Le Livre d'Enigmes de Jacques de Fonteny: Manuscrit d'une série de sonnets para-emblématiques illustrés du début du XVIIe siècle

[Table des matières]
[Ir - Page de titre du manuscrito]
[1ro]

fo1 ro: [Armoiries]

Illustration

Notes

Armoiries : écu ; un léopard de sable en chef ; chevrons ; surmonté d’un heaume fermé.

Aucune famille de Fonteny n’est connue en héraldique, les armoiries seraient celles du destinataire ou du propriétaire du manuscrit.

Les différents éléments du blason, un « lion léopardé » de profil et une ligne dessinant huit pics (« denché»), sont des éléments héraldiques classiques connus : il n’y a sur le manuscrit aucune indication graphique de couleur héraldique. La décoration du casque est peut-être elle aussi incomplète, mais le heaume fermé signale un chevalier ou un écuyer, noblesse récente ou sans titre particulier.

Il y a consensus pour dire que ce blason non nommé, que l’on ne peut rattacher à aucune famille, ni à aucune noblesse, si l’on n’est pas un expert ou un familier, compte parmi les éléments “énigmatiques” de ce manuscrit. Sa position avant le premier folio pourrait donc bien avoir pour fonction de donner le ton de ce qui suit.

Pourtant on trouve le destinataire par cette particularité du « chef denché » : il s’agit du blason des Authier de Villemontée, blason qui, si ce manuscrit était ensuite colorié au pinceau (ce qui se fait au xviie siècle pour personnaliser un manuscrit ou un imprimé afin d’en faire un cadeau esthétique), donnerait : d’azur, au chef denché d’or, chargé d’un lion léopardé de sable, armé et lampassé de gueules. Le blason est bleu, le lion noir se détache sur fond or, langue et griffes rouges.

La devise qui pourrait être jointe aux armoiries est : Nec dura, nec aspera terrent : ni les choses difficiles, ni les choses rudes ne les effraient.

Les Authier 1 sont une famille ancienne du Bourbonnais dont on trouve trace depuis les Croisades. Elle s’est subdivisée en une branche aînée qui porte les titres de Chazeron et une branche cadette qui porte le nom de Villemontée. Les générations qui peuvent concerner Fonteny (vivants dans un créneau chronologique 1585-1630) nous donnent plusieurs personnages possibles, sur trois générations, parmi les descendants de François Authier de Villemontée mort en 1557 :

➀ Jacques Ier de Villemontée, † 1594, chambellan du duc d’Alençon ; il a épousé en 1574 Marguerite de Bar, † après 1606, dame de La Chassaigne.

➁ son fils Louis, capitaine de 100 hommes d’armes, sert sous le duc de Montmorency, puis dans l’armée d’Henri IV ; il a épousé Anne de Scorailles

➁ son 3e fils Jacques, seigneur de Chasteauneuf, épouse en 1598 Louise de Gironde

➀ Guillaume de Villemontée, épouse Marguerite de Chauffour

➁ Jean de Villemontée épouse Madeleine Texier

➂ Jean II de Villemontée, correcteur en la chambre des comptes, épouse en 1605 Louise Rouillé

➁ Charles de Villemontée, avocat au Parlement, procureur du roi au Châtelet, président de la Cour des Aides, épouse en 1566 Jeanne de Vigny, fille du receveur de Paris

François, † 1614, seigneur de Montaiguillon, procureur du Roi en 1587, conseiller au grand conseil en 1594, Président à la cour des Aides en 1602, Intendant de Soissons, conseiller d’Etat en 1603, épouse en 1590 Jeanne de Verdun, fille de l’intendant des finances.

➃ François II de Villemontée, chevalier, seigneur de Montaiguillon et Villenaux, conseiller du Parlement de Paris 1620, maitre des requêtes de l’Hôtel du roi, intendant de justice en Poitou 1633, épouse Philippa de La Barre (ultérieurement, après une vocation tardive, il meurt évêque)

➂ Charles de Villemontée, conseiller au grand conseil, épouse Catherine de Ronceray

Bref, une famille noble, ancienne, mais n’ayant jamais possédé de grands titres ni de grands fiefs, dont les branches cadettes optent pour des offices parlementaires parisiens. Leur situation parisienne convient avec les relations de Fonteny à Paris, et avec la partie parlementaire de ses dédicataires ou des auteurs des poèmes d’escorte de son recueil de 1587.

Si on veut restreindre le choix, on peut constater que Fonteny a écrit successivement : Épitaphes et regrets funèbres sur la mort de vertueux et noble homme Charles de Villemontée, seigneur de Montaguillon, s.l., 1599 et Les Anagrammes latins et françois, tirez de l’illustre nom de Monseigneur messire Nicolas de Verdun, chevalier, conseiller du roy en son conseil d’Estat et privé, à Paris, chez Jean Bessin, 1611. Notre Villemontée serait de préférence François, le fils de Charles et l’époux de Jeanne de Verdun.

[1vo]
Illustration
De cire noire ou de blanc je suis parfoys vestue
Si je sers un marchant afin de me gaster
Vray [...][.....] et grand me font porter
avec un bien du tout [...]
Les marchands qui craignants que quelque malheur
Estans jaloux me voulant , qu'en me voulant taster
De cuir noire rouge ou blanc je suis parfois vestue
Et je [.....] afin de ne gaster
mon vestement que t [..]
[.....]
aux [....][.....] attendus j'ay transmis quelque affaire
Pour de [.....] il se passe en allant vend--
Portans dessus mon sein ou bien y retournant
[.....]
A mes [.....] j'ay transmis quelque affaire
Je scay tout ses secrets mais mon [....][...] tion
[.....] le marchans me va ques e etion
De cuir noir ou de blanc l'on me
[.....]
avec moy les marchants ont icy un affaire
Je suis aux financiers qui a [.....]
[.....]
Plusieurs sortes de gens ont avec moy affaire
je suis ouverte à tous chacun à tous chacun je suis
L'un me dit ses secrets pour avoir ses amys ?
L'aultre me va contant pour le trafiq que veut faire
[.....]
J'ay le tein jaune plus palle a [...] ere
Comme autre guarante
bien serviray mes [..] de s [...] ustion ni quitance
J'ay tousjours le tein jaune palement ? basse
[...] voudrays que [.....] celez trop lourdement

Notes

Le verso du fo 1 comporte un texte de 26 lignes écrites de la même main dite B que les importantes corrections apportées aux sonnets et tout aussi difficiles à déchiffrer. À côté du texte se trouve un monogramme pour lequel l’éditeur du catalogue Wolfenbüttel a proposé la lecture “J D F”, des initiales (s’il s’agit bien d’initiales) qui seraient celles de l’“auteur” ; mais dans la mesure où jusqu’ici il n’y a pas d’autres manuscrits attribués à Fonteny permettant de confirmer cette identification, il faut en rester aux hypothèses (séduisantes).

Cette page, autant qu’on puisse déchiffrer le dispositif (des lignes groupées séparées par des traits) et quelques mots rescapés d’une écriture difficile, est composée de vers, des esquisses réitérées de la première énigme qui lui fait face sur le manuscrit. Nous y apprenons donc que ces vers si peu poétiques sont pourtant le fruit d'un travail (il y a au moins trois esquisses de ce qui va corriger le premier vers « De cuir noir ou de blanc je suis parfois vestue », et quatre d’un vers en définitive non retenu qui se terminait par « J’ay transmis quelque affaire ». Nous y découvrons aussi le travail alterné des auteurs et des secrétaires, dont le travail est essentiel pour transformer un gribouillis en poème transmisible, que ce soit vers un mécène ou vers un éditeur. Enfin nous savons que notre texte est tout à fait instable ; bien que recopié, le cahier ne pourra plus passer pour le cahier destiné à un mécène, le voilà raturé sitôt qu’il a été lisiblement écrit par un secrétaire…

Soit cette main B est celle de Fonteny, qui écrivait très mal et a eu raison de faire recopier son premier jet de texte : il saborde maintenant toute possibilité de l’offrir ! Soit cette main B est celle d'un anonyme qui trouve le cahier, ou en hérite, et travaille à partir de lui, pour un jeu littéraire où il considère que le respect de la propriété intellectuelle n’est pas engagé.

[2ro]

fo 2 ro — [Tablettes]

Illustration
Si je sers un marchant de cuir je suis vestûe
Pource qu’avecques luy il me convient trotter ;
Le courtisan me faict or & velours porter,
Mais tous deux sont jaloux si quelqu’un m’a tenue.
   Au courtisant je suis plus qu’au marchant tenue :
Dans les Palais des grandz il me faict frequenter.
Le marchant ne m’espargne & ne me faict hanter
Que les mers et les ports d’une terre inconnue.
   L’un et l'autre voulant ma jouissance avoir,
Un long chose pointu sur moy ilz font mouvoir
Après qu’en quelque endroit ils m’ont mise et couchee ;
   Ils me font et refont ce qu’ils veulent et puis,
Afin que leur afaire à chacun soit cachee,
En me lavant d’une eau, vierge presque je suis.

Variantes

v. 1- B il+ Je ne suis que de cuir en noir ou blanc vestue

v. 2- B il+ Si je sers aux marchands de peur de trop couster

v. 3- B il+ L’homme de cour me faict or & velours porter

v. 10- B il- Après m’avoir couché il fait sur moy ravy [?]

v. 11- A il+ Après qu’en quelque endroit ils m’ont à plat couchée

Notes

v. 5 : « Etre tenue » : être redevable, devoir de la reconnaissance. Le noble la traite bien.

v. 10 : « chose » : sens érotique dès les farces médiévales. D'où « faire la chose », « la chosette » (Sainean, La langue de Rabelais, Paris, Boccard, 1922, p. 299).

v. 14 : cette technique du lavage est possible pour les tablettes d'ardoise, pas pour celles de cire.

