua discretione proportionata con la grandezza del Heroico Animo, inanti al cui serenissimo splendore con riverenza inchino mi humilisco baciando la nobilissima mano. Di Valliodolid l'ao1603 a di 17 di Maggio.

Di V. Alteza Serenissma
Humilissmo servire

Pietro Paulo Ruebens.


Au verso l'adresse: Al Serenissimo Sigre Ducca di Mantova mio Sigre Cachet sur nieulle.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. Analyse et traduction partielle par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 438. Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 18.


[129] TRADUCTION.
PIERRE PAUL RUBENS AU DUC DE MANTOUE.

Sérénissime Seigneur,

J'ai mis sur les épaules de M. Annibal Iberti ma charge d'hommes, de chevaux, de vases; ceux-ci sont intacts, les chevaux sont potelés et superbes, tels que je les ai pris dans les écuries de V. A., les hommes en bonne santé, à l'exception du seul valet. Tout le reste, et le carrosse en particulier, s'avance peu à peu sur une charrette attelée de mules, sans aucun péril de dommage. En ce moment, tout est proche d'ici.

Pour la première mission que V. A S. a daigné me confier, j'ai donc lieu d'espérer que la bonne fortune m'aura valu votre satisfaction sinon entière, du moins en partie. Et si j'ai commis quelque action fâcheuse en apparence, soit en dépenses exagérées ou autrement, je vous prie et vous supplie de vouloir bien en différer le reproche jusqu'à ce que j'aie temps et lieu de vous en démontrer l'inévitable nécessité. En attendant, j'aurai pour consolation votre immense équité, si bien proportionnée à la grandeur de votre esprit héroïque, devant le sérénissime éclat duquel je m'incline avec révérence et je m'humilie en baisant votre noble main.

De Valladolid, le 17 mai 1603.De V. A. S.
Le très humble serviteur,

Pierre Paul Rubens.


[130] XXVII
ANNIBALE IBERTI A CHIEPPIO.

Molto Illo Sr mio Sr ossmo

Ho cinque lettere di V. S. delle 5, 15, 28 et ulto di Marzo, et primo d'Aprile, ricevute quasi tutte a un tempo. La prima mi portò il Fiamengo, del cui arrivo, che fu tre dì sono, e delle robbe e cavalli scrivo a S. A., con render insieme a V. S. affettuosissma gratie per la mercede delli 300 scudi che con detta lettera m'avisa, nelle quale so la molta parte che vi ha havuto per caricarmi, ogni di più, de nuovi oblighi. Alla seconda, che V. S. scrive per accompagnar le Ducali in congratulatione del parto, non so che dir altro, senon ch'essendo convertito questo officio in condoglienza, le terrò appresso di me con suplir a bocca in un medesmo tempo all'uno et all'altro. Dell'officio che V. S. m'avisa con l'altre che dovea far il Conte de Fuentes per il Sr Marchese di Carrara, procurerò saperne il certo, e trovando riscontro stringerò insieme col nome di S. A. la buona rissolute di questo nego, e del Sr Magini ho a caro che V. S. intenda dove botta la difficoltà per non voler di quà altro. Farò l'uffo col confessor della M. della Reina, quando si facciano i presenti nella forma che V. S. m'ordina, et m'assicuro che S. M. restarà paga della volontà di S. A. della quale n'e molto sicura da altre prove, come più volta ha discorso meco il confessore. Delle due lettere che V. S. ha mandato per il Tenente della Capella regia, ho giudicato bene dar quella senza titolo et senza sigria, bastando alla qualità dell'huomo se ben prete e musico di qualche nome, per mantener il decoro di S. A. Vedrà V. S. quanto scrivo delle gioie, delle quali procurerò l'essito quanto prima sarà in mia mano, et credo ch'il Sr Conte Vinco havrà datto il dubbio di quel topacio, se ben V. S. non ne l'accenna. Io ho alloggiato il Fiamingo et gli huomini che vengono con le robbe et cavalli in una [131] casa qui vicina et a tutti fò le spese con haver anco pagato il nolo delle mule nelle quali son venuti esse et le robbe, et mi dice di più il Fiamingo che mi sarà anche tratto dall'Ullio d'Alicante a pagar forsi 200 scudi per le daci ch'egli pigliò a suo carico di pagare, et a lui m'è stato bisogno dar danari per vestirsi di novo. Da S. A. ne da V. S. ho ordine alcuno di queste cose, ne come havessi a trattar con questa gente circa il riceverla et alloggiarla, senon ch'al ritorno bisognando danari al Fiamingo gliene detti. Ma perchè non si poteva far il servitio di S. A. senon della forma che ho fatto, et forte queste cose si son presupposte costà senza darmi altro ordine più di quel che Mr P. Paolo ha riferto haver comandato a bocca l'A. S., credo che non si porrà in dubbio di ricevermi in conto tutto quel che spenderò per questa causa, e da V. S. n'aspetto aviso per gratia quanto prima. Il Sr Giaco dall'Armi m'ordinò qui un suo serviggio di riscoter l'avanzo ciel suo deposito, di quel che importorono meno le spese fatte per l'habito e V. S. mi comandò ad haverne particolar pensiero.

Di Vagliadolid alli 17 di Maggio 1601.Di V. S. M. Illma
Obligmo servre,

Annibale Iberti.


Adresse: Al Molto Ill. Sr mio Sr ossmo il Sr Annibale Chieppio Consigre de S. A. Sma.


Original à l'Archivio Gonzaga. Texte inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI A CHIEPPIO.

J'ai reçu vos cinq lettres datées du 5, 15, 28, 31 mars et 1 avril: presque toutes me sont venues à la fois. La première m'a été apportée par le Flamand qui est arrivé ici il y a trois jours. J'écris à S. A. au sujet des bagages et des chevaux, et en même temps je vous remercie très affectueusement du [132] subside de 300 écus dont votre lettre me donne avis. Je sais, par elle, la grande part que vous avez prise à me charger de ces nouveaux devoirs. Votre seconde lettre accompagnait celles du Duc pour félicitations de l'accouchement: je ne puis y répondre autre chose sinon que, mon office s'étant changé en office de condoléance, je tiendrai ces lettres chez moi et je suppléerai verbalement en une fois, à l'un et à l'autre devoir. Vos autres lettres m'avisent d'un office que le comte de Fuentes devait remplir pour le marquis de Carrare: je ferai en sorte de savoir ce qui en est et si je trouve ce que je cherche, je presserai au nom de S. A. la bonne issue de cette affaire; il me serait agréable aussi que vous voulussiez apprendre de M. Magini d'où vient de ce côté cette difficulté de ne pas vouloir autre chose.

Je ferai le devoir avec le confesseur de S. M. la Reine quand on offrira les cadeaux dans la forme que vous me prescrivez; je suis certain que S. M. s'accordera parfaitement avec la volonté de S. A. qui, selon d'autres preuves, a obtenu la confiance entière de la Reine, comme je l'ai appris plusieurs fois du confesseur lui-même. Des deux lettres que vous m'avez envoyées pour le directeur de la Chapelle royale, j'ai jugé bon de donner celle qui ne lui donne ni titre, ni qualité. Cela suffit pour le rang qu'il occupe, bien qu'il soit prêtre et musicien de quelque renom, et l'on se conforme à l'étiquette de Son Altesse.

Vous verrez tout ce que j'écris au sujet des pierres précieuses: j'en procurerai la vente dès qu'il sera en mon pouvoir de le faire: je crois que le comte Vincent aura donné le double de cette topaze, cependant vous ne m'en avez rien touché.

J'ai logé le Flamand ainsi que les hommes qui sont venus avec les bagages et les chevaux dans une maison voisine d'ici. Je les entretiens tous et j'ai payé le louage des mules qui ont porté les hommes et les bagages. De plus, le Flamand m'a dit qu'il sera tiré sur moi par Ullio d'Alicante pour le paiement de 200 écus peut être, montant des taxes qu'il a pris à sa charge de payer. J'ai dû en outre, donner de l'argent au Flamand pour s'habiller à neuf. Je n'ai reçu ni de S. A. ni de vous aucun ordre relativement à ces dépenses, ou sur la manière dont j'avais à traiter avec tout ce monde pour le recevoir et le loger, sinon que si, à son retour, le Flamand aurait eu besoin d'argent, je lui en eusse donné.

Mais le service de S. A. n'aurait pu se faire autrement que je ne l'ai fait, et peut-être aura-t-on prévu là-bas ces choses sans me donner d'autre ordre que celui dont M. Pierre-Paul m'a fait part comme d'un commandement [133] verbal de S. A. Je crois, en conséquence, que l'on ne refusera pas de me recevoir en compte de tout ce que je dépenserai pour cette affaire: je vous prie en grâce de m'en donner avis au plus tôt. M. Giacomo dall'Armi m'a ordonné ici pour son service de recouvrer le reste de son dépôt, dont je dois retenir les dépenses faites pour ses habits; vous m'avez commandé d'y songer tout particulièrement.

De Valladolid, le 17 mai 1603.Votre très obligé serviteur,

Annibal Iberti.


XXVIII
PIETRO PAULO RUBENS A CHIEPPIO.

Illusmo Sige mio Colendmo

Il continuo mio querelare havera jà fatto l'habito in Vos. Sig. Illma di leggere patientamente et in me del scrivere, certo le cause sono efficaci che mi sfortzano ad enoiarla cosi spesso, che tutto depingerò una ad una, ma primò finirò il viaggio de la cui narratione scaturiscono per bona consequenza.

Doppo venti giornate de camino fastidioso per quotidiane piogge e venti impetuosissimi arrivassimo a 13 de Maggio in Valliadolid, ove il Sigr Hannibal non mancò a riceverci cortesamente, con tutto ciò ch'el dicesse non haver ordine alcuno del Sr Ducca di farlo ne manco di gli cavalli. Io quasi stupido risposi, d'esser sicuro de la buona intentione de Su Altezza Serma, e che la tralassata repetitione sarebbe superflua doppo tanti essempij, non essendo io il primo mandato del Sigr Ducca et indriciato a lui, et senza questo che li bisogni presenti servano per legge. Egli ha forse le sue ragioni che mi riesce gentilissimo e garbatissimo gentilhuomo, ma pregòmi di scrivere il tutto a V. Sigria Illma Certo la speza e grande d'huomini e cavalli che forse andarà a la longa per causa de l'absenza del Re, oltra gli noli de le cavalcadure, somme, carrette d'Alicante sin quà, insieme la restitutione al Sigr Andrea Ullio del restante del datio di Ecla, [134] il tutto insieme importerà in circa trecento scudi, senza le speze per il camino ch'io feci del mio per venti giorni sborsando passa ducento ducati (1) con grandissimo mio incommodo, ritrovandomi quà senza un soldo exposto ad apparente speza di vestiti et altro, in le quali servarò il decoro modestamente et rimetteromi totalmente nel governo et instruttione del Sigr Hannibal, che molto mi jova et adiuta in tutto per tutto, anco mi favorisce a ritrovar altri dinari appresso un Mercante suo amico, fin che piacerà a Su Altezza Serema di restituir la somma di trecento ducati a mio conto. Gli ducento che spesi per strada et altri cento supplico volersi adiungere a buon conto di tutti salarij che mai meritarò al servicio suo. Il Sigr Hannibale mi sarà testimonio che non posso fare di manco, l'inexcusabil necessità in questa occasione mi spinge a tal speza, che tanto fo più voluntiera, quanto partecipa nel honore del Sigr Ducca, per cui servicio solo mi rincresce d'esser povero e non haver le facultà proportionate col buon animo. Questa reddita et impresto si sarà pronto talmente mi sarà grato, che lo riceverò come in dono o adiuta de eosta come forse pretenderebbino altri non io. Favoriscami dunque Vos. Sigia Illuma del suo buon mezo ad obtenerla, ch'haverà appresso me la maggior parte nella gratia che riceverò, la qual aspettando quanto prima, devotamente mi raccomando nella sua. Di Valliadolid a di 17 di Maggio l'anno 1603.

Di Vos. Sigria Illusmo.
Humilissmo Serre

Pietro Paulo Ruebens.


L'adresse porte: Al Illusmo Sigre mio et Padrone Colendissimo il Secretario Chieppio appresso il Serenissmo di Mantova. Cachet sur nieulle. Ce cachet, assez difficile à déterminer, semble représenter un cheval se dressant.


Original à l'Archivio Gonzaga. Traduction partielle et analyse par M. A. Baschet. Gazette des Beaux Arts, XX, p. 437. Texte publié par M. Rosenberg, Rubensbriefe, p. 19.


[135] TRADUCTION.
PIERRE PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

Mes plaintes continuelles vous auront accoutumé déjà à les lire avec la patience que je mets à les écrire: il est vrai qu'il faut de puissants motifs pour me forcer à vous ennuyer aussi souvent. Je vous les retracerai l'un après l'autre, mais je veux d'abord terminer mon voyage; c'est de sa narration qu'ils découlent tout logiquement.

Après vingt jours de route fastidieuse, sous des pluies quotidiennes et par les vents les plus impétueux, nous arrivons le 13 mai à Valladolid où Monsieur Annibal n'a pas manqué de nous recevoir avec courtoisie, tout en disant qu'il n'avait reçu aucun ordre de Mgr le Duc à mon égard, encore moins à l'égard des chevaux. Frappé d'étonnement, je répondis que j'étais assuré de la bonne intention de S. A. S., que le rappel d'un oubli serait superflu, après tant d'autres exemples, que je n'étais pas le premier envoyé du Duc qui lui eût été adressé et que, faute d'avis, les affaires présentes devaient servir de lois. Il a peut-être ses raisons de se montrer envers moi le plus charmant et le plus gracieux des gentilshommes; toutefois il me pria de vous écrire le tout. La dépense pour les hommes et les chevaux est certainement considérable et peut être sera-t-elle de longue durée, à cause de l'absence du Roi. Outre les frais de conduite des chevaux, ceux des bêtes de somme, des charrettes d'Alicante jusqu'ici, puis la restitution à M. André Ullio de ce qui restait à payer pour la taxe d'Ecla, le tout ensemble montera à trois cents écus environ, non compris les dépenses de route que j'ai payées de mes deniers et qui, pour vingt jours, dépassent les deux cents ducats (1). J'en ai éprouvé une très grande gêne, car je me suis trouvé là sans un sou, exposé à devoir faire une forte dépense en habits et autre chose. Mais en cela je sauverai modestement les convenances et me remettrai tout à fait sous la conduite et les instructions de Monsieur Annibal, qui me soutient et m'aide en tout et pour tout. C'est encore grâces à lui que j'ai trouvé de l'argent chez un marchand de ses amis, jusqu'à ce qu'il plaise à S. A. S. de rembourser la somme de trois cent ducats à mon crédit. Les deux cent [136] que j'ai dépensés en route et les cent autres, je le supplie de les ajouter au compte des salaires que je toucherai dorénavant à son service. Monsieur Annibal me rendra ce témoignage que je ne puis pas faire moins: une impérieuse nécessité m'a forcé en cette occasion, à des dépenses que je fais d'autant plus volontiers, que je suis participant à l'honneur de Monseigneur le Duc. C'est pour son service seulement que je regrette d'être pauvre et de n'avoir pas des ressources en proportion de ma bonne volonté. Si le montant de mes déboursés et de l'emprunt me rentrait promptement, j'en serais heureux; je ne le recevrai point comme un don ou comme une gratification, ainsi que d'autres le prétendront peut-être.

Veuillez donc user de votre bonne intervention pour me faire obtenir ma demande: vous aurez auprès de moi la plus grande part dans la faveur que je recevrai et je l'attends au plus tôt en me recommandant affectueusement à vos bonnes grâces.

De Valladolid, le 17 mai 1603.Votre très humble serviteur,

Pierre Paul Rubens.


COMMENTAIRE.

Les cinq lettres, datées du 16 et 17 mai, ont dû former une farde confiée au même courrier: elles forment une relation vivante et curieuse de la première étape du voyage de Rubens en Espagne. Tout, jusqu'à présent, nous paraît étrange. Après avoir vu le jeune délégué suivre en Italie un premier itinéraire assez fantastique de Mantoue à Livourne, en descendant vers le sud pour remonter vers le nord, sans savoir même dans quel port il s'embarquera, nous remarquons une singularité semblable dans son itinéraire en Espagne. Assurément, le chemin le plus direct pour aller de Livourne à Valladolid n'est pas de faire voile vers le sud, de débarquer à Alicante, de remonter ensuite la moitié de la péninsule du sud vers le nord. Le détour est de plus de cent lieues.

D'après la lettre du 2 avril, il semblerait même que Rubens ignorât sa destination et qu'il ait appris fortuitement qu'au lieu d'une étape de quatre journées, il en avait à faire une de vingt. Il devait savoir cependant que, depuis deux ans, la cour était transférée à Valladolid. Ce changement de capitale, opéré par la volonté du duc de Lerme, sous prétexte de venir en aide à la détresse de la Vieille Castille, n'avait, pas plus que l'idée de [137] doubler la valeur du billon, remédié à la pénurie financière et à la décadence croissante du pays. Le vrai motif doit en être cherché, prétend-on, dans la satisfaction des convenances personnelles du duc de Lerme, qui possédait à proximité la terre de Ventosilla qu'il affectionnait beaucoup. L'exode de la cour dura jusqu'en 1606.

Rubens fut donc obligé de traîner le carrosse, les chevaux, les parfums et les peintures à travers montagnes et plaines, pendant vingt jours, sous des pluies quotidiennes. Arrivé à destination le 13 mai, il éprouve une première déception: celle de l'absence du Roi: celui-ci était parti le jour même, avec la Reine, d'Aranjuez à Burgos; on ne pouvait aller le trouver là: il fut donc résolu d'attendre son retour à Valladolid.

La lettre d'Iberti au duc de Mantoue dessine, avec des contours indécis et des détails vagues, le tableau des négociations diverses que ce diplomate doit poursuivre en même temps. On voit clairement qu'il est chargé d'employer des moyens de persuasion qui frisent l'embauchage: dans ce temps-là, c'était assez dans les habitudes. Il eût été intéressant de connaître le contenu des passages en chiffres qui émaillent cette lettre: ils contiennent, sans doute, le grand secret politique du moment. Nous n'avons découvert que le nom du personnage auquel Iberti donnera ses vingt-quatre impératrices ou toiles impériales, c'est-à-dire, selon toute probabilité, les copies d'une série de 24 tableaux du Titien, connus sous le nom de: Les douze empereurs et les douze impératrices, tableaux dispersés aujourd'hui en divers musées et dont la série entière a été gravée par Sadeler. Le destinataire de ces toiles, nous l'apprendrons par un rapport d'Iberti du 18 juillet, est don Rodrigo Calderon qui était, avec Franqueza, un des favoris du duc de Lerme, le même qui paya plus tard, du dernier supplice, les haines qu'il s'était attiré par ses injustices et ses exactions.

La lettre de Rubens au Duc est la première des deux seules missives qu'il lui adressa et dont nous ayons connaissance. Est-ce en suivant ses instructions qu'il correspondit ainsi avec son souverain ou l'a-t-il fait de son chef? En la mettant en regard des deux lettres suivantes, nous croyons que la seconde supposition est la plus probable. Il y avait, alors déjà, des tiraillements entre le peintre et Iberti, tant au sujet de leurs prérogatives qu'au sujet des dépenses, et Rubens aura voulu résolument agir à l'égal de son collègue d'occasion, en s'adressant, comme celui-ci, directement au Duc, ce qu'il fit encore, pour le même motif, le 17 juillet. Ces lettres font double [138] emploi avec celles qu'il écrivait, selon la règle hiérarchique, au premier secrétaire Chieppio et que celui-ci communiquait au Duc. Elles ne nous semblent avoir été faites que pour constater, vis-à-vis d'Iberti, une sorte d'égalité dans la mission dont ils étaient chargés ensemble. La façon d'agir du peintre appuie l'opinion que nous avons émise: à savoir que Rubens avait à exécuter quelque chose de plus qu'un simple transport de cadeaux.

On remarquera, dans sa lettre, l'exagération de la formule finale: on se demande si elle n'est pas imprégnée d'un peu d'ironie. Ce n'est pas la seule fois que nous aurons à signaler des élans de cette bonhomie railleuse qui caractérise le style de Rubens.

Dans la lettre d'Iberti à Chieppio, il est question d'une lettre de félicitation qui doit être changée en lettre de condoléance. La Reine s'était accouchée, le 1 janvier de cette année, d'une fille qui mourut peu de temps après. Ce fatal événement avait causé une grande inquiétude. Il restait encore un enfant, mais c'était une fille aussi, et la santé de la Reine était fort précaire. Il est vrai que, depuis, elle eut encore six enfants, mais chacune de ces naissances était pour la mère un danger de mort. Au dernier enfant, elle succomba, épuisée, n'ayant pas trente ans. D'autres passages de cette lettre d'Iberti nous ouvrent des vues sur la moralité de certains personnages de la cour de Philippe III. C'est par son confesseur que la Reine doit être influencée. En effet, la Reine était très pieuse: selon son biographe, “elle se confessoit et communioit tous les huit jours, elle estoit si soumise et obéyssante à son confesseur, qu'il luy pouvoit dire aussi librement ce qu'il pensoit qu'à quelque novice de Religion„ (1). Nous ne savons par quelles “autres preuves„ Vincent de Gonzague a conquis la confiance de la Reine: il avait jadis assisté en grande pompe au mariage célébré à Ferrare et quand la Reine passa par Mantoue en se rendant en Espagne, il lui offrit un magnifique carrosse qu'elle ne conserva pas longtemps; car à son tour elle en fit cadeau, lors de son entrée à Madrid, à sa nouvelle Camerera mayor, la duchesse de Lerme (2).

L'affaire que doit négocier Iberti demandait encore, comme on le voit, les bonnes grâces du Tenente de la Capella, que nous traduisons: du Maître de Chapelle du Roi.

[139] Enfin, il lui fallait encore s'occuper de la vente de pierres précieuses provenant de la succession du comte Vincent, qui avait été, avant Iberti, ambassadeur en Espagne.

La dernière partie de la missive du résident est assurément curieuse: on y lit entre les lignes l'absence de sympathie réciproque entre “le flamand„ et lui, provoquée, du reste, par les instructions confuses du Duc et par les difficultés financières qui en étaient la conséquence. L'arrivée de ce “flamand„ porteur d'un simple commandement verbal de S. A. qui oblige Iberti à faire des avances dont le remboursement souffrira peut-être des difficultés ou tout au moins des retards, cette arrivée était pour Iberti une véritable contrariété, sans compter que le jeune et brillant envoyé, quoique simple peintre, venait, en quelque sorte, partager ses prérogatives d'ambassadeur. On voit se dessiner mieux encore la tension de leurs premiers rapports dans la lettre de Rubens à Chieppio, lettre qui nous paraît être un chef-d'oeuvre de dignité et de délicatesse. Nous n'avons pas à y ajouter des commentaires.


XXIX
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Sermo Principe mio Sr e Prou Colso

Vennero la seconda festa de Pasqua i carri con le robbe, le quali feci subito cavare per vedere come venivano le pitture et il carrozzino. Questo si trovò ben conditionato et il S. Geronimo del Quintino et il ritratto di V. A., ma il resto delle pitture cosi mal acconcie dall' humidità d'una continua pioggia che le cade sopra in tutto 'l viaggio, se ben erano i carri coperti, che paiono poco meno che fracidi, et quasi irreparabili. Non dimeno il Fiamengo s'affaticara per darvi quel remedio che potra col ritoccarli, ma dice che vi vorrà più d'un mese in finir tutta l'opra, et alcune delle picciole dubita che non havranno rimedio. Per suplir a questo mancamento con maggior servitio di V. A. m'era venuto in pensiero ch'egli in questo mentre, che S. M. sarà qui di ritorno per il fine del seguente mese, facesse una mezza [140] dozena de quadri di cose boscareccie, ch'è quello che più se desiderava havendo da servir per gallerie, come scrissi a V. A., ma egli crede di non haver tempo se non fosse con l'aiuto di qualche giovane, il che procurerò in ogni modo che segua per far meglio il servitio di V. A., et che il dono paia di rilievo et conveniente alla grandezza sua, sperando che mi sarà approbato da lei. Il carozzino si va componendo, e in tanto procurerò saper la volontà di S. M. e del SrDuca di Lerma circa il condurlo a Burgos perche possà servir nel viaggio da quella città a questa; e delle pitture gli accennarò l'accidente seguito, et il rimedio che farà l'huomo mandato da V. A. con esse a posta per un tal dubbio. (La suite en chiffres est relative à une affaire de mariage projetée par le Duc.) ...Tutto il resto come i cristalli et i vasi d'odore, i drappi et arcobugi vengono sani et in somma nessun altra cosa ha patito se non le pitture. Il bisogno che ho detto di ripararle ritardarà l'haver a dar principio ai ritratti di quelle dame che V. A. ha ordinato, et conseguentemente il ritorno del Fiamengo non potrà esser più presto del tempo che forsi sarà il mio. ...Ancor non ho trovato il diamante ordinato da V. A., se ben se ha qualche speranza d'haverlo della moglie del Sr Don Pietro Francheza, quando ella ritorni da una villa di piacere dove andò a far le festi di Pasqua, e procurerò in ogni modo che sia con la brevità che V. A. comanda; dalla cui innata benignita intendendo che me viene quel ritratto della sua Serma persona, che tanto ho desiderato per venerarlo in assenza mentre m'e concesso farlo di presenza; resto per cosi segnalata gratia pregando la Dna M. che conservi longamente l'A. V.... Di Vagliadolid, alli 26 di Maggio 1603.

Di V. A. Serma
Humilissmo et devotissmo servre,

Annibale Iberti.


Adresse: Al Sermo Prencipe mio Sr et Proñ Colenmo il sigr Duca di Mantova e di Monferrato.


Original à l'Archivio Gonzaga. Texte inédit. Analyse par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 441.


[141] TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Le second jour de Pâques sont arrivés les chariots avec les objets que j'ai fait déballer immédiatement pour voir l'état des peintures et du carrosse. Celui-ci a été trouvé en bonne condition en même temps que le St. Jérome du Quentin et le portrait de V. A., mais les autres peintures sont si mal arrangées par l'humidité, due à la pluie continue qui est tombée sur elles pendant tout le voyage, quoique les chariots fussent couverts, qu'elles semblent presque pourries et à peu près irréparables. Toutefois le Flamand s'efforcera d'y apporter le remède qu'il pourra, en les retouchant; mais il dit qu'il lui faut plus d'un mois pour terminer cette besogne, et il doute qu'il y ait moyen de restaurer quelques-unes des petites pièces. Pour remplir cette lacune au mieux du service de V. A. il m'était venu dans la pensée, qu'en attendant que S. M. soit de retour ici vers la fin du mois prochain, le Flamand pourrait exécuter une demi douzaine de tableaux représentant des choses bocagères; c'est le genre de sujets qui se recherche le plus pour orner les galeries, ainsi que je l'ai écrit à V. A. Mais le Flamand croit qu'il n'en aura pas le temps, à moins d'avoir l'aide de quelque jeune homme, que je lui procurerai de toute manière, afin de remplir pour le mieux le service de V. A., et pour que le cadeau ait bon air et soit digne de votre grandeur. J'espère que V. A. m'approuvera. On est en train de monter le carrosse; pendant ce temps, je tâcherai de savoir, du duc de Lerme, si ce serait la volonté de S. M. que le carrosse fût conduit à Burgos, afin qu'il pût servir au voyage de cette ville à Valladolid. Je lui toucherai un mot des peintures, de l'accident qui leur est arrivé, du remède qu'y apportera l'homme que V. A. a envoyé avec elles, très à propos dans une semblable chance.... Tout le reste, les cristaux, les vases avec les parfums, les étoffes et les arquebuses sont arrivés intacts. En somme, il n'y a que les peintures qui aient souffert. La nécessité des restaurations retardera la mise en train des portraits des dames désignées par V. A. et, par conséquent, le retour du Flamand ne pourra avoir lieu avant le temps où peut-être je reviendrai moi-même. Je n'ai pas encore trouvé le diamant pour lequel j'ai reçu les ordres de V. A.; j'ai cependant l'espoir de l'avoir par la femme de Don Pedro Franqueza, lorsqu'elle reviendra d'une maison de plaisance, où elle est allée pour faire les fêtes de Pâques; je [142] m'efforcerai, de toute manière, de terminer l'affaire aussi rapidement que V. A. le désire.

La bonté naturelle de V. A. m'a gratifié du portrait de sa personne sérénissime, portrait que je souhaitais tant d'avoir pour vénérer V. A. pendant mon absence, en attendant que je puisse le faire en sa présence. Pour cette faveur insigne, je prie Dieu de conserver à V. A. des jours longs et heureux.

De Valladolid, le 24 mai 1603.De V. A. S.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


XXX
ANNIBALE IBERTI A CHIEPPIO.

Molto Ille Sre mio Sre Osso

Scrivo a S. A. l'accidente seguito nelle pitture, et il bisogno che vi sarà di ritener quà il Fiamengo più tempo di quel che mi credeva per rimediar il danno di queste, et per far l'altri che S. A. ha comandato. Favoriscami V. S. dirmi quanto prima l'intentione dell' A. S. intorno a questo, et alla spesa che me convien far con questa gente, perchè si come non vorrei ecceder ponto della sua mente, cosi vorrei gli ordini distinti per non errare. Questa matina e morto il famiglio mantovano; et per sepelirlo et per curarlo ho anche fatte molte spese delle quali si tiene lista come di tutto il resto. Il Fiamengo anche m'insta che li facci dare a cambio 400 scudi, dicendo d'haverne speso 200 de suoi nel viaggio per servitio di S. A., se ben a me e toccato pagar i daci et il porto delle robbe da Alicante quì che importano appresso a 400 scudi oltre mille reali ch'egli sborsò. Io lo vo tratenendo sin a saper da V. S. quel che devo e posso fare; e solamente l'ho fatto vestire, spendendo in questo et altre cose necessarie [143] per la sua persona poco meno che cento scudi, il che tutto e stato necessario per far il servitio dell' A. S. come anco lo sarà il dare danari per rimandar il ferraio et i carrozzieri, fatto il presente, in caso che non ii volessero ritenere, come io ne dubito servendosi il Re del suo cocchiere maggiore per guidar il suo cocchio. In tutto perô spendero con quella maggior limitatione che potrò, se ben da S. A. ne da V. S. ho ordine alcuno intorno a questo, presupponendo forsi che come cose necessarie saranno da me esseguite senza altra commissione; ma con tutto ciò desidero l'approbatione di S. A. Più non m'occorre, ne il tempo m'avanza, onde a V. S solo mi raccordo servitre, me le raccommando in gratia, et le bacio le mani. Di Vagliadolid, a 24 di Maggio 1603.

Di V. S. Illma
Obligmo serve

Annibale Iberti.


Adresse: Al molto Ille Sr mio Sr ossmo il Sr Annibale Chieppio, Consiglre di S. A. Sma.


Original à l'Archivio Gonzaga. Texte inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI A CHIEPPIO.

J'écris à S. A. l'accident arrivé aux peintures et la nécessité où l'on sera de retenir ici le Flamand plus longtemps qu'on ne le croyait, afin qu'il puisse remédier au dommage que ces peintures ont subi et exécuter les autres choses que S. A. lui a commandées. Je vous prie de me dire, le plus tôt possible, l'intention de S. A. à cet égard et à l'égard de la dépense que je suis autorisé à faire pour tous ces gens. Comme je ne veux pas outrepasser ses intentions d'un seul point, je désirerais avoir des ordres clairs et nets pour ne commettre aucune erreur. Ce matin est décédé le domestique venu de Mantoue; pour le faire soigner et ensevelir, j'ai encore dépensé beaucoup: je tiens note de ces débours comme de tout le reste. Le Flamand me presse de lui faire donner à intérêts 400 écus, disant qu'il en a dépensé 200 des siens pendant le voyage pour le service de S. A., bien qu'il m'ait été imposé déjà [144] de payer les droits et le transport des bagages d'Alicante jusqu'ici, ce qui se monte à 400 écus environ, outre les mille réaux qu'il a déboursés. Je vais pourvoir à son entretien jusqu'à ce que je sache de vous ce que je dois et puis faire; seulement je lui ai procuré des vêtements, dépensant en cela et en autres choses nécessaires à sa personne, un peu moins de cent écus. Toutes ces dépenses ont été nécessitées par le service de S. A.; il faudra y ajouter l'argent à donner après l'offrande des cadeaux, pour le retour du forgeron et des cochers, si on ne veut pas les garder ici, comme j'en doute, attendu que le Roi se sert de son premier cocher pour conduire son carrosse. En tout cas, je limiterai les dépenses autant que possible, quoique ni S. A. ni vous ne m'ayez donné aucun ordre à cet égard, supposant sans doute que ce sont des choses nécessaires que je dois exécuter sans autre instruction: cependant je désire obtenir en tout cela l'approbation de S. A. Je n'ai plus rien à vous dire, et l'heure me presse; je termine en vous offrant mes services, en me recommandant à vos bonnes grâces et en vous baisant les mains.

De Valladolid, le 24 mai 1603.Votre serviteur très obligé,

Annibal Iberti.


XXXI
P.-P. RUBENS A CHIEPPIO.

Illusmo Sigre

L'iniqua sorte invida di troppo mio contento, non tralassa il suo solito d'aspergere lalegrezza con qualque disgusto, aprendo tal volta la via di nuocere, donde cura humana non puoi occorrere ne manco sospettar il danno. Come adesso le pitture governate et incassate con ogni possibil diligenza per mia mano in presenza del Sigr Ducca, poi reviste in Alicante ad instanza di gabellieri senza alcun difetto, hora scoperte in casa del SigreHannibal Iberti comparsero putrefatte e marzze di tal sorte che quasi dispero de poter ripararle, non essendo [145] il mal accidental in superficie di muffa o machia separabile, ma la tela istessa (in vano armata di custodie di lattà e doppia tela incerata oltra la cassa di legno) afatto corrotta e distrutta, forse per pioggia continua di venticinque giorni cosa incredibile in Spagna. Gli colori squallidi e per longa imbibitione de molto humore gionfi e rilevati et irremediabili in più loci, senza decrostarli col coltello et tornarli a coprir di novo. Tale è (cosi non fosse) il danno realmente ne punto l'aggrandisco per essaltar poi la ristoratione, a la quale non mancaro d'adoperarmi in tutti modi, piacendo cosi a Su Alteza Serma di farmi guardiano e conduttore d'opere d'altri senza mescolargi una pennalata del mio. Dico cosi, non ch'io mi rissento di questo, ma a proposito del Sigr Hannibal che vuole che facciamo in un subito molti quadri, con l'adiuto de pittori Spagnoli, la cui voglia io sono più tosto per secondare che per approbare, considerando la brevita del tempo insieme col impedimento di quadri guasti, oltra l'incredibil insufficienza e dapocagine di questi pittori, e (che molto importa) (1) maniera (Idio men guarda di rassomigliarli in niente) totalmente discrepante de la mia. In somma Pergimus pugnantia secum cornibus adversis componere. Ne manco passarà di secreto il negotio per decelatione de gli istessi adiutori, i quali o si sdegneranno del adiuto o ritocco mio, o vero l'usurperanno e predicaronno tutto suo, (2) principalmente intravenendosi il servicio del Ducca di Lerma che facilmente saperanno destinando l'opera per Galeria publica, che poco a me importa che voluntieri farò presente di questa fama, Ma concludo necessariamente che l'opera si scoprirà (ancora per la fresquezza) fatta qui (inganno di poca gratia) per mano de tali, o per mia (che mai patirò avendo avuto sempre per raccommandato il confondermi con nessuno qual si voglia grand huomo) o vero per mischia de l'uno col altro, et io restarò svirginato intempestivamente in suggietto vile et indegno de la mia fama non sconosciuta qui. Si però la commissione del Sigr Ducca fosse tale, havrei potuto con piu honore suo e mio dar molto maggior satisfattione [146] al Ducca de Lerma non essendo il buono da lui ignorato per singolar suo diletto e prattica di veder quotidianamente tante cose bellissime del Titiano (1) e Raphaello et altri che mi hanno fatto stupire in qualità e in quantità, in casa del Re et in Escuriale et altrove, ma in quanto gli moderni niente che vaglia.

Io protesto ingenuamente non haver alcun fine in questa corte si non la perpetua servitù di Su Altezza Serema, a la quale mi dedicai quel di che prima la vidi. Lei commanda, lei disponga di me in questa et ogni altra cagione et assicurasi ch'io non preterirò gli suoi termini di un punto. Parimente il Sigr Iberti ha (mediatamente però) l'istesso impero sopra di me, sapendo io certo ch'egli sinceramente a miglior intento non accetta il mio parer e sarà ubidito. Scrivo solamente non per riprenderlo, ma per mostrare il mio poco consenso a farmi cognoscere si non in suggetto degno de me e del Sermo mio Padrone, il quale securo sono che per la bona relatione di V. Sigria Illusma interpreterà questi mei pensieri candidamente.

Di Valliadolid, a di 24 di Maggio l'ano 1603.Di Vosra Sigria Illusma
Humilissimo Serre

Pietro Paulo Ruebens.


Hoggi espirò con tutte le commodità corporali e spirituali Paulo il Fameglio di stalla, ja extenuato e exausto per longa febre continua.


L'adresse porte: Al Illusmo Sigr mio et Padrone colendissimo il Secretario Chieppio. Appresso il Serenissmo di Mantova. Cachet sur nieulle. Sur la feuille est écrit: Sigr Capitan Lorenzo Sostegni. Probablement la lettre a-t-elle été apportée par ce capitaine.


Original à l'Archivio Gonzaga. Publié en traduction française par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, p. 438. Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 20.


[147] TRADUCTION.
PIERRE PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

Le sort injuste est trop jaloux de ma satisfaction; il ne cesse pas, selon son habitude, de saupoudrer la joie de quelque amertume, ouvrant quelquefois la route à des malheurs que la précaution humaine ne peut prévoir, où moins encore, elle peut se douter d'un dommage. Ainsi voilà ces peintures qui ont été arrangées et emballées, avec tout le soin possible, par moi-même en présence de Mgr le Duc, puis inspectées à Alicante, à la requête des douaniers et trouvées sans aucun défaut, les voilà déballées aujourd'hui dans la maison de M. Annibal Iberti, qui apparaissent pourries et rongées de telle sorte que je désespère à peu près de pouvoir les réparer, car le mal n'est pas accidentel, ce n'est pas une moisissure et une tache sur la surface, qu'on puisse enlever, c'est la toile elle-même qui est entièrement gâtée et détruite, bien que tout fût protégé, mais en vain, par des gardes de fer blanc et une toile cirée double et mis dans une caisse de bois. Le mal est dû à une pluie continue qui a duré vingt-cinq jours, chose inouïe en Espagne. Les couleurs se sont écaillées et, par la longue pénétration de l'eau, se sont gonflées et soulevées en plusieurs endroits d'une manière irrémédiable, à moins de les râcler au couteau et de se résoudre à les remettre à nouveau.

Tel est, en réalité, le dommage éprouvé. Plût a Dieu qu'il n'eût pas eu lieu! Mais je ne l'exagère en rien pour en vanter ensuite la restauration, à laquelle je ne manquerai pas de m'employer de toutes les manières, puisqu'il a plu ainsi à S. A. S. de me faire surveiller le transport d'oeuvres auxquelles je n'ai pas données un coup de pinceau. Je parle ainsi, non point que j'en éprouve quelque ressentiment, mais à cause de la proposition de M. Annibal qui voudrait me voir faire subitement de nombreux tableaux, avec le secours de peintres espagnols. Je suis disposé à seconder ce désir plutôt qu'à l'approuver, si je considère le peu de temps qui nous reste, l'étendue du désastre de ces tableaux gâtés, connaissant en outre l'incroyable insuffisance et la paresse de ces peintres dont la manière, d'ailleurs, — et ceci est important, — diffère complètement de la mienne; Dieu me garde de leur ressembler en quoi que ce soit! En somme, pergimus pugnantia secum cornibus adversis componere.

Et puis, l'affaire ne restera pas secrète par l'indiscrétion de ces mêmes peintres lesquels mépriseront mon assistance et les retouches que j'aurai opérées, ou s'approprieront le travail eh proclamant qu'ils en sont les auteurs. Voyant [148] qu'il est fait pour le service du duc de Lerme, ils se persuaderont aisément que les tableaux sont destinés à une galerie publique.

Quant à moi, cela m'importe peu et je ferai volontiers l'abandon de cette gloire. Mais j'en suis convaincu, c'est une tromperie qui obtiendrait peu de faveur, car le travail exécuté ici doit nécessairement se découvrir par sa fraîcheur, qu'il soit dû à leur main ou à la mienne et, quant à moi, je ne m'y exposerai pas, ayant toujours eu pour principe de ne pas me confondre avec un autre, quelque grand homme qu'il soit. Si le travail est en partie d'eux et en partie de moi, je resterai défloré mal à propos, pour un ouvrage infime, indigne de ma réputation qui n'est pas sans s'étendre jusqu'ici.

Et pourtant, si Monseigneur le Duc m'avait donné une telle commission j'aurais pu, avec plus d'honneur pour lui et pour moi, offrir une bien plus grande satisfaction au duc de Lerme, qui est connaisseur des bonnes choses, par le plaisir particulier qu'il en éprouve et la pratique qu'il en a, en admirant tous les jours ces superbes chefs-d'oeuvre du Titien, de Raphaël et d'autres, qui m'ont frappé d'étonnement, tant par leur nombre que par leur perfection, au Palais du Roi, à l'Escurial et ailleurs, tandis qu'en fait de modernes, on n'y voit rien qui vaille.

Je le proclame ingénument: je n'ai point d'autre fin en cette cour que le service constant de S. A. S. à laquelle je me suis dévoué du premier jour où je l'ai vue. Qu'elle commande, qu'elle dispose de moi en cette occasion comme en toute autre, et qu'elle soit assurée que je ne dépasserai pas d'un point les bornes qui me seront tracées. Le Seigneur Iberti a, sur moi le même pouvoir, en sous-ordre, toutefois; je suis convaincu que c'est sincèrement et dans la meilleure intention qu'il ne se rend pas à mon avis; il sera obéi. Seulement, je vous en écris, non pour le blâmer, mais pour vous montrer ma répugnance à me faire connaître autrement que par des oeuvres dignes de moi et de mon sérénisissime Maître, lequel sur le bon rapport que vous lui ferez, interprètera, favorablement, j'en suis sûr, les considérations que je viens de vous émettre.

De Valladolid, le 24 mai 1603.Votre très humble serviteur,

Pierre Paul Rubens.

Aujourd'hui est mort, avec tous les secours du corps et de l'âme, notre valet d'écurie Paul: il était miné et épuisé depuis longtemps par une fièvre continue.

[149] COMMENTAIRE.

Si, dans son programme, la mission de Rubens en Espagne nous apparaît aujourd'hui comme un fait assez étrange, on doit avouer qu'elle se distingue plus encore par la bizarrerie de ses épisodes. Si nous en connaissions les derniers détails, on aurait un chapitre de roman picaresque. Les deux lettres du 24 mai en commencent sérieusement le récit et nous y distinguons de nouveau la différence de caractère des deux hommes qui doivent, en quelque sorte, conduire les aventures. Il résulte d'abord des deux rapports que le carrosse est intact: c'est l'objet principal. Quant aux tableaux commandés depuis deux ans, exécutés à Rome, conduits d'abord à Mantoue, traînés audessus des Apennins, ayant traversé la mer et la moitié de l'Espagne, ils ont échoué au port. Et c'est un peintre qui les a emballés et escortés! Deux seuls sont arrivés sains et saufs; le Saint Jérôme du “Quintino„ c'est-à-dire de Quentin Metsys. C'est peut-être le même qui se trouve aujourd'hui au Musée de Madrid où le catalogue le mentionne “Copie d'après Quentin Metsys.„ Les Saints Jérômes de ce peintre sont du reste, nombreux ainsi que le fait remarquer M. H. Hymans (1).

L'autre tableau arrivé sans malheur, est le portrait du duc de Mantoue, par Fr. Pourbus. Dans l'inventaire des oeuvres d'art et de curiosité appartenant au Roi d'Espagne et se trouvant en 1621 au Palais de la Ribera, à Valladolid, ce portrait est attribué à Rubens. M. Cruzada Villaamil le mentionne parmi les tableaux perdus (2)

La proposition faite par Iberti de remplacer les tableaux détériorés de Facchetti, par des “choses bocagères„ brossées à la hâte par Rubens, cette proposition ne semble point partir d'un bon naturel; nous ne pouvons que signaler la manière digne et sensée dont le peintre la réfute. Il aimait mieux encore se dévouer à la restauration des copies endommagées, et il y réussit.

Que faisaient le Roi et la Cour pendant qu'Iberti se morfondait à les attendre à Valladolid et que Rubens se livrait à son fastidieux labeur? Nous l'apprenons par les dépêches du résident de Toscane, Domitio Perone. “La duchesse de Lerme qui suivait la Cour, écrit-il, le 25 mai à Belisario Vinta (3) [150] a été gravement malade et elle est restée à Butriago pour se remettre. Pour tout le reste, on dit à la Cour que toutes les choses vont bien: Leurs Majestés sont en bonne santé. Comme partie de plaisir, elles se sont livrées à une chasse aux lapins. Voici comment elle a été ordonnée: on avait construit dans une prairie trois cabanes de verdure: dans l'une se tenait le Roi, dans l'autre la Reine, dans la troisième, le duc de Lerme. Armés d'arbalètes, ils tiraient de ces réduits, les lapins pendant que ceux-ci, cherchant à fuir, couraient par la prairie, dont on avait bouché toutes les issues. La Reine en abattit vingt-trois, aux applaudissements de tout le monde, car le Roi et le Duc n'atteignirent pas ce chiffre. Ces déplacements de Leurs Majestés montrent que la Reine n'est pas enceinte comme on le croyait.„ Trois jours après, le même résident écrivait que le Duc continuait, pendant cette villégiature de la Cour, à se faire attribuer toujours de nouvelles dignités. “Sa Majesté, dit-il dans sa lettre du 27 mai, a nommé le duc de Lerme alcade général de tous les palais royaux et forteresses d'Espagne„ et il ajoute en chiffres: il ne reste plus au Roi qu'à le créer trésorier général et à mettre ainsi entre ses mains les armées, les forteresses et le trésor.

M. A. Baschet dit avec raison que la lettre de Rubens, du 24 mai, est une des plus remarquables de la correspondance trouvée à Mantoue. Le peintre y révèle sa dignité et le sentiment qu'il a de sa valeur artistique, en même temps qu'il y donne la preuve de sa franche honnêteté. On aurait pu l'accuser, en effet, d'avoir, par un dépit quelconque, favorisé la destruction des toiles de Facchetti. Le récit simple et vrai de l'accident, le ton de sa lettre, sa conduite ultérieure prouvent combien, dans toute cette circonstance, il s'est montré sincère et loyal.

Il faut remarquer aussi l'opinion défavorable émise par Rubens sur les peintres espagnols, mais se rappeler, en même temps, qu'il parle à une époque où Ribera était en Italie et où Velasquez ne tenait pas encore le pinceau.

On a vu que la caravane dirigée par Rubens a mis vingt jours à accomplir le voyage d'Alicante à Valladolid: on peut trouver que c'est beaucoup pour une centaine de lieues, même par un mauvais temps. Mais nous voyons, par cette lettre du 24 mai, que le peintre s'est arrêté au palais du Roi, sans doute celui de Madrid, et à l'Escurial qui est sur la route, pour admirer les oeuvres d'art qui s'y trouvent.


[151] XXXII
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Smo Prencipe mio Sre Prone Colmo

Alli 16 e 24 del passato scrissi a V. A. l'arrivo del Fiamengo co'i cavalli e con le robbe venute tutte in buon essere, eccetto le pitture, le quali dall' humidità d'una continua pioggia cadutale sopra nel viaggio, erano talmente guaste che molto si dubitava di potersi rimediare. Hor dopo essersi seccata quell' humidità et lavate con aqua calda, si va scoprendo il danno minore e di più facile rimedio di quel che si credeva col ritoccarle in alcune parti, ma si vuole con tutto ciò tempo e spesa, ne io manco a quanto bisogna. Il carrozzino e composto tutto, et s'è data la vernice al leguame de color de noce, che fa scoprir meglio l'oro delle ferramenta. Avant' hieri havessimo aviso certo della morte della Sra Duchessa di Lerma, seguita alle 2 de questo in Buitrago, longe di quà venti leghe, de febre maligna, ancorche sia la settimana passata sudetta per un deliquio che le durò più de due hore. Molto sentimento ne mostra il Sr Duca seben abhorriva la natura aspera e superba di lei. Alcuni gia rimaritarono S. Ecc., chi dice con la Sra Donna Vittoria Colonna, vedova dell' Almirante, de statura grande, ma vecchia e de brutta faccia. Chi dice della duchessa Vedova di Pastrano de miglior vista, ma ancor lei carica de anni. Altri della Contessa di Medellino giovanetta, herede dello stato, et altri della Contessa vedova di Valenza, ancor vergine, per non esser congionta col marito, della quale V. A. ha costi il ritratto, ma de tutte ciascuno parla secondo i proprii interessi, et l'universale non ammetta nessuna. Non ha dubbio che considera l'età del Duca, la complessione assai fresca... (1) i dissegni alti di propagar la sua casa, che facilmente condescenderà a maritarsi, ne lo dissuaderanno la sorella ne i più fidi suoi, come il Sr Dn Pietro Francheza... ma volendosi [152] pur rimaritare, è opinione che el, per propria elettione et per consilio dei suoi, inclinerà più a Dama forestiera et de gran sangue che a spagnuola. Ne ha mancato qualcheduno come il duca dell' Infantazgo hieri alla sua tavola et altri di pensar nella Sma Sra Duchessa di Ferrara, se ben han detto alcuni che s'era rinchiusa in un monasterio alienata affatto dalle cose del mondo. Vedrà V. A. quel che mi scrive in questo proposito... et la risposta che gli ho dato. E pensiero suo solo senza participation de altri o riflessione che potesse haver fatto l'altro... non havendo glielo communicato per le cause scritte... Si degnarà V. A. accennarmi quel che sarebbe più suo gusto e servitio in questo... et le circonstanze dell' età e dote per poter rispondere accertatamente, se per sorte non fosse fatto molto... Dicesi che la morte della Sa Duchessa farà differir o forsi interrompere l'andata di S. M. a Burgos, per non potersi trovar il Sr Duca all' entrata publica ne alle feste che s'erano apparecchiate, alle quale dovea assistere per l'offitio di cavalerizzo maggiore e d'Alcaide perpetuo di quella città, et questa istessa causa appresso a una discesa d'humori c'ha S. M. nella faccia, della quale e stato sanguinato due volte farà anco differir la risposta ch'aspettanno da S. E. circa il condur il carrozzino dove la M. S. si trova. Di Vagliadolid, alli 7 di Giugno 1603.

Di V. A. Serma
Humilissmo et divotmo Serre

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga. Analysé par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, p. 442. Texte inédit.


TRADUCTION.
IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince Sérénissime,

Par mes missives du 16 et du 24 mai, j'ai appris à V. A. l'arrivée du Flamand avec les chevaux et les bagages, tous en bon état, à l'exception des [153] peintures. A la suite de la pluie continue, tombée pendant tout le voyage, elles ont été gatées par l'humidité au point qu'on a douté beaucoup d'y pouvoir porter un remède. Maintenant qu'elles ont été sèchées et lavées à l'eau chaude, on a découvert que le dommage était moindre et plus remédiable qu'on ne le croyait, en les retouchant dans quelques parties; mais il est besoin pour cela de temps et d'argent: je ne puis dire combien il en faudra. Le carrosse est entièrement monté, on a donné aux parties en bois un vernis couleur de noyer qui fait mieux ressortir l'or des ferrements.

Avant hier nous avons reçu la nouvelle certaine du décès de Mme la duchesse de Lerme, décès arrivé le 2 de ce mois à Buitrago, à vingt lieues d'ici. La Duchesse est morte d'une fièvre maligne et, dans la même semaine, elle avait été prise d'une défaillance qui lui dura deux heures. M. le Duc en a montré beaucoup d'affliction, bien qu'il détestât le caractère âpre et orgueilleux de sa femme. Quelques-uns marient déjà de nouveau Son Excellence: celui-ci avec Madame Vittoria Colonna, veuve du Grand-Amiral, femme de haute stature, mais vieille et laide; celui-là avec la duchesse veuve du duc de Pastrano, qui est mieux de figure, mais, comme la première, portant le poids des années. D'autres l'unissent à la comtesse de Medellino, jeune héritière du patrimoine de sa famille; d'autres, enfin, à la comtesse veuve de Valence, qui est encore vierge pour n'avoir pas eu de rapports avec son mari. V. A. possède son portrait à Mantoue. Mais chacun parle de ces femmes selon ses propres intérêts, et le monde n'en admet aucune. Il n'est pas à douter, considérant l'âge du Duc, son tempérament très vert... (1), ses hautes intentions d'accroître sa race, il n'est pas à douter qu'il se résoudra facilement à se remarier; il n'en sera pas dissuadé par sa soeur, ni par ceux qui lui sont le plus dévoués, tels que Don Pedro Franqueza...

Mais s'il se décide à une nouvelle union, on pense que son propre choix et les conseils des siens le porteront vers une femme étrangère et de sang élevé, plutôt que vers une espagnole. Hier, à la table du duc de L'Infantado, ce duc lui-même et d'autres n'ont pas manqué de songer à Madame la duchesse de Ferrare, malgré l'objection de quelques-uns qu'elle est enfermée dans un monastère et tout-à-fait détachée des choses du monde. V. A. verra ce que m'écrit à ce propos... et la réponse que je lui ai donnée. Ce qu'il dit est sa pensée personnelle sans intervention d'autrui, ou sans observation qu'aurait pu faire l'autre... car on ne lui a rien communiqué pour les motifs écrits... [154] V. A. daignera me faire connaître ce qui serait le plus à son goût et à son service dans cette affaire... ainsi que les détails sur l'âge et sur la dot, afin que je puisse répondre positivement, si par hasard on m'en disait un mot. On dit que le décès de la Duchesse fera différer, peut-être même empêcher le voyage de S. M. à Burgos, parce que le Duc ne peut assister à l'entrée en cette ville et aux fêtes préparées à cette occasion, à quoi l'obligerait son service de Grand-Ecuyer et d'Alcade perpétuel de la ville. Un autre empêchement vient s'y joindre: S. M. a été prise à la figure d'une descente d'humeurs, qui par deux fois l'a couvert de sang. Tout cela fera retarder la réponse que nous attendons de S. E., relativement à la conduite du carrosse au lieu où se trouve Sa Majesté.

De Valladolid, le 7 juin 1603.De Votre Altesse Sérénissime
Le très humble et très obéissant serviteur,

Annibal Iberti.


XXXIII
ANNIBALE IBERTI A CHIEPPIO.

Molto Ille Sr mio P. Ossmo.

... Il Duca di Lerma non admette sin hora l'adito di nessuno ne offici di condoglienza, ancor che siano lettere o persone di qual si voglia Grande, et questo me tiene anco sospesa la mia andata a Burgos, non rispondendomi S. E. ne licentiando l'huomo che mandai per questo effetto tratenuto da Don Rodrigo Calderone per la risposta, senza la quale non posso far altro che aspettare. Entrò S. M. in detta città alli 12 con la Reina in seggia sotto il baldacchino e senza permetter la salva d'artigleria, per la credenza che s'ha di nuova gravidanza, se ben non è ancor confirmata, e dicesi che si firmeranno colà sin a S. Giovanni. Il Fiamingo attende a racconciar le pitture, et già con la sua diligenza sono in assai buon termine, ne si perderanno [155] più di due piccole che sono affatto irremediabili, onde per suplir al numero et avantaggiarlo per far il presente di maggiore rilievo, vo procurando che facci qualch'altra cosa di sua mano se avanzarà tempo. Nel far questi presenti mi raccordarò del Sr Marchese di Carrara e di tutto quel che può concerner il servitio di S. A...

Di Vagliadolid, 14 Giugno 1603.Di V. S. Mto Illre
Ossmo Serre,

Annibale Iberti.


Adresse: Al molto Illre Sig. mio Ossmo il Sigr Annle Chieppio, Consre di S. A. Sma. Mantova


Original à l'Archivio Gonzaga. Texte inédit. Analyse par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts, XV, 442.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI A CHIEPPIO.

... Jusqu'à présent, le duc de Lerme n'a voulu recevoir aucune visite, ni aucune missive de condoléance, bien qu'il se soit présenté des personnages et des lettres de toute la Grandesse, ce qui me tient en suspens quant à un voyage à Burgos; car Son Excellence ne me répond pas et ne me renvoie pas l'homme que je lui avais expédié à cet effet; celui-ci est retenu par don Rodrigo Calderone pour me rapporter la réponse sans laquelle je ne puis faire autre chose que d'attendre. Sa Majesté est entrée dans cette ville le 12, avec la Reine, en chaise à porteurs, sous un baldaquin, sans qu'il fût permis de tirer des salves d'artillerie parce qu'on la croit de nouveau enceinte, mais la chose n'est pas encore confirmée. On dit que Leurs Majestés resteront là jusqu'à la Saint Jean.

Le Flamand avance dans la restauration des peintures; grâces à son activité, elles sont déjà en bonne voie d'achèvement; deux petites pièces seulement seront perdues: elles sont tout-à-fait irréparables. En conséquence, pour compléter le nombre et le rendre même plus important, afin que le cadeau en ait un plus grand relief, j'aurai soin de faire exécuter par le Flamand [156] quelque chose de sa main, si on lui en laisse le temps. En présentant les cadeaux, je me souviendrai du marquis de Carrare et de tout ce qui concerne le service de S. A. .

De Valladolid, le 14 Juin 1603.Votre très dévoué serviteur,

Annibal Iberti


COMMENTAIRE.

L'Odyssée de Rubens se poursuit; les deux lettres d'Iberti en donnent les détails: on semble remarquer dans le ton de ces lettres plus de bienveillance qu'auparavant de la part du Résident. Il a écouté, sans doute, les conseils de Rubens, il n'a pas écrit au duc de Lerme l'accident arrivé aux peintures, accident dont la malignité pouvait s'emparer pour émettre des soupçons défavorables sur le compte du Flamand. Celui-ci aima mieux se livrer au travail d'une restauration; un événement inattendu lui donna le temps de le terminer: la mort de la duchesse de Lerme, Catalina de la Cerda, fille de Don Juan de la Cerda, quatrième duc de Medina-Celi. C'était une femme impérieuse et hautaine, comme le dit Iberti; elle s'entendait parfaitement avec son époux pour prendre sa part de domination en Espagne. Le Duc tenait le Roi, elle tenait la Reine. Après la célébration du mariage royal à Ferrare, en 1599, le duc Vincent de Gonzague fit cadeau d'un magnifique carrosse à la nouvelle souveraine, quand elle traversa Mantoue, Celle-ci fit son entrée à Madrid en décembre: à cette occasion le Roi nomma la duchesse de Lerme camarera mayor, ce qui fit murmurer, tant parce que l'on connaissait le caractère de cette femme, que parce que l'on commençait à trouver excessif l'accaparement d'honneurs et de pouvoir exercé par le couple ducal. Pour se concilier la faveur de sa future geolière, la jeune reine lui offrit le carrosse reçu à Mantoue: ce don gracieux n'opéra aucun miracle. La duchesse de Lerme tint la Reine sous le joug fastidieux de l'étiquette du palais et la circonvenait par ses créatures. Nature douce et faible, la jeune souveraine se résignait à son sort et se consolait par des oeuvres de piété. La Duchesse, peu de temps avant sa mort, avait résigné ses fonctions et fait nommer à sa place la soeur de son époux, la veuve du duc de Lemos.

Cette mort inopinée permit donc à Rubens de porter remède aux dégâts arrivés aux peintures: deux seulement furent absolument perdues, un Saint Jean, d'après Raphaël, et une Madone. Il assistait, en même temps, à toutes [157] les intrigues, à tous les commérages dont Iberti parle dans sa curieuse missive concernant les destinées matrimoniales du duc de Lerme, et il a dû bien sourire de la manière dont Iberti, dans un élan de zèle, introduit, à son tour, une candidate à la main du Maire du palais d'Espagne: la duchesse de Ferrare.

Celle-ci est la propre soeur de Vincent de Gonzague.

Née le 27 mai 1564 - elle entrait donc alors dans sa 40e année - Marguerite de Gonzague avait eu pour parrain, à son baptème, la République de Venise et devint, en 1579, la troisième femme d'Alphonse II d'Este, dernier duc de Ferrare. Devenue veuve en 1597, elle revient à Mantoue et y fonde un couvent d'Ursulines, lequel fut transporté, en 1603, dans un monastère qu'elle fit bâtir, dans la Contrada Pradella, par Viani, de Crémone. Elle s'y retira elle-même pour vivre dans la solitude. Elle tenait là une petite cour, qui fut un foyer de cabales et de critiques dirigées contre la dissipation et la licence de la cour de son frère. Livrée à la dévotion, craignant toujours pour son salut, elle ne voulait pas que son confesseur la quittât jamais. Soit refus personnel de la part de Marguerite, soit complications politiques venant de surgir avec l'Espagne, ce projet de mariage, sérieusement caressé par Vincent de Gonzague, s'évanouit tout-à-coup (1).

l circulait même des bruits plus étranges encore. Le 24 juin, le résident de Toscane, Domitio Perone, écrit au secrétaire Vinta: “On dit ici que si le duc de Lerme cherchait à se marier de nouveau, il n'y aurait pas de femme à trouver pour lui en Espagne; on est jusqu'à dire qu'il prétendrait à la main d'une soeur de la Reine; mais l'opinion est qu'il ne se remariera pas„ (2). Et, en effet, on le sait, le duc de Lerme, voulant tâter de toutes les espèces de grandeurs, se fit, peu de temps après, octroyer le chapeau de Cardinal. Dans ses aspirations intimes, il visait peut-être la tiare: l'histoire lamentable de sa chûte est devenue une des grandes légendes des vicissitudes humaines.


[158] XXXIV
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Hebbi risposta dal SrDuca de Lerma molto addolorata all'offitio de condoglienza che feci con S. E. et circa il condur la carrozza m'ordinò che la ritenga qui sin al ritorno di S. M. che la vedrà allhora. Per tutta la settimana seguente dicesi che saranno qui, intendendosi che deve esser il sabbato a 28, l'entrata in Palenza, discosta di qui sette leghe, dove al più longo se fermaranno tre giorni, se ben è anco uscita voce che di là sono per passar un altra volta all'Escurle per farvi l'estate.

Di Vagliadolid, alli 26 di Giugno 1603.>Di V. A. S.
Humilissmo et devotmo servre,

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga. Texte inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

J'ai reçu du duc de Lerme une réponse au compliment de condoléance que je lui ai adressé: cette réponse est empreinte d'une grande tristesse. Pour ce qui concerne la conduite du carrosse, il m'ordonne de retenir celui-ci jusqu'au retour de Sa Majesté qui le verra alors. On dit qu'ils seront ici après la semaine prochaine, c'est-à-dire que le samedi 28 aura lieu leur entrée à Palenza, qui est à sept lieues d'ici, et qu'ils s'y arrêteront trois jours tout au plus. Cependant il court aussi le bruit que de là ils prendraient une autre route pour se rendre à l'Escurial où ils passeraient l'été.

De Valladolid, le 26 juin 1603.Votre très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


[159] XXXV
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Smo Prencipe mio Sre e Pane Colmo

Entrò qui S. M. il martedì passato di ritorno da Burgos e da Palenza, ne più si fa motto dell'andar per hora all'Escuriale, come si disse, se ben è vero che queste rissolutioni dei viaggi si fanno et s'esseguiscono in un ponto, et là verso settembre e opinione ch'andarà a Valenza per tenervi corte, havendole promesso assolutamente nell' occasione del donativo che le fece quel regno a' mesi passati. La mattina seguente della venuta, andò il SrDuca di Lerma a visitar il sepolcro della moglie et ad un'altar vicino nel medesimo luogo sotterraneo udi due messe con molte lagrime, il che ha continuato dopoi quasi ogni dì, sempre con maggior sentimento, ma non ostante queste dimostrazioni non cessa l'opinione che non sia più tosto apparente che vero, et che al fine non sia per rimaritarsi ancorche m'afferma chi fu presente al vederlo licenciarsi dalla moglie, che con molta asseveranza promisse a Dio et a lei che piacendo a S. Dna Mta di levarla, non occuparebbe altra donna quel loco ch'ella havea occupato trenta anni continovi. Riferiscono quei che si trovorono presenti all'entrata in Burgos, ch'essendo apparecchiate molte feste et livree de colori, cessò tutto per l'accidente di quella morte, anzi che l'insegne d'alcune compagnie, fatta dalla città di varij colori, si convertirono in bruno portandole bassi senza sonar trombe ne taballi com'è il solito, e toccando le campane in sono mesto come se fossero essequie e non entrata reale.

Subito dopo l'arrivo procurai l'ordine dal Sr Duca per presentar il carrozzino, e mi fece dire che concertarebbe con S. M. il giorno et il loco dove l'havea da vedere, e de tutto m'avisarebbe per mezzo di Don Rodrigo Calderone, ma fin qui non m'ha fatto dir altro se ben l'ho raccordato, se non che il conte d'Orgaz, gentilhuomo della [160] Camera di S. M. e compagno nella caccia, venne di suo ordine a veder i cavalli per scieglierne fra i sette uno di buon passo che servi alla sella per S. M. nel campo, et a questo ha destinato uno che i Pollachi chiamano il Bazzofione. Sommamente le piacquerò tutti i cavalli et la forma del carrozzino, dicendo che non poteva mandar cosa di maggior gusto alla M. S. per la comodità et per la leggierezza.

Visitai il Sr Don Pietro Francheza che mi riferi tutto quel che scrisse il Vicerè di Napoli del valor et magnanimità di V. A. e della molta divotione che porta a questa corona, con quel di più che l'A. V. gli discorse dei suoi pensieri, il qual officio dice che fu benisso inteso da S. M. che vide oculamente le lettere, ma non potessimo passar più oltre per non esser la prima visita, che fu interrotta da altri sigri che vennero all'istesso...

Con l'occasione del presente che farò a Francheza, dopo quel di S. M. e del Duca, havrò piu agio di parlarli e procurerò di cavarne il netto. Non va più il Sr don Pietro di Toledo per capo dell'armata, come fu creduto, ma dicesi per cosa certa che lo sarà il conte di Niebla, genero di S. E. il che se ben si tocca come a generale della principal squadra delle galere, tuttavia pare che questo habbi maggior consequenza, et che sia un'habilitarlo al carico supremo del mare ch'egli tanto ambisce, et già da questa voce cominciano quei di Savoia a dubitar anch'essi. L'uscita di quest'armata dovea essere al principio di questo mese, scrivendo don Carlo Doria che haveva imbarcato già da tre mila fanti nelle sue galere, et l'altre facevano l'istesso in Cartagena, ma essendosi intesa la morte di fra Mateo d'Aghire, francescano, che tornava al Re del Cucco con un presente di S. M. et con monitioni de guerra e fu amazzato dai Mori con altri quaranta compagni per rubbarli. Si dubita che sospenderanno forse l'uscita sin ad assicurarsi meglio della fede di quei Barbari instabili nell'amicitie, con la relazione del Vicerè di Maiorica, ch'andò col frate, ma non sbarcò in terra, et s'aspetta fra due dì per informar meglio S. M. di quelle pratiche.

Si e intesa la suspensione d'armi fra Modena et Lucca, della [161] quella havendone dato conto l'agente di Modena al Sr Don Pietro Francheza, le rispose con molto vigore alla presenza di molti, che il suo Padrone havea fatto male in essere autore di mover l'arme in Italia, et che se ben S. M. l'haveva in protetione, non pensasse sotto quest'ombra di tumultuare, che anzi havrebbe la M. S. più per contrario che per fautore, con altre parole molto gagliarde, il che fa credere che habbiamo per certo quel che si sospettava d'essere stato fomentato il Sr Duca da altri, che forse hanno pensieri non buoni contro Lucca.

E rissanato l'Ambasre Concino della sua longa infirmità, et hora stiamo attendendo che ordine è quello che minaccia il Sr Don Pietro de Medici, che glie per dar il Sr Conte di Miranda per parte di S. M., il che si saprà subito che cominci a uscir di casa. Al Sr Conte suddetto S. M. ha donato 100m scudi per aiuto di costa, che se le assegnaranno in Sicilia, et in Burgos donò al Sr Duca di Lerma 30m in contanti, che fu il donativo che la città le fece per la prima entrata acciò servissero per l'essequie della Sra Duchessa, nell'occasione della cui morte dicesi che la M. S. colmò S. E. con tanto eccesso di gratie et favori personali, che affermano tutti che in ginocchione la supplicò ad abreviar più tosto che accrescere queste tante dimostrazioni. Bacio a V. A. humte le mani et nella sua felicissa gratia, quanto più riverente posso, mi racdo.

Di Vagliadolid, alli 6 di Luglio 1603.Di V. A. Sma
Hummo e divotmo serre

Annibale Iberti.


Adresse: Al Smo Principe mio Sre e Pane collmo il Sigr Duca di Mantova e di Monfto


Original à l'Archivio Gonzaga. Analyse par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 443. Texte inédit.


[162] TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince sérénissime,

Sa Majesté est entrée ici, mardi passé, de retour de Burgos et de Palenza; pour le moment il n'est plus question d'aller à l'Escurial, comme on le disait. Il est vrai que ces résolutions de voyages se prennent et s'exécutent tout d'un coup. On pense pourtant que, vers Septembre, le Roi ira à Valence pour y tenir sa cour, ce qu'il a promis formellement de faire à l'occasion du subside qui lui a été donné par ce royaume, ces mois passés. Le lendemain matin de l'arrivée de S. M., le duc de Lerme se rendit au sépulcre de sa femme et entendit deux messes dans une chapelle souterraine qui est à côté; il pleurait abondamment, ce qu'il a fait depuis, presque chaque jour, avec une émotion croissante. Nonobstant ces démonstrations, on est toujours d'avis que cette douleur est plus apparente que réelle et, qu'à la fin, il pourrait bien se remarier. Cependant il m'a été affirmé par quelqu'un qui fut présent au dernier adieu qu'il adressait à sa femme, qu'en ce moment là il fit à Dieu et à elle, la promesse formelle, - s'il plaisait à Dieu de la lui enlever - de ne jamais permettre qu'une autre femme prît la place qu'elle avait occupée pendant trente ans.

Ceux qui furent présents à l'entrée dans Burgos rapportent que de nombreuses fêtes et des costumes de couleurs avaient été préparés, mais qu'à la suite de cette mort, tout fut arrêté; et même des bannières de diverses couleurs, destinées à des compagnies organisées par la ville, furent remplacées par des bannières sombres que l'on porta abaissées, sans faire retentir ni trompettes ni timbales, comme d'habitude, et en sonnant lugubrement les cloches comme si c'étaient des obsèques et non pas une entrée royale.

Aussitôt après l'arrivée, je fis demander les ordres du Duc pour la présentation du carrosse; il me fit dire qu'il se concerterait avec S. M. quant au jour et au lieu où elle viendrait le voir et qu'il m'en aviserait par don Rodrigo Calderone. Mais jusqu'à présent, bien que je le lui aie rappelé, il ne m'a rien fait dire d'autre sinon que le comte d'Orgaz, gentilhomme de la chambre de S. M. et son compagnon de chasse, est venu par son ordre examiner les chevaux pour en choisir un parmi les sept qui fût de bon pas et pût servir à S. M. de cheval de selle à la campagne. Le Comte a destiné [163] à cet usage celui que les Polonais nommaient le Bazzofione. Tous les chevaux lui ont extrêmement plu ainsi que la forme du carrosse; on ne pouvait, disait-il, envoyer à S. M. rien qui fût plus de son goût sous le rapport de la commodité et de la légéreté.

J'ai fait une visite à don Pedro Franqueza qui m'a rapporté tout ce qu'avait écrit le vice-roi de Naples de la valeur et de la magnanimité de V. A., du grand attachement qu'Elle porte à la couronne d'Espagne, ainsi que des sentiments que V. A. lui a exprimés: ces lettres ont causé la plus grande satisfaction à S. M. qui les a lues lui même. Nous n'avons pas eu l'occasion de passer à un autre sujet: c'était une première visite; elle fut interrompue d'ailleurs par l'arrivée de quelques seigneurs...

Après avoir fait la remise des cadeaux à S. M. et au duc de Lerme, je remettrai à Franqueza le cadeau qui lui est destiné; j'aurai alors l'occasion de lui parler à loisir et je m'efforcerai de m'entendre nettement avec lui.

Ce n'est plus don Pedro de Tolède qui serait mis à la tête de la flotte comme on le croyait, on dit que ce sera certainement le comte de Niebla, gendre de Son Excellence. Bien que cela lui revienne comme au général de la principale escadre des galères, il parait cependant que cette nomination aurait de plus grandes conséquences: on voudrait le rendre capable de remplir la charge qu'il ambitionne tant, celle de commandant suprême de la mer; ceux de Savoie commencent aussi déjà à se douter de ce bruit qui court. Le départ de cette flotte devait avoir lieu au commencement de ce mois, don Carlos Doria ayant écrit qu'il a déjà embarqué trois mille hommes sur ses galères et que les autres vaisseaux en prenaient autant à Carthagène; mais on vient d'apprendre la mort de Frère Mathieu d'Aghire, un franciscain qui, en se rendent auprès du Roi de Cuco avec un présent de S. M. et des munitions de guerre, avait été tué avec ses quarante compagnons par des Mores, lesquels voulaient s'emparer de leurs dépouilles. Cet événement suspendra peut être la sortie de la flotte jusqu'à ce que l'on se soit mieux assuré de la fidélité de ces Barbares si inconstants dans leurs amitiés: on attend la relation du Vice-Roi de Majorque, qui accompagnait le Frère, mais n'avait pas débarqué sur le rivage: le Vice-Roi viendra ici dans deux jours pour mieux renseigner S. M. sur ces affaires.

On a appris la nouvelle de la suspension d'armes entre Modène et Lucques: l'agent de Modène en est venu prévenir don Pedro Franqueza, qui lui répondit très vertement, en présence d'un grand nombre de personnes, que son maître avait mal agi en faisant la guerre en Italie et que pour être sous la protection [164] de S. M. cela ne l'autorisait pas à exciter des troubles, ce qui obligerait S. M. à devenir son ennemi plutôt que son défenseur. Franqueza dit encore d'autres paroles très dures: tout cela nous porte à croire que nos soupçons étaient vrais et que le duc de Modène a été poussé par d'autres qui ont peut-être de mauvaises intentions sur Lucques.

L'ambassadeur Concino est remis de sa longue maladie: nous sommes à attendre maintenant la décision qui sera prise contre Pierre de Médicis, décision qui lui sera communiquée par le comte de Miranda, de la part de S. M. On la saura dès qu'il commencera à sortir. Sa Majesté a donné au susdit Comte une gratification de 100,000 écus qui lui seront assignés en Sicile et à Burgos, Elle a donné au duc de Lerme les 30,000 écus en espèces, que la ville avait offert à S. M. comme don de première entrée; cette somme doit servir aux obsèques de la Duchesse. On dit qu'à l'occasion de la mort de celle-ci, le Roi a comblé Son Excellence d'un tel excès de grâces et de faveurs personnelles, que, selon l'affirmation générale, Son Excellence l'aurait supplié à genoux de diminuer cette surabondance de démonstrations plutôt que de l'augmenter. Je baise humblement les mains de V. A. et me recommande avec respect à ses meilleures bonnes grâces.

De Valladolid, le 6 juillet 1603.De V. A. S.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


[165] XXXVI
ANNIBALE IBERTI A CHIEPPIO.

Molt Illo Sr mio Sr Ossmo

Alla lettera che scrivo a S. A. mi resta aggiungere che le pitture sono gia ridotte a perfettione per presentarsi quando piacerà al Sr Duca di vederle; et solamente s'e perduta affatto la figura d'un San Giovanni di Raffaele et una Madonina, in loco de quali ha fatto il Fiamingo un quadro di Democrito et Heraclito ch'e stimato assai buono...

Di Vagliadolid, alli 6 di Luglio 1603.Di V. S. Mto Ill.
Obligmo servitore,

Annibale Iberti.


Adresse: Al molt' Ill. Sr mio Sr Ossmo il Sigr Annibale Chieppio, Consigl. di S. A. Sma.

Mantova.


Original à l'Archivio Gonzaga. Inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI A CHIEPPIO.

A la lettre que j'écris à Son Altesse, je dois ajouter que les peintures sont remises en parfait état, de sorte qu'elles pourront être présentées au Duc quand il lui plaira de les voir. Nous n'avons perdu tout-à-fait qu'une tête de St. Jean de Raphaël et une petite Madone, à la place desquelles le Flamand a fait un tableau de Démocrite et d'Héraclite que l'on trouve très bon.

De Valladolid, le 6 juillet 1603.Votre serviteur très obligé,

Annibal Iberti.


COMMENTAIRE.

Par ces missives d'Iberti, nous n'avons que de pauvres renseignements sur les occupations de Rubens, pendant la longue station d'attente qu'il eut [166] à faire à Valladolid. Il y restaura d'abord les peintures endommagées et peignit “un tableau d'Héraclite et Démocrite„. D'après cette expression, répétée par Iberti dans la lettre qui suit, il semble que ces deux personnages figuraient sur le même toile. Cependant l'oeuvre existe en deux tableaux que l'on voit aujourd'hui à Madrid, au Musée du Prado, sous les nos 1601 et 1602. Après la mort du duc de Lerme, ils passèrent à la couronne. Déposés d'abord à Torre de la Parada, ils y sont mentionnés dans un inventaire dressé en 1700: “Deux tableaux de même grandeur, étroits, représentant l'un Héraclite, l'autre Démocrite, de la main de Rubens, estimés 150 doublons.„ Le 28 juillet 1714, par ordre du comte de Montemar, ils furent transportés au palais royal du Pardo et remis au marquis de Balus (1).

Le Saint Jean, de Raphaël, était probablement l'un des 16 tableaux que Facchetti avait copiés d'après les originaux, à Rome, pour Vincent de Gonzague (2). Sur la petite Madone nous n'avons aucun renseignement; c'était, sans doute aussi, la copie de quelque madone du maître d'Urbino.

Quant à la grande missive d'Iberti au Duc, elle nous donne tous les détails sur les préliminaires de la remise des présents conduits par Rubens, mais on remarquera qu'il n'y est pas dit un mot de celui-ci, dont il ne parle même qu'en passant, dans sa lettre à Chieppio.

Quoique ne s'occupant pas du jeune artiste, la lettre au Duc est un document fort intéressant pour la connaissance des rapports entre les cours de Mantoue et d'Espagne. Elle peint les hommes d'État, avec lesquels Rubens s'est rencontré, et celui-ci, avec son esprit perspicace et sa haute raison, aura porté sur le duc de Lerme un jugement dont il se souviendra plus tard, quand il traitera de hautes affaires avec un autre maire du palais, le comte-duc d'Olivarès.

Dans la lettre d'Iberti au Duc, du 6 juillet, il est parlé d'un roi de Cucco. C'était le chef d'un petit royaume de la côte d'Afrique, ennemi des Turcs, avec lequel Philippe III avait fait une alliance dans sa guerre contre les Barbaresques. Il s'était engagé à envoyer à ce roi des secours en hommes, en argent, en navires; mais il le fit avec tant de négligence que ce petit roi s'en plaignit vivement et abandonna bientôt l'alliance (3).


[167] XXXVII
IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Smo Prencipe mio Sre et Prone Colmo

In questo ponto torniamo il Fiamengo et io dal SrDuca di Lerma, al quale si son presentate le pitture in sito appropriato, che ha reso più apparente il dono et il numero. Avant'hieri presentai il carrozzino co'i cavalli et arcobugi a S. M. che uscì ad un giardino di detto Sr Duca fuori della citta insieme con la Regina, per vederlo più comodamente, et il tutto e stato ricevuto e gradito con termini convenienti al dono et a chi lo manda...

Di Vagliadolid alli 13 de Luglio 1603.Di V. A. Serma
Humilissmo et divotmo Serre

Annibale Iberti.


Adresse: Al Sermo Prencipe mio Sre e Pron Colmo il Sigr Duca di Mantova e di Monferrato.


Original à l'Archivio Gonzaga. - Inédit.


TRADUCTION.
IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince Sérénissimé,

En ce moment, le Flamand et moi, nous revenons de chez le Duc de Lerme, à qui les peintures ont été présentées dans un local bien approprié, ce qui a fait mieux paraître le cadeau et la quantité d'objets dont il se compose. Avant hier, j'ai présenté la carrosse avec les chevaux et les arquebuses à Sa Majesté qui était sortie de la ville avec la Reine, jusqu'à [168] un jardin du Duc, pour les voir plus commodément. Le tout a été reçu et agréé avec des paroles gracieuses, tant pour le cadeau que pour celui qui l'envoie.

De Valladolid, le 13 Juillet 1603.De V. A. S.
Le très humble serviteur,

Annibal Iberti.


XXXVIII
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Sermo Prencipe mio Sre e Pane Colmo

Ancor che scrissi a V. A. con l'ordinario il presente fatto a S. M. et al S. Duca di Lerma, riferirò hora i particolari che non hebbi tempo di dir all' hora. Volsè la S. M. per veder più dappresso il carrozzino che si conducesse ad un giardino del Sr Duca, fuori della citta mezzo miglio, non essendove piazza secreta in palazzo per far questo.

Comandò perciò che alle cinque hore della tarde io mi trovassi alla porta del palazzo, dove poco dopoi calò la M. S. con la Regina et alcune Dame, e montate nei cocchi loro ordinarij fece caminar inanzi a quello del Sr Duca che precedeva à S. M. il carrozzino, che co' i cavalli et cocchieri ben guerniti faceva bellissima vista. Smontati alla porta del giardino fecero avicinar il carrozzino et lo furono considerando tutto, e lodando la nuova maniera et i cavalli, applaudendo le Dame et i Gentilhomini della camera che ivi si trovorono, ma sopra tutti il Sr Duca di Lerma et per l'autorità et per una sua natura benigna comandò in estremo il tutto, dimandandomi alcuni particolari del modo degli assenti e delle qualità e razza dei cavalli. M'accennò poi, che m'accostassi a S. M. per farle il dono, a cui [169] havendo fatto humilissma riverenza per parte di V. A. le rappresentai che non havendo altra occasione de mostrar con cose grandi il grand' obligo e volontà c'ha de servir alla M. S. con la persona istessa e con gli stati, haveva eletto de mandarle quel picciol segno, nel quale haveva da ricever più l'animo che la cosa in se poca, se ben per la novità et per la comodità del carrozzino credeva che potesse essere de qualche servitio per il campo et alla caccia, presentando insieme gli arcobugi con un'offerta ampla di servir a S. M. con maggior quantità se fossero a gusto. Mi rispose la M. S. con faccia molto serena e con parole più che ordinarie, che gradiva in estremo il dono per la bellezza e per la volontà con che V. A. glielo manda, e che cosi lo scrivessi all' A. V. con offrirle la sua in tutto quello che le toccasse, dimandandomi poi in particolare del buon stato suo e del ritorno da Napoli, a che sodisfeci entieramente.