A

Un homme bien mis est assez maladroitement assis à une table dans une pièce. Des feuilles de papier et ce qui ressemble à un encrier sont posés sur la table ; l’homme est en train d’écrire sur une tablette qu’il tient dans sa main gauche. On aperçoit à travers la fenêtre une vallée avec, sur la gauche, une église en haut d'une colline (résumé d’un paysage urbain), et des arbres sur la droite.

Le chapeau conique (dit "à l’albanaise”) à la mode dans les années 1590, suggère, comme la culotte serrée et la sobriété du vêtement, un Anglais ou un Flamand. Cela ne peut servir d’indice sur l'origine des gravures, car on aurait plutôt là un type du “marchand” : les Anglais ou les Flamands, susceptibles de faire faire le tour du monde à ces tablettes, en sont les représentants les plus qualifiés.

Rien qui corresponde à ce thème ou à cette image dans A. Henkel et S. Schöne, Emblemata. Handbuch der Sinnbildkunst des xvi. und xvii. Jahrhunderts, Stuttgart, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1967.

Rien dans les autres recueils d'énigmes. Symphosius pourtant consacre sa première énigme non aux tablettes mais au stylet qui les grave. Le « chose » qui va et vient, semble transcrire son « Versor utrimque manu » [Je suis remué de tous côtés par la main].

Sur l'objet même : Roger Chartier, Inscrire et effacer, culture écrite et littérature, Paris, Gallimard, 2005. À l’origine les tablettes sont d’argile, puis de cire bicolore : la surface de la cire est noircie (ou colorée), les lettres incisées se voient ; ordinairement les tablettes ont un encadrement en bois, mais peuvent avoir des supports riches, ivoire, métal. Elles peuvent aussi être d’ardoise, ce qui est nécessaire ici pour les rincer à l’eau. La présence d’un encrier sur la table est de toute façon inutile.

B

(1) Dans le sonnet, le narrateur n’est pas une personne mais un objet, identifié seulement dans l’index : une tablette, qui affirme qu’elle est vêtue pour satisfaire les besoins de celui qu'elle accompagne pour un temps – de cuir pour le marchand, de velours et d'or quand elle est avec un courtisan. Tous deux sont également jaloux quand quelqu’un d'autre l’a eue entre les mains, puisqu’elle note affaires et finances, des secrets. (5) Elle doit être plus reconnaissante envers le courtisan qui l’emporte dans le palais des gentilshommes qu’envers le marchand qui ne l’épargne pas et la fait naviguer sur les mers jusqu’aux ports de pays inconnus. (9) L’un comme l’autre ont plaisir à user d’elle et ils ont tous deux un long instrument pointu qu’ils font glisser sur elle. (11) Quand ils l’ont fait « se coucher » (mise à plat), ils passent et repassent sur elle tant qu'ils veulent, puis, pour que personne ne puisse voir ce qu’ils ont fait, la rincent d’une eau spéciale. Elle en ressort comme vierge.

C

La tablette, tout comme la noix au sonnet suivant, rapporte des expériences, épreuves et tribulations, toujours montrées sous l’angle d'interactions avec des êtres humains. Ici, comme dans bien d’autres sonnets, cette interaction est chargée d’insinuations sexuelles, comme lorsque le simple fait d’écrire sur une tablette est décrit comme la caresse d’un chose long et pointu sur l'ardoise. Le fait que le mot « tablette » soit féminin en français, et que « le chose » (par opposition à « la chose ») puisse renvoyer, au xviie siècle, au membre masculin, permet de faire fonctionner le double sens du « stylet pointu ». Les modifications insérées (par l’auteur ?) au-dessus de la ligne 10, au deuxième vers du distique central, viennent renforcer la connotation sexuelle en soulignant le ravissement du possesseur de la tablette lorsqu’il s'est penché sur elle. Le double sens du mot « jouissance » ne doit pas non plus être oublié, puisque le mot désigne à la fois le plaisir sexuel et la possession légale : il connecte donc les champs lexicaux du plaisir et des affaires.

Dans le dernier quatrain, la connotation sexuelle est tout aussi forte puisque la tablette est allongée pour que celui qui la possède lui fasse ce qui lui plaît. Vu le sens légal du mot « jouissance » (propriété dont on peut se servir), le verbe « coucher » (« coucher quelqu'un » ou « sur quelque chose ») peut se lire comme « coucher quelque chose sur le papier » ou « coucher quelqu’un sur son testament » ou sur une liste. Le retour de la tablette a un état de propreté presque immaculée au second hémistiche du dernier alexandrin, clairement séparé du premier par un point, vient encore souligner l’usage répété et ambigu de la tablette et évoque une femme qui a perdu son innocence et peut donc, au mieux, être considérée comme « presque vierge ». Les narrateurs du xvie s. (Brantôme) et même les chirurgiens (Paré, Œuvres, Paris, Buon, 1587, p. 988) parlent de remèdes d'apothicaires (eaux astringentes) utilisés par les maquerelles pour réparer les apparences, élixir magique qui fera dans Sade des prodiges techniques.

Dans le sonnet, la première personne énonciatrice, au féminin, décrit ses relations intimes avec noble ou marchand, qui lui assurent deux vies dont le luxe et l’utilité différent. La sexualité est le point commun de ces deux groupes sociaux : le vocabulaire pour l’exprimer est primaire (chose, aller et venir). Mais le dernier vers, en forme de « pointe » rhétorique comme il est d’usage dans les sonnets, désigne une merveille paradoxale : le retour de la virginité. Ce premier sonnet est sans doute plus énigmatique pour un lecteur moderne que pour les contemporains de Fonteny, qui auraient immédiatement reconnu en cette tablette une ardoise réutilisable. Une fois l’objet identifié, la succession d’allusions salaces devient bien moins difficile à percer.

[3ro]

fo 3 ro — [Noix]

Illustration
L’esté sous la feuillée on nous voit exposées
Le long des grands chemins attendant les passans
Qui, sans que nous nuisions, de coups nous offensans
Nous font sortir du lieu où nous estions posees.
   Avecques nous on joûe aux fossettes creusées,
Mais, devant que jouir de noz corps blanchissants,
Maints choses gros et longs on va dans nous poussans
Pour nous ouvrir, ayant nos trois robbes brisées.
   Entre noz cuisses git un chose demy noir
Qui au mal du boyau fait guerison avoir,
Et plus nous vieillissons, si nous sommes foulees,
   Nous jettons de Liqueur, et de substance aussy ;
Les playes de Vulcan sont par nous consolees
Et nous faisons voir clair dans un lieu obscursy.

Variantes

v. 4- B mg : Nous font sortir de l’ombre où nous estions posees

v. 5- B il- : Il[s] jouent avec nous aux fossettes creusées

Notes

v. 5 : « Jouer aux fossettes creusées » : Jeter dans un trou des noix, des billes, de la monnaie : on y joue depuis l’antiquité, Gargantua y joue (Rabelais, Gargantua, ch. 22).

v. 8 : Trois robes : La noix comporte trois protections : la peau, la chair qu’on utilise en teinture (le "brou" de noix), la coquille du noyau. Ce sont les cerneaux de noix, comestibles, qui donnent de l'huile. La mode du début du xviie siècle codifie pour les dames la présence de trois jupes : la modeste, la friponne, et la secrète en dessous.

v. 9 : « Chose », voir sonnet 1- « Cuisses » : l’amande des noix se compose de deux cerneaux séparés par une fine membrane sombre, chaque quartier de noix défini par ce “zeste” s'appelle une « cuisse ».

v. 10-13 : L’huile de noix s'obtient par pression. L’utilisation médicale de l’huile de noix sur les blessures par armes à feu est attestée par Ambroise Paré. Pour la diarrhée, on fabrique plutôt une boisson utilisant le brou de noix, donc la coque extérieure et non l’« entrecuisse ».

A

Un jeune garçon brandissant un bâton se tient sous un noyer noir, il a déjà gaulé quatre noix, qui gisent au pied de l’arbre.

La gravure représente l’arbre, les fruits tombés, le long bâton (dit "gaule") avec lequel on frappe les branches pour faire tomber les fruits oblongs. Le dessin des feuilles est inexact et équivoque : chaque feuille de noyer est composée de plusieurs pennes, ce qui ici prend l’allure de branches. C’est un arbre commun dans les campagnes.

Pas de parentés iconographique ou textuelle avec les emblèmes de la noix chez Henkel / Schöne, colonnes 228-230.

Thème présent dans Alexandre Sylvius.

Dans Colletet 124 : « Pour jouir de mon corps on bat mon pauvre pere / Et l’on m'oste l’habit qu’il m’est seant d'avoir/ Mais quand mise en liqueur on a crevé ma mère/ Je fais voir à plusieurs ce que je ne puis voir ».

B

(1) Pendant l’été, la noix noire (narrateur féminin du sonnet) se tient à l’ombre des feuilles sur le bord de la grand route, et attend que les passants viennent (sans provocation préalable) la déloger de l’ombre où elle se trouve. (5) Ils jouent avec elle dans des petits trous. Mais avant qu’on puisse jouir de son corps laiteux, elle est pénétrée par bien des choses longs et gros qui la forcent à s’ouvrir quand la triple protection qui couvre les noix a été percée.

(9) Entre ses cuisses se trouve une chose à moitié noire qui soigne les douleurs abdominales. (11) Et plus la noix est vieille, plus elle jute et rend de pulpe quand on l’écrase. Les blessures de Vulcain — les brûlures — se soignent à l’aide de la liqueur de ces noix, qui apportent aussi de la lumière dans un lieu sombre (14).

C

La bonne compréhension du sonnet repose sur l’identification correcte du fruit dont il est question. Les noix sont connues et cultivées en France surtout en Dauphiné et en Périgord, et leur huile est la seule qu’on utilise alors couramment en France non méridionale.

On peut relever de nombreuses allusions sexuelles : elles attendent le passant – sont-elles des prostituées ? La description de l’ouverture des noix est très lourde d’allusions sexuelles : on retrouve à nouveau les « maints choses gros et longs » qui sont enfoncés dans les noix pour les forcer à s’ouvrir — quand les trois manteaux ou les trois robes ont été déchirées – ce qui évoque très clairement un viol. Le résultat, un liquide qui soigne les douleurs d’estomac (la liqueur de brou de noix) n’a aucun rapport avec le thème du viol et constitue plus une surprise (incohérente ?) qu’une énigme ; l’extrait de « nos cuisses » fait penser à un accouchement, donnant naissance à la substance huileuse qui apaise les douleurs de Vulcain – c'est-à-dire les brûlures – et peut également s’utiliser de nuit comme huile de lampe. Les dernières lignes sont assez obscures, même si les lecteurs de l’époque étaient sans doute au fait des vertus thérapeutiques de l’huile de noix et de l’usage de ce type d’huile pour l’éclairage. L’usage courant du terme « cuisse de noix » facilite le transfert du fruit à la femme, de même que l’usage codifié par la mode d'avoir trois jupes/enveloppes. L'auteur a préservé un trait distinctif des sonnets : la pointe, ici par antithèse, évoquant le miracle de la lumière. L’antithèse elle-même du clair et de l’obscur est d’un usage banal dans la poésie amoureuse ou mystique, mais elle succède ici à des usages et des termes ludiques, médicaux, triviaux et peu spiritualisables.

[4ro]

fo 4 ro — [Bague]

Illustration
Celuy à qui je suis prend plaisir à me voir :
S’il voit ma face terne il la frotte et l’essuye,
Il en oste l’ordure et jamais ne s'ennuye
De me chérir de l'œil, voulant toujours m’avoir.
   Bien qu’avecq luy je sois le matin et le soir,
Sa femme pour cela n’en entre en frenesie ;
Elle me voit souvent, sans avoir jalousie,
Un de ses membres droits dans mon trou recepvoir.
   Je suis de ses secrets chanceliere fidelle,
Je marque ses pacquets de peur qu’un infidelle
N’i glisse quelque chose encontre son dessein.
   Outre plus, s’il est veuf et qu’il veuille avoir femme,
Je luy en ameine une et sans escrit de main,
Si l’on me desadvoûe, on en a que du blasme.

Variantes

v. 6- en jalousie

v. 8- A Vn d es membres qu’il a dans mon trou recepvoir

v. 12- est veuf ve

Notes

v. 8 : L’anneau de la bague peut être métaphorique du sexe féminin, voir chez Rabelais, Tiers livre, III ch. 28, l’Anneau de Hans Carvel : le mari jaloux est assuré de ne pas être trompé s’il met à son doigt l’anneau que le diable lui donne en rêve, qui est le sexe de sa femme.

v. 9-12 : La bague porteuse d’armoiries sert de cachet authentifiant, et la bague en général de signe matrimonial.

v. 10 : « Pacquets » : Terme technique désignant les lettres qu'on envoie en général en nombre, enveloppées pour éviter qu’elles soient abimées, et le cachet qui scelle le pli atteste qu’elles n’ont pas été lues en route.

A

Le personnage assis à une table arbore lui aussi un chapeau à l’albanaise, mais il porte cette fois des trousses sur son haut-de-chausses, costume plus élégant. Il examine un anneau portant une pierre précieuse comme chaton, un autre anneau est sur la table. La taille très anormale des deux anneaux les désigne comme objet à regarder en priorité : mais bien sûr aucune bague n’a cette taille. Par la fenêtre on voit un décor urbain, une église.

Un monogramme est brodé sur le tapis qui se trouve sur la table : un A combiné avec un V (ou un A inversé) et une ellipse.

Peu de parenté iconographique avec les emblèmes de Henkel /Schöne, col. 1275-78.

Parenté textuelle peut-être, la bague trop étroite, qui vous lie en servitude matrimoniale, qu’on trouve chez Guillaume de La Perriere.

Thème présent dans Symphosius 3 (mais sans parenté textuelle) et dans Alexandre Sylvius.

B

(1) Son propriétaire aime à regarder la bague. Quand elle perd de son éclat il la frotte et la sèche, enlève toute trace de poussière et ne se lasse pas d’elle. Il caresse l’objet des yeux, il veut l’avoir toujours avec lui (5) et même s’il est avec elle jour et nuit sa femme ne lui fait pas une scène, elle constate souvent sans jalousie que la bague accueille parfaitement dans son trou l'un de ses doigts tendu. (9) La bague est un intendant fidèle auquel il confie ses secrets. Elle identifie (scelle) ses (liasses de) lettres de peur qu’un traitre (11) n’y glisse quelque chose de contraire à ses intentions. De plus, s’il devient veuf et qu’il désire prendre femme, la bague lui permet d’en attirer une sans même écrire un mot. S’il l’on désavoue ce qui est cacheté, on en portera le blâme.

C

Le poème commence sur un ton ambigu quand le propriétaire de la bague la nettoie avec un plaisir évident. Il y a au moins une allusion explicitement sexuelle, que le narrateur (la bague) renforce en ajoutant le qualificatif « droit, tendu » au doigt qui, dans une inversion du processus attendu, est reçu par la bague dans son ouverture ou son trou. Dans le contexte du reste du sonnet cet « accueil » de la bague semble indiquer une dévotion totale à son maître, une dévotion qui continue même après la mort de l’épouse puisque la bague joue le rôle tendancieux de pourvoyeuse de femmes. Le lien qui unit le maître et le bijou est si fort qu’ils valent l’un pour l’autre : la bague, permet d’identifier clairement à la fois le propriétaire et la nature de ses intentions. Là encore il ne faut pas en négliger le contexte pratique et juridique : le chancelier (du royaume, ou d’un prince) est l’un des hauts dignitaires, titulaire de l’office le plus important : gardien des lois et des écrits qui font les lois ; à ce titre, il conserve les instruments de la signature royale, les sceaux, formes graphiques imprimées dans la cire, qui désignent le personnage émetteur du texte (lois, décisions diverses) qu’il soit roi ou personne privée. Si le roi peut avoir un Chancelier, les personnes privées authentifient leur signature en utilisant pour marquer la cire les chevalières gravée à leurs armes. Le sceau constitue un engagement, une obligation, pour celui qui signe comme pour celui qui doit exécuter. Le poème ici glisse de l’office (le chancelier) à l’objet qui a le pouvoir réel (la bague), par une translation qui s’accompagne d'un élément merveilleux : la féminisation de la fonction (une chancelière) est impensable dans l’organisation humaine ! Le terme féminin de « chancelière » pourrait bien être un néologisme exceptionnel sous la plume de Fonteny.

[5ro]

fo 5 ro — [Tuiles]

Illustration
J’estois molle et grassette estant avec ma mere,
Maniable, traitable et aisee à former
En tout ce qu’on vouloit, quand pour me reformer
Je fus mise en lieu haut, pour plus dure me faire.
   Inutille j’estois, or je suis nécessaire,
Aussi me convient il un autre nom porter.
De basse que j’estois, on me faict haut monter
Pour m’oposer au froid et à l’ardeur solaire :
   Mes maistres je defends des accidens du temps.
J’ay toujours mesme forme et tous les inconstans
Ne me sçauroient changer ou il faut qu’on me brise.
   Lors que je suis brisée, on me prent pour jouer
à je ne scay quel jeu que l’homme roide prise,
Puis on me laisse là rebriser et rouer.

Notes

v. 1 : « mère » : l’argile dont on fait les tuiles est qualifiée par Bernard Palissy de terre grasse et ductile.

v. 9 : « accidents » : ce qui arrive, pas nécessairement néfaste, changements, vicissitudes climatiques.

v. 12 : Tuileau, morceau de tuile arrondi pour jouer au palet ? Le même Gargantua désigne plusieurs jeux de lancer où il faut des palets ou jetons, op. cit. p. 61 (Fessart, tampeau, mouche).

v. 14 : « rouer » : équivoque avec le supplice de la roue, où le condamné est brisé à coup de barre et exposé sur une roue ; entendre ici l’autre sens passif du terme : se faire rouer, écraser par les roues des chariots qui passent sur les morceaux divers tombés à terre.

A

Deux maisons, l’une, plus grande, au premier plan, avec un toit en tuiles et de grandes tuiles empilées près du perron, et une deuxième à l’arrière-plan, plus petite, à l’ombre de quelques arbres. La représentation principale d’une maison ne permet de trouver la réponse,Tuile, qu’en prenant en compte deux indices : une vue prise en hauteur, qui valorise le toit de la maison ; le petit tas d'objets rectangulaires au pied de la maison. Très plates (ambiguité avec des ardoises par exemple), très grandes, les tuiles présentées sont les tuiles anciennes de la France du centre et de l’Angleterre (et non les formes arrondies, ou les tuiles courbes du sud), prévues pour des toits en pente de 45 o .

Aucun correspondant dans Henkel / Schöne.

Thème présent dans Symphosius 6, Tegula : « Terra mihi corpus... / Estque domus tecto sedes mihi semper in alto » [La terre me donne un corps … et mon lieu toujours sur le haut toit de la maison], qui peut être repris dans le « haut monter ».