Entrati nel giardino vide gli arcobugi, ma per farsi notte non li potè provare, e comandò che si portassero a palazzo, dove li provò il di seguente con molto gusto et approvatione de tutti, ordinando anco de sua bocca che se tenesse buon conto de cavalli, in tutto il tempo che si stéttè nel giardino dove fui admesso ancor io et il Fiamengo, passeggiando con la Sra Contessa di Cifuentes vedova, che si raccorda affetionatma serva a V. A. e con la Sra Donna Maria Sidonia et alcuni cavalieri della camera, non si parlò d'altro che della grandezza et magnanimità de V. A. et della bellezza et accertamento di questo dono cosi proportionato al gusto della M. S. il qual ha mostrato ben chiaro essendo già uscito tre volte coì cavalli nel suo cocchio, et hieri nel medesmo carrozzino con la Regina a una chiesa de divotione discosta mezza lega. Il giorno seguente tornai a parlare a S M. nella camera, e le dissi che non essendomi parso loco oportuno quel del giorno antecedente per far officio di condoglianza ne per negoci, haveva differito a farlo all'hora come feci, de che darò conto a V. A. in lettera a parte che sarà qui congiunta con quel di più che passai l'istesso dì pur in materia di negoci nell'audienza del Sr Duca di Lerma, a cui havendo fatto saper la memoria che [170] V. A. haveva tenuto di servir insieme a S. E. con quelle poche pitture per il gusto che intende ha in questo genere di cose, et con quei vasi m'ordinò che le facessi portar a palazzo il giorno seguente dopo pranzo. Cosi feci, lasciando di passo in casa di Don Rodrigo Calderone le 24 Imperatrici che da lui e da sua moglie furono viste, lodate e gradite molto con un obligo perpetuo a V. A. et alla Serma sua casa. E con l'istesso Don Rodrigo passando a palazzo fu destinata una sala assai grande et molto appropriata per reporle, il che fece il Fiamengo con molt'arte, dando a tutte il sito et lume conveniente per renderle più vistose, e non bastando questa sala, se ben come ho detto era essai grande, si posero in una camera vicina tutte le picciole et un Democrito con Eraclito fatto dal Fiamengo pur con la medesma arte. Entrò poi il Sr Duca solo con veste da camera, e fatti i debiti complimenti cominciò a vederle d'una in una secondo il suo ordine, cominciando dalla creatione, e poi i pianeti et continuando successivamente l'opere de Titiano e degli altri sin il fine di tutti i quadri grandi facendo riflessione d'uno in uno nelle cose più considerabili, e ricevendo fuori della creatione e dei pianeti quasi tutti gli altri per originali, se ben da noi non fu fatta distintione di questo, ma quando pensò haver finito in questa sala dove stette più d'un'hora se glie disse dell'altre che erano nella camera, dove entrato si maravigliò di tanto numero e delle cose singulari et esquisite che ve erano, le quali ben si possono chiamar tali essendo state aiutate molto dalla mano del Fiamengo che parevano un'altra cosa. Fu S. E. considerando ciascun quadro per se e comendando in estremo la bellezza et esquisitezza di tutti, con dire che V. A. gli haveva mandato una delle maggiori richezze e di più suo gusto che potesse mai desiderare, ne lasciassimo noi d'incarirlo con destrezza accennando la penuria e difficoltà di trovar cose buone in Italia delle quali vi sono molti avidi che le van raccogliendo. Gionse nell'ultimo al ritratto di V. A. come anco vi fissò gli occhi nel entrar in camera, e dopo haverlo mirato e rimirato considerando minutamente ogni parte, osservò e comendò la vivacità degli occhi, la maesta e serenità della facia e la proportione de tutto, [171] e da quella effigie disse che ben si conosceva la grandezza dell'animo di V. A. di cui l'havrebbe giudicato fra mille per la relatione particolare che ha delle qualità dell' A. V. L'occasione di darlo fra l'altre pitture fu che nel ragionamento del giorno antecedente parlando dell'età, del valor et altre parti di V. A. mi domandò se il Pittore mandato da lei havrebbe saputo cavarne uno di memoria, che desiderava in estremo haverlo ancor che fosse bisogno scriverne in Italia, onde vedendo io questo desiderio et l'occasione a proposito gli offersi quello che si degnò mandarmi V. A. come cosa mia, parendomi bene non mostrarne affettatione. Di che mi ringratio assai e più d'una volta, se ben confesso a V. A. che non restarei contento d'essermi privato di gioia a me tanto cara et venutami dalla benigna mano di V. A. se non anteponesse il suo servitio ad ogni mio gusto e non credessi d'esserne ricompensato presto con un altro, et quel che sarà a me di maggior contento con la Sma presenza di V. A. Mostrai poi al Sr Duca i quattro vasi d'odore supplicandolo a servir con quel di cristallo a S. M. per bevere acqua, et per mostra del lavoro più che per la materia, et essendo a gusto offrirgliene tutta quella quantità che sarà servita ordinare, come pur io feci a S. E. con quella maggior efficacia che potei.

Considerò ogni cosa per se molto accuratamente et maravigliandosi molto della maestria e della vaghezza di quei grotteschi e di tutto il lavoro, lodò la curiosità e buon gusto di V. A. con renderle infinite gratie di tutto, e promise insieme di far l'ufficio con S. M. come V. A. desiderava, alle quale disse che darebbe un buon trattenimento con la vista di quelle pitture e dei vasi quella istessa tardi come fece, mostrandole poi il dì seguente alla M. della Regina et alla dame e di mano in mano a molti cavalieri di palazzo che tutti le han approvato universalmente et in particolare me riferì Don Rodrigo, che disse S. M. che n'erano pezzi tanto rare fra le pitture che meritavano d'essere lasciate in fidecomisso a suoi figliuoli et il conte d'Arcos, maggiordomo della Reina che professa molta intelligenza del mestiero, me l'ha lodati tutti in estremo. La congiuntura della morte della Sra Duchessa di [172] Lerma ha reso più grate queste pitture di quel che forse harebbono fatte prima, perchè come il Sr Duca vivendo lei era amico di gale e d'amori, cosi era inclinato a cose di questo genere, hor con la morte della moglie ha fatto spogliare tutti i muri delle pitture profane e d'ogni altra cosa, e in lor vece ha ordinato che se ripongano queste, non spirando S. E. adesso altra cosa che divotione, religione e ritiratezza da ogni gusto mondano. Al Fiamengo che s'è trovato presente a tutto, e quando se donò il carrozzino, et al dar le pitture uso S. E. parole di molta cortesia, e me dimandò se V. A. l'haveva mandato per fermarsi al servitio di S. M. che ne havrebbe havuto piacere. Io risposi per non perder questo servitore che l'A. V. l'havea mandato solo per accompagnar le pitture et per dar conto di esse non sapendo d'accertar il gusto di S. M. e di S. E. in altro, ma il tempo che si sarebbe fermato quì havrebbe però servito l'E. S. in quel che più le fosse piaciuto, parendome che inclinava di comandarli qualche soggetto.

Tutto quel che veniva co'i cavalli per servitio d'essi e dei cochieri s'è consegnato al Guardarnese di S. M., ma ancor non han rissoluto di trattener i Polacchi che da me son stati offerti, se parerà al Sr Duca che restino al servitio, ne altra dimostratione han fatto fin hor con questa gente, la qual spedirò subito havuta la rissolutione acciò non stiano in spesa. Bacio humilissimamente le mani di V. A. et nella sua felicissima gratia riverte mi raccomando. Di Vagliadolid alli 18 di Luglio 1603.

Di V. A. Sma
Hummo et Dmo serre

Annibale Iberti.


L'adresse porte: Al Sermo Prencipe mio Sre et Pane Colmo il Sr Duca di Mantova et di Monferato.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. Analyse partielle par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts, XX, 445. Texte inédit.


[173] TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince Sérénissime,

Bien que j'aie fait savoir à V. A. par l'ordinaire que les présents ont été remis à S. M. et à Mgr le Duc de Lerme, je vais rapporter aujourd'hui les détails que je n'ai pas eu le temps de fournir dans ma dernière lettre. Pour voir le carrosse de plus près, S. M. voulut qu'il fût conduit dans un jardin de Mgr le Duc, à un demi-mille hors de la cité, vu qu'il n'y a pas au palais un endroit assez isolé pour procéder à cette cérémonie. En conséquence, le Roi m'ordonna de me trouver à cinq heures du soir à la porte du palais, où, peu après, descendit S. M. avec la Reine et quelques dames. Quand elles furent entrées dans leurs carrosses particuliers, le Roi fit marcher devant celui du Duc, qui précédait S. M. notre grand carrosse lequel avec ses chevaux et ses cochers bien équipés formait un très beau coup d'oeil. On descendit de voiture à la porte du jardin; le carrosse fut avancé. Tout le monde l'examina et en loua la façon toute nouvelle, on admira les chevaux; les dames, les gentilshommes de la chambre qui se trouvaient là, prodiguèrent leurs applaudissements. Mais, au-dessus de tous, le duc de Lerme, tant par son autorité que par sa nature pleine de bonté, donna à toutes choses une approbation suprême: il me demanda quelques détails sur les absents, sur leurs habitudes, ainsi que sur les qualités et la race des chevaux. Puis il me fit signe d'aborder S. M. pour lui offrir les cadeaux. Je fis donc à S. M. une très humble révérence de la part de V. A., je lui représentai que V. A., n'ayant point l'occasion de montrer par de grandes choses ses grandes obligations et sa volonté de mettre sa personne et ses états au service de S. M., elle avait résolu de lui envoyer ce faible témoignage, dans lequel il y avait lieu de considérer l'intention plus que l'objet, peu important en lui-même, quoique par sa façon nouvelle et commode, ce carrosse sera peut-être de quelque utilité pour la campagne et pour la chasse. En même temps je présentai à S. M. les arquebuses en lui offrant d'en mettre à sa disposition une plus grande quantité, si Elle les trouvait de son goût. S. M. me répondit d'un air très satisfait et avec des paroles très significatives, que le cadeau lui plaisait extrêmement non seulement pour sa beauté, mais encore comme expression de la bonne volonté du donateur, qu'Elle écrira à S. A. pour lui offrir en [174] retour ses bons offices en tout ce qui peut la toucher. Elle m'a demandé, enfin, des nouvelles de la bonne santé de V. A., du retour de V. A. de Naples: en quoi je satisfis entièrement S. M.

Quand tout le monde fut entré au jardin, le Roi regarda les arquebuses; mais comme la nuit tombait, il ne put les essayer et commanda de les porter au palais, où il en fit l'essai le jour suivant avec beaucoup de plaisir et à la satisfaction de tous, en recommandant encore une fois que l'on eût grand soin des chevaux. Pendant tout le temps qu'il resta dans le jardin, où j'avais été admis avec le Flamand, nous promenant avec Mme la comtesse douairière de Cifuentes, qui se dit de nouveau servante affectionnée de V. A., avec doña Maria Sidonia et quelques gentilshommes de la Chambre, on ne parla d'autre chose que de la grandeur et de la magnanimité de V. A., de la beauté du cadeau et de son heureuse conformité au goût de S. M. En effet, le Roi l'a clairement fait voir en sortant trois fois avec les chevaux attelés à sa voiture; puis, hier, en se rendant avec la Reine, dans le carrosse lui-même, à une église de dévotion située à une demi lieue.

Le lendemain je revins parler au Roi dans son appartement: je lui dis que, la veille, le lieu ne m'ayant point paru propice pour présenter mes compliments de condoléance et m'entretenir d'affaires, j'avais différé de le faire jusqu'à cette heure. Je rendrai compte à V. A. dans une lettre à part, jointe à celle-ci, de ce qui s'est traité en matière d'affaires dans cette entrevue et dans celle que j'ai eue le même jour avec le duc de Lerme. J'ai fait connaître à celui-ci que V. A. pour le souvenir qu'Elle a gardé de lui, veut lui offrir ces quelques peintures, sachant son goût pour ces sortes d'objets. Il m'ordonna de les faire porter avec les vases au palais, le lendemain après le diner. C'est ce que je fis. En passant, je laissai au logis de don Rodrigo Calderon les 24 Impératrices, lesquelles furent vues, louées et très bien agréées par lui et par sa femme, qui se disent les obligés perpétuels de V. A. et de sa maison. Je me rendis ensuite avec le même don Rodrigue au palais, où une grande salle, bien appropriée, fut mise à notre disposition pour étaler ces objets, ce que le Flamand fit avec beaucoup d'art, donnant à tous la place et la lumière qui leur convenaient pour être bien vues. Et, comme cette salle ne suffisait pas, quoiqu'elle fût très grande, ainsi que je l'ai dit, on posa dans une chambre voisine les petits tableaux, ainsi qu'un Démocrite avec Héraclite, peint avec le même art par le Flamand.

Puis est entré le Duc seul, en robe de chambre. Après les compliments d'usage, il se mit à regarder les oeuvres, une à une, dans leur ordre, en [175] commençant par la Création, ensuite allant aux Planètes et continuant par les oeuvres du Titien et des autres, jusqu'à la fin des grands tableaux, émettant ses réflexions sur ce que chacun d'eux montrait de plus important et, à l'exception de la Création et des Planètes, les acceptant presque tous pour des oeuvres originales, bien que de notre côté, il n'eût été fait aucune distinction sous ce rapport.

Mais lorsqu'il pensait avoir fini dans cette salle où il était resté plus d'une heure, on lui parla des autres oeuvres posées dans la chambre: il y entra et fut émerveillé du nombre de choses remarquables et excellentes qui se trouvaient là. On pouvait, en effet, les qualifier ainsi: après avoir été retouchées par la main du Flamand, elles paraissaient être toute autre chose qu'auparavant. Ayant considéré chacun des tableaux, puis vanté à l'extrême la beauté et la perfection de tous ensemble, S. E. nous affirma que V. A. lui avait envoyé une des plus grandes richesses et des plus conformes à son goût qu'elle pût jamais désirer. Nous ne laissions pas de renchérir adroitement sur ses discours, en insistant sur la pénurie des belles oeuvres d'art en Italie et sur la difficulté de se les procurer, tant les amateurs y sont nombreux et les recueillent avec avidité.

Il arriva, enfin, au portrait de V. A. portrait sur lequel il avait déjà fixé ses regards en entrant dans la chambre; après l'avoir admiré et admiré de nouveau, en le considérant minutieusement dans tous ces détails, il fit remarquer la vivacité des yeux, la majesté et la sérénité du visage, les proportions de l'ensemble, il nous dit qu'en voyant cette figure, on y reconnaissait parfaitement la grandeur d'âme de V. A., qu'il l'aurait désignée entre mille sur la relation particulière qu'il avait eue des qualités de V. A. L'occasion de l'offrir entre les autres peintures m'avait été fournie par la conversation que j'avais eue la veille avec le Duc. Parlant de l'âge, de la valeur et des autres qualités de V. A., il m'avait demandé si le peintre qu'Elle avait envoyé ici aurait pu faire d'Elle un portrait de mémoire, qu'il désirait extrêmement ce portrait, dût on écrire en Italie à cet effet. En présence de ce désir et trouvant l'occasion propice, je lui offris le portrait que V. A. avait daigné m'envoyer pour devenir chose mienne: il m'a semblé que j'agissais bien en n'en faisant pas connaître la destination première. Je m'en suis grandement réjoui et plus d'une fois: j'avoue cependant à V. A., que je serais fort désolé de m'être privé d'un joyau qui m'était si cher pour m'avoir été donné de la main généreuse de V. A., si je ne mettais son service avant ma satisfaction propre et si je n'étais convaincu que je serais récompensé bientôt par un autre portrait, [176] et ce qui me réjouira plus encore, par la présence sérénissime de Votre Altesse.

Je montrai ensuite à Mgr le Duc les quatre vases à parfums en le suppliant de s'en servir pour boire de l'eau, comme le fera S. M. du vase de cristal, le suppliant aussi d'en considérer le travail plus que la matière, l'assurant enfin que s'il les trouvait à son gré, on lui en offrirait telle quantité qu'il voudrait bien ordonner. Je dis tout cela à S. E. avec toute la persuasion qu'il me fut possible d'y mettre.

Il considéra chaque objet avec une attention scrupuleuse, s'émerveillant beaucoup de la perfection artistique et du charme de ces grotesques, de tout le travail, en un mot. Il fit l'éloge de V. A. pour son amour de la curiosité et son bon goût, en lui rendant mille fois grâces de tous ces dons. Il me promit, en même temps, de faire auprès de S. M. l'office que désirait V. A., et me dit qu'il procurerait un agréable passe-temps à S. M. en lui exhibant ces peintures et ces vases, le soir même; ce qu'il fit en effet. Le lendemain, il les montra à la Reine et aux dames, puis successivement à plusieurs gentilshommes du palais, qui tous en furent ravis; don Rodrigue vint me confier que le Roi lui dit qu'il y avait, parmi les peintures, des pièces tellement rares qu'elles méritaient d'être laissées en fidéicommis aux fils du Duc; enfin, le comte d'Arcos, majordome de la Reine, qui fait profession d'une grande intelligence de l'art, me les a extrêmement louées. La circonstance de la mort de Mme la duchesse de Lerme a rendu ces peintures plus précieuses qu'elles ne l'auraient été peut-être auparavant, parce que le duc de Lerme, du vivant de sa femme, aimait beaucoup les réjouissances et la vie galante et par conséquent aussi les représentations de sujets qui s'y rattachent. Maintenant, depuis le décès de sa femme, il a ôté des murs de son palais toutes les peintures et tous les objets profanes, et a ordonné de les remplacer par celles qu'il vient de recevoir: Son Eminence ne respire plus que dévotion, religion et abandon de tout plaisir mondain.

Au Flamand, qui s'est trouvé présent à tout, à la donation du carrosse, comme à celle des peintures, le Duc a adressé des paroles pleines de courtoisie puis il m'a demandé, à moi, si V. A. l'avait envoyé pour rester au service de S. M., ce dont il aurait été enchanté. Pour ne pas perdre ce serviteur, je répondis que V. A. l'avait envoyé uniquement pour accompagner les peintures et pour en rendre compte, ne sachant d'autre moyen d'avoir une attestation du plaisir éprouvé par S. M. et par Son Excellence, j'ajoutai que pour tout le temps à rester là, il était au service de S. E. en tout ce qu'Elle [177] désirerait. Il m'a semblé, en effet, que S. E. inclinait à lui faire la commande de quelque tableau.

Tout ce qui est arrivé avec les chevaux, pour leur service et celui des cochers, a été consigné au chef des équipages de S. M., mais on n'a pas encore résolu de retenir les Polonais que j'ai offert de laisser là, si Mgr le Duc désirait qu'ils y restassent en service. Je n'ai, jusqu'à présent, fait aucune autre démarche au sujet de ces hommes, que je renverrai aussitôt après la décision, afin qu'ils ne soient plus à notre charge. Je baise humblement les mains de V. A. et me recommande avec respect à sa haute faveur.

De Valladolid, le 18 juillet 1603.De V. A. S.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


XXXIX
ANNIBALE IBERTI A CHIEPPIO.

Il Fiamingo attenderà hora alle pitture che S. A. ha ordinato et le darò la maggior fretta che potrò per rimandarlo quanto prima, come anco farò de' questi huomini subito che mi risolveranno se vogliono ritener o no i Pollacchi.


Original à l'Archivio Gonzaga. Inédit. Fragment d'une missive du 18 juillet 1603.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI A CHIEPPIO.

Le Flamand va s'appliquer maintenant aux peintures qui lui sont commandées par S. A. et je le presserai le plus possible, afin de vous le renvoyer au plus tôt. Je ferai de même à l'égard des hommes arrivés avec lui, dès que l'on se sera résolu ici à retenir ou à congédier les Polonais.


[178] XL
PIETRO PAULO RUBENS AL DUCA DI MANTOVA.

Serenismo Sigre

Benchè la diligença del Iberti rende soverchio il mio scrivere, non posso mancar d'accompagnar il suo bastante adviso con tre parole, non tanto per supplir a qualque cosa quanto per rallegrarmi de la bona riuscita, potendo testimoniar veramente in questo come parte del negocio, et o presente o partecipe dambeduoi le donationi, del caroccino vidi, de le pitture e vasi, feci. In quella mi piacquero gli indicij che dava il Re in gesti, cenni, sorrisi, exteriormente considerati. In questo del Ducca ancora le parole et doppo longa admiratione judiciosamente applicata al buono, molta contentezza, non punto simulata, in quanto fu penetrabile al ingenio mio, ma causata de la qualità e quantità del presente. Si che spero (se però li doni graditi premianno il donatore) che V. Alteza Serma haverà conseguito il suo fine, concorrendo quasi fra sese le circunstantie come tempo e loco et altre che sole dar il caso e favorirci, oltra il buonissimo judicio del Iberti esperto ad usar accortamente termini convenienti a questa Corte, a la cui sufficienza et accuratezza rimetto il restante de l'historia, tanto più che mi parono mal proportionate con l'Altezza Vostra le basse qualità mie a corrispondere in altro ch'in servirla nel mio grado devotamente.

Di Valledolid l'ao1603 a di 17 de Julio.Di Vosa Altezza Serma
Humilismo serre,

Pietro Paulo Ruebens.


L'adresse porte: Al Serenissmo Principe mio et Padrone colendissmo il Sigr Ducca di Mantova, in Mantova. Cachet sur nieulle, octogonal, plus petit que les précédents.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. Publié en traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, p. 443. - Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 22.


[179] TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS AU DUC DE MANTOUE.

Altesse Sérénissime,

Bien que la diligence de M. Iberti rende ma lettre superflue, je ne puis manquer de joindre trois mots à son rapport très suffisant, non pas tant pour suppléer quelque chose, que pour me réjouir du succès obtenu. Je puis en témoigner en toute vérité comme partie dans l'affaire; ayant été présent ou participant aux deux remises des cadeaux: la présentation du carrosse, je l'ai vue; celle des peintures et des vases, je l'ai faite.

Dans la première, j'ai remarqué avec plaisir les marques d'approbation que le Roi donnait par gestes, par signes ou sourires; dans l'autre, chez le Duc, j'ai entendu celui-ci, après une longue admiration, judicieusement appliquée à ce qui était bon, prononcer des paroles empreintes d'une satisfaction dépouillée de toute feinte, pour autant que mon esprit l'a pu pénétrer, et causée uniquement par la qualité et la quantité des objets offerts.

Si les dons agréés doivent récompenser le donateur, j'espère donc que V. A. aura atteint son but, d'autant mieux que les circonstances y ont pour ainsi dire concouru, telles que le temps, le lieu et d'autres dont le sort a coutume de vous favoriser. J'y ajoute l'excellent jugement de M. Iberti: c'est un homme qui sait se servir avec beaucoup d'adresse des expressions qu'il convient d'employer à cette Cour. Je m'en remets, pour le reste de l'histoire, à son talent et à son exactitude, d'autant plus que mes humbles qualités ne sont pas, ce me semble, dignes de s'adresser à V. A. S. autrement que pour se mettre à son service avec tout le dévouement que je lui dois.

De Valladolid, le 17 juillet 1603.De Votre Altesse sérénissime
Le très humble serviteur,

Pierr-Paul Rubens.


[180] XLI
PIETRO PAULO RUBENS A CHIEPPIO.

Illmo Sigr mio Colmo

Non ho scritto perchè scrisse il Sigr Iberti che solo supplisce ad ogni mia strascuratagine propriamente fundata sopra la sua sufficienza, oltra che naturalezza mi ritienne (salve le necessità) d'affettare cose più convenienti ad altri, non pigra ma modesta. Pur hora non posse più ritenermi spinto d'alegrezza a licentiarmi del negocio perfettamente compijto. Il modo reservo per la sincera relacione del Sigr Iberti de la quale V. Sigria intenderà tutto il successo minutamente con più suo gusto, si che soverchio sarebbe dir o far sentir lei duoi volte l'istesso, si non fusse che egli istesso mi cita per testimonio come presente al fatto, presente dico de vista a la donatione del carroccino, ma partecipe in quella de le pitture, l'una e l'altra mi piacque come ben guidata dal judiciosissimo Sigr Hannibale. Vero è, che poteva conservarsi il suo carico intero et insieme darmi loco appresso Sù Maestà di fargli una muta riverença, offerendosi la occasione commoda in loco publico aperto ad accessione d'ognuno. Non voglio interpretarlo male (che niente importa) ma stupisco d'una si momentanea metamorphosi, havendomi ja communicata più volte la lettera del Sigr Ducca in la quale commandava espressamente (1) (singolar gratia de Sua Altezza Serma) la mia introdutione dal Re. Dico questo non ch'io mi lamenti, come puntuale o ambitioso di un poco di fumo, ne mi doglio de la privatione di quello, ma narro sinceramente il vero successo, sapendo certo ch'el Sigr Iberti haverà mutato resolutione in quel instante a meglior fine, si però non li levò la memoria ben che fresca l'attione presente. Egli non mi dette ragion alcuna o scusa del sconcertato ordine ia meza hora prima conchiuso fra noi, ne manca iò cagione a lui alcuna di darmila. (2) Non gli ha detto parola alcuna di questa.

[181] Dal Ducca intrai et fui parte de l'ambasciata, che mostrò gran contento de la bontà i numero de le pitture che certo acquistorono qualque autorità et apparenza d'antiquità (mediante il buon ritocco) del istesso patimento e danno, di tal maniera che furono accettate per originali (la maggior parte) senza alcun sospetto in contra, o instanza nostra a farle credere tali. Le viderò et ammirorono parimente il Re e Regina, molti cavaglieri et alcuni pittori. Libero di questo intrico attenderò a far gli ritratti commandatimi di Su Altezza, et non suspenderò l'opera si non interpellato di qualque capriccio del Re o Ducca di Lerma, che ja al Sigr Iberti ha proposto un non so che, io obedirò a la somma discretione di quello che so certo che non mi cemmandarà cosa alcuna a prejudicio di Padroni, in virtù de quali mi sottometto ad ogni suo arbitrio. Da poi sperando chel Sigr Ducca starà fermo in quel proposito m'inviarò a la volta de Franza. V. Sigria Illusma mi faccia favore d'advisare il Sigr Iberti o me di questo con qualque suo particolar ricordo, o qui o là, o per tutto in tutto che sarà buono per servirla. Di Valledolid l'ao1603, a di 17 di Julio.

Di V. Sigia Illma
Devotissimo serre

Pietro Paulo Ruebens.


L'adresse porte: Al Illusmo Sigr mio et Padrone Colendmo il Secretario Chieppio appresso Su Altezza Serema in Mantova. Petit cachet sur nieulle.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. Analyse du préambule et traduction du corps de la lettre par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts, XX, 444. Texte publié par M. Rosenberg, Rübensbriefe, p. 23.


TRADUCTION.
RUBENS A CHIEPPIO.

Je ne vous ai pas écrit parceque M. Iberti l'a fait: seul il supplée à toute négligence de ma part; celle-ci n'existe, à vrai dire, que parce qu'il suffit [182] à tout. De ma nature, en outre, je ne suis point paresseux, mais réservé et, hors les cas de nécessité, je me retiens d'empiéter sur ce qui convient mieux à d'autres. Cependant aujourd'hui, poussé par la joie, je ne puis m'empêcher de prendre congé d'une mission parfaitement accomplie. J'en réserve le détail pour la relation sincère que fera M. Iberti: de lui vous entendrez avec plus de plaisir le récit minutieux de l'évènement. Il serait donc superflu de vous faire entendre deux fois la même chose, si ce n'était qu'il me cite comme témoin, présent à la cérémonie. En effet, je fus présent des yeux à la remise du carrosse, mais je fus participant à celle des peintures. L'une et l'autre m'ont satisfait, quant à la manière dont elles ont été dirigées par le très judicieux M. Annibal. Il est vrai qu'il pouvait se réserver l'entière exécution de sa charge, et me permettre en même temps de faire à Sa Majesté une révérence, fût-elle muette; l'occasion s'en présentait favorablement car nous étions dans un endroit public, dont l'accès était permis à tout le monde.

Je ne veux pas l'interpréter à mal, la chose n'en vaut pas la peine, mais je m'étonne d'une aussi brusque métamorphose. A plusieurs reprises, en effet, il m'avait communiqué la lettre de Monseigneur le Duc, dans laquelle il lui était recommandé expressément de m'introduire auprès du Roi. C'était une faveur toute spéciale que me faisait S. A. S.

Je vous dis cela non pour me plaindre, comme si j'étais un homme pointilleux ou ambitieux de quelque fumée; je ne me chagrine pas non plus d'avoir été privé de cette faveur. Je raconte sincèrement les faits tels qu'ils se sont passés, avec cette persuasion que si le Seigneur Iberti a changé de résolution en ce moment-là, c'était pour une meilleure fin, si toutefois la mémoire ne lui a pas manqué, bien qu'elle dût être fraîche pendant l'action même. Il ne m'a, en effet, donné aucune raison, ni présenté aucune excuse d'avoir renversé les dispositions concertées entre nous, une demie heure auparavant; l'occasion de m'en parler ne lui a pas manqué, mais il ne m'en a pas dit un mot.

Je suis entré chez le Duc et j'ai fait partie de la députation: le Duc s'est montré grandement satisfait de l'excellence et de la quantité des peintures: celles-ci, grâces aux bonnes retouches, ont acquis quelque autorité et une apparence d'antiquité, du fait même des dommages qu'elles avaient soufferts, de sorte qu'elles ont été, pour la plupart, acceptées pour originales, sans aucun soupçon d'un côté, sans aucune instance du nôtre pour faire croire qu'elles l'étaient.

[183] Le Roi, la Reine, beaucoup de gentilshommes, quelques peintres les ont également vues et admirées.

Délivré de cette besogne, je m'appliquerai à faire les portraits qui m'ont été commandés par son Altesse, et je n'interromperai pas le travail à moins d'en être requis par quelque caprice du Roi ou du duc de Lerme: celui-ci a même déjà fait à M. Iberti je ne sais quelle proposition. J'obéirai à ce que me commandera la haute discrétion de celui qui, j'en suis certain, ne me fera commettre rien qui ne soit digne de nos maîtres; c'est en leur nom que je me soumets à tout ce qu'il décidera. Ensuite, espérant que Mgr. le Duc persistera dans ce projet, je m'acheminerai vers la France.

Faites moi la faveur, je vous prie, d'en instruire M. Iberti ou moi, par quelqu'avis particulier adressé par vous-même, soit ici, soit là, soit partout et en tout ce qui peut être utile pour votre service. .

De Valladolid, le 17 juillet 1603.Votre affectionné serviteur,

Pierre-Paul Rubens


COMMENTAIRE.

Tous ces documents se rapportent au grand événement qui devait cloturer la mission officielle de Rubens: celle de remettre à leurs destinataires, sous la direction du résident accrédité, les cadeaux si péniblement voiturés d'Italie en Espagne. C'est le 13 juillet que cette remise eut lieu: immédiatement après l'audience, Iberti s'empresse d'en transmettre la nouvelle par le courrier prêt à partir: les rapports détaillés suivront quelques jours après. Ceux de Rubens sont datés du 17, ceux d'Iberti, du 18: dans l'ordre strict, ceux du peintre devraient être rangés avant ceux du résident; mais il est évident que l'un de ceux d'Iberti a été communiqué à Rubens. Ayant été repris et complété, il a reçu une date postérieure d'un jour à la rédaction de son principal contenu.

On peut se demander de nouveau quelles ont été les occupations de Rubens pendant son stationnement forcé de Valladolid en attendant l'arrivée de la cour: la restauration des tableaux détériorés et la peinture d'Héraclite et Démocrite devaient être terminées depuis assez longtemps. Nous l'avons vu, la correspondance n'en dit rien: d'autres témoignages nous apprennent qu'en ce moment on exécutait de grands travaux au palais dans lequel la cour s'était transportée en 1601. Ce palais était une vaste maison, place [184] St. Pablo, que le Roi avait acquise du duc de Lerme et qu'il faisait agrandir et embellir à grands frais. La cour d'honneur y était entourée de galeries ornées de bustes des empereurs romains, par le Berruguete, et l'intérieur se remplissait d'objets d'art de tout genre. Rubens doit avoir assisté à ces importants travaux.

Il est probable aussi que, malgré le peu d'intimité qu'il semble avoir eu avec l'Iberti, il a pu suivre ou tout au moins entrevoir les intrigues de la petite politique de Mantoue, comme les grandes péripéties de la politique d'Espagne, à laquelle son propre pays était fortement intéressé.

Il n'était pas sans recevoir des nouvelles de Belgique: il devait être au courant des événements de guerre qui s'y passaient, et surtout du siège d'Ostende, dont l'Europe entière s'occupait; il voyait peut-être de près les lenteurs, l'insouciance, les malversations même du gouvernement dans ses rapports avec le jeune état que l'Espagne avait émancipé, mais dont elle était toujours le suzerain.

Ce n'est pas tout à fait pour se livrer à la villégiature que le Roi fait une si longue absence et retarde l'entrevue. Un événement considérable vient d'avoir lieu: la grande ennemie de l'Espagne, Élisabeth d'Angleterre, est morte le 24 mars. La nouvelle surprend Philippe III hors de Valladolid et l'oblige à prendre des mesures immédiates. La politique va subir un changement complet: le nouveau Roi, Jacques Ir, ne peut avoir contre l'Espagne les mêmes griefs que ses prédécesseurs.

Immédiatement après le décès d'Élisabeth, l'archiduchesse Isabelle avait envoyé en Angleterre, pour féliciter le Roi et porter des propositions de paix, le Prince comte Charles d'Arenberg, amiral de la mer, chevalier de la Toison. Jacques Ir les écouta favorablement, mais il mit pour condition que l'on traiterait en même temps de la paix avec l'Espagne. Isabelle s'empressa d'envoyer le comte de Sora auprès de Philippe III et de l'engager à saisir cette heureuse occasion. Le Roi fit partir don Juan de Tassis pour aller se concerter d'abord avec les Archiducs et se rendre ensuite à Londres. Il lui donna 15000 écus pour ses frais de voyage et la promesse du titre de Comte de Villamediana. Tassis arrive à Londres en juin. Jacques Ir accueille ses propositions de paix et, comme pour exprimer plus fortement son désir et aiguillonner la lenteur accoutumée de la cour espagnole, il signe, le 30 juillet 1603, un traité de confédération avec Henri IV, principalement pour la défense des Provinces-Unies des Pays-Bas contre l'Espagne. C'était obliger celle-ci à accepter enfin le fait accompli de la séparation entre les provinces du Nord [185] et celles du Sud. Aussi, dès le mois d'août, les négociations se poursuivirent à Londres, mais le traité définitif ne fut signé qu'au mois d'août 1604 (1).

L'on agitait donc les graves questions qui se rapportent à ce traité, lorsque Rubens se trouvait à Valladolid. Il dut nécessairement en entendre parler. Nous ne voyons pas qu'il y aurait joué le moindre rôle, mais c'est un fait remarquable, en tout cas, que Rubens y ait été presque le témoin d'un acte politique dont il viendra un jour, renouveler, là même, comme agent principal, les dispositions heureuses que la guerre avait encore une fois rompues. Il est certain que sa présence à la cour d'Espagne, les relations qu'il y établit, les observations que son intelligence dut y faire, ont influé plus tard sur sa vocation à la diplomatie. En voyant de près Philippe III et le duc de Lerme, il apprenait à traiter avec Philippe IV et Olivarès.

Il y a peu de chose à dire du rapport d'Iberti au Duc, il est suffisamment explicite: nous y ferons remarquer cependant le ton personnel, une affectation visible de faire jouer à Rubens un rôle de simple comparse et la façon obséquieuse dont Iberti parle du portrait de Vincent de Gonzague, par Pourbus, portrait, dont le résident, par amour pour son maître, consent à faire le sacrifice en l'offrant au duc de Lerme. C'est la communication de ce rapport au peintre qui a, sans aucun doute, dicté à celui-ci les deux lettres au Duc et à Chieppio.

Iberti joint à ce rapport une lettre traitant des autres matières d'état dont il a le devoir de s'occuper. Quoiqu'elle n'ait pas de relation directe avec la mission de Rubens, nous en donnons le texte pour que l'on puisse se faire une idée de la petite diplomatie occulte qui se pratiquait entre Mantoue et les ministres d'Espagne.

Nous avons parlé déjà de l'Héraclite et du Démocrite, ainsi que des 24 Impériales. Iberti mentionne en outre la Création et les Planètes. Ce sont des copies des célèbres mosaïques, exécutées sur les dessins de Raphaël, que l'on voit à la chapelle Chigi, à l'Église de la Madonna del Popolo à Rome. Elles en ornent la voûte et, dans leur ensemble, représentent la création des astres. Au centre, dans un cercle, le Créateur; autour de lui, dans leurs compartiments respectifs, le Soleil ou Apollon, la Lune ou Diane, Saturne, Jupiter, Mercure, Mars, Vénus et les Constellations. Toutes ces pièces, copiées par Facchetti, existent encore, sauf le Créateur et Jupiter, au musée de Madrid.

[186] Ces peintures, d'après des mosaïques, ne furent pas acceptées pour originales, dit Iberti, au rebours de la plupart des autres. Nous ne savons comment comprendre cette étrange réflexion ainsi que cette remarque absolument naïve, que de leur côté, lui et Rubens, n'avaient fait aucune distinction entre ce qui était original et ce qui ne l'était pas.

Dans le fragment de lettre d'Iberti à Chieppio, on peut noter ce passage où il dit qu'il pressera le plus possible le travail à exécuter par Rubens, afin de renvoyer celui-ci au plus tôt à Mantoue. On n'y voit point briller la bienveillance. Évidemment le peintre n'est pas en sympathie auprès de Monsieur le Résident et celui-ci ne cache pas son désir de se débarrasser de son collègue d'occasion.

Les deux missives de Rubens commandent une vive attention. M. Baschet fait remarquer, avec raison, le passage de la lettre au Duc: “la présentation du carrosse, je l'ai vue, celle des peintures et des vases, je l'ai faite.„ Il faut y voir une plainte, très finement exprimée, de la conduite d'Iberti qui cherchait à se donner tout le mérite dans l'affaire et à mettre à un plan très inférieur le jeune envoyé de Mantoue.

Si la lettre au Duc est un modèle pour la manière spirituelle, avec laquelle Rubens s'acquitte de l'obligation qui sans doute lui a été imposée de fournir un rapport de son côté et s'en réfère au rapport d'Iberti, non sans donner à l'éloge qu'il en fait une tournure quelque peu ironique, la lettre à Chieppio est, encore une fois, l'expression vive et franche d'une dignité blessée, mais trop fière pour se plaindre. Chaque parole est à peser dans ce factum diplomatique évidemment écrit dans la persuasion qu'il passerait sous les yeux du maître. Et il y passa, en effet, car la lettre est encore aujourd'hui dans les archives des Gonzague.

Mais que penser de ce passage où Rubens raconte, après Iberti et presque dans les mêmes termes, cet étonnant détail de la réception de la plupart des copies pour des oeuvres originales? Est-il possible d'admettre que le peintre parle ici sérieusement? Se serait-il prêté à une pitoyable comédie? Et pour qu'elle pût réussir, quelle idée doit on se former des connaissances artistiques ou simplement du dilettantisme des destinataires et des assistants parmi lesquels il se trouvait des peintres? Nous ne pouvons l'expliquer qu'en supposant que l'idée extravagante a été conçue par Iberti et que Rubens, à qui cela devait être très indifférent, a laissé faire sans dire un mot.

Un autre passage plus important est celui où il est question d'un projet de mission du peintre en France. On en verra le résultat plus loin.


[187] XLII
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Sermo Prencipe mio Sre e Pane collmo

Feci l'ufficio di condoglianza con S. M. per la morte dell'Imperatrice e della Sra Infante con quel maggior affetto che potei, mostrando V. A. partecipe di tutti i sensi della M. S. e dei successi di questa corona, come se fossero proprii, a che rispose con termini uguali di grado e di volontà nelle cose che toccano a V. A. più che ordinarij, il che attribuisco a gratitudine del dono fatto. Nella medesima forma rispose la M. della Reina con straordinarie offerte e con gradir molto la scusa che feci io stesso in buon proposito di non haver saputo V. A. imaginarsi che poterle mandare, volendo come da Sua Sigra particolarte aspettarne special comandamento di quel che sarà più di suo gusto, il che disse che sarebbe molto confidentemte nell'occasione conoscendo benissime la volontà di V. A.; e dimandandomi poi della buona salute di lei e di Madma Serma mia Sra (a che sodisfeci), et s'havea partorito più dopo la sua partita, le risposi che già S. A. haveva finito quest'ufficio et lasciatolo a S. M. acciô consolasse il mondo tutto et l'A. VVe in particolare con un Prencipe maschio, come di continuo se ne facevano costì preghiere a Dio; di che facendo la M. S. un sorriso con augurarne l'effetto finì l'audienza.

Dopo l'ufficio di condoglianza parlai al Re con molta essaggeratione dell' incessante desiderio che da tant' anni in più ha V. A. di servire à S. M. in cariche di guerra, et come per mezo del SrDucca di Lerma, haveva fatto offerir la sua Sma persona diverse volte et ultimamente per il carico del mare, ripigliando tutte le convenienze del servizio suo che si son rappresentate in iscritto senza ometterne nessuna con rimettermi ai memoriali dati al Sr Ducca, supplicai la M. S. a farsene far relatione, e mi parve dal grato udito che mi prestò e dalle parole benigne che disse in gradir questa volontà di V. A. che facesse qualche [188] impressione l'ufficio, ma si risolse in che lo farebbe considerar tutto come è il fine di tutte le risposte di S. M. in materia dei negoci.

Al Sr Duca, dopo il medesmo ufficio di condoglianza per la morte della moglie e dopo la pratica delle pitture, astrinsi quanto potei con ragione del servitio reale et con l'obligo di tante promesse fatte alla risolucione di quel carico, mostrando quanto preme a V. A. la suspencione perdendo gl'anni et il tempo senza seguire a S. M. et altre occasioni a che l'invitavano altri Principi maggiori, finalmente con dirli espressamente in quanto obligo porrebbe V. A. la favorita risolutione di questo carico per mostrarsenerle grato non con debolezza, ma con cosa proportionata alla grandezza di S. E. et alla qualità del favore. Disse con molta asseveranza che più d'una volta si era trattato di questo negotio con desiderio di servir a V. A. poichè insieme si serve al Re con l'impiego di tale Prencipe oltre l'acquisto che fa S. E. in far cosa grata a V. A., ma che son tante le cause che concorrono sopra il provedere o no questo carico per servicio del Re, che non lasciano proceder con la brevità che si desidera, se ben per la sua parte non lasciara di continuar i medesmi raccordi per servir a S. A., ne più oltre potei tirar S. E. se ben l'andasi stringendo per haver qualche cosa più certa almeno di buona conclusione per lei quando S. M. si risolva alla provisione, e finì con rimettermi al Sr Don Pietro Francheza a cui dissi che mandarebbe una nuova memoria che diede a S. E. acciò lo raccordasse a suo tempo. Andai per ciò da lui con questa remissione e con occasione di prevenirlo per il suo presente et pigliar l'hora per mandarglielo, passai un altro ragionamento seco del quale dirò a V. A. la sostanza. Circa il presente egli ricusò di accettarlo non per venire dall' A. V. Prencipe cosi grande et confidente a questa corona, ma disse per una rissolutione che gli han fatta fare gl'emuli suoi di non voler pigliar cosa alcuna senza licenza di S. M. o del Sr Duca et che precedendo questa egli accettarebbe il favore con restarne perpetuamente obligato a V. A. Questa ho chiesto con un mio biglietto al Sr Duca ma ancora non ho risposta, et io credo che sotto questa licenza che sa non potersi [189] negare in cose di V. A. voglia guadagnar credito con altri doni o levar l'opinione passata. In progresso del ragionamento procurando io di persuaderlo ad accettar questo regalo senza altro, perchè non era cosa di interesse ma segno di amore et di stima, gli dissi che nei negotii grandi di V. A. come quello del mare altre dimostrationi maggiori farebbe, come altre volte gli haveva accennato in generale, et D. Francesco più espressamente, ma hora che s'offriva l'occasione, non voleva lasciar di dirli più chiaro la volontà di V. A. che era di gratificarlo seguendo dta provisione con 30m scudi, o più, come egli si volesse dichiarar meco, et che di questo io ne havrei dato sicurezza per via di mercanti confidenti o in altra maniera segreta che meglio giudicasse, potendosi senza scrupolo ricever da un Prencipe grande in segno di gratitudine et di riconoscimento di fatiche con l'essempio d'altri. A queste parole egli non si gettò ma disse che in sua mano non stava assolutamente questa provisione per dipendere dal Sr Duca, se bene il raccordarla et aiutarla havrebbe potuto farlo et prometteva di farlo come per il passato, ma soridendo aggionse che non pensassi già che fosse molto cinquanta ne 60m scudi in cosa di tanto rilievo et che potrebbe apportar tanto di comodo a V. A. onde parendomi posta a che egli mirava per uscir di questa pratica poichè con S. E. non si può venir à tali individue, lasciai scorrere che non si reparasse in questo che a sua dispositione lasciai, starebbe questa somma se voleva abbraciar da dovero il negotio, il che egli ne ricusò ne accettò espressamente, ma si di servir a V. A. quanto potesse senza mirar l'interesse ma solo il servitio che resulta al Re dall'acquisto di V. A. con carico, sin a questo son arrivato a faccia a faccia per liberarmi da sospensione, Dn Francesco tanto oltre era passato come sempre m'ha detto in che mi son confermato con questo riscontro. Dio voglia che faccia effetto, che non seguendo presto io pretenderò il disinganno nella forma che V. A. m'ha ordinato più tosto che star in queste speranze delle quali non ha dubbio che si vedrebbono gli effetti se il Sr Duca non lo ritenesse l'affetto del sangue verso il conte di Niebli suo genero. Bacio humte le mani di V. A. [190] et nella sua felma gratia riverente mi racdo. Di Vagliadolid, alli 18 di Luglio 1603.

Di V. A. Sma
Hummo e Dimo serre

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga. — Inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince Sérénissime,

J'ai fait auprès de Sa Majesté le devoir de condoléance pour la mort de l'Impératrice et de la Sérme Infante; je l'ai fait dans les termes les plus affectueux qu'il m'a été possible, en montrant combien V. A. participe aux sentiments de S. M. et prend part aux succès de l'Espagne comme si c'était aux siens propres. Le Roi m'a répondu en termes gracieux et pour exprimer sa bonne volonté dans les affaires qui touchent à V. A. il s'est servi de paroles qui étaient plus qu'ordinaires: ce que j'attribue à sa reconnaissance pour le don qu'il a reçu. Sa Majesté la Reine m'a fait une réponse semblable, avec les offres les plus vives et en accueillant de la manière la plus gracieuse l'excuse que je lui présentai de moi-même, dans une bonne intention, de ce que V. A. n'avait pu s'imaginer ce qu'Elle pouvait lui envoyer, ajoutant que V. A. aurait voulu attendre à ce sujet un commandement spécial de S. M., comme de sa souveraine, afin de lui offrir ce qui eût été le plus de son goût. La Reine me dit que, connaissant parfaitement la bonne volonté de S. A., elle agirait ainsi dans l'occasion en toute confiance. Puis elle s'informa de la santé de V. A. et de Madame Sérénissime; en quoi je la satisfis; elle me demanda, si depuis son départ, Madame avait eu des enfants. A quoi je répondis que S. A. en avait fini avec ce grand devoir et laissait désormais à S. M. le soin de consoler le monde et Vos Altesses en particulier, par la naissance d'un Prince; que l'on adressait ici, à cet effet, des prières constantes au ciel. La Reine me fit un sourire en acceptant mon augure et l'audience se termina.

[191] Après l'office de condoléance, je parlai au Roi, en termes très exagérés, du désir incessant qui, depuis tant d'années, poursuit V. A.: celui de servir Sa Majesté dans les charges de guerre; je lui représentai que, par l'intermédiaire du duc de Lerme, V. A. avait offert, à diverses reprises, sa sérénissime personne, et dernièrement encore, pour le commandement de mer; je repris tous les arguments en faveur du service de V. A., tels qu'ils ont été présentés par écrit; je n'en ai pas omis un seul en m'appuyant sur les mémoires remis au duc de Lerme. Je suppliai S. M. de s'en faire rendre compte et, à en juger par sa bienveillance à m'écouter et par les bonnes paroles qu'il m'a dites au sujet du désir de V. A., il me semble que mon discours a fait quelque impression. Mais en somme, je présente tout cela comme la conclusion accoutumée des réponses de S. M. en matière d'affaires.

Après avoir accompli chez le duc de Lerme le même office de condoléance au sujet de la mort de sa femme, et fait la remise des peintures, je pressai S. Exc. autant qu'il me fut possible en invoquant les raisons du service du Roi et l'exécution de tant de promesses faites à propos de cette dignité; je lui exprimai la peine que ce retard causait à V. A., les années que l'on avait perdues, le temps qui se passait à négliger les occasions au détriment de Sa Majesté et malgré les instances d'autres grands princes. Je lui dis enfin en termes exprès, que la concession tant désirée de cette charge mettrait V. A. dans l'obligation de se montrer reconnaissante, non point par une gratitude vulgaire, mais d'une manière proportionnée à la grandeur de Son Excellence et à la haute importance de la faveur. Il me répondit avec beaucoup d'assurance que, plus d'une fois, on avait traité de cette affaire avec l'intention d'être favorable à V. A., que d'un côté en concédant la charge à un tel Prince, le Roi l'attachait à son service, et que d'un autre, lui-même en retirerait l'avantage d'avoir fait une chose agréable à V. A. Mais si nombreux sont les intérêts qui concourent à la provision de cette charge pour le service du Roi, dit-il, que l'on ne peut y procéder aussi vite qu'on le voudrait. De son côté toutefois, il ne cessera de continuer à s'en occuper pour être utile à V. A.

Je n'ai rien pu tirer de plus de S. Exc., malgré mes instances pour obtenir quelque réponse plus affirmative, tout au moins en ce qui regarde ses intentions, pour le cas où le Roi se résoudrait à pourvoir à la charge. Il finit par me renvoyer à don Pedro Franqueza pour lui dire de communiquer à S. Exc. un nouveau mémoire qu'elle avait reçu de lui, afin de se rappeler l'affaire en son temps.

En conséquence, je me rendis chez lui avec cette commission, et saisissant [192] l'occasion, je lui dis qu'il allait recevoir un cadeau et que je venais prendre l'heure pour le lui envoyer; puis, je passai à un autre sujet d'entretien dont j'envoie la substance à V. A. En ce qui concerne le cadeau, il refuse de l'accepter, non pas parce qu'il vient d'un si grand prince et aussi ami de cette cour que l'est V. A. mais parce que, à cause de ses adversaires, il a pris la résolution de ne plus rien recevoir sans la permission de S. M. ou du Duc: mais que s'il l'obtenait, il accepterait la faveur que lui offre V. A. et resterait éternellement obligé envers Elle. J'ai demandé cette permission pour lui par un billet au Duc, qui ne m'a pas encore répondu. Quand Franqueza l'aura reçue (et il sait qu'on ne peut la lui refuser dès qu'il s'agit de V. A.), il a l'espoir, je crois d'avoir gagné du crédit pour d'autres dons ou d'avoir étouffé l'opinion qu'on a de lui.

Pendant le cours de notre conversation, je m'efforçai de lui persuader d'accepter cet unique cadeau, qui ne constitue pas un objet d'importance mais un simple témoignage d'affection et d'estime; j'ajoutai que dans les grandes affaires, parmi lesquelles il y a celle de “la mer„ V. A. ferait de plus grandes démonstrations, ainsi que je le lui avais déjà dit, en général, et plus expressément pour lui, don Francesco. Et aujourd'hui, comme l'occasion s'en présente, je ne veux pas laisser de lui dire plus nettement que l'intention de V. A. est de le gratifier, après la concession de la charge, de trente mille écus ou plus, comme il voudra me le déclarer à moi; que je lui en aurais donné toutes sûretés, soit par lettre sur des marchands de confiance, soit de toute autre manière secrète, à son gré. Je l'assurai qu'il pouvait sans scrupule recevoir d'un grand Prince, et à l'exemple d'autres personnes, un témoignage de satisfaction et de reconnaissance pour les peines qu'il s'était données. Ces paroles ne le firent pas éclater, mais il me répondit qu'il n'était pas absolument en son pouvoir de conférer cette charge, que la chose dépendait du Duc; qu'il avait bien pu, lui, rappeler l'affaire au Duc et même l'appuyer, ce qu'il promet de faire comme par le passé, mais, il ajoutait en souriant que je ne devais pas croire dès à présent que 50 ou 60000 écus fussent une forte somme dans une affaire si relevée et si pleine d'avantages pour V. A. Il me parut, après cela, que c'était le moment opportun qu'il attendait pour sortir de ce biais, parce que l'on ne peut entrer dans de pareils détails avec S. Exc., et je lui insinuai de ne pas s'opposer à ce que l'on tienne cette somme à sa disposition s'il voulait sérieusement embrasser l'affaire. Il ne refusa ni n'accepta cette offre d'une manière expresse, tout en disant qu'il voulait servir S. A. de tout son pouvoir sans regarder à son intérêt; en considérant uniquement le bon service [193] que tirerait le Roi de l'arrivée de V. A. à cette charge. Voilà jusqu'où je suis arrivé directement pour me délivrer de mes doutes. Don Francesco, ainsi qu'il me l'a toujours dit, s'était trop avancé; ce que notre entrevue me semble confirmer. Dieu veuille que celle-ci produise de l'effet; car si l'effet ne suit pas bientôt, je prétexterai de m'être trompé, dans la forme que V. A. me l'a ordonné, plutôt que de nous arrêter à des espérances qui, sans doute, se réaliseraient si le Duc n'était pas retenu par l'affection du sang en la personne de son gendre, le comte de Niebla. Je baise humblement les mains à V. A. et me recommande à ses bonnes grâces. .

De Valladolid, le 18 juillet 1603.De V. A. Sme.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti


XLIII
ANNIBALE IBERTI A CHIEPPIO.

Appresso a quello che scrivo a S. A. mi resta dire che la Sra Contessa de Lemos è amalata, onde bisognarà differir il presente sin che stia bene. Ho fatto quanto ho potuto per il Sr Marchese di Carrara nella congiuntura di questi presenti. Promesse al solito ho havuto per il tempo che si mandaranno gli altri Tosoni in Italia se ben non ho cosa certa in mano, piaccia a Dio che ne seguano gli effetti.

Di Vagliadolid, alli 18 di Luglio 1603. Di V. S. Mto Illre
Ossmo serre,

Annibale Iberti.


Adresse: Al molto Illr Sre e P. mio Ossmo il Sr Annibale Chieppio, Consre di S. A. Sma.

Mantova.


Original à l'Archivio Gunzaga. — Inédit.


[194] TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI A CHIEPPIO.

Après ce que j'écris à S. A., il me reste à dire que Mme la comtesse de Lemos est malade: il faudra donc différer la remise du cadeau jusqu'à ce qu'elle soit rétablie. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour M. le marquis de Carrare dans l'affaire de ces cadeaux. J'ai reçu, comme de coutume, des promesses quant à l'époque où l'on enverra les autres Toisons en Italie. Bien que je ne tienne en mains rien de certain, plaise à Dieu que les effets suivent...

De Valladolid, le 18 juillet 1603.Votre très obligé serviteur,

Annibal Iberti.


COMMENTAIRE.

Au rapport d'Iberti sur la remise des présents était joint un autre, avons-nous dit, de la même date, concernant les grandes et importantes affaires que le résident de Mantoue traitait en cour d'Espagne. Ce deuxième rapport ne se rattache que très indirectement à Rubens, mais il y avait de l'intérêt à le mettre au jour: il n'a pas, comme l'autre, été communiqué au peintre, car on y agite de hauts secrets diplomatiques. Il est presque entièrement écrit en chiffres traduits par le secrétaire qui en possédait la clef, mais traduits quelquefois peu soigneusement, de sorte que plus d'une phrase est restée obscure. L'histoire n'y perdra guères.

Les compliments de condoléance que présente Iberti au commencement de sa missive concernent l'impératrice Marie, fille de Charles Quint, veuve de Maximilien II, morte à Madrid, le 24 février, et la petite infante née le 1 janvier, qui ne vécut que 29 jours. Quant au souhait dont il fait part à la Reine relativement à la naissance d'un prince, on sait qu'il ne se réalisa que vingt mois après: le 8 avril 1605 naquit l'infant Philippe qui fut depuis le roi Philippe IV.

A travers la brume qui règne dans ce factum apocalyptique on croit voir que M. de Mantoue, entr'autres choses poursuivies par lui en Espagne, avait glissé sa candidature au poste de grand amiral de la mer. Ce poste, en effet, était à peu près vacant. On sait qu'après l'insuccès de l'amiral [195] génois Jean André Doria dans sa tentative contre Alger, en 1601, cet amiral était tombé en disgrâce et que le Roi et le duc de Lerme voulaient le remplacer. On n'en avait encore rien fait en ce moment.

Dans la lettre d'Iberti, du 24 juin, il avait été question déjà de cette affaire. Iberti disait alors que la candidature de Pedro de Tolède, marquis de Villafranca, à ce poste était en baisse et que le titulaire en serait probablement le comte de Niebla, gendre du duc de Lerme. On voit ici, par les circonlocutions embarrassées d'Iberti, que Vincent de Gonzague n'avait guères de chance, malgré les superbes pots de vin qu'il offrait aux ministres espagnols.


XLIV
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

...I cavalli del carrozzino sono favoriti da S. M. sempre ch'esce et a ricreationi private et a feste publiche, come segui l'altro dì alla caccia dei Tori, ch'entrò con essi spettante tutto il popolo che celebrò la bellezza et leggiadria dei cavalli et la grandezza del donatore. Il SrDuca di Lerma fece veder le pitture al Carduccio fiorentino pittor antico in corte. Anticipassimo noi il mostrargliele, acciò corrispondesse il suo giudicio al gusto che ne mostrò S. E. Ha fatto accennarmi di volersi servir del fiamengo in un quadro di suo capriccio, il che mi pare che non si potrà negare, et credo mi sarà approvato da V. A.

Non ho ancora fatto il presente alla Sra Contessa de Lemos per la sua indispositione della quale sta omai bene, et nel particolare della licenza che si chiede per quel di Francheza non ho ancor risposta per essere stato parimente indisposto don Rodrigo Calderone, il che ha sospeso i negoci che corrono per sua mano...

Di Vagliadolid all' ulto di Luglio 1603.Di V. A. Sma
Humo et Dmo serre

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga. Inédit.


[196] TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince sérénissime,

...Les chevaux du carrosse sont les favoris de S. M. à chacune de ses sorties, soit pour quelque divertissement privé, soit pour des fêtes publiques, comme on l'a vu l'autre jour à la chasse des taureaux, où il est entré avec eux, à la vue de tout le peuple, qui applaudissait à la beauté et à la grâce des chevaux et célébrait la haute générosité du donateur. Mgr. le duc de Lerme a fait voir les peintures au peintre florentin Carducci, qui est ici depuis fort longtemps à la Cour. Nous les lui avions déjà montrées d'avance, afin que son jugement correspondît à la satisfaction que le Duc en avait témoignée.

Le Duc m'a fait savoir qu'il voudrait se servir du Flamand pour un tableau dont il a l'idée: il me semble que l'on ne peut le lui refuser: j'espère qu'en cela je serai approuvé de V. A.

Je n'ai pas encore remis à la comtesse de Lemos, à cause de son indisposition, le cadeau qui lui est destiné; maintenant elle est rétablie. Et quant à la permission particulière qui est demandée pour remettre le présent à Franqueza, je n'ai pas encore de réponse pour un motif semblable: une indisposition de don Rodrigo Calderon, lequel a suspendu toutes les affaires qui passent par ses mains...

De Valladolid, le 31 Juillet 1603.De V. A. Sme.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


COMMENTAIRE.

On a vu, dans une lettre précédente, l'opinion défavorable exprimée par Rubens à l'égard des peintres espagnols. Comprenait-il parmi eux le florentin Carducci, auquel Iberti, — et lui aussi, sans doute, — soumettait les tableaux destinés au duc de Lerme? La démarche, en cas d'affirmative, serait assez étrange. Il est vrai que le peintre était bien en cour et, pour Iberti tout au moins, c'était un personnage à ménager.

[197] Bartolomé Carducho ou Carducci était né à Florence en 1560: il avait appris la sculpture et l'architecture auprès de Bartolomé Ammanati, puis la peinture chez Federigo Zuccaro, avec lequel il travailla pour Grégoire XIII et Sixte-Quint, ainsi qu'à la coupole de Florence. En 1585, son maître l'avait amené en Espagne, pour être aidé par lui dans ses travaux à l'Escurial. Il ne quitta plus ce pays, malgré les offres superbes que lui fit Henri IV pour l'avoir en France. Philippe III l'estimait autant que l'avait fait Philippe II et l'attacha à la cour. En 1601, il suivit la cour à Valladolid et revint avec elle à Madrid, en 1606. A Valladolid, il exécuta à fresque les quatre évangélistes dans une chapelle de l'église de St. André et, sur la façade, la Sépulture du Christ, SS. Pierre, Paul, André et Jacques; aux Franciscains, il peignit une Annonciation, le miracle des plaies de St. François et un St. Jérome; à l'église de St. Augustin, le Baptême du Christ.

Rubens, pendant ses trois mois de séjour à Valladolid, a donc assisté à l'exécution de quelqu'une de ces oeuvres et doit avoir été en relation avec cet artiste et avec son frère, Vincent Carducci, également venu d'Italie, en 1585, et attaché à la cour. Il exécuta, comme son frère, de nombreux tableaux pour des églises de Valladolid.

Ces deux artistes, mais surtout Bartolomé, l'aîné, n'étaient pas sans mérite et ils ont rendu de vrais services à l'art en Espagne. Céan Bermudez, Conca, Palomino, tous les historiens de l'art dans la péninsule ibérique en font de grands éloges. Vincent a eu l'honneur — comme Rubens — d'avoir une de ces oeuvres célébrée par Lope de Vega.

Bartolomé s'apprêtait à peindre, au palais du Pardo, à Madrid, une épopée de Charles-Quint, quant il vint à mourir dans ce palais, en 1608. Son frère Vincent vécut jusqu'en 1638 et il n'est pas impossible que Rubens l'ait revu quand il revint en Espagne comme négociateur de la paix en Europe.


[198] XLV
ANNIBALE IBERTI A CHIEPPIO.

Molto Illmo Sr mio Sre Ossmo

...Il Fiamengo ha dato principio a far i ritratti che S. A. ha ordinato, et e apostato per qualche servitio del SrDuca de Lerma, ma non finisce S. E. di risolversi. Meno nel ritener i carrozri e pur non me lascia libero il rimandarli, ma di questo mi risolverò io dopo haver aspettato qualche più giorni. In tanto vanno questi giovani a visitar S. Giacopo di Gallicia, attione che sarà approvata di S. A. poichè quì stanno languendo nel aspettare, et omai privi di sperar mercede. Cosi va il tempo. Non resti io privo di risposta circa le spese che vo facendo che a quest'hora vanno a centinaia, et il medesmo circa il particolare dei vestiti fatti al Fiamengo che ascendono a più di 150 scudi prestatili sopra il credito che dice havere con S. A... Bacio a V. S. le mani, e mi rallegro seco del salvo arrivo alla patria.

Di Vagliadolid, all'ulto di Luglio 1603.Di V. S. Mto Ill.
Hummo Sre

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Texte inédit. — Les trois premières lignes publiées en français par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 447.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI A CHIEPPIO.

...Le Flamand a commencé les portraits que V. A. lui a commandés de faire, et il est dans l'attente de quelque travail pour le duc de Lerme, [199] mais S. E. ne finit pas par prendre une résolution. Il en est de même en ce qui concerne les cochers: il ne les retient pas et ne me laisse pas libre de les renvoyer: mais je me résoudrai à le faire, après avoir attendu quelques jours encore. Entretemps, ces jeunes gens vont visiter St. Jacques de Gallice, ce qui sera approuvé par S. A., car ils restent ici à languir dans l'attente et n'ont plus à espérer de récompense. Et ainsi le temps passe. Veuillez ne point me laisser sans réponse au sujet de mes avances qui vont en ce moment à des centaines d'écus; je vous adresse la même prière pour ce qui concerne en particulier les vêtements faits pour le Flamand; le montant en dépasse 150 écus, qui lui ont été avancés sur le crédit qu'il a, dit-il, obtenu de S. A.

De Valladolid, le 31 juillet.Votre très humble serviteur,

Annibal Iberti.


COMMENTAIRE.

Malgré nos recherches et celles de M. Baschet, nous n'avons pu découvrir, dans les archives de Mantoue, quelques renseignements sur les portraits peints par Rubens et qui pourraient être ceux dont il est question dans cette lettre; ils n'existent point au musée de Madrid et ne se retrouvent point dans les inventaires de Mantoue. On n'a, du reste, que d'insuffisants détails sur cette fameuse galerie de beautés formée au palais des Gonzague par Vincent Ier. Elle contenait, sans doute, plus d'une figure dont les enfants du Duc ne tenaient pas à conserver le souvenir, et plus d'une aussi que les changements de la politique devaient rendre moins agréable à voir. Il est donc assez probable que cette collection a subi des retranchements; peut-être même s'est-elle dispersée petit à petit. En tout cas, lors de la prise de Mantoue par les troupes de l'Empire, commandées par le général Colalto, en 1630, le palais fut pillé et la plupart de ses trésors artistiques furent transportés à Prague et ailleurs.

Ces sortes de cabinets de beautés féminines étaient dans les goûts du temps; plus d'un prince ou de millionnaire en faisait l'objectif de son goût artistique et nous voyons, dans les documents recueillis par M. Baschet sur François Pourbus et sur Rubens, que l'on trouvait chez certains peintres des portraits tout prêts à être livrés aux collectionneurs.

Dans cette lettre d'Iberti, comme dans toutes celles de ce personnage, [200] nous pouvons lire entre les lignes, les froissements d'amour-propre que Rubens eut à subir de sa part, et dont il se plaint, d'ailleurs, à Chieppio. La manière dont Iberti réclame les avances qu'il a faites pour les “vêtements„ de Rubens, ne témoigne pas en faveur de ses bons sentiments à l'égard de ce dernier. Ses réclamations, cependant, nous apportent une preuve nouvelle du désordre qui régnait dans les finances ducales et de la légitimité des plaintes de Rubens.


XLVI
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Sermo Prencipe mio Sre Pne Colmo

Io haveva già anticipato l'ufficio col SrDuca di Lerma e con Don Pietro Francheza che V. A. m'ordina con la sua benigma lettera delli 12 de Luglio, et in diverse occasioni reiterato l'obligo nel quale l'han posto le molte cortesie del Vicerè, secondo che i continui rapporti et altre lettere dell' A. V. me n'han dato occasione. Hor apostatamente replicarò il medesmo ufficio, con far saper il ritorno di V. A. a Mantova, et la cortese comodità che ha goduto delle galere con la dovuta attione di gratie alla M. S., et l'istesso farò al Sr Don Pietro di Toledo per l'amorevole servitio havuto dalla sua casa, con quel di più che V. A. m'ordina. Scrivo in lettera a parte quanto passa nel negocio del Sr Donato Antonio di Lofredo. Io havrò particolarissima cura di servirlo a suo tempo, acciò la magnanimità e gratitudine di V. A. possa haver l'effetto che con pari benignità et lode del suo grande animo procura a quel cavaliere.

Per l'aviso c'hebbe S. M. del prossimo arrivo dei Prencipi di Savoia se n'andò, tre dì sono, a caccia alla Ventosiglia loco del Sr Duca di Lerma, facendoli sapere che l'andassero a trovare da Roa, ove già erano, a mezzo il camino della Ventosiglia, e quivi incontrata la M. S. le fecero riverenza, posto il ginocchio a terra e chiedendole [201] la mano per bacciarla, ma S. M. con benignissima faccia li fece levare e posti tutti tre in cocchio insieme col Sr Duca di Lerma andarono a far notte al detto loco della Ventosiglia, di dove verranno quà domenica a 17 privatamente, senza farseli ricevimento pubblico, se ben i suoi credono altrimenti. La forma del trattamento fu al solito di V. A. come m'han affermato cavalieri spagnuoli della camera che si trovarono presenti, se ben alcuni Piemontesi dicono che nei primi complimenti li trattò S. M. d'Altezza, il che però non e vero anche per relatione d'altri del paese.

Di Vagliadolid, alli 14 di Agosto 1603.Di V. A. Sma
Hummo e divmo Sre

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga. — Inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince Sérénissime,

J'avais entamé déjà avec le duc de Lerme et don Pedro Franqueza la négociation pour laquelle V. A. m'a donné des ordres par sa lettre du 12 juillet, et en diverses occasions, chaque fois que celles-ci m'étaient fournies par les rapports et les lettres de V. A., je leur ai rappelé l'obligation contractée par Elle, à la suite des nombreux actes de courtoisie du Vice-Roi. Maintenant j'irai tout exprès remplir le même devoir pour leur apprendre le retour de V. A. à Mantoue et l'obligeant avantage des galères dont V. A. a pu jouir; j'y ajouterai les actions de grâces dues de ce chef à Sa Majesté. Je ferai de même auprès de don Pedro de Tolède pour le service affectueux que sa maison a rendu à V. A., dont je suivrai les ordres pour le surplus.

J'écris dans une missive spéciale tout ce qui s'est passé dans l'affaire de Donato Antonio di Lofredo. J'aurai un soin particulier de m'occuper de lui au temps marqué, afin que la magnanimité et la reconnaissance de V. A. [202] obtiennent l'effet que sa bonté et sa grande âme cherchent à procurer à ce chevalier.

En suite de l'avis que S. M. a reçu de l'arrivée prochaine des princes de Savoie, Elle est allée, il y a trois jours, à la chasse à Ventosilla, une terre du duc de Lerme, et a invité ces Princes à venir La trouver, de Roa où il sont déjà, jusqu'à mi-chemin de Ventosilla. En rencontrant S. M. ils ont fait leur révérence et, posant un genou en terre, lui ont demandé la main à baiser. Mais S. M., du visage la plus aimable, leur dit de se lever, et s'étant mis tous trois dans sa voiture avec le duc de Lerme, ils allèrent passer la nuit à Ventosilla. Ils reviendront de là, sans cérémonie, dimanche 17; l'on ne fera pas de réception publique, quoique ceux de leur suite croient le contraire. On les a traités selon l'étiquette usitée par V. A., à ce que m'ont affirmé les gentilshommes espagnols de la chambre qui étaient présents. Quelques piémontais disent cependant que, dans les premiers compliments, S. M. leur a donné le titre d'Altesses, ce qui n'est pas vrai d'après la relation d'autres personnes du pays.

De Valladolid, le 14 août 1603.De V. A. Sme.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


XLVII
JUSTUS LIPSIUSSERAPHINO OLIVARIO SACRI PALATII AUDITORI ET PATRIARCHAE ALEXANDRINO. ROMAM.

Litteras ad te mitto, vellem animum in iis possem: sic tuum ut cujusquam ex interioribus, et toto asse amicis. Quae caussa pigneravit? tua virtus et prudentia, in illo orbis theatro nota et praedicata: et proprie affectus in me tuus, diu me celatus, et qui ad Vestalis favillae instar in secreto pectoris tui, o quam mentior! urbis illius volui dicere, latuit: sed et sic mentior, ad me venit sermo, et facta tua aperuerunt, et didici non certiorem aut fidiorem amicum in magna Roma mihi esse. Unde merui, vir aequi et boni scientissime! non merui: tua [203] virtus et bonitas est, quae bene mihi fecit, et dixit: ipsa sibi caussa, ut Deo in genus humanum amor et benignitas est. Sed de judiciis factisque tuis (ita loquendum est) primus mihi bonum nomen Macarius indicium fecit: et postea Puteanus meus, qui te vidisse gloriatur et audisse. Obsecro, et Phil. Rubenium meum cum Guil. Richardoto et Jo. Baronio noris, sed primum illum ingenio et doctrina laudabilem inter paucos. Probitatem et modestiam addo, sine quibus hili non fecerim aut pili illa. Ecce pauca et prima verba; pauca, quia ut in angusto exitu aqua impetu veniens intercluditur: sic os aut stilus meus sistuntur ab affectu, qui impetu et calore erumpit. Agnosce, quaeso: et agnoscentem jam amare persevera, saltem illo amoris tui fructu. Lovanii, XIV Kal. Septembr. 1603.


Justi Lipsii Epist. Cent. V miscell. Epist. XXXIII.


TRADUCTION.
JUSTE LIPSE A SÉRAPHIN OLIVIER A ROME.

Dans cette lettre je voudrais pouvoir mettre mon coeur: car il est à vous comme celui de l'un de vos amis intimes et dévoués. Quelle est la cause de mon attachement? Votre mérite, votre sagesse reconnus et vantés dans Rome, ce théâtre du monde; et surtout votre affection pour moi, affection qui m'a été longtemps cachée; et qui, semblable à la flamme de Vesta, brûlait en vous secrètement; mais, je dis un mensonge, car c'était le secret de toute la ville. Non, je ne mens point; le bruit en est venu jusqu'à moi, vos actes l'ont révélé: j'ai appris que je n'ai pas dans la vaste Rome un ami plus sincère, plus dévoué que vous. Comment ai-je mérité cette faveur de l'homme qui a la connaissance la plus parfaite de ce qui est bon et juste? Je n'ai rien mérité: c'est votre vertu, votre bonté qui me veulent du bien et le proclament: elles agissent par elles-mêmes comme l'amour et la clémence divine le font pour le genre humain.

Votre opinion et vos actes à mon égard, je puis parler ainsi, ont été découverts d'abord par celui qui porte le beau nom de l'Heureux, et après lui, par mon ami Puteanus qui se glorifie de vous avoir vu et entendu. Je vous prie maintenant de vouloir bien faire la connaissance de mon cher [204] Philippe Rubens qui accompagne Guillaume Richardot et Jean de Baron: le premier d'entr'eux a peu de rivaux pour l'intelligence et le savoir. J'y ajoute la probité et la modestie, sans lesquelles les autres qualités ne sont rien à mes yeux.

Pour une première fois, je vous écris peu de chose: de même que l'eau arrivant avec violence à une étroite issue, se comprime, de même ma voix ou ma plume s'arrêtent quand le sentiment éclate avec un excès d'ardeur. Reconnaissez mon affection, je vous prie, continuez la votre à celui qui s'en réclame; et, du moins, donnez lui de votre amitié la marque qu'il vous demande. Louvain, 19 août 1603.


COMMENTAIRE.

Philippe Rubens achève son tour d'Italie: il est à Rome. Aux nombreuses recommandations que devait emporter le fils du président Richardot, le frère du résident des archiducs qui venait seulement de quitter Rome, vient s'ajouter cette recommandation si chaleureuse de Juste Lipse. Quel peut en avoir été le motif? Il nous semble qu'en ce moment déjà, Philippe Rubens devait caresser l'idée de se créer une position dans la cité pontificale. Nous verrons plus loin d'autres traces de cette intention; et ce sera encore au même personnage qu'on s'adressera. Séraphin Olivier était le fils — et selon de Thou — le fils naturel du chancelier de France, François Olivier, un des hommes les plus remarquables et les plus dignes de cette époque. Sa mère était une italienne. Il naquit à Lyon, vers 1530, fit ses premières études à Tours, son droit à Bologne où il devint professeur. Appelé à Rome par Paul V, avec le titre d'auditeur de Rote, il resta quarante ans en fonctions et s'acquit une grande réputation de savoir. Après sa mort, on publia un recueil, composé par lui, de la jurisprudence de ce tribunal ecclésiastique, recueil qui devint classique. En 1600, il avait été nommé à l'évêché de Rennes, mais il n'occupa point ce siége et le céda en 1602 à François Lachiver. Le 26 août de la même année, le pape lui donna le titre de Patriarche d'Alexandrie.

Très devoué aux intérêts de la France, il avait beaucoup contribué a faire admettre la conversion de Henri IV; celui-ci, en récompense, demanda pour son protégé le chapeau de cardinal, mais on passa trois promotions avant de le lui donner, par suite des intrigues espagnoles. On l'accusait, bien à tort, à ce qu'il paraît, de mener une vie peu régulière. Mais le pape [205] Clément VIII prit hautement sa défense et lui donna le chapeau, le 9 juillet 1604. Le cardinal Séraphin, comme on le nommait communément, mourut à Rome en 1609.

C'était un homme très entendu en droit canon; on le qualifiait en cette science, d'oracle de la France et de l'Italie; il cultivait les lettres et même la musique et s'entourait volontiers de savants et d'artistes.

Le Macarius, dont il question dans la lettre, est Jean L'Heureux, de Gravelines, qui passa vingt années, dans Rome, à étudier les antiquités de la grande ville et dont l'ouvrage intitulé Hagioglypta, resté manuscrit jusqu'en 1856 et publié par les soins du P. Garrucci, peut être considéré comme le premier travail exécuté sur l'art dans l'église primitive. L'Heureux, après être rentré en Belgique, devint chanoine d'Aire et mourut en cette ville, le 25 août 1604. Nous ne connaissons pas les lettres écrites par lui ou par Puteanus, dont il est ici question, mais une lettre adressée à Juste Lipse, dix ans auparavant, par le jésuite poète François Benci, nous apprend l'estime que Séraphin Olivier professait pour le maître de Louvain. “J'ai fait voir dernièrement, dit-il, une de vos lettres à un homme éminent, des plus érudits et qui vous aime extrêmement, à Séraphin Olivier, le premier des douze auditeurs de Rote. Celui-ci en fit lecture au souverain Pontife à qui elle plut à tel point qu'il demanda qu'on la lui laissât.„ (Lettre du 13 août 1593) (1).


XLVIII
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Sermo Prencipe mio Sre e Pane Colmo

Hoggi a 23 ho havuto finalmente licenza di visitare la Sra Contessa di Lemos, alla quale dopo haver date le lettere di V. A. et esposto il molto desiderio ch'ella ha d'haver occasione di servirla, dissi che per caparra di questo, havea voluto con la persona mandata co' i presenti a S. M. et al Sr Duca, suo fratello, servir anche S. E. [206] con alcuni cristalli per uso del suo oratorio, assicurandosi che in essi si conoscerà e riceverà più l'animo di V. A. che la cosa in se stessa debole e di poco relievo, se non per l'uso tanto pio et per la memoria del desiderio che V. A. ha d'impiegarsi in cose di maggior suo servitio. A che rispose S. E. con una longa attione di gratie, con termini d'un obligo infinito quanto è minor il merito, per il poco che ha servito a V. A., il che procurarebbe fare honorandola l'A. V. dei suoi comandamenti. Et havendo visto il presente et lodatolo nel maggior grado che si possa, presi occasione di parlar a S. E. nel particolar del... (1) ...e delle convenienze e ragioni proposte, supplicandola a voler abbraciar questo negocio e cavarne la rissolutione, che se tiene tanto tempo fu sospesa; con parole generali per obligar perpetuamente V. A. alla sua casa et a una dimostratione d'effetti grandi verso il Sr Duca, suo fratello, et verso lei, dei quali le offeriva per pegno et caparra la prima lettera de V. A. che ho differito presentar sin hora per le cause scritte.

Vagliadolid, alli 23 d'Agosto 1603.Di V. A. Sma
Hummo et divotmo serre

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga. — Inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince sérénissime,

Aujourd'hui 23, j'ai obtenu enfin de faire visite à la comtesse de Lemos. Après lui avoir remis les lettres de V. A. et exposé le vif désir qu'Elle a [207] de trouver l'occasion de lui rendre service, je lui dis que pour en donner un gage, V. A. avait chargé la personne envoyée avec les présents destinés au Duc, son frère, et à S. M., d'apporter aussi à S. E. quelques objets en cristal pour son oratoire. Je l'assurai qu'elle reconnaîtrait et accepterait la bonne intention de V. A. bien plus que l'objet lui-même, qui est fragile, de peu d'importance et n'a de valeur que par sa destination pieuse et comme témoignage du désir de V. A. de s'employer à son service en des choses plus considérables. Son Excellence me répondit par un long remerciement, en se disant infiniment obligée pour son faible mérite et pour le peu de services qu'elle a rendus à V. A.; mais qu'elle s'efforcerait d'en rendre dès que V. A. l'honorerait de ses ordres. Après qu'elle eut examiné le cadeau et qu'elle l'eut loué autant qu'elle pouvait le faire, j'ai saisi l'occasion de lui parler en particulier du (en chiffres non traduits: commandement de la mer?), des raisons de convenance et d'autres qui ont été exposées, et je l'ai suppliée de prendre à coeur cette affaire, d'en poursuivre une solution suspendue depuis si longtemps: j'ajoutai, en paroles générales, que V. A. s'obligerait éternellement envers sa maison et le démontrerait par d'importants effets envers le Duc, son frère, et envers elle, et je lui en offris le gage en lui donnant la première lettre de V. A., lettre dont j'avais jusqu'à présent différé la remise pour les causes que j'ai écrites.

De Valladolid, le 23 août 1603.De V. A. Sme.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


COMMENTAIRE.

Les deux dernières missives d'Iberti ne nous apprennent pas grand'chose de Rubens “la personne envoyée avec les présents„ comme il en parle dans la lettre du 23 août, mais elles nous tiennent au courant des faits et gestes de la cour d'Espagne et des graves négociations poursuivies par le résident. Les archives des Gonzague en contiennent un grand nombre d'autres, sur le même sujet, émanées du zélé et obséquieux diplomate; comme elles s'éloignent trop des faits qui se rattachent à la mission de Rubens, nous ne les publions point. Nous négligeons de même de donner des détails sur le voyage de Vincent de Gonzague à Naples, dont il est question dans la première lettre.

M. Baschet, avec sa précision habituelle, résume ainsi quelques uns de ces événements accessoires dont Rubens a été plus ou moins le témoin: [208] “Les princes de Savoie venaient d'arriver en Espagne. L'accueil qui leur serait fait à la cour, le cérémonial dont il serait usé à leur égard, et les titres que leur donnerait le roi dans la conversation, puis le bruit d'un mariage entre don Diego Gomez de Sandoval, second fils du duc de Lerme, avec la fille du duc de l'Infantado, c'était là le sujet de tous les discours. A la date du 31 juillet, don Enrico de Guzman était aller visiter les princes à Sarragosse et les avait amenés le 10 à la Ventosilla, où peu de temps après, un mois et demi environ, Rubens avait eu cet honneur d'être appelé pour y faire un grand portrait. Mais il avait dû voir auparavant les princes faire une entrée à Valladolid, le 17 août, et connaître un étrange usage adopté par l'Espagne, à savoir celui de tenir chapelle publique au palais, le 24 août, à cette fin de rendre grand honneur à ce Saint Barthélémy, dont le jour de fête, l'an 1572, en France, avait été si particulièrement célébré par le roi très-chrétien à l'encontre de ses sujets de la religion réformée.... Le mariage de don Diego de Sandoval eut lieu dans les premiers jours de septemhre; le 12, celui de l'adelantado de Castille avec la comtesse de Cifuentes.„

On remarquera, par la lettre du 23 août, le soin qu'a pris Iberti de faire, seul, la remise des cristaux à la duchesse de Lemos: il a cependant parlé à celle-ci de Rubens, mais probablement comme d'un simple commissionnaire. Il était impossible, il est vrai, que le peintre assistât à une entrevue qui ressemble assez à une tentative d'embauchage.


XLIX
ANNIBALE IBERTI A CHIEPPIO.

Molto Illre Sre mio Sre Ossmo

Non posso estendermi in risponder alla lettera di V. A. delli 14 del passato, instando la partita del corriero, dirò solo, che arrivò hieri il Sr Bonatti cosi gentile e di natura cosi buona, che nei primi congressi gli restai affetionato et insieme obligato a servirlo, ma tanto più quando ho saputo la dipendenza che ha da V. A., con la quale [209] corro ancor io ad honorar tutti quei che sono della medesma dipendenza a me commune. Invero che dai primi tocchi mi pare che farà un' ottima riuscita in questa corte, essendo spiritoso e docile a tutto. Io, per mia parte, aiutarò dove potrò cosi buona dispositione et per il servitio di S. A. et per la riputatione de' suoi ministri, et per il particolar comendamento di V. S. Cercarò i libri che S. A. mi ordina et li portarò meco, et al Fiamengo rivedrò i conti, i quali credo mi darà giustamente, parendomi huomo di bene. Per il suo bisogno et per miei crediti, farò una rimessa a Genova et anco per servitio del Sr Bonatti, e a tutto V. S. sarà servita far dar compita sodisfatione. Non credei mai quella calunnia contro il Sr Giacomo dell' Armi, et servirò S. Sia in quel che comanda baciando in tanto a lei le mani, desideroso omai di vedermi costà per servir più d'appresso V. S. come devo.

Di Vagliadolid, alli 15 di Settembre 1603. Di V. S. Mto Illre
Ossmo serre

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga. — Inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI A CHIEPPIO.

Je ne puis répondre longuement à votre lettre du 14 août, le courrier étant sur son départ, je vous dirai seulement que M. Bonatti est arrivé hier: il est d'une telle politesse et d'un naturel si bon que, dès notre première entrevue, je l'ai pris en affection et veux m'obliger à lui rendre service. J'y suis plus disposé encore, depuis que je sais de quelle protection vous l'entourez; ce qui me porte à honorer tous ceux qui en jouissent comme j'en jouis moi-même. Je crois vraiment que, dès les premiers contacts, il réussira parfaitement en cette cour; il a de l'esprit et de la souplesse en toute chose. Pour ma part, je l'aiderai de tout mon pouvoir dans ses bonnes dispositions, [210] tant pour le bon service de S. A. que pour la réputation de ses ministres, et surtout pour me conformer à vos ordres. Je chercherai les livres commandés par S. A. et les apporterai avec moi. J'examinerai les comptes du Flamand; je crois qu'il me les donnera sincères, car il me paraît homme de bien. Pour ses besoins et pour mes crédits, je ferai une remise sur Gênes, j'agirai de même pour le service de M. Bonatti: je vous prie d'ordonner qu'il y soit donné entière satisfaction. Je n'ai jamais cru à la calomnie lancée contre M. Jacques dell'Armi. Me disant prêt à obéir à vos ordres, je vous baise les mains et je voudrais me voir déjà là-bas pour être auprès de vous, à votre service, comme je le dois.

De Valladolid, le 15 septembre 1603.Votre respectueux serviteur,

Annibal Iberti.


L
PIETRO-PAULO RUBENS A CHIEPPIO.