B

(1) La narratrice explique qu’elle était douce et grasse lorsqu’elle était encore avec sa mère, facile à façonner et à transformer en ce que l’on veut. Puis, pour lui donner une autre forme elle a été mise en hauteur pour l’endurcir. (5) Elle était inutilisable, elle est maintenant indispensable, et on la connait à présent sous un autre nom. Elle était de basse extraction, elle a maintenant été élevée très haut où elle est exposée au froid et à la chaleur du soleil. (9) Elle protège ses maîtres des avanies que cause le climat, gardant une seule et même forme qu’aucune vicissitude (11) ne peut altérer - à moins qu’elle ne soit fendue. Quand elle est cassée on l’emporte pour jouer à un jeu inconnu qu'un homme vigoureux (« roide ») aime par-dessus tout. Et elle est abandonnée là pour être brisée à nouveau.

C

D’une manière assez inattendue, le sonnet décrit les transformations d’un morceau de glaise — extrait de la Terre Mère — qui est ensuite façonné en objet utilitaire, ici, une tuile. Il se peut qu’il y ait une première allusion sexuelle juste après sa fabrication - comme une jeune fille facile à influencer qui est ensuite endurcie par la vie. Sous sa nouvelle forme, l’objet est devenu très utile et protège les gens des intempéries. Cet état de chose pourrait durer toujours, tant que la tuile n’est pas cassée, et c’est là que commence le passage « énigmatique » du sonnet, puisque la narratrice elle-même ne connaît pas le jeu qui se joue avec des tuiles cassées. Ce qui est sûr, c’est que ce divertissement fait les délices de « l’homme vigoureux » (« roide ») – autre description étonnante, sauf si l’on y voit le sens sexuel de « personne sexuellement active ». La dernière ligne n’est pas beaucoup plus claire, puisqu’à la fin la tuile est abandonnée pour être cassée et transformée à nouveau, une référence peut-être à une destruction suivie d'une condamnation.

C’est le premier sonnet pour lequel le lecteur moderne est dépourvu d’un certain nombre d’indices que les contemporains de Fonteny identifiaient sans doute immédiatement. Ce poème est donc dans cette mesure « énigmatique » — nous ne reconnaissons pas le jeu pour lequel il faudrait une tuile cassée : les livres de références sur ce point précis de l’histoire des jeux en France n’apportent pas d’éclaircissement, même si des tuiles arrondies ont pu être utilisées dans un jeu qui ressemble un peu au moderne « jeu de boules » tel qu’il est conçu par le Gargantua de Rabelais. On peut penser à un jeu de palets. On peut passer par des équivalents latins : sans doute la «tegula, quae aedes tegat » (« tuile, parce qu'elle couvre la maison », selon les Etymologies d’Isidore de Séville, XV, 8) n’est-elle pas exactement les tessera vernies, mais elles sont fabriquées de la même manière des mêmes terres : les tesseres couvrent à la fois le domaine des carreaux, morceaux de mosaique, jetons de présence ou d’identification... et les dés à jouer (ou les jetons des jeux).

Le sens de la dernière ligne n’est pas clair non plus : la tuile est pour finir abandonnée et peut être cassée et utilisée à nouveau dans les revêtements des rues et routes, faits alors non de pavés (bien trop chers) mais dans leur seconde couche stabilisatrice (la ruderatio) d’un concassage de débris de pierres, galets, graviers, briques cassées, cimentés, couverts ensuite de cailloux entassés, aplatis ensuite par la boue et le tassement (Voir Nicolas Bergier, Histoire des grands chemins de l'empire romain, Paris, Morel, 1622 / éd. revue Bruxelles, Léonard, 1728) : rien de poétique dans ce que le poème dramatise comme un long supplice d’anéantissement, le verbe rouer désignant un des supplice les plus durs, réservé précisément aux bandits de grand chemin par un édit de François I er en 1534, et aux assassins en 1547.

[5ro]

fo 5 ro — [Cloches]

Illustration
Il faut ouvrir ma mere alors que je suis faicte,
De son ventre aultrement on ne peut m’arracher.
Si tost que j’en suis hors, on me faict attacher
Par l’oreille bien hault afin que je caquette.
   L’air grossier et malin je dissipe et rejette,
Le tonnerre de moy je ne laisse aprocher.
Je fais les escoliers à la leçon marcher
Et revenir disner alors qu’elle est parfaicte.
   On ne me voit mouvoir ni faire bruict beaucoup
Si l’on ne faict bransler un gros choze en mon trou.
Des moynes par sur tous je suis le plus branlee,
   Cinq ou six le matin me branlent tour à tour,
Je le suis à midy et sur la fin du jour,
Mais de nuict je ne suis qu’au besoin reveillée.

Variantes

v. 7- A Je fais les escoliers à leur debuoir marcher

Notes

v. 1-2 : On fond les cloches entre deux moules en terre qu’il faut casser pour extraire la coque de métal refroidi.

v. 4 : « caqueter » se dit proprement des volailles, ou satiriquement des femmes bavardes.

v. 5-6 : Les cloches servent contre l’orage et contre la grêle : il s’agit d’une croyance très ancienne et qui dure au moins jusqu’au xviiie siècle selon laquelle le bruit éloigne les intempéries et autres malheurs.

v. 8 : « parfaite » : terminée.

v. 10 : « branler », remuer, agiter (Montaigne : « Ce monde est une branloire pérenne »). Le sens érotique est discernable chez Rabelais, mais avec un complément d'objet et appliqué au plaisir masculin. Sonner les cloches, brimballer (Rabelais, Tiers livre, ch. 25) s’utilisent chez Rabelais avec le même sens obscène.

A

Impossible de se tromper sur l’image : une cloche suspendue dans un clocher.

Une inscription, probablement (Ie)SUS NA(azarenus). La corde du sonneur pend à côté de la cloche.

Une parenté avec un des emblèmes de Henkel / Schöne, col. 1217 et son thème : La cloche qui régit toutes les activités humaines, Sambucus, 91.

Thème présent chez Symphosius, sans parenté textuelle.

Sera de nouveau chez Colletet, sans parenté textuelle.

B

(1) La narratrice est une cloche extraite du ventre de sa mère, le moule de terre. Sur ce, elle fut attachée très haut par l’oreille pour qu’elle sonne. (5) Elle dissipe et fait fuir l’air lourd et menaçant et ne permet pas au tonnerre de s’approcher. Elle fait aller les écoliers à l’école et les fait rentrer pour le dîner quand leurs devoirs sont finis (9) On ne la voit pas bouger ni faire beaucoup de bruit si l’on n’enfonce quelque chose d’épais dans son orifice. Elle est le plus souvent molestée par des moines (11), cinq ou six d’entre eux l’agitent encore et encore, aussi bien à midi qu’à la fin de la journée. Mais pendant la nuit elle n’est réveillée qu’en cas de nécessité.

C

Après un récit assez suggestif de la naissance d’une cloche qui rappelle une césarienne, le sonnet continue de manière descriptive. La narratrice énumère les différentes tâches qui sont les siennes d’une manière assez terre à terre : disperser les nuages tout autant qu’accompagner les écoliers dans leur routine quotidienne. Toutefois, dans la deuxième partie du poème l'action de sonner est décrite à l’aide d'un vocabulaire chargé de connotations sexuelles : la cloche resterait en effet muette si le battant n’était pas actionné. Mais ce mouvement de va-et-vient est comparé à la masturbation (le verbe « [se] branler » étant l’expression vulgaire consacrée) – et dans ce contexte, plusieurs moines tirent la corde et activent le battant à plusieurs reprises. L’emploi de moines pour sonner la cloche pour sonner le matin, le midi et l'angélus du soir est une allusion sexuelle que Fonteny choisit délibérément, sans qu’il soit possible de discerner en fin de compte s’il s’agit d’une référence homosexuelle ou s’il est question d’un rapport hétérosexuel. Quoi qu’il en soit c’est la première fois dans la série de sonnets que l’auteur évoque la sexualité masculine, et cette référence est peut-être la raison pour laquelle le poème est laissé de côté en 1619 lors de la deuxième édition du recueil Le Cabinet satyrique ou recueil des vers piquans et gaillards de ce temps (voir Introduction), alors qu’il y était le seul sonnet de Fonteny.

… ou simplement il pourrait se doubler d’une satire anti-monastique, car les moines sont accusés de faire du zèle et du bruit. Les cloches des églises et monastères sont les seules indications qui donnent l’heure à la collectivité : angelus du matin, midi, angelus du soir. Rabelais, Gargantua ch. 19 et Cinquiesme livre ch. 27 se fait l’écho de l’obsesssion sonore qu’elles représentent, dont l’Isle Sonante du clergé ( Cinquiesme livre, ch. 1-8) est l’apogée. Les cloches sont le moyen de communication de la collectivité et la seule manière encore de mesurer le temps de cette collectivité, de dire ses émotions (sonner les fêtes, sonner le tocsin, les alarmes) : dans la mesure où elles appartiennent forcément à l’église ou aux monastères, elles sont comme des objets sacrés et comme des humains à la fois, avec une biographie, une hiérarchie, un langage, des légendes que le monde moderne n’a pu déraciner (Voir Alain Corbin, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1994).

[7ro]

fo 7 ro — [Glace]

Illustration
Autresfois je courru vagabonde, inconstante,
Fuiarde et sans arrest sans avoir eu des piés,
Et rompant plus souvent ceux qui s'estoient fiez
Au subit mouvement de mon humeur changeante.
   Maintenant que je suis comme il semble constante,
Plusieurs dessus mon corps montent tous egaiés ;
Ilz n’i sont pas si tost qu’ilz ne soient efrayez,
Voiant m’ouvrir en deux et leur monstrer ma fente.
   Tous les ans je retourne en ce que j’ay esté,
Ferme je suis l’hyver, molle je suis l’æsté ;
Je ne scaurois soufrir que par trop on me foule.
   Si quelqu’un me manie avec de chaudes mains,
Le mouillant et trampant de ses mains je m’escoule
Et je sers de delice aux banquets des Romains.

Variantes

v. 14- B mg Nota .

A il- Et auecques Bacchus me joingnent les Romains

A

La gravure représente un paysage entier : petite chapelle au bord d’un étang. On interprête “scène d'hiver” du fait que sur l’étang une personne vient de tomber, en glissant sur de la glace, étendu les bras levés, la jambe gauche tendue, la jambe droite en l’air comme s’il venait juste de glisser sur ou de tomber à travers la couche de glace. Il y a deux gros rochers sur l’étang, une chapelle sur la droite avec quelques arbres, et des collines à l’arrière-plan. Il faut suivre la narration du poème pour passer du référent visible « Hiver » au référent « glace » qui restreint les informations données par l'image.

Vague parenté de thème dans Henkel / Schöne, col. 110, sur le contraste solide / faible (Bèze, XIX).

Thème présent chez Symphosius 10 « Unda fui quondam, quod me cito credo futuram / …/ Nec calcata pati possum, nec nuda teneri » [Onde je fus jadis, ce que, je crois, je redeviendrai /…/ Je ne peux pas être foulée aux pieds, ni être tenue nue.]

Reusner II 171 l’emprunte à Jules César Scaliger :

Sto, quae currebam, sed non tego, quae tego, Mater
Olim, nunc sterilis, rursus eroque parens
Quae constat facies, non constitit, horridus illam
Juppiter instabilem sed tamen esse dedit.
Aufugio tamen, et vellis me forte tenere
Aut tota, aut sensim substraho me minuens.

[Je suis immobile, moi qui sillonnais, mais je ne couvre pas, moi qui couvre, mère jadis, maintenant stérile, à nouveau je serai fertile. Mon visage qui est immobile n’est pas immobile, Jupiter terrible m’a donné qu’il soit instable et pourtant d’être. Je fuis cependant, et si par hasard tu veux me tenir, ou toute je m’échappe ou petit à petit en diminuant.]

Sera à nouveau chez Colletet 42, qui l’emprunte à Straparole pour le thème Eau : « Je cours sans cesse et n’ai point de repos,/ La vie aux uns, comme la mort je donne […]. »

B

(1) La narratrice – la glace couvrant l’étang – raconte qu’elle a, dans le temps, vagabondé ici et là sans être fixée nulle part, aux dépens bien souvent de ceux qui s’étaient fiés aux violents revirements de son humeur changeante. (5) Mais maintenant qu’elle semble bien installée, bien des joyeux drilles lui montent dessus. Ils ne sont pas plutôt sur elle qu’ils sont épouvantés de la voir craquer et leur montrer sa fente. (9) Elle revient chaque année à son état antérieur – dure en hiver et molle en été. (11) Elle n’apprécierait pas que quelqu’un la piétine trop vigoureusement. Si quelqu’un la touchait avec trop de chaleur elle s’enfuirait de ses mains humides et dégoulinantes, et (elle était servie) comme friandise dans les banquets romains. (Variante: et les romains l’unissait à Bacchus).

C

Le sonnet exploite le phénomène de la transformation de l’eau en glace pendant l’hiver. La narratrice décrit d’abord les plaisirs de l’été, frustrant ceux qui se sont trop fiés à son humeur changeante. L’énigme, pour désigner l’eau, est extrêmement traditionnelle ; ainsi elle a son texte et sa traduction dans les objets quotidiens, à en croire la narration du Printemps de Jacques Yver ( Deuxième journée, Paris, Ruelle, 1572), décrivant une aiguière « où on pouvait lire ces mots : Une qui sans pieds peut courir/ Une qui sans langue caquette/ Qui en terre et en l’air s'apprête, Se perd pour le monde nourrir ». L’hiver toutefois modifie les évidences, et créant une sorte de monde inversé rend le mouvant solide, le parlant silencieux et la légèreté obscène. Le sonnet réintroduit des connotations sexuelles, la transformation en glace invite les gens à monter sur son corps, ce qui suggère une référence à la prostitution. Mais ils sont terrifiés quand ce corps (la glace) s’ouvre et montre sa fente, une allusion claire et choquante à la vulve et, peut-être, à Baubo, une des déesses mineures de la fertilité chez les Grecs (G. Devereux, Baubo, ou la vulve mythique, Paris, Godefroy, 1983). Plus ludique, l’épisode rabelaisien du petit diable de Papefiguière, épouvanté quand une vieille lui montre son « énorme solution de continuité » ( Quart livre, ch. 47), évoque l’effroi devant un sexe béant qui évoque un péril abominable.

Ces allusions sont reprises quand la glace compare sa dureté hivernale à sa mollesse estivale. Elle n’apprécie pas qu’on lui marche dessus trop brutalement, et elle rappelle à tous qu’elle est fuyante également sous sa forme gelée, quand elle prévient ceux qui voudraient la manipuler – la masser – de leurs mains chaudes qu’elle pourrait tout simplement se liquéfier, autant d’allusions non voilées à la masturbation. Ces considérations laissent toutes place à une interprétation anthropomorphique et sensuelle qui se continue en quelque sorte dans la variante de la dernière ligne puisque la glace, denrée rare pour les Romains, était associée aux débordements orgiaques des bacchanales.

Après les références peut-être homosexuelles du sonnet précédent, ce poème-ci revient à des allusions sur les femmes et leurs parties intimes. D’une manière surprenante, et même ingénieuse, Fonteny fait un lien entre les différents états de l’eau qui devient glace et se sert de ce nouvel état pour passer ad libitum d’une insinuation à l’autre avant de conclure le sonnet sur une note historique : les raffinements des Romains qui gardent de la neige et de la glace toute l’année pour servir aux banquets. La rectification du dernier vers égare sur une vraie fausse piste : les Romains aiment le vin glacé, version gastronomique du propos, mais l’intrusion d'une référence mythologique aiguille sur une expression proverbiale plus érotique : car « Sine Baccho friget Venus » [Sans Bacchus, Vénus a froid], ils sont nécessaires l’un à l’autre.

[8ro]

fo 8 ro — [ Passementier]

Illustration
   Après l’avoir choisie et blanche et maniable,
Docile sous la main et aisee à traicter,
Propre à mettre en besongne et facile à monter,
Je l’estendis en lieu qui m’estoit favorable.
   Lors je me mis après d’un courage incroiable,
Taschant de mon travail du profit remporter ;
Combien qu’elle voulut au travail resister,
Si eu-je, comme maistre, une fin desirable.
   Aussi ne pouvoit elle eschaper de mes mains :
Entre quatre pilliers elle eut des eforts maints,
Si bien que de peiner et des reins et du rable
   J’en fus comme recreu, car plus elle s’ouvroit,
Je mouvois dans sa fente un long chose agreable
Qui n’i pouvoit entrer quand elle se serroit.

Variantes

v. 11- d es u

Notes

v. 1 : La laine blanche est celle qui a la meilleure qualité. On installe les fils de chaine sur le métier à tisser : on « monte » la chaine. Ce qui permet l'équivoque avec un sens sexuel : monter / chevaucher une femme, l’amener au montoir, etc.

v. 12 : « recreu », recru de, épuisé.

v. 13 : « long chose » : voir sonnet 1. Ici la navette de forme allongée qui contient le fil de trame et passe entre les fils de chaine.

A

Un homme assis devant un métier à tisser. Pourquoi Passementier (fabricant d'ornements, rubans, broderies, galons, cordons, franges) plutôt que Tisserand ? Le métier paraît bien large pour la passementerie. On entrevoit dans sa main gauche la navette qui passe entre les rangs de fils de trame.

L’image ressemble à celle du Tisserand, Henkel / Schöne col. 1081, mais non le texte.

Thème présent chez Straparole sous le titre de Tisserand, II, 284 avec les mêmes expressions peu caractéristiques il est vrai : « un trou large et fendu... je ne sais quoi de long ».

B

(1) Le passementier (qui est ici le narrateur, pour une fois humain) choisit une laine blanche et souple avec laquelle il peut facilement travailler, parce qu’elle est adaptée à son métier et facile à monter. Après l’avoir choisie, il l’étend là où il lui semble bon, (5) et s’attache ensuite avec une grande énergie à récolter sur elle le fruit de son travail, mais combien elle résiste à sa besogne ! Elle ne peut résister puisqu’elle est attachée aux quatre montants, (11) si bien qu’à force de tendre ses reins et son dos, il en est épuisé puisque plus elle s’ouvre, plus il fait aller et venir dans sa fente une longue et plaisante chose qui ne rentre pas si elle reste serrée.

C

Pour la première fois le narrateur mentionné dans l'index n’est ni un objet ni un animal, mais un tisserand travaillant à un métier à passementer (« [un] passementier »), qui permet de réaliser franges et broderies sur un vêtement. Et pour la première fois le référent féminin n'est pas donné – il est clair dès le premier accord du participe passé (« choisie ») que le pronom renvoie à un nom féminin (« la laine » ) , qui est indispensable à la compréhension de l’ensemble du sonnet, et aurait dû figurer dans le titre pour éviter le problème posé par le genre. Cela une fois posé, le reste du poème se lit sur ces deux niveaux : le tisserand étend la toile là où il faut, entre des cadres, et il travaille dur pour atteindre le profit escompté, malgré sa résistance (une allusion à la rudesse du matériau qu’il utilise peut-être, comme le lin). Le caractère concret et artisanal du travail de tissage s’oppose dans notre recueil à la description peu concrête du travail d'Arachnè (fo 24).