Illmo Sigre

Ho ricevuto per mano del Sigr Bonati una lettera di V. Sig. Illma con la quale m'assicura S. A. alquanto satisfatta di mei servitij, che parte attribuisco a la favorevol protettione di V. Sig. Illma, parte a la candidezza del Sigr Iberti, cognoscendo in me stesso merito nessuno ne manco colpa tanto nel spendere in viaggio quanto in ogni altra cagione occorsa sin hoggi, non temendo punto alcun sospetto di dapocagine o rapina, opponendo a questa qualque esperiença, a quella pura innocença, dico questo non ignorante di quello che si dice, che scusa non richiesta sia mera accusa, però non molto male a proposito di quello che V. Sig. Illuma sà. Del ritorno mi vendico nulla si non quel tanto che mi concederà l'arbitrio del Sigr Iberti, la cui prudenza sin hora ha disposto di me et le mie mani a gusto (1) e [211] requisitione del Ducca di Lerma, et honore di Su Altezza, con sperança di far cognoscere a Spagna in un ritratto grande a cavallo chel Sigr Ducca non è manco ben servito di Sù Maestà. Altretanto farò in Francia si però viene confermato quel pensiero del Sigr et Madma Serma, ja ordinato a la mia partita, ma dapoi in tutte le lettere preterito con silentio. V. S. Illma mi favorisci di qualque nuovo ordine, al quale obedirò subito spoliato ja d'ogni mio particolar affetto et interesso, ma trasubstantiato in quello di Padroni. E con questa aspettativa del favor di V. Sig. Illma mi raccommando nella sua bona gracia baciando humilmente la mano. In Valledolid l'ano1603 a di 15 Settembre.

Di Vos. Sigia Illusma
Affettiomo serre

Pietro-Paulo Ruebens.


L'adresse porte: Al Illusmo Sigr mio et Patron Colendmo il Secretario Chieppio in Corte di Su Altezza Serenissma in Mantoa. Cachet ovale sur nieulle.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Traduction de deux passages, par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, p. 448 et 450. — Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 24.


TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

J'ai reçu des mains de M. Bonatti votre lettre par laquelle vous me certifiez que S. A. est quelque peu satisfaite de mes services; je l'attribue en partie à la faveur de votre protection, en partie à l'équité de M. Iberti, ne reconnaissant en moi aucun mérite, moins encore une faute commise, soit en dépenses pendant le voyage, soit en quelqu'autre occasion jusqu'à ce jour. Je ne crains, sous ce rapport, le moindre soupçon, soit de nonchalance, soit de déprédation: à l'une j'oppose l'expérience qu'on a pu avoir de moi, à l'autre, ma pure honnêteté. Je dis ceci n'ignorant pas le dicton: qui s'excuse s'accuse, cependant cela ne vient pas mal à propos de ce que vous savez. De mon retour je ne me fais aucune raison, sinon ce qui me sera concédé [212] par le bon plaisir de M. Iberti, dont la sagesse a, jusqu'à présent disposé de moi et de mon travail, pour satisfaire au goût et à la demande du duc de Lerme et pour l'honneur de Son Altesse, en me donnant l'espoir de faire connaître à l'Espagne, par un grand portrait équestre, que Mgr le Duc n'est pas moins bien servi que Sa Majesté. J'en ferai autant en France, si je vois se confirmer l'intention que m'avaient exprimée déjà nos Altesses sérénissimes lors de mon départ, mais qui depuis a été passée sous silence dans toutes leurs lettres.

Veuillez donc me faire la faveur de quelque commandement nouveau; j'y obéirai de suite, dépouillé que je suis déjà de tout désir personnel et de tout intérêt, car je me suis transsubstancié en celui de mes patrons. Dans cette expectative de votre faveur, je me recommande à vos bonnes grâces, et je vous baise les mains.

A Valladolid, le 15 septembre 1603.Votre affectionné serviteur,

Pierre-Paul Rubens.


COMMENTAIRE.

Ces deux lettres sont parties par le même courrier, adressées au même personnage et, pour qui les lit avec attention, elles ressemblent à deux plaidoyers personnels ou plutôt à une accusation et à une défense, émanant de deux adversaires et non pas de deux serviteurs associés dans une même mission. Il y a presque de la perfidie dans la manière dont Iberti parle des comptes du Flamand et l'on voit, que la lettre de Rubens a été écrite surtout pour répondre à des insinuations, peut-être à des reproches. Ces deux hommes n'étaient pas créés pour s'entendre. Le résident nous apparaît de plus en plus, comme un de ces officieux de cour, prêts à tout faire, que l'on emploie pour les négociations ambiguës et qui, fiers de leur importance momentanée, aiment à la faire sentir à des subordonnés en exagérant un zèle obséquieux auprès de leurs maîtres. Nous avons déjà vu ce que disait de lui le résident de Florence, Domitio Perone.

La lettre du peintre nous révèle un autre caractère: elle respire le calme d'une âme droite et sereine, qui sait s'élever au-dessus des insinuations mesquines, mais qui tient cependant à montrer qu'elle n'en veut pas être la victime. On ne peut qu'admirer la manière spirituelle dont Rubens parle de l'Iberti: les mots candidezza et prudenza sont de véritables trouvailles et leur acception vraie ne pouvait être entendue que par Chieppio et lui. Il faut en [213] dire autant du terme assez recherché trasubstantiato: il est tellement excessif dans la situation qu'on ne peut s'empêcher d'y voir, comme en beaucoup d'autres cas, une certaine pointe d'ironie.

Nous n'avons pas cherché à découvrir le motif de l'envoi d'un nouveau résident de Mantoue en Espagne: il semble, d'après le témoignage de Perone, rapporté plus haut, que l'Iberti aurait demandé la permission de revenir en Italie. Mais bien qu'il soit traité déjà de vieillard, il était encore sur si bon pied, que nous le verrons, quelques années après, accompagner son maître Vincent de Gonzague, dans un voyage aux Pays-Bas.

Pendant que l'Iberti installe son successeur et termine sa propre mission, Rubens va s'occuper du portrait équestre du duc de Lerme et se prépare l'appui de Chieppio, pour le cas où le Duc songerait encore à l'envoyer lui, Rubens, faire des portraits de belles femmes à la cour de France.


LI
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Sermo Prine mio Sre e Pne Colmo

Havendomi scritto il SrDuca di Lerma che mandi il Fiamengo a Ventosiglia, suo loco distante di quà quindeci leghe dove il Re tuttavia si trova, per finir un ritratto a cavallo ordinatoli da S. E. che a giudicio de tutti e riuscito bellmo, in quel che sin quì è fatto, mi son risoluto d'andar ancor io seco, poichè sarà poco più la spesa per stringer quanto potrò la rissolutione di quei carichi, parendomi servitio di V. A. far quest' ulto sforzo in questa mia partita et in occasione di cosa di suo gusto, se ben non di qualità che possa assicurar il successo...

Di Vagliadolid, alli 19 di Ottore 1603.Di V. A. Sma
Humo et dmo serre,

Annibale Iberti.


[214] L'adresse porte: Al Sermo Prin. mio Sre Pne Colmo il Sr Duca di Manta e Monfto.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Traduction partielle par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, 449. — Texte inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Prince Sérénissime,

Le duc de Lerme m'ayant écrit d'envoyer le Flamand à Ventosilla, domaine de S. E. à quinze lieues d'ici, où le Roi se trouve continuellement, afin d'y achever un portrait équestre que le Duc lui a commandé et qui, au jugement de tous, est supérieurement réussi dans ce qui est fait jusqu'à présent, je me suis décidé à y aller encore une fois moi-même avec lui, ce qui n'augmentera pas beaucoup la dépense, afin de presser autant que possible une décision relativement à ces charges. C'était, me semble-t-il, servir V. A. que de tenter ce dernier effort au moment de mon départ et pour une affaire de sa prédilection, bien qu'elle ne soit pas de telle qualité que l'on puisse en assurer le succès....

De Valladolid, le 19 octobre 1603.De V. A. S.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


COMMENTAIRE.

D'après les renseignements officiels tirés des archives de Mantoue par M. Baschet, le roi Philippe III a résidé au château du duc de Lerme jusqu'au 22 ou 23 octobre, puis s'est rendu à l'Escurial. C'est donc pendant le séjour du Roi que Rubens est allé à Ventosilla, avec Iberti, exécuter ce portrait équestre dont on ignore aujourd'hui la destinée. M. Villaamil (1) publie [215] l'extrait d'un inventaire, fait en 1621, des peintures, tables de jaspe, etc., qui se trouvent dans l'Alcazar, le Palais royal et les jardins de S. M. vulgairement nommés la Ribera, à Valladolid: un portrait du duc de Lerme à cheval; cadre de bois de pin, noir et or. Il est rappelé dans un inventaire de 1635, avec cette note: Ce portrait fut livré à Juan de Olalla, par ordre de Mme la duchesse de Lerme.


LII
JUSTUS LIPSIUSPHILIPPO RUBENIO SUO. ROMAM.

Nuper ego ad te, nec didici accepisse. Binas quidem a te interea habeo, sed nihil de meis, aut ad meas. Parum est, dum constet te non negligi: negligi autem? Quem ego in hoc animo circumgesto: et cum deponam, — [...]. De Schoppio pluscula scribis, grata auditu: et praesertim de intentione illa studii, et [...] a vino, et omni luxu: perseveret, et quo caepit, eat; favemus. Quando autem illa de Institutione? maturuisse debebant et comparere jam hi fructus. Quae a me quaerit, non proprie ad Stoïcos spectant, et nihil ibi, quod sciam, ab aliis diversum. Haec tamen quoque in Ethicis tractabimus. et Physica jam habent finem. Saluta a me virum corde. Tuum illum jam Regem inclinare ad reditum, et ad nos, video: impelle, meis votis nunquam nisi sero venietis. De rebus tuis coram, et sponde tibi consilium auxiliumque omne, quod vel proli, si habeam, donem. Ama me et veni.

Lovanii, III Nonas Novemb. 1603.

Burmannus, Sylloge, etc. II. 104. Ep. DCCC.


TRADUCTION.
JUSTE LIPSE A PHILIPPE RUBENS, A ROME.

Je vous ai écrit, je n'ai pas appris que vous ayez reçu ma lettre. Entretemps, j'ai reçu deux lettres de vous: vous ne me dites rien des miennes [216] et vous n'y répondez pas. C'est peu de chose, si vous êtes assuré que je ne vous néglige point. Vous négliger! vous que je porte partout avec moi dans mon coeur! Si jamais je vous oublie,

...l'abîme profond devant moi s'ouvrira.

Vous m'écrivez de Scioppius plusieurs choses qui m'ont été agréables à entendre; surtout de son application au travail, de son abstinence du vin et de tout luxe: qu'il persévère, il arrivera à ses fins, nous y applaudissons. Quand paraîtra son Institutio? Les fruits devraient mûrir et se présenter déjà. Ce que me demande Scioppius ne se rapporte point proprement aux Stoïciens, il n'y a rien là, que je sache, sur quoi il y ait divergence d'opinion. Cependant, je traiterai de cela dans la partie morale; quant à la partie physique, elle est terminée. Saluez l'homme de ma part et de tout coeur. Je vois que votre Roi incline déjà vers le retour auprès de nous; poussez-le: selon mes voeux vous arriverez toujours tardivement. Je vous parlerai de vos affaires à vous même, face à face, et vous donnerai les conseils et les secours que je donnerais à mon propre fils, si j'en avais. Aimez-moi et venez.

De Louvain, le 3 novembre 1603.

COMMENTAIRE.

Pendant que Pierre-Paul achève sa mission en Espagne, son frère Philippe se dispose à quitter l'Italie. Cette lettre de Juste Lipse le rappelle: le retour au pays était du reste dans les désirs de celui que la lettre qualifie de „votre Roi” expression qui ne peut s'appliquer qu'au jeune Richardot, dont Philippe était en quelque sorte le sujet.

Par cette réponse de Juste Lipse à des lettres que nous n'avons pas, on voit que Philippe Rubens a été mis en rapport avec Gaspar Scioppius, un personnage dont nous aurons l'occasion de parler longuement un peu plus loin et qui compte parmi les relations des deux frères. Les travaux auxquels Juste Lipse fait allusion sont ses deux ouvrages sur les stoïciens, dont le premier, Manuductio ad stoïcam philosophiam, traite du système philosophique proprement dit, et le second, Physiologiae stoïcorum libri tres, expose leur théorie du monde physique et des êtres. Scioppius travaillait sur le même sujet et dans sa correspondance avec le professeur de Louvain, il en est plus d'une fois question. Juste Lipse publia ses deux traités en 1604 et Scioppius ses [217] Elementa philosophiae stoïcae moralis, à Mayence, en 1606, après la mort de Juste Lipse.

Cet ouvrage doit être l'Institutio dont il est parlé dans cette lettre.


LIII
DOMITIO PERONE A BELISARIO VINTA.

Annibal Liberti, il vecchio agente di Mantova, si trova quì venti giorni in corte, non per negotii, ma per compagnia d'un giovane fiammingo pittore che fu mandato quà dal Duca a donar quella carrozza alla Regina, et intendo che questa giovane fu chiamato dal Duca per farsi ritrarre armato a cavallo, con l'occasione della commodità che ha havuto mentre è stato per questi luoghi di piacere.

Di Valladolid, al 13 di Novembre 1603.

Archives de Médicis à Florence. Lettere et inserti del Seco Domitio Perone, da di 4 di febb. 1601 a u° di 30 dec. 1603. — Inédit.


TRADUCTION.
DOMITIO PERONE A BÉLISAIRE VINTA.

Annibal Iberti, le vieux agent de Mantoue, se trouve ici, à la cour, depuis vingt jours, non pour des affaires, mais pour accompagner un jeune peintre flamand, envoyé par le Duc pour offrir un carrosse à la Reine. J'apprends que ce jeune homme a été appelé par le Duc pour faire de celui-ci un portrait en armure à cheval; le Duc a profité de l'occasion favorable que lui présentait son séjour dans ces lieux de plaisance.

De Valladolid, le 13 de novembre 1603.

COMMENTAIRE.

Nous n'apprenons, par cette missive de l'agent de Florence, rien que nous ne sachions déjà par Iberti et Rubens lui-même. Un seul petit détail [218] a peut-être quelque importance: le portrait du duc de Lerme représentait celui-ci à cheval et armé ou revêtu d'une armure, tenue singulière pour un homme qui, peu de temps après, se faisait cardinal. Mais ce détail semble confirmer l'attribution d'un dessin qui se trouve au Louvre.

Cette missive nous prouve encore que les agents de Florence avaient l'oeil sur les démarches de ceux de Mantoue. Nous avons donné précédemment l'opinion peu gracieuse du même Perone sur Iberti (lettre du 28 avril). Il faut croire même que les rapports entre les envoyés des deux cours étaient peu amicaux. Voici ce que l'on trouve dans une lettre de Côme Concino au secrétaire Vinta du 30 septembre: „Le nouveau secrétaire (Bonatti) arrivé de Mantoue, soit comme résident soit comme ambassadeur, s'est empressé d'avoir une livrée composée de quatre pages et de deux estafiers. Son maître l'a gratifié à cet effet de cent écus; il lui en donne cent autres de provision annuelle en outre des appointements ordinaires qu'il attribue à son Ministre, lequel a tenu équipage et une belle domesticité. Si ce n'était par respect pour le Grand Duc, je donnerais une leçon à ces Mantouans qui, dans leur manière de donner des titres ou de se servir de leur suite, montrent une telle parcimonie qu'ils semblent ignorer leur qualité et leur condition; aussi me donneraient-ils envie de les traiter de façon à ce qu'ils s'aperçussent mieux dans quelle étoffe ils ont été taillés jusqu'ici. ...Il est honteux que nous autres, ambassadeurs di capella, nous nous empressions, à l'exemple de ceux du premier rang, surtout des nonces, de courir en visite chez toute espèce de personnes. Ainsi, le docteur Annibal Ghiberti (sic), le vieux secrétaire de Mantoue, qui était ici, dans cette cour, agent de mille mauvaises petites affaires pour des seigneurs ou des particuliers d'Italie, prétendait et voulait qu'on le visitât et le revisitât, comme à son pesant d'or; c'est à quoi descendirent le nonce et l'ambassadeur de France, mais ce que n'a jamais voulu faire (en chiffres: celui de Venise, bien qu'il paraisse assez léger en toute autre chose). Quant à moi, pour conserver la bonne intelligence et en souvenir des liens du sang qui unissent Leurs Altesses de Florence et de Mantoue, je lui ai fait visite une seule fois, à lui et à son successeur quand il est arrivé ici; mais je crois que ce sera la dernière fois.” (1)

Nous avons supposé que Bonatti, le nouvel envoyé, devait défendre en Espagne, la même politique générale que l'envoyé du Grand Duc de Toscane: c'eût été dans l'ordre logique. Mais ce que nous savons par les correspondances [219] des agents prouve qu'il y avait en même temps des questions particulières que les deux cours traitaient à l'insu et même en défiance l'une de l'autre. Quelles étaient ces questions? Rien de plus difficile que de les découvrir; car il n'est rien de moins clair que les informations données, dans leurs missives, par ces diplomates volants. Dès qu'il s'agit de quelque intrigue, les passages chiffrés y abondent, et, quoique traduits, ces passages sont souvent aussi énigmatiques que les passages en écriture courante. On voit qu'à cette époque, on craignait de consigner quelque secret sur le papier: pour en faire part, on usait de mille subtilités. Plus d'une phrase banale, insérée dans une missive d'ambassadeur, ne s'explique qu'en supposant qu'elle a une signification convenue, dont la clef était moins aisée à obtenir que celle d'un chiffre de dépêche.

Il faudrait donc parcourir péniblement de grosses fardes de correspondances pour avoir quelque lumière sur les menées occultes de ces agents et de ces hommes d'État d'Espagne et d'Italie. Nous avons quelque peu opéré ce travail sans beaucoup de succès. Cependant il nous est apparu des détails assez curieux pour être reproduits: ils touchent d'ailleurs à l'histoire du séjour de Rubens en Espagne et se rattachent peut-être à la mission qu'il y a remplie.

Le Grand Duc de Toscane, comme nous l'avons dit, avait envoyé en Espagne, pour la défense de ses intérêts supérieurs, Cosimo Concini, un parent, sans doute, de celui qui joua un si triste rôle en France, sous le nom du maréchal d'Ancre. Or, cet agent diplomatique était secondé dans sa mission par des auxiliaires, pour ainsi dire, identiques à ceux dont se servait le duc de Mantoue.

Dans des lettres écrites par Concini au secrétaire Vinta, sous la date du 14 et du 31 Juillet 1603, (1) il est longuement parlé d'un envoi de cadeaux qui vient d'arriver à Alicante, “par l'entremise de Jean André Ullio: une cassette, contenant quatre évangélistes de métal tout doré, un Christ en croix, vivant encore, de la même matière et également doré, le tout exécuté sur les dessins de Jean Bologne, un carrosse avec sept chevaux„ (2). Les évangélistes et le crucifix sont pour la comtesse de Lemos, le carrosse pour le duc de Lerme, afin de cultiver l'amitié et d'avoir la protection de ces personnages.

[220] De nombreuses lettres du même suivent celle-ci et sont relatives à des démarches auprès du confesseur du Roi, auprès de Franqueza, presque toujours au sujet des tiraillements existant entre l'Espagne et Florence à cause de Pierre de Médicis, le frère du Grand Duc, fugitif auprès de Philippe III.

D'autres difficultés politiques se présentaient encore pour le Grand Duc. Ainsi, à la suggestion de la Reine, Philippe III voulait imposer un mariage entre l'Archiduchesse, soeur de la Reine, et le prince Côme, héritier du trône de Toscane. Ce projet, qui tendait à augmenter l'influence, déjà trop grande de l'Espagne en Italie, ne pouvait être adopté par Ferdinand, qui mit tout en oeuvre pour traîner l'affaire en longueur et la faire avorter. C'était un des résultats à poursuivre par Concini. Dans toutes ces affaires, Vincent de Gonzague, qui aurait dû être le satellite de son oncle, puisqu'il était menacé aussi par ce projet, ne semble pas avoir joué un rôle bien franc et bien digne.

Les cadeaux de Toscane mirent autant de temps à parvenir à leur destination que ceux du convoi de Rubens.

Un post-scriptum de Concini, (Valladolid 2 octobre 1603) dit: Salvatierre, qui est ici l'agent de Pierre (de Médicis?) est venu me demander s'il est arrivé un certain Luc, chasseur de Pierre, lequel vient de Florence avec sept chevaux et un carrosse retenu à Alicante jusqu'à présent. Carnesecchi en a reçu avis par l'agent de Pierre. On fera entrer les chevaux de nuit... (1) Arrivés à Alicante en juillet, ils ne furent remis qu'en novembre et entretemps Concini était passé de vie à trépas. Ce fut Domitio Perone qui eut l'honneur d'en faire la remise. “Ce matin, écrit-il à Vinta, le 30 novembre, de Valladolid, nous avons été, le secrétaire Rena et moi, pour consigner le carrosse envoyé par S. A. à Thomas d'Angulo, majordome et agent du duc de Lerme. Nous agissions suivant l'ordre donné par le Duc. Nous nous sommes rendus dans une prairie assez spacieuse; là, ledit Thomas démontra les effets de cette machine qui sert à soulever les chevaux, il en fit voir les détails et le ressort intérieur; lui même et plusieurs de ceux qui l'ont vue la tiennent pour une chose merveilleuse et pour un cadeau de Roi. A mon avis, il n'y a eu qu'un mal, c'est que le Duc ne l'ait pas vue, maintenant que le carrosse et les chevaux sont en bon état et bien traités, car Dieu sait comment ils seront quand S. E. les verra! S'il les faisait conduire à Madrid et qu'on les lui [221] offrît là, certainement le Roi s'en servirait pour son voyage de Valence. Thomas d'Angulo n'a pas voulu abandonner le carrosse; n'ayant pas trouvé un manège disposé pour les chevaux ni un cocher auquel il pût apprendre à les conduire, il les a ramenés au logis. C'est demain matin seulement qu'il expédiera tout, objet par objet, comme vous l'apprendrez de M. Rena qui vous en écrit plus au long.„

Nous n'avons pas poursuivi les destinées de l'envoi du Grand-Duc. Rubens, qui en a eu nécessairement connaissance, doit avoir fait ses réflexions sur cette méthode singulière de traiter les intérêts des peuples.

Enfin, dans une autre lettre de Perone, du 10 décembre 1603, on trouve un passage chiffré, qui jette une faible lumière sur les incidents diplomatiques: “Le Bocatio, dit-il, serait venu en Espagne sous la peur du mariage d'Angleterre et aussi de deux autres mariages, c'est-à-dire de celui de Mantoue accompagné d'une transaction relative au Montferrat, et de celui d'une fille naturelle de France avec le prince Victor, avec retour de la Bresse et la cession de certaines terres au comté d'Artois tenues par le Roi.„

Nous n'essaierons point d'éclaircir ces vieilles énigmes politiques: il nous suffit de faire voir que Monsieur de Florence comme Monsieur de Mantoue usaient des mêmes procédés en matière de diplomatie. Nous pouvons cependant faire remarquer ici une nuance dans leurs manières respectives d'envoyer des cadeaux à peu près identiques. Le Grand Duc met ses chevaux, son carrosse, ses objets d'art sous la conduite d'un simple “chasseur„, un certain Luc. Ces cadeaux sont consignés par celui-ci à l'agent diplomatique qui en fait l'offrande. Le duc de Mantoue donne la même charge à son peintre; celui-ci a reçu des instructions, il doit assister à la remise; il doit être, par conséquent, pour quelque chose, dans l'action diplomatique à poursuivre.

C'est pour constater, cette “nuance„ que nous avons rapporté cet épisode. Il nous sera permis de l'ajouter aux autres motifs qui nous font croire que Rubens n'a pas eu pour unique mission celle qui semble ressortir des documents connus jusqu'à présent.


[222] LIV
ANNIBALE IBERTI AL DUCA DI MANTOVA.

Sermo Prencipe mio Sre e Pame collmo

Tornai avant'hieri dall'Escuriale sin dove ho seguitato S. M. un mese continuo per haver qualche rissolutione di quei 89 (carichi?). Più volte ho havuto occasione di farne raccordo al SrDuca di Lerma, con la copia c'ha fatto de se per finir quel suo ritratto che gl'è piacciuto in estremo con mostrar molti segni d'obligo all' A. V. per il piacere ricevuto da suoi servitori...

Di Vagliadolid, alli 23 di Novembre 1603.Di V. A. Sma
Humo e divotmo sre,

Annibale Iberti.


Original à l'Archivio Gonzaga. Texte inédit. — Traduction partielle par M. A. Baschet Gazette des Beaux-Arts. XX, p. 449.


TRADUCTION.
ANNIBAL IBERTI AU DUC DE MANTOUE.

Je suis revenu avant hier de l'Escurial, jusqu'où j'ai suivi S. M. pendant un mois entier, afin d'obtenir quelque résolution relativement à (en chiffre: 89; probablement: à cette charge). Plusieurs fois, j'ai eu l'occasion de rappeler l'affaire au duc de Lerme, grâces au dédoublement qu'il a fait de lui-même pour terminer son portrait; celui-ci lui a plu extrêmement: le Duc a témoigné par de nombreux signes combien il avait d'obligation à V. A. pour le plaisir qu'Elle lui a procuré par ses serviteurs.

De Valladolid, le 23 novembre 1603.De V. A. Sme.
Le très humble et très dévoué serviteur,

Annibal Iberti.


[223] COMMENTAIRE.

Les détails sur le séjour de Rubens en Espagne, depuis le moment où il se rend à Ventosilla, pour y exécuter le portrait équestre du duc de Lerme, jusqu'à son départ de la péninsule, n'ont pas été révélés encore par quelque document officiel.

Ce fragment de missive d'Iberti nous apprendrait quelque chose, n'était son obscurité. Comment faut-il entendre cette phrase: con la copia ch'a fatto de se? “Cette phrase, dit M. Baschet, fort obscure, me donne à penser que, pendant le peu de jours ainsi passés à Ventosilla, Rubens n'aurait pas fini le portrait mais formé seulement une ébauche à grands traits, sauf à le parfaire à Valladolid. A-t-il été de ce voyage à l'Escurial avec l'Iberti, revenu le 23 novembre? Je ne le pense pas. Mais en cela, tout ce que j'avancerais ne serait que conjectures.„

Essayons d'interpréter le passage d'une manière différente.

La lettre d'Iberti du 19 octobre nous apprend qu'à cette date, Rubens avait déjà fortement ébauché le portrait, au point qu'au jugement de tous, il était déjà “réussi très beau.„ Or, d'après la dépêche de Perone, du 13 novembre, Rubens avait commencé cette oeuvre à Ventosilla même, où il s'était rendu après le 15 septembre, en compagnie d'Iberti. Celui-ci était rentré à Valladolid, seul, vers le 25 octobre, et de là il est allé immédiatement rejoindre le Roi à l'Escurial, où il resta un mois.

Dans cette missive du 23 novembre, il est question de l'oeuvre toute terminée, puisqu'elle a fait un plaisir extrême et que le duc de Lerme fait à ce sujet adresser ses remerciements au duc de Mantoue, comme au seigneur et maître du jeune peintre. Pour nous, il résulte du passage de la lettre d'Iberti, que Rubens n'a pas quitté Ventosilla, qu'il a travaillé là pendant environ deux mois. Si l'Iberti a pu parler quelquefois au duc de Lerme, soit à l'Escurial, soit à Valladolid, c'est que le Duc faisait “copia de se,„ c'est-à-dire s'accordait à Rubens, pour poser, afin que le tableau pût s'achever. A cet effet, il se rendait de l'Escurial à Ventosilla, en passant par Valladolid, et c'était à ce passage que l'Iberti trouvait l'occasion de l'entretenir de l'affaire qu'il traitait avec lui. C'est que nous avons appelé “le dédoublement„ du Duc.

Cette interprétation lèverait toute difficulté. Si l'on trouvait que la brosse rapide de Rubens n'avait pas besoin de deux mois pour exécuter un portrait équestre, nous répondrons qu'elle peut fort bien avoir créé autre chose. Ponz, dans son précieux Voyage en Espagne, en décrivant le couvent de San [224] Pablo ou des Dominicains, à Valladolid, parle de tableaux, oeuvres de Rubens, se trouvant dans l'église.

Celle-ci était sous la protection particulière du duc de Lerme; il y fit faire des travaux importants de construction et d'ornement; l'on y voit encore son tombeau et celui de sa femme, avec leurs statues en bronze. Rubens n'aurait-il pas brossé ces tableaux décoratifs pendant son séjour à Ventosilla? Nous posons la question. On sait que, plus tard, il exécuta d'autres oeuvres pour le Duc. Dans la liste des tableaux que possédait le peintre en 1618, liste annexée à sa lettre du 28 avril adressée à Sir Dudley Carleton, on lit l'article suivant: Les douze apôtres et le Christ, faits par mes élèves d'après les originaux de ma main que possède le duc de Lerme.

Nous tenons donc pour probable que Rubens est resté à Ventosilla jusqu'au moment de son départ de l'Espagne. Et quel événement dans sa vie que ce tête-à-tête avec le puissant maire du palais! Quel dommage qu'il ne nous reste pas de lui une lettre datée de là! “Cette lacune dans sa correspondance, dit très justement M. A. Baschet, est des plus regrettables. De quel intérêt n'eut pas été une lettre du peintre, écrite du lieu même où il travaillait pour le premier Ministre! On peut dire que Rubens connut et vit cette homme dans la plénitude des grandeurs et au faîte du pouvoir. Cette année 1603, en effet, fut celle où l'Espagne étonnée vit la puissance passer des mains du prince dans celle de l'un de ses sujets, à un degré et dans une mesure que l'on ne connaissait pas dans son histoire jusqu'à cette époque. Charles Quint et Philippe II n'avaient pas habitué leurs royaumes et seigneuries à se plier sous un autre bon vouloir que le leur! Depuis le 22 mars, qu'il avait été élevé au commandement de toute la cavalerie d'Espagne et des gardes du Roi, avec solde de vingt-deux mille écus, qu'il avait placé haut son fils, le marquis de Cea, qu'il avait établi sa soeur, la comtesse de Lemos, cameriera mayor au palais de la Reine, qu'il avait fait partir pour les Flandres le marquis de la Laguna, son beau-frère, et qu'il avait mis à la présidence des Indes son neveu et gendre, le duc de Lerme ne passait son temps qu'à gravir fastueusement l'échelle des dignités. La Reine, à la cour, ne pouvait rien contre sa puissance, et lorsqu'elle fit une fausse couche, en septembre de ce même an, il n'y eut qu'une voix pour assurer que les déplaisirs que lui avait causés le ministre par des mesures disgracieuses pour l'ordre de sa maison et la dignité de sa personne, en avaient été l'unique cause. Le nouveau résident de Mantoue, Celiero Bonati, n'hésite pas à dire que le Duc est devenu tellement roi que tous, jusqu'à don Pedro de Toledo, [225] se tiennent le chapeau à la main et en acte de révérence, voire même devant le premier portier de Son Excellence, cela au mois d'octobre, époque précise dont il faut dater le portrait que fit Rubens.„

A cette belle page, nous oserions ajouter qu'il est probable que ces deux hommes, d'une égale intelligence, ont parlé entr'eux d'autre chose que de banalités. Et précisément, le sujet de leurs conversations a dû être les affaires des Pays-Bas sur lesquelles l'Europe entière fixait en ce moment son attention. Le fameux siège d'Ostende se poursuivait toujours et causait de vives angoisses à l'Espagne. Il y avait, ensuite, la question de la paix. La guerre dans nos provinces absorbait des sommes immenses: les Archiducs, demandent sans cesse au duc de Lerme et des hommes et des subsides; les négociations pour la paix traînaient en longueur au gré des Archiducs qui se plaignent de l'incapacité de don Juan de Tassis, l'envoyé d'Espagne en Angleterre (1).


LV
PIETRO-PAULO RUBENS A CHIEPPIO.

Mi parse d'intendere per l'ultima di V. Sigria Illusma, la perseverança di Su Altezza Serma nelli ordini dati per Francia inanti la mia partença, intorno li quali mi sia lecito dire il parer de la capacità mia a punto proportionata a tal suggetto, si però il Sigr Ducca non ha altro fine (come io credo) in questo viaggio che di quei ritratti. Hora mi confunde alquanto che tanto stringe la tornata in molte lettere al Sigr Iberti, quanto V. Sigria medesima nella sua lettera del pro ottobre, non essendo questo negocio de passo, oltra che sempre degli ordini istessi resultano mille inevitabil consequencie. Ho l'essempio de Spagna et Roma in me stesso, ch'ambeduoi hanno prolongate le settimane destinate in tanti mesi. Sa il Sigr Iberti l'inesorabil necessità che strinsero e lui e me ad jus usurpandum senza ordine. Credami V. Sigria Illusma che Francesi non siano per cedere in curiosità ne a questi ne quelli, principalmente havendo Re e Regina non alieni di questa arte, come [226] approvano le gran opere che pendono interrotte, inopia operariorum Io ho del tutto particolar relatione come de le diligencie fatte in Fiandra, Firenze, et di più per mala informatione in Savoia e Spagna per havere huomini di valore. Quali nove (dirò con perdono di V. Sigria Illma) non scoprirei con essa s'io non havessi ja eletto per Padrone il Sigr Ducca in quanto mi sarà conceduta del suo favore Mantova per Patria adoptiva. A me bastava il pretesto ancor che vile di ritratti per ingresso a cose maggiori, si non era, ch'io non posso imaginarmi che l'intencione del Sigr Ducca sia di dare per adesso alcun gusto di me a le Maestà loro, considerato l'incarecimento d'ispeditione. Voglio inferire ch'al judicio mio sarebbe molto più sicuro et avantaggioso de tempo e precio il fargli fare per mezo de Monsr de la Brosse o Sigr Carlo Rossi a qualque pittore prattico di Corte ch'abbià ja tal raccolta in casa, senza ch'iò butti a perdere più tempo, viaggij, spese, salarij (ancora ch'el splendore di S. A. non ripara in cotesto) in opere vili a mio gusto et communi a tutti nel gusto del Sigr Ducca. Con tutto ciò mi rimetto total mente come buon servitore nel arbitrio d'ogni minimo cenno del Padrone, supplicando però volersi servire di me in casa o fuori, de cose più appropriate al genio mio et al bisogno de l'opere sue incominciate. Qual gracia saró sicuro d'ottenere ogn'hora che V. S. Illma verrà essermi favorevole intercessatrice appresso il Sigr Ducca mio Sigre et in fede di questo mi sià la mano basciata peró con ogni humil riverenza.

Di Valliadolid l'Ao1603.Di V. Sigria Illusma
Humilissmo serre

Pietro-Paulo Ruebens.


L'adresse porte: Al Illusmo Sigre mio et Padrone colendissimo il Sigr Hannibal Chieppio pro secretrio di S. A. Sma. In Mantova. Cachet ovale sur nieulle.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. a. Baschet, Gazette des Beaux-Arts. XX, 451. — Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 25. Lettre écrite à main posée, d'un caractère plus menu que d'habitude. A première vue, on doute qu'elle soit de Rubens.


[227] TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

Il m'a paru entendre par votre dernière lettre que S. A. S. persévère dans les ordres, qu'avant mon départ, elle avait donnés pour me faire aller en France. A ce propos, qu'il me soit permis de dire mon opinion sur mon talent mis en rapport avec un programme pareil, si toutefois le Duc n'a pas d'autre but, comme je le crois, en m'imposant ce voyage, que celui d'avoir ces portraits. Je suis un peu confondu aujourd'hui de le voir, dans plusieurs lettres qu'il a adressées à M. Iberti, presser mon retour autant que vous le faisiez vous même dans votre lettre du 1er octobre. Ce n'est pourtant pas une affaire urgente et, en outre, les ordres de cette espèce donnent toujours ouverture à mille conséquences inévitables. J'en ai vu un exemple par moi-même en Espagne et à Rome: dans ces deux missions le nombre assigné de semaines s'est prolongé en autant de mois. M. Iberti sait quelle inexorable nécessité nous a forcé lui et moi à usurper des droits, à défaut d'ordres. Veuillez m'en croire: les Français ne le cèdent ni à ceux-ci ni à ceux-là pour la curiosité, surtout ayant un Roi et une Reine qui ne sont pas étrangers aux arts, ainsi que le prouvent les grands travaux interrompus en ce moment faute d'artistes.

Sur tout cela, j'ai des renseignements particuliers, de même que sur les démarches faites en Flandre, à Florence, et même, par suite d'informations mal fondées, jusqu'en Savoie et en Espagne, pour recruter des hommes de valeur. Je ne vous confierais pas de semblables nouvelles, permettez-moi de vous le dire, si je n'avais déjà élu Mgr le Duc pour mon maître, aussi longtemps que sa faveur me concèdera Mantoue comme patrie adoptive.

Je regardais comme suffisant le prétexte, peu honorable pourtant, de portraits à faire, pour arriver à des travaux plus élevés; mais je l'avoue, si je considère les frais de mon expédition, je ne puis m'imaginer que l'intention de Mgr le Duc soit d'inspirer en ce moment à Leurs Majestés quelque idée défavorable à mon égard. J'en infère, qu'à mon avis, il serait beaucoup plus sûr et plus avantageux, comme temps et comme argent, de confier l'exécution de ces portraits, par l'entremise de M. de la Brosse ou de M. Carlo Rossi, à quelque peintre attaché à la Cour qui en aurait déjà une collection chez lui, sans que je me mette encore à perdre du temps en voyages, à faire des dépenses, à payer des salaires, toutes choses dont la munificence de S. A. n'indemnise [228] pas, et tout cela pour travailler à des oeuvres de genre infime à mon goût, et à la hauteur du talent de tous, au goût de Mgr le Duc.

Toutefois je m'en remets entièrement, comme un bon serviteur, à la volonté et au moindre signe du Maître; je le supplie cependant de vouloir bien se servir de moi, soit chez lui, soit ailleurs, pour des choses plus appropriées à mon talent et pour l'achèvement des oeuvres que S. A. a commencés. Cette faveur je suis certain de l'obtenir dès l'instant que vous voudrez bien être mon intercesseur auprès de Mgr le Duc; et dans cette confiance, je vous baise très humblement les mains.

De Valladolid, l'an 1603.Votre très humble serviteur,

Pierre-Paul Rubens.


COMMENTAIRE.

Particularité digne de remarque: parmi les lettres qui nous restent de Rubens, l'homme d'ordre et de précision par excellence, cette lettre ne porte point de mention du mois et du jour. En outre, elle est d'une écriture beaucoup plus menue que l'écriture habituelle du peintre. A première vue on ne la croirait pas de sa main. Peut-on y voir quelque intention? Que l'on nous permette une conjecture.

Les lettres adressées à Chieppio qui se trouvent aujourd'hui dans les archives des Gonzague, ne sont évidemment qu'une partie de celles qui ont été échangées entre le jeune protégé et son bienveillant protecteur. Celui-ci en a communiqué officieusement un certain nombre au Duc et, il est aisé de s'en apercevoir, quelques-unes ont été écrites en vue d'être mises sous les yeux de l'Altesse, en suite d'une connivence entre Chieppio et Rubens. Cette dernière lettre nous semble avoir ce caractère plus accusé qu'aucune autre et le motif en paraît facile à saisir. Il répugnait au peintre d'aller en France pourtraire des figures de belles dames, mais il lui eût été difficile de le dire au Duc: il le dira à son ami et, d'accord avec celui-ci, il le dira d'une façon ferme et digne, mais en même temps, il y mettra tant de respect et d'affection qu'il eût été impossible, au Duc de se formaliser. Nous croyons donc que la lettre sans date était préparée pour une de ces petites stratégies diplomatiques; elle a été écrite à part et insérée dans une lettre à Chieppio, que nous n'avons pas. Rubens en aura fait un brouillon qu'il a transcrit en oubliant d'y mettre la date, qui se trouvait sur la lettre d'envoi.

[229] Du petit nombre de missives de Rubens à Chieppio sauvées du naufrage de la correspondance du peintre, il est permis d'inférer que l'intimité des deux hommes a été grande: c'est une lacune considérable que la perte des lettres du secrétaire ducal. Seul, celui-ci semble avoir compris l'artiste, seul, il a eu l'esprit assez élevé pour saisir la légitimité de ses plaintes et de ses hautes aspirations. Quel jour ses lettres ne jetteraient-elles pas sur la situation du peintre à Mantoue, sur les combats qu'il eut à soutenir, sur les travaux qu'il y a exécutés, sur les projets qu'il formait! Quel intérêt devait offrir la lettre à laquelle répond celle de Rubens, l'une des plus importantes que celui-ci ait écrites!

Il est bien là ce qu'il sera plus tard, l'homme de la franchise, de la décision, de la confiance en lui-même. Il sait quelle est sa valeur, quelle est la voie qu'il doit suivre. Grâces à ces quelques points lumineux que cette dernière lettre et les précédentes projettent dans les obscurités de l'existence du peintre pendant son service à Mantoue, il nous est permis de voir qu'il y fut souvent la victime des caprices du souverain. Celui-ci voulait l'envoyer à la cour d'Henri IV, pour en rapporter des portraits, probablement ceux des maîtresses du roi vert-galant.

Rubens, à qui ce métier de portraitiste ambulant ne souriait guères, suppliait son protecteur Chieppio d'user de son influence pour le délivrer de ce cauchemar. Mais si nous comprenons bien quelques passages de la lettre de Rubens, celui-ci aurait argué du tort que devait faire à sa réputation, déjà établie par quelques grandes oeuvres, la mission infime dont on voulait le charger. Chieppio, en sa qualité d'enfant de cette Italie qui tenait encore le premier rang dans les arts, n'aurait pas dissuadé Rubens de se rendre en France, sous prétexte qu'il brillerait même comme portraitiste, dans ce pays, selon lui, très arriéré sous le rapport de la curiosité. Et c'est à quoi Rubens répond par “les informations particulières„ qu'il a sur la France.

Ce passage est curieux. Quelles sont donc les relations qu'il entretient avec ce pays? D'où tient-il ces nouvelles qu'il confie à Chieppio? Est-ce de quelque ami de Florence faisant partie de la maison de Marie de Médicis? Est-ce de l'un ou l'autre des nombreux flamands voyageant ou résidant en France? Nous ne le savons. Et pourtant, il parle de M. de la Brosse.

Dans une lettre du duc de Mantoue, du 24 juin 1605, (1) au Grand [230] Duc, il est dit: Monsr della Brossa, mio agente, (in Francia). Est-il question là de l'architecte du Luxembourg, le même avec lequel Rubens aura vingt ans plus tard tant de rapports? Il correspond avec M. Carlo Rossi qui est de la cour du Duc et, pour le moment probablement, en France, il sait qu'il y a des peintres attachés à la Cour qui ont chez eux, pour les collectionneurs, des portraits tout achevés de jolies femmes. A cet égard, nous ne pouvons nous livrer qu'à d'oiseuses conjectures. Les archives de Mantoue ne renferment pas les minutes des lettres de Chieppio; on ne sait donc pas quelle réponse il fit au peintre. Mais il n'est pas douteux que l'on fit droit à ses réclamations, car il revint d'Espagne à Mantoue sans faire le détour par la France. Le Duc oublia quelque temps les belles dames de ce pays; il n'y songea que deux ans plus tard et y envoya alors François Pourbus.


LVI
DOMITIO PERONE A BELISARIO VINTA.

Sei giorni sono, tornanno da Madril li due Agenti, cioè il vecchio et il nuovo, et havendoli io visitati per ritrarre ancora qualche cosa d'un corriere che, si diceva, fusse venuto d'Italia con dispacci per loro, io li domandai di questo corriere et poi nel ragionamento li soggiunsi che quì si parlava di certo matrimonio fra Savoia et Mantova, et loro mi risposero che non sapevan' niente di corriere et che quanto al matrimonio (eu chiffres: il lor Duca dando moglie al Principe voleva danari) ne si disse sopra questo altra cosa di consideratione, ma questi due gentilhommi stanno in procinto per andare a Valenza, che e segno che ci sia negotio, gia che vanno tutti due, potendo per altro restar uno quà et l'altro andare.

22 di decembre 1603.

Alla (chiffre: Iberti) chi e stato qui Agente dei Sr Duca di Mantova, et che hora ha havuto licenza di tornarsene in Italia, visitandolo a [231] sua casa, doppo il suo ritorno di Madrid, mi dette parte della (en chiffres: caduta) del Sr Don Pietro di Medici et della rottura del braccio, et come si trovava in buono stato, caminava per casa, entrandovi nei negotio del Sr Don Pietro, mi disse che S. M. haveva inteso il desiderio del Papa, ma che S. E. diceva resolutamente che quanto a se non si contentava che in S. S. sententiasse et che si era rimesso nel Re.


Archives des Médicis, à Florence. — Inédit.


TRADUCTION.
DOMITIEN PERONE A BELISAIRE VINTA.

... Il y a six jours, les deux agents, l'ancien et le nouveau, sont revenus de Madrid, je leur ai fait visite pour tirer encore quelque chose d'un courrier qui, disait-on, était arrivé d'Italie avec des dépêches pour eux. Je leur demandai des nouvelles de ce courrier et puis, dans la conversation, j'ajoutai que l'on parlait ici d'un certain mariage entre Savoie et Mantoue. Ils me répondirent qu'ils ne savaient rien du courrier et que quant au mariage, (en chiffre: leur Duc en donnant une femme au prince, voulait de l'argent). Il ne fut plus rien dit d'important sur ce sujet: mais ces deux gentilshommes sont sur le point de partir pour Valence; la circonstance qu'ils y vont ensemble veut dire qu'il s'agit de quelque affaire, car l'un d'eux pourrait rester ici quand l'autre y va.

22 décembre 1603.

(Chiffre qui signifie certainement Iberti) qui a été ici l'agent du duc de Mantoue, a reçu maintenant la permission de retourner en Italie. Je lui ai fait visite, chez lui, à son retour de Madrid et il m'a appris que Don Pierre de Médicis, avait fait (en chiffres: une chute), qu'il s'était cassé le bras, qu'il va bien et se promène dans sa maison. En causant de l'affaire de ce prince, il me dit que S. M. avait entendu le désir du Pape, mais que S. Exc. affirmait résolument que, quant à Elle, elle ne se disposait pas à prononcer d'après le Saint Père, et qu'Elle s'en remettrait au Roi.


[232] COMMENTAIRE.

Ce document est formé de deux inserti, ou pièces insérés dans une lettre; elles sont écrites, la première de la main de Perone, la seconde d'une autre main. Elles offrent peu d'intérêt; mais nous apprennent qu'au 22 décembre, Iberti était encore sur la terre Ibérique et se rendait avec Celio Bonatti, à Valence, où se trouve le Roi. Mais les deux agents ne sont pas accompagnés de Rubens.

Iberti a reçu la permission de retourner en Italie et cependant il resta quelques mois encore en Espagne.

Il est inutile de donner un commentaire sur les nouvelles relatives à Pierre de Médicis et au mariage de Savoie: ces deux faits n'ont guère de relation avec notre sujet.


LVII
JUSTUS LIPSIUSPHILIPPO RUBENIO SEMPER SUO. ROMAM.

Invitus ad te scribo: ne mirare. Vos ego jam exspecto, jam occurro, jam brachia pando ad amplexum. Quid iterum a solida voluptate ad hanc imaginariam vocor? Quid a veritate ad umbram? Venite, affamini, et sistite mihi tres vos illos meos: quos non dimisi, sed commeatum in tempus aliquod dedi. At Italia vos tenet, quam hoc nomine minus amo, quia vos sic amatis. Redite; vis dicam? aut ad alios amores ego eo. Senesco, canesco; longum exspectare non possum, ffui nunc ant nunquam debeo: et fruamur, ita omnia votiva vobis Deus in reliquam vitam donet. Usuram brevem ego posco: sed tam hilaris, quam ii, qui aetates disponunt et promittunt. Audi porro non grata, [...]. Noster ille [...] ab Ate Homerica laesus est, id appello [...]: heu, heu aevum! Meministi de quodam propraetore Gallo? ille, ille est caput et fons mali: in Hispaniam scripsit falsimonias et delationes, Dii boni! improbas et atroces! res agitur, sed boni [233] plerique omnes nostro favent utinam et Eventus! De re et vero non ambigo: tempora et ingenia novi, et cogito, quae non scribam, sed dicam. Mittamus ista, et uno verbo publica [...] minime laeta. In privatis, valemus modice: etsi ab equi lapsu laesi ante dies octo; nam equum vel equuleum habemus, ut scias, dono Antistitis Atrebatensis: quem eu m inscendi ambulaturus, ut soleo, occursu Thessalae alicujus maleficae, ille subito velut ictu concidit, tibiam mihi laesit. Nisi esset, Antverpiae jam essem, ut porro mea ad Senecam absolverem. Comes-Stabuli venit, ego vidi, conveni: de humanitate dicere possum, de aliis animi dotibus aut ornamentis, nondum possum. Quid opus ista scribere? Venite, videte, noscite, tres ad me recta: signis abnuit, tu nihil excusa, et indulge utriusque (nam et de te arbitror) amori. Sic vale. Lovanii, prid. Kal. Febr. 1604.


Burmannus, Sylloge. II, ep. DCCCI. P. 104.

La première moitié de cette lettre a été publiée Cent. V. Misc. Ep. 44.


TRADUCTION.
JUSTE LIPSE A PHILIPPE RUBENS A ROME.

Je vous écris à regret: ne vous en étonnez point. Je vous attends, j'accours au-devant de vous, je vous ouvre les bras pour vous embrasser. Pourquoi suis-je tiré de nouveau d'un plaisir réel à un plaisir imaginaire, ou de la vérité à ce qui en est l'ombre? Venez donc, venez vous entretenir avec moi, et restez auprès de moi, vous mes trois amis que je n'ai pas renvoyés, que j'ai seulement confiés l'un à l'autre pendant quelque temps. Mais l'Italie vous tient; de ce chef je l'aime moins parce que vous l'aimez tant. Revenez, ou, je vous le dis, j'irai à d'autres affections. Je vieillis, je grisonne, je ne puis attendre longtemps, je dois jouir de votre présence, maintenant ou jamais: j'en jouirai et Dieu comblera tous vos voeux pendant le reste de la vie. Je ne demande qu'un faible intérêt; j'en serai aussi joyeux que ceux à qui leur âge permet de disposer et de promettre.

J'ai appris des choses peu agréables et contraires à mes sentiments. Notre Président a reçu un coup de la déesse Atè dont parle Homère; j'appelle ce coup une calomnie. Oh! quel siècle! Vous vous souvenez de ce [234] gouverneur français? C'est lui l'auteur du mal. Il a écrit en Espagne des délations fausses, injurieuses, atroces! L'affaire s'instruit, la plupart des honnêtes gens sont favorables à notre ami: plût à Dieu qu'il en soit de même de l'issue! Je ne discute ni la chose ni ce qu'il y a de vrai, je connais les époques et les esprits: je ferai des réflexions que je ne vous écrirai point mais que je vous dirai. Mais laissons cela. Quant aux affaires publiques, permettez-moi de vous le dire en un mot: elles ne sont pas gaies.

Pour ce qui me concerne; je me porte passablement, quoique j'aie été blessé, il y a huit jours, d'une chute de cheval. Car vous saurez que nous avons un cheval ou plutôt un bidet que nous tenons, je vous en fais part, de l'évêque d'Arras. J'ai voulu le monter pour faire une promenade selon ma coutume; je ne sais quelle sorcière de Thessalie vint à notre rencontre: le cheval, comme frappé d'un coup subit, tombe et me blesse à la jambe. Sans cette aventure, je serais déjà à Anvers, afin d'y terminer mes commentaires sur Sénèque. Le connétable est venu, je l'ai vu, je lui ai fait visite. Je puis parler de son bon accueil, je ne puis rien dire encore des qualités ou des grâces de son esprit. Mais pourquoi vous écrire tout cela? Venez, vous verrez, vous apprendrez; et tous les trois, directement chez moi! Si quelqu'un refuse, ne l'excusez pas; soyez favorable à notre affection qui est, je l'espère, réciproque. Et portez vous bien.

Louvain, 31 janvier 1604.

COMMENTAIRE.

Ces nouvelles instances de Juste Lipse nous apprennent qu'à la fin de janvier, Philippe Rubens et ses deux compagnons Guillaume Richardot et Perez de Baron n'étaient pas encore en route pour les Pays-Bas. On peut supposer que Philippe ne voulait pas quitter l'Italie avant le retour de son frère de l'Espagne, retour qui devait être très proche.

Dans les nouvelles que donne Juste Lipse, il est question d'une [...]: ce mot doit désigner le Président Richardot. Le fait auquel il fait allusion se rapporte sans doute aux négociations pour la paix qui furent entamées après l'avènement du roi Jacques Ier au trône d'Angleterre. Nous avons déjà vu qu'après la mort d'Elisabeth, les Archiducs et le Roi d'Espagne envoyèrent immédiatement des ambassadeurs pour complimenter le nouveau Souverain et en même temps agiter la question d'une conférence pacifique. Ces négociations préliminaires aboutirent: les Archiducs désignèrent pour leurs députés, le [235] comte Charles d'Arenberg, Jean Richardot et Louis Verreycken: ils partirent pour l'Angleterre le 19 mai. Les négociations marchèrent rapidement, le 28 août, la paix fut signée entre l'Espagne, les Archiducs et l'Angleterre.

La France n'avait pas vu de bon oeil ces pourparlers diplomatiques et l'on peut voir dans les lettres missives de Henri IV (1) les appréhensions qu'elles causaient à ce Roi. C'était surtout au président Richardot, comme au principal conseiller des Archiducs, que devaient s'adresser les antipathies de la cour de France; nous n'avons pu découvrir, néanmoins, quel événement particulier aurait motivé l'indignation de Juste Lipse. Deux ans après, Richardot négociait la paix avec la France avec une délicatesse et une loyauté auxquelles le représentant français, l'illustre président Jeannin, rend très hautement hommage.

L'évèque d'Arras qui a fait don d'un cheval à Juste Lipse est, comme nous l'avons vu déjà, Jean Richardot, le fils du Président; le connétable qui est arrivé est don Juan Fernandez de Velasco, duc de Prias, connétable de Castille, envoyé par le roi d'Espagne pour signer le traité de paix. C'est à lui que Juste Lipse dédia, peu de temps après, sa Manuductio ad Stoicam philosophiam dont il est question dans les lettres échangées entre lui et Scioppius, lettres que nous publions dans ce recueil. C'était un homme aux manières hautaines et cassantes, connu pour sa vanité, mais lettré et visant un peu au Mécène. Dès 1594, pendant qu'il gouvernait à Milan au nom de l'Espagne, il fit des propositions à Juste Lipse pour l'attirer dans cette ville. Mais celui-ci ne voulut pas quitter Louvain, et resta néanmoins dans les bonnes grâces de Velasco. Il lui recommanda, quelques années après, en 1599, son élève Erycius Puteanus et, grâces à cette recommandation, celui-ci devint l'heureux protégé du Gouverneur. Velasco avait formé à Madrid une riche bibliothèque. Il mourut en 1613.

On s'étonne d'apprendre que Juste Lipse n'a pu apprécier les qualités ou les grâces de l'esprit du connétable, après les louanges qu'il lui prodigue dans les deux lettres publiées dans sa correspondance, en 1597 et 1599 (2).


[236] LVIII
AD PETRUM PAULLUM RUBENIUM NAVIGANTEM.

Non sic AEmonio trepidavit mater Achilli,
Cum Laërtiadae cognitus indicio
Pro Menelaea sumpsit bella horrida caussâ,
Et praeceps arces ivit ad Iliacas:
Non sic dilecti discrimine mota mariti
Penelope, Graiae fama pudicitiae,
Spumantem quoties Maleam atque Capharea saxa,
Ioniique audit tanta pericla maris:
Nec sic AEgaeo posuit qui nomina ponto
De caro Thesei sollicitus capite,
Dum solvit patriis a littoribus Pyraei,
Andreogeoneis manibus inferiae:
Quam modo magna tui divexat cura meum cor,
O mihi vel luce hac frater amabilior.
Tyrrhenum te nunc parva trabe currere marmor
Et maris, heu, fluxae credere te fidei!
Nunc ubi ventorum vis horrida debacchatur,
Infestisque hiemant aequora sideribus.
Ah, gemat aeternùm, qui primus, nave paratâ,
Ausus in immenso velificare salo.
Hinc nos ludibrium facti pelagique notique:
Hinc immaturae mortis aperta via.
Hectora qui magnum saepe et Phrygia agmina contra
Invicto steterat cum Telamoniade
Locrorum ductor, nimia vi mersus aquarum
Littoreis jacuit faeda rapina avibus.
Et tibi, quâ cunctis mortalibus antistabas,
Quid versutia, quid provida mens, Ithace,
[237] Ionio in magno valuit? longè tibi longè
Tum fuit, heu, dolus et callida consilia.
Nec tibi litterulae, mi frater, nec tibi quidquam
Vena vigorque acris proderit ingenii:
Nec manus artifices effingere docta figuras,
Ac vel Apelleis pingere par tabulis.
Diique Deaeque omnes, qui coeli lucida templa,
Qui terram colitis, qui mare navigerum,
Et vos ante alios, Tyrrhenum quos penes aequor,
Ferte salutarem (namque potestis) opem.
Formidata rati defendite sidera, nimbos
Quaeque solent, pelagi quaeque ciere animos.
AEoliam rabiem metuat malè barbarus atrox,
Et cui non purae sacrilegaeque manus.
Ille nigri fremitum ponti horreat: ille minantes
In coelum fluctus pallidus aspiciat.
At tibi nec subitis quid peccet motibus Auster
Nosse sit, et quantus detonet Oarion,
Nec miserâ tacito jam mussante arte pavore,
Optatos trepidè quaerere Tyndaridas;
Sed ridente salo et modicè vibrantibus undis
Leniter adspirans aura secunda ferat,
Grata coronatà dum admotâ ad littora prorâ,
AEquoreis votum dissolüatur heris.
En erit, ut veniat lux haec properantibus horis,
Hic radiet niveis Delius alitibus?
En erit, ut fratri curram obvius, et venienti
Jucunda haec manuum vincula ut injiciam?
Tum mihi fulva Tagi venient sub tecta fluenta,
Eoique legam dona opulenta maris.
At nunc, heu, misero peracescunt omnia: nulla
Non mala, te rursum dum potior, patior.
[238] Quin etiam studia haec, queis nil acceptius ante,
Et quascumque odi delicias animi:
Solis et ipse parùm, mihi crede, est lucidus orbis,
Luridaque obtusis cornibus ipsa soror:
Obscuri astrorum, quibus aether pingitur, ignes,
Ipsi etiam melli fellis amaror inest.


Phil. Rurenii Electorum libri, II. Antv. ex off. Plantin. apud J. Moretum 1608. P. 122.


TRADUCTION.
A PIERRE-PAUL RUBENS SUR UN NAVIRE.

La mère du Thessalien Achille n'eut pas autant d'épouvante, lorsque celui-ci, découvert par le stratagème d'Ulysse, entreprit une guerre cruelle pour la cause de Ménélas et se hâta de partir vers les remparts d'Ilion; Pénélope, l'honneur de la pudicité grecque, fut moins émue des dangers que courait son cher époux, chaque fois qu'elle entendait mugir les vagues au cap Malis, aux rochers de Capharée et dans la périlleuse mer Ionienne; celui qui donna son nom à la mer Égée fut moins inquiet du sort de son cher Thésée, lorsque des rivages paternels du Pirée il se sacrifia aux mânes d'Androgée, que maintenant moi, car j'ai le coeur brisé d'inquiétude pour toi, mon frère, pour toi, plus digne d'être aimé que la lumière du jour; pour toi, qu'un léger navire emporte sur la mer de Toscane et qui dois, hélas! te confier à l'inconstance de la mer; maintenant que la terrible puissance des vents est déchainée et que les flots s'agitent sous l'influence d'astres pernicieux. Ah! qu'il gémisse éternellement, celui qui le premier construisit une barque et osa mettre à la voile sur l'immensité de l'Océan! C'est depuis lors que nous sommes devenus le jouet des vagues et des vents et que s'est ouverte pour nous la voie de la mort inattendue.

Ajax, le chef des Locriens, qui résista souvent au grand Hector et aux phalanges phrygiennes avec l'invincible fils de Télamon, Ajax fut englouti par l'irrésistible puissance des eaux et devint la proie hideuse des oiseaux du rivage. Et toi, roi d'Ithaque, à quoi t'ont servi, dans la mer d'Ionie, cette finesse, cet esprit inventif, par lesquels tu surpassais tous les mortels? Hélas! tes ruses, tes conseils pleins de subtilité, ont été tout-à-fait inutiles. Il en est [239] de même pour toi, mon frère: rien ne t'aidera, ni ce que tu sais des bonnes lettres, ni ce que tu as acquis par l'activité et la vigueur de ton esprit si vif, ni la science de ta main si habile à peindre d'excellents portraits ou des tableaux dignes d'Apelles.

O vous tous, Dieux et Déesses, qui habitez les temples lumineux du Ciel, la terre, les mers sillonnées de navires, vous surtout, Dieux qui régnez sur la mer Tyrrhénienne, offrez-lui, vous le pouvez, votre salutaire assistance, défendez son vaisseau contre les astres redoutables qui excitent les orages et le courroux des flots! Que le barbare cruel et celui dont les mains sont impures ou sacrilèges craignent la puissance de la rage d'Eole; que l'un ait en horreur les frémissements du noir Océan, que l'autre regarde en pâlissant les flots menaçants qui battent le ciel. Mais toi, qu'il ne te soit pas donné de connaître les ravages que commet l'Auster par ses mouvements subits, ni la violence des tempêtes lancées par Orion; qu'il ne te soit pas donné, paralysé déjà par une sourde peur, de devoir chercher en tremblant les Tyndarides souhaités, en employant de tristes moyens. Mais qu'un vent favorable, un doux zéphir te porte sur la surface riante des eaux mollement agitées et que ta barque arrive au rivage, une couronne à la proue et s'acquitte de son voeu envers les Dieux de la mer. Quand les heures rapides amèneront-elles ce jour et le brillant Dieu de Délos nous arrivera-t-il sur ses coursiers aux blanches ailes? Quand pourrai-je courir au devant de mon frère et nos mains se serreront-elles dans une douce étreinte? C'est alors que viendront sous mon toit les ondes fauves du Tage et que je recueillerai les dons opulents de la mer orientale.

Mais maintenant, hélas! tout s'aigrit pour le malheureux: je souffre de maux divers, tant que de nouveau je ne jouirai de ta présence. Ces études mêmes, qui jadis étaient ce que j'avais de plus cher au monde, tout ce qui faisait les délices de l'esprit, j'ai tout en aversion: le globe du soleil lui-même, croyez-m'en, n'a qu'une clarté faible; il en est de même de sa pâle soeur aux cornes émoussées: les feux des astres qui émaillent les cieux sont obscurs à mes yeux et le miel même a pour moi l'amertume du fiel!


COMMENTAIRE.

Dans les divers Testimonia donnés à son élève chéri, Juste Lipse vantait avec une complaisance mêlée d'admiration le talent de Philippe Rubens à manier le latin et le grec, tant en vers qu'en prose et sa profonde connaissance [240] des antiquités et des lettres classiques. Il le présentait au cardinal Ascanio Colonna comme un des hommes les plus savants de l'Europe et le recommandait comme un rédacteur hors ligne de lettres latines.

Nous rabattrions volontiers quelque peu de ces grands éloges et la pièce que nous venons de donner y aiderait beaucoup. Si dans ses oeuvres en prose Philippe Rubens se distingue par une érudition classique peu commune, mais par un style déclamatoire et une latinité confuse, on peut dire que ces défauts sont plus apparents encore dans ses poèmes. La pièce dédiée à son frère nous paraît une rhapsodie aussi pauvre d'idées que pitoyable de versification. Nous n'y apercevons que des licences affectées, des inversions dures, des phrases pénibles et, quant aux idées, rien qu'un pillage des Gradus de l'époque. La traduction que nous en avons essayée n'aspire qu'à toute l'indulgence du lecteur. Néanmoins la pièce a son utilité comme document.

On ne sait pas l'époque précise du retour de Pierre-Paul d'Espagne en Italie. M. Baschet a essayé, avec sa diligence accoutumée, de déterminer cette date: son opinion, à défaut de renseignements précis, flotte entre octobre 1603 et avril 1604.

Notre poême exprime assez clairement que le voyage de Pierre-Paul s'effectua pendant la saison d'hiver et il nous permet de supposer que Philippe est allé serrer la main de son frère à son débarquement en Italie. Où et quand cette entrevue eut-elle lieu? Nous ne parvenons pas à le déterminer. Il nous parait probable qu'elle a coïncidé avec le départ de Philippe d'Italie vers les Pays-Bas, départ qui a eu lieu entre février et mai 1604. Le 11 juin, il était de retour à Louvain; ce jour là, Juste Lipse lui offre sa Manuductio ad stoïcam philosbphiam.

Le 31 janvier, Juste Lipse lui adresse encore à Rome une lettre des plus pressantes pour le faire revenir à Louvain; le 8 février, Juste Lipse écrit à Gérard Buytewech, à Leyde: “J'attends ici Richardot, de Baron et Rubens: ce dernier est un homme remarquable, très versé dans les lettres grecques et latines. “C'est donc vers cette date que les voyageurs se sont mis en route.

Nous pouvons donc admettre que l'entrevue entre les deux frères eut lieu en février 1604, peut être à Mantoue même.

Il n'y a guères d'autres éclaircissements à tirer des énigmes pédantesques du poème. Notons seulement ce passage où il est question des “litterulae„ du peintre, termes qui nous semble viser ses connaissances littéraires et son savoir. Notons encore l'éloge qu'il fait de l'habile peintre de portraits en [241] même temps que du rival d'Apelles. Ce passage confirme ce que l'on savait déjà: qu'en ce moment Rubens s'employait davantage à reproduire des effigies qu'à composer des tableaux.

Notons surtout les dix lignes de prose qui précèdent dans le volume cette étrange composition poétique.

Après les poésies en l'honneur de Juste Lipse, l'auteur poursuit: Je termine. A ces pièces consacrées à mon Héros, il semble que l'on ne puisse sans manquer au respect, ajouter rien qui lui soit étranger. Toutefois, sous forme de corollaire, j'y rattache une Elégie adressée à mon très cher et très désiré frère. Ce n'est pas une pièce fraîche et récente: elle lui avait été envoyée il y a trois ans, lorsqu'il opérait la traversée d'Espagne en Italie. Je désire ardemment consigner ici ce témoignage d'affection et de gratitude envers celui dont l'habile main et le jugement, aussi fin que sûr, m'ont été d'un grand secours dans mes Electa: Tantum est: nec istis de Heroë nostro quod eo non pertineat, adjici quicquam decorè posse videatur. Corollarij tamen vice attexam Elegeidion ad suavissimum et optatissimum fratrem meum: non musteum ïllud quidem atque recens, sed ante triennium, cum in Italiam ex Hispania trajiceret ad eum missum. Discupio enim aliquod hic exstare amoris et grati in ipsum animi monimentum, qui tùm artifici manu, tum acri certoque judicio non parùm in Electis me juvit.

Nous l'avons déjà fait remarquer: cette petite note est infiniment précieuse; elle nous apprend que les gravures du livre ont été exécutées d'après les dessins de Pierre-Paul, elle nous explique le sens de ses litterulae et de la direction de ses études en dehors de la peinture.

Il nous semble inutile de commenter les afféteries mythologiques qui émaillent cette composition: le premier venu des dictionnaires de la fable en donne suffisamment l'explication.


[242] LIX

Commissione ducale che il SrPietro-Paolo Rubens, pittore fiamengo, sia posto alla provisione di ducatoni 400 al l'anno da essersi pagati anticipatamente di 3 mesi in 3 mesi.


(Libro delle Commissioni, fol. 104.)

Cette note, qui nous a été communiquée par M. Braghirolli, est extraite d'une pièce émanant d'un ancien archiviste et renvoyant à un registre ducal qui n'existe plus.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Inédit.


TRADUCTION.

Commission ducale que M. Pierre-Paul Rubens, peintre flamand, sera mis à la provision de 400 ducatons à l'année, payables par anticipation et de trois en trois mois.


LX

«1604. Rubens, Pietro-Paolo, pittore. Commissione, 2 giugno 1604 (foglio 104), di metterlo alla provigione di ducatoni 400 all'anno da pagarsi di tre mesi in tre mesi incominciando dal 24 maggio.»


«Note relevée par l'érudit Coddé sur un registre de Commissioni ducales et rencontrée, dans les papiers de ce chercheur, par le comte d'Arco, à qui nous en devons la communication.» (M. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XX, p. 306.)


TRADUCTION.

1604. Pierre-Paul Rubens, peintre. Commission, 2 juin 1604 (f. 104), de le mettre à la provision de 400 ducatons à l'année, à payer de trois en trois mois, à commencer du 24 mai.


[243] COMMENTAIRE.

Ces deux petits documents, qui ne sont qu'une répétition l'un de l'autre, ont une importance capitale. Ils nous apprennent, d'abord, les conditions de l'engagement du peintre et ils constituent, pour ainsi dire, les seules nouvelles que nous ayons de lui pendant plusieurs mois.

Prenant texte de cette date du 24 mai, à laquelle commencent les appointements de Rubens et de la date d'arrivée d'Iberti en Italie, qui eut lieu, selon lui, vers le 15 avril, M. Baschet pense que le peintre pourrait bien avoir été de Valladolid à Valence avec l'envoyé de Mantoue et fait retour avec lui. Cette opinion nous semble moins plausible; selon nous, Rubens est revenu seul en février; cette date nous semble s'accorder mieux, comme nous l'avons dit, avec les indications de la pièce de vers de Philippe et avec un document dont il sera question plus loin. Quoiqu'il en soit, après avoir été distrait de ses travaux et absent pendant une année entière, Rubens est revenu à Mantoue. Son frère Philippe est allé à Louvain, où Juste Lipse l'attendait avec impatience avec la pensée d'en faire son successeur. Jean Richardot, nommé évêque d'Arras, est parti de Rome, depuis près d'un an, pour prendre possession de son siége. Parmi ses amis ou ceux de son frère, Erycius Puteanus, qui était à Milan, Jean van den Wouwere, qui voyageait en Italie, Hansen, qui demeurait à Rome, Juste Lipse qui était en relation avec eux, aucun, dans les lettres connues, ne parle du jeune peintre et nous ne possédons, nous l'avons dit souvent, aucune lettre de lui à sa famille ni à ses amis. Combien, pourtant, doivent avoir été intéressantes les nouvelles qu'il donnait de la cour d'Espagne, des intrigues qui s'y croisaient, du duc de Lerme, des résidents de Mantoue, des relations qu'il a dû nécessairement se créer là comme en Italie!

Ce qu'il importerait le plus d'avoir, c'est la notice des travaux exécutés pendant cette nouvelle période. Comme la période précédente à Rome, celle-ci fut marquée aussi par une oeuvre considérable: trois tableaux, une trilogie, peinte pour l'église de la Trinité, appartenant aux Pères Jésuites, à Mantoue. M. Baschet a extrait d'une Histoire restée manuscrite du collége de la compagnie à Mantoue, par le P. Gorzoni, un passage relatif à ce travail: “Il appartient au père Caprara de voir son administration signalée par l'hommage d'un inestimable trésor, celui des trois grands tableaux que le Sme duc Vincent lui fit remettre pour l'ornement perpétuel de notre église, pour honorer à la fois la compagnie et les cendres de la Sérénissime Duchesse, [244] sa mère, qui y avait fait élection d'une humble sépulture. Ces tableaux sont au nombre de trois, dessinés et peints par le célèbre Rubens, et représentant, le premier, qui est en face, le Mystère de la Sainte Trinité, comme titulaire de l'église, et dans lequel sont peints, grands comme nature, les portraits de tous ceux de la famille règnante de Gonzague, à savoir le duc Vincent et la Duchesse, sa femme, son sérénissime père, le duc Guillaume, et sa mère, tous ses fils et ses filles; le second, du côté de l'Evangile, est le Baptême du Sauveur par Saint Jean Baptiste; et enfin, le troisième, du côté où se lit l'Épitre, représente le Mystère de la Transfiguration: ouvrages aujourd'hui fameux dans le monde entier, et que demandent à voir tous les étrangers les plus versés dans les arts, et dont tous demeurent véritablement stupéfaits. S'il faut en croire la renommée, Son Altesse a payé ces tableaux mille et trois cent doubles: ce n'est pas la valeur d'un seul aujourd'hui.„

On connaît le triste sort de ces oeuvres. Après la prise de Mantoue, en mars 1797, l'église fut convertie en magasin à fourrages: “un commissaire français enleva le tableau de la Sainte Trinité et, pour l'envoyer en France, le fit tailler en plusieurs morceaux. L'Académie de Mantoue recouvra son bien, mais quelques-uns des morceaux sont perdus. Le peintre Pelizza restaura ce qui en est resté et on peut voir l'oeuvre mutilée, mais rayonnante encore, dans une salle de la bibliothèque de Mantoue. Dans cette partie sauvée, on remarque les portraits du duc Vincent et de la duchesse Eléonore (1).

Le Baptême de Jésus était resté en place et il eut, dit M. Baschet, un sort plus pitoyable encore que celui d'avoir subi quelques lacérations: la poussière et l'humidité, produites par l'amas de foin entassé dans l'église convertie en magasin, le détériorèrent à un tel point qu'on reconnut impraticable sa restauration, et il fut laissé aux mains de marchands milanais, accourus en ce temps-là pour négocier dans Mantoue.„ Aujourd'hui, le tableau, après de longues pérégrinations, se trouve au musée d'Anvers.

Quant à la Transfiguration, elle est au musée de Nancy (2). L'église, où se trouvaient ces oeuvres, sert aujourd'hui de magasin d'artillerie.

Du passage que nous venons de donner, d'après le P. Gorzoni, il parait [245] résulter, qu'en dehors de ses appointements, Rubens recevait encore des sommes relativement considérables pour les commandes qu'il exécutait sur les ordres du Duc. Sa position, au point de vue pécuniaire, aurait donc été excellente et l'on comprend qu'il tenait à son heureux servage de Mantoue. Cependant, il y a lieu de s'étonner que l'on ne rencontre, dans les archives des Gonzague, aucune mention des travaux commandés et payés à l'artiste. Les recherches de M. Baschet, celles de M. Braghirolli et les nôtres n'ont point réussi à nous fournir des éclaircissements à ce sujet. Cette lacune dans les comptes d'une maison princière est assez regrettable: on se demande ce que l'on exigeait du peintre pour les quatre cent ducatons à l'année qui lui étaient alloués.

Les archives de Gonzague ne sont pourtant pas tout-à-fait muettes. On y trouve des renseignements sur les oeuvres dues à Rubens qui existaient jadis dans les galeries ducales. Voici ce que le regretté chanoine W. Braghirolli a bien voulu nous transmettre à ce sujet.

Dans un inventaire des tableaux de la cour de Mantoue, dressé en 1627, on cite: un Ecce homo, de Pierre-Paul le Flamand (di Pier-Paolo fiammingo). Dans l'inventaire des objets d'art que possède Charles II, duc de Mantoue, inventaire fait le 10 novembre 1665, on lit:

Un tableau montrant le portrait de Madame Eléonore de Gonzague, de la main de Rubens.
Deux petits tableaux et esquisses de deux têtes, par Rubens.
Un petit tableau de la Nativité, de la main de Rubens.

Dans un inventaire estimatif de la galerie de S. A. dressé vers l'an 1700, on mentionne:

Une Nativité de la grandeur d'une coudée et demie, de Rubens.
Un tableau, grand d'une coudée et demie, représentant Ste. Elisabeth et St. Joachim, de Rubens.

Aucune de ces oeuvres n'existe plus à Mantoue; l'on ignore si elles ont été exécutées pendant les premières années du séjour de Rubens en cette ville.

Un coup-d'oeil sur l'histoire de Mantoue et de sa cour si vivante, si affairée, ne serait pas un hors-d'oeuvre dans ce recueil. Dans l'ignorance où nous sommes de la part que Rubens peut avoir prise dans l'un ou l'autre des événements, ceux-ci ne nous intéressent que très sommairement. Toutefois, il n'est pas à en douter: le séjour du peintre dans le petit duché a exercé une forte influence sur son caractère et ses inclinations; on ne vit pas impunément dans un milieu où s'élaborent sans cesse des plans de stratégie politique, on [246] n'est pas en relation habituelle avec ces raffinés agents d'affaires des princes italiens, on n'est pas soi-même un acteur plus ou moins muet dans quelque scène de comédie diplomatique, sans qu'il en déteigne quelque chose, sans qu'on y prenne goût soi-même. Pour nous, la vocation qui se manifestera un jour chez Rubens pour les affaires d'État, son aptitude pour les négociations difficiles, sont nées et se sont développés à la cour de Vincent de Gonzague. Les deux voyages, qu'à l'époque où nous sommes, il a déjà faits sur les ordres de son maître, et dans lesquels, sans être chargé lui-même d'une mission strictement diplomatique, il n'en a pas moins été un appoint d'ambassade, ces voyages ont été pour lui une première école. Les lettres qu'il écrivit alors nous ont montré déjà et nous montreront, de plus en plus clairement, combien il a su profiter des leçons d'habileté qu'il a reçues inconsciemment de maîtres tels que les agents des cabinets de Mantoue et d'Espagne.

Ce n'est pas ici le lieu de disserter sur l'influence que le séjour à Mantoue a pu exercer sur le développement du talent chez le jeune peintre: l'Italie toute entière élèverait des prétentions à cet égard. Il n'en est pas moins vrai que cette ville, berceau du chantre de l'Enéide et plus tard principal champ de travail des Mantegna et des Jules Romain, que cette ville était par ses souvenirs, par ses monuments, par ses trésors artistiques, un foyer vivifiant pour l'étude, une source inépuisable d'inspiration. Depuis qu'elle était devenue l'apanage d'une dynastie ayant, autant que les Médicis et les d'Este, la passion des arts, elle est un musée où les belles oeuvres de la statuaire antique foisonnent à côté des pages merveilleuses des Mantegna, du Titien, de Tintoret, du Primatice. La vue journalière de tout ce que les Gonzague ont recueilli devait tenir l'esprit de Rubens dans une perpétuelle élévation, et entretenir en lui une affection sincère, tant pour la cité que pour la famille qui la gouvernait, une affection dont le témoignage se retrouve dans plus d'une de ses lettres.

Il ne fut donc pas indifférent, il faut l'admettre, aux événements qui se passèrent dans le lieu de sa résidence habituelle en Italie: il nous sera permis d'en dire quelques mots ici; ils forment, en quelque sorte, le cadre de sa vie pendant cette période.

Nous avons déjà dit deux mots de Marguerite, duchesse de Ferrare, soeur de Vincent de Gonzague. Cette princesse a laissé d'elle des souvenirs peu sympathiques. Son époux, Alphonse II, est ce petit potentat qui, l'on ne sait encore au juste pourquoi, enferma le Tasse dans un hôpital de fous et l'y retint pendant sept ans, malgré les supplications du poète et l'intervention [247] de tous les princes d'Italie et du Pape lui-même. Il fut inflexible et la princesse, sa femme, suppliée de même, fut aussi inflexible que lui. Les trois lettres très sèches que le Tasse lui écrivit, témoignent du ressentiment que le grand poète éprouvait contre elle (1). Elle doit partager avec son époux le blâme que la postérité attache à leur mémoire. Heureusement, le Tasse trouva des protecteurs énergiques dans la duchesse de Mantoue, Léonore d'Autriche, la propre mère de Marguerite, et dans le duc Vincent, le frère de celle-ci, alors encore prince héréditaire. Celui-ci réussit enfin, en juillet 1586, à tirer le poète de son injuste prison.

En 1597, elle était revenue à Mantoue, comme nous l'avons vu, et y fonda un couvent. En 1601, pendant que Vincent était allé guerroyer en Hongrie, elle avait, par son ordre et malgré elle, été envoyée dans le Montferrat pour gouverner ce petit apanage situé à l'extérieur et assez remuant. Après la guerre, elle revient dans sa retraite de Mantoue et y oppose sa petite cour sévère et frondeuse à la cour frivole et dissipée de son frère. Cette sorte de blâme produisit de grands effets dans l'esprit du peuple, déjà indisposé par l'accroissement des impôts et les suites désastreuses de la dernière expédition militaire. Un incident, provoqué par cette situation, ou arrivé simplement en coïncidence, faillit conduire à une véritable révolte.

Un moine franciscain nommé Fra Bartolomeo Cambi di Soluthio, qui promenait en Lombardie ses fougueuses prédications, arrive à Mantoue, soit qu'il y fût appelé, soit qu'il y fût attiré par la célébrité de la ville, et commence à y exercer son ardent apostolat. Il tonnait contre les vices, la licence, l'impiété; les églises ne se trouvaient pas suffisantes pour contenir la foule qui venait l'écouter. Il prêchait alors en plein air, quelquefois devant douze mille auditeurs. Il faisait, dit-on, des miracles, guérissait les malades, dévoilait les secrets des âmes, connaissait les choses futures. Sa parole s'acharnait surtout contre les juifs, très nombreux à Mantoue où ils occupaient un Ghetto qui n'avait nullement un aspect sombre et cruellement triste comme ceux d'autres lieux en Italie. Le moine accusait les juifs de tous les crimes: il fallait les rejeter hors de la ville et les tuer. Il accusait vivement le duc Vincent d'être indulgent et bon à l'égard de ces criminels, et le peuple écoutait favorablement ces anathèmes lancés contre le prince.

Celui-ci s'émut du danger; il renforça la garde de son palais et commit [248] des troupes pour défendre et protéger les juifs, auxquels il ne trouvait rien à reprocher.

Pour l'obliger néanmoins à se tourner contre ces malheureux, on produisit une figure de moine confectionnée, disait-on, et outragée par les juifs. A tort ou à raison, on se saisit de quelques uns, on instruisit une affaire et on les mit à mort. C'était odieux, mais cette exécution calma pour un moment l'effervescence populaire. Néanmoins, le Duc, qui n'en voulait pas aux juifs auxquels il recourait dans ses embarras financiers, le Duc dut prendre des mesures pour arrêter le mal produit par les prédications extravagantes du franciscain. Il s'adressa au Pape Clément VIII, qui ordonna au moine de se rendre à Rome où il le fit interner dans un couvent en guise de prison (1).

Ces évènements se passèrent en 1602 pendant que Rubens se trouvait à Mantoue. Quelque temps après, le Duc fit ce voyage à Naples dont il a question plus haut dans une lettre d'Iberti. Vincent de Gonzague souffrait d'un mal aux genoux pour lequel les médecins lui conseillèrent les eaux de Naples qui, en effet, lui firent du bien. Après une réception magnifique de la part du vice-roi et des fêtes de tout genre, ce qui ne déplaisait pas au Duc, celui-ci revint par mer à Gênes, d'où il passa par le Monferrat pour rentrer à Mantoue. A son retour, les cartes commençaient un peu à se brouiller avec l'Espagne: mais ce ne fut qu'une fausse alerte.

La Commission fixant les honoraires de Rubens est avenue, sans doute, à la suite d'un renouvellement du contrat entre le peintre et le Duc. Au retour du voyage en Espagne, satisfait et fier peut-être de son serviteur, le Duc a voulu se l'attacher plus solidement. Et, chose remarquable, l'affaire coïncide, date pour date, avec les efforts faits par Gonzague pour avoir à sa cour un homme dont le nom brille dans la science avec autant d'éclat que celui de Rubens dans l'art: Galilée.

Le professeur de Padoue était déjà célébre par quelques-unes de ses grandes découvertes: l'attirer à la cour des Gonzague devait venir à l'idée de Vincent. Il y avait eu autrefois, pendant quelque temps du moins, le poète de la Gerusalemme; quelle gloire n'eût-il point procuré à son règne, en se constituant le Mécène de Galilée! Car, il faut le dire avec M. Favaro, si Vincent a été plus soucieux de s'entourer de comédiens et de danseuses que de savants, il n'oubliait pas qu'il avait appris les mathématiques avec Moletti [249] et il correspondait avec Antoine Magini. Il connaissait personnellement Galilée pour l'avoir vu à Padoue et conféré avec lui sur le compas de proportion. S'il cherchait à l'attirer auprès de lui, ce n'était donc pas tout-à-fait par ostentation pure: la curiosité scientifique y était pour quelque chose.