Le dernier quatrain désigne la mécanique du métier à tisser, avec ses quatre montants, qu’illustre la vignette (les « quatre pilliers » du texte permettent toutefois une association avec les lits à baldaquins du xviie siècle). L’action mécanique du tisserand faisant aller et venir la navette est ensuite comparée au plaisir de la pénétration sexuelle qui se révèle au dernier moment ne pas être un viol puisque la dernière ligne montre bien que l’acte n’a pas lieu si le partenaire féminin n’est pas consentant. La métaphorisation du tissage en sexualité est ancienne, plus souvent il est vrai associée aux tisserandes qu'aux tisserands (Jacqueline Assael, Pour une poétique de l'inspiration d'Homère à Euripide, Bruxelles, Société des études classiques, 2006, p. 213-217).

Il s’agit là d’un des sonnets les plus riches et les plus réussis dans ses allusions sexuelles que Fonteny ait inclus dans tout son recueil.

[9ro]

fo 9 ro — [Canne]

Illustration
   Le vent non plus qu’amour ne me faict trebucher.
Je loge dans les eaux, ayant quitté la terre.
Pour me sauver d’un dieu qui me faisoit la guerre,
Cuidant sous son vouloir me faire en fin broncher.
   Bien que diversement l’on me voie pancher,
Si demeuray je ferme et l’effort ne m’atterre.
Quand j’ay trempé long temps, corps et piedz on déterre
Et aux rays de Phœbus on me met pour seicher.
   Alors que je suis seiche et qu’on me pense morte,
C’est lors que mieux je chante et que d’une voix forte
Je reveille la feste à la ville et aux Champs.
   Où je suis la joye est, tristesse n’y peut estre,
Mais je deviens muette et on n’oit poinct mes chants
Si je ne suis baizee et touchée de mon maistre.

Variantes

v. 14- B il- Si je ne sens la bouche et les dois de mon maistre

Notes

v. 4 : « cuider » : croire à tort, se faire des illusions. « Broncher » : s'applique normalement au cheval qui butte et fait un faux pas.

v. 6 : « Atterrer » : faire tomber à terre.

v. 7 : Le chêne et le roseau : cette fable rendue célèbre par la Fontaine (1668) est très ancienne : elle se trouve chez Esope ( Le roseau et l'olivier ) et chez Aphtonius ( Fable du chêne et du roseau, avertissant de ne pas se fier à la vigueur physique ), deux textes qui sont rassemblés dans le « recueil Nevelet », Mythologia Æsopica, Francfort, 1610, in 8 o : Nevelet, un des neveux de l’historien Pierre Pithou, dit avoir tiré les fables réunies dans son recueil de l’Anthologie palatine. De nombreuses éditions d’Esope (ou du moins des textes qui sont réunis sous ce nom) ont remis la fable en honneur à la fin du xvie s, non seulement comme instrument de sagesse imagée destinée aux enfants, mais comme récit au second degré (comme l’énigme).

v. 13-14 : Flûtes et divers instruments à vent, qui nécessitent le souffle du joueur de flute, ici dénommé son « baiser », et le jeu des doigts (« touchée »).

A

Une plante en plein milieu du dessin, avec à l’arrière un paysage d’étang ; l’eau est indiquée par des ondulations.

Nous dirions « roseau », qu’on identifie parfaitement, et non « canne » : le terme de « canne » s’emploie plus usuellement pour la canne de Provence, bien plus haute, ou spécifiquement pour la tige du roseau.

Thème dans Henkel / Schöne col. 150, le Roseau qui fléchit mais ne rompt pas comme emblème de la patience.

Symphosius 2, Arundo . « Dulcis amica Dei, ripis vicina profundis/ Suave canens Musis ./ ... digitis stipata magistri » [Douce amie du dieu, voisine des rives profondes, chantant doucement pour les muses,… serrée par les doigts de son maitre], mais Symphosius parle alors non de la flûte, mais des tiges de roseau taillées pour écrire, les calames.

B

(1) Ni le vent ni l’amour ne font tomber la canne/le roseau. Elle vit maintenant dans l’eau après avoir quitté la terre pour échapper à un dieu qui lui avait déclaré la guerre et croyait pouvoir (« cuider ») lui imposer sa volonté. (5) Or même si on la voit parfois plier, elle reste fermement plantée et aucun effort ne saurait la déraciner. C’est lorsque son corps et ses racines sont les plus imbibés d’eau qu’on peut l’arracher et la faire sécher aux rayons de Phoebus. (9) C’est une fois sèche et considérée comme morte qu’elle chante le mieux et de la voix la plus forte. (11) Elle retentit dans les fêtes à la ville comme dans les campagnes, où elle répand la joie et chasse la tristesse. Mais elle reste muette et ne fait pas entendre la moindre chanson sans le baiser et la caresse de son maître.

C

Pour la première fois, Fonteny reprend un épisode des Métamorphoses d'Ovide dont une première traduction partielle en français, illustrée de 176 gravures sur bois, parut en 1557, celui où la belle Syrinx attire l'attention du dieu Pan (Métamorphoses, I, 698 sq). Dans son nouvel élément, sa souplesse la sauve des poursuites de Pan, qui sont décrites en des termes pleins d'allusions et d’ambiguïtés sexuelles. Ses supplications furent immédiatement entendues, et elle fut transformée en roseau, si bien que Pan n'eut plus entre les mains qu’une poignée de tiges de roseau. En mémoire de sa bien-aimée, Pan coupa quelques tiges, les lia et devint ainsi l'inventeur de la flûte de Pan.

Le sonnet décrit la vie de Syrinx dans l’eau où, à l'abri des poursuites de Pan, rien ne peut réellement la déraciner, ni les tempêtes du vent ni celles de l’amour. Ce n’est que quand elle est déjà vieille qu’elle peut être arrachée et séchée au soleil – mais dans ce nouvel état de rigidité elle redevient sexuellement accessible (et contrairement à toute attente) commence une nouvelle vie en tant qu’instrument de musique et répand la joie dans le cœur des hommes. Toutefois, elle ne peut le faire seule, il faut quelqu’un pour jouer d’elle. C’est à cette occasion qu’est introduit le double sens sexuel – elle a besoin d’être baisée et caressée ou comme le précise la variante de la dernière ligne, il lui faut sentir sur elle la bouche et les doigts de son maître, ce qui laisse le lecteur imaginer une sorte d’union sexuelle, sur un accompagnement musical.

Un public du XVII e siècle ne pouvait manquer de repérer la référence à la Syrinx d'Ovide ; les quatrains du sonnet n’étaient donc pas réellement énigmatiques pour les contemporains de Fonteny. Au contraire l’association (freudienne) du roseau et du sexe masculin (clairement visible pour le lecteur moderne sur la gravure qui accompagne le texte) contredit le genre féminin de la voix narrative du sonnet même s’il s'agit simplement de l’une des contradictions suscitées par le fait que les images préexistent au texte.

[10ro]

fo 10 ro — [Caillou]

Illustration
Combien que nous soions de diverse figure,
Si sommes nous tous fils d’une mere, les uns
Verdastres, gris, tannez, rouges, blans, noirs et bruns,
Qui sommes exposés à diverse advanture.
   Si Ovide il fault croire, autresfois la nature
Par nous fut reparee et de noz biens communs
Ayant pour se recroistre obtenu des empruns,
Elle reprit en bref sa premiere parure.
   Nous sommes abondans d’un feu qu’on ne voit pas,
Qui donne aux uns la vie, aux aultres le trespas,
Mais nous ne le monstrons si on ne nous assaille.
   Et qui de nostre nom deux lettres osteroit,
Le plus lourd d'entre nous comme oiseau voleroit
Et serviroi[t] de mets ainsi que faict la caille.

Variantes

v. 5- croire ob

v. 12- Au Et

v. 13- Le plus pes

v. 14- Voleroit Et serviroit de mets car

A il+ Et sur table seroit un mets tel que la caille.

Notes

v. 9 : Pierres à feu : Technique de production du feu par percussion : la pierre dure (silex, quartz) arrache à la pierre contenant du sulfure de fer (marcassites, pyrites) des particules qui s’enflamment au contact de l'air. Au XVI e siècle, la pierre à feu/ pierre à fusil est déjà incorporée à la fabrication de briquets (pacifiques) mais aussi dans les arquebuses et autres armes qui se vulgarisent au xvie s. (Maurice Cottaz,L'arme à feu portative française, Paris, A. Morancé, 1971). Le silex flamboyant est l’emblème personnel de Jean sans Peur et des ducs de Bourgogne après lui.

A

Le dessin peu esthétique et peu explicite est plus un rocher qu’une pierre, ou un caillou, petite pierre, à cause de sa taille : mais comme souvent dans nos gravures, la taille ne fait que signaler l’importance sémantique de l’objet et non sa taille réelle. L'attention du lecteur est aussi attirée vers l’oiseau tacheté qui survole la pierre... et qui est nommé au dernier mot du poème : c'est une caille... qui n’a évidemment aucun rapport, sinon l’homophonie, avec le Caillou...

Thème présent dans Henkel / Schöne, col. 1589, Deucalion et Pyrrha repeuplant le monde, la diversité des hommes naît de la diversité des cailloux, emblème de N. Reusner III, 5.

Symphosius lui consacre deux énigmes : 73, Lapis et 76, Silex.

Lapis : « Deucalionis ego crudeli sospes ab unda,/ Et finis terrae, sed longe durior illa./ Litera decedat, volucris nomen habebo » [J'ai sauvé Deucalion de l’onde cruelle, et suis fin de la terre et bien plus dur qu’elle. En enlevant une lettre, j’aurais le nom d’un être volant]. Ici Lapis > apis, l’abeille.

Silex : « Semper inest in me, sed raro cernitur ignis / Intus enim latitat, sed solos prodit ad ictus;/ Nec lignis, ut vivat, eget, nec, ut occidat, undis [Il est toujours en moi, mais le feu se voit rarement/ Il est en effet caché en moi, mais se montre seulement aux coups/ Il n’a besoin ni de feu pour vivre, ni de l’eau qui le ferait mourir].