Quoiqu'il en soit, il est certain qu'au commencement de l'année 1604, Vincent fit à Galilée des propositions formelles. Il résulte d'une lettre de ce dernier, du 22 mai, qu'avant cette date, il était venu deux fois à Mantoue, pour s'aboucher avec le Duc à ce sujet. La première fois, ce fut vers le 20 mars et l'illustre professeur dût avoir rendu déjà au Duc un grand service, car on trouve dans les registres des dépenses et recettes de Galilée, qu'au 24 avril il reçut de Vincent un cadeau de 1900 livres et de Charles de Gonzague deux soucoupes en argent, de la valeur de 440 livres. Le Duc lui avait offert trois cent ducats de gages, plus un bon entretien et celui d'un domestique. Galilée demandait cinq cent ducats et 3 spese, c'est-à-dire l'entretien de trois personnes (1).

Les négociations n'eurent point de suite, soit que Galilée ait craint d'entrer au service d'un prince aussi capricieux que l'était le Duc, soit qu'il eût déjà l'idée de retourner à Florence, ainsi qu'il le fit quelques années plus tard, soit aussi que le Duc ait trouvé excessives pour son budget les prétentions de Galilée.

D'après sa lettre du 22 mai, l'illustre mathématicien parle de son retour à Mantoue pour la comédie (al ritorno per la commedia). On n'a pas expliqué le sens de ces mots: il semble qu'ils se rapportent à quelque représentation extraordinaire à laquelle on aurait invité Galilée. Il ne s'agissait pas d'un drame musical: le premier opéra, l'Orfeo, oeuvre de Claudio Monteverdi, ne fut exécuté que trois ans après (2); il est question peut-être du retour de la fameuse troupe de M. de Mantoue. Celle-ci venait de faire les délices de la cour du roi Henri IV et revenait au pays. Malheureusement, elle perdit en route sa plus brillante étoile, Isabelle Andreini, morte à Lyon, le 11 juin 1604. Les fêtes, les divertissements si nombreux de la cour subirent, d'ailleurs, le 5 août, un autre arrêt par le décès de la mère du duc Vincent, Léonore d'Autriche. Elle était fille de l'empereur Ferdinand et se distingua par [250] de sérieuses et nobles qualités. Le peuple mantouan lui portait une haute vénération.

Nous ne savons si Galilée revint de nouveau à Mantoue, mais il est certain qu'il y fut au moins deux fois pendant que Rubens y était lui-même: ils doivent s'être rencontrés au palais. Nous avons déjà fait remarquer qu'il existe des traces de rapports entre ces deux hommes si dignes de se connaître.


LXI
FRANCESCO PASOLINI AD ANNIBALE IBERTI.

Hieri mattina fu il mio ritorno da Venegia con salute, Iddio gratia, et di subito procurai di havere le due partite che restavano al saldo del conto che mandai a V. S. Ill. delli mille ducento reali che lasciò in mane al Sr Pietro Paolo, che per inanzi non ho potuto havere; et pur hieri me le dette, l'una delle partite di rli 125 furono spese in doi mulle pigliate in Valenza per condurre li guadamacili de V. S. Ill. a Vinaroz, et in una cavalcatura per grillo rli 120 concertate et pagate dal sodto, che sommando con li 928 del conto presso lei, concordano avantagiosamte con li sopradti 1200. Restando però altra somma di spese da dto Pittore (Pietro?) Paolo fatte, fori di questo conto particolar per bisogno di lei, che per esser lui fuori et io frettato dal portator di lettere non ho potuto conferirlo. Però se sara in gusto di lei di saperlo, io lo intenderò et farò avvisata. Et se resta in ciò sodisfata, ne sentirò contento, et gliene la prego in altro comandarmi...

Di Mantova, li 22 Giugno 1604.Di V. S. Ill.
Hum. serre,

Frano Pasolini.


Adresse: Al mto Ill. mio Sre et Patne Colmo il Sr Annle Iberti Secretio dignmo dell' A. S. di Mant. a Casale.


Original à l'Archivio Gonzaga. — Cité par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts. XXII, 307. — Texte inédit.


[251] TRADUCTION.
FRANCESCO PASOLINI A ANNIBAL IBERTI.

Hier matin, je suis revenu de Venise en bonne santé, grâce à Dieu, et immédiatement j'ai pris soin d'avoir les deux notes qui restaient pour le réglement du compte que je vous ai envoyé de 1200 réaux lesquels j'ai laissés en mains du Sr Pierre-Paul. Je n'avais pu obtenir ces notes plus tôt; il me les a données hier. L'une, de 125 réaux a servi à payer deux mules prises à Valence pour conduire vos cuirs dorés à Vinaroz, l'autre, pour une monture de fantaisie, est de 120 réaux réglés et payés par le susdit. Le total, avec les 928 réaux du compte que vous avez, concorde avantageusement avec les 1200 réaux susdits. Il reste enfin une autre note de dépenses faites en dehors de ce compte par le susdit peintre Paul, pour des affaires à lui personnelles; mais comme il est sorti et que je suis pressé par le courrier je n'ai pu le consulter. Enfin, si vous désirez en être instruit, je m'aboucherai avec lui et je vous en aviserai. Je serais heureux de vous satisfaire en cela, et vous prie de m'honorer de vos ordres.

De Mantoue, le 22 juin 1604.Votre très humble serviteur,

Francesco Pasolini.


COMMENTAIRE.

M. A. Baschet se fonde sur cette lettre, émanée de quelque comptable, pour tracer en quelque sorte, l'itinéraire du retour de Rubens en Italie. Il semble, en effet, résulter de ces quelques indications vagues que le peintre aurait accompagné Iberti lorsque celui-ci se rendit en décembre 1603 auprès du roi Philippe III, alors à Valence: c'était le chemin du retour. Mais est il resté en cette ville jusqu'au 11 ou 15 mars, date du départ d'Iberti, pour revenir avec lui? Ceci nous semble douteux et le document ci-dessus nous paraît même fournir une preuve nouvelle de séparation.

Iberti et Celio Bonatti, nous le savons, ont suivi le roi à Valence: ils avaient encore à traiter de questions diplomatiques: quant à Rubens sa mission était terminée; il n'avait plus rien à faire en Espagne. Il ressort de la lettre ci-dessus que Pasolini lui remit de la part d'Iberti 1200 réaux qui ont servi, évidemment, à payer les frais du retour. Si Rubens était revenu en [252] compagnie d'Iberti, c'est celui-ci qui aurait pourvu aux dépenses, puisqu'il tenait les crédits du Duc et le peintre n'eût pas eu à lui rendre des comptes.

Nous croyons donc que Rubens, muni des 1200 réaux remis par Iberti, a quitté celui-ci, quelque temps après leur arrivée à Valence. Il achète en cette ville deux mules pour conduire à Vinaroz des cuirs dorés acquis en Espagne par Iberti et c'est probablement dans ce petit port qu'il s'embarque pour l'Italie, où nous croyons qu'il dût être rendu vers février. Iberti ne peut y être arrivé, selon M. Baschet, que vers le milieu d'avril: un peu plus tard, il présente ses comptes et c'est à cette occasion qu'il a besoin de la note particulière des dépenses de Rubens pour la justification de l'emploi des 1200 réaux qu'il lui a avancés en Espagne.

L'opinion du retour isolé de Rubens se fonde encore sur une circonstance que nous apprend. M. Baschet, celle du défaut absolu de lettre de lui ou de mentions de son nom dans les dépêches des résidents, depuis octobre 1603, c'est-à-dire pendant le voyage de Valladolid à Valence et de Valence en Italie.


LXII
JUSTUS LIPSIUSGASPARI SCIOPPIO. ROMAM.

Rubenius noster reversus, vir, quem nosti, et si nosti, amas: Rubenius, inquam, multa mihi de te rettulit, et in me affectu, nec ipse sine suo affectu, quod utrumque volupe mihi fuit. Mi Schoppi, es in locis, ubi olim sedes doctrinae, elegantiae, prudentias: excita, quantum in te est, et posteros illos ad majorum gloriam voca. Ingenium, cultum, usum habes: eo, quo dixi, dirige, et ipse ad metam illam triplicem veni. Nos jam affecti, et in regula ultima stantes, scriptis conamur ducere: et Stoica fortasse nostra videris, non poenitendum mihi aut posteris (cum fiducia dicam) opus. Atque haec in mediis turbis, fluctibus rerum conamur, cum Mars saevit, cum jus et fas periit, et quies ac securitas, non nisi nomine nobis blandiuntur. O quando temporum, et ubi locorum nati sumus! Sed ordinem mundi adspicio, et grata habere imbibi, quae aeterna lex jussit esse rata. Tu fruere Roma, et [253] paratissima, si unquam, Roma: et fac etiam otii tui ratio exstet, aut jam nunc dicam tibi in Areopago scribo. Lovanii, postrid. Idus sextil. 1604. Imaginem tuam Rubenius a te mihi dedit, ab aere expressam: libens vidi, libentius typum, si fata dederunt.


Burmannus, Sylloges epistolarum, etc. Leidae, 1727. T. II, p. 52. Ep. DCCLXIV. Cette lettre avait paru d'abord dans l'Amphiotides (p. 149) de Scioppius. Burman la reproduisit à cause de la rareté de ce livre.


TRADUCTION.
JUSTE LIPSE A GASPAR SCIOPPIUS.

Notre Rubens est de retour: vous connaissez l'homme, vous devez l'aimer. Il m'a beaucoup parlé de vous, il m'a dit votre affection pour moi, votre affection pour lui: deux choses qui m'ont fait grand plaisir. Vous êtes, cher Scioppius, dans une ville qui fut jadis le siège de la science, du bon goût, de la sagesse: employez tout ce qui est en vous pour ramener la postérité actuelle à la gloire des ancêtres. Vous avez l'intelligence, l'instruction, l'usage; dirigez-les vers le but que je vous indique: vous l'atteindrez par cette triple voie. Je suis malade, j'arrive au dernier terme, j'essaye encore d'être un guide par mes écrits; vous verrez peut-être mes Stoïca, une oeuvre dont personne ne sera mécontent, ni moi ni ceux qui me survivront, je le dis en confiance. Et tout cela, je le fais au milieu de nos troubles, du flot des évènements; pendant que sévit la guerre, que le droit et le devoir périssent, que le repos et la sécurité n'existent plus que de nom. Oh! en quel temps, en quels lieux nous avons reçu le jour! Mais je contemple l'ordre du monde et suis heureux d'avoir toujours aimé ce que la loi éternelle approuve et commande. Jouissez donc de Rome et de Rome mieux disposée que jamais envers vous; faites aussi qu'il reste un fruit de votre loisir, sinon je dirai dès à présent que je vous écris dans l'Aréopage. Louvain, 14 août 1604.

Rubens m'a donné, de votre part, votre portrait gravé: je l'ai vu avec plaisir, je verrais avec plus de plaisir encore celui qu'il représente, si le sort me le permettait.


COMMENTAIRE.

Dans une lettre précédente nous avons vu paraître déjà le nom d'un personnage assez fameux que Philippe Rubens dit être son ami: Gaspar [254] Scioppius ou Schoppius. Celui-ci fut en rapport non seulement avec Philippe, mais aussi avec Pierre-Paul: il nous faut donc parler ici de ces relations.

Gaspar Scioppius est né en 1576 dans le Palatinat, de parents nobles, d'après les uns et d'après lui-même, d'infimes prolétaires d'après les autres. Cependant il put faire des études suivies et coûteuses, car il fréquenta les écoles d'Amberg, de Heidelberg, d'Altorf, d'Ingolstadt, puis il voyagea et vint en Italie, en 1597. Doué d'une prodigieuse facilité, ayant acquis beaucoup de savoir, extraordinairement habile et dénué de tout sens moral, déjà connu par quelques ouvrages, il arrive à Rome et y trouve aisément l'occasion de se lancer. D'abord, il y publie, en 1598, un panégyrique du Pape Clément VIII, abjure le protestantisme, converti, disait-il, par la lecture d'un volume des Annales Ecclesiastici de Baronius. Grâces à ce cardinal, il obtient du pape une pension de 15 écus par mois; puis les cardinaux Cesi, Borromée, Camerino, Dietrichstein, Madrucci se disputent l'honneur de se l'attacher. Il choisit Madrucci qui le loge en son palais. Avec tout le zèle d'un néophyte intéressé, il lance des écrits violents contre les Réformés ou des traités en faveur du Saint Siége, qui lui valent de la part du pape une pension de 600 florins du Rhin, une maison dans l'enceinte du Vatican, le titre de camérier pontifical et de préfet de la typographie vaticane. Dans la suite, les honneurs continuèrent à pleuvoir sur lui: il devint successivement patrice de Rome, chevalier de S. Pierre, conseiller du roi d'Espagne, de l'empereur, de l'archiduc, comte Palatin, enfin il fut créé comte de Claravalle. On paya largement par ces titres son audace, sa violence et son incontestable talent de polémiste. En 1607, passant par Venise, il entre en conférence avec Fra Paolo Sarpi, sur la fameuse question de l'interdit; mais ayant mis trop de zèle dans ses démarches, il est mis en prison et y reste trois jours. Étant passé en Autriche, il y reçoit grand accueil, revient en Italie, d'où en 1608 il retourne dans son pays natal. En 1613 il se rend en Espagne, où il lui arrive d'être bâtonné par les gens de l'ambassadeur d'Angleterre lequel voulait le punir des attaques qu'il avait dirigées contre le Roi.

Il quitte l'Espagne, se rend à Ingolstadt, puis en Italie et se fixe à Milan d'où il dut fuir aussi. Enfin, en 1636, il se retire à Padoue et y meurt dans l'oubli en 1649 après une vie errante, agitée, en somme peu glorieuse, malgré les titres et les faveurs qu'il reçut. Il a écrit au delà de cent ouvrages, fruits d'un labeur d'esclave, d'une science assez vaste, mais surtout, la plupart du temps, produits d'une activité dévorante que stimulaient la haine, la vanité, le dépit de n'avoir su acquérir l'estime de personne. Il a eu [255] des protecteurs qui payaient bien ses services faméliques, il a eu des flatteurs qui craignaient ses violences, il n'a jamais eu d'amis. En un mot, Scioppius est une figure assez exceptionnelle parmi les savants du XVIIe siècle, une figure peu avenante. Les quelques services qu'il a rendus aux lettres n'ont pu sauver sa mémoire de l'odieux renom qu'il s'est attiré par son détestable caractère et ses mauvaises actions (1).

Nous sommes obligé de nous étendre un peu sur lui, à cause de sa liaison avec Philippe Rubens et des rapports qu'il a eus avec Pierre-Paul, rapports dont il n'existe que de faibles traces, mais qui se lient avec ceux que le peintre eût plus tard avec Peiresc. L'homme n'est pas, d'ailleurs, sans avoir exercé quelque influence sur la carrière même des deux frères Rubens, ainsi qu'on le verra par ses lettres.

C'est par Juste Lipse que Philippe Rubens a été, le premier, mis en relation avec l'âpre et savant personnage.

Avant 1600, Scioppius avait adressé déjà une lettre au professeur de Louvain, qui n'y avait pas répondu. Le 6 janvier 1600, il lui écrit une lettre de rappel, que nous donnons ici toute entière, malgré sa longueur, parce qu'elle caractérise l'individu et donne quelques détails intéressants. Nous essayons de la traduire, malgré les difficultés qu'opposent çà et là son style hâché et sa latinité compacte et obscure.

Gaspar Scioppius, chevalier franc, à Juste Lipse (2).

“Vous approuverez, je l'espère, ma témérité: votre long silence ne m'empêche pas de vous importuner de nouveau, en venant vous distraire de vos occupations sérieuses et certainement importantes, et de manquer ainsi, en quelque sorte, à l'utilité publique. C'est une preuve de ma confiance en votre bonté; car, j'en suis certain, votre silence n'est pas dicté par la négligence ou par le mépris de ma jeunesse; il doit provenir de motifs justes et raisonnables, peut-être vient-il de ce que vous aimeriez mieux me répondre de bouche que par des lettres, vous qui n'avez pas encore renoncé à votre projet de venir en Italie. J'accepte ces motifs, quoique je sache que Juste Lipse n'a pas toujours le loisir de répondre à toutes les lettres de tous ceux qui lui [256] en adressent, et de préférer à ses travaux sérieux les futilités des autres. Le respect de vos occupations m'aurait encore persuadé aujourd'hui de ne pas vous ennuyer d'un rappel, s'il ne se présentait d'autres raisons d'agir autrement. D'abord, mon affection pour vous, qui augmente en moi à mesure que j'avance en âge, ne souffre plus de délais et de retard de correspondance: vous le comprendrez aisément, j'en suis sûr, en vous rappelant votre propre jeunesse, car vous n'avez pu vous empêcher d'avoir, vous aussi, éprouvé la passion des grands hommes. J'y suis poussé, ensuite, par les conversations journalières que nous tenons sur vous, Michault, les deux Raphelenghien, François et Juste, moi et autres de vos fervents. Enfin, vos Admiranda m'obligent à ne pas vous laisser dans l'ignorance de ce que nos Romains ici se proposent d'en faire. Sachez donc que j'ai proposé le premier à mon ami Philippe Pigafetta, de Vicence, de traduire votre ouvrage en italien, afin que nos Romains apprissent, par le Varron de notre temps, ce qu'ils ont été, ce qu'ils sont, et où ils sont (1). Puis, sur l'ordre du Révérendissime Bernardino Paolucci, Dataire du S. Siège, j'ai fait imprimer vos Admiranda, en même temps que ceux de Stapleton avec une préface dédiée au Dataire, ce qui — je vous le confie — ne sera pas désapprouvé pour divers motifs: ainsi, par exemple, elle dira que votre livre se trouve en vente à Rome, ce qui est dit à propos des hérétiques qui viennent ici en grand nombre, afin qu'ils ne puissent lire le de Magnitndine Romana de Juste Lipse, sans acheter en même temps le livre de Ecclesiâ Romana, de Stapleton, bien que celui-ci soit très inférieur au vôtre et par le style et par l'érudition. Enfin, on a suivi l'avis de vos amis Velserus, Wackerius et d'autres, et même celui du Dataire, qui certes vous aime et vous estime. J'espère que leur idée ne vous déplaira point, au moins en ce que j'ai ajouté une préface au livre: un morceau de toile à un manteau de pourpre. Mais veuillez considérer que l'on n'a pas ici l'intention de réimprimer vos ouvrages pour les mettre entre les mains des érudits, mais qu'on veut les faire connaître aux gens de Rome et aux voyageurs qui viennent ici; et ceux-là peuvent être satisfaits par une édition de Schoppius. Du reste, la préface ne renferme rien qui ne soit plus utile de dire que de laisser ignorer à ceux dont je viens de parler: j'y ai ajouté, autant que je l'ai pu, la mention de tous les services que vous avez rendus à ceux qui aiment les lettres et l'histoire. Dès que le volume sera imprimé, je vous en adresserai un exemplaire.

[257] Si ce n'est pas abuser de votre attention, je vous dirai que mes études sont presque toutes dirigées vers la Théologie: ces études sont, je le sais, assez étrangères aux Allemands de condition noble (Germanis equestri loco natis) et surtout à mes compatriotes de Franconie (a Francis meis); mais elles me sont nécessaires pour motiver mon retour au Catholicisme, afin que ceux dont les parents ont quitté cette religion avec légèreté ne croient pas que j'aie agi légèrement.

J'ai donc écrit et publié plusieurs lettres à Rittershusius et à d'autres, sur les principaux points de controverse; j'envoie en ce moment en Allemagne Erga Anni Jubilaei (1), c'est-à-dire, un commentaire sur les Indulgences, auquel je joindrai un Parergon de cette même année, c'est-à-dire, sur les choses dignes d'être vues et observées à Rome; quoique peut-être on ne doive pas s'attendre à des choses de ce genre de ma part, et que peut-être je ne doive pas les écrire. Mais rien ne m'est plus à coeur que de tout faire pour ramener les hérétiques à la vraie foi. Puis, je médite une critique des Notes sur Tertulien de François Junius, à qui j'aurais voulu voir plus de bonne foi et de sincérité en s'occupant des anciens Docteurs de l'église (2). Vous savez que je dis vrai. Les notes de Rittershusius sur Gunther sont de la même valeur (3); d'ancienne date, du reste, il jette les injures aux Souverains Pontifes. Mais j'userai d'une modération telle, que ni mes adversaires, ni mes lecteurs ne s'en offenseront.

Dans ces dernières semaines, j'ai aidé Gruterus d'une main amie. Il prépare une édition des inscriptions antiques qui contiendra le double de votre édition de Hollande. Quoique je sois très occupé, j'ai pu terminer pour lui la comparaison du texte imprimé avec l'autographe de Smet (c'est-à-dire une copie faite avant l'incendie de la maison de celui-ci), j'ai pu ainsi corriger de nombreuses erreurs, et même lui envoyer une centurie entière, et plus, d'inscriptions inédites: j'en ai demandé plusieurs à Fulvius (Orsini), à Horatio de Valle, jurisconsulte romain et à Joseph Castalione; aussi j'espère que Gruterus fera grand cas de ce travail. J'ai écrit sur les Cruciarii de Wackerius, [258] mais rien n'a paru, je crois, Wacker étant en voyage. Entretemps, vous pouvez être persuadé qu'il n'y a rien là qui ne soit tout à votre honneur, ce dont notre ami commun M. Michault peut témoigner, car je lui ai déjà donné à lire ces notes sur Wacker.

Ce que je vous ai demandé dernièrement, je vous le demande de nouveau: dites-moi votre sentiment sur mes opuscules critiques, si vous les avez vus déjà. Avertissez-moi, corrigez-moi, comme s'il s'agissait de votre disciple, ce que je suis, du reste, je l'avoue volontiers; car vous êtes le docteur public, notre maître commun à tous, et c'est le sort contraire, seul, qui m'a empêché d'être votre auditeur. En même temps apprenez-nous ce que nous devons nous promettre du Thraséas et de votre grand recueil de politique (1), car nous attendons vivement ces deux ouvrages. Pour ne pas les attendre trop longtemps, je prie Dieu de vous accorder une vie longue et toute la vigueur de la santé. Pardonnez-moi de vous avoir écrit aussi librement, c'est-à-dire, avec tant d'importunité. Rome, lendemain de l'Épiphanie, 1600.

Il y a ici plusieurs autres savants très devoués au nom de Juste Lipse, entr'autres vos compatriotes Jean l'Heureux (Macarius) et Henri de Grave, secrétaire du cardinal Madrucci, dont j'habite le palais. Mais je vais émigrer bientôt au Vatican. Il y a aussi mon compatriote Léonard de Gutenstein, jurisconsulte de Bamberg; tous sont des amis de mon cabinet d'étude et me chargent de vous présenter leurs hommages.„

Juste Lipse répond à cette lettre le 7 février (2): “Je vous félicite, mon cher Scioppius, d'être à Rome et j'en suis heureux. Rome, c'est la lumière des peuples: elle a été autrefois la citadelle de la domination; aujourd'hui, elle est la forteresse de la religion antique et vraie. Courage, jeune homme, poursuivez cette voie: elle vous conduit à la gloire ici bas et à la gloire de l'éternité. Vous brandissez la plume contre ceux qui ont fléchi: c'est bien; mais suivez mon conseil: faites-le toujours avec modération, même avec charité, afin de les attirer à vous plutôt que de les éloigner, afin de les instruire plutôt que de les combattre!„

[259] Puis il le prie de donner de ses nouvelles et de saluer Raphelengius, s'il est en ce moment à Rome.

Heureux d'être, enfin, entré en relation avec le plus illustre des triumvirs de la république des lettres, Scioppius se hâte, le 4 mars, de lui envoyer une nouvelle missive, dont voici la partie intéressante:

Gaspard Scioppius à Juste Lipse (1).

“Je n'ai jamais douté de votre bienveillance: vous ne pourriez vous en départir sans opérer un changement de vous-même. Néanmoins votre dernière lettre m'a extrêmement ému: il me semble que votre bonté augmente à mesure que je me sens moins digne de l'amitié d'un homme tel que vous. C'est donc à bon droit que je vous aime et que je vous vénère; ce qui vous est dû tout particulièrement. Je serais le plus ingrat des hommes si je ne vous montrais pas toujours et partout que je tiens à votre affection et que je veux suivre vos avis. Pour être arrivé à reconnaître la vérité, je dois beaucoup à Dieu, sans doute, et ma faiblesse d'homme et de jeune homme ne pourra jamais dans sa gratitude être à la hauteur du bienfait. Toutefois je veillerai soigneusement à faire la seule chose qui me reste à faire: je n'enfouirai pas le talent que Dieu m'a confié; je travaillerai à procurer au plus grand nombre le bonheur dont le Ciel m'a favorisé, et à cet égard, je trouve excellent votre conseil d'user de modestie et de tolérance. Et pour vous montrer combien votre Scioppius est disposé à vous obéir, je prends de nouveau en main mon commentaire sur les indulgences, prêt à en ôter ou à y changer tout ce qui pourrait offenser nos Luthériens. Peut-être sacrifierai-je à regret des parties qui me semblent ce que, vu mon âge: 23 ans, j'ai écrit de plus ardent et de plus subtil; je les sacrifierai quand même, parce que ce sera, pour moi, obéir à la volonté de quelqu'un dont on ne peut pas recuser les avis.

Mais, mon cher Juste Lipse, je vous demande en grâce une faveur. Mon sort, ou le destin n'a pas voulu que vous fussiez personnellement mon guide dans les lettres ou dans la vie: fournissez à ma jeunesse un conseil salutaire, un conseil dont je puisse me servir, en m'élevant un peu au-dessus du vulgaire, selon l'habitude de Rome et des Romains. Je suis l'objet d'une faveur de Dieu — car je ne dirai pas: de la Fortune — sans avoir aucun mérite, je vois tout ce qu'il y a ici de grands hommes non seulement m'accorder leur amitié, mais encore si bien me recevoir dans leur familiarité que je connais bon nombre de gens qui cherchent en cela à devenir mes rivaux, et que [260] peu néanmoins y réussiront comme moi. Dès que je suis arrivé à Rome, sans que j'aie demandé rien, l'illustre Baronius a obtenu pour moi du Pape une pension de 15 écus par mois, pension donnée selon l'usage à ceux qui ont eu l'honneur d'être admis au nombre des chevaliers de S. Pierre. Plusieurs cardinaux, ensuite, me firent des propositions: les cardinaux Cesi, Borromée, Camerino, Dietrichstein, Madrucci et d'autres. Je choisis les offres de ce dernier, afin d'habiter son palais où je m'attendais à trouver le plus grand repos, car le cardinal lui-même m'avait fait savoir qu'il préférait mon intelligence à mes services et à mes courbettes de cour. Entretemps, le Pape augmenta mes honoraires à 600 florins du Rhin, il m'offrit même une demeure particulière dans son palais du Vatican, afin que je puisse m'y former une cour dans sa cour. La bienveillance du Pontife et de son Dataire ne s'est pas arrêtée là; il est question de me nommer camérier pontifical et directeur de la typographie Vaticane. Si cela se fait, je possèderai certainement le mont Picus que l'on dit être d'or. Mais quoique l'on en décide, mes affaires sont actuellement dans une voie excellente: je ne désire plus rien que le conseil de mon cher Lipse pour qu'il me soit donné d'user, sans abus, de tant de prospérité. Vous verrez donc ce qui doit être observé pour son bien, par celui qui, vous le savez, vous a voué une foi toute germanique, par Schoppius...

Nous n'avons pas encore reproduit vos Admiranda; hier seulement nous avons obtenu de l'excellent Baronius un exemplaire de la deuxième édition, que j'aurai le plus grand soin de suivre fidèlement. Dans mes études, je me suis occupé, ces jours derniers, de choisir une gerbe de notes sur Apulée. Je vais les coudre ensemble pour les Raphelenghien de Leide; je ne sais si j'y joindrai une édition d'Agellius dont il y a de bons manuscrits au Vatican et de meilleurs chez Fulvius.

(Suivent des corrections d'Apulée.)

Voilà, extraites d'un plus grand nombre, quelques petites notes que je vous envoie. Pardonnez-moi si j'ose vous écrire si négligemment et à la hâte. Songez que vous avez affaire à un courtisan qui, tout en étant très occupé, n'a pas voulu, aujourd'hui, laisser partir M. Michault, sans lui donner une lettre pour vous. Rome, le 4 mars 1600.„

Malgré la déférence et la modestie dont Scioppius a essayé de faire preuve dans cette lettre, il y règne une telle vanité que Juste Lipse, nous semble-t-il, doit avoir eu peur d'un homme qui se place lui-même à une si grande hauteur. On ne trouve plus de correspondance entre eux, jusqu'à la lettre du 14 août 1604 que nous venons de publier. Ils sont cependant entrés [261] de nouveau en rapport; on peut admettre, d'après le ton de cette dernière missive, que les relations entre les deux hommes se sont renouées à l'occasion de Philippe Rubens. Celui-ci, se rendant à Rome, se sera muni d'une recommandation de Juste Lipse et, à son retour en Belgique, aura fourni l'occasion de remercier Scioppius de tout ce qu'il a fait pour l'élève chéri du professeur de Louvain.


LXI
SCIOPPIUSJUSTO LIPSIO.

Jam scio quid sit amor. Hic nempe Rubenium nostrum induxit ut non ipse solum, quae in me insunt tenuia et infra mediocritatem posita, opinione sua augeret, sed tibi quoque, vir clarissime, erepta, qua in aestimandis ac probandis ingeniis uti soles, elegantia, nescio quid magni de virtutibus scilicet meis persuaderet. Sed non ego me sic prorsùs ignoro, ut ea mihi adesse putem, quae vi quadam et abundantia amoris amici mihi tribuunt. Et vel ipse Rubenius mihi testis esse potest, quàm saepe ac seriò in sermonibus onerari me hominum tam praeclara de me existimatione conquestus fuerim, cùm ipse quotidie magis ac magis tantum mihi adhu(c et) hominis vel mediocriter literati laudem deesse deprehenderem, ut absque stoicis nostris esset, meritò quantum in literis profecissem poenitere me deberet. Unum tamen est, quod illum hominum errorem adeò non odiosum aut molestum mihi reddit, ut etiam, si per stoicos liceat, cum mihi optandum esse judicem. Ejus nempe beneficio quotidie ferè occasiunculam aliquam adipiscor de Religione ac patria, saepe etiam de amicis eorumque rebus bene merenti: eaque ex re tantum voluptatis capio, ut nonnumquam septimanas integras a libris meis abduxi, et in atris magnatum inter ceteram salutatorum et palatinorum turbam occupari minus molestè feram. Facercm quidem, quod me mones, ut Romanos nostros ad majorum gloriam vocarem, si vel illis pravum suum tam penitùs insitum judicium, quo pulchrior ipsis videtur massa auri, quant quidquid Lipsius, [262] Scaliger, Turnebus, delirantes Transalpini scripserunt, evelli ex animis posset, vel ego ingenii, cultus et usus tantum, quantum mihi amor tuus tribuit, in me agnoscerem. Illa igitur cura deposita, unum hoc ago, ut me ipso quotidie fiam melior: ut etiam doctior, non nisi bono modo laborandum mihi puto, qui sciam, intemperantiae quoque genus esse, multa scire velle. Ne tamen tibi aliisque viris bonis omninò ferias desidere et otiari videar, cum primum potero, otii mei rationem reddam, teque omni illo nominis mei ad Martii judicii consessum deferendi labore liberabo. Plura scribam propediem, spatii plusculum nactus; nunc enim multae gravesque occupationes id me facere prohibent. Vale, vir clarissime, mihique semper charissime. Roma a. d. 7. IlXbris Ao 1604.

Tuus

G. Scioppius


Fortè mihi in mentem nunc venit, quod nisi fallor, Rubenio quoque significavi, videri mihi legendum apud Virgilium: — quo nomine lassa Quidve dolens regina deum. — Servius enim et Macrobius, I Sat. 17. nequiquam satagunt aestivantque in reperienda commoda interpretatione vulgatae lectionis. Quis enim sensus sit? si dicat poeta: Musa die mihi caussam, quo deo laeso, et quid aegre ferens Juno Aeneam sic persecuta fuerit. Non enim propter alium aliquem deum laesum videtur sic irasci potuisse. Quod Grammatici, quod libri veteres vulgatam agnoscant, non satis argumenti habere puto, cur eam propterea sine menda esse existimemus. Nec enim heri aut nudiustertius corrumpi caeperunt libri. Quaeso quid videatur tibi significa.


(Apostille de Philippe Rubens.)
Has litteras Scioppius apertas misit, a me obsignandas, credo Virgilianae lectionis caussa. Dicam ego, si praejudicium ferendum est, probare profectò non possum, ita se infra Virgilii majestatem demittere, imo humi serpere videtur. Si quid tamen Lipsius aliter mut... Nota...


Adresse: Viro Clarissimo Justo Lipsio Lovanium.


[263] Cette lettre autographe se trouve parmi la correspondance d'Erycius Puteanus à la Bibliothèque royale. Manuscrits, n° 19111. Les quatre dernières lignes sont de la main de Philippe Rubens; il y avait peut-être sa signature, mais le coin du papier est lacéré.


TRADUCTION.
SCIOPPIUS A JUSTE LIPSE A LOUVAIN.

Je sais maintenant ce que c'est que l'affection. C'est elle qui a porté notre Rubens non seulement à surfaire, dans son opinion, ce qui est en moi de léger et au-dessous du médiocre, mais encore à vous persuader à vous, l'homme illustre, je ne sais quoi de grand de mes mérites, en vous dérobant cette élégance avec laquelle vous avez coutume d'apprécier et de reconnaître le talent. Toutefois je ne suis pas si ignorant de moi-même que je croie voir en moi les qualités que des amis m'attribuent avec une sorte de violence et d'excès dans leur affection. Rubens lui-même peut en témoigner combien de fois je me suis plaint sérieusement de ce que, dans ses discours, il me chargeait d'une trop brillante opinion des hommes à mon égard, alors que chaque jour je m'aperçois moi-même de plus en plus qu'il me manque jusqu'au mérite d'être un lettré médiocre; au point que, si nos principes stoïques ne le défendaient, je devrais, à juste titre, me repentir des progrès que j'ai faits dans les lettres. Il y a cependant une chose qui me rend cette erreur des hommes moins haïssable, moins importune et même, si les stoïques me le permettent, qui me la rend désirable. En effet, grâces à elle, je trouve presque tous les jours quelque petite occasion de rendre service à la Religion, à la patrie, souvent aussi à des amis ou à leurs affaires: j'y trouve même tant de jouissance, que je me suis quelquefois arraché à mes livres pendant des semaines entières et que j'ai supporté, sans trop d'ennui, d'aller dans les antichambres des Grands, me mêler à la foule des visiteurs et des courtisans.

Je répondrais à votre désir de ramener nos Romains à la gloire de leurs ancêtres, s'il était possible d'arracher de leur esprit ce préjugé, profondément enraciné, qui rend un lingot d'or plus beau à leurs yeux que tous les écrits de ces radoteurs transalpins qui se nomment Juste Lipse, Scaliger, Turnèbe; je le ferais encore si je reconnaissais en moi ce génie cultivé et cette expérience que votre amitié m'attribue.

Donc, déclinant cette mission, je me borne à travailler tous les jours [264] à me rendre meilleur; mais pour devenir en même temps plus savant; je crois ne devoir travailler qu'avec bonne mesure, car je sais que la volonté de savoir beaucoup de choses est aussi une intempérance dans son genre. Toutefois, pour qu'à vos yeux, comme à ceux des autres hommes de bien, je ne paraisse pas me plonger tout à fait dans l'oisiveté, je vous rendrai compte, aussitôt que je le pourrai, de l'emploi de mes loisirs et vous serez libéré ainsi tout à fait de la peine de déférer mon nom à l'Aréopage.

Je vous écrirai davantage sous peu, quand j'en aurai un peu plus le temps: de nombreuses et graves occupations m'en empêchent aujourd'hui. Je vous salue, illustre et cher ami. Rome, le 7 octobre 1604.

Votre

G. Scioppius.

Il me vient tout à coup à l'esprit une chose que j'avais déjà, si je ne me trompe, indiquée à Rubens, à savoir qu'il faut lire dans Virgile:

...quo nomine laesa
Quidve dolens regina deum...(1)

En effet, Servius et Macrobe I, sat. 17, s'agitent et s'échauffent en vain pour trouver une interprétation plausible de la leçon vulgaire. Le sens de celle-ci ferait donc dire au poète: Muse, dis moi pour quelle cause, pour quel Dieu offensé, Junon en colère a tant persécuté Énée. Or, on ne peut admettre qu'elle se soit ainsi courroucée pour une insulte faite à un autre Dieu. Que les grammairiens, que les vieilles éditions reconnaissent la leçon vulgaire, cela ne me semble pas un argument suffisant pour admettre qu'elle soit sans erreur. Ce n'est pas d'hier ou d'avant-hier que les livres ont commencé à être corrompus. Je vous demande de me dire ce que vous en pensez.

(Apostille de Philippe Rubens.)

Scioppius m'a envoyé cette lettre toute ouverte, afin de la cacheter. Il me l'envoie telle, je crois, pour la leçon de Virgile. S'il m'est permis de vous donner mon jugement, je vous dirai que je ne puis pas approuver la leçon proposée, tant elle me paraît ravaler la majesté de Virgile et ramper sur le sol. Cependant si Juste Lipse propose quelque autre changement...


[265] COMMENTAIRE.

Rentré en Belgique vers le commencement de Juin, Philippe Rubens alla s'établir à Louvain auprès de son ancien maître, Juste Lipse, qui le destinait à être son successeur à l'Université de Louvain. C'est là que vient le trouver une lettre de Scioppius renfermant celle-ci qu'il doit remettre aux mains de Juste Lipse, après en avoir pris connaissance. Rubens, qui demeurait en ville, l'envoie à son destinataire, après y avoir ajouté quatre lignes d'apostille.

Cette pièce a son importance: elle répond à celle de Juste Lipse du 14 août et accuse de nouveau l'intimité des relations nouées à Rome entre Scioppius et Philippe Rubens et, sans doute aussi, déjà entre le premier et Pierre-Paul. Il est manifeste que Scioppius et Philippe ont échangé des lettres après le départ de ce dernier: nous ne les connaissons pas.

Mais derrière l'intimité de ces relations, telle qu'elle est démontrée par les lettres rendues publiques, se cachent maintes fois de rudes animosités de pédantisme. Les quatre lignes de Philippe Rubens nous en apportent une petite preuve. On le voit désapprouver assez lestement une correction philologique proposée par Scioppius, et celui-ci, on le sait, malgré ses belles épitres adressées à Juste Lipse fut, dans la suite, un des plus ardents détracteurs du professeur de Louvain. Si la mort, quelques mois après, n'eût pas terminé la carrière de ce dernier, il est probable qu'une guerre de plume eût éclaté entre eux. Et leurs discussions, chose piquante, étaient près de commencer à propos d'un travail de haute morale auquel ils se livraient tous deux: une étude sur le Stoïcisme!

Un témoignage curieux de ces discordes entre savants, se trouve dans une lettre inédite de Maximilien Manilius, adressée, en 1616, de Gratz à Balthasar Moretus, lettre conservée au musée Plantin, à Anvers. On y lit ce passage: “Scioppius, l'auteur de l'Hyperbolinaeum de Scaliger, a résidé chez nous pendant une année: c'était un ennemi de la Société de Jésus. Il a dit devant nos Princes Sérénissimes que les lettres de Juste Lipse fourmillaient de solécismes et de barbarismes. Il m'a dit lui-même qu'il s'est entretenu souvent avec Rubens, en Italie, des barbarismes de Lipse. Comme je le pressais de me dire quels sont ces barbarismes, il ne me répondit que par des phrases évasives. Il me fit voir un écrit qu'il avait préparé pour sa biographie. Il disait que Juste Lipse, dans ses Stoica, n'était pas toujours bon latiniste, qu'il y avait manqué d'ordre, et ne traitait pas la vingtième partie de l'histoire de cette philosophie. Il critique vivement tous les disciples de Juste Lipse.„

[266] Nous ne pouvons nous étendre sur ces querelles qui nous intéressent cependant un peu, parce que Pierre-Paul dût en être le témoin. On peut lire sur les reproches, souvent assez fondés, que Scioppius adressait à Juste Lipse, les détails donnés par de Reiffenberg, dans son mémoire couronné: De J. Lipsii vita et scriptis. Bruxelles, 1823. P. 70.


LXII
D. BALTHAZARI MORETO S. D. PHILIPPUS RUBENIUS.

ClarmusLipsius herè Bruxellam proficiscens has ad te litteras ut curarem, in mandatis dedit, et, quod in illis scriptum, ne quicquam huc mittatur ante finem proximae septimanae, id verò mutare se, monerem. Citius enim rediturum, Deo volente, id est, die Martis proxima. Quare recte et ordine vos facturos, si quae corrigenda sunt, porro mittatis, nec veterem illum morem vel hilum intermittatis. Ostenderat mihi jam ante Epigrammata tua, lepida sanè et acuta, ad quae Batavica illa nimis frigent; quae cujusvis potius esse quam Josephi ScaligeriLipsius putat. Et certe, si quis conferat cum aliis, quae certo non arbitrario illius sunt, nimium quantum discrepare videbit.

Aliter catuli longe olent, aliter sues.

Vale, mi amice, et, ut epistolam huic junctam Woverius habeat, quaeso, cura. Lovaniipridie Idus Febr. 1605.


Adresse: Ornatissimo et doctissimo Viro Balthasari Moreto.


Original au Musée Plantin-Moretus, à Anvers. — Texte inédit.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A BALTHASAR MORETUS.

Notre éminent Juste Lipse, en partant d'hier pour Bruxelles, me charge de vous faire parvenir cette lettre et de vous donner avis d'une modification [267] à opérer dans ce qu'il vous écrit de ne rien lui envoyer avant la fin de la semaine prochaine. En effet, si Dieu le permet, il reviendra plus tôt, c'est-à-dire mardi. Donc si vous avez des épreuves à corriger, envoyez-les ponctuellement, sans intermittence et sans retard, selon votre ancienne coutume. Juste Lipse m'avait dejà communiqué vos Epigrammes qui sont certainement charmantes et fines: en présence des vôtres ces épigrammes bataves sont glaciales. Juste Lipse est d'avis qu'elles doivent être de n'importe qui plutôt que de Scaliger. Il est certain que, si on les compare à d'autres qui ne lui sont pas attribuées arbitrairement, on trouvera trop de différence entr'elles. Autre est le parfum que répandent au loin les petits chiens, autre celui des porcs.

Portez-vous bien, mon ami, et faites tenir, je vous prie, la lettre ci-jointe à Woverius. .

Louvain, 12 février 1605

COMMENTAIRE.

En 1604, vers le milieu de l'année, Juste Lipse publia un livre qui fit grand bruit: Diva Virgo Hallensis. Antverpiae, ex off. Plantin. apud Joannem Moretum. C'est, comme on sait, un recueil de miracles de Notre-Dame de Hal, près de Bruxelles, ou plutôt une rédaction en latin littéraire de recueils antérieurs, avec addition de quelques miracles nouveaux dont les actes “fidèlement transcrits et munis du sceau du magistrat de la ville„ lui avaient été communiqués par Jean Miraeus, évêque d'Anvers, par le neveu de celui-ci, Aubert Miraeus, et le jésuite François Coster.

Dans la Vie de Juste Lipse, par Aubert Miraeus, l'histoire de la confection et de la publication de ce livre ainsi que de l'effet qu'il produisit forme une page très curieuse, quoique très incomplète. De Reiffenberg, dans son insuffisant Mémoire couronné: De Justi Lipsii V. Inl. vita et scriptis commentarius, n'y a pas ajouté grand'chose. Nous ne pouvons nous étendre ici sur cet intéressant épisode, nous devons nous borner à en dire deux mots pour éclaircir le passage de la lettre de Philippe Rubens.

L'ouvrage n'a pas été écrit motu proprio. Il est si étrangement en opposition avec les travaux, les prédilections littéraires et surtout avec les sentiments antérieurs de Juste Lipse, que celui-ci n'a pu l'entreprendre que sous la pression de quelque puissante influence, peut-être de la pieuse archiduchesse Isabelle. Dès qu'il parut, le petit livre eut à subir un véritable assaut de la part des anciens amis ou collègues hétérodoxes de l'auteur. Les épigrammes surtout, [268] pleuvaient de toutes parts; vieux et malade qu'il était, Juste Lipse en souffrit d'une manière cuisante et s'en émut plus que de raison. Comme on le voit par la lettre de Rubens, son confident, trois de ces épigrammes venaient de lui être envoyées et l'affectèrent tout particulièrement. “Nous avons reçu d'un ami de Hollande, écrit Balthasar Moretus à François Raphelengius, le 19 février, une lettre triste ou plutôt contenant de tristes épigrammes sur la Diva Hallensis de notre cher Juste Lipse: deux d'entr'elles circulent là-bas sous le nom de Scaliger, la troisième, sous le vôtre. Juste Lipse trouve que les deux premières sont tout à fait indignes d'être attribuées à ce grand écrivain; je ne crois pas volontiers que vous soyez l'auteur de la troisième.(1)„

La lettre que Philippe Rubens doit faire parvenir à Moretus est publiée dans la Cent. V. Ep. LX; elle porte la date du 5 février et roule sur ces fameuses épigrammes. Ecrite sous l'empire de quelque contrariété physique ou morale, cette lettre — comme toutes celles, du reste, qui se rapportent à cette question — est remplie d'expressions de dépit, de colère et de jactance. On dirait que l'homme a changé de caractère: il est vrai qu'il est malade et qu'il voit son autorité décliner avec lui-même.

La lettre de Philippe Rubens à Balthasar Moretus offre cet intérêt qu'elle dessine une situation. Le jeune élève favori est sous le toit de Juste Lipse [269] à Louvain; il exécute les ordres de son patron, il est en quelque sorte son secrétaire, son fils adoptif, en attendant qu'il devienne son successeur dans la chaire académique.

Tout-à-coup, comme nous allons le voir, un changement s'opère: Philippe Rubens renonce à cet avenir brillant qu'on lui ouvre. Six semaines plus tard, Juste Lipse use de toute sa haute influence pour lui faire obtenir une position convoitée à Rome.

Nous ne découvrons nulle part le motif vrai de ce revirement inattendu. C'est la passion de l'Italie, dira Juste Lipse, dans une lettre prochaine. Mais elle devait être bien forte, cette passion, pour décider Philippe à quitter la Belgique en y laissant sa mère déjà vieille et seule, et dans un moment, où il pouvait, d'un jour à l'autre, être appelé à occuper la place de son maître à Louvain; car Juste Lipse était près de finir sa carrière. Et quelle espérance l'attire en Italie? Quelle position s'offre à lui? Une position qui n'est rien moins qu'assurée et qui, d'ailleurs, est de tous points, très inférieure à celle qu'on lui destinait ici.

Pour nous, c'est Pierre-Paul qui est le grand passionné de l'Italie: c'est lui qui brûle du désir de se frayer sa voie dans Rome et qui, par ses instances, porte son frère à venir, auprès de lui pour essayer ensemble de se créer un nom dans ce centre du monde; l'un par la voie de l'art, l'autre par la voie des lettres. L'influence de Pierre-Paul, seule, nous explique la résolution extraordinaire de Philippe.


LXIII
JUSTUS LIPSIUS ASCANIO COLUMNAE S. R. E. CARDINALE

Fateor aliquamdiu a scriptione et officio meo, sed invitum, abstinuisse: neque alia caussa, quam peregrinationis quae ab Vrbe te removit, et in eas oras misit, ad quas litterae nostrae haud tam facile quam affectus et memoria commearent Certe enim haec retinui, et veterem illum cultum, fideliter virtutibus tuis et meritis devotum. Itaque ut aura aliqua nos adflavit adventus iterùm tui in Urbem, [270] ad sacra haec Comitia: et fidem statim habui, et hac scriptione testari gaudium tui reditus et consignare fidem et constantiam meam volui in te colendo. Atque utinam etiam vel aetas vel valetudo mea tulissent, ut coram me aliquando in domina ea urbe sistere, et vultu ac sermone, quae dico, probare potuissem! Suave fuisset, et cogitatione ipsa recreor; sed eadem mox dejicior, cum video irritum illud, et nil nisi votum futurum.

Quod tamen a me non possum, habeo e domo mea et interiore amicitia insignem juvenem Philippum Rubenium, qui coram prostabit, spero, et totum me revelabit et Illmae D. Tuae dabit dicabit. Adspirat enim ille Romam: et quamquam mihi in docendo munere successorem, ut ingenium et doctrina ejus sunt, destinaram; tamen visa ea urbs sic cepit, ut fraenum dare huic desiderio non possimus, et vitam non solum agere, sed ponere in ea velit. Neque ultra retineo; cur enim Theatrum hoc virtuti ejus invideam? imò commendatione etiam adjuvo, et ad te Illme Domine, si commodum est, mitto. Audio Bibliothecam instructissimam et animo ac stirpe tua dignam parasse: non est fortasse in Europa aptior ad hoc aut majus aliquod munus. Doctrina varia est in Graecis Latinisque, stilus in utraque oratione, prosa et vorsa, elegans, et famae etiam producendae, notitia antiquitatum et historiarum: quid mores? ipsa suavitas, ipsa probitas et qui experietur aut noscet, vera me dixisse agnoscet. Neque enim aliter apud talem Principem debeo, et ita Rubenium meum amare ac producere, ut me et famam meam amem. Sed certus su m quicumque juvenem possidebit, gratiam mihi tradenti habiturum, et plura aut certe distinctiora, quam dixerim, inventurum. Et quamquam de bibliotheca injecerim, re scilicet studiis ejus apta; potest tamen et in litteris scribendis aut concipiendis operam decore et utiliter navare, et varie cultum factumque ingenium varia obire. Haec ego, Illme et Revme Domine, ante omnes scribenda ad te censui, et peccaturus videbar, si gemmam hanc ut sic dicam adolescentis alteri offerrem. Si tamen ratio aliqua est quae nunc non admittat, commendatum certe notumque esse cupio, et honorem interdum habere vel adspectus tui vel affatus. Illme et Revme Domine, Deum [271] oro servare te longum Ecclesiae et Patriae, atque etiam in Patria, velit. Lovanii, Kal. Aprilis 1605.


Justi Lipsii Epist. Centuria V miscellanea. Epist. LXIV.


TRADUCTION.
JUSTE LIPSE AU CARDINAL ASCANIO COLONNA, A ROME.

Depuis quelque temps, je l'avoue, je me suis abstenu, mais malgré moi, du devoir de vous écrire: mon silence n'a eu qu'une cause: celle de votre départ de Rome et de votre voyage en des contrées où mes lettres ne pouvaient pas vous suivre aussi aisément que mon affection et mon souvenir, qui je l'affirme, résident toujours en moi avec ce vieux culte que j'ai fidèlement voué à vos vertus et à vos mérites. Une rumeur est venue me dire votre retour à Rome et votre rentrée au Sacré Collège; j'y ai immédiatement ajouté foi: cette lettre vous attestera ma joie de ce retour et vous donnera la preuve de la sincérité et de la constance de mon respect. Plût à Dieu que mon âge et ma santé me permissent de m'arrêter quelque jour dans la ville éternelle et de vous prouver en personne, de vive voix, la vérité de ce que je vous écris! La seule pensée de ce bonheur me rejouit; mais en voyant que mon désir ne peut se réaliser et doit rester à l'état de simple voeu, je tombe bientôt dans l'abattement.

Toutefois ce que je ne puis faire par moi-même, je puis le confier à quelqu'un de ma maison, à quelqu'un de mon intime amitié, à un jeune homme d'élite, Philippe Rubens, qui, je l'espère, me représentera auprès de vous et s'attachera à votre Éminence comme un autre moi-même.

Il aspire à être dans Rome. Bien que je le destinasse, à cause de son intelligence et de son savoir à me succéder dans la chaire que j'occupe, il a été pris pour Rome, qu'il a vue, d'une passion telle que je n'ai plus de frein à y opposer: il ne veut plus seulement y passer sa vie, il veut y mourir. Je ne le retiens plus: pourquoi serais-je jaloux de ce théâtre où brillera son mérite? Non; je vais même l'aider de ma recommandation, et si je ne vous importune point, je l'adresse à Votre Éminence.

J'apprends que vous formez une bibliothèque des plus riches, une bibliothèque digne de votre intelligence et du nom que vous portez: or, il [272] n'y a peut-être pas en Europe quelqu'un de plus apte que Rubens pour accomplir ce travail, comme il n'y a peut-être pas de fonction plus enviable. Son savoir est très varié dans les choses de la Grèce et de Rome: il écrit d'une manière élégante les deux langues classiques, soit en prose, soit en vers, sa connaissance des antiquités et de l'histoire est telle qu'elle lui produira de la réputation. Que dirai-je de son caractère? Il est la douceur, la probité mêmes: celui qui se l'attachera, reconnaîtra par l'expérience que je dis vrai.

Auprès d'un Prince tel que vous, je ne puis agir autrement; c'est ainsi que je dois aimer et présenter mon cher Rubens, par amour pour moi-même et pour ma réputation. J'en suis certain: celui qui aura ce jeune homme à son service me remerciera de le lui avoir recommandé et trouvera en lui plus de qualités et de plus remarquables que celles dont j'affirme qu'il est doué.

Je l'ai présenté d'abord pour la bibliothèque, parce qu'il y trouverait une position favorable à ses études, cependant il peut encore être employé en confiance et avec utilité à écrire et à rédiger des lettres; son esprit cultivé et profond en diverses matières peut accomplir des devoirs variés. Je me suis résolu à écrire ces choses, avant tout le monde, à Votre Éminence; je me considérerais comme un coupable, si j'avais présenté à quelqu'un d'autre cette perle de jeune homme, si je puis m'exprimer ainsi. Si, cependant, quelque motif empêchait actuellement son admission, je voudrais que mon protégé fût connu de Votre Éminence et qu'Elle lui permette d'être admis quelquefois à l'honneur d'un entretien avec Elle. Et je prie Dieu qu'il conserve longtemps V. E. à l'Église, à la Patrie et dans la Patrie. Louvain, le 1r avril 1605.


[273] LXIV
JUSTUS LIPSIUSSERAPHINO OLIVARIO S. R. E. CARDINALI ROMAM.

Vota nostra et bonorum Deus audivit, et ad dignitatem evexit, quae virtutibus et meritis tuis jamdiu debebatur. Animo hoc gratulatus pridem sum: nunc et scripto, cui materiem etiam Philippus Rubenius noster dabit. Nosti juvenem et vidisti Romae: atque utinam interiorem eum totum, et bona egregii animi nosses! Graece, latine, inter paucos doctus est; stilo utroque facilis, et vel ad veterem elegantiam in versu, historias et memorias veteres novit: et quod caput mihi quidem, judicii in plerisque omnibus purì et directi. Mores sunt, uno verbo, quod vel in filio (si Deus dedisset) optem. Quorsum ista? Ad Romam vestram iterum adspirat, etsi me, non abnuo, refragante. Nam ego hìc alligare eum, et in Professione mihi sufficere destinabam, et jam cum Principe agere coeperam, imo et impetraram. Quid tamen est? intemperanter Urbem amat, et nescio quis Genius eò vocat: bonus, ut spero, si vos tales favetis et juvatis. Atque hoc, Illme et Revme Domine, fiducia tui in me et litteras amoris, peto. Commendavi equidem privatim Illmo Cardinali Columnae, ut a Bibliotheca ei esset: sed litteras eas sustineri volui, donec de tuo consilio rem institueremus: et aut illuc aut alio iremus. Rogo iterum, dirige et gratia atque auctoritate tua nos juva. Ego spondeo optima et Romana fide, non solum pro opinione tua, sed supra Rubenium futurum, et usui atque ornamento esse posse, quicumque rari adolescentis hoc decus habebit. Dabis autem veniam sic libere et revelata fronte hoc petenti: jam dixi, fiducia amoris tui (de quo alii ad me) factum; et addo notitia virtutum tuarum factum, quas cum tam multas habeas, fieri non potest quin et in aliis ames. Illme et Revme Domine, voto duplici claudo: altero ut Ecclesiae diu sis superstes, altero, quod animo concipio, ore non promo. Lovanii, Kal. Aprilis 1605.


J. Lipsii Epist. Centuria V miscellanea. Epist. LXV.


[274] TRADUCTION.
JUSTE LIPSE AU CARDINAL SERAPHIN OLIVIER A ROME.

Le Seigneur a écouté mes voeux et ceux des hommes de bien: il vous a élevé à la dignité à laquelle vous appelaient depuis longtemps vos vertus et vos mérites. Je vous ai déjà félicité de coeur; aujourd'hui je le fais par écrit: c'est notre ami Philippe Rubens qui m'en fournira le sujet. Vous connaissez le jeune homme, vous l'avez vu à Rome: plût au ciel que vous eussiez connu aussi ses qualités intérieures et les trésors de son esprit! Il en est peu d'aussi savants que lui en grec et en latin, il écrit facilement en vers et en prose; ses vers même se rapprochent de l'élégance antique, il sait l'histoire ancienne et ses documents; et même, ce qui est pour moi le principal, dans la plupart des choses, il fait preuve d'un jugement clair et droit. Quant à ses moeurs; je vous dirai d'un mot qu'elles sont telles que je les désirerais à mon fils, si Dieu m'en avait donné.

A quoi tendent ces paroles? Il aspire à retourner à Rome, malgré moi, je l'avoue, car j'aurais voulu l'attacher ici; je le destinais à me remplacer dans mon professorat, j'avais commencé des démarches à ce sujet auprès de notre Prince dont j'avais même obtenu l'acquiescement. Mais qu'arrive-t-il? Il aime la Ville Éternelle avec passion; je ne sais quel Génie l'appelle: un bon génie, je l'espère, si des hommes tels que vous lui sont favorables et lui viennent en aide. Me confiant en votre amour pour moi et pour les lettres, je demande à Votre Éminence d'être pour lui ce bon génie.

J'ai recommandé Rubens en particulier à l'illustrissime cardinal Colonna dont il cherche à devenir le bibliothécaire: mais j'ai voulu retenir ma lettre jusqu'à ce que nous puissions entamer l'affaire suivant vos conseils ou, le cas échéant, nous adresser ailleurs. Je vous en supplie, dirigez-nous, aidez-nous de vos bonnes grâces et de votre influence. J'en fais la promesse avec une confiance entière et toute romaine: non seulement Rubens répondra à votre attente, mais il la surpassera; celui qui aura l'honneur de s'attacher ce jeune homme exceptionnel, en aura le service et en retirera de l'éclat. Pardonnez-moi cette requête présentée si librement, à visage découvert. J'ose le dire: j'agis sur la foi de l'affection, qu'au dire d'autrui, vous me portez, et aussi dans la pleine connaissance de vos vertus qui sont telles que vous devez nécessairement aimer celles des autres. Je termine par un double voeu: [275] le premier que Votre Éminence vive longtemps pour l'Église....; le second mon coeur le forme, ma bouche ne l'exprime point. Louvain, 1 avril 1605.


COMMENTAIRE.

Nous avons vu que lors de son premier séjour à Rome, Philippe Rubens avait été recommandé déjà par Juste Lipse à Séraphin Olivier. Celui-ci était devenu cardinal, en même temps que le célèbre du Perron, le 9 juillet 1604. C'est donc neuf mois après, que Juste Lipse le félicite de sa nouvelle dignité et en prend texte pour lui recommander de nouveau son cher élève.

Cette fois, il fut plus heureux: Philippe Rubens, comme nous le verrons bientôt, obtint la place de bibliothécaire et de secrétaire d'Ascanio Colonna.

Dans aucune des lettres de Juste Lipse ou de Philippe Rubens, nous l'avons déjà dit, nous ne trouvons rien qui nous explique, d'une manière précise, le revirement subit qui s'était opéré dans l'esprit de ce dernier relativement à son avenir. Ici nous trouvons un mot. Le „Genius” inconnu à Juste Lipse qui appelle Philippe à Rome n'est-il qu'une figure de rhétorique ou est-ce un être réel? Et, dans ce dernier cas, ne serait-ce pas Pierre Paul?

Pour nous, c'est une conviction. L'intimité des deux frères était grande. Doués de qualités exceptionnelles, ils avaient foi en eux-mêmes et confiance l'un dans l'autre. Nous comprenons donc, qu'à ce moment où, dans leur pays, les plaies causées par la révolution étaient loin d'être cicatrisées, ils aient eu, tous deux, l'ambition de jouer le rôle de leur vie sur une scène plus heureuse que celle de leur patrie. Sûrs de leur talent, s'étant créé déjà de hautes relations, sur lesquelles ils pouvaient compter pour protéger leurs efforts, ils avaient le droit d'espérer que Rome leur ouvrirait brillamment les portes de l'avenir.

Pour nous, c'est là le rêve qu'ils ont fait.


[276] LXV
ADERBALE MANERBIO AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Illmo Sigr mio sempre Ossmo

In questo quanto il SrGiovanni d'Ach mi manda l'annessa memoria da parte di S. M. acciò io la mandi a S. A. perchè le piaccia di fare quanto in essa si contiene. Supplico V. S. Illmo che si degni di dar essa memoria a S. A. e rispondermi quello che l'A. S. comanderà, et a V. S. Illma facio riverenza. Di Praga, a 25 d'aprile 1605.

D. V. S. Illma.
Obligmo, dimo Serre
,

Aderbale Manerbio


L'adresse porte: Al Mto Ill. Sre mio Sre sempre Ossmo il Sr Annle Chieppio consre del Smo Duca di Mantova.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, 313. — Texte inédit.


TRADUCTION.
ADERBAL MANERBIO A ANNIBAL CHIEPPIO.

M. Jean d'Ach m'envoie à l'instant, de la part de S. M., le mémoire ci-joint pour que je le fasse parvenir à S. A., afin qu'il lui plaise de donner suite à ce qui y est contenu. Je vous supplie de donner le mémoire à S. A. et de me répondre ce qu'Elle me commande de faire. J'ai l'honneur de vous saluer.

De Prague le 25 avril 1605.Votre obligé serviteur,

Aderbal Manerbio.


[277] LXVI
ANNIBALE CHIEPPIO AD ADERBALE MANERBIO.

Molto Illmo Sr mio Ossmo

Si ritenne S. A. le polize del Pittore e dice che haveria proveduto delle copie desiderate da S. Mta, si ritenne anche la scritura in soggetto d'Alchimia et la polvere mandata, dicendo che di tutto si farà la prova et poi si risponderà.

Di Mantova a 6 di Maggio 1605.Di V. S. Mto Ill.
Affettiomo serre

Annibale Chieppio.


Adresse: Al mto Illre Sre mio Ossmo il Sr cavre A. Manerbio, gentilmo del Smo di Mantova presso S. M. Ces. etc. Praga.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Analysé par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, 311. — Texte inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL CHIEPPIO A ADERBAL MANERBIO.

S. A. a retenu les missives du peintre et dit qu'Elle aura soin de procurer les copies que désire S. M. Elle a retenu aussi l'écrit traitant d'Alchimie ainsi que la poudre qui lui a été envoyée, disant que l'on en fera l'essai et que l'on répondra ensuite.

De Mantoue, le 6 mai 1605.

Annibal Chieppio.

Adresse: A Mr le chevalier A. Manerbio, gentilhomme de S. A. le duc de Mantoue, auprès de S. M impériale, etc. à Prague.

[278] LXVII
IL DUCA DI MANTOVA AD ADERBALE MANERBIO.

Finalmente all'arrivo nostro quì, habiamo retrovato finite le copie delli due quadri del Correggio desiderate da S. M. quali vi inviamo con questa, acciò subito le haverete ricevute le faciate presentare alla Mta S., dicendole che per essere state fatte tutte due di mano del Fiamingo, che sta quì al servitio nostro conforme all'ordine suo, si è tardato a poterle havere assai più del desiderio nostro, con tutta la solicitudine che si è usata acciò si potessero mandare quanto prima.

Di Mantova, a 30 di Sette 1605.

Vincenzo.

Chieppius

.

Adresse: Al Mto Ille Sr Adle Manerbio nostro gentmo carmo presso S. M. Ces. etc.


Original à l'Archivio Gonzaga à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, p. 311. — Texte inédit.


TRADUCTION.
LE DUC DE MANTOUE A ADERBAL MANERBIO.

Finalement, à notre arrivée ici, nous avons trouvé terminées les copies des deux tableaux du Corrège que désirait Sa Majesté. Nous vous les envoyons avec la présente, afin qu'immédiatement après leur réception vous les fassiez présenter à S. M., en lui disant que pour avoir été exécutées toutes deux, conformément à l'ordre de S. M., de la main du Flamand qui est à notre service, nous n'avons pu les obtenir aussi tôt que nous l'eussions désiré, malgré toute la sollicitude que l'on y a mise afin de pouvoir les envoyer plus promptement.

De Mantoue, le 30 septembre 1603.

Vincent.

Chieppio.

A M. Aderbal Manerbio, notre cher gentilhomme résidant auprès de S. M. I.

[279] LXVIII
ADERBALE MANERBIO AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Illmo Pr mio Sre sempre Ossmo

Sono finalmente arrivate le copie delle pitture del Correggio, et un villano me le ha portate quà in una cassetta ben conditionata, ma ha voluto dui taleri, le ho mandate a S. Mta le quale le ha trovato carissime e ringratia S. A., alla quale piaccià a V. S. Illma far saper questo.

Di Praga, a 24 d'Ottobre 1605.Di V. S. Illma
Obmo e devotmo serre

Aderbale Manerbio.


Adresse: Al Consre di S. A. Anle Chieppio.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Cité par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, p. 312. — Texte inédit.


TRADUCTION.
ADERBAL MANERBIO A ANNIBAL CHIEPPIO.

Les copies des peintures du Corrège sont enfin arrivées; un paysan me les a apportées dans une cassette bien conditionnée, mais il a exigé deux thalers. Je les ai envoyées à S. M. qui les a trouvées très agréables et remercie S. A. Je vous prie de vouloir bien lui en faire part.

De Prague, le 24 octobre 1605.Votre dévoué serviteur,

Aderbal Manerbio.


COMMENTAIRE.

Ces pièces que nous réunissons dans un même commentaire, parcequ'elles se rapportent au même sujet, sont, encore une fois, tout ce que nous savons [280] d'officiel de Rubens pendant près d'une année. Bien qu'il ne soit pas nommé, c'est bien de lui qu'il s'agit, comme le dit fort bien M. Baschet, et non de Pourbus. On peut résumer en deux mots le contenu de ces pièces.

Le peintre Jean Achen, de Cologne, qui était à cette époque, le peintre en titre de l'empereur Rodolphe II, avait voyagé en Italie. En novembre 1603, il visitait le palais de Mantoue et y admira sans doute et les tableaux du Corrège et les travaux de copie de Rubens. Moins de deux ans après, il conseillait à l'Empereur de demander au Duc une reproduction de ces Corrège. Le Duc s'empressa de les faire exécuter, et nous voyons qu'elles étaient terminées et envoyées en Septembre, et qu'elles arrivèrent à Prague le 24 octobre.

M. A. Baschet, citant l'inventaire des tableaux qui se trouvaient dans la maison de Gonzague en 1627, inventaire publié par le comte d'Arco, énumère comme ouvrages du Corrège: Vénus et Mercure enseignant à lire à Cupidon; — un Ecce Homo; — Le Saint Jérôme méditant sur une tête de mort.


LXIX
PHILIPPUS RUBENSSERAPHINO OLIVARIO S. R. E. CARDINALI. ROMAM.

Quod adhuc contemplatio magnitudinis tuae vetuit, id hoc tempore debiti necessitas officii non solum facile patitur, sed suo velut jure exposcit. Hac ipsa stilum mihi porrigit, ut Illmae et Revmae Dominationi tuae pro singulari beneficio gratias scribam; quas tamen quem admodum scribam, haut satis reperio. Sed et deficio, et nimio quasi lumine perstringor, quoties benignitatis tuae solem propius intueri conor. Haec olim me tam facile ad adspectum et affatum tuum admisit; haec ipsa nunc Illmi Cardinalis Columnae domum reseravit. Quod ipsum etsi magnum et longe supra merita nostra sit, meo tamen animo plurimum dignationis a commendatione Illmae tuae Dominationis mutuatur: quae non tantum apicem huc suum dimisit, ut inter curas me susciperet; verùm etiam tam honestam de me notoriam, ut et [281] amicorum litterae et ipsa res dicit, prolixe tulit, seque potissimum mystagogo me in summatis viri clientelam voluit induci. Quid hoc mihi potuit esse vel optabilius vel magis ambiendum? Quid inquam honorificentius quam ab eo commendari viro, cui vel leviter innotescere abunde magnum sit: quem omnes pariter una mente mirantur, uno ore collaudant: cui quamquam in altissimo dignitatis gradu collocato, nihil umquam aut gratia praestitit, aut ademit invidia: qui denique, quod olim Ulyxi suo tribuit Homerus: ...[...][...]... (1) et singulari quadam indulgentia superûm omnia tamquam singula absolvit. Qua vere, non ambitiose a me dici, testis inprimis urbs illa urbium, in qua velut amplissimo quodam orbis terrae theatro mirabilis ille virtutum ac prudentiae tuae concentus clarissime exauditur. Sed satis te fama tua laudat, et quidquid ego dixero, minus erit: quod institueram grates ago gratiasque, quod Illustma et Revma tua Dominatio tam enixe me juvare et ornare dignata sit; et quidem sive dignum crediderit, sive tantum amaverit, ut ea tribuerit non digno. Sed paucis ago, quodque Deo fertur acceptissimum, impendio plus sentiendo, quam loquendo. Atque adeo ex animi mei sententia profiteor, et his quasi tabulis subsigno, tantorum me promeritorum ...[...][...] (2). et ea re Illustmae et Revmae tuae Dominationi aetatem obnoxium fore, nihilque tam habiturum in vita propositum, quam ut testimonio tuo respondeam, et sponsionem illam obsidem numquam fallam. Et quoniam indulgentiam tuam expertus sum, hoc insuper beneficium per Genium te rogo tuum, ut me semper et beneficia tua diligas; Deum autem Opt. Max. uti te, Illustme et Revme Domine, terris diu commendare publico commodo velit. Lovanii, pridie Kal. Sextil. 1605.


S. Asterii Homilioe etc. p. 260.


[282] TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS AU CARDINAL SÉRAPHIN OLIVIER.

Ce qui jusqu'à présent m'avait été défendu de faire en considération de Votre Grandeur, sera non seulement accepté sans difficulté aujourd'hui, mais même reçu de droit, comme acquit d'un devoir. C'est ce devoir qui me met la plume à la main, afin que j'adresse à Votre Éminence des actions de grâces pour le signalé bienfait que j'ai reçu d'Elle, bien que je ne trouve guère de termes suffisants pour les exprimer. Les forces me manquent, je suis en quelque sorte ébloui par une lumière trop intense, chaque fois que j'essaie de regarder de près le soleil de votre bonté. Jadis votre bonté m'admit gracieusement à vous voir et à m'entretenir avec vous, aujourd'hui elle m'ouvre le palais de l'illustre Cardinal Colonna. Ce bienfait est considérable et surpasse de beaucoup mes mérites; à mon avis, la plus grande partie de l'honneur qui m'en revient est dû à la recommandation de Votre Éminence. Elle ne s'est pas seulement abaissée au point de me compter au nombre de ceux qu'elle entoure de sa sollicitude, mais encore Elle s'est empressée de m'honorer d'un long et favorable éloge, ainsi que l'attestent les lettres de mes amis et le fait lui-même; Elle a voulu, comme le Grand Prêtre qui ouvre le temple, m'introduire elle-même dans la demeure hospitalière de ce Prince. Que pouvais-je désirer ou ambitionner de plus? Que pouvait-il m'arriver de plus honorable que d'être recommandé par un homme dont il est glorieux même d'être à peine connu, d'un homme que tous admirent, dont tous font l'éloge d'une voix unanime, qui, pour être arrivé à la plus haute des dignités, n'a jamais rien dû à la faveur et n'a été amoindri par l'envie, d'un homme, enfin, qui, semblable à cet Ulysse dont Homère a dit:

....il est de tous les hommes
Le plus sage au conseil, et le plus éloquent....

sait, par une grâce spéciale du Ciel, terminer toutes les affaires comme s'il n'y en avait qu'une seule. Je dis ces choses sincèrement et non point par intérêt: d'abord, j'en prends à témoin Rome, la ville reine, dans laquelle, comme sur le plus vaste théâtre du monde, on entend d'une manière éclatante l'admirable concert qui célèbre vos vertus et votre sagesse. Votre renommée vous loue donc suffisamment: tout ce que je dis est faible en comparaison. C'est pourquoi je présente, selon mon intention première, tous mes remerciements à Votre Eminence qui a daigné me soutenir et me faire [283] valoir avec tant d'énergie, soit qu'Elle m'en ait jugé digne, soit qu'Elle m'ait favorisé seulement par affection. Mais je le fais en peu de paroles. Dieu lui-même, dit-on, accepte plus volontiers ce qu'on lui offre par sentiment que par des mots. Et maintenant, du fond de mon coeur, je promets et je signe ici que pour tous ces bienfaits

....tant que j'aurai la vie
Et tant que mes genoux auront du mouvement....,

je veux consacrer mes jours à Votre Éminence, je veux n'avoir jamais rien de plus empressé que de répondre au témoignage qu'Elle a rendu de moi et je ne faillirai jamais à la promesse qui m'engage aujourd'hui. Ayant eu des preuves de votre indulgence, j'ose vous demander encore, par votre bon génie, d'ajouter à votre bienfait celui de me continuer votre affection et vos faveurs. De mon côté, je prie Dieu de vous conserver longtemps sur terre pour le bien public. Louvain, 31 juillet 1605.


COMMENTAIRE.

Nous devons, encore une fois, nous demander si, dans la version de ce factum pedantesque, nous avons suffisamment rendu la pensée ou plutôt les concetti de l'auteur. Cette lettre, peu digne d'un Rubens, si l'on pouvait la prendre au sérieux, ne doit être acceptée que comme un exercice de style destiné à prouver au destinataire que l'on était passé maître dans l'art de dire des exagérations serviles en latin martelé. Quant aux choses excessives qu'elle contient, elle a pour excuse l'habitude générale en ce temps: on n'écrivait pas autrement à un Cardinal. Toutes les dédicaces, toutes les requêtes, toutes les missives de reconnaissance font assaut d'adulation. On peut leur comparer, sous ce rapport, les dédicaces de poètes aux grands seigneurs de la cour de Louis XIV.

Il résulte de cette lettre et de celles de Juste Lipse que Philippe Rubens ne s'est pas rendu à l'aventure à Rome: son admission chez le Cardinal Ascanio Colonna a fait l'objet d'assez longues négociations et a nécessité l'intermédiaire de diverses personnes. On peut considérer cette lettre comme ayant été écrite par le jeune homme à la veille de son départ.


[284] LXX
JUSTUS LIPSIUSLUDOVICO BECCATELLO. ROMAM.

Duplici nomine et epistolam tuam caram, et ipsum te habeo; priore quod me, altero quod et Rubenium meum sic ames. Quod utrumque ex epistola tua cùm didicerim, merito grata accidit: et in utroque ut perseveres, te rogo. Nam et ego certe affectum hunc jam in te indui, et fide ac candore, quem Amicitiae deberi scio, servabo. Sed de Rubenio, et ipse tibi debet, ac coram vel solvet, vel certe agnoscet; quod te sic prompte et industrie agente, in familiam Principis illius viri venerit. Et quamquam res auctoritate Illmi Seraphini peracta sit; tamen te quoque affectu et dexteritate illa contulisse et scimus, et fatemur. Enimvero bene fecisse tam bono et merenti viro (Rubenium dico) non poenitebit te umquam, mi Beccatelle, et si vitam Numen ei largitur, sparget et ipse ingenii sui lumen, et ad exteros ac posteros diffundet. Fiat, voveo. Sed illud me etiam in epistola tua delectavit de Cardinali Palaeoto, beatae memoriae viro: in cujus familia egisse te scribis; quem ego vivum colui, et amari ab eo me sensi, et defuncti nomen etiam apud me est sanctum. Fecisti jacturam iu ea morte dicam, an non fecisti? Transiisti enim in ejus viri domum, quem ego inter primos Europae esse scio, et cujus benignitas in me quoque affectum largiter ostendit. Ut diu frui possis, meum votum est, et ut inter nos amemus. Vale, vir Rde et nobilis. Lovanii, VIII Kal. Octobris 1605.


J. Lipsii Epistol. centuria V miscellanea. Epist. LXX.


TRADUCTION.
JUSTE LIPSE A LOUIS BECCATELLI, A ROME.

Votre lettre et vous-même, vous m'êtes chers à un double titre; d'abord pour l'amitié que vous me témoignez à moi et ensuite pour celle que vous [285] témoignez à mon cher Rubens. Votre lettre, qui m'apprend ces deux choses, m'est donc agréablement arrivée et je vous supplie de persévérer dans cette double amitié. Je m'étais déjà pris d'affection pour vous, je puis l'affirmer, et j'observerai fidèlement et avec loyauté ce que je sais être dû à l'amitié. Pour ce qui est de Rubens, c'est envers vous qu'il a contracté une dette, c'est à vous-même qu'il la soldera ou certainement la reconnaîtra; car c'est à votre activité et à votre adresse qu'il doit d'être entré dans la maison du Prince. Et, bien que l'affaire se soit conclue par l'influence du Cardinal Séraphin, nous le savons, nous l'avouons: c'est votre affection et votre habileté qui ont procuré le succès. Jamais, je vous l'affirme, mon cher Beccatelli, vous ne vous répentirez d'avoir rendu ce service à l'excellent et digne Rubens: celui-ci, si Dieu lui prête vie, répandra par son intelligence des lumières qui s'étendront au dehors et après lui. Je forme des voeux pour qu'il en soit ainsi. Ce qui m'a fait encore plaisir dans votre lettre c'est ce que vous me rappelez de feu le Cardinal Paleoto, dans la maison duquel vous me dites avoir été employé. Je l'ai connu de son vivant, j'ai senti qu'il avait pour moi de l'affection; aussi, son nom est vénéré chez moi. Dirai-je que vous avez ou que vous n'avez pas fait une perte par sa mort? Car vous êtes passé maintenant dans la maison d'un homme que je sais être des premiers de l'Europe, et dont la bonté me donne de grandes preuves de l'affection qu'il a pour moi. Je forme des voeux pour la longue durée de vos jours et de notre amitié.

Louvain, 24 septembre 1605.

COMMENTAIRE.

Le personnage auquel est adressé cette missive de Juste Lipse nous est peu connu: il porte le nom d'un prélat qui s'est acquis une certaine célébrité comme député au concile de Trente, Louis Beccatelli ou Beccadelli, nonce apostolique et poète, archevêque de Raguse, mort en 1572, et il était probablement le neveu de ce prélat. Nous voyons qu'il avait été au service du Cardinal Paleoto et qu'il est attaché maintenant à un autre grand personnage, sans doute au Cardinal Séraphin Olivier.

Nous apprenons par cette lettre que Beccatelli a été un agent très efficace pour faire obtenir à Philippe Rubens la position qu'il ambitionnait. Nous verrons plus tard, par une autre lettre, que les deux Rubens ont été en relation avec lui.


[286] LXXI
PHILIPPO RUBENIOBALTHASAR MORETUS.

Ornatissime ac doctissime Dne

Felicem tibi in Urbem adventum libens gratulor, quem a Woverio nostro laetus accepi. Sarcinam item nostram te recepisse confido, aut brevi recepturum. Quaeso suos singulos fasciculos meo nomine abs te reddi Illo Card. Baronio, Rmo Barbiano, Rdo Baptistae Bandinio, D. Paullo Loppersio, Illo Baronio a secretis. Inest eidem sarcinae, quem tua nobis mater commiserat, fasciculus P. R. litteris alphabeticis insignitus: alii item fasciculi duo a nobis inscripti, cum sex Senecae, duobus divae Hallensis et Aspricollis exemplaribus quae Amplmi auctoris nomine donanda isthic habes. Lovanium ejusdem jam nunc absolvimus, et opportunitas fuit statim isthuc mittendi ad Gasparem Paliottum bibliopolam. Memini et tibi exemplar adjungere, exiguum scilicet magni amoris nostri monumentum, atque alterum Baptistae Baronio addebam. Sed is opinione citius, atque eo gratior, ad nos rediit. Itaque ut receperis, D. Hemelario nomine nostro, abs te donari velim, amicitiae coram aliquando ineundae et firmandae qualecumque testimonium. Vale, ornatissime Domine, et tui amantem, ama. Ad Illustrissimum Baronium responsum hactenus distulimus exspectantes Sermi nostri decretum. Sed nec aliud usque in praesens constituit, quam in Hispaniam scribere, et Catholici Regis fratris sui sententiam inquirere. Uberius vero ad Illmum Auctorem scripsimus, et rogamus non nostro sed publico ecclesiae Belgicae nomine quidquid Sermi nostri tandem decreverint, patiatur, nos imperio eorum patuisse: ne diutius Undecimo Annalium ecclesiasticorum tomo carere illa, nullo suo merito, cogatur, nam dum tractatus de Monarchia Sicula cudendi facultatem nobis negant Principes, nec alterius editionis exemplaria in Belgio admittant. Iterum vale, mi amicissime, et de re hac nostra si quid intelligas scribe. Antverpiae, in [287] officina Plantiniana. VIII Id. Jan. anni novi MDCVI quem felicissimum tibi ex animo precor.

B. Moretus.


In Tacito ClmiLipsii recudendo et commentarii textui subjungendi rationem servamus, quae in Seneca. Florum jam paene nobis addixit, quem cum Paterculo in fine Taciti addamus.


L'adresse porte dans le Registre des Minutes: Petro Rubenio Romam.


Minute au Musée Plantin-Moretus, à Anvers. — Extrait publié par M. Génard: P.-P. Rubens. Aanteekeningen, etc. Antwerpen, 1877. P. 451. — Citée par M. Max Rooses: P.-P. Rubens en Balth. Moretus (Bulletin Rubens, I. P. 213).


TRADUCTION.
BALTHASAR MORETUS A PHILIPPE RUBENS.

Je vous félicite de tout coeur de votre arrivée à Rome; nous en avons appris avec plaisir la nouvelle par notre ami Woverius. Je présume que vous avez reçu notre ballot ou que vous le recevrez bientôt. Veuillez, je vous prie, remettre en mon nom, à chacun son petit paquet: au Cardinal Baronius, au Rév. Barbiani, au Rév. Baptiste Bandini, à M. Paul Loppers, secrétaire du Cardinal Baronius. Il y a, dans le ballot, un colis marqué des lettres P. R. que votre mère nous a remis; deux autres paquets à notre nom renfermant deux exemplaires de Senèque et deux des N. D. de Hal et de Montaigu, que vous aurez à offrir de la part de leur illustre auteur. Nous venons de terminer son Lovanium et nous avons eu l'occasion de l'envoyer immédiatement là-bas au libraire Gaspard Paliotti. Je n'ai pas oublié d'ajouter à l'envoi un exemplaire pour vous, comme un faible gage de notre amitié; j'y avais joint encore un autre pour Baptiste Baron. Mais celui-ci nous est revenu plus tôt qu'on ne le croyait et, par conséquent, nous a causé plus de plaisir. Quand l'exemplaire vous arrivera, offrez-le en notre nom, à M. Hemelaer comme un témoignage de l'amitié qu'un jour je contracterai et affirmerai avec lui personnellement. Adieu, cher savant, aimez bien celui qui vous aime.

[288] Nous avons différé jusqu'à présent de répondre au Cardinal Baronius, dans l'attente où nous sommes du décret de notre Sérme Archiduc. Jusqu'à présent, il n'a rien fait d'autre que d'écrire en Espagne et de demander la décision de son frère le Roi Catholique. Nous avons écrit très longuement à l'illustre écrivain; nous lui demandons, moins en notre nom qu'en celui de l'église Belgique, qu'il veuille bien se soumettre à ce que nos Archiducs auront décrété, puisque c'est nous qui en souffrons par leur ordre; qu'il veuille ne point priver plus longtemps du tome onzième des Annales ecclésiastiques l'Église qui n'y a donné aucun sujet, attendu que les Princes nous refusent l'autorisation de publier le traité de la Monarchie de Sicile et n'admettent pas en Belgique des exemplaires d'une autre édition. Adieu de nouveau, cher ami, écrivez-nous si vous apprenez quelque chose de neuf sur cette affaire. Anvers, de l'officine Plantinienne, le 6 janvier de l'année nouvelle que je vous souhaite heureuse de tout mon coeur.

B. Moretus.

Dans notre réimpression du Tacite de Juste Lipse, nous conservons le système de joindre le commentaire au texte, comme dans le Sénèque. Il nous a presque livré le Florus que nous ajouterons à la fin du Tacite avec le Paterculus.

COMMENTAIRE.

Bien que le nom de Pierre-Paul ne soit pas même prononcé dans cette lettre, — excepté sur l'adresse, ce que nous expliquerons tout-à-l'heure, — cette lettre est importante pour l'intelligence de la correspondance de Moretus et elle ne l'est pas moins comme document biographique.

Elle nous apprend tout d'abord le récent retour à Rome de Philippe Rubens.