La Perrière, Morosophie, 53 : « Comme le feu de la pierre ne sort/ Sans la frapper du fer par violence » ; identique dans son texte latin : « Inclusum silici ferro non excutis ignem / Ni collidantur corpora dura prius ».

B

(1) Quelle que soit la forme qui est la nôtre (à nous, cailloux) nous sommes tous les enfants de la même mère, qu’ils tirent sur le vert, le gris, l’ocre, le rouge, le blanc, le noir ou le brun, et exposés à diverses aventures. (5) S’il faut en croire Ovide, nous ornons la nature, et ayant obtenu de l’orner de notre banale beauté, nous ajoutons à ses beautés naturelles. (9) Nous contenons si bien en nous le feu, qui donne aux uns la vie et aux autres la mort, bien qu’il y soit invisible. (11) Nous ne le montrons que si l’on nous attaque. Et qui voudrait enlever deux lettres à notre nom, verrait le plus lourd d’entre nous voler comme un oiseau, et serait servi à table tout comme une caille (variante : serait à table un plat de caille).

C

Ce sonnet est la première réelle énigme à jeu linguistique de la série. Le narrateur — cette fois « le caillou » et non un nom féminin — pose le décor en décrivant la beauté originelle de la nature à laquelle les cailloux de toutes sortes contribuent grandement comme le suggère Ovide, mais surtout l’histoire de Deucalion et Pyrrha, seuls survivants du Déluge (Ovide, Métamorphoses, I, 318-416) qui repeuplent le monde en jetant des cailloux derrière eux.

L’interprétation de la partie centrale du sonnet (ll. 9-10) dépend de la lecture du mot de trois lettres de la ligne 9 : on croirait lire « fou », ce qui ne donne pas grand sens.

Si le mot est interprété comme « feu », il s'agit d’une référence au pouvoir du silex de faire partir un feu et donc d’apporter la vie ou la mort, ce qui convient avec le v. 11 : le feu ne se montre que quand on frappe les silex. Les autres références à Ovide sont en général très communes.

Que le distique central du sonnet ait été ou non énigmatique pour ses contemporains, le dernier quatrain contient la première énigme linguistique du recueil. D’une manière assez abrupte, l’auteur passe de ses précédentes références classiques à la simple élision de certaines lettres du mot servant de titre : « caillou ». D’après la classification de Bernasconi, il s’agit ici d'un logogriphe – ou pour être plus précis, d’une sorte d’apocope puisque la coupe ne concerne pas simplement une lettre mais les deux dernières du mot. Supprimer ces deux lettres – c’est-à-dire « ou » – forme le nom de l’oiseau montré sur la gravure, « une caille ». Ainsi même les cailloux les plus lourds peuvent se mettre à voler, effet de merveille – mais comme pour couper court à ce mouvement ascensionnel, le poème finit sur une note plus prosaïque avec les deux versions de la ligne finale qui envisagent que ce même oiseau atterrisse sur la table du dîner.

[11ro]

fo 11 ro — [Cygne]

Illustration
   Autresfois je regné dedans la Ligurie
Comme roy, maintenant par un hazard changé
Je me suis dans les eaus en seureté logé,
Du feu du Ciel encor redoutant la furie.
   Lors que je veis finir la courte seigneurie
Où Phaëton s’estoit, temeraire, erigé,
Mon esprit de douleur fut lors tant affligé
Que je priay le ciel de voir ma fascherie.
   Pitoiable il la veit et me feit estre oiseau
Qui a le plumail blanc, le col long, le chant beau.
Phoebus sur tous m'estime, & des Dieus le grand maistre
   Pour jouir de Læda se feit tel que je suis.
Par ce qui sort de moy les sçavants peuvent mettre
En lumiere leur nom et eclairer leurs nuicts.

Variantes

v. 6- temeraire loge

v. 8- A Que le Ciel eut pitie de ma grand’ fascherie

v. 9- Je devins Oyseau blanc dont Apollon faict cas

A

Un cygne sur un rivage (avec des roseaux plus loin sur la droite), très identifiable.

Le cygne est très abondamment représenté dans les emblèmes et dans les poèmes. Henkel / Schöne, col. 1626, Cygnus. Mais les textes n’ont qu’Ovide en commun.

B

(1) Ici le narrateur est le cygne même : roi, il changea de forme par un coup du destin et trouva au bord de l'eau un refuge où vivre une vie nouvelle, (5) après avoir été témoin du malheur de Phaeton dans les cieux. (9) Sa supplique fut entendue ; elle fut transformée en un cygne mélodieux, au blanc plumage et au long cou. (11) Phoebus l’estime et Zeus choisit la forme du cygne pour séduire Léda. Grâce à ce que produit le cygne [son chant], un homme cultivé peut atteindre le renom et illuminer les nuits.

C

Dans ce qui ressemble à une série de récits mythologiques, le sonnet raconte successivement l’histoire de Cycnus, de Phaeton et de Léda.

Le sonnet évoque d’abord l’histoire de Cycnus, tirée comme celle de Phaeton, d’Ovide, Métamorphoses, II, 367 sq . Cygnus roi de Ligurie, épouvanté par la mort de Phaeton son cousin et malheureux de ne pas retrouver son corps dans le fleuve Eridan, prit finalement la décision de supplier les dieux, qui le métamorphosèrent en cygne ; Phaeton, fils d’Apollon, a été foudroyé par Zeus pour avoir perdu le contrôle du chariot de son père Hélios, le soleil et brûlé une partie du ciel et de la terre.

Ce même Zeus se métamorphose en cygne pour violer Léda ( Métamorphoses, VI, 109 sq .), fille du roi Étolien Thestus et épouse du roi Tyndare de Sparte. Il lui donne quatre enfants en deux œufs, les Gémeaux, et Hélène et Clytemnestre. Leurs amours ont été peintes par Vinci et par Michel-Ange, dans des gravures qui sont très répandues.

Le sonnet s’achève sur une note de triomphe : un homme cultivé peut se servir des restes d’un cygne, d’une de ses plumes autrefois si belles, pour signer son nom (aujourd’hui encore, c’est généralement par convention une plume de cygne qui est employée pour écrire à l’ancienne) ou mieux encore se faire un renom, gagner la gloire : car le chant du cygne est l’image même de la poésie inspirée, celle que protège Apollon, dieu de la musique autant que du soleil.

Fonteny a ici recours à la figure du cygne pour donner une unité à la rencontre entre trois récits mythologiques. Comme pour souligner l’éternelle rivalité et aussi l’ambivalence qui oppose les dieux, Fonteny introduit ce qui ressemble à une revanche du cygne en finissant aux deux dernières lignes sur une pointe énigmatique : même dans la mort, Phoebus/Apollon s’arrange pour que l’humanité continue à bénéficier de la beauté du cygne.

Le chant poétique, la comparaison du poète au cygne, qui donne en mourant son chant le plus émouvant, est courante dans la poésie de la Pléiade (Voir Du Bellay, Regrets, 16, « Las, et nous cependant nous consumons nostre aage./ Sur le bord incognu d'un estrange rivage, / Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter,// Comme on voit quelque fois, quand la mort les appelle,/ Arrangez flanc à flanc parmy l’herbe nouvelle, / Bien loing sur un étang trois cygnes lamenter »).

Aussi ce sonnet est-il le seul à ne pas réserver de chocs entre des univers culturels et triviaux, certes propres à animer l'énigme : il est entièrement du côté des légendes et des symboles.

[12ro]

fo 12 ro — [Bouteille]

Illustration
   à la ville et aux champs je suis toujours vestue
Assez grossierement d’un habit mal plaisant,
Façonné et basti par quelque paisant,
Et parfois l’on me voit sans robe et toute nue.
   Si mon maistre est à table et que je n’i sois vue,
Il va de peu de soing ces valets accusant,
Car sans moy son disner ne luy semble plaisant
Et ne sçauroit manger que je ne sois venue.
   Toujours il me veult grosse et me faict avorter,
Au lieu de me laisser ma grossesse porter.
Il est aspre après moy et l’æsté il ne cesse
   à l’ombre d’un buisson de jouir de mon corps ;
Quand il en a jouy, doucement je l’endors,
Ou je luy fais rimer des vers pour sa maitresse.

Variantes

v. 6- A il+ Si j'y suis on le uoit mille contes faisant

v. 8- A Et ne peut point manger que je ne sois venue

v. 11- l’aeste plus que hyver

A

Une bouteille sur un fond de paysage champêtre. La bouteille en verre reste jusqu’au xviie siècle un produit coûteux et rare (on véhicule le vin en tonneau et on ne le met en bouteille que pour la consommation immédiate), les bouteilles usuelles sont en céramique ou en terre. Par précaution, on enveloppe les bouteilles de verre d’un tissage d’osier. L’image présente une fiasque, à long col et à panse ronde, caractéristique de la Toscane (une fiasque de grande dimension s’appelle une dame-Jeanne).

Aucune correspondance dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Alexandre Sylvius.

Sera à nouveau chez Cotin et Colletet.

Proche du thème Lagena chez Symphosius 99, qui évoque de l’argile modelée, ce qui indique en somme l’évolution de ces objets depuis l’antiquité jusqu’au XVII e s.

B

(1) À la campagne comme à la ville la bouteille (le narrateur féminin du poème) est toujours vêtue sans raffinement dans un accoutrement laid et rustique, et on la voit même parfois entièrement nue. (5) Si son maître est à table et qu’elle n’est pas en vue, les serviteurs sont accusés de négligence, car sans elle, son repas lui semble déplaisant et il ne saurait manger hors de sa présence. (9) Il la veut toujours grosse (enceinte) mais la fait avorter plutôt que de lui laisser porter sa grossesse à terme. (11) Il est dur avec elle. Il jouit de son corps en été à l'ombre d'un buisson, et quand il a fini de prendre son plaisir, elle l’endort doucement ou lui fait composer des vers à sa maîtresse.