Ainsi que nous l'avons dit, Philippe s'était fixé à Louvain auprès de Juste Lipse, qui le destinait pour son successeur. Mais, soit par modestie ou défiance de lui-même, comme le veut son biographe, Jean Brant, soit qu'il eût la nostalgie de Rome, soit même, comme nous le croyons, qu'il fut appelé en Italie par son frère, il se résolut à quitter son vieux maître. Grâces à son appui, comme nous l'avons vu, il a obtenu la position très enviée de bibliothécaire du cardinal Ascanio Colonna, titre qui comprenait, en outre, selon la coutume, celui de secrétaire ou d'auxiliaire aux études. La nomination [289] doit avoir eu lieu en juillet 1605; car c'est le 31 de ce mois que Philippe adresse sa lettre de remerciements au cardinal Olivari, et par la lettre que nous commentons, on voit qu'il s'est rendu à son poste vers la fin de l'année.

Une courte notice sur le cardinal Ascanio Colonna servira en même temps d'explication au fait principal dont il est question dans la lettre. L'homme est, du reste, très intéressant: il nous offre une figure accidentée, un type dans une famille féconde en types de tout genre, et il tient sa place au milieu de ce curieux mélange de personnages avec lesquels le peintre s'est trouvé en rapport, au début de sa carrière, à Mantoue, en Espagne, à Rome. Malheureusement, dans beaucoup de cas, nous ne pouvons qu'entrevoir ou même supposer ses relations avec eux: aussi, le moindre point de contact que nous découvrons devient un élément précieux.

Ascanio, né en 1559, est le fils de Marc Antoine Colonna, le célèbre commandant des galères pontificales à la bataille de Lépante, et de Felicia Orsini. Son père, qui était alors au service de Philippe II, l'envoya jeune en Espagne, pour y compléter son instruction à l'université de Salamanque, puis à celle d'Alcala, où il prit ses grades avec honneur. N'ayant qu'une santé chétive, affligé de plusieurs infirmités, entr'autres de celle d'être privé du sens du goût, à cause de quelque défectuosité au palais, — ce qui l'obligeait à ne boire que des liquides glacés, — mais doué d'une vive intelligence et d'une mémoire prodigieuse, il se livra tout-à-fait à la vie sédentaire de l'étude, se rendit familières plusieurs langues, et acquit des connaissances variées. Se destinant aux fonctions élevées de l'Église, il cultiva surtout le droit canon et attira même, sous ce rapport, l'attention de Philippe II, à la politique duquel il était fort attaché. La plupart des Colonna ont été, d'ailleurs, du parti espagnol. Le roi lui donna une riche abbaye et demanda pour lui à Sixte Quint, en 1586, le chapeau de cardinal. Revenu à Rome, il y reçut diverses dignités et vécut avec le faste d'un prince. Distingué comme humaniste, avide de savoir, il se glorifie lui-même d'avoir été en relation d'études ou de correspondance avec C. Sigonio, Marc Antoine Muret, Jacques Cujas, Fr. Benci, Juste Lipse, Arias Montanus, etc. Il recueillit une bibliothèque des plus riches dont le noyau fut la collection precieuse du cardinal Sirlet, le savant conservateur de la Vaticane, et qui s'augmenta des collections du pape Marcel II, d'Albert Pio de Carpi et d'acquisitions incessantes.

Se rappelant, sans doute, que le pape Martin V, Othon Colonna, un de ses ancêtres, avait été le fondateur de l'Université de Louvain, il tenait en haute estime l'homme qui était alors la gloire de cet établissement, Juste [290] Lipse, et leur correspondance, qui commence en 1595, fut assez intime pour que le professeur s'en servît pour être l'appui de ses compatriotes auprès du puissant Cardinal. Il lui recommanda Philippe Rubens et, une autre fois, Charles Dellafaille, d'Anvers.

En 1602, il alla en Espagne, sans doute à l'invitation du Roi, qui le reçut avec honneur et le nomma vice-roi d'Arragon. Il y resta trois ans et il est assez probable que Pierre-Paul l'a rencontré à la cour. Le Cardinal revint à Rome au commencement de 1605: c'est immédiatement après son arrivée que Juste Lipse, avisé de ce retour, lui écrivit cette lettre de recommandation si chaude, si exagérée, peut-on dire, du 1 avril, en faveur de Philippe.

La haute et paisible existence du Cardinal fut troublée par une disgrâce que lui valut son attachement au roi d'Espagne, à propos du fameux débat entre la cour de Rome et celle de Madrid, connu sous le nom de débat de la Monarchie de Sicile. On sait que Charles, comte de Provence et d'Anjou, frère de St. Louis, avait accepté la couronne de Naples et de Sicile, comme vassal du St. Siège. Tous les ans, lui et ses successeurs présentaient au souverain Pontife une belle et bonne hacquenée blanche, avec 7000 ducats et renouvelaient une formule d'hommage. Ce tribut était payé en grande cérémonie: il le fut encore en 1599, par Philippe III au pape Clément VIII.

Mais, à diverses reprises, des protestations s'étaient élevées du côté de l'Espagne contre cet acte de vassalité et, dans les écoles, on en contestait ouvertement l'existence historique et le droit. C'est alors que le cardinal Baronius lança, dans le Tome XI de ses Annales ecclesiastici (1605), à la demande expresse du pape Clément VIII, son fameux traité de Monarchia Sicilioe, qui est une attaque des plus vives contre l'Espagne. Il envoya cette oeuvre à son collègue Ascanio Colonna, qui revenait de ce pays, et le pria de donner librement son avis sur un travail auquel il avait donné des soins particuliers et qu'il regardait comme étant tout à fait décisif. Atteint dans ses prédilections politiques, ayant remarqué aussi les erreurs et les subtilités accumulées dans le travail qui lui était soumis, Ascanio prit immédiatement la plume, et malgré les souffrances qu'il éprouvait en ce moment-là, il écrivit d'un trait une critique très acerbe du traité ou plutôt un éloge chaleureux du roi d'Espagne (1). C'était en quelque sorte opposer le Roi au Pape et donner tort à celui-ci.

[291] Cette lutte entre deux princes de l'Église fit l'effet d'un scandale d'autant plus vif que chacun des deux champions avait de chauds adhérents. Au commencement, il semble que le cardinal Ascanio eut l'avantage, car Baronius, dans une réplique plus acerbe encore que la réponse à son traité, se plaint de la guerre implacable qu'on lui a déclarée et des injures qu'il a reçues. Toutefois, ayant affirmé que son traité de Monarchia avait été commandé et approuvé par le Pape, il imposa silence à ses adversaires et Ascanio fut qualifié de traître et d'apostat. Cette situation, pour tout autre que lui, eut été pénible et dangereuse. Mais il était Colonna, très altier, très indépendant: l'orage passa sur sa tête. D'ailleurs le Pape Clément VIII vint à mourir peu après, le 3 mars 1605, et le nouveau Pape Léon XI qui lui succéda, n'eut qu'un règne de quelques jours: nommé le 1r avril, il mourut le 27 du même mois. Paul V, un Borghèse, monta sur le trône pontifical le 16 mai. Ancien ambassadeur de Clément VIII auprès de Philippe II, le nouveau Pontife n'était pas anti-espagnol. D'ailleurs, il eut bientôt à traiter d'autres affaires plus graves que celle du tribut de la haquenée: d'abord la dispute entre les Jésuites et les Dominicains à propos du système de la grâce d'Antoine Molina, et puis une affaire plus sérieuse, une lutte d'autorité entre lui et Venise, défendue par Fra Paolo Sarpi, lutte qui aboutit à un interdit jeté sur la république et à des préparatifs de guerre (1).

Cette affaire donna l'occasion au cardinal Ascanio de se réconcilier avec le Pape ou plutôt avec la politique pontificale: il écrivit pour la défense de celle-ci un vote ou avis motivé (votum) adressé à la République, avis dans lequel il soutient les prérogatives du Saint-Siège avec non moins de vigueur qu'il les avait attaquées auparavant dans la question de la Sicile. Le Pape le récompensa en le nommant évêque de Palestrina, le 5 mai 1606.

La lettre de Balthasar Moretus se rapporte à l'affaire de la Monarchie de Sicile. L'imprimerie Plantinienne avait entrepris une édition des Annales Ecclesiastici qui suivait pas à pas celle de Rome. Quand apparut le fameux tome XI, le roi d'Espagne le frappa immédiatement d'interdit; Baronius essaya de défendre son oeuvre par une lettre très peu révérencieuse, datée de Tusculum, le 13 juin 1605, mais sans succès; le traité resta prohibé dans la monarchie espagnole. Cette défense mit l'éditeur d'Anvers dans le plus grand embarras. Imprimerait-il le Tome XI avec ou sans le Traité de Monarchia?

[292] Dans une lettre, du 2 novembre 1605, Balthasar Moretus raconte à Juste Lipse ses démarches à ce sujet: „Mon père, dit-il, a été conférer à Bruxelles avec le président Richardot. Celui-ci demandera par Toledo ce qui sera résolu en Espagne à cet égard; ensuite il se concertera avec les Archiducs pour obtenir la permission d'imprimer. Il a vu aussi le Nonce qui avait, parmi ses papiers, le Judicium d'Ascanio Colonna. Mais le Nonce se retranche derrière l'autorité du St. Siège. Il promet cependant d'en parler aux membres du Conseil et d'écrire à Baronius. M. Uwens est rentré à Malines. Lundi, il a vu chez l'official Oudart un exemplaire de la lettre de Baronius au roi d'Espagne, lettre dans laquelle le Cardinal affirme avoir retenu son écrit jusqu'après l'élection du Pape, pour ne pas avoir l'air de s'en prévaloir comme candidat à la Papauté; il n'en veut pas au roi d'Espagne dont il est le sujet. Arrivé dans les Annales à l'époque du diplome Sicilien, il a voulu étudier la question, il l'a fait par ordre de Clément VIII, lequel a lu l'écrit, l'a fait examiner par trois Cardinaux et l'a approuvé. ”

Dans une autre lettre du 8 novembre, au même, Moretus dit qu'il attend toujours la décision du Gouvernement (1).

Au fond, il pouvait parfaitement ne point se soucier de la défense faite par le roi Philippe III, laquelle ne concernait que ses États. Mais la lettre de Moretus nous offre une preuve entre mille de la situation mal définie dans laquelle se trouvait alors la Belgique vis-à-vis de l'Espagne. Malgré sa constitution en souveraineté particulière au profit des Archiducs Albert et Isabelle, elle n'en était pas moins restée un fief des rois d'Espagne, qui continuaient toujours à appeler les Pays-Bas nostros Estados. Aussi ne faut-il pas s'étonner en voyant ici Moretus adresser à l'Archiduc une requête, que celui-ci s'empressera de transmettre à Philippe III.

Moretus, pressentant bien quelle sera la réponse du Roi, engage le Cardinal à laisser imprimer le tome XI sans le traité; mais Baronius, dont l'énergie s'était accentuée avec l'âge, ne voulait point entendre raison et exigeait la reproduction intégrale de son livre. Notre lettre et les suivantes donnent la suite de cette curieuse affaire, dans laquelle, on le voit, Philippe Rubens a joué un petit rôle de personnage intermédiaire.

Sa position était difficile. Sujet espagnol et serviteur d'Ascanio Colonna, l'antagoniste de Baronius, il doit être de l'avis du Roi dans la question, et c'est lui que l'on charge de demander à l'auteur des Annales de se soumettre, [293] en quelque sorte, à la décision prise par le Roi, en autorisant la suppression du Traité de la Monarchie, dans le tome XI de la réimpression d'Anvers.

Nous verrons plus loin comment il s'est acquitté de sa mission.

M. Max Rooses, en citant cette lettre, (Bulletin Rubens, I. 213), nous fait part d'un singulier détail. „Les minutes des lettres de Balthasar Moretus à Philippe Rubens, dans les régistres de la maison plantinienne, portent pour adresse tantôt à Philippe tantôt à Pierre Rubens. Celles des 5 novembre 1600, 28 juillet et 17 novembre sont adressées à Philippe, celles du 6 janvier et du 7 avril 1606, le sont à Pierre. Cette étrange méprise, qui se repète dans la table alphabétique des lettres, placée en tête des registres, m'a fait longtemps commettre l'erreur de croire que ces deux dernières étaient adressées au peintre. Mais des recherches ultérieures et le contenu des réponses m'ont prouvé qu'elles sont, comme les autres, adressées à Philippe”.

En examinant de près toutes les circonstances de leur sujet, nous croyons que ces lettres ont été réellement envoyées à Rome sous le couvert de Pierre-Paul. Il s'agit d'une affaire très délicate, d'une démarche à faire auprès de Baronius. Or, il eût été imprudent d'adresser la lettre à Philippe qui était au service du Cardinal Colonna, l'adversaire de l'auteur du traité de Monarchia. On voit même que Moretus a pris la précaution d'écrire, à part, après la lettre, comme post-scriptum toute la partie relative à l'affaire. Il est probable que cette partie a été écrite séparément et insérée dans la lettre, de manière à ce que celle-ci pût même être communiquée au Cardinal. La lettre du 14 avril n'était pas de nature non plus à passer sous les yeux de ce dernier: elle a donc pu être adressée, pour le même motif, à Pierre-Paul. Dans les lettres suivantes, il est question encore de l'affaire, mais d'une manière fugitive; il ne s'y trouve pas un mot qui puisse compromettre Philippe Rubens.

La missive de Moretus nous fait connaître plusieurs personnages avec lesquels les Rubens devaient avoir des rapports. Après le cardinal César Baronius, qui est suffisamment connu, nous trouvons:

Le révérend Barbiani. Il y avait deux hommes de ce nom: 1° Marcello Vestrio Barbiani, un ancien élève de Muret, qui avait épousé une noble romaine de la famille des Rubici et occupa de hautes dignités à la cour Papale. Devenu veuf en 1596, il se fit ecclésiastique, devint chanoine et mourut le 9 juillet 1606. 2° Ottaviano Vestrio Barbiani, fils du précédent, né vers 1577. Il vécut à la cour d'Urbain VIII, s'occupa de musique et de littérature et devint chevalier de Calatrava. Il était ami de Gaspar Scioppius, [294] écrivit quelques discours en l'honneur des papes Grégoire XIV et Urbain VIII et mourut en 1626. Celui dont il est question ici est probablement le premier, le môme qui a signé le Bref de Paul V à Juste Lipse et à qui est adressée la lettre du 25 février, deux documents que nous donnons plus loin.

Le révérend Bandini, Jean Baptiste, naquit à Florence, en 1551; il était, à cette époque, le directeur de l'imprimerie vaticane et publia, avec de grands soins, une édition des Psaumes. En 1619, il devint chanoine de St. Pierre et mourut en 1628.

Loppers, Gérard (1), était de la Frise et devint secrétaire de Baronius. Dans l'affaire du Pape contre la république de Venise, il publia, à Bologne, en 1606, une brochure en faveur de la cause pontificale (2).

Le Senèque, les N. D. de Hal et de Montaigu et le Lovanium sont, comme chacun sait, des ouvrages de Juste Lipse, tous publiés par Moretus, dans les derniers temps de la vie de l'auteur, qui mourut le 23 mars suivant.

Le nom „Baptistae Baronio” dans une lettre où il est tant question du cardinal Baronius, pouvait faire croire qu'il s'agit d'un parent de celui-ci. Il n'en est rien. Ce nom est celui de Jean-Baptiste Perez de Baron, d'Anvers, neveu de Nicolas Rockox, le célèbre bourgmestre, qui fut le grand ami des Rubens et surtout de Pierre-Paul. Jean-Baptiste voyageait en Italie, après avoir terminé ses études à Louvain chez Juste Lipse. On peut voir des poésies que lui adresse Philippe Rubens dans le recueil posthume des oeuvres de celui-ci.

Jean Hemelaer mérite une mention spéciale. Il naquit à La Haye, en 1580, et fut envoyé à Louvain, pour s'y perfectionner dans les lettres sous Juste Lipse. Sur les exhortations de son maître et celles du père Schoondonck, de la Compagnie de Jésus, il abjura le Calvinisme et se fit catholique. Il se lia d'amitié avec son condisciple Philippe Rubens, comme le témoignent les lignes que celui-ci écrivit dans l'Album amicorum d'Hemelaer, qui se conserve à la bibliothèque royale de Bruxelles. En 1600, muni d'un superbe Testimonium délivré par Juste Lipse, il se rend en Italie et devient, à Rome, le secrétaire du cardinal Bartolomeo Cesi. Après y avoir résidé six ans, ayant obtenu, par la protection du Cardinal, un canonicat à Notre Dame d'Anvers, il [295] revint en Belgique, en 1607, et y mourut en 1655. Il fut pendant toute sa vie un grand ami de Pierre-Paul, et nous aurons souvent, dans la suite, l'occasion de voir son nom dans la correspondance du peintre et de parler de ses ouvrages.

La nouvelle édition du Tacite, dont il est question dans le post-scriptum de Moretus, parut en 1607, avec le Paterculus, mais sans le Florus, dont le texte et les notes ne furent livrés qu'en partie et restèrent en manuscrit chez Moretus.


LXXII
PAULUS PP. V. JUSTO LIPSIO.

Dilecte fili, salutem et apostolicam benedictionem. Ouod nobis Apostolicae dignitatis munus, in tua Senecae ad Nos missi praefatione, gratularis, facis tu quidem peramanter, et quae tua in Nos fides et observantia est, summopere laetaris; sed longe aliter nobis videtur. Quamvis enim hic Deo proximus Majestatis gradus ad speciem, sicuti re ipsa est, honestissimus sit, est tamen maxime ad laborem proclivis et anceps. Quis enim esse potest quieti locus in eo, qui ad se recipisse cogitaverit, ut exactam Deo omnium Christi fidelium rationem suo periculo referat? Praeterea cum Pontificis vita altiore loco posita sit, ideoque omnium ad se oculos rapiat, nonne ille perpetua quadam sollicitudine urgeatur, ne qua in re ab religione officii declinasse argui possit? Quare cum supremo huic muneri tanti labores impendeant, non videmus quid sit cur tantopere laetari debeamus. Neque tamen inficiamur spem aliquam in eo Nos consolari, quod facultas nobis oblata sit, publicae Christiani Orbis tranquillitati, et eorum praesertim paci, ac saluti, sicuti optas, quantum in nobis erit, consulendi, qui bellorum motibus jamdiu agitantur, errorumque tenebris misere involvuntur, atque etiam piorum hominum religionem, et Litteratorum studia remunerandi, qui in fidei Catholicae propugnatione operam [296] eruditionemque suam effuderunt, ad quorum numerum Nos brevi nomen tuum adscripturos esse confidimus. Etenim, ut in antiquitatis memoria prascipue colligenda, et in omni Regni jure diligenter explicando, ac variis egregiisque in rebus illustrandis nervos industriae tuae hactenus contendisti, ita etiam speramus fore, ut brevi ad Ecclesiae Catholicae amplitudinem et excellentiam, quae longe omnium Regnorum praestantiam vincit, pro dignitate tractandam, augendamque ingenii tui vires conferas. Quid enim est dignius, in quo aut maturae aetatis tuae labor et studium expromatur, aut Christianae pietatis cultus, religioque declaretur? Atque etsi vetus Roma priscis illis temporibus clarorum civium gloria, et summorum hominum, atque omni virtutum laude praestantium copia floruit, ea tamen, cui nunc Christo Domino regnante praesidemus, non est adeo horum ornamentorum expers, quin religiosissimos, eruditissimosque Viros complures habeat qui proxime ad veterem illam, insignemque doctrinam atque sapientiam accedere, et cum ipsa antiquitate aequari, conferrique posse videantur. Verum, ut his omnibus careat (quod certe non est) clarissimae Beatorum Apostolorum Petri et Pauli victoriae, gloriosissimaeque pene innumerabilium Sanctorum Martyrum coronae multo majorem famam, gloriamque conficiunt, quam quantam ceteri omnes alii veteres Romani Imperatores suis triumphis atque victoriis pepererunt.

Quae de Cardinalium in Nos miro consensu scribis, ea Spiritus Sancti gratiae, qui nescit tarda molimina, et omnium ejus Ordinis Virorum studio ac voluntati, qui Nos elegerunt, accepta referimus. Neque ea in re proprias virtutes ac laudes, quas commemoras, ipsi agnoscimus, fuit illud divinae in Nos Largitatis munus, quae sola dignos eligendo facit, fuit singulare illorum de nobis Judicium, a quo eum honorem, non ut nobis debitum, sed tanquam ab illis ultro delatum, nobisque penitus inopinatum singulari Dei beneficio accepimus. De ipso vero Senecae, Viri hominum judicio sapientissimi, tuarumque in eo elucubrationum munere, pro comperto habere te volumus, illud nobis fuisse gratissimum, et tanquam tuae optimae erga Nos et Sedem Apostolicam voluntatis pignus accepisse, et quemadmodum totum hoc [297] opus eruditione refertum esse non dubitamus, ita etiam nihil, quod pietati repugnet, in eo contineri confidimus; et idcirco illud quantum per occupationes licebit ipsi legemus, ac Viris doctrina, et religione praestantibus, quorum opera ad ejusmodi res utimur, cognoscendum trademus. Philippum autem Rubenium Latorem ejusdem tui muneris, qui proximas etiam tuas literas nobis reddidit, benevole excepimus, et quibuscumque officiis pro dignitate poterimus, tua libenter causa prosequemur. Interea nostram et Apostolicam benedictionem, quam efflagitasti, toto paternae caritatis affectu tibi deferimus, ac fausta et felicia omnia a Deo bonorum auctore precamur. Datum Romae apud Sanctum Petrum sub Annulo Piscatoris, die VII Januarii 1606. Pontificatus Nostri Anno primo.

M. Vestrius Barbianus.


Burman, Sylloge, etc. II, 175. Ep. 847. Ce bref, comme toutes les lettres de Juste Lipse ou adressées à lui, que Burman a publiées, se trouvent à l'Université de Leide.


TRADUCTION.
LE PAPE PAUL V A JUSTE LIPSE.

A notre cher fils, Salut et bénédiction apostolique. Dans la préface de votre Sénèque que vous Nous envoyez, vous Nous félicitez d'être revêtu de la dignité apostolique, vous le faites avec beaucoup d'affection et, pour Nous témoigner votre foi et votre respect, vous vous en réjouissez hautement: mais Nous l'envisageons sous un tout autre aspect. Car bien qu'elle semble être, ce qu'elle est en effet, le degré le plus proche de la Majesté divine, par conséquent le plus élevé en honneur, ce degré n'en est pas moins glissant et nous conduit à de grands soucis. A-t-il lieu, en effet, de compter sur le repos, celui qui aurait songé à assumer sur soi la charge périlleuse de rendre à Dieu un compte sévère de tous les fidèles Chrétiens? En outre, un Souverain Pontife, devant passer sa vie dans une région plus élevée, attire sur lui les yeux de tous: dès lors, ne doit-il pas être poursuivi par la constante inquiétude d'être repris en quoi que ce soit de ne pas remplir religieusement son devoir? [298] Aussi, en présence des nombreuses difficultés qui s'attachent à nos fonctions suprêmes, Nous ne voyons pas le motif pour lequel Nous devrions tant Nous réjouir. Nous en convenons cependant: Nous trouvons quelqu'espoir de consolation dans la faculté qui nous est offerte de travailler au repos du monde chrétien, et surtout de procurer, selon vos désirs, et pour autant qu'il dépendra de Nous, la paix et le bonheur à ceux qui sont, depuis si longtemps, les victimes des troubles et des guerres, ou sont misérablement plongés dans les ténèbres de l'erreur; puis aussi de pouvoir récompenser les vertus des hommes pieux ainsi que les travaux des écrivains qui consacrent leurs veilles et leur savoir à la défense de la foi catholique. Et, Nous en avons la confiance, Nous inscrirons bientôt votre nom parmi ces derniers. Jusqu'à présent, en effet, vous avez employé toutes les ressources de votre esprit à recueillir les souvenirs de l'antiquité, à les expliquer avec votre haute autorité, à éclaircir des questions aussi intéressantes que variées; mais, j'en nourris l'espérance, vous consacrerez bientôt les forces de votre intelligence à traiter et à augmenter, d'une manière digne, l'étendue et l'excellence de l'Église catholique, laquelle surpasse de beaucoup la grandeur de tous les Royaumes. Quel sujet plus digne d'occuper l'activité et l'expérience de votre âge mûr, d'affirmer votre foi et votre piété chrétienne? Si dans les temps antiques, la vieille Rome a été florissante par la gloire de ses illustres citoyens, par le nombre de ses grands hommes, par l'éclat de ses éminentes vertus, l'autre Rome, celle que nous gouvernons sous la royauté du Christ, n'est pas tellement privée de ces splendeurs qu'elle ne possède une foule d'hommes très religieux, très érudits, qui peuvent, semble-t-il, être considérés comme approchant de près à la science, à la sagesse de l'antiquité, qui sont dignes même d'être mis au niveau de ce que celle-ci a produit. Il est une vérité: c'est que, si toutes ces grandeurs lui faisaient défaut, ce qui certainement n'est pas, Rome, par les éclatantes victoires des Apôtres Pierre et Paul, par les palmes glorieuses de ses innombrables Martyrs, Rome s'est acquis une renommée et une gloire plus grandes que celles dont elle a été dotée par les triomphes et les victoires de tous ses anciens Empereurs.

Vous Nous parlez de l'accord merveilleux des Cardinaux sur notre nom: Nous le reportons à une faveur du Saint Esprit, qui ne connaît pas la lenteur des efforts, Nous le reportons au zèle et à la volonté de tous ceux de l'Ordre qui nous ont élu. Dans cette condition, nous n'admettons ni les vertus que vous Nous reconnaissez, ni les éloges que vous Nous donnez; c'est un bienfait de la divine largesse, qui seule rend dignes ceux qu'elle choisit; c'est [299] le jugement particulier de ceux dont Nous avons reçu cet honneur, non pas comme Nous étant dû, mais comme Nous étant conféré volontairement, d'une manière tout-à-fait inattendue, par une grâce particulière de Dieu. Nous voulons vous l'affirmer: le don de votre Sénèque, de ce grand sage selon le jugement des hommes, et de vos commentaires sur ses oeuvres, Nous a été très agréable: Nous l'acceptons comme un gage de votre attachement à Nous et au Saint Siège Apostolique. Nous ne doutons point que tout l'ouvrage ne soit rempli d'érudition; en même temps, Nous en avons la confiance, il ne contient rien de contraire à la religion. Aussi Nous le lirons nous-même, pour autant que nos occupations le permettront, et Nous le donnerons à examiner aux hommes éminents par la science et la piété, auxquels Nous avons recours pour de semblables offices.

Nous avons accueilli avec bienveillance le porteur de votre offrande, Philippe Rubens, qui nous a remis aussi votre dernière lettre et nous lui rendrons volontiers, à cause de vous, tous les services que nous pourrons lui rendre en vertu de notre dignité.

En même temps, Nous vous accordons, avec toute l'affection de notre coeur paternel, notre bénédiction apostolique, que vous Nous avez demandée et Nous prions Dieu, auteur de tous les biens, de répandre sur vous toutes ses faveurs.

Donné à Rome, près de St. Pierre, sous l'anneau du pêcheur, le 7 janvier 1606, l'an premier de notre Pontificat.

M. Vestrio Barbiano.


COMMENTAIRE.

La dédicace au pape Paul V d'une édition des oeuvres de Sénèque fut un évènement dans la vie de Juste Lipse; la présentation que celui-ci en fit faire par son élève chéri dut être un évènement aussi dans la vie de Philippe Rubens. Il y a lieu d'entrer dans quelques détails, d'autant plus qu'il est assez probable que Pierre-Paul, alors à Rome, n'aura pas manqué d'accompagner son frère à l'audience papale et à la remise du livre.

Juste Lipse eut, comme on sait, deux passions classiques: Tacite et Sénèque. Il a commencé sa carrière de critique par une édition commentée du premier, il la termina par une édition commentée du second. Son attachement à l'un ou à l'autre des deux illustres écrivains correspond assez aux fluctuations de ses propres idées: l'âpre indépendance de l'historien le captiva pendant [300] sa jeunesse; le stoïcisme accommodant du philosophe plut davantage à son âge mûr et à sa vieillesse. Dans ses derniers temps surtout il s'éprit du Portique et de son illustre adepte.

Après avoir préparé la voie par des études sur les idées et les préceptes des Stoïciens, Juste Lipse entreprit une édition nouvelle de Sénèque à laquelle il donna de grands soins. Selon la coutume, il devait dédier l'oeuvre à quelque personnage élevé. Au moment où il terminait son travail, il était regardé encore, par la plupart des érudits d'Europe, comme le chef du triumvirat qui dominait le monde de l'intelligence; la renommée de Scaliger, comme celle de Casaubon, pâlissait devant la sienne. Lui-même, malgré les vives attaques dont il fut l'objet et sous lesquelles il commençait à plier, se considérait toujours in petto comme le premier de la République des lettres. Il ne pouvait donc faire l'hommage de son livre, couronnement de sa longue carrière, qu'à un autre dominateur: au Pape.

L'occasion était propice: Innocent IX venait de mourir après un règne de deux mois à peine; un nouveau Pontife avait été nommé le 16 mai: Camille Borghèse qui prit le nom de Paul V. Le Sénèque était terminé le 27 juin; au jour même, probablement, où la nouvelle de l'élection papale parvint aux Pays-Bas, le vieux professeur de Louvain signait une dédicace au nouveau Pontife. Il ne peut donc pas y avoir eu des négociations préliminaires pour obtenir la faveur d'offrir le livre: c'est par un acte spontané, autoritaire, en quelque sorte, que Juste Lipse exécuta son idée qui ne manquait pas de présomption, car il ne semble pas qu'il ait eu antérieurement des rapports avec Camille Borghèse.

Écrite en beau langage de rhéteur, la dédicace s'exprime ainsi:

“Des rivages lointains de la Belgique, j'arrive à Rome avec un livre et mon coeur: je dépose à vos pieds mes félicitations et une offrande. Je vous apporte les premières avec tout l'Univers chrétien, qui tressaille de joie en voyant s'ouvrir votre Règne. La mort de deux Pontifes l'avait consterné: à votre élection, les visages s'éclairent subitement, les larmes font place à l'allégresse. La renommée de vos vertus vous avait proclamé d'avance; les suffrages du Sacré Collège n'ont fait que vous conférer l'honneur que les voeux de tous vous offraient déjà. O bonheur merveilleux! Par le jugement de tous vous êtes en possession d'une dignité avant d'en recevoir les insignes, vous êtes reconnu Pontife avant de l'être en réalité! O puissance de la vertu! O présage mystérieux des esprits, qui vous appelaient où Dieu et vos mérites vous avaient déjà conduit! Dieu, dis-je. Quoi? votre élection n'est-elle pas [301] divine? En effet, point de longue délibération, point de scrutin au vote capricieux; le Pontificat vous est offert par un mouvement spontané, d'instinct, d'une voix unanime, ou plutôt on se précipite vers l'adoration. Dans les choses humaines, surtout quand elles sont ardues, je reconnais la forte intervention de la Divinité: ceux que Dieu place le plus près de lui, il les choisit, il les protège, il les favorise de quelque signe qui les met en lumière. C'est ce qu'il a fait. Et pour qui? Pour celui qui excelle par le caractère, par le savoir, par l'expérience; pour celui en qui brillent la foi, la pureté, la bonté, la prudence, que dis-je, toutes les vertus, au point que la voix publique s'est écriée: Tel doit être celui que les peuples ont à adorer!

C'est à bon droit, donc, que nous nous félicitons, et nous, Belges tout particulièrement. Ballotés, presque submergés dans un Océan de guerres et d'erreurs, nous voyons en vous notre espoir: nous vous adressons nos prières, secourez-nous! Usez de votre pouvoir et de celui des Rois, ordonnez que l'on dépose ces armes meurtrières qui se lèvent pour la perte de l'Europe. Notre pays n'est qu'un pauvre coin de terre, mais il est puissant et son importance est grande en toutes ses parties; la tournure que les événements y vont prendre sera, je le crains, j'ose le prédire, celle qu'ils prendront dans presque toute l'Europe. Nous demandons, non pas l'emploi de moyens sévères, mais ceux de la douceur. La Paix, la Paix! Voilà le mot suave que nous répétons, la Paix! un mot que les bêtes féroces seules ont en horreur.

Maintenant, Très Saint Père, je vous présente et vous explique mon offrande. Voici Sénèque, le plus estimé de tous les écrivains anciens: par son amour de la vertu il est, de l'aveu général, presque chrétien. J'en ai corrigé le texte, je l'ai éclairci par des commentaires, je dépose le livre à vos pieds sacrés. Sénèque vient avec joie à Rome: faut-il s'en étonner? N'est-ce pas à Rome qu'il vécut jadis? Mais que vient-il faire chez Paul? Il y revient comme chez son ami d'autrefois. Car, bien qu'il ne résulte pas clairement de ses écrits qu'il y ait eu une affection réciproque entre l'Apôtre et lui, il n'en est pas moins vrai que les Pères de l'Église primitive s'accordent pour nous engager à le croire.

O Pontife souverain, accueillez-le donc cet excellent panégyriste de ce qui est vertueux et juste; o vous qui cultivez la vertu et la justice, prenez-le sous votre protection, entourez-le de gloire et de lumière; j'ose vous le demander pour le bien du genre humain! Vous en avez le pouvoir, vous qui élevez ou abaissez, vous sur qui l'Europe, l'Asie, l'Afrique, et même l'Amérique, ce nouveau monde, ont les yeux fixés, et dont tous écoutent les [302] oracles avec un profond respect. Je me prosterne à vos genoux, Très Saint Père, heureux si je pouvais le faire devant votre personne elle-même. Louvain, le 27 juin 1606.„

A cette dédicace qui, nous n'avons pas besoin de le dire, dépasse en hyperbole tout ce que l'on connait en ce genre, le Pape fit répondre par le bref que nous venons de reproduire.

Ce bref constituait une faveur exceptionnelle, une sorte d'hommage rendu à la royauté du talent; mais l'on ne peut s'empêcher de remarquer que le Pape n'a point pris au mot les exagérations qui lui ont été débitées, et qu'il voit d'un oeil plus juste les circonstances de son élection au siège pontifical ainsi que les difficultés de sa position comme pape et comme souverain. Ce qu'il faut y remarquer encore, c'est le reproche, très mitigé dans la forme, qu'il adresse au vieux savant d'avoir consacré pour ainsi dire, sa vie entière à la glorification de la Rome païenne: il avait en vue surtout le livre Admiranda sive de magnitudine romana publié en 1598. Déjà, lors de son apparition, l'on avait insinué à l'auteur de composer un Admiranda consacré à la grandeur de l'Église. Nous verrons plus loin que Juste Lipse fut sensible à la paternelle observation du Pape.

Le paragraphe important pour nous dans ce bref est celui qui est relatif à Philippe Rubens. Nous ne connaissons point la lettre que celui-ci portait au Pape de la part du professeur de Louvain, lettre dans laquelle, sans doute, il recommandait son ancien élève à la sollicitude pontificale. Promise par le bref, cette sollicitude ne tarda point à sortir ses effets.

Nous n'avons trouvé aucun détail sur l'audience dans laquelle se fit la remise du livre. Il est à présumer que Philippe Rubens en a donné le récit à son maître: malheureusement, cette missive intéressante n'est point parvenue à notre connaissance.

Quant à la date de l'audience, on ne saurait la fixer avec précision: selon toute probabilité, elle a eu lieu à la fin de décembre 1605, peu après l'arrivée de Philippe Rubens à Rome.


[303] LXXIII
GIOVANNI MAGNO AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Vederei volontieri che al SrPietro Paulo Fiamingo fossero fatte le sue rimesse appartate delli venticinque scudi il mese, così per non haver io addossato questo conto, et questo credito, ma molto più per non veder aggravato mio fratello ne suoi negoci, di questo supplico d'andarmi a procurar rimborsi alla Thesoreria, dalla quale overo che bisogna avanzar per lungo tempo, o che bisogna ricever molto disgusto col far demissioni grandi a tali ufficiali che sono indiscreti, et si pretendono gran cosa per il bisogno che si ha di loro et dell'opera sua. Il che malamente sofferisce con animo che habbi qualche senso di honorevolezza, et di già havendone fatto meco querela più d'una volta, mal volontieri li vorrei accrescer questo fastidio di più, massime che nelle stagioni avvenire overo io haverò a patire del danaro, overo egli havera a divertirsi da suoi affari di villa.

Di Roma, 11 di febio 1606.Di V. S. M. Ill.
Prontmo et obsmo serre,

Giovanni Magno.


Adresse: Al Mto Ill. S. mio Osmo il Sr Anle Chieppio, consre di S. A. Sma. Mantova.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Cité par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Aris. XXII, p. 312. — Texte inédit.


TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A ANNIBAL CHIEPPIO.

Je verrais volontiers que l'on fit à M. Pierre-Paul le Flamand ses remises séparément des vingt cinq écus par mois, d'abord pour ne pas [304] avoir à endosser, moi, ce compte et ce crédit et puis surtout pour ne pas voir mon frère en embarras dans ses affaires. Je vous supplie donc de vous employer à ce que l'on me rembourse à la Trésorerie, pour laquelle il faut ou bien faire des avances à longue date, ou bien recevoir beaucoup d'ennuis en se livrant à de grands actes d'humilité auprès des employés, une espèce d'indiscrets qui prétendent être grand'chose parce que l'on a besoin d'eux et de leur aide. Et cela se présente mal à l'esprit de celui qui a quelque sentiment d'honneur. Je m'en suis, déjà plus d'une fois, fait le reproche à moi-même. Je ne voudrais donc pas volontiers vous occasionner un ennui de plus et principalement celui de me voir à l'avenir dans des embarras d'argent ou de vous obliger à vous éloigner de vos travaux à la campagne.

De Rome, le 11 février 1605.Votre serviteur dévoué,

Giovanni Magno.


COMMENTAIRE.

Après un assez long silence, les archives de Mantoue nous parlent de nouveau, dans ce bout de lettre, du peintre qui vient d'être envoyé à Rome, pour la seconde fois, comme nous l'avons vu par la lettre précédente. Malheureusement, la missive du résident ducal à Rome, au lieu de nous apprendre quelque chose des travaux de Rubens, ne nous parle de lui que par incidence, pour nous fournir, en quelque sorte, une preuve nouvelle du désordre, de l'incurie qui présidaient aux finances de S. A. de Mantoue. Cette année, il est vrai, le budget ducal allait être mis à une rude épreuve: la duchesse Éléonore avait été priée par sa soeur Marie, femme de Henri IV, de venir en France pour être la marraine du jeune Dauphin, né le 27 septembre 1601, dont le baptème avait toujours été retardé. Le Duc, la Duchesse et leur fille partirent le 15 mai 1606: le Duc les accompagna jusqu'à Augsbourg. Puis, avec une petite suite, la Duchesse alla prendre le duc de Lorraine et arriva à Villers-Coterets où se trouvait la Cour. De là, Henri IV et la Reine la conduisirent à Paris. Le baptême eut lieu à Fontainebleau.

Pourbus, de son côté, partit de Mantoue au milieu de juillet et vint à Paris, par ordre du Duc, toujours à l'effet d'y prendre des portraits de personnages officiels et de beautés en renom pour l'ornement de la galerie spéciale. Il rentre avec la Duchesse en octobre. [305] La lettre de Gio. Magni constate donc officiellement la résidence de Pierre-Paul à Rome et nous apprend d'une manière approximative l'époque de son arrivée en cette ville. Le fait d'avoir, au 11 février, été payé, là déjà, d'un mois de ses honoraires, ce fait nous ramène au commencement de l'année 1606. D'un autre côté, le 6 janvier, B. Moretus y connaissait déjà l'adresse de Pierre-Paul puisqu'il lui expédiait la lettre destinée à Philippe. Or, il fallait aux lettres cinq semaines pour franchir la distance entre Anvers et Rome, il semble donc résulter de ce calcul que les deux frères y sont venus à la fin de novembre 1605, peut-être ensemble. Pour la deuxième fois, Pierre-Paul aura mis en activité ses dispositions diplomatiques pour se faire envoyer à Rome lorsque Philippe s'y trouvait. En ce moment où la Cour devait se préoccuper déjà, plusieurs mois à l'avance, du voyage à faire auprès de Henri IV, il est probable que le Duc ne devait pas s'intéresser beaucoup aux choses de l'art et tenir à ce que son peintre restât à Mantoue.


LXXIV
PHILIPPUS RUBENIUSBALTHASARI MORETO.

Epistolam tuam a. d. VIII Id. Jan. scriptam nudiustertius accepi et alteram litteris matris inclusam. In neutra satis expresse de sarcina, quae dies plus viginti jam est in domo publica mercimoniorum. Causam quaeris? Georgius Piscator litteris vestris et mandato opus esse dicebat absque his aperire non licere. Ego multa contra liquere mihi de voluntate vestra: imo exhibui litterulas tuas quibus fasciculos cuique suos tradi petis. Sed frustra. Nullis hos enim rationibus in sententiam meam perducere fuit. Nisi hac una quod scripto me obstrinxi, ipsum indemnem plane fore, et si pretium vecturae istic non solvatur, me hic persoluturum. Hoc pacto permittit ut ad me sarcina deferatur. Quod crastino, Deo dante, fiet. Tum fasciculos recte et ordine distribuemus. Te autem etiam atque etiam rogo, quam primum istic vecturae pretium integrum solvi cures, provideasque ne mihi cum negotiatoribus istis sit tricandum. Multum sane molestiarum jam exhausi et aegre mihi [306] fuit sarcinam tamdiu fuisse detentam. Oportebat certe aliquid Piscatori significasse et, ut scio, moris est. Nam etsi hic ego sim eique notus, quia tamen non scripscras, ut ab illo mihi traderetur, gravate fecit, ut dixi. Per Gasparum Paliettum non incommode fiat si quid in posteriori velis, aut alium si modo indicetur. Sed typographus ille vir valde humanus et mihi operam tuam obtulit in litteris librisque curandis. Lovanium avide exspecto et gratias magnas eo nomine ago. De Baronio familiarius et liberius egi cum Gerardo Loppersio. Parva spes est placandi impetrandique quod optatis. Obfirmato videtur animo, mutilam illam et mancam editionem non concedendi. Doleo certe vestram vicem, et velim rem aliquo modo confieri posse. Vos certe extra omnem culpam, nec juste potest irasci. Vale, mi amice, et nos ama. Raptim Romae, XIII Kal. Martias 1606.


Ut Piscatori plane satisfiat oro obtestorque te, tribus ut ei verbis scribas quieto sit animo pretium vecturae istic esse persoluturum. Veretur enim ne qui Mediolano miserunt, a se exigant. Quibus etiam (Littannoni di Milano o Hieronymo Volpi) bonum sit mandari ne quid a Piscatore petant. D. patrem tam officiose saluta. Gaspar Scioppius amicus meus schedulam quem vides misit, tum etiam quid petat, id communica, quaeso, cum adfini tuo D. Gallaeo, et de responso fac me certiorem. Frater meus (nam una habitamus) amanter te salutat.


Original au Musée Plantin-Moretus, à Anvers. — Extrait publié par M. Génard: P.-P. Rubens. Aanteekeningen, etc. Antwerpen, 1877. P. 451. — Cité par M. M. Rooses: P.-P. Rubens en Balthazar Moretus. (Bulletin Rubens. I, 213.) — Texte inédit.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A BALTHASAR MORETUS.

J'ai reçu, il y a trois jours, votre lettre du 6 janvier, ainsi qu'une autre lettre incluse dans celle de ma mère. Dans aucune des deux il n'est rien dit de clair du ballot qui est déjà, depuis plus de vingt jours, à l'Entrepôt public des [307] marchandises. Voulez-vous savoir pourquoi? Georges de Visscher prétend qu'il a besoin d'une lettre et d'un ordre de vous, sans quoi il ne lui est pas permis de l'ouvrir. Je lui opposai diverses preuves de votre volonté, je lui fis voir même votre lettre qui me demande de distribuer les paquets contenus dans le ballot. Ce fut en vain: aucune de mes raisons ne put le faire abonder dans mon sens. J'y parvins d'une façon en m'engageant par écrit à le rendre tout à fait indemne et à lui rembourser les frais de port, s'ils n'étaient pas payés chez vous. Après cette convention il a autorisé la remise du ballot qui me sera faite demain, grâces à Dieu. Nous distribuerons alors les paquets avec ordre et précision. Je vous prie instamment de payer au plus tôt là bas tous les frais de port, et de faire en sorte que je n'aie plus de tracas avec ces trafiquants. Ils m'ont déjà causé beaucoup d'ennuis et j'ai été bien en peine de la longue retenue de ce ballot. Il est certain qu'il eût fallu prévenir de Visscher: je sais que c'est la coutume; car bien que je sois connu de lui, il m'a, comme je viens de le dire, fait des difficultés parce que vous ne lui aviez par écrit de me remettre le ballot. Pour vos commissions ultérieures, vous pourriez commodément vous servir de Gaspard Palietti ou d'un autre qui vous serait indiqué déjà. Mais ce typographe est un homme très obligeant et il m'a déjà été utile pour l'envoi de lettres ou de livres. J'attends avec impatience le Lovanium et, d'avance, je vous remercie vivement. J'ai traité très familièrement et très librement de l'affaire de Baronius avec Gérard Loppers. Il y a peu d'espoir d'apaiser le Cardinal et d'en obtenir ce que vous désirez. Il semble très décidé à ne pas autoriser une édition mutilée et tronquée. Je suis au regret de ce qui vous arrive et je voudrais que l'affaire pût s'arranger de quelque manière. Vous êtes exempt de toute faute et son irritation est injuste. Au revoir, mon ami, aimez-moi. En hâte, de Rome, le 17 février 1606.


Pour satisfaire tout-à-fait de Visscher, je vous prie, je vous supplie de lui écrire trois lignes pour le tranquilliser et pour lui dire que les frais de port lui seront remboursés là bas. Il craint que les expéditeurs de Milan ne les lui réclament. Il serait bon d'écrire à ceux-ci, aux Littantoni de Milan ou à Jérôme Volpi, qu'ils n'en fassent rien. Mes salutations affectueuses à M. votre père. Mon ami Gaspar Scioppius me transmet le billet ci-inclus; communiquez, je vous prie, sa demande à M. Galle, votre beau-frère, et envoyez-moi la réponse. Mon frère, qui demeure avec moi, vous salue amicalement.


[308] LXXV
GASPAR SCIOPPIUSPHILIPPO RUBENIO.

Salve optatiss. D. Philippe,

Misit mihi Welserus frontispicium immo praefationem notarum in Imagines Fulvii. Index hic est:

«Joannis Fabri Medici Romani in imagines illustrium Fulvii Ursini a Theodoro Gallaeo in aere incisae commentarius.» Sed cum meo nomine Welserus a Gallaeo duo exemplaria stipulatus fuerit, rogo scribas Gallaeo, ut duo illa exemplaria Roma mittat. Sed et D. Faber plurimum rogat sibi duorum ibidem exemplarium copiam fieri, id si grave nimis Gallaeo accidat, uno se contentum fore ait, pro altero tolerabile pretium offert quare in te taedet, utrique nostrum hic gratificeris. Vale et Dñ. fratrem salve.

Tuus G. Scioppius.

Adresse: V. C. Phil. Rubenio suo.


Original au Musée Plantin-Moretus. — Se trouvait joint à la lettre précédente. — Texte inédit.


TRADUCTION.
GASPARD SCIOPPIUS A PHILIPPE RUBENS.

Velser m'a envoyé le frontispice ainsi que la Préface des commentaires sur les Imagines de Fulvius. En voici le titre: «Joannis Fabri Medici Romani in imagines illustrium Fulvii Ursini a Theodoro Gallaeo in aere incisae commentarius.» Velser a stipulé, en mon nom, avec Galle la remise de deux exemplaires: je vous prie d'écrire à Galle de me les envoyer à Rome. M. Faber demande instamment aussi qu'il lui soit octroyé deux exemplaires; si cela paraît trop onéreux à Galle, Faber dit qu'il se contentera d'un seul et offre un prix raisonnable pour le deuxième. Donc, à moins que cela ne vous importune, rendez-nous, à tous deux, ce bon office.

Au revoir; saluez, de ma part, M. votre frère. Votre

G. Scioppius.


[309] COMMENTAIRE.

Cette réponse de Philippe Rubens nous apprend la suite des négociations pour arriver à un accommodement avec le cardinal Baronius. Ce serait sortir de notre cadre que de nous arrêter sur ce sujet: il nous suffira de dire que les archives de la Maison Plantinienne renferment plusieurs lettres du célèbre cardinal qui témoignent de l'extrême importance qu'il attachait à la publication de son traité de Monarchia dans l'édition des Annales qui s'imprimait chez Moretus. Il en faisait une question d'état; à aucun prix il n'eût voulu céder. Au fond, c'était montrer un entêtement sénile; car il savait bien que l'affaire ne dépendait pas de l'imprimeur et, qu'en dernière analyse, le roi d'Espagne devait l'emporter.

Un détail important nous est fourni: les deux frères demeurent ensemble. Mais où? Nous connaissons divers exemples du secrétaire et du bibliothécaire habitant le palais du cardinal au service duquel ils sont attachés: on peut croire que c'était une coutume. En était-il de même de Philippe Rubens en ce moment-là? Certes, le palais Colonna, l'un des plus vastes de Rome, pouvait parfaitement donner l'hospitalité aux deux frères. Situé au pied du Quirinal, fondé par Martin V, agrandi et embelli par divers membres de la famille et surtout par Marc-Antoine, il a toutes les allures d'une demeure princière. Déjà au XVIIe siècle, il était cité parmi les plus riches en objets d'art de l'antiquité et en oeuvres de l'école italienne. Avant Philippe Rubens, le cardinal avait eu pour secrétaire Alexandre Tassoni et pour bibliothécaires Pompeo Ugonio et Antoine Bosio, l'explorateur des Catacombes avec Philippe de Winghe, de Louvain, qui paraissent avoir été les commensaux du cardinal.

Deux motifs nous font croire que Philippe ne résidait point au palais Colonna. D'abord, il résulte d'un acte authentique, une procuration donnée par les deux frères, à leur mère, le 4 août 1606, qu'à cette époque; ils demeuraient ensemble dans la rue della Croce, près de la place d'Espagne (1) [310] et, ensuite dans une lettre de Pierre-Paul, en date du 2 décembre 1606, il est dit que depuis un an il tient une maison avec deux serviteurs, ce qui nous reporte en décembre 1605.


LXXVI
JUSTUS LIPSIUSM. VESTRIO BARBIANOROMAM.

Reverendissime Domine. Cum Breve Apostolicum legi, quod hesterno die accepi, facile mihi fuit, etiamsi nomen tuum subscriptum non vidissem, agnoscere ex ipso stilo te auctorem alterum, id est scriptorem. Itaque ut Summo ipsi Pontifici statim, ut debui, respondi, volui ut pauca haec tibi, renovando veteri amori nostro, eique magis firmando. Equidem gaudeo munus nostri Senecae non displicuisse tanto arbitro; ad quem caussa mittendi vel praecipua mihi fuit, ut palam omnibus ostenderem cultum et affectionem animi mei in hanc Sanctam Sedem. Quam, quod hortatur me Sua Sanctitas, ut etiam stilo adornem, et vere Admiranda ejus ostendam: scio et ante monitum me fuisse, et jam tunc respondisse, voluntatem meam inclinatam esse. At nunc certe magis, cum tantus imperator (ita loquendum est) accedit: et si Deus vitam ac valetudinem largietur, incipiam ac patrabo. Alioqui et alio genere studium meum propugnandae veritatis sum professus, editis Miraculis Divarum apud nos Hallensis et Sichemiensis, quarum prior in veteri cultu est, altera nunc incepit, et utraque beneficiis ac miraculis insignis. Scis, Reverendissime Domine, nihil aegrius esse adversariis, quam vel de Diva ista audire, vel de Miraculis: quia et illa est, quae Ecclesiae testimonio haereses omnes vicit; et haec sunt inter verae et Catholicae, id est Romanae Ecclesiae, certissimas notas. Itaque etsi professione in aliis studiis sumus, tamen et pietas nos interim ad haec sacra vocat: magisque sequar in aetate hac graviore, et quae me ad seria et salutaria jure hortatur. Nam et de postuma [311] vita scio cogitandum. Reverendissime Domine, salvere longum te cupio et amantem me redamare, et affectus ejusdem scintillam in Phil. Rubenium spargere, amicum meum, et dotibus ingenii merentem. Delectaberis, cum eum bene nosces. LovaniiIII Kal. Mart. 1606.


Burman, Sylloge. II, 176. Ep. 848.


TRADUCTION.
JUSTE LIPSE A MARCELLO VESTRIO BARBIANO A ROME.

En lisant le bref apostolique, qui me fut remis hier, il m'a été facile, même avant d'avoir rencontré votre signature, de reconnaître par le style, que vous en étiez le deuxième auteur, c'est-à-dire le rédacteur. Par conséquent, en écrivant, comme je le devais, une réponse immédiate au Souverain Pontife, j'ai voulu vous écrire aussi ces quelques lignes pour renouveler notre ancienne amitié et l'affirmer davantage. Je me réjouis de ce que la dédicace de mon Sénèque n'ait pas déplu à un si haut arbitre: le motif principal qui me déterminait à le lui offrir c'était de montrer publiquement, devant tous, le respect, l'attachement que du fond de mon coeur je porte au Saint Siége. Sa Sainteté m'engage à prendre la plume pour célébrer ce Saint Siége, pour signaler ce qu'il possède de vraiment admirable: antérieurement, je le sais, on m'a adressé le même avis et, alors déjà, j'ai répondu que ma volonté était bien de le faire. Aujourd'hui, que s'approche de moi celui dont la voix est impérative, si je puis m'exprimer ainsi, ma volonté certainement sera plus soumise encore: si Dieu me prête vie et santé, je m'y mettrai et j'exécuterai. J'ai donné d'ailleurs, dans un autre genre, des preuves de mon zèle à combattre pour la vérité en publiant les miracles de nos Vierges de Hal et de Montaigu: le culte de la première est ancien, celui de la deuxième ne fait que commencer; toutes deux sont célèbres par des bienfaits et des prodiges. Vous le savez, Révérendissime, rien ne cause plus de dépit à nos adversaires que d'entendre parler de la Vierge ou de miracles; c'est la Vierge, en effet, qui, au témoignage de l'Église, renverse toutes les hérésies et les miracles comptent parmi les preuves les plus certaines de la vérité de l'Église catholique, c'est-à-dire de l'église Romaine. Donc, si par ma profession je m'occupe d'autres études, ma piété m'appelle cependant quelquefois vers les sujets saints et je me sens attiré plus vivement vers eux à cet âge [312] avancé où je suis parvenu, à cet âge qui m'exhorte à bon droit à m'occuper sérieusement de mon salut, car je sais qu'il faut penser à la vie où nous entrons après la mort. Je vous souhaite une longue et bonne santé, Révérendissime, je vous demande avec un retour d'amitié, de répandre une parcelle de cette même affection sur Philippe Rubens, mon ami, qui en est digne par les qualités de son intelligence. Vous vous en rejouirez, quand vous le connaîtrez bien. Louvain, 27 février 1606.


COMMENTAIRE.

L'on a vu que le Pape, dans le bref adressé à Juste Lipse, avait cru devoir répondre aux exagérations de celui-ci et, en même temps, lui faire quelques reproches, dans une forme très paternelle. Le vieux professeur le comprit fort bien, mais il voulut se disculper. Par le même courrier, qui emportait la lettre que nous venons de donner, partait pour le Souverain Pontife une missive dont nous nous bornons à traduire les principaux passages.

“Très Saint Père, j'ai reçu le Bref que V. S. a daigné m'écrire.... V. S. m'exhorte à consacrer ma plume et mon intelligence à célébrer l'Église et à propager sa puissance: j'accepte cet ordre comme s'il venait du Ciel. Je promets de m'y dévouer dès que ma santé le permettra.... Auparavant déjà, Très Saint Père, j'ai fait montre de mes sentiments et j'ai combattu publiquement comme un soldat de l'Église. J'ai écrit et publié cette année deux livres, dans l'un desquels je célèbre les louanges et les miracles de N. D. de Hal et dans l'autre ceux de N. D. de Sichem. Nous ne pouvons, je crois, plus efficacement abattre et détruire l'hérésie qu'au moyen de la foudre des miracles: ce n'est plus alors avec des mots, c'est avec des faits que l'on combat, et c'est par la majesté des choses que nous éblouissons les yeux et les esprits des plus effrontés. Si j'avais jugé que ces livres eussent été dignes d'être offerts à V. S., je les aurais envoyés afin que V. S. eût jugé ou tout au moins entrevu la promptitude et la sincérité de mon zèle pour la Religion.” Puis la lettre se termine par une supplication adressée au Pape, afin qu'il intervienne dans les affaires des Pays-Bas pour y ramener la paix: supplication très vague qui vient là comme une belle fin de lettre. De tout cela il résulte que les deux ouvrages de Juste Lipse ne lui attirèrent que des sarcasmes du côté des protestants et peu ou point de faveur du côté des catholiques. Ici on ne lui pardonnait pas d'avoir écrit les Admiranda de Rome païenne et d'avoir négligé de faire un livre sur les splendeurs de la Rome des Papes. [313] Philippe Rubens doit avoir eu à défendre son maître contre les préventions dont celui-ci était l'objet, préventions que cette réponse au Pape ne devait pas dissiper. Mais avant qu'elle arrivât à Rome, Juste Lipse avait terminé sa carrière.


LXXVII
GASPAR SCHOPPIUSJUSTO LIPSIO.

Utrum te Rubenii, an tua caussa Rubenium magis amem, nequeo decernere: nisi quod ita commoda traditi a te nobis Rubenii curae habeo, ut quae mihi ipsi, eadem illi velim omnia. Atque haec me nunc causa impulit, ut quamvis a multis et gravibus negotiis districtissimus, ad te nihilominus scriberem, viamque, qua amicus ille noster ad vitam commode agendum perduci queat, tamquam intento digito demonstrarem. Rectius autem id facere non posse videor, quam si meo exemplo id praestem: quod hoc pacto eadem opera statum rerum mearum intellecturus, et rationem, quam in juvando Rubenio sequendam tibi existimo, facilius probaturus sis.

Quaecumque Paulinus Clementis VIII Datarius bene in me facere visus est, ex nunc didici non tam ulla ipsius in me prompta et sincera voluntate, quam propriae utilitatis respectu ab ipso profecta esse. Sed iis rem totam simulationum involucris texit, ut non me solum hominem scilicet [...], sed multos etiam alios [...] recoctosque Aulicos egregie fefellerit. Accipe nunc Florentinorum insidias et crimine ab uno disce omnes. Cum russum galerum et purpuram jam exploratam et domi conditam habere sibi videretur, majora, ut fit, animo jam concipiens summam rationum, quibus in cathedram Pontificiam se collocare posset, coepit subducere. Ac quoniam nosset, suffragatione Regum atque Principum facillime illuc perveniri posse, quacumque potuit ratione (potuit autem plurimis, quod incerta sit summa fructuum Datariae, modo 40, modo 50, nonnumquam etiam 60, numquam autem [314] minus 30 aureorum millibus menstruis ad Pontificem ex ea redeuntibus, ut ita Datario facilem sit partem inde quantam velit delibare) Reges ac Principes, eorumque Oratores sibi devincire studuit, dum Regibus munera mitteret, Oratorum propinquos et amicos Sacerdotiis et Beneficiis Ecclesiasticis afficeret, uxores etiam Oratorum variis donis sibi conciliaret. Jamque adeo rem illuc perduxerat, ut certamen Gallis et Hispanis esset, utri magis hominem diligerent. Exinde Polonos, Scotos et Anglos complexus est, ita ut nonnullis nobilibus virginibus Scotis, quae Catholicae factae ex aula et Gynaecea reginae discesserant, dotem Avenione numerari curaret, et litteras ab ipsa Regina hoc suo officio extorqueret. Restabat, ut Germanos quoque suos faceret, quod consecuturum se indicavit, si me ut ambitionis suae parario uteretur; nam ei nescio quid magni Lamatta Hispanus, qui unus ipsi erat omnia, de ingenio meo persuaserat, maxime si loco et habitu equestri, Theologiae studia tractarem. Habuit autem rationem hanc, si aliquando Legatus Cardinalis in Germaniam iret, hanc sibi Legationem praerogativae loco ad Pontificatum futurum, si praesertim Germanorum Principum aliquem Romanae Ecclesiae rursus adjungeret. Hoc itaque consilio me interprete cum plerisque adolescentioribus Principibus Saxoniae, Holsatiae, Hassiae, Virtembergae, Pomeraniae, Brandenburgi, Anhaltinis, Palatinis, Nassoviis, Solmensibus aliisque notitiam et hospitium constituit, et muneribus delinitos dimisit. Me interim ita habuit, ut nihil me aliis a se nequiquam petere pateretur, quod eam rem auctoritati et honori mihi fore judicaret, cujus cupiditate ipse me duci credebat: ceterum quamquam ei a Pontifice mandatum fuerat, ut ita me tractaret, ut non ipse solum aequissimo animo esse possem, sed alii etiam aequales mei ad imitandum exemplum meum incitarentur, tamen quia verebatur, ne si firmos et fixos reditus haberem, non satis ei postea ex sententia neque dicto audiens essem, numquam mihi pecuniam negavit, si ea mihi opus esse dicerem, sed proprios et perpetuos fructus ut mihi constitueret, adduci non potuit. Ac quoniam metuebat, ne si hoc sciret Pontifex, id indigne laturus esset, cavit sedulo, ne ad Pontificem admitterer; semel tamen, cum mihi importunius ad ipsum postulanti, [315] refragari diutius non auderet, monuit ne Pontificem de stipendio docerem, tamquam scilicet plus jam habuissem, quam Pontifex dari mihi imperaverat. Etiam saeculari anno, cum coram Pontifice, mentio de me forte injecta esset, et Petrus Aldobrandinus ipsi Paulino dixisset, locum se mihi in familia sua daturum sportulamque alendis tribus famulis: tametsi ipse meo consilio usus repudiare Aldobrandini liberalitatem cogitabam, quod inducere animum non possem, ut homini ejusmodi operas addicerem, ipsius tamen Paulini quoque suasu id ipsum feci facilius. Sed et cum intellexit Imperatorem jam jussisse literas pro me ad Regem Catholicum scribi, quibus jus indigenatus seu Naturalitatis (ut vocant) mihi dari a Rege postularet: serio me monuit, ne illis literis uti vellem, quod aegre hoc pacto Pontifici facturus essem, quippe quem ad benefaciendum mihi cogere vellem, aut non satis ad me juvandum vel animi vel virium habere crederem. Providit nimirum, si jus illud haberem, omnino sibi necessitatem fore liberalissime mihi ex beneficiis Hispanicis providendi, sicque me facile Coraci illi Petroniano similem, detractatorem videlicet ministerii futurum.

Postea cum Imperatoris jussu literis Caesarianorum Pragam vocarer, Pezzenius quoque extraordinarius Caesaris ad Pontificem Orator omni vi me secum hinc abducere conaretur, stipendio liberalissimo 1200 florenorum proposito: id egit Paulinus, ut Romae me manere malle dicerem, et Caesarianos non mediocriter offenderem. Dicebat quippe, Pontificem, cui se literas Caesarianorum ad me scriptas ostendisse aiebat, respondisse sibi; si omnino discedere cogitem, nolle se commoda mea impedire: suadere se tamen, ne hinc moveam, pollicerique, si mancam, futurum ut minime mansionis me poeniteret. At ego nunc quovis sacramento contenderim, eum ne verbulum de re mea cum Pontifice tunc fecisse. Fuit etiam, cum in Hispaniam studiorum sacrorum caussa discederem, fuit, cum religiosum vitae genus amplecti vellem. Ab utroque callida Paulini dissuasio me revocavit, quod sibi occasionem opera mea ad rationes suas utendi nollet elabi. Ac quamvis spes eum purpurae frustrata fuerit, non immemor tamen illius, quod ex Euripide [316] petitum ab aliis forsan (nam ipse indoctior est, quam ullus mulio) audire potuit: [...][...]: etiamnum consilia apiscendi galeri agitat, velut nuper ex verbis ejus conjeci; aiebat enim gratissimum sibi futurum, si se Pontifex Cardinali, qui ad Comitia Germaniae Legatus iturus esset, comitem, ut solet, adjungeret, atque haec reliqua ipsius spes nuper eum impulit, ut Electoris Brandenburgici filio et numeroso ejus comitatui lautum daret prandium. Scit nimirum solere Imperatorem Praelatum illum, qui Cardinali comes est, literis suis Pontifici laudare, et purpuram ei ambire; quod ille pro se facturum hoc impensius putat, quod principes illos, quos muneribus et xeniis hic Romae affecit, eam rem ab Imperatore postulaturos credit. Sed ego vereor ne frustra futurus sit, maxime si ego aliis suspicionem hanc meam aperiam. Interim non desino meum negotium agere, ut quod Paulini astu e manibus amisi, nunc mea diligentia reprehendam et recuperem. Fuit superiore aestate Romae Excellentissimus Raimundus comes Turrianus, qui prius ipsos duodecim annos Caesareum in Italia Oratorem egerat. Eum quod sic in me propensum intelligerem, ut mihi omnia sua arcana crederet, majoremque mihi in mensa et in curru, quam aliis Nobilibus et Baronibus, honorem haberet: rogavi, negotium meum impetrandi a Rege Catholico Juris illius ad curam suam pertinere existimaret, quod ille se summa cum fide et diligentia facturum recepit. Jamque adeo post proximos paschales dies ad Archiducem Ferdinandum abibit eumque illo et matre ejus hoc nomine aget, ut illi scilicet literis suis hoc mihi a Rege et Regina Catholicis petant, ejusque negotii procurandi partes Chevenhyllero amicissimo suo eamdem rem diligentissime commendaturum promisit. Ac quamquam summa est Turrianus apud Archiduces auctoritate, nihilominus ut majori cum dignitate res geratur, visum est testimonio quoque Cardinalium Sangeorgiani, Baronii, Seraphini, Giurii, Perronii, Saulii et Vicecomitis niti: qui literis ad [317] Archiducem et matrem datis fidem eis facient, me his aliquot annis de religione Catholica deque domo Austriaca optime esse meritum, et si me redire in Germaniam contingat, non mediocri me usui tam Austriacis, quam sedi Apostolicae futurum judicari. Ita spero me voto potiturum facilius, ut mihi Pontifex sine ullo suo onere aut incommodo liberalissime providere possit.

Habes de meis consiliis, quae tibi putavi cognita non injucunda fore: nunc vellem eamdem rationem teneres in adjuvando Rubenio, hoc est, per amicos et patronos Naturalezzam (ita enim vocant) in Hispania ei conficeres, sicut sunt hodie non pauci, qui eamdem non tam ullo suo merito, quam commendationibus Archiducum adjuti obtinuerunt, et rem ex ea fecerunt, quos enim Rex Cathol. Naturales Hispanos declarat, eosdem ad certam summam (verbi gratia 500, 1000, 1200, 2000 aut 3000 aureorum nummorum) ex beneficiis et pensionibus Hispanicis capiendam habiles reddit. Rem quin confecturus sis, si calide id agas, nullus dubito, et Rubenium quod ames in filii loco, scio: videorque injuriam utrique facturus, si id precibus a te auferre coner, quod te saltim verbo admonitum prompte ac prolixe facturum certus sum. Hoc tantum monendum te mihi sumo, ut quicquid hujus acturus es, agas celeriter. Ceterum, verborum sat est.

De studiis meis si quaeris, noveris multa me habere luce publica non indigna. Sed moratur me et lentum reddit typographorum penuria. Spero tamen stoica mea quae superioribus annis jam plane confecta habebam, proximo mercatu proditura. Symbolam quoque in Plautum forte manu mittam. Symmachum quaero qui Romae imprimat. De cultu et honore Dei, angelorum et hominum, itemque de Justificatione hominis ex sententia tam haereticorum, quam Catholicorum novo ordine quaedam scripsi, et Elenchos de securitate Lutheranorum in religionis causa, itemque alios de auctoritate Lutheri et doctrina ejus: quae omnia cuperem saltim a te inspici, ubi exierint, ut videas, quam haec nullo genere infelicius a nobis, quam a Theologis, si usus veniat, tractari possint. Una hic accipies Sangeorgiani literas, cujus secretarius Joan. Priamus homo Gallus, vir non indoctus, per me tibi commendari [318] fidemque sui in te studii fieri petiit. Vale, vir clarissime et carissime, meque ama. Roma, a. d. 18 Martii Ao 1606.


Burman, Sylloge, II, p. 53. Ep. DCCLXV. — Original à Leide.


TRADUCTION.
GASPAR SCIOPPIUS A JUSTE LIPSE, A LOUVAIN.

Je ne pourrais affirmer lequel j'aime davantage, ou Juste Lipse à cause de Rubens, ou Rubens à cause de Juste Lipse: si ce n'est que j'ai la faveur de m'occuper de Rubens que vous m'avez confié, et que je voudrais lui procurer tout ce que je souhaite à moi-même. C'est pour cette raison que, malgré les nombreuses et graves affaires qui m'absorbent, je veux néanmoins vous écrire, afin de vous indiquer du doigt la voie à suivre par notre ami pour qu'il arrivât à se créer une existence commode. Je ne crois pouvoir mieux faire qu'en offrant mon exemple: vous comprendrez ainsi, de la même manière, l'état de mes affaires et vous approuverez plus facilement la méthode à suivre, selon moi, pour venir en aide à Rubens.

Tout ce que Paolucci, le dataire de Clement VIII, semble m'avoir fait de bien, j'apprends maintenant qu'il l'a fait, non pas tant de sa volonté sincère et spontanée, que dans son intérêt propre. Mais il a dissimulé toute sa conduite sous tant de finesses, qu'il a trompé d'une manière charmante, non seulement moi, que l'on trompe facilement, mais plusieurs autres

...des plus instruits des hommes

et des plus recuits des gens de la cour. Ecoutez maintenant les embûches dressées par ces Florentins et crimine ab uno, disce omnes.

Certain déjà de voir apporter à son logis le chapeau rouge et la toge de pourpre, il conçut immédiatement dans son esprit des espérances plus hautes, et se mit à calculer ce qu'il pourrait bien en coûter pour arriver à s'asseoir sur le trône Pontifical. Sachant que le moyen le plus facile pour y parvenir c'est d'obtenir les suffrages des Rois et des Princes, il se mit à s'attacher ceux-ci et leurs ambassadeurs par tous ses moyens à lui. Et il en avait de puissants; car les produits de la Daterie sont variables: ils rapportent au Pape 30, 40, quelquefois 60, mais jamais moins de 30000 écus d'or par mois; il est donc très facile au Dataire d'en prélever la portion qu'il lui plaît. Il pouvait envoyer des cadeaux aux Rois, distribuer des dignités ecclésiastiques [319] et des bénéfices aux proches et aux amis des ambassadeurs, et même se concilier les femmes de ces derniers par des dons de toute espèce.

Il avait déjà si bien avancé ses affaires, que Français et Espagnols se disputaient entr'eux à qui lui témoignerait le plus d'amitié. Après cela, il se tourna vers les Polonais, les Ecossais et les Anglais: c'est ainsi qu'il prit soin de faire doter, à Avignon, plusieurs demoiselles nobles d'Ecosse qui, s'étant faites Catholiques, avaient quitté la cour et le service de la Reine; il était parvenu même à extorquer de celle-ci une lettre constatant cette bonne intervention. Il lui restait à s'attacher les Allemands: il jugea qu'il y parviendrait en se servant de moi comme d'un entremetteur pour son ambition; car Lamatta, un Espagnol, qui seul était pour lui toutes choses, lui avait donné je ne sais quelle grande idée de mon intelligence, surtout quand je l'appliquais aux études théologiques, quoique laïque et chevalier. Voici donc le raisonnement qu'il faisait: si jamais il était envoyé en Allemagne en qualité de Cardinal-Légat, cette ambassade lui serait une assurance pour le Pontificat, principalement s'il ramenait à l'Église Romaine quelqu'un des Princes d'Allemagne. Dans cette pensée, se servant de moi comme interprête, il fit la connaissance de la plupart des jeunes princes de Saxe, d'Holsace, de la Hesse, du Wurtemberg, de la Poméranie, de Brandebourg, d'Anhalt, du Palatinat, de Nassau, de Solms et d'autres; il les hébergea et les renvoya ensorcelés par ses cadeaux. Entretemps il me traitait de façon à ne pas souffrir qu'une demande que je lui faisais pour d'autres eût été vaine; il estimait augmenter ainsi mon autorité et ma considération dont il me croyait passionné. Pour le reste, quoique le Pape lui eût ordonné de me traiter de manière à ce que non seulement moi je fusse entièrement satisfait, mais que mes collègues, afin de suivre mon exemple, le fussent également, il se laissa dominer par une crainte: celle de me voir moins obéissant à ses ordres ou rangé à son avis, si j'avais des revenus fixes et assurés. Aussi ne me refusa-t-il jamais de l'argent quand je lui disais en avoir besoin, mais jamais il ne put être amené à me constituer des rentes personnelles et perpétuelles. Toutefois, craignant en même temps qu'en apprenant ces choses le Pape en eût été indigné, il veilla soigneusement à ce que je ne fusse pas admis aux audiences papales. Une fois cependant, après que je l'eusse fortement importuné à ce sujet, il n'osa pas me le refuser plus longtemps, mais il m'avertit de ne point parler au Souverain Pontife de mes honoraires, sous prétexte que j'en touchais déjà de plus considérables qu'ils ne devaient l'être selon les ordres du Pape. Bien plus, en l'an 1600, un jour que l'on parlait de moi, par hasard, devant Sa Sainteté, Pierre Aldobrandini [320] déclara à Paolucci lui-même qu'il allait me donner une position dans sa maison ainsi que la subsistance pour trois domestiques. De mon propre mouvement j'étais prêt à refuser l'offre libérale d'Aldobrandini, ne pouvant me résoudre à vouer mon travail à un homme de cette espèce; cependant, cette fois encore, à la persuasion de Paolucci, je me décidai plus facilement à ce refus.

Lorsqu'il eut appris que l'Empereur avait ordonné d'écrire au Roi catholique, pour lui demander de m'accorder les droits de l'indigénat ou de la Naturalité, comme on dit, il m'avertit sérieusement de ne pas faire usage de cette lettre; ce serait, selon lui, causer du dépit au Pape, vouloir le forcer à me faire du bien ou lui donner à croire qu'il n'a ni la pensée ni la force de m'être utile. Il avait assurément prévu que, si ce droit d'indigénat m'était accordé, il lui serait absolument nécessaire de me pourvoir de la manière la plus libérale sur les bénéfices de l'Espagne et que, semblable au Corax de Pétrone, je lui refuserais mes services à l'avenir.

Plus tard, quand par ordre de l'Empereur, une lettre du palais m'eût appelé à Prague et que Pezzenius, l'envoyé extraordinaire de l'Empereur près du Souverain Pontife, essayait à toute force de m'emmener avec lui dans cette ville, en me proposant un traitement magnifique de 1200 florins, Paolucci agit de façon à me faire dire que j'aimais mieux rester à Rome; ce qui offensa fortement les impériaux. En effet, il affirmait que le Pape, à qui, disait-il, il avait montré la lettre que les impériaux m'avaient écrite, lui avait répondu que si je songeais décidement à partir, il ne m'empêcherait pas d'agir selon mes intérêts; que, néanmoins, il me conseillait de rester ici, me promettant, dans ce cas, de faire en sorte que je ne me repentirais pas d'être à Rome. Et maintenant, j'oserais jurer qu'il n'a pas dit un mot de moi au Pape, au sujet de cette affaire.

l fit de même quand je voulus me rendre en Espagne pour m'y livrer à l'étude de la Théologie et quand je manifestai l'intention d'embrasser la vie religieuse. Chaque fois, il me persuada adroitement de n'en rien faire, ne voulant pas laisser échapper l'occasion de me retenir au service de ses projets. Et, quoiqu'il soit frustré dans son espoir de la pourpre, il se souvient encore de ces mots d'Euripide, qu'il a probablement entendu répéter par quelqu'un, car lui-même est ignorant comme un muletier,

Le plus brave est celui que soutient l'espérance,
Le lâche seul se livre au désespoir (1). [321] Maintenant encore il caresse l'idée d'obtenir la barette, comme je l'ai repris récemment de ses propres paroles. Il disait, en effet, qu'il lui serait extrêmement agréable d'être l'adjoint donné, selon la coutume, par le Pape au Cardinal qui va être envoyé comme Légat à la Diète d'Allemagne. Ce reste d'espoir le poussa dernièrement à offrir un splendide banquet au fils de l'Electeur de Brandebourg et à sa suite nombreuse. Il sait parfaitement que l'Empereur a coutume de faire écrire au Pape l'éloge du prélat adjoint au Cardinal et de demander pour lui la pourpre: il est fermement persuadé que cela se fera pour lui et que les Princes, qu'il a comblés de cadeaux et de faveurs à Rome, vont adresser pour lui une requête dans ce sens à l'Empereur.

Quant à moi, je crois qu'il n'en arrivera rien, surtout si je faisais part aux autres de mes soupçons. Entretemps, je ne cesse pas de conduire mes affaires, afin de reprendre et récupérer par ma diligence ce que j'ai laissé tomber de mes mains par les roueries de Paolucci.

L'été dernier est venu à Rome Son Excellence le comte Raymond de La Tour qui fut, il y a douze ans, ambassadeur impérial en Italie. M'étant aperçu qu'il était porté pour moi au point de me confier tous ses secrets et de me rendre, soit à sa table, soit dans son équipage, plus d'honneurs qu'aux autres nobles ou barons, je lui demandai d'admettre qu'il lui appartenait d'obtenir pour moi du Roi catholique la concession du droit d'indigénat; il me promit de le faire avec la sincérité la plus entière et le plus grand zèle.

Il partira déjà d'ici après les jours de Pâques pour se rendre auprès de l'archiduc Ferdinand, il agira auprès de lui et de sa mère, de façon à les faire écrire en ma faveur au Roi et à la Reine catholiques; il me promit en même temps de recommander chaudement l'affaire à son ami intime Khevenhuller afin que celui-ci agisse de son côté. Bien que La Tour jouisse d'une très grande autorité auprès des Archiducs, il m'a paru bon, pour que l'affaire se traitât avec plus de dignité, de la faire appuyer par le témoignage des cardinaux de St. Georges, Baronius, Séraphin, Givry, du Perron, Sauli et Visconti: leurs lettres, remises à l'Archiduc et à sa mère, attesteront que, dans ces dernières années, j'ai bien mérité de la religion catholique et de la maison d'Autriche, et que s'il m'arrivait de retourner en Allemagne, j'y rendrais, à leur jugement, de grands services tant à la maison d'Autriche qu'au St. Siège apostolique. De cette façon, je l'espère, s'accomplira plus facilement mon souhait: celui de voir le Souverain Pontife être mis en mesure de se montrer très libéral à mon égard, sans aucune charge ou dommage pour lui.

[322] Voilà des conseils dictés par ma propre expérience: j'ai pensé qu'il vous ferait plaisir de les connaître. Je voudrais maintenant vous voir tenir la même ligne de conduite pour aider Rubens; c'est-à-dire d'employer vos amis et vos protecteurs à lui faire obtenir la naturalisation en Espagne, comme un grand nombre d'autres l'ont obtenue, non pas tant par leur mérite que par la recommandation des Archiducs. Ils ont ainsi fait leur affaire; car ceux que le Roi Catholique déclare naturels d'Espagne, sont rendus aptes à prendre sur les bénéfices et les revenus du pays une certaine somme, par exemple 500, 1000, 1200, 2000 ou môme 3000 écus d'or. Je n'en fais aucun doute: si vous agissez chaudement, vous arrangerez l'affaire. Je sais que vous aimez Rubens comme un fils; je croirais faire injure à vous ou à lui, si j'essayais de vous presser de mes supplications; ce seul mot d'avis que je vous donne suffira, j'en ai la certitude, pour que vous vous mettiez en campagne promptement et sans interruption. Mais je prends sur moi de vous dire que ce que vous ferez, il faut le faire vite. Il vous suffira de ce mot.

Si vous me demandez des nouvelles de mes travaux, je vous apprendrai que j'ai écrit beaucoup de choses qui ne seraient pas indignes d'être mises au jour. Mais le défaut de typographes me retient et me ralentit. J'espère cependant qu'à la prochaine foire je pourrai produire mes Stoica qui ont été entièrement achevés dans ces dernières années. Peut-être publierai-je mes Symbola sur Plaute. Je cherche à Rome un imprimeur pour mon Symmaque. J'ai écrit, d'après une méthode nouvelle, des opuscules sur le culte et l'honneur de Dieu, des anges et des hommes, sur la Justification de l'homme, d'après les sentiments tant des hérétiques que des Catholiques, puis des Traités sur la sécurité des Luthériens en fait de religion, et d'autres sur l'autorité de Luther et de sa doctrine. Je désire que vous, du moins, vous jetiez un coup d'oeil sur ces oeuvres quand elles paraîtront, afin que vous jugiez si je ne puis pas traiter ces matières, s'il en était besoin, avec autant de bonheur que les théologiens.

Avec cette lettre vous en recevrez une autre du cardinal de Saint Georges, dont le secrétaire, Jean Priam, un français, assez savant, me prie de vous le recommander et de vous présenter ses respectueux hommages.

Je vous salue, ami très cher et très illustre, et vous demande votre affection. Rome, 18 mars 1606.

COMMENTAIRE.

Dans notre notice sur G. Scioppius nous avons essayé de caractériser cet étrange personnage; nul ne pouvait le faire aussi bien qu'il l'a fait [323] lui-même dans ce long et curieux factum que M. Charles Nisard a utilisé avant nous pour l'excellent portrait qu'il a tracé de Scioppius (1).

Cette page autobiographique écrite à l'occasion de Philippe Rubens est un chef-d'oeuvre de vanité, de méchanceté et d'hypocrisie; il faudrait se livrer à de longs commentaires si l'on voulait en expliquer tous les détails; nous nous bornerons à en faire remarquer l'importance pour l'histoire du bibliothécaire d'Ascanio Colonna et, par conséquent aussi, pour l'histoire de Pierre-Paul.

Un changement devait s'être opéré dans la position de Philippe: il semble maintenant que les fonctions qu'il avait si vivement désirées autrefois, dans le palais cardinalice ne lui donnaient point les satisfactions rêvées. Le recours à Scioppius, la correspondance de celui-ci avec Juste Lipse prouvent que l'on cherchait pour Philippe un autre établissement.

Il peut paraître étrange que tous deux se soient adressés à un personnage si peu recommandable que Scioppius. Mais il ne faut pas oublier qu'en ce moment il pouvait avoir encore un certain crédit; tout au moins était-il ménagé par la cour de Rome. On avait besoin de lui, l'on se servait de son incontestable talent de pamphlétaire dans la lutte contre Venise, contre l'illustre président de Thou, contre les protestants; on le payait en titres, mais on ne rassasiait pas son avidité.

Cette lettre dans laquelle, ainsi que le fait remarquer Nisard, se dessinent naïvement toutes les mauvaises qualités de l'homme, ses mensonges, sa fausseté, son orgueil, cette lettre eût certainement dessillé les yeux de Juste Lipse s'il avait pu la recevoir: mais elle ne lui parvint pas. Quand la lettre partit de Rome, le célèbre professeur était à ses derniers jours: il mourut le 23.

Le dataire Paulinus dont il est parlé, est Monseigneur Paolucci, chanoine de St. Pierre. C'est lui qui fit exécuter, pour l'église de St. Pierre, le Crucifiement du Prince des Apôtres, par Chr. Roncalli dit le Pomerancio (2).


[324] LXXVIII
GASPAR SCIOPPIUSJUSTO LIPSIO.

Res est solliciti plena timoris amor (1). Adeoque nullam diligentiam ac cautionem, quae in Rubenii carissimi capitis nostri negotiis adhibeatur, supervacuam puto, scripsi nuper, quam ego compendiosissimam et tutissimam ad honoratum otium hominem perducendi viam existimem, hancque meam sententiam, quam ex animo protuli, longoque usu, et partim etiam malo meo, didici, probatum tibi nullus dubito. Nunc denuo te admonere mihi visum est, non quod Rubenio amoris erga se tui poenitendum existimem, qui se tibi in filii loco carum esse sciat, sed quia me ingenio et naturae meae obsequi oportet, quas ejusmodi est, ut quicquid velim, valde velim: simul ut si quem forte habes hac in re scrupulum, quod fortassis rem impetratu difficiliorem putes, eum tibi ereptum eam confirmemque, si eodem exemplo, quo prius Columnae, nunc Regi Catholico Rubenium aut commendes aut commendandum cures, illudque indigenatus jus pro capiendo sexcentorum aureorum reditu tribui postules, futurum certo, ut a se tibi Rubenius unctum et luculentum patrimonium confectum perpetuo sentiat. Pudet me, eu m uterque Stoïcorum et Socraticorum disciplina imbuti simus, in commendando tibi eo homine, quem tu mihi prior tradideris, plura verba sumere: tantum quod inchoato a te praeclaro operi finem ab eodem te impositum videre desidero, ut scilicet Rubenius noster, qui disciplina et cura tua talis in literis evasit, tua nunc porro opera commode et honorate vitam exigere queat. Intelligis, opinor, tuum jam esse cavere, ne mihi, cui usum rerum non mediocrem concedis, minus nunc prudentiae in perspiciendis adjuvandorum amicorum rationibus opinione tua attribuas, quam ego fiduciae cum de prompta ac prolixa tua in Rubenium voluntate, tum [325] de auctoritate ad conficiendum hoc negotium necessaria conceperim. Vale. Romae, Kal. Aprilis 1606.


Burman, Sylloge, II. Epist. DCCLXVI. — Original à Leide.


TRADUCTION.
GASPAR SCIOPPIUS A JUSTE LIPSE.

L'affection est une chose doublée de crainte et d'inquiétude: aussi je pense qu'il ne faut négliger aucune diligence, aucune précaution en ce qui concerne les affaires de notre très cher Rubens. Je vous ai écrit dernièrement ce qui était, selon moi, la voie la plus prompte et la plus sûre pour faire arriver l'homme à une position honorable et tranquille. J'en suis convaincu: vous approuverez mon conseil, qui est dicté par le coeur, par une longue expérience, en partie même par mon propre malheur. Je crois devoir vous écrire derechef; non pas que, selon moi, Rubens puisse avoir à se plaindre de votre affection pour lui: il sait qu'il vous est cher comme un fils; mais je veux me laisser guider par mon sentiment et mon naturel qui est de vouloir bien ce que je veux. Si vous avez quelque scrupule dans cette affaire, si vous croyez peut-être la chose trop difficile à demander, je veux vous ôter ce scrupule: vous avez recommandé d'abord Rubens à Colonna, recommandez-le ou faites le recommander aujourd'hui au Roi Catholique, demandez pour lui ce droit d'indigénat, afin qu'on lui accorde la pension de 600 écus d'or; et, j'ose l'affirmer, Rubens n'oubliera jamais que c'est à vous qu'il doit d'avoir obtenu ce gras et riche patrimoine. J'ai honte de devoir, entre nous qui sommes imbus tous deux des principes des Stoïciens et de Socrate, de devoir user de tant de paroles pour vous recommander cet homme que vous m'avez confié le premier: seulement, je désirerais que cette haute entreprise commencée par vous, soit par vous menée à terme: à savoir celle de procurer par vos soins, une existence honnête et aisée à notre Rubens, parvenu par vos leçons au rang qu'il occupe dans les lettres. Vous comprendrez, je le présume, qu'il vous faut éviter maintenant de m'attribuer, à moi, à qui vous reconnaissez une assez grande expérience des affaires, moins de perspicacité dans les moyens à employer pour venir en aide à mes amis, que de confiance dans votre volonté si évidente et si forte en faveur de Rubens, et dans votre crédit pour atteindre à un résultat.

Rome, 1 avril 1606.

[326] LXXIX
PHILIPPUS RUBENIUSJUSTO LIPSIO.

Amplissime Domine,

G. Scioppio majori paene, quam ipsi mihi, res meae curae sunt; atque adeo renitentem alia via, quam maxime accommodam rationibus meis existimat, protrudere et promovere me conatur. Et quamquam nuper de hac re copiose scripsit, quasi tamen aliquid in illis litteris desideraret, alteras hasce, ut ad A. T. curarem, nec opinato misit. Quid quaeris? Suppudet magnoque timore sum, ne fines pudoris transilire videar, audiamque triste carmen, [...]. Verum ille verecundiam meam objurgat, et [...] urget, cogit. Quod vere a me scribi, neque de compecto rem geri credas velim. Fatendum tamen est, non ingratam viri sollicitudinem et affectum; tum etiam inter fastigia votorum esse, ut negotium hoc effici posset, quo stabilitis praeclare rebus meis, et ad reditum via commoda pateret, et in reliquum vitae Lipsio Musisque fruendi facultas daretur. Quod per sacerdotia vix liceret, quae certis alligant locis, et cum onere sunt conjuncta. Ne vero plane desperem, faciunt illae quidem toties mihi feliciter expertae auctoritas et gratia tua, ut vere dici possit, te impetrabiliorem, qui vivit, hodie nullum esse. Nam de voluntate et affectu res ipsae loquuntur, totque tam eximia beneficia quae vix animo cogitationeque valeo complecti. De modo tantum hoc dicam, Velascium Comestabilem cum nimium quantum A. T. debeat, gavisurum datam hic occasionem gravis aeris alieni sine dispendio suo levandi. Sed de his satis: imo plura quam cogitaram, abducente nimirum [...] reique desiderio votivae. Quod hic non mediocre fateor esse, quod ego rem factam hoc ratione haberem, et A. T. coeptorum operum exaedificationem. Et spem praebent, qui in Hispania facile id impetratu fore autumant, praesertim tanto oratori, audendum tantum esse. Si quid hic novi, in litteris publicis sive Actis habes, magnum certe nihil expectandum, omniaque pro regentium ingeniis. De Sangeorgio sic habe, totum in divinis esse, semperque circa se religiosos viros [327] habere, maximeque severioris disciplinae, quos Capucinos vocant. Sed et sacris exemplo avunculi saepe afflere narrant; nec tamen (vide horum hominum ingenia) fidem facit. Non possum plura, exclusus angustia temporis. Deum precor ut te, Amplissime Domine, reipublicae tuisque omnibus servet. Romae, Kal. Aprilis 1606.

Salutem adscribi rogat frater meus. Ego Warnerio quoque nunciari quaeso.
A. T.
Devotissimus cliens,

Philippus Rubenius.


L'adresse porte: Amplissimo viro Justo Lipsio sibi summe colendo Lovanium.


Burman, Sylloge, etc. II. Ep. DCCCII, p. 105. — Autographe à la bibliothèque de l'Université de Leide.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A JUSTE LIPSE.

Très honoré Monsieur,

Mes affaires en sont presque à causer plus de souci à M. G. Scioppius qu'à moi-même. Malgré ma résistance, il s'efforce de me pousser et de me diriger dans une autre voie qu'il estime très favorable à mes intérêts. Il vous en a longuement écrit, il y a quelque temps: toutefois comme s'il craignait d'avoir oublié quelque chose dans cette lettre, il m'en envoie tout-à-coup, une autre, qu'il me charge de vous transmettre. Qu'est-ce? me demandez-vous. Je suis honteux et dans une grande appréhension: on va croire que j'ai franchi les bornes du respect et je vais entendre un triste chant: Vous me demandez l'Arcadie! C'est lui vraiment qui me reprend de ma retenue et me presse, me force d'agir à contre-coeur. Croyez bien, je vous prie, que je vous écris la vérité et qu'il n'y a entre nous aucun concert. Il faut avouer cependant que la sollicitude de l'homme et son affection ne sont pas désagréables et que ce serait le comble de nos voeux de voir se réaliser ce projet, chose [328] qui affermirait admirablement mes affaires, m'ouvrirait un chemin commode pour le retour et me donnerait la faculté de consacrer le reste de mes jours à Juste Lipse et aux Muses. On y parviendrait difficilement par la voie des dignités ecclésiastiques, qui vous attachent à des endroits fixes et vous imposent une charge. Ce qui m'empêche de désespérer entièrement, c'est votre crédit et votre bienveillance dont j'ai déjà si souvent et si heureusement fait l'expérience. Ils sont tels que l'on peut affirmer que personne au monde n'accorde plus facilement ses bonnes grâces que vous. Votre bonne volonté et votre affection sont proclamés par les faits eux-mêmes, et par tant de signalés bienfaits, que ma mémoire et mon coeur ne peuvent les embrasser. Je dirai seulement en passant que le connétable Vélasco, qui ne vous doit que trop, se réjouira d'avoir cette occasion de vous payer sa grande dette sans bourse délier.

En voilà assez de cela: c'est plus même que je n'avais pensé d'écrire: l'amour de moi-même et l'envie de la chose souhaitée m'ont entrainé. Ici, je l'avoue, ce n'est pas un médiocre succès que d'avoir vu s'arranger l'affaire de cette façon et s'élever l'édifice commencé par votre oeuvre. Ils me donnent de l'espoir, ceux qui croient qu'il sera facile d'obtenir la faveur en Espagne, surtout quand elle est demandée par un médiateur tel que vous. Il vous suffira d'oser. Pour les nouvelles d'ici, je vous renvoie aux feuilles publiques; on ne s'attend à rien de considérable, tout se fait selon les idées des souverains. On dit du cardinal de St. Georges qu'il s'est mis tout-à-fait dans la dévotion; il s'entoure sans cesse d'hommes pieux, et surtout de ceux de la règle la plus sévère, de Capucins. On raconte, en outre, qu'à l'exemple de son oncle, il pleure souvent aux offices sacrés; et cependant (tel est le caractère de ces gens-là!) on ne croit pas à sa sincérité. Faute de temps, je ne puis écrire d'avantage. Je prie Dieu, Monsieur, de vous conserver au pays et à tous les vôtres. Rome, le 1r avril 1606.

Mon frère me charge de vous saluer. Présentez-moi, je vous prie, au souvenir de Warnerius.

Je suis, Monsieur,
Votre très dévoué serviteur,

Philippe Rubens.


COMMENTAIRE.

Le factum prolixe du 17 mars nous a révélé l'étrange façon dont Scioppius s'occupait de procurer une position à Philippe Rubens. Sans attendre une [329] réponse de Juste Lipse, le voilà qui, moins de 15 jours après, écrit une nouvelle lettre, plus étrange encore que la première et qui, de plus, est accompagnée d'une lettre de Philippe Rubens. Ces deux pièces nous jettent dans une grande perplexité: si elles n'existaient pas en incontestables autographes, nous croirions que Burman les a publiées d'après des copies apocryphes. Nous admettrions peut-être l'authencité de celle de Scioppius: on l'expliquerait par le caractère du personnage qui ne reculait pas devant un acte de versatilité, car c'en était un que de chercher à se débarrasser de son jeune protégé par ce conseil d'aller chercher fortune en Espagne, après lui avoir assuré, pour ainsi dire, son puissant appui à Rome. Mais que dire de la lettre de Philippe? Nous n'y reconnaissons ni le style, ni le langage de l'élève préféré de Juste Lipse. Jamais il n'a parlé à son maître, à son second père, avec ce ton cérémonieux et raide, jamais il ne lui a prodigué de l'Amplitudo tua, ni du Devotissimus cliens, comme il le fait ici; jamais il n'aurait risqué de lui offrir, comme nouvelle, une méchante pointe contre le cardinal de St. Georges; jamais, dans une lettre antérieure, il ne lui a présenté les compliments de Pierre-Paul. La lettre, dans son ensemble, et comme fond et comme forme, tranche, d'une manière insolite, sur tout ce que nous connaissons de la correspondance des deux hommes.

Une phrase semble nous en fournir l'explication: „croyez bien que je vous écris la vérité sans concert entre nous.” On peut, en effet, se figurer l'étonnement de Juste Lipse en recevant, à quinze jours de distance, deux missives qui viennent le presser d'user de son influence pour faire de Philippe Rubens un Espagnol! C'était le renversement de ses espérances, c'était presque une raillerie. S'il avait consenti au départ de son élève chéri, s'il lui avait accordé sa puissante protection pour une carrière autre que celle à laquelle il le destinait, c'était uniquement en vue d'un plus majestueux théâtre que celui de la patrie, en vue de Rome. On peut se figurer l'accueil qu'eût reçu la proposition de Scioppius, appuyée par cette lettre de Rubens! Les missives, heureusement, n'arrivèrent à Louvain qu'après la mort de l'illustre professeur.

Pour nous résumer, nous croyons que cette lettre a été écrite, en quelque sorte, sous la dictée et par les instances de Scioppius, qui l'a mise sous une même enveloppe avec la sienne. De cette façon, Juste Lipse devait en deviner l'origine et savoir à quoi s'en tenir; probablement recevait-il, en même temps, soit par Pierre-Paul, soit par quelqu'autre voie, une contre-lettre explicative. Toujours est-il que Philippe Rubens ne semble pas avoir goûté le conseil donné par Scioppius et songé à se faire naturaliser espagnol. Bientôt après, il tourna ses regards vers une autre position, mais il la chercha, cette fois, dans sa patrie.


[330] LXXX
BALTHASAR MORETUSPHILIPPO RUBENS.

Epistolam tuam in communi nostro, quid nostro? totius Belgicae imo Europae luctu, gratissimam accepi. At opinor, quem vivum hactenus celebravit fama, etiam mortuum vobis in Urbe urbium subito nuntiarit. Itaque minime mihi opus hune dolorem scribere, ad cujus cogitationem, calamus cum mente obstupescit.

Sed heus. Quem Sweertius noster nuper Ortelio, huic doctori nostro merito honorem debemus. Tu qui hic unus excellis, non tantum Epitaphium, sed et Elogia mitte, quae haud ita pridem concepisti. Neque enim opus lacrymas tantum legere, sed et Laudes defuncti Belgicae nostrae Phoenicis. Tu Puteanum, Scioppium, et si qui alii, isthic mone ut idem velint. Curae mihi erit, selecta undiquaque in justum libellum redigere, et vel Tacito, quem sub praelis esse nosti, subjungere aut seorsim edere. De sarcina, numquam ad Piscatorem, sed ad te mittendam putavimus et Manartius omnem tibi fideliter reddendae curam in se receperat. At modo apocham mittimus, Piscatori exhibendam, qua sibi de pretio vecturae satisfactum Manartius testatur. A Card. Baronio litteras denuo accepimus, in quibus sententiam de Undecimo tomo minime mutat: sed et jam nunc a Rege Catholico responsum quo Tractatus de Sicilia edendi licentiam negat. Deliberamus proinde de hoc Undecimo et aliis qui haud pauci nobis supersunt Annalium tomis extero bibliopolae vendendis, qui ex Auctoris praescripto cum gratia suorum Principum imprimere tuto possit. Deliberamus, inquam, et proxima septimana consilii nostri rationem Illustmo Auctori exponemus.

J. Fabri Commentarium modo absolvimus, at nonclum Imagines omnes sororius meus, qui bina earum exemplaria Scioppio, totidem Fabro promittit, et nos libentes utrique totidem Commentarii, quae simul isthuc ad Gasparem Paliettum brevi missuros speramus. Vale, [331] mi Rubeni, et unice a me salveat frater. Antverpiae, ex officina Plantiniana. VII. Id. April. M. DC. VI.


L'adresse porte dans le registre des Minutes: Petro Rubenio Romam.


Minute au Musée Plantin-Moretus, à Anvers. — Publiée en partie par M. Génard: P. -P. Rubens. Aanteekeningen, etc. Antwerpen, 1877. P. 451. — Citée par M. Max Rooses: P. -P. Rubens en Balthazar Moretus (Bulletin Rubens).


TRADUCTION.
BALTHASAR MORETUS A PHILIPPE RUBENS.

J'ai reçu votre bonne lettre au milieu de notre commune douleur, que dis-je? au milieu des pleurs de toute la Belgique, voire de toute l'Europe. Mais, je dois le présumer, la Renommée qui n'a cessé de s'occuper de lui vivant, doit avoir annoncé de suite sa mort dans la cité reine des cités. Je puis donc me dispenser de vous parler de notre affliction: la plume, comme la pensée, du reste, sont frappées de stupeur.

Mais, hélas! nous devons à notre cher maître le tribut d'honneur que notre ami Sweertius a payé jadis à Ortelius. Vous qui excellez en cela, envoyez-moi non seulement l'Épitaphe, mais aussi les Éloges que vous avez composés il n'y a pas longtemps, car il nous faut recueillir non seulement des larmes, mais aussi des louanges pour le défunt Phénix de la Belgique. En Italie, avertissez Puteanus, Scioppius et d'autres s'il en est, de vouloir bien en faire autant. J'aurai soin de recueillir ce qui arrivera de toutes parts et d'en former un livret convenable que je joindrai au Tacite, qui est sous presse, comme vous le savez, ou que j'éditerai à part. Je n'ai jamais eu l'idée d'envoyer le ballot à De Visscher, mais bien à vous-même, et Manarti avait accepté la mission de vous remettre le tout fidèlement. Je viens d'envoyer une quittance qui doit être montrée à De Visscher et par laquelle Manarti se déclare satisfait du paiement des frais de port. Nous avons de nouveau reçu une lettre du cardinal Baronius: il ne modifie en rien sa première décision relativement au tome onzième; nous avons également reçu déjà la réponse du Roi Catholique par laquelle il refuse l'autorisation de publier le Traité de la Monarchie de Sicile. En conséquence, nous délibérons de vendre ce tome [332] onzième et les autres volumes des Annales, dont il nous reste beaucoup d'exemplaires, à quelque libraire de l'étranger, qui pourrait en toute sécurité imprimer le Traité, selon les exigences de l'auteur et avec l'autorisation de son souverain. La semaine prochaine nous ferons connaître à l'illustre auteur le résultat de notre délibération.

Nous avons terminé le commentaire de J. Faber, mais mon beau-frère n'en a pas fait autant de toutes les estampes: il en a promis deux exemplaires à Scioppius et autant à Faber; nous promettons volontiers à chacun d'eux autant d'exemplaires du commentaire, lesquels, nous l'espérons, pourront être envoyés bientôt à Gaspard Palietti, à Rome. Adieu, mon cher Rubens, saluez particulièrement votre frère de ma part. Anvers, de l'officine Plantinienne, le 7 avril 1606.


COMMENTAIRE.

Juste Lipse mourut à Louvain, le 23 mars 1606: quinze jours après, comme on le voit, Balthasar Moretus songe déjà à former le recueil funèbre de l'illustre professeur. Swertius avait en effet, publié un petit volume de vers et de prose à la mémoire d'Abraham Ortelius: Insignium hujus oevi poetarum Lacrymoe in obitum Cl. V. Abrahami Ortelii etc. Antverpiae, 1601. C'est donc sur le modèle de ce recueil que Moretus publia en 1607: Justi Lipsii sapientioe et litterarum antistitis fama postuma. Antverpiae.

Philippe Rubens y contribue par un Epicedium, qui figure de nouveau avec le titre de Lacrymoe in funere I. Lipsii, dans ses Electorum libri II: Erycius Puteanus y insère: In J. Lipsium pietas, brevi nenia expressa; Balthasar Moretus y donne son contingent de distiques; Scioppius seul n'envoie rien. Les lettres suivantes de la correspondance de Moretus donnent encore quelques détails sur la confection de ce recueil qui fut imprimé plusieurs fois.

Quant à l'affaire du tome onzième des Annales ecclesiastici, elle était arrivée à l'état aigu. Le cardinal Baronius ne voulait rien entendre. Que l'on juge de son exaltation par la lettre qu'il écrivit à Jean Moretus le 20 février, lettre dont ce dernier vient de parler à Rubens.

César Cardinal Baronius à Jean Moretus à Anvers.

Ce que je vous ai fait savoir par ma dernière missive, je vous le confirme aujourd'hui avec un redoublement d'énergie (Sed vehementiori energia); c'est à [333] dire que je persiste absolument dans la défense que je vous ai faite d'imprimer le tome XI des Annales, en y opérant le moindre retranchement, fût-il d'une seule ligne. Ce serait le comble de l'audace qu'un marchand de livres, par crainte de déplaire à je ne sais quel souverain, se permît de rogner un ouvrage publié par un cardinal de la Sainte Église romaine, avec l'autorisation apostolique. Croyez-moi; il vaut mieux pour vous sacrifier les feuilles déjà imprimées, que d'être dénoncé au monde chrétien, par la publication de mes lettres, comme un falsificateur de livres; sans compter les autres dommages que vous subirez et qui vous imposeront le repentir de votre faute. Voyez ce que vous faites et où cela vous conduira! Mon ouvrage n'est pas seulement imprimé à Rome, il l'est encore à Venise et à Mayence: nulle part le tome XI n'a subi la moindre mutilation. Si, par les ordres de n'importe quelle autorité, vous agissiez autrement, vous pouvez en être certain, vous vous créerez des ennemis auxquels vous ne vous attendez point. Les excuses que vous me présentez par vos lettres ne méritent aucune attention, ni de moi, ni de ceux qui savent de quel poids pèsent les écrits des Cardinaux de la Sainte Église Romaine. Rome, le 20 février 1606 (1).


LXXXI
PHILIPPUS RUBENIUSBALTHASARI MORETO.

Aliorum mora morae meae caussa. Absque eo fuisset, ante sex hebdomadas duosve menses Poematia mea misissem, quod nunc demum facio, cum dilatione nihil profici animadverto. Vanis pollicitationibus nonnulli me tenuerunt, et etiam nunc tenent.

Mea tamen haec praemittere mihi visum, quae omnia praeter Epicedion lecta [...] et, ut rem dicam, probata fuere. Macte ista pietate, mi Morete, et doctoris nostri laudes typorum vestrorum aeternitate consecratum ito. Etsi revera clarissime haec ex ipsius scriptis patent, et ejus modi sunt, ut non temere cujusque stylus exprimere possit. Verumtamen nostrum est, gratum et memorem animum, quapote, [334] declarare. Cardilem Baronium placatiorem esse audio, munusque vestrum librarium ante repudiatum accepisse. Sed haec omnia (ni fallor) ad plenum D. Gerardus. Vale, mi amice, et epistolae brevitatem festinationi condona. Romae, ipso festo D. Joannis Baptistae. Ao MDCVI.

Frater meus animitus te salutat. Ego per te D. parentem tuum. Puteani Naeniam vides ab ipso mihi missam, meoque hortatu exsculptam. D. Woverium saluto, et propter longum silentium subaccuso. Sed et D. Baronium. Cum videbis, utrique quaeso significa. Epistolium ad matrem committo curas tuae.

Iterum vale.

Au dos, de la main de Moretus: Philippus Rubenius, 28 Julii 1606 (c'est-à-dire qu'il y a répondu à cette date).


Original dans la collection de M. le général baron de Renette-Moretus. — Inédite. — Citée par M. Max Rooses: P. -P. Rubens en Balthazar Moretus (Bulletin Rubens).


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A BALTHASAR MORETUS.

Le retard des autres est cause du mien. Sans cela, je vous aurais envoyé, depuis six semaines ou deux mois, mes poèmes que je vous adresse enfin aujourd'hui: car je vois qu'il n'y a rien à gagner d'attendre encore. On m'a fait de vaines promesses, on m'en fait encore. En attendant j'ai cru devoir vous envoyer mes poèmes qui tous, sauf l'Epicedion, ont été lus par le cher défunt, et, je dois l'ajouter, approuvés par lui. Courage donc, mon cher Moretus, dans votre oeuvre pieuse; consacrez par l'éternité de vos publications les louanges de notre maître, bien qu'elles sortent de ses oeuvres et soient de telle nature que toutes les plumes ne puissent les célébrer. Malgré cela, il est de notre devoir de montrer, autant que possible, que notre coeur est reconnaissant et se souvient.

J'apprends que le cardinal Baronius est devenu plus traitable: il accepte votre cadeau de livres qu'il avait refusé d'abord. Mais, si je ne me trompe, [335] vous savez tout cela par M. Gérard. Pardonnez-moi, mon ami, à cause de la hâte, la brièveté de cette lettre.

Rome, fête de St. Jean-Baptiste 1606. Mon frère vous salue cordialement. Saluez, de ma part, Monsieur votre père. Vous voyez que la Noenia de Puteanus m'a été envoyée par lui-même, et qu'il l'a ciselée à ma demande. Je salue M. van den Wouwere et je lui reproche son long silence. J'en fais autant à M. de Baron. Si vous les voyez faites-le leur savoir. Je remets à vos soins un billet pour ma mère.

COMMENTAIRE.

Nous avons dit antérieurement quelques mots au sujet de la publication des hommages funèbres de divers auteurs à la mémoire de Juste Lipse et de la part que Philippe Rubens y a prise. Toutes ces pièces formèrent un recueil imprimé par Moretus sous le titre de Justi Lipsii sapientioe et litterarum antistitis Fama posthuma. Antverpiae, ex officina Plantiniana 1607.

La lettre annonce la fin de l'affaire de la Monarchie de Sicile. En effet, la colère de Baronius se calma peu à peu. Usé par le travail, fatigué de la lutte, le Cardinal s'était retiré dans la maison de l'Oratoire, à la Vallicella. Sa santé, qui n'avait jamais été forte, périclita rapidement. Son estomac ne supportait plus la nourriture, la fièvre le minait. Il résida quelque temps à Tusculum, puis revint à sa cellule, traîna quelque temps encore, et mourut le 31 juin 1607, un an après sa lettre si violente à Moretus. Le roi d'Espagne maintint son autorité; le pape Paul V n'avait pas pour la question de Sicile l'ardeur de Clément VIII; les Archiducs obéirent à Philippe III; Moretus imprima le tome XI sans le Traité de Monarchia. Cette fameuse question ne cessa toutefois d'occuper les esprits: au commencement du XVIIIe siècle elle fut agitée de nouveau (1).

La Noenia de Puteanus est une pièce de vers faisant partie du recueil funèbre et intitulée: Erycii Puteani in Justum Lipsium pietas, brevi nenia expressa. On sait que Puteanus fut le successeur de Juste Lipse à Louvain.

Le M. Gérard dont il est question est probablement Gérard Corselius, professeur de droit civil à l'Université de Louvain, ami particulier de Juste [336] Lipse et de Moretus. Il était souvent consulté par les Archiducs, qui le nommèrent même, en 1617, membre du Grand-Conseil de Malines. C'est lui qui prononça l'oraison funèbre de Juste Lipse à l'Université.


LXXXII
GIULIANO DIECIAIUTI AL DUCA DI MANTOVA.

Smo Ducha mio Sre

Dal Sr Chiepio mi fu scritto che V. A. S. aveva dato ordine che uo suo pittore in el ritorno di Roma mi farebe motto per vedere quello quadro di mano di Rafaello da Urbino, dicho che non o visto nesuno e lamicho lo vorebe dar via. Di poi si richordi V. A. S. che ella ebe per le mane uno altro quadro di mano di Michelagniolo Buonaroti che era una monacha di Boldrone e dichono ne volse dare duti 200 non lo volse vendere, ora e morto, chi non la sava vendere e vorebe murare ua cella, però volendo V. A. S. averli chometta qui a qualcheduno per lei se ne un altro, 30 miglia lontano dichono di Michelagniolo, ma io non li o visti mi raporto, mi e parso farlo sapere a V. A. acciò possa fare resoluzione della sua volonta e pregandola a tenermi per suo servire e Dio le dia ugni bene. Di Firenze, di 18 Luglio 1606.

Di V. A. S.
Umile serre
,

Giuliano Dieciaiuti.


Original à l'Archivio Gonzaga à Mantoue. — Passage traduit par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, p. 313. — Texte inédit.


[337] TRADUCTION.
GIULIANO DIECIAIUTI AU DUC DE MANTOUE.

Duc Sérénissime,

M. Chieppio m'a écrit que V. A. S. a ordonné à un sien peintre, au retour de Rome, de venir me parler en passant pour voir ce tableau de la main de Raphaël d'Urbin. Je dois dire que je n'ai vu personne et que l'ami voudrait le vendre. Ensuite V. A. S. se rappellera qu'Elle peut avoir la possession d'un autre tableau de la main de Michel-Ange, appartenant à une religieuse de Boldrone: on dit qu'on voulait lui en donner 200 ducats mais qu'elle ne voulait pas s'en dessaisir. Maintenant l'amateur est mort; elle ne saura pas vendre le tableau et voudrait bâtir une chapelle. C'est pourquoi j'avertis V. A. de commettre quelqu'un à y aller, pour lui ou pour un autre; c'est à une distance de 30 milles. On dit que le tableau est de Michel-Ange, mais je ne l'ai pas vu; je rapporte ce qu'il m'a paru utile de faire savoir à V. A. afin qu'Elle prenne résolution de sa volonté. Je prie V. A. de me croire son serviteur et que Dieu lui prodigue tout bien.

De Florence, le 18 juillet 1606.De V. A. S.
Le très humble serviteur,

Giuliano Dieciaiuti.


COMMENTAIRE.

Ecrite par un illettré, quelque courtier en curiosités, cette lettre, avec ses phrases incohérentes et son orthographe barbare, offre quelque difficulté à être clairement comprise. Cependant, on ne peut presque pas douter qu'il ne s'agisse de Rubens dans la première ligne: on l'attendait à Mantoue et pendant son voyage de retour, il devait, d'après les ordres du Duc, s'arrêter à Florence pour y examiner un tableau de Raphael que l'on présentait à vendre.

Or, si Rubens avait été rappelé, il doit s'être opéré un revirement, car il ne quitta point Rome et y resta assez longtemps encore.


[338] LXXXIII
PHILIPPUS RUBENSERYCIO PUTEANO S. P. D.

Feliciter, mi amice, feliciter; confectum enim audio negotium tuum ex tua nostrumque omnium, id est benevolentium sententia. Et opportune sane profectio cadet in hoc tempus, quo foeda tempestas impendere Italiae videtur. Quid enim aliud obfirmati partium animi, quid [...] vestri ...[...], (1) quid denique delectus et apparatus bellici minantur? Haec accedunt longa et alta pax, et vices rerum humanarum. Quorsum autem haec? ut ista provincia magis magisque gaudeas, pedemque ex Italia lubentius efferas. De libello ad me misso mirifice te amo, mi Puteane. Crede mihi, teipsum hic vicisti; non solum illum Laconismi impugnatorem. Mihi sane vehementer placet, et de munusculo gratias habeo, egissem jam pridem, si per fratris morbum licuisset. Ecce autem Epicedion, quod petisti. Habet Moretus jam exemplum, et cum aliis, ni fallor, edet. Brevior in laudando sum, quod id alibi prolixius a me factum, in Apobaterio dico, quod forte una imprimetur; petiit quidem Moretus ut mitterem. Tuam Naeniam adjunxi, cui primus debetur locus. Vale, amicissime Puteane, et frequenter, quaeso, scribe. Quas in hune fasciculum litteras conjeci, velim cures. Romae, XI Kal. Sextil. 1606.


Asterii homilioe, p. 261.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A ERYCIUS PUTEANUS.

Quel bonheur, mon ami! j'apprends que votre affaire s'est, en effet, arrangée à votre satisfaction, à celle de nous tous, c'est-à-dire, de tous ceux [339] qui vous veulent du bien. Et votre départ tombera d'une manière opportune en ce moment où une horrible tempête semble suspendue sur l'Italie. Que nous font augurer, en effet, et cette obstination des partis, et votre Fuentes

...au coeur ferme et belliqueux,

et ces levées de soldats et tous ces apprêts de guerre? C'est à quoi viennent aboutir une paix longue et profonde et les vicissitudes des choses humaines. Pourquoi vous dire cela? Pour que vous vous réjouissiez de plus en plus de revoir votre pays et de quitter l'Italie. Je vous sais admirablement gré, mon cher Puteanus, du petit livre que vous m'avez envoyé. Croyez-moi, vous n'avez pas seulement vaincu cet adversaire du Laconisme, vous vous êtes vaincu vous-même. Votre écrit me plaît infiniment; je vous suis obligé de ce petit cadeau: je vous en aurais remercié plus tôt, si la maladie de mon frère me l'eût permis. Voici l'Epicedion que vous avez demandé. Moretus en a déjà une copie et, si je ne me trompe, il le publiera avec les autres choses. Je suis assez bref dans mes louanges, car j'ai été trop prolixe ailleurs, je veux dire dans l'Apobaterion, qui sera peut-être imprimé en même temps; du moins, Moretus m'a prié de le lui envoyer. J'y ajoute votre Noenia qui doit aller en premier lieu. Portez-vous bien, cher Puteanus, et écrivez-moi souvent. Veuillez, je vous prie, vous charger de la lettre ci-incluse.

De Rome, le 22 juillet 1606.

COMMENTAIRE.

La succession professorale de Juste Lipse avait été destinée, comme nous l'avons vu, à Philippe Rubens; mais celui-ci, pour des motifs particuliers, déclina l'offre que lui en faisait son maître, lequel même, à plusieurs reprises, exprima ses regrets de cet abandon. Il ne semble pas, toutefois, qu'il ait porté ses vues sur quelqu'autre, du moins pas sur Erycius Puteanus, qui devint son successeur.

Nous avons vu quels liens attachaient Puteanus à Juste Lipse. Il avait été l'élève brillant de celui-ci, qui en était fier et le protégea de tout son pouvoir; mais il n'avait pas été, comme Philippe Rubens, l'enfant de la maison, le disciple préféré du maître. Puteanus, depuis cinq ans, occupait à l'Ecole palatine, à Milan, la chaire d'Éloquence; il avait obtenu le titre d'historiographe du roi Philippe III; mais ces fonctions n'étaient pas très lucratives et, malgré ses démarches, ne s'amélioraient guères sous le rapport financier. Or, Erycius s'était marié à Milan avec une femme de bonne famille, [340] descendant des premiers dynastes de la cité, une Della Torre, mais de fortune médiocre, qui lui avait donné déjà un héritier: le besoin d'une position meilleure se faisait vivement sentir. La mort de Juste Lipse lui offrit l'occasion d'y arriver. Juste Lipse, pourtant, n'avait jamais songé à lui pour le présenter comme son successeur. Peu de temps avant de mourir, il lui écrivait sans toucher un mot de la chaire de Louvain. Le 25 septembre 1605, il lui envoyait ces lignes: „J'ai appris avec chagrin, par votre dernière lettre, votre abattement de l'esprit et du corps; j'espère que celui-ci est retabli; quant à l'esprit, vous le délivrerez en vous abandonnant à la philosophie. Croyez-moi, hors de là vous ne trouverez point de remède. Ce qui est en dehors de nous ne sera jamais selon nos voeux. Moi, par exemple, je sais que ma jeunesse a été grandement ballotée et que j'ai failli être submergé. Ma vie conjugale m'a causé beaucoup de déboires. Mais il faut relever en soi le courage et user d'obstination envers la fortune: on ne se la concilie pas en pliant devant elle. Si je puis vous être utile, dites-le, je serai là. Notre cher Rubens peut vous raconter tout ce qu'il sait de moi: c'est une lettre vivante. Ecoutez-le et aimez-moi.

“Vous ne me dites pas ce que le cardinal Borromée attend de moi. Vraiment je ne peux plus suffire à de nouveaux écrits ou à ceux que j'ai à faire: je vous passe le flambeau, à vous et à d'autres (1).”

Environ trois mois plus tard, le 17 décembre, il lui écrivait encore (2): „Je me suis bien réjoui d'apprendre que vous étiez dans de meilleures dispositions, c'est-à-dire que votre esprit a acquis de la fermeté. Si vous ne prenez pas votre courage en mains, qui vous soutiendra dans les orages de la vie? Car nous n'avons à nous attendre dans celle-ci qu'à des flots déchaînés et à la tempête, rarement au calme. Affermissez-vous dans cette idée et prenez sérieusement la résolution de suivre Dieu. J'ai écrit au cardinal Borromée, remettez-lui ma lettre. J'ai publié mon Lovanium, je pense que notre ami Woverius vous l'aura envoyé. Mais pendant que nous déterrons les choses antiques, c'est-à-dire les vraies, nous nous assurons que nous sommes sapés par ceux qui détestent les choses antiques et les vraies. On se nourrit aujourd'hui de vanités et l'on s'enfle: mais on ne pèse pas plus qu'une outre vide. Aussi suis-je ici la victime de jugements injustes: mais j'attends de vous, de l'étranger et de la postérité un suffrage meilleur. Vous le verrez. Votre père a été à Bruxelles, il m'a envoyé ses salutations, il n'est pas venu [341] lui-même. Si vous venez ici cet été, je vous embrasserai avec joie: venez apprendre beaucoup de choses et m'en dire autant. Mon Sénèque a été offert au Pape par Rubens: je n'en sais pas davantage, car nous en sommes là aujourd'hui, qu'on nous impute le bon accueil fait à mon livre. Je vous salue et vous prie de saluer Sacco et Settala. Louvain, 17 décembre 1605.”

Dans cette lettre, empreinte déjà d'idées sombres et écrite trois mois avant le décès de Juste Lipse, on ne voit aucune trace, pas plus que dans aucune autre, du choix qu'il aurait fait de Puteanus pour lui succéder. Après le refus et le départ de Philippe Rubens, il ne paraît pas que le maître se soit préoccupé du sort de sa chaire après lui. I

nformé du décès de Juste Lipse, peut-être par Rubens lui-même, Puteanus envoya immédiatement aux Archiducs une pétition, qu'il rendit en quelque sorte publique en adressant aux Grands, aux Savants, aux Amis, une lettre très habile, mais peu modeste, par laquelle il les prie d'appuyer sa requête aux Princes. Cette pièce est datée de Milan, le 19 avril, probablement du jour même où la nouvelle de la mort lui était parvenue (1). Sa requête aux Archiducs fut fortement appuyée par ses amis de Belgique: Oudaert, Corselius, vanden Wouwere, J. B. Perez de Baron, Aubert Miraeus; mais ses deux principaux protecteurs en cette affaire ont été Jean Miraeus, l'évêque d'Anvers et le Président Richardot (2). Le 14 juin, il adresse une autre supplique au célèbre Ambroise Spinola, général en chef des armées aux Pays-Bas, pour obtenir le titre d'Historiographe. C'est vers ce moment-là que dut lui arriver sa nomination de la part des Archiducs. Philippe Rubens fut sans doute un des premiers à le féliciter.

Dans sa lettre, il parle du départ prochain de Puteanus: ce départ n'eut lieu que trois mois après. Le 17 septembre, le successeur de Juste Lipse adresse aux trois „lumières” de l'Université de Louvain, Jacques Baius, Gérard Corselius et Thomas Fienus, un manifeste de Joyeuse entrée, comme en faisaient nos souverains (3). Il partit de Milan vers le 13 octobre; le 31, il arrivait avec sa femme et son fils à Cologne. Quelques jours après, il était à Louvain.

Comme le dit Rubens, il quittait l'Italie dans un moment où l'anxiété y était grande: on s'y apprêtait de tous côtés à la guerre.

[342] Le Pape nommé le 16 mai de l'année précédente, Camille Borghèse, devenu Paul V, n'aimait guères la République de Venise et, sans cesse, lui cherchait noise au sujet des immunités ecclésiastiques qu'il prétendait être mises au néant par le gouvernement des Doges. Des discussions vives eurent lieu; d'un côté, il y avait le célèbre Fra Paolo Sarpi, qui défendait le pouvoir civil, de l'autre, la cour de Rome et les Jésuites, qui revendiquaient pour l'Eglise un droit absolu. Un événement sans importance en lui-même, un conflit de juridiction, mit le feu aux poudres. Le 17 avril, le Pape courroucé lança contre Venise une très longue bulle d'excommunication. La République déclara la bulle abusive et nulle. Le Pape voulut réduire la République par la force, mais comme il n'était pas en état de lui faire la guerre, il chercha des alliés. L'Espagne l'aidait dans ce dessein: d'un côté, elle poussait les Vénitiens à la résistance, d'un autre côté, elle ordonnait aux gouverneurs de Naples et de Milan de soutenir le Pape. On armait de toutes parts: la guerre était imminente. Heureusement, Henri IV intervint dans l'affaire et fit si bien, par l'habileté du cardinal de Joyeuse, qu'il rétablit la paix. Venise se soumit, mais refusa de laisser rentrer les Jésuites; la bulle fut retirée.

C'est à toute cette affaire, dans laquelle, comme nous l'avons dit déjà, le cardinal Ascanio Colonna, le patron de Philippe Rubens, joua un rôle actif, c'est à l'affaire de Venise qu'il est fait allusion dans cette lettre.

Le [...] (de [...], fontaine), dont il est parlé, est évidemment une allusion au comte de Fuentes, dont le nom se traduisait en latin Comes Fontanus (1). Don Pedro Henriquez de Açevedo, comte de Fuentes, était gouverneur du Milanais; il s'y trouvait à la tête d'une nombreuse armée qui jetait en ce moment l'alarme dans toute l'Italie. Elle était dirigée contre Venise, pour soutenir les prétentions du Pape, mais, en réalité, il s'agissait d'agrandir les possessions de l'Espagne.

Le livre envoyé à Rubens par Puteanus est son opuscule: De Laconismo Syntagma, qui parut à Milan, en 1606. Nous avons déjà parlé de ce traité du style concis qui devait plaire à Rubens. Celui-ci, en effet, rendait des points à Juste Lipse et à Puteanus dans l'art de retrancher des mots de ses phrases latines. Cet opuscule fut réimprimé plusieurs fois.

La lettre parle d'une maladie que Pierre-Paul aurait faite à Rome. Elle dut avoir une certaine gravité puisqu'elle ne permit pas à Philippe d'écrire [343] une lettre de remerciement à Puteanus; à moins qu'il ne faille ici faire la part de l'exagération polie. Cependant nous verrons tout à l'heure que cette indisposition empêcha Pierre-Paul lui-même de prendre la plume en main.

L'Epicedion, envoyé par Philippe, fut inséré dans le Recueil funéraire de Juste Lipse; l'Apobaterion ne parut que plus tard, dans les Electorum libri II, en 1608. C'est, en effet, comme il le dit lui-même, une pièce prolixe de plus de 250 vers dans lesquels, selon sa coutume, l'auteur, qui n'était pas poète, accumule toutes les excentricités de la langue et de la prosodie latines.


LXXXIV
BALTHASAR MORETUSPHILIPPO RUBENIO.

Amicissime et Doctissime Dme

Tempori satis Epicedium cum aliis poematiis tuis accepi, nam hic nescio quare lenti sunt: si judicio et diligentiori cura, moram haud improbo. At Leodienses sua ad nos missuri videbantur, jam illic seorsim cudi malunt. Itaque Patres Soc. his diebus rogabam, illorum in locum ut succederent, nec abnuerunt. D. Woverius doctoris nostri vitam scribere cogitavit, et suum item Eucharisticum recensero; cui Apobateria tua atque alia encomia apte subjungi licebit. Nam Epicedium libellum singularem esse oportebit. Puteani Naenia brevis est et dubito an ipso satis digna. Quem Lipsio successorem dari, mireris quam Batavi indignentur. Ecce enim, inquiunt, (litteras a Raphelengio nostro accepi) Batavi a tredecim annis non invenimus, qui in Academia nostra Lipsio succederet: Brabanti subito Puteanum qui incomparabilis viri loco substituatur! et alia addunt ad illius nostri laudem, ad hujus paene infamiam. Ab ipso Card. Baronio litteras amoeniores accepimus, redintegratae amicitiae testes. Nam serio nos ab Undecimo edendo abstinere, et de ternionibus a nobis excusis alteri vendendis, cogitare, scripseramus: quia scilicet Rex Catholicus tractatum de Sicilia haud permitteret. Woverius ad te scripsisse aiebat [344] a quo salutem dumtaxat hic adscribo. Baronius cum D. Miraeo ad Aquas Spadanas ivit: nec proinde potui convenisse. Tuas ad matrem curavi. De publicis, nihil magni momenti est quod addam. Assidue hic per aliquot septimanas pluvia Marchionis nostri in Frisiis conatus impedit aut retardat. D. Loppersio quaeso in occasione a nobis salutem nuncies, item DnisScioppio et Fabro et bina horum singulis, Imaginum Fulvii et Commentarii exemplaria misisse ad Gasparem Paliettum bibliopolam.

Vale, mi amice, cum tuo fratre, cui plurimam a me salutem impertiri imprimis velim quam et a parente meo tibi adscribo.Antverpiae, ex Officina Plantiniana. V Kal. Sextilis 1606.

Adresse: Philippo Rubenio Romam.


Minute au Musée Plantin-Moretus, à Anvers. — Texte inédit.


TRADUCTION.
BALTHASAR MORETUS A PHILIPPE RUBENS.

Très cher et très savant Ami,

L'Epicedion et vos autres poèmes me sont arrivés assez à temps, car ici on y a mis de la lenteur, je ne sais pourquoi. Si c'est à dessein, pour soigner mieux le travail, je ne blâme pas le retard. Mais les Liégeois, qui paraissaient devoir nous envoyer leur contingent, aiment mieux le publier à part, chez eux. J'ai demandé, ces jours derniers, aux Pères de la Compagnie de vouloir bien les remplacer: ils ne l'ont pas refusé. M. vanden Wouwere a eu l'intention d'écrire la vie de notre Maître: je réimprimerai son Eucharisticum, auquel s'adjoindront parfaitement vos Apobateria et d'autres éloges, car l'Epicedium doit former un opuscule particulier. La Noenia de Puteanus est bien courte et je doute qu'on la trouve assez digne de lui. Vous entendrez avec surprise le dédain manifesté par les Hollandais quand ils ont appris qu'il succède à Juste Lipse. Depuis treize ans, disent-ils, d'après une lettre de notre Raphelengius, nous ne lui avons pas trouvé de successeur à l'Université de Leide, et en [345] un moment, les Brabançons ont découvert Puteanus pour remplacer l'homme incomparable! Puis ils y ajoutent des commentaires à la louange de celui-ci, mais presque insultants pour l'autre. Nous avons reçu du cardinal Baronius lui-même, une lettre plus agréable, qui nous remet dans son amitié. Nous lui avions écrit sérieusement notre intention de ne pas publier le tome XI et de vendre à un autre les feuilles déjà imprimées, vu que le Roi catholique ne permettrait pas la publication du traité de la Monarchie Sicilienne. Vanden Wouwere dit qu'il vous a écrit: il me suffira donc de vous adresser ses salutations. De Baron est avec M. Miraeus aux eaux de Spa: je n'ai donc pu leur parler. J'ai remis votre lettre à votre mère. Rien d'important à vous dire des affaires. Depuis quelques semaines, une pluie continue empêche ou retarde l'entreprise de notre Marquis sur les Frisons. A l'occasion, saluez, je vous prie, de notre part, M. Loppers, ainsi que M. Scioppius et le Fèvre; veuillez dire à ces deux derniers que j'ai envoyé pour chacun d'eux, au libraire Gaspard Palietti, deux exemplaires des Imagines de Fulvius, avec le commentaire.

Portez-vous bien, cher ami, vous et votre frère, à qui, surtout, vous voudrez bien faire part des salutations que je vous adresse de la part de mon père et de moi. Anvers, de l'officine Plantinienne, le 28 juillet 1606.


COMMENTAIRE.

Les détails que donnent cette lettre et les suivantes de Moretus sur la confection de la Fama posthuma de Juste Lipse ne nous intéressent que pour la part qu'y a prise Philippe Rubens. Nous ne savons ce qui en est du contingent à fournir par les Liégeois: parmi les pièces signées, il ne s'en trouve, en effet, aucune portant un nom Liégeois et nous ne trouvons pas que l'on ait imprimé à part aucun recueil de ce genre, soit à Liège, soit ailleurs. Nous ne trouvons pas non plus de poème signé d'un Jésuite. Il résulte de ces lettres de Moretus que celui-ci n'a pas recueilli sans peine son petit recueil d'éloges poétiques en l'honneur du défunt.

Ce qu'il dit de la Noenia de Puteanus est parfaitement exact: c'est une pièce des plus pauvres; elle se compose de 43 vers, dont la moitié sont des vers à répétition, dans ce genre:

Orbum lumine qui reliquit orbem,
Orbum numine qui reliquit orbem.
Lumen nam fuit ille Litterarum,
Numen et fuit ille Litterarum.

[346] Tout est de cette force. Juste Lipse, on le sait, aimait assez ces bizarreries affectées; on dirait que son successeur en a essayé une accumulation ironique dans ce petit éloge funèbre.

Les quelques lignes que Moretus consacre à Puteanus témoignent d'une grande froideur. Jamais, malgré les avances réitérées de ce dernier, il n'y eut d'intimes rapports entr'eux. La maison plantinienne se refusa toujours à éditer les élucubrations du successeur de Juste Lipse: du moins, elle n'en imprima que trois ou quatre, par occasion. Moretus avait du flair: il devait connaître les premières oeuvres de Puteanus, publiées en Italie, et avoir apprécié les chances de succès, aux Pays-Bas, des petits livres que produisait, sans les compter, cet émule de Pic de la Mirandole.


LXXXV
PIETRO-PAOLO RUBENS AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Illmo Sigre et Prôn. Colmo

Non saprei da chi ricorrere con sicurezza d'ottenere questa gratia che da V. S. Illma dalla quale ho già ottenuto una altra simile a questa, anzi la medesima. Intendo del salario che V. S. per quatro mesi fece pagare prontamente. Hora correndo il tempo et il salario insieme avanzo già quattro altri mesi dal po d'Aprile fui al po d'Agosto. Supplico V. S. Illma volere intercedere appresso S. A. Serma perche si compiaccia di continuare l'istesso suo favore verso di me acciò che possa continuare li miei studij senza procurar altronde dell'utile che non mi mancarebbe in Roma. Restero obligatissimo come sempre a V. S. Illma alla quale humilmente baccio la mano pregandola volermi dar qualche contrasegno della sua buona gratia col commandarmi cose di suo gusto.

In Roma, alli 29 di Luglio 1606.Di V. S. Illma
Affettmo Servitore,

Pietro-Paolo Rubens.


[] []

[347] Adresse: All' Illmo Sigr et Pròn mio Colmo il Sigr Annibale Chieppio Secro consiglre di S. A. Serma. In Mantova.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Fragment et analyse par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, 313. — Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe. etc, p. 27.


TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A ANNIBAL CHIEPPIO.

Je ne sais à qui avoir recours pour être certain d'obtenir la faveur que je demande, sinon à vous qui m'avez octroyé déjà une faveur semblable ou plutôt la même. J'entends parler de mon salaire que vous m'avez fait payer promptement pour quatre mois. Aujourd'hui le temps a couru et je suis en avance de ce salaire pour quatre autres mois, du premier avril au premier août. Je vous supplie d'intercéder auprès de S. A. S. pour qu'il lui plaise de me continuer la même faveur, afin que je puisse continuer mes études, sans devoir me procurer d'un autre côté des ressources qui ne me manqueraient pas à Rome. Je vous en resterai très obligé, comme toujours, et je vous baise les mains, en vous priant de me donner quelque preuve de votre bonne grâce en m'ordonnant quelque chose qui puisse vous faire plaisir.

De Rome, le 29 juillet 1606.Votre affectionné serviteur,

Pierre-Paul Rubens.


COMMENTAIRE.

De nouveau, nous avons affaire ici à l'un de ces retards de paiement si fréquents de la part du trésorier de Mantoue. Mais, cette fois, la réclamation ne vient pas tout-à-fait de Pierre-Paul, car la lettre n'est pas de sa main, mais de celle de son frère, comme on peut le voir en comparant leurs écritures. Le style n'est pas non plus celui dont se sert le peintre en écrivant à Chieppio, et l'on remarquera qu'ici la signature porte Paolo au lieu de Pauolo. Nous avons vu, du reste, par la lettre du 22 à Puteanus, que Pierre-Paul avait fait une maladie: peut-être n'était-il pas suffisamment rétabli pour écrire, lui-même, le 29.

Il résulte de cette lettre, que l'on devait déjà payer à Rubens, au 1r août, un deuxième terme de quatre mois, ce qui nous reporte à huit mois en [348] arrière, c'est-à-dire au commencement de l'année; le fait est confirmé par la lettre de G. Magno à Chieppio, du 11 février.

La lettre nous apprend encore que Rubens se trouvait à Rome pour y „continuer ses études.” On se demande comment il faut entendre cette expression? Ces études consistaient-elles à exécuter des copies pour Vincent de Gonzague, ou celui-ci fournissait-il généreusement des honoraires — pas trop bien payés, il est vrai — au jeune peintre, pour lui permettre de se perfectionner dans son art? En l'absence de documents relatifs aux travaux de Rubens la question reste assez dans le vague. La première interprétation semble la plus probable. En effet, si l'artiste n'avait pas été chargé d'une besogne déterminée de copies, il n'aurait pas, en quelque sorte, menacé le Duc de se passer de ses faveurs et d'entreprendre des travaux pour d'autres, comme il le fit, du reste, bientôt après.


LXXXVI
PHILIPPUS RUBENIUSBALTHASARI MORETO S.

Epistolae tuae V Kal. Sextil. datae diutius responsum sine culpa debere non possum. Id nunc habe. De Epicedio seorsum imprimendo tibi assentior, nec alia misissem, nisi tute postulasses. Quod si D. Woverius suis ea (quod scribis) adjungi facile patietur, Epicedium attexi velim quod omnia sint inter se affinia et Doctori nostro dicata. Ceterum, ut fere sapientiores de [...] aliquid in Epicedio mutari cupimus ac pro verbis his,

Elysium contra Chaos, aulaque Ditis operti
Loete agitat, festoque silentia pristina plausu,
Mutat ob adventum tanti hospitis: hanc vaga stipat
Heroum manus: hunc certatim etc.

istos substitui:

Elysium contra Chaos et jucunda virecta
Fortunatorum nemorum, tanti hospitis erga
Loetitia plausuque fremunt: hunc agmina stipant
Semideûm Heroum: hunc certatim etc.

[349] Hoc si fieri potest, etiam atque etiam cures velim. De Baronio placato laetor. Et sane non dubitandum mihi videbatur quin aliquando, diligentius re expensa, ad lenitatem se daturus esset. Nam initio quidem clausae erant aures obstrepente ira. De Fulvii imaginibus, quas ad Paliettum missas esse nuntias, gratias agunt D. Scioppius et Faber, etsi nondum acceperunt. Solenne nimirum hoc est, ut lenta sint haec talia. Publicam rem, ut audimus, praeclare Spinula gerit. Quod non parum est, tempestatibus tum adversis imbribusque continuis. Quae sequetur, ut spero, longa serenitas et [...] ut exercitus diu in castris et expeditionibus haberi possit. De Italia nihil habeo dicere.

Dubiae res, quam diu Veneti sic divulsi. Male multi tamen ominantur, et magnam aliquam calamitatem imminere credunt. Utinam tune saltem istinc [...] ille Mavors recedat, et aliquam [...] (1). Faxit Deus, et te, mi amice, servet. Frater meus te salutat: tu quaeso utriusque nomine D. parentem, et vale. Romae, V Id. Sept. 1606.


Adresse: Al molto mag. Sige et pron. mio Ossmo il Sigr Balthazaro Moreto in Anversa.


Original au Musée Plantin-Moretus, à Anvers. — Citée par M. Max Rooses: P. -P. Rubens en Balthazar Moretus (Bulletin Rubens, I. P. 241). — Texte inédit.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A BALTHASAR MORETUS.

Je ne puis, sans être en faute, tarder plus longtemps de répondre à votre lettre du 28 Juillet. Voici ce que j'ai à dire. Je suis d'accord avec vous d'imprimer à part l'Epicedion; je ne vous aurais pas envoyé d'autres pièces si vous ne me l'aviez pas demandé vous-même. Si M. Vanden Wouwere consent volontiers à laisser joindre ces pièces aux siennes, comme vous me l'écrivez, [350] je voudrais y ajouter l'Epicedion, puisque toutes ont un sujet commun et sont dédiées à notre Maître. Pour le reste, devenu plus sage pour y avoir pensé une seconde fois, je voudrais changer quelque chose dans l'Epicedion et au lieu de ces vers:

Elysium contra chaos, aulaque Ditis operti
Loete agitat, festoque silentia pristina plausu,
Mutat ob adventum tanti hospitis: hunc vaga stipat
Heroum manus: hunc certatim etc.

je voudrais mettre ceux-ci:

Elysium contra Chaos et jucunda virecta
Fortunatorum nemorum tanti hospitis ergo
Loetitia plausuque fremunt: hunc agmina stipant
Semideûm Heroum: hunc certatim etc.

Si cela peut se faire, je vous prie instamment d'en avoir soin. Je suis heureux de l'apaisement de Baronius. Il n'y avait pas à douter, me semble-t-il, qu'après avoir mûrement pesé l'affaire, il ne dût en arriver au calme. Au commencement, c'est sa bruyante colère qui lui bouchait les oreilles. Scioppius et le Fèvre vous remercient des Imagines de Fulvius que vous avez envoyées à Palietti, bien qu'ils ne les aient pas encore reçues. Ces lenteurs fâcheuses, je le sais, sont habituelles.

J'apprends que les affaires publiques sont bien menées par Spinola. Et ce n'est pas peu de chose par ces orages malencontreux et ces pluies continuelles. J'espère que le ciel va s'éclaircir sérieusement et que de beaux jours suivront, afin que l'on puisse tenir longtemps l'armée dans les camps et dans les expéditions. De l'Italie je n'ai rien à dire.

Les affaires seront en suspens aussi longtemps que Venise se tiendra à l'écart. Beaucoup de personnes en augurent très mal et croient à l'imminence de quelque catastrophe. Puisse au moins s'en aller d'ici le dieu Mars, ce grand destructeur, et puissions nous recevoir quelque allégeance à nos maux!

Que Dieu nous l'octroie, mon ami, et qu'il vous conserve! Mon frère vous salue: lui et moi nous vous prions de présenter nos respects à M. votre père. Rome, 9 Septembre 1606.


[351] LXXXVII
BALTHASAR MORETUSPHILIPPO RUBENIO.

De versibus in Epicedio tuo immutandis sat tempestive scripsisti, nam de Epitaphio libello edendo nondum festinamus. A Batavis expectamus siquid in honorem Doctoris nostri velint, qui prae multis aliis certe possunt. Woverius vitam et mortem ejus meditatur perscribere, quorum alteram vivus ipse incepit. Item Eucharisticum suum innovare cui haud incommode Apobateria subnectentur, Woverio sat volente. Illmi Baronii recuperata gratia merito gaudemus, at quanti ea nobis constet, nec ipse opinor intelligit, et nos perferre malumus quam referre. Nam hactenus Undecimus tomus nobis inutilis est quem paene absolveramus, et sine isto priores omnes haud prosunt, nec invenimus qui a nobis redimat, et cum gratia suorum Principum in lucem emittat. Solatur nos conscientia benefacti, et veteris Comici sententiam amplectimur. [...][...][...] (1). Tuas ad matrem curavi. Fulvii Imagines spero jam Scioppium et Fabrum recepisse. Spinulae victorias, Lochemum, Grollam, Berckam expugnatam, jamdiu te audiisse opinor. Utinam importuna militis seditio plura conanti haud obstitisset, uno Lochemi recuperandi occasionem hostibus non praebuisset. Sed spes seditionis istius brevi componendae, praesertim classe ex India modo advecta quem belli nervum nobis reddat. Puteanum jam Coloniam venisse audimus, et mox hac adfuturum speramus. Quando et te, mi Rubeni, haud diffido, et Senatum nostrum de te cogitare libens audio. Et an non ultro huc redeas, si Italos idem ille Mars infestet qui nos Belgas.

Vale, amicissime.Antverpiae, XV Kal. Decemb. 1606.

Original au Musée Plantin-Moretus, à Anvers. — Texre inédit.


[352] TRADUCTION.
BALTHASAR MORETUS A PHILIPPE RUBENS.

Vous avez écrit suffisamment à temps au sujet des vers à changer dans votre Epicedion, car nous ne nous pressons point de publier le recueil funéraire. Nous attendons que les Hollandais nous aient envoyé quelque chose en l'honneur de notre Maître; ils le peuvent mieux que beaucoup d'autres. Van den Wouwere songe à écrire la vie et la mort de Juste Lipse: celui-ci avait commencé déjà à écrire lui-même sa biographie. Il veut aussi renouveler son Eucharisticum qui se joindrait parfaitement aux Apobateria: ce qu'il accepte. Nous nous réjouissons à bon droit d'avoir recouvré les bonnes grâces de l'illustre Baronius: il n'a point d'idée, je crois, de ce que cela nous coûte; mais nous aimons mieux supporter la perte que la faire connaître. Car jusqu'à présent le tome XI nous est inutile quoiqu'il soit presque achevé, et sans lui, tous les tomes précédents n'ont plus de valeur. Nous ne trouvons personne pour le reprendre et le publier avec l'autorisation d'un Souverain. Nous avons pour consolation la conscience d'avoir bien fait et nous disons avec l'ancien poète comique:

Quand vous offrez aux Dieux ou prière ou victime,
Que votre voeu, toujours, soit un voeu légitime:
Seuls, les justes desseins sont protégés des Dieux.

J'ai remis vos lettres à votre mère. J'espère que Scioppius et le Fèvre auront reçu les Imagines de Fulvius. Je suppose que vous avez appris les victoires de Spinola, la prise de Lochem, Grol et Rhynberg. Plût à Dieu qu'une sédition intempestive de ses troupes, ne l'eût empêché d'exécuter d'autres projets, et n'eût fourni aux ennemis l'occasion de reprendre Lochem! Mais nous avons l'espoir d'appaiser ce soulèvement, surtout par l'arrivée de la flotte des Indes qui nous apporte du nerf de la guerre. J'apprends que Puteanus est déjà à Cologne; j'espère qu'il sera bientôt ici. Et vous, mon cher Rubens, je ne désespère pas non plus de vous voir: j'entends avec plaisir que notre Magistrat s'occupe de vous. Ne rentrerez-vous pas volontiers ici, si, comme nous autres, Belges, les Italiens sont livrés à la guerre?

Au revoir, très cher ami. Anvers, 17 novembre 1606.

COMMENTAIRE.

Les démarches nombreuses de Moretus pour élever un petit monument qui exprimât les regrets du monde littéraire après la mort de Juste Lipse, ces [353] démarches auraient pu être couronnées d'un succès meilleur. Mais le maître était mort dans un moment peu favorable à l'éclosion de sentiments nobles et délicats; la guerre sévissait aux Pays-Bas, les derniers ouvrages de Juste Lipse avaient provoqué de vives critiques, l'homme s'était survécu. On s'étonne de voir Moretus espérer, pour son oeuvre pieuse, un contingent de la part des Hollandais: l'ancien professeur de Leide, devenu professeur de Louvain, avait toujours été considéré comme un rénégat, un transfuge, et l'on ne devait pas s'attendre à récolter beaucoup de louanges de ce côté. Aussi, parmi les pièces signées n'en rencontre-t-on point portant le nom d'un citoyen des Provinces-Unies.

Philippe Rubens ne recueillit guères de chants funèbres parmi les nombreux correspondants italiens de Juste Lipse: en Italie aussi, il y avait eu récemment de vives polémiques à son sujet. On dut se borner donc aux poésies de ses compatriotes, auxquels se joignirent quelques étrangers; mais, en somme, on y trouve des noms de second et de troisième ordre et un seul, celui de Jean Bochius, qui ait eu quelque notoriété comme poète. On peut dire que toute la Fama posthuma est un ramassis de compositions d'une étonnante médiocrité.

Vanden Wouwere avait songé, dit Moretus, à écrire l'histoire de la vie et de la mort de Juste Lipse lequel avait commencé à écrire lui-même sa vie. Il n'a point poursuivi son idée. Quant à l'Eucharisticon de Woverius, il parut séparément, à l'officine Plantinienne.

Le passage le plus important de cette lettre c'est la mention des démarches que l'on faisait à Anvers en faveur de Philippe Rubens, pour lui créer une position dans la ville où son père avait fait partie de la magistrature communale et où sa mère le rappelait avec instance. Mais sa naissance à l'étranger — il était né à Cologne — le rendait inhabile à remplir des fonctions dans son pays, avant d'avoir purgé cette espèce de contumace natale et réclamé sa naturalité d'origine, ou obtenu la Brabantisation, comme on disait. A cet effet, il avait adressé aux Etats de Brabant une pétition (1) qui fut introduite aux Etats dès le 14 novembre et sur laquelle on statua favorablement dans les séances des 15 novembre 1606, 17, 18 et 24 juillet 1607. (2)


[354] XIC
PIETRO-PAOLO RUBENS AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Illmo Sigre mio et Padron Colmo

Mi ritrovo intricatisso per l'improvisa risolutione fatta da S. A. Serma circa il mio ritorno a Mantova in termino cosi breve ch'impossibil sarà ch'io mi sbrighi cosi presto di Roma per causa d'alcune opere d'importanza, le quali dopo haver impiegato tutta l'estate ne i studij dell'arte fui sforzato d'accettare (per confessar il vero secreto a V. S. Illma) di mera necessità non potendo fornir honoratamente casa et mantenerla con duoi servitori perspatio d'un anno in Roma con soli 140 scudi ch'in tutto il tempo dell'absenza mia ho ricevuto da Mantova. Offerendosi dunque la più bella et superba occasione di tutta Roma mi spinse ancora zelo d'honore a prevalermi della mia sorte. Quest'è l'altar maggre de la Chiesa nuova delli Preti dell'Oratorio detta S. Maria in Vallicella, senza dubbio hoggidi la più celebrata et frequentata chiesa di Roma per esser situata giusto nel centro d'essa et adornata a concorrenza di tutti li più valenti pittori d'Italia, di maniera che ancora che detta opera non fosse comminciata ci sono interessati personaggi di tal qualità ch'io non potrei con honore lasciar un impresa ottenuta con tanta gloria contra le pretensioni di tutti li primi pittori di Roma, et farei grandisso torto alli miei fautori che resteriano disgustatissimi, perche movendo io qualche dubbio intorno la mia servitù di Mantova essi s'offersero in tal caso di intercedere per me appresso il Sigr Duca, protestando a S. Aza dover esser carissimo ch'un suo servitor li faccia tal honor in Roma, tra li altri il Sigr CardlBorghese so che non mancarebbe d'adoperarsi in favor mio, ma per hora non mi par bisogno ricorrer d'altri che da V. S. Illma che sola basterà, anzi sarà più atta a far capace il Sigr Duca d'un si gran mio interesse nell' honor et util insieme. Ne dubito punto che concorrendo l'efficace intercessione di V. Sria colla benignità di S. Aza non sia per riuscirmi fatto quanto spero. [] []

[355] Nondimeno quando il presente servitio del Sigr Duca sia cosi preciso che non s'offrisca dilatione l'anteporrò sempre a tutt'il restante del mondo et venirò subito correndo a quella volta pregando in contracambio S. Aza volermi dare la sua parola da Principe ch'a la primavera prossima si contenterà ch'io torni a dar sodisfattione per tre mesi a questi SSri di Roma. L'alterutra di queste me sarà la maggior gratia che mai potessi sperare di S. Aza et da V. S. Illma insieme cioè o ch'al presente si differisca il mio ritorno per tre mesi, overo alla primavera prossima mi sia concessa licenza per l'istesso termine di tornare a Roma. Quest'è la somma del negotio mio, la quale io remetto e raccommando col solito affetto nella gratia di V. S. Illma. Sopra la quale acquietandomi mi perdoni s'io ardisco di sperar troppo, la cortesia, la benignità propria le sono causa de simili fastidi. Non posso altro che augurarle la Mata divina cosi propitia come lei si dimostra verso me. Et con quest'animo humilmente baccio a V. S Illma le mani.

Di Roma, alli 2 di Decembre 1606.Di V. S. Illma
Devotissmo servitore,

Pietro-Paolo Rurenio.


Adresse: All' Illmo Sigr et Pron. mio Colmo il Sigr Annibale Chieppio Consigre et primo Secretio di S. A. Serma in Mantova. Cachet sur nieulle, peu marqué.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 313. — Texte publié par M. Rosenberg, Rubensbriefe, p. 28.


TRADUCTION.
RUBENS A CHIEPPIO.

Je me trouve très embarrassé par la résolution imprévue de S. A. S. concernant mon retour à Mantoue. Le terme fixé est si bref qu'il me sera impossible de quitter Rome aussi vite, à cause de quelques travaux d'importance, qu'après avoir employé tout l'été aux études de mon art, j'ai été forcé d'accepter, [356] je vous le confesse en toute franchise, par pure nécessité, ne pouvant pas tenir honorablement une maison avec deux serviteurs pendant l'espace d'un an à Rome, avec les seuls 140 écus que j'ai reçus de Mantoue pendant tout le temps de mon absence. En conséquence, comme il se présente la plus belle, la plus magnifique occasion dans tout Rome, j'ai été poussé par l'honneur à tirer parti de ma profession. Il s'agit du grand autel de la nouvelle église des Prêtres de l'Oratoire, dite de Ste. Marie in Vallicella, laquelle est aujourd'hui certainement la plus renommée et la plus fréquentée des églises d'ici, pour être située juste au centre de la ville et être décorée par le concours de tous les peintres les plus habiles de l'Italie. Bien que l'oeuvre ne soit pas encore commencée, des personnages de si haute qualité s'y sont intéressés que je ne pourrais, sans manquer à l'honneur, abandonner une entreprise obtenue si glorieusement contre les prétentions de tous les premiers artistes de Rome. En outre, je ferais le plus grand tort à mes protecteurs et ils demeureraient très offensés: en effet, si j'avais témoigné quelque incertitude à cause de mon service de Mantoue, ils se fussent offerts à intercéder pour moi auprès de Mgr. le Duc, ils eussent représenté à S. A. S. qu'elle doit être heureuse de ce que l'un de ses serviteurs lui faisait tant d'honneur à Rome. Le cardinal Borghèse, entre autres, ne manquerait point de s'employer en ma faveur: mais, pour le moment, il ne me semble pas nécessaire d'avoir recours à d'autres qu'à vous. Il suffit de vous seul; personne n'est plus apte à faire comprendre à Mgr. le Duc, de quel grand intérêt est cette affaire, tant pour ma réputation que pour mon profit.

Je n'en ai donc aucun doute: votre efficace intercession, s'unissant à la bienveillance de S. A., ne peut manquer de réaliser mon espérance. Toutefois, si le service actuel de Mgr. le Duc est si pressant qu'il ne puisse souffrir de retard, je lui donnerai toujours la préférence sur toute autre chose du monde et j'accourrai immédiatement là-bas, suppliant S. A. de me donner, en revanche, sa parole de Prince qu'Elle me permettra, au printemps prochain, de retourner ici, pour trois mois, afin que je puisse satisfaire mes protecteurs de Rome. L'une ou l'autre de ces concessions serait pour moi la plus grande faveur que je puisse espérer de S. A. et de vous: ou que pour le présent je diffère mon retour de trois mois, ou qu'au printemps il me soit concédé de retourner à Rome pour un même laps de temps.

Telle est, en somme, mon affaire: je la remets et la recommande affectueusement à votre bonne grâce, sur laquelle je me repose. Pardonnez-moi si j'ose ainsi me flatter de trop d'espoir; mais votre courtoisie, votre obligeance [357] sont la cause première de semblables importunités. Je ne puis vous en remercier qu'en priant la Majesté divine de vous être aussi propice que vous l'êtes envers moi. C'est dans ces sentiments que je vous baise humblement les mains.

De Rome, le 2 décembre 1605.Votre très dévoué Serviteur,

Pierre-Paul Rubens.


XC
VINCENZO I AD ANNIBALE CHIEPPIO.

A Pietro-Paolo ci contentiamo di dar il termine di tre mesi, che desidera da starsene a Roma per compiere l'opera che ha alle mani, gli potrete pertanto far sapere che se ne stia a suo comodo per questi tre mesi, ma che per Pasqua di Resuretione infalibilte egli se ne venga a Mantova, che per quello tempo ci contentiamo che vi sia, affinche conosca che vogliamo compiacerlo, più tosto di più che di manco di quella che egli desidera

Dalle Casette di Comacchio a 13 di Decembre 1606.

Vincenzo.

Constantinus.


Adresse: Al Chieppio nostro Consre carissimo, Mantova.


Minute à l'Archivio Gonzaga à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 314. — Texte inédit.


TRADUCTION.
VINCENT Ier A ANNIBAL CHIEPPIO.

Nous sommes satisfait d'accorder à Pierre-Paul le terme de trois mois qu'il désire rester à Rome pour exécuter l'ouvrage qu'il a en mains. Vous pourrez donc lui faire savoir qu'il en prenne à son aise pour ces trois [358] mois, mais que pour Pâques il vienne, sans manquer, à Mantoue; nous nous contentons de ce qu'il soit là pour cette époque, afin qu'il sache que nous voulons lui être agréable dans ses désirs, plutôt en plus qu'en moins. .

Des Casette de Comacchio, le 13 décembre 1606.

Vincent.

Constantinus


COMMENTAIRE.

“Il faut arriver au 2 décembre, cette même année, dit M. A. Baschet, pour rencontrer enfin une de ces belles et significatives lettres auxquelles Rubens nous avait quelque peu accoutumés pendant le voyage d'Espagne. Le voici de nouveau, ferme, très digne, très haut sur le point d'honneur, et énonçant avec une confiance honorable les embarras où il a pensé se trouver, par suite de l'incurie dont le trésor de Mantoue ne s'est pas fait faute de lui donner la preuve en ce qui regardait les émoluments auxquels il avait droit.„ Nous souscrivons entièrement à cette bonne et juste appréciation, mais il nous faut faire remarquer que la lettre n'est pas de la main de Pierre-Paul, elle est écrite par Philippe, comme celle du 29 juillet. La signature insolite Pietro Paolo Rubenio, prouverait déjà qu'elle n'émane pas du peintre.

Nous avons expliqué la substitution de la plume fraternelle au 29 juillet, par cette circonstance que le peintre était malade: cette fois nous ne trouvons aucun motif à alléguer. En faisant observer que les deux seules lettres que nous connaissions, signées Pierre-Paul et parties de Rome pendant l'époque du séjour simultané des deux frères, sont de la main de Philippe, nous pouvons admettre, ce semble, que le peintre, très occupé de ses travaux, s'est volontiers déchargé sur son frère du soin de sa correspondance. Philippe, par état, devait être considéré comme plus habile, plus accoutumé à expédier une missive et il semble très naturel qu'il ait accepté d'être le secrétaire de Pierre-Paul qui, pour un motif semblable, rendra plus tard le même service à Breughel.

Peut-être aussi le sujet des deux lettres y est-il pour quelque chose. Dans toutes deux il est fait des plaintes relativement aux retards du paiement des honoraires. Pierre-Paul avait déjà écrit plus d'une fois pour le même objet: ne peut-il pas avoir été embarrassé de le faire de nouveau et n'aurait-il pas prié son frère de trouver des formules nouvelles pour s'adresser à Chieppio? De toute façon, cependant, il n'y a pas à douter que la lettre n'ait été inspirée par le peintre.

[359] Nous y trouvons encore une confirmation nouvelle de la date à laquelle 13 Pierre-Paul est allé à Rome: au 2 décembre, il réside en cette ville depuis un an, et pendant ce temps, il n'a pas même reçu la moitié de son traitement, Celui-ci, comme nous avons vu, avait été fixé à 25 écus par mois, soit à 300 pour l'année. Et le trésor ducal, au 2 décembre, ne lui avait payé que 140 écus, encore à la suite de réclamations. Ce sont donc les appointements de Philippe, chez le cardinal Colonna, quelqu'argent que les deux frères recevaient sans doute d'Anvers et les à comptes de Mantoue qui formaient le budget commun.

Mais la lettre offre un intérêt plus considérable que ce que nous venons d'y voir jusqu'à présent.

Il y a donc un an que Rubens est de nouveau à Rome, envoyé par le Duc, irrégulièrement payé, se livrant à des “études„ mais n'exécutant aucune oeuvre importante, à notre connaissance du moins. Dans cette belle lettre du 2 décembre, nous apprenons, enfin, qu'il est sur le point de commencer un travail considérable, destiné à figurer à la place d'honneur dans une des principales églises de la ville.

L'église de Ste. Marie et de St. Grégoire in Vallicella (dans la petite vallée), plus connue sous le nom de Chiesa nuova ou la neuve église, est un des temples les plus riches de Rome. Elle s'élève sur l'emplacement d'une ancienne chapelle bâtie par St. Grégoire, tombant en ruines au XVIe siècle et concédée par Grégoire XIII à Philippe de Neri, le fondateur de l'ordre de l'Oratoire, qui la fit démolir en 1575 pour la remplacer par un édifice plus considérable. Le plan fut donné par l'architecte Giovan Matteo da Cittá di Castello, le Pape fournit les premiers fonds; mais grâces aux subsides du cardinal Pierdonato Cesi, la construction marcha si rapidement que l'église put être consacrée en 1599, quatre ans après la mort de Philippe de Neri. Néanmoins, il restait encore à élever la façade et à achever la décoration intérieure. Ce travail se fit surtout par la générosité d'Angelo Cesi, frère du cardinal Pierdonato et évêque de Todi. La façade, dont le dessin est dù à Martino Lunghi, fut terminée en 1605; Angelo Cesi mourut l'année suivante: son tombeau est dans une des chapelles, auprès d'un autel élevé par lui en 1594. C'est vers l'époque de la mort de ce digne et généreux évêque, que Rubens reçut la commande d'un tableau destiné au maître-autel.

Comment le jeune flamand a-t-il été choisi pour exécuter l'oeuvre artistique la plus en vue de cette église, lorsque les premiers peintres du temps: Pietro di Cortone, Michel-Ange Caravage, Guido Reni, le Pomerancio, Frederico Barocci, [360] le cavalier d'Arpino et d'autres briguaient l'honneur de le remplir de leurs compositions? Par quelle faveur particulière fut-il préféré à ces hommes dont la célébrité était grande et méritée?

L'artiste nous parle de hauts personnages qui se sont intéressés à lui et ont fait taire les prétentions des peintres romains: il cite lui-même parmi ses protecteurs le cardinal Borghèse, avec lequel, jusqu'à présent, nous ne lui connaissons point de relations.

Scipion Caffarelli, fils de Marc Antoine et d'une soeur de Paul V, était encore aux études à Pérouse, quand son oncle le créa Cardinal, le 18 juillet 1605, lui fit prendre le nom de Borghèse et le combla d'honneurs, de dignités, de richesses. C'est à lui, comme on sait, que furent donnés les biens confisqués sur les Cenci. La villa Borghèse, entr'autres, a cette triste origine. Ce fut un infatigable bâtisseur ou décorateur d'églises et, comme tel, très considéré par les artistes. Or, parmi les titres que portait ce cardinal, figure celui de Germanioe et Belgii Protector; c'est peut-être en vertu de cette qualité que Rubens s'est adressé à lui pour obtenir son appui.

Il nous semble plus probable cependant, que la commande est venue directement des Cesi. Outre le cardinal Pierdonato Cesi, il y avait un autre cardinal, Bartolomeo Cesi, de la même famille, mais d'une autre branche, celle des ducs d'Acquasparta, qui a eu certainement des rapports avec les deux Rubens. Ce cardinal, né en 1567, fils de Angelo Cesi, général des troupes pontificales et de Beatrice Gaetani, fille du duc de Sermoneta, avait été comblé de dignités et de riches bénéfices par Sixte Quint et Clément VIII. Au double mariage de Philippe III avec Marguerite d'Autriche et d'Albert avec Isabelle, célébré à Ferrare en 1599, il officiait avec le cardinal Aldobrandini. Sous le règne éphémère de Léon XI, il est nommé légat à Bénévent; mais presque tombé en disgrâce sous Paul V, il se retira à la campagne. En 1608, cependant, il est placé sur le siége archiépiscopal de Consa. Son palais, situé contre la colonnade de St. Pierre, était comme plusieurs des palais cardinalices, un musée d'antiquités, avec des jardins peuplés de statues anciennes. Parmi celles-ci, se trouvait la Flore, dessinée par Pierre-Paul pour les Eledorum libri II de son frère, et gravée par Ph. Galle (2). Une riche bibliothèque complétait ces richesses: elle avait pour bibliothécaire, comme [361] nous l'avons déjà vu, un ami des Rubens, Jean Hemelaer, qui avait obtenu cette position par l'autorité de Juste Lipse, et qui, à son retour aux Pays-Bas, reçut, par la protection du cardinal, un canonicat à Notre-Dame d'Anvers, en 1607. Il y a là un ensemble de présomptions qui acquièrent une certaine force, si l'on songe d'une part à l'affection qui liait les deux protégés de Juste Lipse et, de l'autre, à l'influence exercée par Hemelaer sur le cardinal (1).

Comme nous le verrons tout à l'heure, les Rubens avaient contracté de nombreuses relations à Rome et, grâce à leurs talents, l'un aidant l'autre, ils pouvaient aspirer à y conquérir tous deux de la notoriété et des succès. Quoiqu'il en soit de la manière dont lui vint la commande, il est certain que Pierre-Paul se mit à l'oeuvre et commença l'exécution du grand tableau pour le maître-autel.

Un document publié par M. Bertolotti (2) nous apprend que d'autres belges ont eu part à la construction et à la décoration de l'église de la Vallicella. L'une des chapelles, consacrée au Saint-Esprit, fut exécutée à la suite d'une disposition testamentaire de Didacus del Campo, cubicularius intimus de Clément VIII, décédé le 19 septembre 1597, et qui voulait avoir un tombeau dans l'église. Son frère, Thomas del Campo, fit en 1598 avec le sculpteur Egidio della Riviera (Gilles OpdeBeeck?), de Malines (3), une convention par laquelle celui-ci s'engageait à construire la chapelle, endéans les deux années, livrant tous les objets décoratifs, sauf les vitraux qui devaient représenter les deux frères del Campo, vitraux que Thomas se réservait de faire venir de Belgique; sauf aussi le tableau d'autel, pour lequel le même Thomas fit une convention spéciale le 19 octobre 1598 avec Wenceslas Cobergher. Ce tableau, qui existe encore dans l'église, représente La Descente du St. Esprit, et fut payé 800 écus. Il est cité souvent comme une oeuvre de Vincenzo Fiammingo, nom sous lequel Cobergher est connu en Italie.


[362] XCI
GIOVANNI MAGNO AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Mto Ille S. mio S. Ossmo

Si vide Domenica passata il quadro del Caravaggio proposto dal SrPieto Pauolo Rubens quale riveduto da esso Rubens ne prese anco maggior sodisfatione, come fu tenuto per opéra buona anco dal Fachetti, che a parte mi ha detto il suo parere. Io ne presi quel gusto che conveniva al giuditio concorde di huomini della professione, ma perchè li poco periti desiderano certi allettamenti grati all'occhio, restai però piu captivato dal testimonio d'altri che dal proprio senso mio, non bastando a comprendere bene certi artificii occulti che mettano quella pittura in consideratione e stima. Il pittore però è dei più famosi di quelli che habbino cose moderne in Roma, et questa tavola è tenuta delle meglio opere che habbi fatto, onde la presuntione sta a favor del quadro per molti rispetti, et realmente vi si osservano certe parti molto esquisite. Ne m'estendero piu oltre, perchè credo che il Sr Pietro Paolo havera dato intero conto dell'historia, grandezza et altre circostanze, quanto al prezzo è tuttavia incerto, perche non si vorrià stringer in disavantaggio con segno di troppo voluntà, ma starà di sopra delli dugenti scudi, et s'accostarà forse alli trecento et di questo ne lascio la cura al dto Rubens sin che vi si habbi a mettere l'ultima mano.

Di Roma, il dì 17 febio 1607.Di V. S. Mto Illma
Prontismo et obbmo serre,

Giovanni Magno.


Adresse: Al Mto Illre Sre mio Sre Ossmo il Sigr Annle Chieppio Consre di S. A. Sma Manta.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, p. 316. — Texte inédit.


[363] TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A ANNIBAL CHIEPPIO.

Nous avons vu, dimanche passé, le tableau du Caravage proposé par M. Pierre-Paul Rubens. Celui-ci, en le revoyant, en fut encore beaucoup plus satisfait; il est également tenu pour une belle oeuvre par le Fachetti, qui m'a dit à part ce qu'il en pensait. Quant à moi, j'en ai le sentiment qu'il convient d'en avoir après le jugement conforme de gens de la profession, mais comme ceux qui s'y connaissent peu désirent certains attraits agréables à l'oeil, je suis resté captivé par le témoignage d'autrui plus que par mon sentiment propre; je reconnais mon insuffisance pour apprécier certains artifices occultes qui donnent à cette peinture son intérêt et son prix. Toutefois, le peintre compte parmi les plus fameux entre ceux qui ont actuellement exécuté des oeuvres à Rome, et on tient ce tableau pour l'un des meilleurs qu'il ait faits. A plusieurs égards donc, les présomptions lui sont favorables, et vraiment, on y observe des parties tout-à-fait exquises. Je ne m'étendrai pas davantage; ayant lieu de croire que M. Pierre-Paul aura donné des renseignements complets sur le sujet, la dimension et les autres détails. Quant au prix, il est encore incertain; nous ne voudrions pas, en effet, nous lier à notre désavantage en montrant trop d'empressement, mais il dépassera deux cents écus et se rapprochera peut-être de trois cent. Mais je laisse cela aux soins dudit Rubens, jusqu'à ce qu'il y ait lieu de conclure définitivement l'affaire.

Rome, le 17 février 1607.Votre très obligé serviteur,

Giovanni Magno.


XCII
GIOVANNI MAGNO AL CONSreCHIEPPIO.

Mi era uscito di memoria di dar conto che il quadro proposto dal Sr Pieto Pauolo sia accordato in dogento ottanta scudi di moneta, essendosi fatto quanto si è potuto col Padrone, acciò si migliorasse [364] de conditione, ma egli non ha voluto sentir de perdere pur un Giulio del prezzo pagato. Il che può anco esser argomento della qualità del quadro, perchè non resta punto discreditato per esser fuori delle mani del Pittore et rifiutato dalla chiesa a quale era stato donato. Appresso si doverà la mancia ad un pittore che con molto incommodo è stato mezano di questo contratto, onde credo che restarà poco meno che assorbita tutta la lettera de credito che mi è stata mandata di 300 scudi, massime computandovi quanto bisognarà per inviarlo costi. Di che ho voluto avisar V. S. per l'ordine che mi da di non levar se non il danaro necessario per dta compra.

Di Roma, il 24 febio 1607.Di V. S. Mto Ill.
Prontmo et obmo serre,

Gio. Magno.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 316. — Texte inédit.


TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A ANNIBAL CHIEPPIO.

J'avais oublié de vous dire que le tableau proposé par M. Pierre-Paul a été accordé à deux cent quatre vingt écus argent, après avoir fait tout ce que nous avons pu avec le possesseur pour l'obtenir à de meilleures conditions; mais il n'a pas voulu perdre un Jules sur le prix payé. C'est là, peut-être, une preuve de la qualité du tableau, puisqu'il n'est pas discrédité pour être hors des mains du peintre et pour avoir été refusé par l'église à laquelle il avait été donné. Après cela, il faudra offrir une gratification à un peintre qui a été, au prix de beaucoup d'ennuis, l'intermédiaire de la convention. Je crois donc que la lettre de crédit de 300 écus qui m'a été envoyée, sera à peu près absorbée, surtout s'il faut y imputer les frais d'envoi du tableau. J'ai voulu vous donner avis de cela, à cause de l'ordre que vous me donnez de ne prendre que l'argent nécessaire pour l'acquisition du tableau.

Rome, le 24 février 1607.Votre serviteur très obligé,

Gio. Magno.


[365] XCIII
GIOVANNI MAGNO AL CONSreCHIEPPIO.

Finalmente il quadro comparato per S. A. s’è ridotto in casa mia con molto stento, perchè non si sapea trovar la via di consegnarmelo, onde essendomi caduto in pensiero che non se ne facesse copia, vi feci applicar la dovuta provisione col mezzo di Monsr della Cama. Hora non restarò d'inviarlo quanto prima secondo l'ordine di S. A.

Di Roma, il dì ultimo Marzo 1607.

Giovanni Magno.


Original à l’Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 317. — Texte inédit.


TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A ANNIBAL CHIEPPIO.

Finalement, le tableau acquis pour S. A. a été remis chez moi, avec beaucoup de difficulté, car on ne pouvait trouver le moyen de m'en faire la délivrance. Alors, m'étant venu l'idée que l'on pouvait en tirer une copie, j'ai fait remettre la provision due par l'entremise du préposé à la Chambre fiscale. Et maintenant il ne me reste plus qu'à vous envoyer le tableau à la première occasion, selon les ordres de S. A.

De Rome, le 31 mars 1607.

Giovanni Magno.


[366] XCIV
GIOVANNI MAGNO AL CONSreCHIEPPIO.

Mi è stato necessario per sodisfare all'università delli Pittori lasciar vedere per tutta questa settimana, il quadro comparato, essendovi concorsi molti et delli più famosi con molta curiosità, attesochè era in molto grido essa tavola, ma quasi a nessuno si concedeva il vederla, et certo che m’è stato di sodisfatione il lasciarla goder a satietà, perchè è stata commendata di singolar arte, et la prossima settimana si inviarà.

Di Roma, il 7 Aprile 1607.

Gio. Magno.


Original à l’Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 317. — Texte inédit.


TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A ANNIBAL CHIEPPIO.

Pour satisfaire à la corporation des peintres, j'ai été obligé de laisser voir, pendant toute cette semaine, le tableau qui a été acquis. Le concours a été considérable et les hommes les plus en renom sont venus avec grande curiosité, car on avait fait beaucoup de bruit à propos de cette oeuvre que presque personne n'avait été admis à voir. Certes, j'ai recueilli de la satisfaction à en laisser jouir à satiété: en effet, elle a été acclamée pour son mérite exceptionnel. Je l'enverrai la semaine prochaine.

Rome, le 7 avril 1607.

Gio. Magno.


[367] XCV
GIOVANNI MAGNO AL CONSreCHIEPPIO.

Il quadro comperato sta a dispositione del Sr Pieto Pauolo, quanto all'esser inviato, ma egli per assicurarlo da patimento fa lavorar non so che cassa, che farà tardar necessariamente sin doppo le feste il metterlo in via.

Di Roma, il dì 14 Aple 1607.

Gio. Magno.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Cité par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 317. — Texte inédit.


TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A ANNIBAL CHIEPPIO.

Le tableau acquis a été mis à la disposition de M. Pierre-Paul, pour vous être envoyé; mais afin de l'assurer contre tout dommage, celui-ci fait construire je ne sais quelle caisse, ce qui fera retarder nécessairement l'expédition jusqu'après les fêtes.

Rome, le 14 avril 1607.

Gio. Magno.


XCVI
GIOVANNI MAGNO AL CONSreCHIEPPIO.

Intanto dirò a V. S. che giovedì s'incamina a cotesta volta il quadro, le candele benedette et li tre volumi della continuata opera del Sr CardleTosco in tre cassette, essendosi qui sodisfatto alla [368] condotta sin nella città di Mantova per dove hanno i suoi ricapiti, et pigliano robbe con diligente transmissione questi mercanti o condottieri nominati gli Antonii. Mando con questo la spesa fatta che batte a punto nelli trecento scudi manco uno, onde resta fuori il danaro della lettera che mi si rimise a questo effetto di comperare il dto quadro.

Di Roma, il dì 28 Aple 1607.

Gio. Magno.


Original à l’Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Cité par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 317. — Texte inédit.


TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A ANNIBAL CHIEPPIO.

Cependant, je vous dirai que jeudi s'acheminent de votre côté, en trois caisses, le tableau, les cierges bénits et les trois volumes de la suite de l'ouvrage du cardinal Toschi. Il a été satisfait ici aux frais de transport jusques dans la ville de Mantoue, vers laquelle ces marchands ou messagers, qui se nomment les Antonii, se dirigent et prennent des marchandises poul les remettre soigneusement. J'envoie avec la présente, la note des dépenses effectuées, note qui se monte à trois cents écus, moins un, de sorte qu'il ne reste plus rien du montant de la lettre qui m'a été remise à l'effet d'acquérir le tableau.

De Rome, le 28 avril 1607.

Gio. Magno.


COMMENTAIRE.

A côté de ses fonctions de peintre, Rubens joignait aussi, dans l'occasion, celles de conseiller d'art pour les acquisitions du Duc.

Toute cette suite de documents se rapportent à l'achat, proposé par lui, d'une oeuvre du Caravage qu'il jugeait digne d'orner le palais de Mantoue. [369] C'était un tableau qui avait été refusé par une église et se trouvait en possession de quelque amateur ou courtier. Mais l'acquisition n'était pas sans offrir des difficultés, sur la nature desquelles nous n'avons pas de renseignements. “Il est très regrettable, dit avec raison M. Baschet, de ne pas connaître ni la lettre de proposition, ni celle que Rubens a consacré au récit de cette acquisition.

M. Baschet a déterminé, avec beaucoup de bonheur, quelle est l'oeuvre dont il est question dans ces lettres. “L'inventaire des peintures de la galerie de Mantoue, dit-il, dressé vingt ans plus tard, porte au nom de Michel-Angelo Caravaggio un tableau représentant la Mort de la Vierge pleurée par les Apôtres. Or, il y a d'autant moins à douter que telle fut l'oeuvre acquise par Rubens, que Lanzi, dans son Histoire de la peinture en l'Italie, narrant l'étrange manière avec laquelle le Caravage traitait les sujets les plus sacrés, nous donne ce détail remarquable: Aussi plusieurs de ses tableaux durent être enlevés des autels, et particulièrement dans l'église de la Scala, qui représentait la Mort de la Vierge, et où l'on voyait un cadavre ridiculement enflé„ (1).

Ce tableau, qui avait tant séduit Rubens et qu'il fit acquérir par le Duc, se trouve aujourd'hui au Louvre. Après la dispersion de la galerie de Mantoue, il passe à Charles Ier d'Angleterre, puis à Jabach et enfin à Louis XIV (2). C'est une page bien connue, d'un effet extraordinaire, rompant entièrement par son naturalisme presque trivial, avec la peinture conventionnelle, académique de ses contemporains les disciples dégénérés de Raphaël et de Michel-Ange. La recommandation donnée par Rubens à ce tableau est un point important de l'histoire psychologique du grand peintre: elle nous fait voir qu'il comprenait les nouveaux principes que le Caravage avait lancés dans le monde artistique: l'étude de la nature, l'expression de la vie, la hardiesse de la vérité.


[370] XCVII
P.-P. RUBENS AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Illusmo Sigre Patron mio Colendmo

Ebbi la lettera di cambio delli cinquanta scudi da pagare ad uso, che nulla importa ne mi da scommodo alcuno la dilacione di quei poci giorni. Ma V. S. Illma è troppo puntuale nel favorire li suoi servitori facendo riflesso sopra cose minime. Jo li torrei sempre a quel patto, ansi darei volontieri duplicato il termino al Sgr Ducca per conto del mio resto. Ho provato ancor io (sia detto con pace di quella Thesoreria) le difficultà che ci sono. Basta dire che io resto con tal obligo verso V. S. Illma come se ricevessi questi danari in dono da lei propria. Et ringraciandola di core li baccio humilmente le mani. Di Roma alli 28 d'Aprile 1607.

Di V. S. Illma
Devotissmo Sri.

Pietro-Pauolo Rubens.


Adresse: All Illusmo Sigre mio et Padrone colendissmo il sigre Annibale Chieppio primo secretario i consigliero di S. A. Serema.

In Mantova.

Cette lettre provient évidemment de l’Archivio Gonzaga de Mantoue: elle porte, comme toutes les pièces des dossiers, en tête la note de l'archiviste du temps: 607: 28 aple. Elle a passé dans la collection Fillon où elle portait au catalogue le n° 2202; puis à la collection Bovet (catal. n° 1864): vendue le 25 juin 1885, elle fut acquise par la ville d'Anvers au prix de fr. 577.60.

Elle a son cachet entre deux papiers et elle est d'une conservation admirable.


[371] TRADUCTION.
RUBENS A CHIEPPIO.

Monsieur et très respectable Maître,

J'ai reçu la lettre de change de cinquante écus, payable à usance, ce qui n'importe guères: le retard de ce peu de jours ne me cause aucun embarras. Mais vous mettez trop de délicatesse dans les faveurs que vous accordez à vos serviteurs en les accompagnant de réflexions sur des choses aussi minimes. Je prendrai toujours vos lettres avec cette condition; et même je donnerais volontiers au Sérénissime Seigneur Duc un double délai pour ce qui me reste à recevoir. Je comprends, moi aussi, les difficultés du moment. Ceci soit dit pour tranquilliser la Trésorerie. Il me reste à dire, Monsieur, que je demeure obligé envers vous comme si je recevais ces deniers en don de vous même. Et en vous remerciant de tout coeur, je vous baise les mains. .

De Rome, le 28 avril 1607.Je suis, Monsieur,
Votre très dévoué Serviteur,

Pierre-Paul Rubens


COMMENTAIRE.

Témoignage nouveau de l'incurie ou du gaspillage qui étaient, en quelque sorte, la maladie chronique des finances ducales, cette lettre nous apparait, en même temps, comme une preuve de la délicatesse, de la dignité qu'apporte le jeune peintre dans les questions d'argent. En la publiant dans le Bulletin Rubens (T. II. p. 283), nous avons dit qu'elle est, sous ce rapport, un document moral d'un intérêt considérable.

En voyant plusieurs des lettres qui nous restent du peintre, nous apporter des réclamations d'honoraires ou des plaintes contre un prince ou une cour qui ne paie pas ses dettes, on a voulu quelquefois en conclure que Rubens était doué d'une certaine âpreté au gain, ou tout au moins qu'il mettait beaucoup d'impatience à faire rentrer les écus qu'on lui devait. Ces reproches sont de tout point injustes. Ce n'est pas ici le lieu de le démontrer pour tous les cas que visent ces reproches; nous le ferons chaque fois que l'occasion [372] s'en présentera; mais il faut examiner ici la position dans laquelle se trouve le peintre au moment de cette lettre.

Son frère Philippe vient de quitter l'Italie; Pierre-Paul se trouve seul, à 300 lieues de son pays; il est envoyé à. Rome par le duc de Mantoue qui ne le paie que par à-comptes. A Rome, il est obligé, pour vivre, de chercher du travail: il vient d'en trouver; mais, comme nous le verrons plus loin, ce travail ne lui sera payé que beaucoup plus tard. A la fin de l'année précédente, il n'avait pas encore reçu la moitié de ses gages; quatre mois après, on ne lui envoie de nouveau qu'un à-compte. Il nous semble que, dans ces circonstances, plus d'un homme ne se serait pas contenté d'écrire une lettre comme celle que nous venons de lire.

Qu'on nous permette d'en citer un exemple. L'illustre Claudio Monteverdi, le créateur du drame musical, était devenu maître de chapelle de la cour de Gonzague, en 1601, à peu près en même temps que Rubens y était attaché comme peintre et la quitta, comme lui, vers le même temps, en 1608, pour s'enfuir auprès de son vieux père, à Crémone. Il était exaspéré, lui, après tant de services rendus, de n'avoir été ni récompensé, ni même payé. Dans une longue lettre du 2 décembre 1608, il expose au secrétaire Chieppio, qui le pressait de revenir, toutes les tribulations qu'il a essuyées, tous les ennuis financiers qu'il a subis, par suite du désordre de la Trésorerie. “De tout ce qui précède, écrit-il, je conclus en vous disant que je ne veux plus accepter ni grâces, ni faveur de Mantoue; tout ce que je puis espérer, en y revenant, ce serait d'y recevoir le dernier coup de ma mauvaise fortune. Non; j'y suis trop malheureux!„ (1)

Cette lettre de Rubens nous apparaît donc comme un modèle de désintéressement; elle répond avec une noble simplicité à un acte non moins délicat de Chieppio: car, il n'y a pas à en douter, l'excellent secrétaire, le véritable protecteur et ami du peintre, avait envoyé à celui-ci une lettre de change tirée de sa propre caisse. Cela se lit entre les lignes.

Rubens parle des difficultés du moment qui se présentent pour les finances de Mantoue. En effet, on poursuivait, d'un côté, la nomination au cardinalat de Ferdinand de Gonzague, deuxième fils du Duc, âgé de vingt ans et, d'un autre côté, le mariage du fils ainé, François, avec Marguerite de Savoie. Des événements de ce genre nécessitaient alors des avances sans [373] compter: il fallait se livrer à des négociations difficiles dans lesquelles ces petits princes d'Italie opéraient en général à coups d'arguments sonnants, et l'on savait que le Duc était riche et magnifique. Les archives de Mantoue parlent sans cesse de gratifications et de présents octroyés à des entremetteurs d'affaires de tout rang; nous en avons vu des exemples au voyage de Rubens en Espagne.

Ces dépenses de haute ambition, jointes aux autres prodigalités du Duc mettaient donc le trésor à sec. Mais il parait qu'il faut y ajouter encore les malversations du trésorier Ottavio Benintendi qui retenait les salaires et à qui l'on intenta même, à ce sujet, un procès en 1609 (1). Rubens, dans sa lettre, semble faire quelque allusion au fait de ce trésorier. Mais l'indélicatesse de celui-ci n'excuse le Duc que dans une faible mesure: il était, de sa nature, dépensier et insouciant de l'ordre.

Nous avons dit que Philippe Rubens était retourné aux Pays-Bas. En effet, en combinant sa lettre à Georges Uwens (14 juin 1607) avec celle du 1 mars 1608 au cardinal Séraphin, lettres que nous publions ci-après, on trouve que Philippe dut partir de Rome en avril 1607 et arriver à Anvers dans le courant de mai.


XCVIII
GIOVANNI MAGNO AL CONSreCHIEPPIO.

Intorno il Palaggio di Capo de Ferro, temo che malamente potremo vantaggiarsi nel prezzo, poichè comprendo che stia il Padrone su la somma avisata molto di proposito, et se pur si ridurrà a segno più basso, non sarà di quantità di consideratione onde s'avvicini molto alla conditione delli 25m scudi. Però prima della partenza S. A. si potria dichiarare precisamente, che s'haverà poi il pensiero di migliorare al possibile il servitio suo, et a fine che possa l'A. S. meglio stabilire in questo il suo risoluto pensiero, ho procurato per [374] la meglio via che mi sia riuscita di haver il disegno del 2o piano d'esso Palaggio, cioè di quello che è di godimento delli Padni qual credo di poter mandare con questa, con tutte le misure che mi si manteneranno cosi per appunto dallo stesso Padne, riservandomi la facoltà di veder la corrispondenza et di considerar come stano di presente li stucchi et le pitture, nel che il SrPieto Paulo Rubens mi era di notabile sollevamto poichè ad esso rimettero questa diligentia, cosi per la peritia sua come per l'introdutione che potera havere nell'intimo del Palaggio, come forasto et sotto ogni altro presto che non iscoprisse il pensiero del contratto, ma dovendo egli venirsene a cotesta volta non so come me farò se pur non sarà admesso prima a questa visita, ma in ogni caso da buona relatione di quello che ha potuto veder, come sentirà V. S. da lui medesimo.

.....Al sicuro credo che le pitture proposte non habbino la qualità che dice V. S. cioè d'esquisitezza et di buona conditione onde si potranno lasciar in disparte, essendo anco di questo parer il Sr Pieto Pauolo che le ha vedute.

Di Roma, il dì 9 Giugno 1607.

Gio. Magno.


Original à l’Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Cité par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 318. — Texte inédit.


TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A CHIEPPIO.

.....En ce qui concerne le palais Capodiferro, je crains que nous ne l'obtenions difficilement à un prix plus avantageux, car je comprends que le propriétaire se tienne avec beaucoup de résolution sur la somme avisée: s'il descend au-dessous, ce ne sera pas d'une quantité considérable et qui se rapprochât beaucoup des vingt cinq mille écus que l'on y destine. C'est pourquoi, S. A., avant son départ, pourrait donner une déclaration précise; on pensera ensuite à faire au mieux possible pour son service, et afin que [375] S. A. puisse plus aisément établir sa résolution sur ce sujet, j'ai fait en sorte d'obtenir, par la voie qui m'a le mieux réussi, un dessin du deuxième étage de ce palais, c'est-à-dire de celui dont les propriétaires ont la jouissance. J'espère vous envoyer, en même temps que cette lettre, ce dessin avec tous les mesurages lesquels m'ont été ainsi maintenus pour exacts par le propriétaire lui-même; je me suis réservé, en outre, la faculté de voir s'ils correspondent, et d'examiner l'état actuel des ouvrages en stuc et des peintures. M. Pierre-Paul Rubens m'était en cela d'un grand secours; car c'est à lui que je confierai cette mission, tant pour son expérience que pour la faculté qu'il obtiendra d'entrer dans l'intérieur du palais, comme étranger, tout en lui imposant de ne pas dévoiler notre intention de contracter. Mais comme il doit retourner de votre côté, je ne sais comment faire, s'il n'a pas été admis dans le palais avant de vous voir. En tout cas, il vous rend bon compte de ce qu'il lui a été permis de voir, ainsi que vous l'entendrez de lui-même.

...........Il est certain, je crois, que les peintures proposées n'ont point les qualités d'excellence et de bonne condition que vous leur attribuez; on pourrait donc les laisser de côté. M. Pierre-Paul, qui les a vues, est aussi de cet avis.

Gio Magno.


COMMENTAIRE.

Don Ferdinand de Gonzague, le deuxième fils du duc de Mantoue, avait reçu le chapeau de cardinal.

Il lui fallait une demeure à Rome: on jeta les yeux sur le palais Capodiferro sur la place de ce nom, à deux pas de la place Farnèse. C'est un édifice bâti, sous Paul III, pour le Cardinal Girolamo Capodiferro, par l'architecte Giulio Mazzoni de Plaisance, et qui est remarquable, encore aujourd'hui, pour les ornements et les bas-reliefs en stuc dont sa façade est plaquée, (1) A l'intérieur, on voit encore les peintures de l'école de Raphaël et de Jules Romain, des fresques dues à Giulio Mazzoni et même, disait-on, à Michel-Ange. Mais son principal attrait, entre les divers restes de sculpture [376] antique qui s'y trouvent, est la fameuse statue de Pompée, statue colossale découverte en 1552, acquise par Jules III et offerte au cardinal Capodiferro.

Après la mort du cardinal, le palais passe à la famille Mignanelli; c'est avec elle que l'on traite à l'époque de note lettre. Sous Urbain VIII, le palais est acquis par le cardinal Bernardino Spada, qui le fit moderniser et embellir par le Borromino. Lui et ses successeurs y recueillirent les oeuvres d'art qui font de ce palais l'un de ceux que l'on va voir à Rome et qui possèdent des oeuvres d'une valeur réelle.

L'opinion exprimée par Rubens sur les peintures à fresque, ornementales des voûtes et des murs, nous fournit une preuve nouvelle de son sentiment esthétique. Evidemment, il ne pouvait éprouver de sympathie pour ces oeuvres froides, sèches, tirées au cordeau, des élèves des grands classiques. Son avis a peut-être prévalu: le duc de Mantoue ne fit pas l'acquisition du palais.


XCIX
PIETRO-PAOLO RUBENS AL CONSeCHIEPPIO.

Illmo Sigr mio Colendissmo

Il Sermo Padrone mi richiama a casa con lettere molto precise di Filippo Persio per servirse di me nel viaggio di Fiandra, perciò voglio ubedire quanto prima e mostrare a S. A. che io non ho interesso in questo mondo da preferire alla servitù sua. Lascio donque l'opera mia senza scoprirla e senza riceverne alcun guiderdone, non potendosi trattare simil cose tanto in furia. La causa però di tanta tardanza non è mia, ma l'assenza di Monsigr Serra, Commisrio generale del Stato Ecclesco, Il quale doppo quei motivi contra Veneciani non è tornato ancora, et a lui fu rimesso prima il negocio mio ne mi curo sia trasferito in altri per l'affettione chei mi porta. La sacra imagine ancora della Madonna della Vallicella che va commessa dentro la sommità del quadro mio non potrà trasportarse prima di mezzo settembre che vanno insieme, non potendosi scoprire l'una [377] senza l'altro, oltra che sarà necessario che io ritocci la pittura una al luoco istezzo prima che scoprirla come s'usa di fare non volendo ingannarsi. Voglio inferire che spero per queste cause che S. A. considerarà il buon animo mio di servirla, et aggradirà questa venuta con tanto pregiudicio mio, et al incontro non farà difficultà doppo il viaggio di Fiandra a lasciarmi per un mese solo in Roma accommodare li fatti miei, che lascio ingarbugliati d'una mala maniera con questa partenza, non senza disgusto di qualque Sigri principali che fanno professione di favorirmi. Ho voluto render conto a V. S. Illma delle cose mie perchè possa favorirmi con preoccupare l'animo di S. A. inanci il mio arrivo i disporlo ben inclinato verso di me. Mi partirò (col aiuto divino) fra tre giorni i farò ogni diligenza per arrivare qualque giorni prima delli 25. Mi sarà di somma consolacione il potere servire V. S. Illma in persona e bacciarli le mani di presenza, fra tanto raccomandomi con ogni affto nella sua buona gracia. Di Roma, alli 9 di Giugno 1607.

Di V. S. Illma
Humilissmo et affmo serre,

Pietro-Paulo Rubens.


Le feuillet avec l'adresse manque.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, p. 318. — Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 29.


TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

Le Sme Maître me rappelle à la maison par des lettres très précises de Philippe Persio pour se servir de moi pendant le voyage de Flandre; c'est pourquoi je veux obéir immédiatement et montrer à S. A. que je n'ai pas en ce monde d'intérêt préférable à son service. Je laisse donc là mon ouvrage sans le découvrir, sans en recevoir aucune récompense; car de semblables choses ne peuvent être traitées si impétueusement. Cependant la cause d'un [378] si long retard ne vient pas de moi; elle vient de l'absence de Mgr Serra, Commissaire général de l'État de l'Eglise. Depuis ces contestations avec les Vénitiens, il n'est pas encore revenu ici; or, c'est à lui que le soin de mon affaire a été confié dès le commencement et je ne me soucie point, à cause de l'affection qu'il me porte, de voir transférer ce soin à d'autres. Ensuite, l'image sacrée de la Madone de la Vallicella, qui doit être placée dans le sommet de mon tableau, ne pourra être transportée avant le milieu de septembre; les deux choses vont ensemble: l'une ne peut être découverte sans l'autre; en outre, il sera nécessaire aussi que je retouche ma peinture sur place avant de la découvrir, comme on a coutume de faire pour ne pas se tromper. Je veux prouver que j'agis de manière à ce que S. A. prenne en considération ma bonne volonté de La servir. J'espère qu'Elle aura égard à ce déplacement opéré à mon grand préjudice et, qu'en revanche, Elle ne fera point de difficulté, après le voyage de Flandre, de me laisser aller pendant un seul mois à Rome afin d'y mettre ordre à mes affaires que ce départ laisse embrouillées d'une manière fâcheuse, et non sans déplaire à quelques personnes de haut rang qui font profession de me favoriser.

J'ai voulu vous rendre compte de toutes ces miennes choses afin que vous puissiez m'appuyer en occupant d'elles l'esprit de S. A. avant mon arrivée, et en le disposant favorablement à mon égard. Je partirai d'ici, Dieu aidant, dans trois jours et ferai toute diligence pour être là quelques jours avant le 25. Ce sera pour moi une très grande consolation que de pouvoir me mettre en personne à votre service et vous baiser les mains. En attendant, je me recommande affectueusement à votre bonne grâce.

De Rome, le 9 juin 1607.Votre très humble et très obligé serviteur,

Pierre-Paul Rubens.


COMMENTAIRE.

Vincent de Gonzague, en proie à quelque nouvelle attaque rhumatismale, avait résolu de se rendre encore une fois aux eaux de Spa, et comme il a Rubens sous la main, il lui ordonne de quitter Rome, de se rendre à Mantoue afin de partir de là pour la Flandre en sa compagnie. C'est à cet ordre, dont nous ne connaissons pas la teneur, que le peintre répond par un acte d'obéissance qui lui pèse beaucoup; cela se devine.

On voit apparaître ici un nouveau protecteur de Rubens, Jacques Serra, [379] un patricien de Gênes, qui occupait les hautes fonctions de Commissaire général de l'armée Pontificale et de Grand Trésorier. Il fut fait cardinal par Paul V, obtint le Patronat de l'ordre des chanoines réguliers et mourut en 1623.

Nous avons dit quelques mots des grandes dissensions intervenues entre les Vénitiens et Paul V. Elles mirent une partie de l'Italie sur le pied de guerre: c'est ainsi que le commissaire Serra accompagnait les troupes. Mais la paix fut rétablie comme nous l'avons dit, par l'intervention de Henri IV.

La circonstance de l'image de la Madone est curieuse. C'est un tableau de forme ovale, représentant la Vierge et l'enfant Jésus, qui se trouvait primitivement dans une niche en pleine voie publique et était l'objet d'une grande vénération. Un miracle ayant eu lieu, selon la voix populaire, le pape ordonna la translation du tableau dans l'église voisine, celle de la Vallicella. Après que celle-ci eut été rebâtie pour l'Oratoire, l'image fut placée au maître-autel et Mgr Serra fut chargé de présider à cette cérémonie. Il accomplit la même mission pour la fameuse image de la Vierge, attribuée à St. Luc, que Paul V fit transporter à Ste. Marie majeure dans la magnifique chapelle qu'il fit élever à cette occasion, et dans laquelle il a son tombeau.

Cette Vierge de l'Oratoire est une peinture médiocre, entourée d'un beau cadre en ronde bosse dorée; elle est fixée dans la partie supérieure du parallélogramme, cintré par le haut, qui forme le tableau d'autel. Pour cacher cette image miraculeuse, qui ne se montre qu'à certains jours, Rubens dut peindre une autre Madone avec l'enfant, sur un panneau ovale ajusté dans le cadre. Au-dessus et autour, Rubens a figuré des gloires d'anges, soutenant cet appareil (1). C'est un tour de force qu'on lui avait imposé et dont il était impossible de se tirer avec succès. Toute la composition, se trouvant en grande partie cachée par le tabernacle et les cierges, pouvait, heureusement, être traitée en motif de décoration. Il semble que Rubens l'a considérée ainsi et qu'il a réservé tout son art pour les deux grands tableaux ornant les parois latérales de la chapelle et se présentant en meilleure condition pour être bien vus.

Cependant, comme nous le verrons tout à l'heure, la peinture qui existe actuellement n'est qu'une deuxième édition du tableau destiné au maître autel. La première édition était un tableau peint sur toile.


[380] C
IL CARDleBORGHESE AL Sr DUCA DI MANTOVA.

Sermo Sr mio Ossmo

Ritorna costi Pietro-Paolo Ruben, Pittore fiamingo, conforme all'ordine che dice d'haver havuto da V. A., ma perchè lascia imperfetto il quadro che faceva quì nella Chiesa nuova in quanto che non è posto sin hora al suo luogo dove bisogneria che fosse collocato con la sua presenza per ritoccarlo et perfetionarlo, supplico V. A. a permettere che spedito delle cose che ha da fare per lei se ne venga di nuovo a Roma a questo effetto, almeno per pochi giorni, persuadendosi ch'io sia per riceverne particolar gratia. Et le bacio le mani. Di Roma, li XI de Giugno 1607.

Di V. A.
Affmo serre,

Il Cardle Borghese.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXII, p. 319. — Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 30.


TRADUCTION.
LE CARDINAL BORGHÈSE AU DUC DE MANTOUE.

Sérénissime Seigneur,

Pierre-Paul Rubens, peintre flamand, retourne à Mantoue, conformément à l'ordre qu'il dit avoir reçu de V. A. Mais un tableau qu'il exécutait pour la Nouvelle Église, reste ici inachevé, en ce sens qu'il n'est pas encore à la place où il doit être mis en présence du peintre pour y être retouché et perfectionné: je supplie V. A. de permettre à celui-ci, qu'après avoir terminé ce qu'il a à faire pour Elle, il vienne de nouveau à Rome, à cet effet, au [381] moins pour quelques jours. Que V. A. soit persuadée que j'en recevrai une grâce toute particulière. Je lui baise les mains.

Rome, le 11 juin 1607.De V. A. Sme
Le très affectionné serviteur,

Cardinal Borghèse.


COMMENTAIRE.

Par sa lettre du 2 Décembre 1606, Rubens avait demandé une prolongation de séjour à Rome et l'avait obtenue par l'ordonnance du Duc, en date du 13 décembre. Plus de six mois se sont passés; le peintre n'est pas revenu aux Pâques à son poste, à Mantoue, comme le Duc le lui avait prescrit et son oeuvre de la Chiesa Nuova n'est pas terminée. Avec la rapidité d'exécution qui l'a toujours caractérisé, on se demande s'il n'a pas été occupé à d'autres travaux. Le cardinal Borghèse, qui se constitue ici son protecteur effectif, ne lui a-t-il pas confié quelque chose à faire dans les nombreux édifices qu'il fit construire? A défaut de documents positifs nous ne pouvons que poser la question.

Baglione, le plus ancien des biographes de Rubens et son concitoyen à Rome, ne cite pas d'autres travaux que ceux de l'église de Ste. Croix et de l'église della Vallicella (1).

Cette lettre du cardinal Scipion Borghèse nous apprend un fait important: le départ réel de Rubens pour Mantoue, après l'injonction reçue du Duc, ainsi qu'il résulte de la lettre de Rubens du 9. Ce point est important, disons-nous, parce qu'en effet, pendant quelques mois, la vie du peintre devient d'une agaçante obscurité.

C'est ici le lieu de résumer ce qu'on en sait — ou plutôt ce que l'on peut conjecturer — après les longues et habiles recherches de M. A. Baschet: les documents qu'il a découverts dans les liasses de Mantoue, que nous avons vainement parcourues à notre tour, sont les seules ressources que nous ayons jusqu'aujourd'hui pour éclaircir le chapitre biographique du séjour de Rubens à Gênes.

Vincent de Gonzague, au lieu de partir pour les Pays-Bas, comme il l'a fait savoir à Rubens, change d'avis, avant que celui-ci ne fût arrivé à Mantoue. Il annonce ce changement, par lettre datée du 15 juin, à son [382] résident à Rome: donc après le départ du peintre. Il se décide, le 22 juin, à se rendre à Saint Pierre d'Arena, ce charmant faubourg de Gênes, encore aujourd'hui tout peuplé de palais et de jardins, où la noblesse allait passer les chaleurs de l'été. Vincent de Gonzague y avait déjà résidé auparavant (1). Il écrit à son ami Giovanni Antonio Spinola et le prie de mettre à sa disposition la maison de plaisance qu'il y possède et que l'on y voit encore. Mais le fils de ce seigneur, ayant jugé que le Duc serait mieux installé dans un palais plus vaste, celui de Grimaldi, fait l'offre directe de cette résidence au Duc qui l'accepte et y arrive le 4 ou le 5 juillet.

M. Baschet donne de curieux détails sur les fêtes, les jeux, les plaisirs de cette villégiature ducale, détails extraits surtout des correspondances de ce même Iberti, qui était résident en Espagne lors du voyage de Rubens, et qui maintenant fait partie de la suite du Duc. Or, dans aucune de ces lettres le nom du peintre n'est pas même prononcé.

C'est à se demander sérieusement s'il a fait partie de cette excursion. A vrai dire, nous n'en avons aucune preuve positive. Mais il est certain qu'il a résidé, quelque temps à Gênes et il est hautement probable que c'est en cette occasion-là. Il peut y avoir abordé cependant à son retour d'Espagne, il peut avoir traversé cette ville en d'autres moments, mais on ne trouve pas d'autre époque que celle-ci pour y intercaler une résidence.

La preuve capitale de ce séjour consiste dans l'ouvrage publié par Rubens en 1622, les Palazzi di Genova, ouvrage dont nous parlerons plus amplement à sa date. Il nous suffira de dire ici que c'est un recueil en deux parties, dont la première, parue d'abord, contient en 72 planches, les plans, coupes, façades de dix palais, et la deuxième en 67 planches, les plans de 19 palais et de quatre églises.

Cet ouvrage suppose une étude des monuments de cette ville prolongée pendant un certain temps, au moins. Sans doute, Rubens n'a pas mesuré et tracé ces plans et ces façades; il dit lui même qu'il en a recueilli les dessins à grands frais; mais ces palais ont été vus par lui, en détail, au dehors et au dedans, et ces visites même il n'a pu les faire que dans une circonstance exceptionnelle comme celle de s'y trouver avec un prince et d'être de sa suite. Comment aurait-il pu, autrement, obtenir l'entrée de ces demeures aristocratiques? [] []

[383] Nous ferons remarquer que l'ouvrage consacre plusieurs planches à trois palais de la famille Grimaldi et entr'autres au palais de Jean Baptiste Grimaldi, celui-là même qui fut habité par le Duc. L'ouvrage en outre est dédié à un membre de cette famille, à Carlo Grimaldi. Parmi les autres palais figurent ceux des Pallavicini et des Spinola, occupés par la suite de Vincent de Gonzague. Nous aurons plus loin une lettre de Paul-Augustin Spinola qui nous parle d'un travail, le portrait de ce seigneur et de sa femme, demandé à Rubens, et qui ne peut l'avoir été qu'à Gènes à cette époque. On pourrait même inférer de cette lettre que Rubens fut de ceux de la suite du Duc qui étaient logés chez ce seigneur. Nous admettons, d'après tout cela, que Rubens a fait à Gênes toute la villégiature avec le duc de Mantoue, c'est à dire du commencement de juillet au 24 août. C'est dans ce sens que nous comprenons les paroles de Bellori: „De Rome il se rendit à Gênes et c'est là qu'il s'arrêta plus qu'en aucun autre lieu d'Italie. Après Mantoue et Rome c'est probablement vrai.” (1) Le Duc rentra dans son duché du 10 au 14 septembre.


CI
PHILIPPUS RUBENIUSGEORGIO UWENO I. C.

Vicisti, clarissime juvenis, et salutare prior occupasti. Quid mirum? totus e Gratiis concinnatus, et ipsius humanitatis vivida quaedam imago. Sed bene, quod eadem illa virtus proprie tua tibi suggessit et persuasit, ut hactenus vinceres, et salutare nos per Clariss. Parentem tuum sat haberes. Ita fit, ut in hoc officio posterior priores in scribendo feram. Quid autem scribam? gratias et gratulationem; illas quidem ob constantem memoriam, et amicam atque honorificam mei mentionem; hanc ob cursum studiorum tam feliciter tantoque cum applausu confectum. Macte animi, mi Uwene, et nihil non spera talibus virtutis et doctrinae praesidiis atque [...]. Eveniunt digna dignis, et ego jam [384] videre te videor hac via quasi regia ad honores grassantem, perque medias laudes velut quadrigis vehentem. Felices ter et amplius parentes! ....[...][...] (1). Sed et patriam, quae tantum sibi de te sperat et spondet! Veni sodes, et rem magis quam spem fruendam praebe. Sed heus quid de reditu meo censes tam celeri, tam inopinato? Mihi quidem ipsi monstri simile, dominam illam urbem et ante alias mihi caram tam subito relinqui potuisse. Fecit matris imperium, et amicorum blanda illa [...], maximeque Woverii nostri, quam ego germanum in modum amo; neque tamen vinco. Mutuum enim meum facit, et ut tu facias magno opere rogo. Vale, flos juvenum, et Ampl. D. Peckium (saepe cum eo te esse e litteris tuis colligo) mihi quidem tantum de fama motum, patri vero quondam meo tum amicitia tum sanguinis nexu junctum, officiose verbis meis saluta; nam litteris temere interpellare non est visum. Antverpiae, postridie Eid. Junii 1607.


Asterii, etc. P. 261.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A GEORGES UWENS, JURISCONSULTE.

Vous avez vaincu, noble jeune homme, vous me saluez le premier! Faut-il s'en étonner? Vous êtes formé de toutes les grâces, vous êtes l'image vivante de la politesse. Mais c'est fort bien: cette qualité qui vous est propre, vous a suggéré, pour obtenir jusqu'ici la victoire, de nous saluer par l'organe de votre respectable père et vous vous en êtes contenté. Il se fait ainsi, que, tout en venant après vous dans cet acte de politesse, je suis le premier à écrire une lettre. Mais que vous écrirai-je? Des remercîments et des félicitations? Des remercîments pour le bon souvenir que vous avez toujours conservé de moi, et pour la parole amicale dont vous m'avez honoré; des félicitations pour la manière heureuse dont vous avez terminé vos études aux applaudissements de tous. Courage, mon cher Uwens, vous pouvez tout espérer avec un pareil [385] contingent de qualités et de science. Les dignités arrivent aux dignes et je crois déjà vous voir marchant vers les honneurs par cette voie vraiment royale et conduit, comme sur un quadrige, à travers les acclamations. Vos parents trois et trois fois heureux,

....à cause de vous,
De joie et de bonheur ont leur âme inondée.

Et la patrie qui espère et se promet tant de vous! Venez sans crainte et traduisez cette espérance en réalité.

Mais, hélas! que dites-vous de mon retour si rapide, si inattendu? Comment ai-je pu, semblable à un monstre, quitter si subitement cette ville qui règne sur le monde et qui m'est chère entre toutes? Je l'ai fait par la volonté de ma mère; je l'ai fait à la flatteuse persuasion de mes amis, principalement de notre cher van den Wouwere que j'aime comme un frère, mais qui me surpasse en affection. Nous avons contracté un prêt réciproque, je vous demande d'en faire un avec moi. Je vous salue donc, o fleur des jeunes gens! J'apprends par votre lettre que vous vous trouvez souvent avec l'éminent M. Pecquius: je ne le connais que de réputation, mais il était lié avec mon père par les liens de l'amitié et du sang: offrez lui mes respectueuses salutations, car je ne voudrais point prendre inconsidérément la liberté de lui écrire.

Anvers, 14 juin 1607.

COMMENTAIRE.

Nous connaissons, par cette lettre, la date approximative et le motif impérieux du retour de Philippe Rubens aux Pays-Bas. Comme nous l'avons fait remarquer (v. lettre du 28 avril), ce retour peut être fixé au mois de mai. Quant au motif, il était double: le désir de Marie Pypelinckx de revoir son fils avant de mourir et la candidature, officiellement posée, de Philippe aux fonctions de secrétaire de la ville d'Anvers.

Marie Pypelinckx se trouvait dans un état de santé fort précaire. Le 18 décembre de l'année précédente, elle avait écrit son testament; le 9 janvier suivant, elle le porta elle même en l'étude de son parent, le notaire Pierre Rubens (1). L'asthme dont elle était attaquée, semble lui avoir laissé quelquefois [386] des jours de répit; mais il la mettait, néanmoins, sous la menace constante d'une catastrophe. Il était indispensable pour elle d'avoir un de ses fils à ses côtés.

Philippe poursuivait ses démarches. Il s'agissait d'obtenir pour lui une des quatre places de secrétaire de la ville. Aucune n'était vacante, mais il fallait préparer les voies, et tout d'abord, obtenir la brabantisation: c'est pour hâter l'octroi de celle-ci que ses amis se mettent en campagne; c'est pour ce même motif, sans doute, qu'il cherche à se concilier l'amitié du jeune homme auquel cette lettre s'adresse.

Georges Uwens appartenait à une famille de la Gueldre. Son père, Henri Uwens, neveu du célèbre Pierre Canisius, était jurisconsulte distingué et avait quitté son pays pour cause de religion. Il s'établit à Anvers et devint pensionnaire de la ville. Grand ami de Juste Lipse, il eut une correspondance intime avec lui depuis 1594. En 1605, il est désigné pour le grand Conseil de Brabant et nommé conseiller par lettres patentes du 10 novembre 1607 (1). Son fils Georges fit ses études à l'université de Louvain, sous la surveillance de Juste Lipse et les termina vers la date de cette lettre de Philippe. C'est sous prétexte de félicitation que celui-ci écrit au jeune homme, mais en réalité, on voit que c'est dans le but d'obtenir, par son intermédiaire, l'appui de Pierre Pecquius.

Ce personnage, qui apparait ici pour la première fois, et qui se représentera plus tard fréquemment dans les affaires diplomatiques dont Pierre-Paul Rubens sera chargé, n'était pas encore, en ce moment, le célèbre chancelier de Brabant que le roi Henri IV nommait le sage flamand. Fils d'un savant jurisconsulte portant le même prénom, Pierre Pecquius naquit à Louvain en 1562. Après ses études, il s'établit avocat postulant auprès du grand Conseil de Malines et acquit en cette profession une renommée considérable. On disait de lui qu'il tenait le sceptre au barreau. Le Grand Conseil le retint pour faire partie de son personnel et l'inscrivit en première ligne sur la liste des trois candidats qu'il présentait au gouvernement. Par lettres patentes du 7 juin 1601, il fut nommé conseiller par les Archiducs; puis quelques années après, en janvier 1607, ceux-ci l'envoyèrent comme ambassadeur auprès de Henri IV.

Il se trouvait donc à Paris quand Philippe écrivit cette lettre à Uwens qui, probablement y accompagnait Pecquius. La lettre doit avoir été [387] communiquée à Pecquius; car c'est de ce moment qu'une correspondance s'établit entre celui-ci et Rubens.

Nous ne savons si l'influence de l'ambassadeur fut de quelque poids auprès des États: toujours est-il que peu de temps après, le 24 juillet, la brabantisation fut accordée à Philippe. Des relations se formèrent entre les deux hommes et même elles devinrent assez intimes, à en juger par les lettres qui nous restent. Pecquius renoua les liens du sang; il reporta sur le fils la vieille amitié qu'il avait porté à Jean Rubens le père et y associa Marie Pypelinckx. Plus tard, il deviendra le protecteur, l'ami, le collègue politique de Pierre-Paul.

Il peut paraître étrange que Philippe n'ait pas connu personnellement son parent Pecquius. Mais le fait doit s'expliquer par les absences fréquentes de l'un et de l'autre.

Quant à la parenté, elle existe du côté de la mère du chancelier, Catherine Gillis. Elle était soeur de Jean Gillis, conseiller-pensionnaire de la ville d'Anvers que Jean Rubens, le père, traitait de cousin. (1)


CII
L'ARCHIDUC ALBERT AU DUC DE MANTOUE.

Sereniss. S. Pe

Pedro Paulo Rubens, Pintor natural de Estos Estados, segun me han informado, le tiene Vra Serdad occupado en su servicio en algunas obras de su officio, y por que tiene necessidad de acudir aqui a poner ën orden algunas cosas suyas que estando absente no podra con la comodidad que dessea haverlas por terceras personas, y sus parientes me han supplicado escriva a V. Serad para que se sirva de darle licencia por lo que le importa, siendo las causas que representan tan justas, he querido pedir a V. Serad le conceda dicha licencia para [388] que usando della pueda venir acumplir con las obligationes de sus deudos y hacienda, y con todo lo mas que aqui se le puede offrecer y por que desseo darle satisfaction por ser mi vassallo estimare y agradecere mucho lo que V. Serad hiciero por el. Cuya Serma persona nro guarde y prospere come dessea. Brusselas, Agosto 4, 1607.

A Servicio de Vra Serad

Alberto.


Adresse: Al Sermo Señor Duque de Mantua. — Cachet sur nieulle.


En marge d'une autre main: Per P. Paolo Rubens.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts, XXIV, p. 332.


TRADUCTION.
L'ARCHIDUC ALBERT AU DUC DE MANTOUE.

Prince Sérénissime,

D'après les informations que j'ai reçues, Pierre-Paul Rubens, peintre, originaire de ces États, est tenu au service de Votre Sérénité, pour quelques travaux de sa profession. Attendu qu'il y a nécessité pour lui de revenir ici pour mettre ordre à quelques affaires personnelles qu'il ne pourrait, étant absent, régler par tierces personnes aussi convenablement qu'il est à désirer, ses parents m'ont supplié d'écrire à Votre Sérénité afin qu'elle trouvât bon de lui donner la permission dont il a besoin. Les motifs qu'ils font valoir sont si justes que je recours volontiers à V. Sérénité pour la prier de concéder ce congé au peintre, afin qu'il puisse venir remplir ses obligations vis-à-vis de sa famille, de ses biens, et de tout ce qui peut encore s'offrir ici. Comme il est mon vassal, je désire lui donner satisfaction; j'apprécierai donc et tiendrai pour une grande faveur tout ce que Votre S fera pour lui.

Que Notre Seigneur conserve votre personne Sérénissime en prospérité. Tel est mon désir.Bruxelles, 5 août 1607.Au service de Votre Sérénité.

Albert.


[389] CIII
IL DUCA DI MANTOVA ALL'ARCIDUCA ALBERTO.

Quignentola, 13 Settembre 1607.S. Arciduca Alberto,

Sono alcuni anni, che Pietro Paolo Rubens, pittor Fiamengo, mi serve con gusto mio et con sodisfattion sua; ne posso credere ch'egli habbia pensiero di lasciar questo servigio nel quale mostra di star de bonissima voglia: onde se non posso in ciò compiacere al desiderio dei suoi, che si ha voluto valer dell'autorità di V. A. in rivocarlo a casa, m'avrà l'A. V. per iscusata perchè diversa è la voluntà del sudto P. Paolo in restare, et la mia anco in ritenerlo: et m'assicuro della bontà di V. A. che l'avrà per bene, poichè ancor io permetto a miei sudditi il servir ad altri Principi, et molto più volentieri all' A. V. alla quale per fine bacio le mani, et auguro da Dio ogni felicità.


Minute à l'Archivio Gonzaga à Mantoue. — Publié par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts, XXIV, p. 332.


TRADUCTION.
LE DUC DE MANTOUE A L'ARCHIDUC ALBERT.

Depuis quelques années, Pierre-Paul Rubens, peintre flamand, est à mon service, avec ma satisfaction et avec la sienne. Je ne puis croire qu'il ait la pensée d'abandonner ce service, dans lequel il montre qu'il est de son plein gré. Donc, si en ceci je ne puis déférer au désir des siens, désir qu'ils ont voulu appuyer de l'autorité de V. A. pour le rappeler chez lui, V. A. voudra m'excuser, car toute différente est la volonté du susdit Pierre-Paul, qui est de rester, comme la mienne qui est de le retenir. La bonté de V. A., [390] j'en suis sûr, le prendra de bonne part: puisque, moi aussi, je permets à mes sujets de servir d'autres princes, et je le permettrai beaucoup plus volontiers quand il s'agit de V. A. à laquelle je baise les mains et souhaite que Dieu lui octroie toute félicité.


CIV
IL DUCA DI MANTOVA ALL'ARCIDUCA ALBERTO.

Quignentola, 16 Settembre 1607.S. Arciduca Alberto,

Sono alcuni anni che Pietro Paolo Rubens, pittor fiamengo, è al mio servitio con soddisfattion sua et gusto mio; ne mai l'ho impedito d'andar dove più gli torra commodo, come al presente si trova in Roma, andatovi mesi sono con permissione mia per rendersi più perfetto nell'arte. Onde se da suoi è desiderato alla patria et egli non corrisponde al loro desiderio poco giovara la licenza che in gratia di V. A. son per dargli (quando la voglia), inclinando egli più alla stanza d'Italia et a questo servigio che al ritorno in Fiandra. Pur sempre che sarò da lui ricercato può credere V. A. che volontieri in questa et ogni altra occasione mostrerò con gli effetti qual sia l'autorità sua in comandarmi. Et le bacio le mani augurando della sua Serma persona felicità maggiore.


Minute à l'Archivio Gonzaga. — Inédit.


TRADUCTION.
LE DUC DE MANTOUE A L'ARCHIDUC ALBERT.

Depuis quelques années Pierre-Paul Rubens, peintre flamand, est à mon service, il y est à sa satisfaction et à la mienne. Jamais je ne l'ai empêché [391] d'aller là où il prendra le mieux son loisir; c'est ainsi qu'en ce moment il se trouve à Rome, où il s'est rendu depuis plusieurs mois avec ma permission, afin de se perfectionner dans son art. Donc s'il est rappelé par les siens dans sa patrie, et qu'il ne réponde pas à leur désir, il profitera peu du congé que je suis prêt à lui donner, dès qu'il le voudra, pour être agréable à V. A., quoiqu'il incline davantage à rester en Italie, à mon service, qu'à retourner en Flandre. Néanmoins, chaque fois que j'en serai requis, V. A. peut être assurée que, dans cette occasion comme en toute autre, je montrerai par des effets combien grande est son autorité dans les commandements qu'Elle veut bien me faire. Et je lui baise les mains en souhaitant le plus grand bonheur de sa Sérénissime personne.


COMMENTAIRE.

Par suite des grandes lacunes qui existent dans les documents relatifs au peintre, il arrive quelquefois — et nous avons déjà eu l'occasion de le constater — que l'on voit venir tout à coup comme une surprise, une de ces pièces qui ne se rattachent logiquement ni à celles qui précèdent ni à celles qui suivent. La lettre de l'archiduc Albert nous semble rentrer dans la catégorie de ces choses inattendues dont l'explication ne peut se faire qu'au moyen de conjectures. En effet, quelle circonstance a motivé cette missive de l'archiduc Albert? M. Baschet, qui a découvert cette pièce importante, croit qu'Albert, en l'écrivant, „ne prenait que pour prétexte le voeu formé par les parents du peintre, et que le vrai motif, excellent d'ailleurs, était de ne pas voir au service d'autrui un artiste de ses États dont la gloire était déjà grande au delà des monts, „Il nous semble difficile d'admettre ce motif. Nous ne trouvons aucune trace de ce grand renom du peintre et, en aurait-il même eu en Italie, que les Archiducs n'en eussent ressenti aucune jalousie: ils n'avaient pas à ce point l'amour des arts et, dans les circonstances politiques du moment, rien ne devait les pousser à faire rentrer le jeune peintre au pays.

Quelles étaient les impérieuses affaires qui rappelaient Pierre-Paul? Il y avait la santé de sa mère. Mais pour un tel motif comment n'a-t-il pas suffi d'un ordre ou même d'une prière de celle-ci, comme cela suffit pour Philippe? S'il s'agissait de quelque petit acte à passer relatif à des intérêts de famille, n'y avait-il pas la procuration donnée à Rome qui permettait à la mère d'agir à sa place? Comprend-on qu'il ait fallu à cet effet recourir au souverain et à une lettre officielle de Prince à Prince?

[392] Plus on y réfléchit, plus on trouve insolite, étrange, la circonstance de cette missive ainsi que sa rédaction qui ne manque pas d'une raideur singulière.

La lettre d'Albert a-t-elle été provoquée par Pierre-Paul? On pourrait supposer ceci. Rubens comme nous l'avons vu, est parti de Rome sur les ordres du Duc, pour accompagner celui-ci dans un voyage projeté dans les Pays-Bas. Ce voyage ne pouvait déplaire au peintre; c'était pour lui une occasion de revoir son pays, sa mère, son frère et cela dans des conditions exceptionnelles et sans bourse délier. On conçoit quelle dut être sa déception, à son entrée à Mantoue, en apprenant le changement d'idée survenu au Duc et l'annonce de la villégiature à Gênes.

Nécessairement, en quittant Rome il avait écrit à sa mère sa prochaine arrivée en Belgique; nécessairement aussi, il lui a fait part du nouveau programme arrêté par son maître; l'on admettra donc comme une chose toute simple, qu'il ait mis quelque aigreur dans ses expressions, témoigné même le désir de ne plus rester au service de son fantasque patron. Marie Pypelinckx, qui devait trouver que cette absence de son fils était déjà longue et très peu fructueuse au point de vue de la position matérielle, et Philippe qui, nous l'avons déjà fait remarquer, ne jugeait pas cette position comme très enviable, n'auraient-ils point, de leur propre chef, recouru à ce moyen extraordinaire pour faire revenir le peintre? Il ne leur était pas difficile, par leurs relations, par l'entremise du président Richardot ou de Pecquius, d'obtenir cet acte diplomatique. La rédaction de la missive d'Albert, ces simples mots segun me han informando, prouve d'abord que l'Archiduc ne connaissait pas le peintre auparavant et, qu'en faisant cette lettre, il agit en suite d'une sollicitation.

La réponse faite par le duc de Mantoue à cette missive nous confirme dans notre supposition. Le Duc a bien pu être quelque peu froissé d'abord par la froideur du style qui trahit une banale rédaction de bureau; mais il a été bien plus formalisé, on le voit, par ce qui ne s'y trouve pas, et qu'il lit entre les lignes. Il n'est pas dupe du prétexte cherché, il sait d'où part la requête présentée par Albert. Bien plus, il connait la passion profonde de Rubens pour l'Italie: s'il y a eu quelque nuage entre le peintre et lui à propos de l'excursion à Gènes, ce nuage est passé et le Duc se croit parfaitement autorisé à répondre à l'Archiduc au nom des véritables sentiments de son protégé. Il le fait avec une ironie fine et déguise son refus sous les compliments les plus fleuris.

Nous parlons ici de la réponse qui fut envoyée. Mais à côté de celle là [393] il y a, dans les archives de Mantoue, la minute d'une autre réponse qui a échappé à M. Baschet et qui ne manque pas d'importance. En effet, M. Baschet supposait, avec raison, que le Duc devait avoir dicté la réponse dans un moment où le peintre, qui en faisait tout l'objet, n'était pas éloigné de lui et, qu'avant de répondre, le Duc avait voulu connaître son sentiment.„ Or, que lisons-nous dans cette rédaction première, qui n'a pas été admise parce qu'elle partait un peu trop du premier mouvement? “En ce moment, il se trouve à Rome, où il s'est rendu depuis plusieurs mois, avec ma permission.„ Que faut-il bien conclure de cette phrase? En la prenant à la lettre, elle annule l'épisode du voyage à Gênes. Nous croyons qu'il faut l'entendre dans ce sens que, de Gênes, l'artiste s'est rendu directement à Rome pour y achever ses travaux; car nous n'admettons pas qu'elle ait été insérée là, soit par ignorance, soit pour faire un mensonge inutile.

Nous terminons cette discussion un peu longue en déclarant que nous ne croyons pas avoir répondu à plus d'une objection qui se présente: de nouveaux documents, une perspicacité plus grande en éclairciront peut-être les obscurités.


CV
PAOLO-AGOSTINO SPINOLA AL CONSreCHIEPPIO.

Sre mio,

Del SrPietro-Paulo non ho nuova, desidero in estremo sue lettere et occasion di servirlo et vedero volentieri quando però debba seguire, senza incommodo suo, il mio ritratto e quello di mia Sra. Guardi Dio V. S. come desidero e lei merita che le bacio le mani.

Di Gena, li 26 settembre 1606 (1607).Di V. S.

Paolo-Ago Spla.


Sans adresse; sur le dos il est écrit: Di P.-Agno Spinola.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXIV, p. 333. — Texte inédit.


[394] TRADUCTION.
PAUL-AUGUSTIN SPINOLA A CHIEPPIO.

Je n'ai point de nouvelles de M. Pierre-Paul. Je désire extrêmement avoir de ses lettres et trouver l'occasion de le servir. J'apprendrai aussi volontiers quand enfin il pourra exécuter, sans dérangement de sa part, mon portrait et celui de Madame.

Que Dieu vous garde comme je le désire et comme vous le méritez, et je vous baise les mains.De Gênes, le 26 septembre 1606 (1607).

Paul-Augustin Spinola.


COMMENTAIRE.

Ce passage fugitif d'une lettre insignifiante pour nous, aurait une certaine importance si la date n'en était pas un peu incertaine, ainsi que le fait observer M. Baschet. Le dernier chiffre du millésime lui a paru douteux, et c'est par d'autres considérations qu'il place la lettre en 1607. Pour M. Davari et pour nous, le millésime écrit est bien 1606.

Mais pour expliquer cette date, il faudrait supposer un séjour de Rubens à Gênes antérieur à son départ pour Rome lequel eut lieu, comme on l'a vu, au commencement de 1606, ou bien encore admettre que Paul-Augustin Spinola (1) a vu Rubens, non pas à Gênes, mais à Rome. Nous aimons mieux croire à une erreur de date, et nous plaçons, comme l'a fait aussi M. Baschet, la lettre en 1607. Ces portraits ont-ils été exécutés? Nous n'en trouvons point de trace. On peut même demander s'ils ont été commencés. Le texte de la lettre de Spinola semble demander que l'artiste vienne les poursuivre (seguire): mais si dans ces quatre lignes l'on examine de près le style et l'orthographe, on remarquera qu'ils sont d'un grand seigneur qui ne regarde pas à une lettre de plus ou de moins. Nous lisons donc eseguire, exécuter, et suivant cette interprétation, il s'agit là d'oeuvres non commencées. On ne comprendrait pas, d'ailleurs, que Rubens eût emporté avec lui, de Gênes, des portraits ébauchés pour les terminer ailleurs. Dans ce passage il est question, suivant nous, de [395] portraits commandés à Rubens, pendant son séjour à Gênes avec le Duc, portraits qu'il s'était engagé à venir peindre en cette ville et que son départ pour Rome, puis ensuite son retour aux Pays-Bas ne lui ont point permis d'entreprendre.

Ce fragment de lettre d'un Spinola offre encore cet intéret d'être en quelque sorte le point de départ des grandes relations que le peintre s'est créé dans cette riche et noble cité de Gênes. C'est là, on le sait, que se trouvent encore de lui un grand nombre de tableaux qui décorent ces palais dont il a fait connaître la splendeur. Ces oeuvres n'ont pas, pour la plus grande partie du moins, été exécutées en Italie: elles ont été envoyées d'Anvers. Les rapports du peintre avec les riches patriciens de Gênes pouvaient s'entretenir constamment par l'intermédiaire des nombreux comptoirs génois qui existaient à Anvers, et dont plusieurs portaient le nom d'une de ces familles historiques qui ne dérogeaient pas, comme on sait, en se livrant au commerce, pas plus que les Médicis de Florence.

Mais le lien principal entre Rubens et Gênes dût être, un peu après, un autre Spinola, le célèbre général des troupes espagnoles dans les Pays-Bas, le rival du prince Maurice d'Orange. A peine rentré au pays, le peintre dut bientôt être connu d'Ambroise Spinola, pour devenir un jour son confident, son aide en diplomatie, son ami.

M. Baschet a donné des renseignements précieux sur quelques oeuvres de Rubens qui se trouvent à Gênes et, entr'autres, sur deux bustes, l'un en marbre, l'autre en terre cuite, qui représentent un Spinola, selon les uns Ambroise, selon les autres, Frédéric son père. Le buste en terre cuite, qui a servi de modèle à l'autre, serait, d'après une tradition de famille, de la main de Rubens, qui pour cette circonstance, se serait livré au travail du statuaire (1).

Le fameux tableau St. Ignace opérant des miracles que l'on voit à l'église de St. Ambroise ou des Jésuites doit aussi son existence aux rapports que Rubens s'était créés à Gênes. Cette oeuvre magnifique lui a été commandée par le marquis Nicolò Pallavicini, un de ces riches seigneurs qui donnèrent de belles fêtes à Vincent de Gonzague à l'époque de sa villégiature. Ce tableau n'arriva à Gênes qu'en 1620, mais, il est possible, comme le croit M. Baschet, qu'il ait été commandé directement à Rubens dès 1607.


[396] CVI
PHILIPPUS RUBENIUSPETRO PECKIO PRINCIPUM N. N. CONSILIARIO, ET AD REGEM GALLIAE LEGATO.

Nihil tam mihi propositum, quam in posterum amicorum in litteris curandis opera non uti. Nihil enim profecto fallacius, expertus id sum, cum alias, tum nuper in epistola ad A. T. negotiatori cuidam Lutetiam proficiscenti, rogantique, numquid vellem, a me data. Nam ubi post reditum hominem conveni, fassus est, reddere oblitum, et in vidulo (vah supinam negligentiam!) huc retulisse. [...] (1). non quod alicujus eae litterae ponderis essent ac momenti, sed quod, illis non perlatis, cessator esse et a religione officii declinare viderer. Verum quid facerem? [...]; [...] (2). Una remedii ratio, palam id ipsum nova scriptione facere, atque adeo suspicionem atque culpam a me segregare. Quod quia jam praestitisse videor, ad epistolam tuam venio: quam epistolam, Deus bone! qua elegantia! qua doctrina! Nihil a me longius abest assentatione; non dubitabo tamen affirmare, Musis ab ipsis praescriptam tibi videri. Hoc certe erat, quod I. olim Guilielmus in Epigr.

...Peckiadem pullum Phoebi atque sororum,

appellavit, et

...aetatem Peckii pro numine nomen

sibi fore promisit. Praeclara sane laus et rara, juris simul et litterarum antistitem et quasi [...] Homerici illius Asteropaei instar esse. Haec accedunt prudentia dicendique facultas: quibus quantum praeter ceteros [397] excellas, et principale judicium et amplissimus, quo tanta cum dignitate fungeris, honor satis abundeque declarat. Ad summam,

....quae sparguntur in omnes,
In te mista fluunt, et quae divisa beatos
Efficiunt, collecta tenes.

Nec ista vero dico, quod hujus affici te gloriae [...] mihi persuadeo, sed quod harum rerum commemoratione meum mihi bonum ob oculos pono, mihique magis ac magis de conjunctione nostra placeo et plaudo. Nam in his quae tam largiter in epistola mihi tribuis, exsulto plane et triumpho; nec permultum mea referre existimo, bona fide de me sic judices, an tanto opere me diligas, ut secus judicare non possis. Amo laudes, amo, non modo quod eae suavissimum, ut ille dicebat, acroama, pulchrumque sit a laudatissimo viro laudari; verum etiam, quod his mea mihi studia, cum talem inde fructum percipio, majorem in modum commendari intelligam. Unde et additum mihi calcar, ut omnino repraesentare statuerim, quod in diem reservabam. Stat jacere aleam, et de consilio A. T. cujus mihi auctoritas pro ratione sufficit, quod in manibus est, opusculum emittere. Verum tamen uti celeusma me tuum excitat et acuit, ita rursus exspectatio cohibet ac retardat. Scio quam haec gravis adversaria sit, et oneris ex ea magnitudinem metior. Sed jam occurro, quoad possum: exiguum est quod damus et parvae rei: titulus, Observationes miscellae, pro argumento videlicet, quod est mistum, ac fere cujusmodi in Electis Lipsianis.

[...] autem Praesidi Richardoto, qui beneficiis me devinxit. Quae quidem A. T. nuntio, non quod tanti putem, aut cognitione tua digna; sed quia, cum ipse eorum mentionem injeceris, non posset non vitio mihi vorti, si nihil ad ea rescriberem. Pro clausula, cum mihi perennem et propriam A. T. benevolentiam, tum virtuti tuae, Amplissime Domine, parem fortunam, et quem longissimum habet vita progressum precor. Mater mea salutem A. T. plurimam dicit, etiam atque etiam. Antverpiae. III Eid. Decemb. 1607.


S. Asterii Homiliae, etc. P. 263.


[398] TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A PIERRE PECQUIUS, CONSEILLER DE L. L. A. A. ET ENVOYÉ AUPRÈS DU ROI DE FRANCE.

Je suis absolument décidé à ne plus user à l'avenir des bons soins de mes amis pour la remise de mes lettres. Rien n'est moins assuré que cette voie: j'en ai fait l'expérience quelquefois et dernièrement encore. Un homme d'affaires se rend à Paris, il me demande si je ne veux rien lui confier; je lui donne une lettre pour vous. A son retour, je revois l'homme: il m'avoue qu'il a oublié la commission et, jugez de son extrême négligence: il me rapporte la lettre dans sa valise!

De ce que j'entendis mon caeur fut déchiré!

non pas que ma lettre eût de l'importance ou fût urgente: mais comme elle ne vous a pas été remise, j'ai l'air d'être un paresseux et de m'écarter de la religion du devoir. Vraiment, que devais-je faire?

Les faits sont accomplis: pourquoi donc s'affliger?
Malgré tous les efforts, on n'y peut rien changer.

Il n'y avait qu'un remède: vous écrire cela ouvertement, par une nouvelle lettre et éloigner ainsi de moi tout soupçon et toute faute. Il me semble que j'accomplis cet acte: j'en arrive donc à votre lettre. Quelle lettre, bon Dieu! quelle élégance! quel savoir! Rien n'est plus loin de moi que la flatterie; cependant je n'hésite pas à affirmer que votre lettre semble avoir été dictée par les Muses elles-mêmes. Il était bien dans le vrai, le Guillaume, quand il vous appelait jadis dans une épigramme:

Pecquius, le cher fils d'Apollon et des Muses.

et qu'il se promettait de voir

L'âge de Pecquius protégé par ce nom.

C'est vraiment un éloge mémorable et peu commun que d'être à la fois un grand prêtre des lois et des lettres, d'être, en quelque sorte, ambidextre comme ce Jupiter homérique qui lance la foudre des deux mains. Vous y joignez la sagesse et l'éloquence par lesquelles vous excellez entre tous; ce dont témoignent le jugement que portent de vous nos princes et les hautes fonctions que vous remplissez si dignement. En somme,

....ce qui chez tous est en partage
En toi se réunit et, de ton apanage
Une part seulement nous rendrait tous heureux.

[399] Cependant, si je vous dis ces choses, ce n'est pas que je vous croie sensible au chatouillement de la louange: c'est que je veux me mettre sous les yeux mon propre avantage en les rappelant, et que je suis heureux et m'applaudis de plus en plus de la liaison établie entre nous. Car je suis vraiment fier et je triomphe de tout ce que vous m'attribuez si généreusement par votre lettre; je ne crois pas qu'il m'importe beaucoup de décider si vous jugez de bonne foi, ou si vous me portez une affection telle que vous ne pourriez émettre un autre jugement. J'aime les louanges, je l'avoue, non seulement parcequ'elles vous bercent comme une symphonie suave et parcequ'il est beau de les recevoir de la part de l'homme qui en est lui-même le plus digne, mais je les aime aussi parceque je sens, qu'en me produisant de pareils fruits, mes études doivent se poursuivre avec plus d'ardeur encore. Cela m'a donné de l'éperon: j'ai tout à fait résolu de produire ce que je conservais devers moi pour un autre temps. Il faut en jeter le sort, suivre votre conseil dont l'autorité doit me suffire, et publier le travail dont je m'occupe. Et cependant si votre commandement m'excite et me presse, une sorte de crainte m'arrête et me retarde de nouveau. Je sais que cette crainte est une ennemie fâcheuse: c'est elle qui me fait mesurer l'étendue de ma tâche. Mais déjà je lui résiste comme je puis. Ce que je vais publier est peu considérable et de petite importance; le titre en est: Observationes miscellae, et se rapporte au sujet qui est un mélange analogue aux Electa de Juste Lipse. Je le dédie au président Richardot qui m'a comblé de bienfaits.

Je vous annonce cet ouvrage, non que je lui attribue une grande valeur et que je le croie digne d'être connu de vous, mais parceque vous m'en avez fait mention et que pour ce motif, je ne voudrais pas subir le reproche de ne pas vous en avoir écrit à mon tour. Et pour finir, je prie Dieu de me conserver votre bienveillance perpétuelle et particulière et de vous accorder une prospérité digne de vos vertus et une longue existence. Ma mère vous présente avec instance ses meilleures salutations. Anvers, le 11 Décembre 1607.


COMMENTAIRE.

Nous avons vu, par sa lettre à Georges Uwens, que Philippe Rubens cherchait à renouer avec le conseiller Pecquius le lien qui unissait jadis celui-ci avec Jean Rubens, le père. Il lui écrivit une première lettre que nous ne connaissons pas et à laquelle Pecquius répondit. Cette nouvelle lettre vient nous donner la preuve du succès obtenu: la liaison s'est établie et [400] d'emblée elle revêt un caractère d'intimité qui s'explique tant par le parentage que par l'amour que portait Pecquius aux études classiques. Le latin savant et recherché du jeune élève de Juste Lipse l'a évidemment séduit.

Nous ne savons quel est ce Guillaume, ni cette épigramme dont Ph. Rubens cite deux vers en l'honneur de Pecquius; peut-être s'agit-il de Guillaume Richardot, le fils du président, l'élève de Philippe.

L'ouvrage dont on annonce l'apparition ne porte pas le titre donné dans la lettre, mais bien celui de Electorum libri II. A la date de la lettre à Pecquius, l'impression en devait être commencée, car l'approbation et le privilège sont du 13 et du 15 novembre; mais il fut seulement lancé dans le courant de 1608, date que porte le titre (1). Nous l'avons décrit en détail dans la notice de Philippe Rubens.

Les gravures dont il est accompagné ont été gravées, comme nous l'avons dit, par Corneille Galle sur les dessins de Pierre-Paul: elles ont dû demander quelques mois peut-être de travail. La publication de ce livre devait donc être décidée longtemps avant la lettre à Pecquius.

On voit par la fin du document, que le lien de famille s'était noué en même temps que celui de l'affection: Marie Pypelinckx envoie ses salutations à celui qui est son parent et fut jadis l'ami de son mari. Un acte, publié par M. Génard (2), nous apprend qu'en 1591 la veuve de Jean Rubens avait eu Pierre Pecquius pour avocat dans une affaire en réclamation de paiement d'une rente.


[401] CVII
GIOVANNI MAGNO AL CONSreCHIEPPIO.

Mto Illre Sigre mio Sre Ossmo

Il SrPietro-Plo Rubens ha lavorato un quadro per l'altar maggiore della Chiesa nova molto principale in questa città, et con molta sodisfatione di quei Padri, come io ho sentito con le orecchie proprie, ma l'aria che è molto infelice in quel sito lascia comparir cosi poco lo studio et la diligenza dell'opera che ne resta confuso et disgustatissimo esso Pieto-Plo. Mi dice che quelli Padri vorriano con tutto ciò il quadro per detto altare, o che potendo riuscir meglio come si giudica, sopra certa pietra vi faranno far copia meno accurata del detto quadro. In questo dubio non sa pigliare risolutione perchè non vorria lasciar esso quadro in luogo di nessuna osservatione, donde in vece di lode gliene venisse più tosto poca riputatione, ne levandolo sa come cavarne il danaro per essere argomento sterile et non atto ad accomodarsi forsi a nessuna altra chiesa. Onde è venuto in pensiero che potesse gustare S. A. d'haverlo, per haver mostrato di desiderare qualche cosa del suo per la Galeria. Lo propone però con lettera sua, havendo soggiunto a me che certo non può in nessuna altra opera mettere studio maggiore, ne più esquisitezza per haver fatto in prova di tante cose buone che si trovano in questa città quanto sapeva, havendo procurato con ogni sforzo di poter stare al sindacato di tanti. Hora io non ho altro che dire se non che il quadro in luogo dove haveva buona aria mi parve ben lavorato, et che si può soficientemente comprehendere che sia approvato se ne cavaranno copia per il medesimo altare.

Di Roma, il di 2 febo 1608.Di V. S. Mto Illo
Prontmo et oblmo sere,

Giovanni Magno.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Cité par M. a. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXIV, p. 484. — Texte inédit.


[402] TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO AU CONSEILLER CHIEPPIO.

M. Pierre-Paul Rubens a exécuté pour le maître autel de la Chiesa nuova, une église du premier rang en cette ville, un tableau dont les Pères de l'Oratoire ont été grandement satisfaits. Mais à la place où il est, le jour est très malheureux et laisse si peu apparaître ce qu'il y a d'étude et de travail dans cette oeuvre, que M. Rubens en est resté confondu et mécontent au plus haut point. Il me dit que ces Pères veulent néanmoins avoir le tableau sur leur autel; mais, si la peinture pouvait mieux réussir, comme on le pense, en étant exécutée sur une certaine pierre, ils en feraient faire une copie moins achevée. Dans cette alternative, il ne sait point prendre de résolution: d'un côté, pour éviter de s'attirer des reproches au lieu de louanges, il voudrait ne pas laisser le tableau dans un endroit où l'on ne peut rien en voir; d'un autre côté, en l'enlevant, il ne sait comment il en retirerait le prix, attendu que le tableau, à cause de son sujet, ne saurait peut être convenir à une autre église.

De là il lui est venu dans l'idée que S. A. serait peut-être charmée de l'avoir, Elle qui a témoigné le désir d'avoir pour sa Galerie une oeuvre de son peintre. Celui-ci en fait donc la proposition par une lettre personnelle; il m'a ajouté qu'il certifie qu'en aucune autre oeuvre il ne saurait mettre plus de science, plus de fini dans le travail. Pour soutenir la comparaison avec tant de belles choses qui se voient en cette ville, il a fait de son mieux; il s'est efforcé de se tenir à la hauteur des meilleures.

Il ne me reste plus rien à dire sinon que, placé dans un jour favorable, le tableau m'a paru bien travaillé, et je comprends parfaitement qu'il sera approuvé si l'on en fait une copie pour le même autel.

De Rome, le 2 février 1608.Votre serviteur bien obligé,

Giovanni Magno.


[403] CVIII
PIETRO-PAULO RUBENS AL CONSreCHIEPPIO.

Illusmo Signore

Non mi pare fuori di proposito, il rendere conto a V. S. Ima d'un caso stravagante che mi è occorso, havendosi lei per l'affettione che mi porta sempre mostrato interessatissmo nelle cose mie. E tanto più il farò voluntieri quanto penso questa disgracia mia poter risultare in servicio di S. A. Sma. Sappia donque V. S. Ima ch'el mio quadro per l'Altar maggiore della Chiesa nova, essendo riuscito buonissimo, i con summa soddisfattione di quelli Padri i (ciò che rare volte accade) di tutti gli altri ch'el videro prima. Ha però sortito così sciagurata luce sopra quel Altare, che a pena si ponno discernere le figure non che godere l'esquisitezza del colorito, e delicatezza delle teste e panni cavati con gran studio del naturale i secondo il giudizio d'ognuno ottimamente rusciti. Di maniera ch'io vedendo buttato quel buono che c'è, ne potendo conseguire l'honore dovuto alle mie fatice senza che siano vedute, penso di non scoprirlo più, ma di levarlo de li, e cercare qualque meglior luce contutto ciò ch'el prezzo sia stabilito in ottocento scudi (1) (a dieci giulij per scudo) cioè ducatoni, come può farmi fede il Sigr Magni che sa apunto come il negocio è passato. Ma perche li Padri non vogliono chel quadro li sia tolto, senza ch'io m'obligi di farli di mia mano una copia di quello, sopra l'istesso altare depignendola in pietra o materia che sorba li colori a fine che non ricevono lustro da quei perversi lumi, non giudico perciò conveniente al honor mio che in Roma siano due tavole simili de mia mano. Ma ricordandomi ch'el Signor Ducca e Madama Serma altre volte mi dissero di volere un quadro mio per la Galeria delle Pitture, confesso che poi che l'Altezze loro mi vogliono far questo [404] honore, mi sarebbe carissimo che si servissero della sudetta tavola che senza dubbio di gran longa è riuscita la meglior opera, ch'io facessi mai, ne sono facilmente per risolvermi di fare un' altra volta tal sforzo d'ogni mio studio, e volendolo fare forse non mi riuscirebbe così felicemente. Et il tutto sarebbe ben impiegato in quel loco ripieno di concorrenza e gielosia di tanti valenthuomini. Del prezzo (benche stabilito e concertato in ottocento scudi) non servira di pregiudicio la stima di Roma. Ma io mi rimettero sempre nella discretione di S. A. et ancora il pagamento a sua commodità. Un centinaro di scudi o dua in fuori di quali havrei di bisogno per adesso mentre andarò facendo la copia. La quale si spedira quanto prima al più in un par di mesi, non occorrendo studiarla di novo. Si che non mancarò di ritrovarmi infallibilmente inançi Pasqua a Mantova. Se V. S. Illma si campiacerà di favorirmi ancora questa volta con fare la proposta al Sr Ducca, benche li obligi mei non si ponno accrescere, sarà però un renovarli tutti in uno. I la supplico volermi avisare quanto prima della mente di S. A. perche tenerò il quadro coperto, e tutto il negocio sospeso fra tanto. Et in caso che S. A. accetti l'offerta subito mi rissolverò di levarlo e d'esponerlo nella medesima Chiesa in Publico a meglior luce, per sodisfattione di Roma e mia insieme. Perche nella copia non occorerà mettere tanto del buono i senza gran finimento perche non potra mai essere ben goduta. Ma perche V. S. sia ben d'ogni cosa informata ha da sapere ancora l'argumento essere bellissimo per il numero, grandezza e varieta di figure de vecchi, giovani i donne riccamente abbigliati, et ancora che tutti siano santi non hanno però contrasegno o proprieta alcuna che non se possa applicare ad ogni altro santo de simil grado. Et la grandezza de la tavola non è tanto essorbitante, che sià per occupare gran loco, per essere stretta ed alta. In somma, io sono sicuro che l'Altezze loro vedendola restaranno intieramente sodisfatte come infiniti che l'hanno veduta in Roma. Mi perdona di gracia V. S. Illma del fastidio di questa bagatella, ch'io so quanto non convengà alla gravità de suoi negocij i confesso essere questa proprio un abusare della sua [405] cortesia, con tutto ciò, perche molto mi preme, la suplico voler pigliarla a petto, et esser sicura de non poter favorire a persona che più stimi li suoi favori di me. Et per fine baccio a V. S. Illma humilmente le mani.

Di Roma, alli 2 di Febraro 1608.Di V. Sria Illusma
Devotissimo Serre,

Pietro-Paulo Rubenio.


Adresse: Al Illusmo Sigr i Padrone mio Colendmo il Sigr Annibal Chieppio, Secretario i Consigliero di S. A. Serenissima, in Mantova. Petit cachet sur nieulle.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié, texte et traduction, par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts, XXIV, p. 483. — Texte publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 31.


TRADUCTION.
RUBENS A CHIEPPIO.

L'affection que vous me portez vous a toujours fait prendre de l'intérêt à mes affaires: il ne me semble donc pas hors de propos de vous rendre compte d'un cas étrange qui m'arrive. Je le fais d'autant plus volontiers que, suivant ma persuasion, ce malheur personnel pourra tourner à l'avantage de S. A. S. Il faut donc savoir que mon tableau pour le grand autel de la Chiesa nuova a parfaitement réussi, à l'extrême satisfaction des Pères et, ce qui arrive rarement, à celle de tous ceux qui l'ont vu d'abord. Mais il s'est trouvé sur cet autel dans un jour tellement déplorable, qu'à peine l'on pouvait distinguer les figures et apprécier la beauté du coloris, la finesse des têtes et des draperies, terminées avec grand soin, d'après nature, en somme très bien réussies d'après l'avis général. Donc, voyant que tout le mérite de l'oeuvre était perdu, et que je ne pouvais retirer aucun honneur d'un travail dont on ne discernait pas ce qu'il a coûté de peines, je songe à ne plus le découvrir, à le descendre de là et à lui chercher une meilleure exposition, bien que [406] le prix en ait été fixé à 800 écus ou ducatons, à 10 jules par écu, ce dont peut témoigner M. Magni qui sait exactement comment la convention a été faite. Mais les Pères ne veulent pas que le tableau soit enlevé à moins que je ne m'oblige à leur en tirer, de ma main, une copie pour le même autel, copie à peindre sur pierre ou sur une matière résorbant les couleurs, afin qu'elles soient délivrées des miroitements occasionnés par ces méchantes lumières. Or, je juge qu'il ne convient pas à mon honneur de laisser dans Rome deux tableaux semblables de ma main.

Me ressouvenant que Mgr. le Duc et Mme la Duchesse m'ont dit autrefois qu'ils désiraient avoir un tableau de moi pour la galerie des peintures, je vous avoue que, puisque leurs Altesses veulent me faire cet honneur, il me serait extrêmement agréable de leur voir prendre mon tableau à cet effet. Sans aucun doute, c'est de loin la meilleure, la plus réussie de mes oeuvres: je ne me résoudrai pas facilement à faire une autre fois un tel effort de tout ce que j'ai de facultés, et si je m'y hasardais, peut-être ne réussirais-je pas aussi heureusement. Enfin, de tous points, il occuperait bien sa place dans ce lieu si rempli d'oeuvres luttant et rivalisant entr'elles et dues à tant d'hommes de valeur. Quant au prix, bien qu'il ait été établi et convenu à 800 écus, nous ne le baserons pas sur l'estimation faite à Rome: je m'en remettrai toujours à la discrétion de son Altesse et, quant au paiement, il aurait lieu à Sa convenance, sauf pour une centaine ou deux d'écus dont j'aurais besoin maintenant pendant l'exécution de la copie. Je terminerai celle-ci dans un bref délai, au plus tard dans une couple de mois, n'ayant pas besoin de me livrer à de nouvelles études. De sorte que je ne manquerai pas de me trouver à Mantoue certainement avant Pâques.

Si vous daigniez, Monsieur, me favoriser, cette fois encore, en présentant ma proposition à Mgr le Duc, ce serait le renouvellement en un seul total, de toutes mes obligations, quoique celles-ci ne puissent plus s'accroître. Je vous prie de vouloir bien me faire connaître au plus tôt la résolution de Son Altesse; en attendant, je tiendrai le tableau couvert et toute l'affaire en suspens. Dans le cas où S. A. accepterait la proposition, je m'empresserai d'enlever le tableau et de l'exposer au public, dans la même église et en meilleure lumière pour la satisfaction de Rome et de moi-même. Je n'aurai pas besoin pour la copie d'y mettre tant de perfection et de fini, car on ne jouira jamais bien de sa vue.

Et afin que vous soyez bien informé de tout, je vous dirai, Monsieur, que la composition est très belle à cause du nombre, de la dimension, de [407] la variété des figures de vieillards, de jeunes hommes et de dames, très richement habillés qui s'y trouvent. Sans doute, tous ces personnages sont des saints; toutefois ils ne portent aucun attribut ou signe qui ne puisse être appliqué à tout autre saint du même rang. Enfin, la dimension du tableau n'est pas si considérable qu'il faille lui réserver un grand espace: le tableau est étroit et élevé.

En somme, je suis persuadé qu'en le voyant, Leurs Altesses en seront satisfaites comme l'ont été les masses de ceux qui l'ont vu à Rome.

De grâce, Monsieur, pardonnez-moi l'ennui que je vous cause par cette petite affaire; je sais combien peu elle est en rapport avec vos graves occupations. J'avoue qu'en ceci j'abuse véritablement de votre courtoisie. Néanmoins, comme l'affaire est fort pressante, je vous supplie de vouloir bien la prendre à coeur et de croire que vous ne pouvez favoriser personne qui, plus que moi, estime vos faveurs.

Et je finis en vous baisant humblement les mains. De Rome, le 2 février 1608.Votre serviteur très dévoué.

Pierre-Paul Rubens.


COMMENTAIRE.

De nouveau, nous nous trouvons ici en présence de deux documents inattendus et d'un curieux épisode de la vie du peintre.

Nous avons vu, par la réponse non envoyée à l'archiduc Albert, que Pierre-Paul, après la villégiature de Gênes, à la fin d'août 1607, doit s'être rendu directement à Rome pour achever son travail à la Chiesa nuova. Cinq mois se passent, le travail est terminé; puis arrive un étrange incident: le tableau destiné au maître-autel, étant peint sur toile, miroite fâcheusement dans le jour défavorable qui l'éclaire. Le peintre ne veut pas le laisser là et propose d'en faire une copie sur lavagna, ou pierre d'ardoise, corps qui résorbe l'huile, et rend les couleurs mates comme dans la fresque. Mais que faire du tableau répudié? Rubens le propose au Duc.

L'idée était bonne et franchement présentée. Il est, en effet, extraordinaire que, depuis sept ans qu'il travaille à la solde de Vincent de Gonzague, Rubens n'ait pas encore reçu la commande d'une oeuvre pour la galerie ducale. La promesse lui en est faite depuis longtemps: pourquoi n'a-t-elle jamais été tenue? Pourquoi même, ne connaissons nous pas une seule oeuvre exécutée par le peintre pour son étrange Mécène?

[408] L'offre du peintre est motivée par l'ambition de figurer dans la collection ducale parmi les oeuvres de premier ordre qu'elle renferme, autant que par le désir de se défaire d'un tableau dont le placement eût été difficile. Aussi, selon son habitude, il propose les conditions les plus désintéressées et les plus favorables d'achat et de paiement.


CIX
GIOVANNI MAGNO ALLA DUCHESSA DI MANTOVA.

Serma Principessa,

Ho veduto insieme col SrPieto-Pauolo Rubens il quadro fatto dal Pomerancio per servo di V. A. che certo riesce molto buono per quello che io posso giudicare parendomi che in esso vadda del pari di maestria con le opere sue più famose, et che vi hebbe posto molto studio et diligenza. Il Sr Pietro-Pauolo mi dice d'haver ordine dall' A. V. di stabilir meco la mercede d'esso quadro, ma io mi son riportato al suo giuditio, non havendo notitia di pitture che basti a farne stima precisa, non parendomi però che vi sia per essere eccesso di troppo caro prezzo nelli quattrocento ducati, o per meglio dire scudi d'oro, poichè non pare avantaggioso rispetto all'opera, ne rispetto al nome del maestro che è riputato de' primi di Roma, et di questa inclinatione pare anco che si mostri il Sr Pieto-Pauolo.

Di Roma, il dì 2 febo 1608.Di V. A. Sma
Humo suddito et fermo serre,

Giovanni Magno.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts. XXII, p. 485. — Texte inédit.


[409] TRADUCTION.
GIOVANNI MAGNO A LA DUCHESSE DE MANTOUE.

Princesse Sérénissime.

J'ai vu en compagnie de M. Pierre-Paul Rubens le tableau exécuté par le Pomerancio pour le service de Votre Altesse. Il est très bien réussi, autant que je puis en juger; il me semble que, pour la maestria, il égale les oeuvres les plus fameuses du peintre et que celui-ci y a apporté beaucoup d'étude et de soin. M. Pierre-Paul me dit avoir reçu de V. A. l'ordre de fixer avec moi le prix de ce tableau; mais je m'en suis rapporté à son jugement, n'ayant pas, en fait de peintures, des connaissances suffisantes pour en faire une estimation exacte. Cependant il ne me paraît point que quatre cent ducats, ou pour mieux dire 400 écus d'or, soient un prix excessif; ce prix n'est pas même rémunérateur, eu égard à l'oeuvre et au nom du maître qui est réputé un des premiers artistes de Rome. Il me semble que M. Pierre-Paul est de cet avis.

De Rome le 2 février 1608.De V. A. Sérénissime
L'humble sujet et le dévoué serviteur,

Giovanni Magno.


COMMENTAIRE.

Par le même courrier qui apporte la lettre de Rubens proposant au Duc de Mantoue le tableau de la Chiesa nuova, le résident Magno adresse à la Duchesse une missive dans laquelle il est question d'une mission délicate dont le peintre avait été chargé: l'estimation d'une oeuvre commandée au Pomerancio. Nous renvoyons à la lettre de Rubens en date du 22 suivant pour savoir la suite qui fut donnée à cette affaire.


[410] CX
ANNIBALE CHIEPPIO A GIOVANNI MAGNO, A ROMA.

Mto Ill. S. mio Ossmo

Due pieghi di lettere di V. S. riceviamo in un medesimo tempo, et a quelle rispondiamo come meglio si può nel colmo del carnevale, et nel moto grande della partita di S. A. per Torino con una comitiva di cavalieri, la più numerosa et la più bella che se habbia veduta mai. E ben vero che ci sono molto forestieri, ma però tutti amici et servitori particolari dell'A. S., et se potrò havere una copia del rollo la mandarò anche a V. S. per certa curiosità. La cassetta inviata dei ritratti non è capitata anchora, ma si sta attendendo con desiderio l'arrivo suo. Io non trovo disposta S. A. a far l'aquisto del quadro del Sr Pietro Paolo, caminandosi adesso con molta riserva nelle spese, se ben per altro mostra di stimar l'opere sue grandemente, come pur ne scrivo al medesimo Sr P. Paolo.

Di Mantova, a 15 febo 1608.Di V. S. M. Ill.
Affmo serre,

Annibale Chieppio.


L'adresse porte: Al Mto Ill. Sr mio Osmo il S. Gio Magni, Gentilmo del Smo di Mantova, presso la S. di N. S.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié en traduction par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts, XXIV, p. 485. — Texte inédit.


TRADUCTION.
ANNIBAL CHIEPPIO A GIOVANNI MAGNO A ROME.

Nous avons reçu de vous en même temps deux paquets de lettres; nous y répondons de notre mieux au fort du carnaval, et au milieu du grand mouvement causé par le départ de S. A. pour Turin avec un cortège de cavaliers le plus nombreux et le plus beau qui se soit jamais vu. A vrai [411] dire, il y a parmi eux beaucoup d'étrangers; tous, néanmoins, sont des amis ou des serviteurs particuliers de S. A. Si je puis avoir une copie de leur liste, je vous l'enverrai à titre de curiosité. La caisse avec les portraits que vous avez envoyée n'est pas encore arrivée: on l'attend avec impatience. Je ne trouve pas S. A. disposée à acquérir le tableau de M. Pierre-Paul; on marche en ce moment très prudemment dans la voie des dépenses. S. A. montre du reste une grande estime pour les oeuvres de M. Pierre-Paul, ainsi que je l'écris à celui-ci. .

Mantoue, le 15 février 1608.Votre affectionné,

Annibal Chieppio


COMMENTAIRE.

La réponse à l'offre de Rubens ne s'est pas fait attendre; par retour du courrier il a dû savoir que son tableau ne sera pas acquis. Nous ne l'apprenons ici que par voie indirecte: il est à regretter que nous n'ayons pas la lettre même de Chieppio adressée à Rubens; peut-être y eût on pu lire, fût-ce même entre les lignes, un autre motif de refus que celui de l'économie. La lettre de Chieppio nous parle du magnifique et somptueux cortège du Duc et de son fils ainé partant pour Turin, où celui-ci allait épouser Marguerite de Savoie. Sans doute, les fortes dépenses occasionnées par cet évènement allaient porter de rudes coups à la trésorerie ducale; cependant ce ne sont pas les deux cents écus demandés par Rubens qui eussent fait déborder le vase. A ce prétexte, il faut en ajouter d'autres, comme la suite de l'affaire le prouve suffisamment. Un refroidissement visible est intervenu dans les relations du peintre et du Duc. L'épisode du voyage de Gênes, le retour à Rome, la lettre de l'archiduc Albert, les démarches continuelles que fait le peintre pour obtenir de n'être pas à Mantoue, tout cela témoigne d'une sorte de désaffection réciproque. Si elle ne se manifeste point par des faits plus accentués, c'est que, d'une part, par ses absences fréquentes et le soin de ses ambitions de famille, le Duc n'a plus le temps de songer à ses fonctions de Mécène, et d'autre part, que l'appui trouvé par le peintre dans le cardinal Borghèse, à Rome, rend très difficile à Vincent de Gonzague l'emploi de quelque moyen rigoureux. Toutefois, nous avons vu, par la lettre précédente, que le peintre avait promis de revenir à Mantoue avant Pâques. Or, nous verrons qu'il n'en fit rien.

Le tableau ne fut donc pas acquis.

[412] Le résident du Duc à Rome a, d'après cette lettre, envoyé à Mantoue une caisse renfermant des portraits. Il ne s'agit pas de travaux de Rubens, mais de portraits envoyés de Naples par le résident Ottavio Gentili et peints ou acquis par “il Sr Francesco fiamingo pittore„ c'est à dire François Pourbus. C'étaient des figures de jolies femmes pour la “chambre des beautés„ du Duc (1).


CXI
PIETRO-PAUOLO RUBENS AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Illusmo Sigre

Ancor che il negocio mio non habbia conseguito buon fine resto nondimeno col medesimo obligo a V. S. Illma come si fosse riuscito segondo la proposta da me fatta, sapendo certo esser da lei fatto in favor mio molto più ch'io non doveva pretendere d'un personaggio par suo. Oltre che per dire il vero, non mi preme più tanto poi ch'el quadro è stato posto in publico in un meglior sito, nella medesima chiesa per molti giorni i veduto con gran plauso di tutta Roma. Di maniera che sono sicuro di trovarli qualq. buon ricapito in Roma istessa che non importa, perche li Padri mi concedono liberta di variare alquanto segondo il capriccio mio la copia da esso. I credo che nel urgente di queste nozze sarebbe data non poca difficulta in re pecuniaria nella vostra thesoreria di Mantova per conto della mia sodisfattione, come pur troppo me accaderà nel avanzo del mio salario di molto tempo. Si che pensandoci bene, par quasi ch'io mi debba recar a ventura il non haver havuto effetto tal proponimento. Resta solo che V. S. Illma mi voglia favorire appresso Madama Serma di fare instanza per il pagamento del quadro della sua Capella fatto [413] fare con ordine espresso di S. A. qui in Roma al SrCristoforo Pomarancio, circa il quale scrissi al SigrFilippo Persio ogni particolarita che mi maraviglio essersi partito senza darmene risposta alcuna. Percio sono sforzato di dare a lei questo fastidio di novo, et informarla brevemente del fatto come sta Madanna (sic) Sema e stata servita ad instanza mia non ostante che esso Pomerancio fosse occupatissmo i presto i bene, et circa la sodisfattione del prezzo, S. A. si e rimessa molte volte in me, ma io non ho voluto accettare tal carico, ma fatto tanto col Pomerancio, che prima stava sopra li complimenti ancora lui con S. A., che al ultimo fece dimanda di cinquecento scudi d'oro, qual somma parse essorbitante a Madama Serema che forse non haveva in prattica questi protomastri di Roma, ma credeva di trattare secondo il stilo nostro di Mantova. Niente di manco si è rimessa in me di novo, et io havendo fatto vedere il quadro a molti intelligenti, come ancora al Sigr Magni, ho insieme con lui determinato che S. A. nol possa pagar manco di quattrocento scudi doro. Percio supplico V. S. Illma volermi fare ancora questa gracia di fare instanza a Madama Serma per conto di questi danari quanto prima altrementi io restarei vergognato, ne mi arrischiarei più d'accettare alcuna simil commissione essendomi stata questa con infinite lettere ordinata da S. A. et spesso sollecitata. Et hora ch'el servitio è riuscito eccellentemente mi spavento di tanta freddezza nella soddisfattione. Recorro donq. da V. S. Illma secondo il mio solito in tutte le difficulta che provo per esperienza con quanta caldezza tenga la mia protettione a tutto e per tutto. Alla quale baccio humilmente le mani i prego da Dio ogni felicita. Di Roma, alli 23 di febraro 1608.

Di V. Sigria Illusma
Devotissmo serre,

Pietro-Pauolo Rubenio.


La feuille avec l'adresse manque.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Publié par M. A. Baschet. Gazette des Beaux-Arts, XXIV, p. 487. — Publié par M. Rosenberg. Rubensbriefe, p. 33.


[414] TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

Monsieur,

Bien que mon affaire ne soit pas arrivée à bonne fin, je n'en reste pas moins obligé envers vous dans la même mesure, tout comme si l'affaire eût réussi suivant ma proposition; car je sais avec certitude que vous avez fait en ma faveur plus que je ne puis prétendre d'une personne de votre rang. En outre, pour dire le vrai, je ne suis plus aussi pressé: depuis que mon tableau a été exposé, pendant plusieurs jours, au public dans la même église, en meilleure lumière, il a été vu et grandement applaudi de toute la ville de Rome. De sorte que je suis assuré de lui trouver un bon placement à Rome même, ce qui n'offre aucun inconvénient, attendu que les Pères m'ont concédé la liberté de faire dans la copie quelques variantes selon mon caprice. Je crois d'ailleurs qu'à cause des dépenses urgentes de ces noces, je n'aurais pas donné peu d'embarras, in re pecuniaria, à votre trésorerie de Mantoue, si elle eût dû me satisfaire; tout comme elle n'en aura que trop quand elle me paiera mon salaire en retard depuis longtemps. De sorte qu'en y refléchissant bien, il me semble que je dois presque regarder comme une chance heureuse de n'avoir pas réussi dans ma proposition. Il me reste seulement à vous prier de vouloir bien faire des instances auprès de Madame Sérénissime pour le paiement du tableau que S. A. a fait exécuter ici à Rome, sur son ordre exprès, pour sa chapelle, par M. Christophe Pomerancio, tableau au sujet duquel j'ai donné tous les détails par écrit à M. Philippe Persio, lequel, à mon grand étonnement, est parti sans me faire aucune réponse.

C'est ce qui m'oblige à vous causer ce nouvel ennui et à vous informer brièvement du fait tel qu'il se présente. C'est sur mes instances que Madame Sérénissime a été servie promptement et bien, quoique le Pomerancio fût très occupé. Quant aux conditions du prix, S. A. s'en est rapportée plusieurs fois à moi, mais je n'ai jamais voulu accepter cette charge; cependant je fis tant auprès du Pomerancio, qui s'en tenait d'abord encore aux compliments avec S. A., qu'il se détermina enfin à demander cinq cents écus d'or. Cette somme parut exorbitante à Madame Sérénissime qui, peut être, ne connaissait pas les usages de ces premiers maîtres de Rome et croyait traiter avec eux selon notre style de Mantoue.

[415] Néanmoins, elle s'en est de nouveau remise à moi: j'ai fait examiner alors le tableau à plusieurs connaisseurs, ainsi qu'à M. Magno avec lequel j'ai déterminé que S. A. ne pouvait payer moins de quatre cents écus d'or. En conséquence, je vous supplie de me faire encore cette grâce de vouloir bien insister auprès de Madame Sérénissime pour qu'elle ordonne de payer cette somme le plus tôt possible, sinon j'en resterais tout confus et ne me risquerais plus d'accepter de commission semblable à celle-ci, qui m'a été imposée de la part de S. A. par une infinité de lettres et de nombreuses sollicitations. Et maintenant que l'on a été servi de la plus excellente manière, je m'effraie de la grande froideur que l'on met à payer.

J'ai donc recours à vous, Monsieur, comme je le fais d'habitude dans toutes mes difficultés: je sais par expérience avec quelle chaleur vous me prenez sous votre protection en tout et pour tout.

Et, en vous baisant humblement les mains, je prie Dieu de vous accorder toute félicité. Rome, le 23 février 1608.Votre serviteur très obligé.

Pierre-Paul Rubens.


COMMENTAIRE.

Le tableau peint par Rubens pour l'autel de la Vallicella ne fut donc pas acquis par le duc de Mantoue; il resta pour compte de l'artiste. Celui-ci quelque temps après, eut une triste occasion d'en faire un noble et pieux emploi: il plaça cette oeuvre, la plus belle qu'il eût exécutée jusque là, sur le tombeau de sa mère, à l'église de St. Michel à Anvers.

Voici en quels termes Baglione, qui avait vu probablement exécuter le tableau par Rubens à la Chiesa nuova à Rome, décrit tout le travail. “Il peignit dans l'église des Pères de l'Oratoire della Vallicella un grand tableau destiné à être placé sur le grand autel, il y représenta la Madone avec l'Enfant Jésus et de très beaux petits anges; au plan terrestre, le pape St. Grégoire et d'autres saints. C'était une oeuvre fort belle, mais elle ne fut pas mise en place: la grande lumière, qui tombait sur elle de face, empêchait de jouir de sa vue: elle a reçu un autre emplacement.

“Après, Rubens exécuta pour le maître autel une Madone tenant son fils dans ses bras. Ce tableau s'enlève, aux principales fêtes, afin que l'on puisse voir une autre antique image miraculeuse de la Vierge qui se conserve là; [416] autour on voit divers petits anges, au bas quelques anges agenouillés adorant le St. Sacrement et révérant la Sainte Vierge.„

“A droite de l'autel, sur la paroi du choeur, on voit une grande composition, où sont représentés le pape St. Grégoire, St. Maur, en habit militaire à l'antique et St. Papias, martyr, et dans le haut, des petits anges. C'est un fort bon tableau exécuté dans une bonne manière. En face sur la paroi de gauche, une composition représentant Ste. Domitille avec S. S. Nérée et Achillée, martyrs; dans le haut, des petits anges tenant en main des palmes. Tout est peint à l'huile, sur pierre d'ardoise et dans un bon goût.„

Le tableau primitif, conservé par Rubens, représente donc St. Grégoire le grand, debout, sous une arcade que surmonte un cadre ovale en pierre, contenant la Madone et l'Enfant. Auprès de St. Grégoire se trouvent Ste. Domitille, St. Nérée et Achillée, puis St. Maurice et St. Papias. Cette composition renfermait donc, à elle seule, le sujet et les personnages aujourd'hui repartis en trois pages. Après avoir brillé pendant deux siècles, comme un monument de piété filiale sur le tombeau de Marie Pypelinckx, le tableau fut transporté en 1811 à Grenoble, par les ordres de Napoléon. Il fait aujourd'hui l'ornement du musée de cette ville et on le considère comme une des oeuvres les plus belles du grand peintre. (1)

La lettre dont nous nous occupons ici, peut passer pour une de ces bonnes pages où l'on admire l'élévation des idées et l'esprit indépendant de Rubens. Celui-ci a les motifs les plus légitimes de se plaindre de la cour de Mantoue; d'un côté, sous prétexte d'économie, on ne lui achète pas son oeuvre; de l'autre côté, on le charge de négocier l'acquisition de l'oeuvre d'un peintre fort à la mode en ce temps-là et assez oublié aujourd'hui. Et avec quelle délicatesse et quel désintéressement il s'acquitte de cette mission que tout autre que lui eut considérée peut-être comme un affront! Avec quelle charmante ironie il demande que le trésorier de Mantoue soit plus ponctuel à payer le Pomerancio qu'il ne l'est à payer Rubens!

L'artiste dont il est question est Christophe Roncalli, dit il cavaliere delle Pomerancie ou il Pomerancio. C'était un élève de Nicolas Circiniano dalle. Pomerancie, qui exécuta, d'abord avec son maître, puis seul, une quantité considérable de peintures à fresque et à l'huile, dont on trouve une nomenclature incomplète dans Baglione. Parmi ses travaux, il en est dont le sujet est le même que celui des tableaux exécutés à la même époque, par Rubens à Rome; ainsi [417] il fit pour le cardinal Baronius une Ste. Domitille avec deux autres saints, puis un St. Grégoire, pape, et une Vierge avec l'enfant Jésus.

Il travailla aussi à la Chiesa Nuova. Dans la petite chapelle de St. Philippe de Neri, à gauche du choeur, il retraça quelques épisodes miraculeux de la vie du saint; dans une autre chapelle, dite de l'Adoration des bergers, il peignit sur la voûte les figures de trois vierges saintes. Mais son oeuvre principale est la décoration de l'église de N. D. de Lorette: il y exécuta la coupole, la chambre du trésor et d'autres parties. Ce vaste travail lui avait été commandé par la faveur du cardinal Crescenzi, malgré la concurrence de Guido Reni et de Michel Ange de Caravage. Furieux de cet échec, celui-ci fit donner à son rival un coup de poignard par un sicaire Sicilien. Heureusement la blessure fut légère. Guido Reni se servit d'une vengeance meilleure, en exécutant des oeuvres plus parfaites que celles de Roncalli. Son historien, Baglione, fait du Pomerancio un grand éloge, sous le rapport des qualités morales: c'était, dit-il, un homme de bien, très honoré, très vertueux. Il avait voyagé par toute l'Europe avec le marquis Vincent Giustiniani. Enfin, après une vie très laborieuse, il mourut chargé d'honneurs et de richesses, le 14 mai 1626. Rubens doit avoir eu avec lui de bons rapports pour avoir exercé cette influence dont témoigne la lettre. Nous ne voyons pas, néanmoins, qu'après son retour au pays, Rubens ait conservé des relations avec lui.

Il eut été intéressant de savoir quel est le tableau que Rubens avait estimé 400 écus. Cette somme ne fut pas payée sans débat de la part de la duchesse de Mantoue. “Ce débat, dit M. Baschet, fut la besogne du résident de Mantoue. Madame la Duchesse, sur ses sages conseils, évita l'expertise, paya en juillet et reçut en septembre le tableau qu'avait commandé et recommandé le peintre de Flandre.„


[418] CXII
PHILIPPUS RUBENIUSSERAPHINO OLIVARIO S. R. E. CARDINALI ROMAM.

Circumegit se fere annus, ex quo Roma discedens vale Illmae et Revermae Dominationi tuae dixi. Hoc interim spatio litterarum nihil exaravi, non quidem oblivione officii, sed singulari quadam et eximia reverentia. Nam, ut veterum nescio quis ait, habet plurimum ponderis tacita veneratio. Et quemadmodum olim ex praecepto divino non quovis tempore, sed in anno semel adytum et penetrale augustissimi et religiosissimi templi ingredi fas erat, ita nec temere nec crebro summates ejusmodi viri vel adeundi vel interpellandi. Accedit quod, cum probe scirem, et ipsa re satis didicissem, quam Illustrissima tua Dominatio pro benigna prolixaque natura factum mihi velit, rejiciendam in id tempus scriptionem existimabam, quo rem factam habere me nuntiare possem. Sed et tertia remora ac sufflamen. Cum enim ante plusculos menses chartis aliquid illusissem, idque cum epistola simul mittere mihi certum esset, objecta mora ab hieme anni maximoque et acerrimo frigore, quod et operis typographicis omni paene opere interdixit, et me in praesentia, ne nullas dem, inanes dare litteras cogit. Sed nescio quomodo dum silentii caussas enarro, scribendi fere materiam consumo. Nam de statu rerum mearum admodum pauca dicere habeo; spirat etiamnum et vitam trahit ille, cujus in locum evocabar, cum ei fatum imminere videretur; atque exspectandum adeo, dum vel ille ipse vel alius in communem abiens locum, suum in Republica locum mihi cedat. Interim otio fruor, et amicitiis studeo cum veteribus confirmandis et colendis, tum novis instituendis et conglutinandis. Ad summam, in occasione non defuturum mihi favorem confido. Liberius haec et familiarius scribo, quod inter curas Illustmae Dominationis tuae et in aliqua gratia fuisse me (et ut porro perpetuo sim, unice opto) saepius et operis et factis expertus sum. Quod superest de publicis, pax in spe quidem est, sed adhuc dubia et incerta. Deus, ut spero, [419] nos aliquando respiciet, quod jugiter eum precor, et ut Illustrissimam et Reverendissimam tuam Dominationem per multos annorum recursus firmam et valentem Ecclesiae bonisque omnibus servet. Antverpiae, Kalendis Martii anni [...], 1608.


S. Asterii, etc. P. 264.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS AU CARDINAL SÉRAPHIN OLIVIER, A ROME.

Une année est presque révolue depuis le jour où, quittant Rome, je vins dire adieu à Votre Éminence. Depuis ce temps, je ne Lui ai pas adressé de lettre, non point par oubli de mon devoir, mais par le motif tout particulier d'un excès de respect. Car, pour me servir des paroles de je ne sais plus quel auteur ancien, une vénération tacite a la plus grande autorité. Jadis, un précepte divin ne permettait pas en tout temps, mais une fois l'an seulement, l'accès au sanctuaire du temple saint et auguste; de même il ne peut être permis d'approcher ou d'interpeller fréquemment et sans discrétion les hommes élevés en dignité. Je n'ignorais pas, en outre, car je l'ai suffisamment appris par le fait lui-même, tout ce que le coeur bon et généreux de Votre Éminence a daigné faire pour moi; j'ai cru pouvoir, avant de lui écrire, attendre jusqu'au moment où j'aurais à Lui annoncer que la chose était faite. Mais il y a un troisième motif de retard.

Il y a nombre de mois, j'avais rempli quelque peu de papier et j'avais décidé de l'envoyer avec une lettre: un retard arrive par suite du froid rigoureux, terrible, qu'il fit pendant l'hiver de cette année, et qui empêcha presque tout travail dans les imprimeries; de sorte qu'aujourd'hui je suis obligé d'envoyer une simple lettre de compliment, à moins de ne pas en envoyer du tout.

Mais en racontant ainsi les causes de mon silence, je ne sais comment il se fait que j'ai à peu près gaspillé mon papier. C'est que, pour le moment, j'ai peu de chose à dire de l'état de mes affaires. Il respire encore et traîne sa vie celui dont on m'a appelé à remplir les fonctions, dans un moment où sa mort semblait imminente; je dois attendre maintenant que lui ou un autre ait satisfait à la loi commune, pour occuper sa place dans notre administration. En attendant, je jouis de mon loisir en m'efforçant de cultiver [420] et affermir de vieilles amitiés, comme d'en créer et resserrer de nouvelles. En somme, je puis attendre l'occasion en toute confiance. J'écris tout cela librement et familièrement à Votre Éminence: Elle a bien voulu me prouver souvent par des actes et par des faits que je suis parmi ceux qu'Elle entoure de ses faveurs. Et mon voeu le plus cher est qu'il en soit toujours ainsi!

En ce qui concerne nos affaires publiques, nous avons l'espérance de la paix, mais cette paix est encore douteuse et incertaine. Notre espoir est que Dieu daignera jeter ses regards sur nous. Je lui adresse mes instantes prières à cet effet et aussi pour qu'il conserve, pendant de longues années, Votre Éminence en force et en santé pour le bien de l'Église et des honnêtes gens.

Anvers, 1 mars de l'an de l'incarnation 1608.

CXIII
PHILIPPUS RUBENIUSLUDOVICO BECCATELLOROMAM.

Quod hactenus officio scribendi temperarim, ingenue et pro ingenio meo fateor, in eo me prorsus culpa non vacare; sed culpa, quae non ab alio fonte, quam ab inertiae quadam dulcedine, quae paullatim subit, et invisam primo desidiam post gratam et amabilem reddit. Nam in amore quidem et memoria tui noli putare me cessasse. Nullus est fere dies, quin Urbem mente et cogitatione respiciam, gratoque recolam animo tum illustrissimi patroni benignitatem et beneficentiam, tum et suavitatem et humanitatem tuam. Quod ut tam firmiter accredas mihi velim, quam ego vere tibi narro: ...[...] (1). Sed et promissum de effigie J. Lipsii[...] penitus in animo meo scriptum est, ac liberabo fidem, simul ac fratrem meum, qui hanc epistolam tibi tradet, ac revolare in patriam cogitat, et jam fere [...], mecum hic esse continget. Nam ab hujus manu praeoptem: [421] quia nec Lipsium a quovis temere depingi decet, nec absque delectu quidlibet eruditis Romanorum oculis offerri. Interim si quid aliud, fidenter impera: faciam tam diligenter, quam libenter. Et quoniam in defectu rerum nihil operae est indulgere verbis, vale mi Beccatelle, et, ut alibi superior, affectu par esto. Antverpise, Kal. Mart. 1608.


S. Asterii, etc. P. 265.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A LOUIS BECCATELLI, A ROME.

Si j'ai temporisé jusqu'à présent dans mon devoir de vous écrire, je n'hésite pas à l'avouer, je ne suis pas tout-à-fait exempt de faute; mais cette faute n'a d'autre source que cette douce nonchalance qui vous surprend peu à peu et vous rend attrayante et aimable une paresse qui d'abord vous semblait odieuse. En effet, ne croyez pas que je vous aie effacé de mon affection et de mon souvenir. Il n'est presque pas de jour que je ne revoie Rome en esprit et ne lui donne ma pensée, pas de jour que mon coeur ne se rappelle la bonté et la bienveillance de votre illustre patron et en même temps votre grâce et votre urbanité. Et croyez que ce que je vous dis est vrai et sincère:

...en mes discours j'aime la vérité.

Quant à la promesse que j'ai faite du portrait de Juste Lipse, le regretté défunt, elle est écrite au fond de mon coeur, et je tiendrai ma parole, dès qu'il me sera donné d'avoir auprès de moi mon frère qui vous remet cette lettre et songe à voler de retour dans sa patrie: déjà il ouvre ses ailes, il est près d'être ici. J'aimerais mieux d'avoir ce portrait de sa main: il ne convient pas de laisser peindre la figure de Juste Lipse par le premier venu, et de mettre, n'importe quoi, au hasard sous les yeux des érudits de Rome. En attendant, si vous avez quelque autre désir, exprimez-le en toute confiance; je vous satisferai avec autant de diligence que de plaisir.

Et, comme à défaut de faits, les paroles ne servent de rien, je vous dis adieu, cher Beccatelli, surpassez-moi en tout, égalez-moi en affection. Anvers, 1 mars 1608.

[422] COMMENTAIRE.

Envoyées par le même courrier, ces deux lettres vont à la même adresse, au cardinal Séraphin et à son secrétaire qui, tous les deux, nous l'avons vu, ont contribué de tout le poids de leur influence, à faire obtenir à Philippe Rubens la position qu'il a occupée auprès du cardinal Ascanio Colonna. Ces deux lettres sont arrivées à Rome sous le couvert de Pierre-Paul: malheureusement nous n'avons plus la missive, adressée à celui-ci, qui les accompagnait. Toutefois, ces lettres contiennent encore quelques nouvelles sommaires qui ne sont pas sans intérêt. Elles nous apprennent que Philippe conservait toujours ses bonnes relations avec un prince de l'Église très influent et nous pouvons admettre que le peintre les partageait avec son frère.

Nous y voyons encore que Philippe avait été appelé à des fonctions dont le titulaire actuel était dans un état de santé précaire. Il s'agit de Jean Boghe ou Bochius, de Bruxelles, un des meilleurs poètes latins que la Belgique ait produits. Après avoir résidé à Rome et accompli de longs voyages, Bochius avait été nommé, par Alexandre Farnèse, un des quatre secrétaires de la ville d'Anvers. Sa santé avait été fortement ébranlée par ses voyages, et à l'époque où Philippe Rubens revint ici, l'on ne croyait pas que Bochius eût encore longtemps à vivre. Cependant, il traîna jusqu'au 13 janvier 1609: le lendemain, Philippe fut nommé à sa place, à l'unanimité.

La lettre à Beccatelli nous apprend qu'en ce moment Pierre-Paul songeait à revenir en Belgique, que son départ même est imminent. Cette nouvelle est étrange: nous ignorons le motif de cette résolution du peintre de quitter Rome. Elle n'est pas la suite du refus du Duc d'acheter le tableau non employé de la Vallicella: la nouvelle de ce refus avait été transmise de Mantoue à Rome par lettre datée du 15 février, et ne doit avoir été connue de Pierre-Paul que vers le 22; or, du 22 elle ne peut être arrivée à Anvers. Le peintre avait à refaire son tableau du maître autel, il lui était impossible de quitter Rome. Il ne peut être question là, nous semble-t-il, que d'un projet de retour motivé par quelque fâcheuse nouvelle de l'état de santé de la mère du peintre, nouvelle qui aura été suivie d'une autre plus rassurante.

Il est parlé, dans la même lettre, d'un portrait de Juste Lipse qui devait, dans l'idée de Philippe, être exécuté par son frère. Nous ne savons si Pierre-Paul, de retour en Belgique, a rempli la promesse. On ne connait, croyons-nous, que deux portraits peints par lui, de Juste Lipse: l'un, dans le tableau dit les quatre Philosophes, à Florence; l'autre, à Anvers, au musée Plantin-Moretus.


[423] CXIV
PHILIPPUS RUBENIUSFRANCISCO BARTHOLINO S.

Avis illa exul hiemis, titulus tepidi temporis (1), ut lepide veterum nescio quis appellat, post longum etiam intervallum ac vel dissitis in locis nidum suum repetit ac reperit; tu, mi Bartholine, amicos, ubicumque gentium sient. In quo certe egregiam tuam indolem et humanitatem, quam in illo, brevi licet, congressu et colloquio videre liquido fuit, agnosco singularem. Sed et simul elegantiam et eruditionem, cujus tam insignes in epistola tua notae. Unde jam et hic habes: ...[...], [...] (2), qui Cl. Persio secundas agat, plenoque laudes tuas ore depraedicet. Facimus id sane cum sedulo, tum lubenter. Neque enim hic, ut aliis in rebus, quantum cuique dederis, tantum tibi detraxeris: imo vero contra, laudum earum, quas amicis tribuimus, aliquis velut radius ad nos redit. Quod cave tamen in eam accipies partem, tamquam ea re supra verum aut meritum quemquam extollam. Nihil a me longius abest assentatione, placetque supra modum pectoris et oris consensus quidam atque concentus. Et id ipsum de te etiam ut credam, facile adducor. Credo nempe quae cupio, nec cornea mihi fibra: atque adeo fere de me plus tibi, quam ipsi mihi credo.

Bene igitur ratio accepti atque expensi inter nos convenit.
Tu me amas: ego te amo, merito id fieri uterque existimat (3).

Et aetatem animati ita simus! Quod ego non modo de me tibi spondere possum, sed de te etiam mihi, qui tam illustre constantiae documentum jam dedisti. Ad effigiem Lipsii[...] quod attinet, ea non unius exstat artificis manu. Ecce eam tibi, quam simillimam, id est optimam [424] judicamus. De litteris ad Puteanum quieto tibi esse licet. Commisimus homini certo et fido. Vale, mi amice magne, et Cl. Spanochio, quod coram aliquando facere commemini, meis verbis officium et obsequium defer; tum etiam Ascanio Persio, cujus De Thermoposia an brevi in lucem? Antverpiae A. D. VI Kalend. Aprilis, 1608.


S. Asterii, etc. P. 266.


TRADUCTION.
PHILIPPE RUBENS A FRANÇOIS BARTOLINI.

L'oiseau qui s'exile l'hiver et revient annoncer la saison tiède, ainsi que l'appelle d'une manière charmante je ne sais plus quel auteur ancien, la cigogne, après une longue absence et un séjour dans les contrées éloignées, retourne vers son nid et le retrouve. Vous, mon cher Bartholini, vous faites de même: vous retrouvez les amis en quelque lieu du monde qu'ils soient. Je reconnais là cet excellent caractère, cette politesse qui vous sont propres et que j'ai si clairement observés pendant une rencontre et une conversation trop courtes. Je reconnais en même temps, l'élégance et l'érudition qui brillent dans votre lettre. Aussi vous avez ici quelqu'un qui

Malgré les monts ombreux et les mers mugissantes
Qui posent entre nous leurs barrières puissantes, vient après Persio publier vos louanges à pleine voix. Et je le fais consciencieusement et de tout coeur. Toutefois, ici comme en d'autres choses, vous n'en retirerez pas pour vous même autant que vous donnez à d'autres, ou plutôt il faut dire que des louanges que nous donnons à nos amis, il nous revient un reflet. N'interprêtez pas cela pourtant comme si, à cette fin, j'exaltais quelqu'un au-dessus de la vérité ou au-dessus de son mérite. Rien n'est plus éloigné de moi que la flatterie; j'aime au-dessus de tout l'accord, le concert du coeur et de la parole. Je me persuade aisément que je dois croire la même chose de vous. Car je crois à ce que je désire, ma fibre n'est pas durcie: en conséquence, pour ce qui me regarde, je crois peut-être plus en vous que je ne crois en moi-même.

[425] Donc sur le compte de la recette et de la dépense nous sommes d'accord entre nous.
Tu m'aimes, je t'aime: chacun de nous est d'avis que nous faisons bien.

Puissions-nous rester toujours clans ces dispositions! A cet égard, je pourrais non seulement vous répondre de moi, mais même de vous envers moi, de vous qui m'avez fourni une si belle preuve de votre constance!

Pour ce qui concerne le portrait de notre regretté Juste Lipse, il a été gravé par plus d'un artiste. Voici celui que nous croyons le plus ressemblant, c'est-à-dire le meilleur. Vous pouvez être tranquille quant à votre lettre à Puteanus; je l'ai remise à un homme sûr et fidèle. Au revoir, mon grand ami, présentez de ma part des paroles de respect à M. Spanoghe, ce que je n'oublierai pas de faire quelque jour moi-même, ainsi qu'à Ascanio Persio. Sa Thermoposia sera-t-elle bientôt publiée? Anvers, le 27 mars 1608.


COMMENTAIRE.

Le personnage auquel s'adresse cette lettre nous est peu connu. C'est un juriste de Bologne qui a tenu avec Puteanus une correspondance dont il existe trois lettres, publiées dans les centuries épistolaires de ce dernier et deux inédites dans le fonds des lettres qui lui sont adressées, fonds qui se conserve à la bibliothèque royale de Bruxelles. Il a correspondu également avec Philippe Rubens, comme on le voit par la lettre publiée ici, la seule que nous connaissions de cette correspondance. C'était un amateur de latinisme: ses épitres à Puteanus sont travaillées à l'excès et n'ont d'autre but que d'opérer des échanges de virtuosité. La lettre qu'il chargeait Philippe Rubens de remettre, avait rapport à des démarches qui se faisaient pour attirer Puteanus à Bologne, où l'on présentait à celui-ci six cents écus d'or d'appointements, comme on peut le voir par la réponse qu'il y fit le 29 mars 1608 (1).

Bartolini appartenait probablement à une famille qui a produit plusieurs juristes dont l'un, Baldo Bartolini, fut célèbre. Parmi les lettres que lui écrit Puteanus, l'une est adressée à Urbin, où vivait à cette époque un Girolamo Bartolini, médecin, dont on connait quelques poésies (2).

Dans une lettre de François Bartolini, à Puteanus, datée de Bologne le 1 septembre 1607, il dit: „j'ai écrit quelque chose, à ce moment, sur je ne [426] sais quoi du droit civil, mais ce n'est guère pour servir le goût du public. Je crains de publier ce travail.” C'est peut-être cet ouvrage qui se trouve en manuscrit dans la collection Albornozzi, à Bologne, un commentaire sur un titre du code Justinien (1).

Ascanio Persio est un prêtre, professeur de lettres grecques à Bologne, qui est auteur d'une histoire de la Madone de St. Luc, sur le mont della Guardia, célèbre pèlérinage près de Bologne (2), et d'un examen de l'ouvrage de Baronius sur les droits de la République de Venise, à propos du différend avec le St. Siége (3). Puteanus fut en correspondance avec lui (4). Nous ne croyons pas qu'il ait publié l'ouvrage dont il est ici demandé des nouvelles. Il mourut avant Philippe Rubens; car on trouve dans le recueil posthume des oeuvres de celui-ci une pièce de vers qu'il écrivit à l'occasion du decès de cet ami (5).

Quant à Spanochius, c'est probablement un Spanoghe, un des nombreux belges qui se trouvaient alors à Bologne.

Cette lettre ne nous fait connaître que des relations fugitives, dont il est utile néanmoins de tenir note. Des documents à découvrir peuvent encore nous apprendre davantage.


[] []

[427] CXV
PIETRO-PAOLO RUBENS AD ANNIBALE CHIEPPIO.

Illusmo mio Sigre

Pare ame debito mio ancor che S. A. non si ritrova a Mantova di dar conto a V. S. Illma della necessità che mi astringe di far quasi una impertinenza, cioè daggiungere ad una assenza cosi longa, un' altra di novo in paesi più distanti, breve però come spero. La causa e che mi sono l'altrhieri venute malissime nove circa la persona di mia madre la quale stà di tal maniera indisposta che aggiunta al gravissmo male d'un astma la grave eta di settanta due anni non si possa sperarne altro fine che quel commune a tutti li humani. Dura cosa mi sara l'andar a tal spectacolo et altretanto duro il andarçi senza licenza del Seremo mio Padrone. I percio ho consultato col Sgr Magni i conchuso che sara bene veder d'incontrarlo in tutti modi per strada et secondo le nove chio ne sentirò nel camino far elettione da tenere questa o quella. Non poco ancora mi consola che ritrovandosi S. A. in Anversa li mei habbiano fatto istanza per la mia venuta et informato a pieno il SigrFilippo Persio et il Sigr Annibale Iberti del bisogno della mia presenza per mezzo delli quali ottennero ancora bona speranza della Pieta di S. A. in tal caso, ma il male non era ancora giunto a quel segno di disperatione nel qual si ritrova adesso, i percio non fecero l'ultimo sforzo per havermi, come fanno al presente. Supplico V. S. Illma volermi favorire di dare di questa mia miseria conto a Madama Sma et iscusarmi se per guadagnar tempo a giungere il Smo Sr Ducca non toccarò Mantova tirando dritto via con ogni diligenza.

Del ritorno mio non dico altro, si non che sarà sempre da me esseguita ogni volonta delli Sermi Padroni et osservata come inviolabil legge in tutti luoci o tutti tempi. L'opera mia in Roma delli tre quadri grandi nella Chiesa Nova e finita e se non m'inganno riuscita [428] la manco mala di mia mano, pur mi parto senza scoprirla (non essendo finiti ancora li suoi ornamenti di marmo) per la fretta che mi caccia che però al essenza del opera nulla importa per esser dipinta in Publico al luoco istesso sopra la Pietra, di maniera che al ritorno di Fiandra potrò venirmene dritto alla volta di Mantova. Che mi sarà di molto gusto per infiniti rispetti, particolarte per poter servire V. S. Illma di presenza. Alla quale baccio le mani pregangola (sic) di voler conservarmi in gracia sua, et in quella di Serenismi Padroni.

Di Roma, alli 28 di Ottobre. L'ao 1608.

En marge: Salendo a cavallo.
Di V. S. Illusma

Divotissmo serre,
Pietro-Pauolo Rubenio.


La feuille d'adresse manque. La lettre est e'crite d'une main plus rapide que d'ordinaire.


Original à l'Archivio Gonzaga, à Mantoue. — Texte et traduction publiés par M. A. Baschet, Gazette des Beaux-Arts. XXIV, p. 489. — Texte seul dans Rosenberg, Rubensbriefe.


TRADUCTION.
PIERRE-PAUL RUBENS A CHIEPPIO.

Il me semble qu'il est de mon devoir, bien que S. A. ne soit pas à Mantoue de vous rendre compte de la nécessité qui m'oblige à commettre une sorte d'impertinence; c'est-à-dire qu'à une absence déjà si longue, je dois en ajouter une autre en des pays plus éloignés, mais une absence qui, je l'espère, sera courte. La cause en est qu'il m'est arrivé avant hier les nouvelles les plus mauvaises de la santé de ma mère: atteinte d'un asthme très grave auquel s'ajoute le poids de ses soixante douze ans, elle est dans une situation telle que l'on ne peut plus espérer pour elle que la fin commune à tous les humains. C'est une chose dure pour moi que d'aller assister à ce spectacle, il est dur aussi de m'en aller là sans la permission de mon patron Sérénissime. C'est pourquoi j'ai consulté M. Magni, et nous avons conclu que je ferai bien de chercher à rencontrer S. A. quelque part dans son voyage, et à choisir, à cet effet, telle ou telle route selon les nouvelles que j'en aurai.

[429] Ce qui me console beaucoup, c'est qu'à l'arrivée de S. A. à Anvers, les miens auront insisté pour me faire venir et informé complètement M. Philippe Persio et M. Annibal Iberti de la nécessité de ma présence. Grâces à l'intervention de ceux-ci, ils auront obtenu bon espoir de la compassion de S. A. dans une pareille circonstance. Mais le mal n'était pas encore arrivé à cet état désespéré où il se trouve aujourd'hui; c'est pourquoi, en m'écrivant alors, ils n'ont pas fait un effort suprême comme ils le font en ce moment. Veuillez, je vous en supplie, Monsieur, me faire la faveur de rendre compte de mon malheur à Madame Sérénissime et m'excuser si, pour gagner du temps et rejoindre Mgr le Duc, je ne touche pas à Mantoue et vais par la route directe en toute diligence.

Je ne vous dis rien de mon retour, sinon que toute volonté du Sérénissime Patron sera toujours exécutée et observée par moi, comme une loi inviolable, en tous lieux et en tous temps. J'ai terminé mon oeuvre des trois grands tableaux de la Chiesa nuova à Rome; si je ne me trompe, c'est l'oeuvre de ma main la moins mal réussie. Cependant, comme les ornements de marbre ne sont pas achevés, je pars sans la découvrir, tant la hâte me chasse. Mais cela n'importe guère pour la condition de l'oeuvre, qui a été peinte, en public, sur le lieu même et sur pierre; de sorte qu'à mon retour de Flandre, je pourrai venir directement à Mantoue; ce qui, à de nombreux égards, me sera extrêmement agréable, surtout pour pouvoir me mettre à votre service par ma présence.

Je vous baise les mains en vous priant de me conserver vos bonnes grâces et celles de mes Sérénissimes patrons.De Rome, le 28 octobre 1608.Votre très dévoué serviteur,

(Montant à cheval). Pierre-Paul Rubens.


COMMENTAIRE.

Depuis le 23 février, nous n'avons plus de document officiel qui nous parle de Rubens. Pendant ces huit mois de silence que s'est-il passé? Quelles ont été ses relations avec Mantoue? Quels ont été ses travaux?

Encore une fois, il n'y a que des conjectures à émettre sur ces questions. Le seul point sur lequel nous avons la certitude: c'est qu'il acheva les trois tableaux de la Chiesa nuova; mais il a dû produire davantage pour remplir un si long espace de temps. On peut supposer, qu'à la suite du refus d'acquisition du tableau proposé au Duc, il y eut de la part du peintre un certain ressentiment; [430] qui dut toutefois se dissiper, puisqu'il n'en parait plus de trace dans cette dernière lettre et que l'artiste resta tranquillement à Rome, sans être inquiété, du moins, à ce que nous en savons.

Son maître, d'ailleurs, avait eu, comme toujours, une foule d'occupations qui devaient l'empêcher de songer aux choses de l'art. Il avait assisté au mariage de son fils avec la princesse Marguerite de Savoie et fait le grand voyage de Flandre dont il est question dans cette lettre.

Les détails de ce voyage nous sont connus par la correspondance des personnages de la suite ou des résidents aux Pays-Bas, correspondance adressée à la Duchesse, au prince de Mantoue, ou au secrétaire Chieppio. Nous la résumons.

Disons d'abord, d'après M. Baschet, que le Duc partit le 18 juin de Marmirolo et se dirigea à petites journées vers Trente, „passa par Inspruck, Bâle, Nancy, où il s'arrêta chez sa fille Marguerite de Lorraine, mariée au duc de Bar. Puis il arrive à Cologne, à Aix-la-Chappelle et enfin à Spa où il séjourne pendant le mois d'août. Le 29 août, il arrive à Bruxelles et fait sa visite aux Archiducs. Dans ses conversations avec ces princes, Vincent de Gonzague a-t-il parlé de son peintre et de la petite correspondance qu'il eut avec eux au sujet de celui-ci? Les lettres d'Iberti n'en disent pas un mot.”

Le 1 septembre, Iberti écrit à Chieppio qu'il est à Anvers avec le Duc. Celui-ci est accompagné d'une suite de trente trois personnes, parmi lesquelles il y a Carlo Rossi, Francesco Biambato, Dionigi Preti, le baron de Lind, etc. Il achète en cette ville beaucoup d'objets de lingerie, des peintures, des curiosités de toute espèce. Il y est logé chez M. Della Faille, rue des Tanneurs (1) et y fait la rencontre de don Inigo de Borgia, gouverneur de la citadelle, du sieur Saluste, un génois et d'autres, et perd au jeu avec le premier près de 7000 philippus.

Le 5 au matin, toute la caravane quitte Anvers et se dirige vers Breda (2). Au delà de la frontière, le prince Maurice les fait escorter par quatre escadrons de cavalerie et les reçoit avec pompe à Breda. „Par toutes les localités où l'on passe, écrit l'ancien résident d'Espagne, il y a une sorte de commotion [431] générale parmi les peuples: on accourt de toutes parts pour voir un aussi grand Prince (un Principe di tanta Grandezza). De Breda l'on se rend par eau à la Haye où les États font au Duc une belle réception, puis à Leide et à Amsterdam. En route, le Duc reçoit la visite du comte Henri, fils de Maurice, qui l'accompagne au retour jusqu'à La Haye. Il se rencontre en cette ville avec Ambroise Spinola, qui est là avec le président Richardot pour traiter de la paix.

En revenant de la Hollande, le Duc passe de nouveau par Anvers, le 16 septembre; il n'y reste qu'un jour et s'embarque pour Malines. “Dans dix jours, écrit d'Anvers, le 17, Carlo Rossi à la duchesse de Mantoue, nous serons à la cour de France. S. A. ne s'y arrêtera qu'une quinzaine. Elle veut se rendre à Marseille et s'embarquer là pour Livourne. Mais j'ai cherché à le détourner de cet itinéraire pour deux motifs: le premier, afin d'éviter qu'en Savoie on ne lui fasse un accueil peu satisfaisant, l'autre, pour qu'il ne passe point par Gênes où je sais qu'il jouera.„

Carlo Rossi, à en juger par d'autres lettres, semble avoir été plus ou moins chargé par la Duchesse de veiller sur son époux: en émettant cette observation sur un passage par Gênes, il faisait allusion aux pertes de jeu que le Duc avait subies en cette cité opulente, quelques années auparavant, pendant l'excursion où Rubens l'avait accompagné.

Lors de ses deux séjours à Anvers, le Duc a-t-il daigné faire une visite à la mère de son peintre; ou même a-t-il accordé une audience, soit à Philippe Rubens, soit à quelqu'autre parent de Rubens?

Nous ne le pensons pas; et même il y a lieu de croire qu'une abstention complète de rapports a été observée envers les Rubens de la part de tous ceux qui accompagnaient le Duc. Pas une seule des relations n'en dit un mot: c'est d'autant plus étrange que Carlo Rossi et Annibale Iberti avaient eu, antérieurement, des rapports intimes avec le peintre. Celui-ci, dans la lettre que nous commentons, se flattait donc d'un vain espoir, en comptant sur Iberti pour une intervention de sa part.

Nous avons consulté les documents — et ils sont nombreux — qui se rapportent au voyage de Vincent de Gonzague aux Pays-Bas et particulièrement à son séjour à Anvers: pas plus que M. A. Baschet, nous n'y avons trouvé un mot dont on puisse inférer qu'il y ait eu même un simple échange de politesse entre les deux parties.

Il est impossible, néanmoins, d'admettre qu'il n'ait pas été parlé au Duc ou à quelqu'un de sa suite, et du peintre et de la triste circonstance pour laquelle celui-ci était rappelé dans son pays.

[432] Nous sommes en mesure de donner les principaux détails du séjour de Vincent de Gonzague à Anvers: ils ne seront pas un hors-d'oeuvre ici, ne fut-ce que pour contribuer à jeter du jour sur la personne et le caractère de ce petit potentat. Les historiens qui feront l'étude psychologique du peintre et de son Mécène, y trouveront, peut-être, quelques traits à utiliser.

Ainsi que nous l'avons fait remarquer, le duc de Mantoue n'était pas un étranger pour les Archiducs; il avait été assistant aux deux actes les plus considérables de leur existence: à leur mariage à Ferrare, à leur inauguration en Belgique. Toutefois, depuis lors ils avaient eu ensemble peu de rapports. Nous avons parcouru la correspondance de Mantoue avec les Pays-Bas et nous y voyons qu'elle se borne, de la part des Archiducs, à des lettres officielles pour des circonstances d'etat-civil dynastique. Ainsi, le 21 avril 1606, deux missives, conçues à peu près dans les mêmes termes, viennent offrir les bons souhaits des Archiducs à propos de l'union de Marguerite, la fille de Vincent de Gonzague, avec le duc de Bar. Puis nous trouvons, dans le même dossier, la lettre d'Albert, redemandant son peintre, le 4 août 1607.

Mais si cette dernière missive, ainsi que la réponse qui y a été faite ont pu causer un léger nuage entre les cours de Bruxelles et de Mantoue, ce nuage doit s'être bientôt dissipé. L'année même du voyage du Duc aux Pays-Bas, à l'occasion du mariage de François de Gonzague, fils aîné de Vincent, avec Marguerite de Savoie, de nouvelles lettres s'échangèrent. A la notification des fiançailles, Isabelle écrivit le 24 janvier et Albert le lendemain, 25; puis de nouveau, le 25 février 1608, partaient de Bruxelles deux missives, l'une signée de l'infante Isabelle, l'autre de l'archiduc Albert, “à mon bon cousin le duc de Mantoue,„ et portant des félicitations au sujet du mariage qui doit avoir lieu le 29. “Ce mariage, dit Isabelle, ne pourra sinon augmenter et confirmer la liaison et estroitte amitié qu'il y a eu jusques à présent entre nous tous.„ Le 1r mars et, enfin, le 31 mai, l'Infante annonce au Duc et à la Duchesse qu'elle a envoyé le Sr D'Olaus, “l'un de mes maistres d'Hôtel,„ et, le 6 juin, on écrit de nouveau: “l'Infante et moi nous envoyons M. d'Andelot pour féliciter M. le prince de Mantoue sur son mariage.„

D'après tout cela, on peut dire qu'à l'époque où nous sommes les rapports entre les deux cours étaient excellents.

Le 17 juillet 1608, Vincent avait écrit à ses bons cousins des Pays-Bas qu'il se proposait de faire dans leurs États un séjour à Spa, pour cause de santé. Le comte Charles de Caffino remit la lettre aux Archiducs, qui y [433] répondirent, comme toujours, chacun de son côté, le 26 et le 28, en souhaitant affectueusement au Duc qu'il pût trouver “au lieu de Spa„ la guérison de ses infirmités.

A peine y est-il arrivé, que la Duchesse lui écrit de nouveau, le 13 août, de Bruxelles: “Mon bon cousin. Estant advertie de vostre venue au lieu de Spa, j'ay bien voulu vous y faire visiter et bienvegner par le présent gentilhomme de ma bouche, Messire François de Croy, Sieur Noir-Tour, qui vous donnera compte de ma santé et de mon souhait que l'usage de l'eaue de celle fontaine vous puisse apporter l'effect que vous désirez. Dont je prie Dieu de vous bienheurer. Votre bonne cousine, Isabel.„ Le lendemain, Albert écrivait la même missive en espagnol (1).

Le séjour du Duc ne fut pas long à Spa. Le 29 août, il vient à Bruxelles et fait visite aux Archiducs (2). Ceux-ci annoncent l'arrivée de Gonzague au magistrat d'Anvers, qui se rend à sa rencontre, en barques, jusqu'à Willebroeck et le conduit solennellement à l'hôtel de ville. Les deux bourgmestres étaient, cette année-là, Henri van Halmale et Nicolas Rockox: celui-ci était déjà l'un des protecteurs de Philippe Rubens et devint, peu après, l'ami le plus intime de Pierre-Paul qu'il avait connu probablement déjà avant son départ pour l'Italie. Il semble que Rockox, pendant ses entrevues avec le Duc, a dù lui parler de son peintre; il doit avoir eu aussi, tout au moins l'idée de lui présenter Philippe, lequel connaissait Vincent de Gonzague et avait tous les droits d'obtenir de lui une audience. Mais, nous le répétons, aucun témoignage ne nous en parle. A quoi donc le Duc de Mantoue a-t-il occupé le temps de son séjour aux bords de l'Escaut?

Comme nous l'avons vu, il a acheté des objets de curiosité, et, surtout, il a joué. Les pertes qu'il fit au jeu lui causèrent des ennuis dont l'histoire ne manque pas de saveur.

Ayant donc contracté envers Don Inigo Borgia une dette d'environ 7000 philippus, pour lesquels il avait donné un écrit, il se trouva fort embarrassé. La somme était rondelette. Heureusement, entre les diverses passions que [434] cultivait le duc Vincent, il y avait celle des diamants: il en collectionnait sans cesse et en portait toujours des provisions avec lui.

Il confia donc son épée, ornée de pierres précieuses, et une boîte contenant huit diamants à son valet de chambre, il signor Cosmo Belardi, et le chargea de battre la ville pour tâcher de convertir ces joyaux en bel et bon argent. Sous la conduite de deux agents du Duc, Jacques Antoine Aannez et Jacques Wynman, joaillier, le brave valet emploie deux journées entières à courir les comptoirs des préteurs (1). Mais à cause de la “mauvaise disposition des gens (per la mala dispositione di questi genti), il ne réussit point dans ses négociations. Alors Jacques Aannez, sur les instances du valet, consentit à donner sur cédule, 4000 écus, tout en tenant l'épée en gage. “Il a paru bon, écrit-il au Duc, à Monsieur Cosmo et à M. Wynman de laisser ici dans mes mains cette épée de V. A. afin qu'elle ne coure aucun danger: nous savons combien il est hasardeux de porter avec soi de pareils objets en voyage, Je tiendrai l'épée bien gardée et scellée jusqu'au jour où il plaira à V. A.„

Quant à la boîte à diamants, elle avait été laissée par Wynman à un certain Galerata qui promettait d'en faire le placement. Il n'y réussit point. S'apprêtant à quitter Anvers pour rejoindre son maître, le valet redemanda ce petit trésor; mais Galerata tenait à le conserver comme gage d'une somme de 6000 écus prêtés déjà par lui au Duc. Cette prétention fit naître des incidents tragico-comiques. Le pauvre Wynman se vit ruiné, perdu, déshonoré. Le 30 octobre, il adresse au Duc une lettre dans une langue et un style qui en rendent la traduction malaisée. “J'ai écrit à V. A. une longue lettre comme quoi M. Cosmo m'a apporté ma boite avec les huit diamants; j'en ai fait estimer 3 pièces par un autre joaillier qui ne les portait qu'à 2200 écus, et V. A. me disait que les 8 pièces valent plus de 12000 écus. Le marchand dit que je l'ai trompé; il est venu faire une protestation contre moi en présence de M. Cosmo et il menace de vendre les diamants au cas où V. A. ne lui rendrait pas l'argent dans six mois, et il me rend responsable de tout ce qu'ils se vendraient en moins. Aussi, je vous supplie humblement de ne pas me faire mourir de douleur par suite des difficultés dans lesquelles je me suis mis pour le service de V. A. Mr Hannibal Iberti sait que je n'ai pas voulu gagner un sou dans cette affaire et que j'ai agi seulement par l'amour et l'affection que je porte à V. A.„

Le Duc eut égard à la douleur du joaillier: il lui fit écrire par M. Cosmo [435] Belardi pour le tranquilliser. Dans sa réponse, Wynman annonce qu'il a envoyé sa fille Clara à Mantoue pour y être attachée au service de la Duchesse et il supplie le Duc de la recommander. Elle doit être arrivée à destination étant partie de Bruxelles, le 29 octobre, avec Petro Martoni et une vieille dame. “Et depuis que V. A. a quitté Anvers, ajoute-t-il, j'ai vu ici plusieurs rubis balais, achetés à Londres de quelque grand milord ou prince, desquels 29 m'ont été montrés pour être estimés avant d'être envoyés aux Indes Orientales,„ Et, pour les autres, il engage vivement S. A. à profiter de l'occasion pour les acquérir. Le brave joaillier écrit cela au Duc, le 28 novembre 1608, alors que les diamants de celui-ci sont toujours en gage chez Galerata et l'épée chez Aannez! Galerata s'obstine à vendre les diamants s'il n'est pas payé dans l'année et Aannez est fort embarrassé aussi de son gage. “Ce sera difficile, dit-il dans sa lettre du 26 décembre, de vendre l'épée à son prix; car, V. A. sait qu'à Bruxelles il y a, d'ordinaire, peu d'argent et en ce moment il y en a moins que jamais.„ Quant à l'envoyer en Angleterre, il le déconseille; il faudrait d'abord payer des droits d'entrée et on n'est pas sûr de se défaire d'une pièce de cette importance.

Il restait donc toujours à payer la dette de jeu. Le charitable Aannez réussit à délivrer le Duc de cette épine au pied, en opérant avec dextérité.

Inigo de Borgia avait sans doute passé la cédule du Duc à quelque usurier, car le 28 décembre, Aannez écrit à Mantoue: “Ce Philippe Georges, le Portugais, créancier de V. A. pour les 7000 philippus perdus au jeu, ayant appris combien j'étais en relation avec Elle, m'a fait dire en secret qu'il me céderait volontiers sa créance avec la perte d'un quart. J'ai voulu en donner avis à V. A. afin que si elle le trouve avantageux, Elle m'envoie les fonds; je ferai la quittance en telle forme que V. A. sera censée ne rien savoir de cette transaction, et Elle pourra me faire payer par la voie de Venise.„

Le Duc accepta parfaitement la proposition; le 17 avril 1609, Aannez écrit à S. A. qu'il a reçu de Venise le chèque de 3978 philippus, dont il a remis 3923 à don Inigo. Quant à l'épée, il en a envoyé le dessin en Angleterre, dans l'espoir de la faire acquérir par le Roi.

L'histoire de cette épée et des diamants engagés chez Galerata devient difficile à suivre dans les relations des agents: il y eut encore des péripéties plus ou moins curieuses; mais, en fin de compte, c'est le principal agent du Duc à Anvers, Louis Perez de Baron, d'une famille très liée avec celle de Rubens, qui parait avoir aplani les difficultés financières, tout en vendant, de son côté, de nouveaux diamants à Vincent de Gonzague.

[436] Voilà une épisode du séjour à Anvers. Ajoutons-y les réceptions officielles, un banquet à l'hôtel de ville, les inspections des remparts et de la citadelle, car le Duc se piquait de hautes connaissances dans l'art militaire, et l'on comprendra qu'il n'eut pas beaucoup de loisir pour faire ou recevoir des visites. Nous en trouvons encore une preuve dans un autre document.

Le savant Aubert Le Mire (Miraeus), encore un des amis les plus intimes de la famille Rubens, avait voulu obtenir quelques détails sur l'Ordre du Rédempteur, institué cette même année par le duc de Mantoue. Il s'adressa donc personnellement à celui-ci à Anvers; mais absorbé “par de graves affaires„ le Duc ne put lui donner audience. Le consciencieux historien fut réduit à lui adresser, à quelques jours de là, par écrit, une demande de renseignements (1).

Nous ne devons pas oublier de dire qu'il résulte d'une lettre de Claudio Monteverdi à Chieppio, du 2 décembre 1608, que l'illustre musicien fut de la suite du Duc pendant le voyage aux Pays-Bas (2). Lui aussi, qui devait connaître Pierre-Paul et même Philippe Rubens, eut parfaitement pu faire une visite à celui-ci à Anvers. Nous n'en trouvons aucune trace.

Il résulte de tout ce qui vient d'être dit que la famille du peintre semble avoir été tout à fait négligée. Était-ce de parti pris? Nous le croyons. Malgré toutes les “graves affaires„ dont il était occupé, Vincent de Gonzague eut aisément trouvé, s'il l'avait voulu, une heure de libre pour aller voir la mère du peintre; et Philippe Rubens, de son côté, s'est abstenu d'aller saluer au passage le patron de son frère. Un désaccord entre le Duc et la famille du peintre nous apparaît comme un fait très probable, sans que nous puissions découvrir ce qui l'aurait provoqué. La mère et le frère ont-ils travaillé à rompre les liens qui attachaient Pierre-Paul à Vincent de Gonzague et à l'Italie? N'y avait-il pas une dissidence, sous ce rapport, entre le peintre et Philippe? De l'ensemble des circonstances nous osons en tirer la conjecture: Pierre-Paul avait la passion de l'Italie, passion que les siens regardaient comme malheureuse à cause des déboires qu'il y avait subis et des difficultés qui se dressaient devant lui pour se créer une carrière; et [437] c'est seulement après un rappel énergique, et pour un motif sacré, qu'il est revenu aux Pays-Bas, mais avec la ferme volonté de retourner à Rome et à Mantoue. Cette différence de point de vue peut se lire entre plus d'une ligne des documents publiés jusqu'ici.

De la lettre de Pierre-Paul il résulte, qu'au moment de son départ de Rome, il n'avait pas reçu de nouvelles de l'arrivée du Duc en Belgique, et que la missive qui le rappelait impérieusement doit être partie d'Anvers avant le 1r septembre. Elle a donc été deux mois en route, ce qui semble extraordinaire, attendu que les courriers mettaient cinq à six semaines seulement pour faire la traversée. Nous ne pouvons pas supposer que Philippe eût écrit à son frère après le séjour du Duc à Anvers sans dire un mot de ce qui s'est passé.

On fera peut-être une objection au sujet de la conduite du duc de Mantoue à Anvers.

Il ne faut pas s'étonner, dira-t-on, de son abstention et de son silence à l'égard de la famille Rubens. Il ne devait pas agir autrement: Pierre-Paul, à cette époque, n'était qu'un jeune artiste inconnu et Vincent de Gonzague était un souverain.

Nous n'envisageons pas les choses ainsi. Sans doute, Pierre-Paul n'était qu'un simple pensionnaire de M. de Mantoue, mais il y avait déjà en lui mieux qu'un débutant en peinture et son maître lui-même le considérait comme un artiste de valeur, témoin les travaux et les commissions dont il le chargeait à Rome et en Espagne, témoin encore la réponse qu'il fit à l'archiduc Albert. De toutes les circonstances que nous connaissons, il ressort, ce nous semble, qu'au fond, Vincent de Gonzague tenait Rubens pour être quelqu'un, même en dehors de la peinture.

Pendant son séjour à Anvers, le Duc pouvait peut-être, en sa qualité d'Altesse Sérénissime, se dispenser d'aller en personne visiter la mère et le frère de son peintre, mais il n'aurait nullement dérogé à sa grandeur en les invitant, en les recevant, en leur envoyant, tout au moins, quelqu'un de sa nombreuse suite. Il ne pouvait ignorer que Madame Rubens était à l'extrémité; ce seul titre de mère d'un peintre attaché à son service eût, en d'autres temps, suffi certainement pour lui inspirer une démarche généreuse de respect et de commisération.

S'il agit d'une façon toute autre, ce n'est pas dans l'extrême différence de condition sociale qu'il faut en chercher le motif, c'est bien dans une différence de rapports, subitement survenue, qu'elle doit résider. La preuve en est dans [438] la suite des événements. Peu après le retour de Rubens au pays, la célébrité s'attache à son nom: or, depuis ce temps, les archives de Mantoue sont muettes; on n'y trouve plus aucune trace de relations: ni le Duc, ni Chieppio, ni un seul des dignitaires ou des familiers de la Cour ne semblent s'être souvenus de lui. Ainsi que M. Baschet et nous-même l'avons constaté, pas un seul des nombreux correspondants de Belgique ne disent un mot de ses oeuvres ou de ses actes. Lui seul se souviendra quelquefois de Mantoue et en parlera avec attendrissement.

Mais quant à la cause immédiate de la rupture, elle nous est inconnue.

Quand Pierre-Paul partit de Rome, sa mère était morte depuis sept jours: le décès, selon l'épitaphe, ayant eu lieu le dimanche 19 octobre.

Nous pouvons jusqu'à un certain point déterminer la route qu'il prit pour son retour. Il dit qu'il s'efforcera de rencontrer le Duc en chemin: il devait donc savoir, à peu près, par le résident Magno, l'itinéraire de Vincent de Gonzague, tout au moins celui du retour en Italie, et même la date de ce retour; car on ne pouvait pas ignorer que le Duc devait être à Florence le 18 novembre pour assister aux noces de Cosme II de Médicis. On ne pouvait ignorer non plus que le retour se ferait par la France, et, conséquemment, de Paris à Marseille et de là à Gênes, la route habituelle des voyages du Duc en France. Rubens doit donc avoir tiré en ligne directe sur Gênes. De Rome à Gênes, il y a cent lieues: en voyageant à raison de 10 lieues par jour, le peintre est arrivé le 7 novembre. Il peut avoir appris là que le Duc y était attendu; en effet, celui-ci y débarque le 11. Rubens s'est-il arrêté à Gênes pour avoir une entrevue avec son maître, ou s'est-il embarqué pour Marseille dans l'espoir de le rencontrer en cette ville? Ou, de Gênes a-t-il pris le chemin le plus court en se dirigeant sur Turin; puis traversant la Savoie, la Bresse, la Bourgogne, la Lorraine pour atteindre les Pays-Bas?

Nous en sommes réduits aux conjectures: aucun renseignement ne nous est parvenu. Tout fait supposer cependant qu'il n'a pas vu le Duc en route: nous croyons donc qu'il ne s'est pas arrêté à Gênes et qu'il a tiré vers la Belgique par la voie la plus prompte. Il y a de Rome à Anvers environ 350 lieues; en y mettant toute la diligence possible, Rubens n'a pu faire ce trajet en moins de cinq semaines; c'est-à-dire arriver à Anvers avant le 6 décembre 1608. Il y était, comme nous le verrons, avant le 11.

Il fit probablement la route avec son fidèle élève et ami Déodat vander Mont ou del Monte, cet artiste qui doit à Rubens, bien plus qu'à son talent personnel, une destinée relativement brillante; car il fut un jour créé chevalier [439] comme son maître, il épousa une femme riche et vécut, à ce qu'il paraît, dans une certaine opulence.

Un document assez étrange, un acte passé devant notaire le 19 août 1628, on ne sait pour quel motif, nous apprend quelque chose de l'amitié des deux hommes: c'est un certificat de bonne vie et moeurs donné par Rubens en faveur de Déodat. Il y est dit: “Le comparant connaît M. Déodat en ce qui concerne sa vie, ses moeurs, ses sentiments religieux, son nom et sa réputation. Il le connaît pour l'avoir, il y a un grand nombre d'années, reçu et nourri sous son toit et lui avoir appris l'art de la peinture, art que M. Déodat a si bien embrassé depuis les premiers principes, qu'en peu de temps il y fit des progrès étonnants. Le sieur comparant ayant, entretemps, parcouru diverses régions, particulièrement l'Italie et d'autres parties du monde, a toujours été suivi par M. Déodat, qui a été son compagnon dans tous ces voyages. Toujours et en tous lieux, il s'est montré obéissant, intègre, véridique, actif, zélé dans l'étude de la peinture et de tous les beaux arts, probe, honnête, bienveillant. De plus, il est très dévoué à la foi orthodoxe, catholique et romaine, la seule vraie; il en pratique si bien les préceptes qu'il est devenu cher, non seulement au sieur comparant, son maître, qui se dit satisfait de lui complètement, mais encore à tous ceux qui le connaissent„ (1).

On doit donc inférer de là que Déodat fut le compagnon de Pierre-Paul pendant tout l'exode d'Italie, et même pendant la mission en Espagne. Nous avons un document qui constate son séjour à Rome. En juin 1608, un marchand d'Anvers, Jean Pabero, avait envoyé en cette ville deux boîtes contenant 59 diamants, dont la poste, on ne sait pour quel motif, opéra la soustraction. Un procès fut intenté à l'administration qui dut restituer les objets. Parmi les témoins qui figurent dans l'affaire, on remarque Nicolas van Aelst, imprimeur alla Pace, Guillaume Terranova d'Anvers (Willem van Nieuwelandt, le peintre), Niccolo Balesne, Théodore Vallorio, peintre, et Diodato di Drainante, d'Anvers. Ce dernier nom, mal orthographié, désigne, selon toute probabilité notre Déodat del Monte (2).

Celui-ci doit être revenu peu de temps après au pays, car en cette année [440] 1608, il figure déjà comme franc-maître dans le Ligger de la confrérie de St. Luc (1). Il est donc probable qu'il est rentré à Anvers en même temps que Pierre-Paul.

L'étroite union, qui s'était établie entre les deux hommes en Italie, ne se relâcha point après leur retour ici: elle se perpétua, pour ainsi dire, jusques chez leurs enfants. Albert Rubens, le fils de Pierre-Paul, épousera un jour Clara del Monte, la fille de Déodat.

Si Déodat ne devint qu'un peintre assez médiocre, malgré l'affirmation bénévole de Rubens, il doit avoir possédé d'autres qualités pour que celui-ci l'ait trouvé digne de cette longue et profonde affection. Malheureusement, aucune lettre, aucun document, autre que celui dont nous venons de parler, ne nous en ont conservé le témoignage.

Ayant quitté la Belgique en mai 1600, Rubens avait donc fait une absence de huit ans et demi. Après son départ de l'Italie, il ne revit plus jamais ce pays qui avait exercé sur lui une si puissante fascination et où il accomplit la première étape de sa glorieuse carrière.


FIN DU TOME PREMIER.


TABLE.

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I. Balthasar Moretus à Philippe Rubens. Anvers, 3 novembre 1600 1
II. Philippe Rubens à Pierre-Paul Rubens. Louvain, 21 mai 1601 5
III. L'archiduc Albert à Jean Richardot. Bruxelles, 8 juin 1601 21
IV. Vincent de Gonzague au cardinal Montalto. Mantoue, 8 juillet 1601 28
V. Le cardinal Montalto au duc Vincent de Mantoue. Rome, 15 août 1601 29
VI. Lelio Arrigoni au conseiller Annibal Chieppio. Rome, 14 septembre 1601 30
VII. Philippe Rubens à Pierre-Paul Rubens. Padoue, 13 décembre 1601 38
VIII. Lelio Arrigoni à Chieppio. Rome, 12 janvier 1602 41
IX. Jean Richardot au duc de Mantoue. Rome, 26 janvier 1602 43
X. Lelio Arrigoni à Chieppio. Rome, 20 avril 1602 49
XI. Philippe Rubens à Jean van den Wouwere. Padoue, 26 juin 1602 51
XII. Philippe Rubens à Pierre-Paul Rubens. Padoue, 15 juillet 1602 59
XIII. Juste Lipse à Philippe Rubens. Louvain, 22 septembre 1602 66
XIV. Philippe Rubens à Erycius Puteanus. Bologne, 3 novembre 1602 70
XV. Le duc de Mantoue à Annibal Iberti. Mantoue, 5 mars 1603 79
XVI. Le duc de Mantoue à Annibal Iberti. Mantoue, 5 mars 1603 84
XVII. Giovanni Magno (à Chieppio). Mantoue, 5 mars 1603 85
XVIII. ...? à Annibal Iberti. Mantoue, 5 mars 1603 88
XIX. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Florence, 18 mars 1603 96
XX. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Pise, 26 mars 1603 103
XXI. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Pise, 29 mars 1603 106
XXII. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Livourne, 2 avril 1603 112
XXIII. Pierre-Paul Rubens à Jean van der Neesen. Alicante, 22 avril 1603 118
XXIV. Domitio Peroni à Belisario Vinta. Valladolid, 13 mai 1603 124
XXV. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 16 mai 1603 125
XXVI. Pierre-Paul Rubens au duc de Mantoue. Valladolid, 17 mai 1603 128
XXVII. Annibal Iberti à Chieppio. Valladolid, 17 mai 1603 130
XXVIII. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Valladolid, 17 mai 1603 133
XXIX. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 26 mai 1603 139
XXX. Annibal Iberti à Chieppio. Valladolid, 24 mai 1603 142
XXXI. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Valladolid, 24 mai 1603 144
XXXII. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 7 juin 1603 151
XXXIII. Annibal Iberti à Chieppio. Valladolid, 14 juin 1603 154
XXXIV. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 26 juin 1603 158
XXXV. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 6 juillet 1603 159
XXXVI. Annibal Iberti à Chieppio. Valladolid, 6 juillet 1603 165
XXXVII. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 13 juillet 1603 167
XXXVIII. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 18 juillet 1603 168
XXXIX. Annibal Iberti à Chieppio. Valladolid, 18 juillet 1603 177
XL. Pierre-Paul Rubens au duc de Mantoue. Valladolid, 17 juillet 1603 178
XLI. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Valladolid, 17 juillet 1603 180
XLII. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 18 juillet 1603 187
XLIII. Annibal Iberti à Chieppio. Valladolid, 18 juillet 1603 193
XLIV. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 31 juillet 1603 195
XLV. Annibal Iberti à Chieppio. Valladolid, 31 juillet 1603 198
XLVI. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 14 août 1603 200
XLVII. Juste Lipse à Séraphin Olivier. Louvain, 19 août 1603 202
XLVIII. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 23 août 1603 205
XLIX. Annibal Iberti à Chieppio. Valladolid, 15 septembre 1603 208
L. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Valladolid, 15 September 1603 210
LI. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 19 octobre 1603 213
LII. Juste Lipse à Philippe Rubens. Louvain, 3 novembre 1603 215
LIII. Domitio Perone à Belisario Vinta. Valladolid, 13 novembre 1603 217
LIV. Annibal Iberti au duc de Mantoue. Valladolid, 23 novembre 1603 222
LV. Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Valladolid, novembre? 1603 225
LVI. Domitio Perone à Belisario Vinta. ...? 22 décembre 1603 230
LVII. Juste Lipse à Philippe Rubens. Louvain, 31 janvier 1604 232
LVIII. Philippe Rubens à Pierre-Paul Rubens. Février? 1604 236
LIX. Commission ducale pour Pierre-Paul Rubens. 2 juin? 1604 242
LX. Commission ducale pour Pierre-Paul Rubens. 2 juin? 1604 id.
LXI. Francesco Pasolini à Annibal Iberti. Mantoue, 22 juin 1604 250
LXII. Juste Lipse à Gaspar Scioppius. Louvain, 14 août 1604 252
LXIII (par erreur LXI) . G. Scioppius à Juste Lipse. Rome, 7 octobre 1604 261
LXIV (LXII). Philippe Rubens à Balth. Moretus. Louvain, 12 février 1605 266
LXV (LXIII). Juste Lipse au cardl Ascanio Colonna. Louvain, 1 avril 1605 269
LXVI (LXIV). Juste Lipse au cardl Séraphin Olivier. Louvain, 1 avril 1605 273
LXVII (LXV). Aderbal Manerbio à Chieppio. Prague, 25 avril 1605 276
LXVIII (LXVI). Chieppio à A. Manerbio. Mantoue, 6 mai 1605 277
LXIX (LXVII). Le duc de Mantoue à A. Manerbio. Mantoue, 30 septembre 1605 278
LXX (LXVIII). A. Manerbio à Chieppio. Prague, 24 octobre 1605 279
LXXI (LXIX). Philippe Rubens au cardl Sér. Olivier. Louvain, 31 juillet 1605 280
LXXII (LXX). Juste Lipse à Louis Beccatelli. Louvain, 24 septembre 1605 284
LXXIII (LXXI). Balthasar Moretus à Philippe Rubens. Anvers, 6 janvier 1606 286
LXXIV (LXXII). Le pape Paul V à Juste Lipse. Rome, 7 janvier 1606 295
LXXV (LXXIII). G. Magno à Chieppio. Rome, 11 février 1606 303
LXXVI (LXXIV). Philippe Rubens à Balthasar Moretus. Rome, 17 février 1606 305
LXXVII (LXXV). G. Scioppius à Philippe Rubens. Rome, 17 février 1606 308
LXXVIII (LXXVI). Juste Lipse à Marcello Vestrio Barbiano. Louvain, 27 février 1606 310
LXXIX (LXXVII). G. Scioppius à Juste Lipse. Rome, 18 mars 1606 313
LXXX (LXXVIII). G. Scioppius à Juste Lipse. Rome, 1 avril 1606 324
LXXXI (LXXIX). Philippe Rubens à Juste Lipse. Rome, 1 avril 1606 326
LXXXII (LXXX). Balthasar Moretus à Philippe Rubens. Anvers, 7 avril 1606 330
LXXXIII (LXXXI). Philippe Rubens à Balthasar Moretus. Rome, 23 juin 1606 333
LXXXIV (LXXXII). Giuliano Dieciaiuti au duc de Mantoue. Florence, 18 juillet 1606 336
LXXXV (LXXXIII). Philippe Rubens à Erycius Puteanus. Rome, 22 juillet 1606 338
LXXXVI (LXXXIV). Balthasar Moretus à Philippe Rubens. Anvers, 28 juillet 1606 343
LXXXVII (LXXXV). Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Rome, 29 juillet 1606 346
LXXXVIII (LXXXVI). Philippe Rubens à Balthasar Moretus. Rome, 2 septembre 1606 348
LXXXIX (LXXXVII). Balthasar Moretus à Philippe Rubens. Anvers, 17 novembre 1606 351
XC (XIC). Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Rome, 2 décembre 1606 354
XCI (XC). Le duc de Mantoue à Chieppio. Comacchio, 13 décembre 1606 357
XCII (XCI). Giovanni Magno à Chieppio. Rome, 17 février 1607 362
XCIII (XCII). Giovanni Magno à Chieppio. Rome, 24 février 1607 363
XCIV (XCIII). Giovanni Magno à Chieppio. Rome, 31 mars 1607 365
XCV (XCIV). Giovanni Magno à Chieppio. Rome, 7 avril 1607 366
XCVI (XCV). Giovanni Magno à Chieppio. Rome, 14 avril 1607 367
XCVII (XCVI). Giovanni Magno à Chieppio. Rome, 28 avril 1607 367
XCVIII (XCVII). Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Rome, 28 avril 1607 370
XCIX (XCVIII). Giovanni Magno à Chieppio. Rome, 9 juin 1607 373
C (XCIX). Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Rome, 9 juin 1607 376
CI (C). Le cardl Borghèse au duc de Mantoue. Rome, 9 juin 1607 380
CII (CI). Philippe Rubens à Georges Uwens. Anvers, 11 juin 1607 383
CIII (CII). L'archiduc Albert au duc de Mantoue. Bruxelles, 5 août 1607 387
CIV (CIII). Le duc de Mantone à l'archiduc Albert. Quignentola, 13 septembre 1607 380
CV (CIV). Le duc de Mantone à l'archiduc Albert. Quignentola, 16 septembre 1607 390
CVI (CV). Paul-Augustin Spinola à Chieppio. Gênes, 26 septembre 1607 393
CVII (CVI). Philippe Rubens à Pierre Pecquius. Anvers, 11 décembre 1607 396
CVIII (CVII). Giovanni Magno à Chieppio. Rome, 2 février 1608 401
CIX (CVIII). Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Rome, 2 février 1608 403
CX (CIX). Gio. Magno à la duchesse de Mantoue. Rome, 2 février 1608 408
CXI (CX). Annibal Chieppio à Giovanni Magno. Rome, 15 février 1608 410
CXII (CXI). Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Rome, 23 février 1608 412
CXIII (CXII). Philippe Rubens au cardinal Olivier. Anvers, 1 mars 1608 418
CXIV (CXIM). Philippe Rubens à Beccatelli. Anvers, 1 mars 1608 420
CXV (CXIV). Philippe Rubens à Bartolini. Anvers, 27 mars 1608 423
CXVI (CXV). Pierre-Paul Rubens à Chieppio. Rome, 28 octobre 1608 427


FAC-SIMILES.

1. Lettre de Philippe Rubens à Erycius Puteanus du 3 novembre 1602 70
2. Lettre de Pierre-Paul Rubens à Chieppio du 18 mars 1603. (La plus ancienne lettre connue du peintre) 96
3. Lettre de Pierre-Paul Rubens à Chieppio du 29 juillet 1606. (Écrite par Philippe Rubens) 346
4. Lettre de Pierre-Paul Rubens à Chieppio du 2 décembre 1606. (Écrite par Philippe Rubens) 354
5. Lettre de Vincent de Gonzague à son fils 382
6. Lettre de Pierre-Paul Rubens à Chieppio, du 28 octobre. (La dernière éerite en Italie) 427


[] AVIS.

Si les Documents épistolaires forment une source de premier ordre pour l'histoire de Rubens, il en est une autre qui a une importance non moins grande: c'est celle des témoignages consignés dans les biographies ex professa, dans les écrits de contemporains, etc. Ces témoignages seront recueillis dans un recueil spécial. C'est à celui-là que nous renvoyons un certain nombre d'extraits et d'études qui auraient notablement grossi les commentaires de ce volume, si nous avions dû les y fusionner. Ainsi, pour la période italienne de la vie de Rubens, nous omettons ici un document relatif à la résidence du peintre à Venise, une notice sur Mantoue et les personnages connus qui y demeuraient au temps de Rubens, une notice semblable sur ses relations à Rome, sa liaison avec Scioppius, etc. Des recherches, qui se continuent sans relâche, augmenteront probablement ce contingent déjà considérable, dont la publication serait, par conséquent, inopportune aujourd'hui.


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