C

Ce sonnet est dépourvu de références mythologiques ; les contemporains de Fonteny ne considéraient sans doute pas comme particulièrement énigmatique la référence à la bouteille ou flacon, bien que les lecteurs du xxie siècle doivent se remémorer les anciennes bouteilles de Chianti pour apprécier pleinement les allusions du premier quatrain, références à l'osier dont les bouteilles ventrues étaient entourées pour en faciliter le transport. Un premier sous-entendu sexuel fait avouer à la bouteille qu’on la voit parfois entièrement nue, comme une prostituée du plus bas étage. Ces allusions deviennent plus transparentes encore au deuxième quatrain et dans le distique, quand la soif insatiable du maître pour le vin — ou son besoin que le flacon soit rempli à ras bord — doublé de son refus de laisser le vin vieillir dans la bouteille, sont tous deux clairement comparés à des rapports sexuels répétés et à leurs conséquences : conception, grossesse et avortement. Le poème continue dans cette veine quand la bouteille raconte le plaisir que le maître prend avec elle sous un buisson avant de bénéficier des bienfaits de l’ivresse : le sommeil et la poésie amoureuse, une note plus apaisée, entre trivialité d'homme ivre et sublimation des aspirations.

[13ro]

fo 13 ro — [Chesne]

Illustration
   D’un arbre j’ay le nom sans que de luy je vienne.
Belle et layde, je suis douce et rude par fois.
Je suis si familiere avec princes et rois
Qu’ils ne sont dedaigneus qu’à leur col je me tienne.
   Il faut qu’avec mes sœurs toujours je m’entretienne
Pour avoir plus de force, autrement je serois
Inhabile à servir et je n’arresterois
Ceux que mon maistre veut qu’aupres luy je retienne.
   Après avoir longtemps ma loiauté faict voir,
Liberté je ne puis de mes maistres avoir :
Ils ne me veulent voir qu’enchesnee et captive.
   Aussy est il bien vray qu’estant en Liberté
Je seroys sans honneur, mesprisée et chetive,
Et je ne serois plus ce que j’aurois esté.

Variantes

v. 7- A mg arrester les fuiars qu’il fault que je retienne

A

Une (énorme) chaîne sur une table bourgeoise (le pied de table est le même que celui de la première gravure). Le texte joue sur toutes les variétés de chaînes, prisons et bijoux, chaîne et maillon de chaîne, bien que la gravure suggère plutôt la chaîne-bijou, ayant le même dispositif de présentation sur un tapis que pour la bague (gravure 3). Une fenêtre entrouverte derrière la table, sur la gauche, une porte ouverte.

Aucune correspondance dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 5, Catena : « Vincior ipso prius ; sed vincio victa vicissim/ Et solvi multos, nec sum tamen ipsa soluta » [Je suis vaincue par lui, mais vaincue je vaincs à mon tour, et j’en ai défaits plusieurs, et ne suis pourtant jamais défaite moi-même.]

B

(1) Le narrateur (la chaîne) dit d’abord qu’elle porte le nom d’un arbre même si elle ne vient pas de lui. Qu’elle soit belle ou laide, molle ou dure, elle est si chère aux rois et aux princes qu’ils acceptent qu’elle se pende à leur cou. (5) Elle a constamment besoin de communiquer avec ses sœurs afin d’être plus forte, sans quoi elle ne servirait à rien et ne pourrait arrêter les fugitifs qu’elle est censée entraver (Variante : elle n’arrêterait pas ceux que son maître désire garder près de lui). (9) Même après avoir fait longuement preuve de sa loyauté son maître ne lui rend jamais sa liberté. (11) Il ne veut rien tant que de la voir enchaînée et emprisonnée, mais il est vrai également que, libre, elle ne serait plus que l’ombre d’elle-même, méprisée et pitoyable.

C

L’ouverture du sonnet joue sur un effet linguistique : l’homophonie qui existe en français entre les mots « chêne » et « chaîne », avant de passer en revue les différents types de chaines (en or) et de glisser de parfois de chaine à maillon de chaine (qui nécessite la captivité réciproque des maillons). Inévitablement le ton devient suggestif quand la chaine raconte à quel point elle est proche des cous royaux et princiers : les bijoux, mais aussi les ordres de chevalerie, les rangs et dignités se marquent dans des colliers et chaînes d’or. Elle assure qu’elle gagne en force quand elle est associée à d’autres chaines, sans quoi — et ici le fer a remplacé l’or — elle ne pourrait pas arrêter les fugitifs. Ses maîtres ne veulent pas la libérer ; même après de longues années de service ils ne veulent pas la laisser de côté. Mais la chaine avoue que la liberté lui ferait perdre aussitôt tout honneur et qu’elle y laisserait son statut social.

Ce sonnet fait pâle figure comparé aux autres ; le jeu de mot initial sur les homophones suscite des espérances qui sont par la suite déçues, même si la transposition du collier en or à la chaine du prisonnier est inattendue et introduit des associations nouvelles et surprenantes. Par certains côtés, Fonteny joue sur une ambivalence existentielle que lui comme d’autres courtisans ou gentilshommes rattachés à la cour ont dû ressentir, dans un contexte où chacun est déchiré entre sa foi, ses allégeances et sa liberté.

[14ro]

fo 14 ro — [Hérisson]

Illustration
   On m’en veult et ma chair est si fort desiree
Que j’ay des poursuivans qui de nuict et de jour
Me guettent pour m’avoir, non tant guidez d’amour
Que d’une opinion de ma vertu tiree.
   Pour maintenir ma vie et la rendre assuree,
Soit que la guerre regne ou la paix à son tour,
De peur qu’on ne me face outrage ou quelque tour,
Je me munis de trais à la pointe aceree.
   Je les scay comme un Parthe au besoing decocher
Contre les ennemys qui osent m’aprocher
Pour gouverner mon corps auecque violence.
   Je puis comme Proté ma figure alterer.
Les Zoroastiens m’eurent en reverence.
Je puis Venus sans poil par ma mort decorer.

Variantes

v. 4- d’u n ne

v. 6- guerre soit

Notes

v. 4 : « vertu » : propriétés spéciales.

v. 9 : Les Parthes sont renommés comme des archers si habiles qu'ils tirent des flèches derrière eux depuis leur cheval. – « Décocher » : lancer. Porc-épic lançant ses piquants pour se défendre : Pline à partir de toute la tradition antique ( Histoire des animaux, Aristote, I c. 6 et 7 ; VIII, 19) et moderne (Elien, Opien, Suidas), dont un poème de Claudien qui insiste sur le caractère naturel des armes animales et l'habileté de la défense, avec la comparaison aux Parthes. Le porc épic est l'emblème du roi Louis XII, symbolisant l'invulnérabilité. Il y a un Ordre du Porc-épic dans la famille d'Orléans (Voir Nicole Hochner, Louis XII. Les dérèglements de l'image royale, Seyssel, Champ Vallon, 2006, p. 42) et un collier d'or de l'ordre en question.

v. 12 : Protée : l’élision du –e évite de faire ce nom trisyllabique. Protée, dieu marin qui est devin, change de forme pour éviter d’être pris. Fonteny peut le rencontrer dans l’ Odyssée IV 349-352, Virgile, Georgiques IV 387-529, et plusieurs fois chez Ovide, Fastes et Métamorphoses .

A

Un porc-épic avec un arbre à l’arrière-plan. Les bestiaires passent facilement d’un animal à l’autre, le porc épic associé aux emblèmes politiques parce qu’il était l’emblème personnel de Louis XII, le hérisson associé à l’ingéniosité de la cueillette et à l’intelligence animale. Le dictionnaire de Furetière commence par lever cette « confusion des Anciens » entre les deux animaux.

Henkel / Schöne col 485 atteste plusieurs emblèmes royaux, sur l'image du roi idéal qui sait se défendre de toutes parts par ses dards (Camerarius II, 84).

Thème présent chez Symphosius 29, Ericius : « Plena domus spinis, parvi sed corporis hospes,/ Incolumi dorso telis confixus acutis ; / Sustinet armatas segetes habitator inermis [La maison pleine d'épines, hôte d'un petit corps / cloué, dos intact, par des traits aigus ;/ habitant désarmé il soutient des fléches armées].

B

(1) Le porc-épic (le narrateur) est toujours en danger et sa chair est si délectable que bien des chasseurs le traquent de jour comme de nuit même si ce n’est pas par amour mais à cause de l’opinion qu’ils se sont fait de lui sur la base de ses vertus et de ses qualités. (5) Pour mener sa vie et la protéger en temps de paix comme en temps de guerre, il s’est équipé de piquants acérés. (9) Comme le Parthe, il sait décocher ses traits à ceux qui osent s’approcher trop de lui en le menaçant. (11) Il peut changer d’apparence comme Protée. Les Zoroastriens le révèrent, et il peut une fois mort orner Vénus sans ses piquants.

C

Dans l’ensemble ce sonnet a des références disparates. Il commence un élément surprenant : manger du hérisson… Louis XII mangeait du porc-épic en ragoût. C’est toujours le cas au Maroc et chez les gitans. Furetière signale que « les Indiens vivent de chair de herisson qui est fort blanche, & qui ne cede point à celle des poullardes engraissées. Et les plus riches Espagnols en mangent le Caresme, à cause qu’il vit d'oeufs de fourmis, d’herbes & de racines. », ce qui est ensuite répété : Louis Liger, La nouvelle maison rustique , Paris, Desaint, 1777, II, p. 552 : « Le hérisson est bon à manger, sur-tout au mois d'aout et en automne qu’il est gras ; mais il faut prendre garde aux piquants. Les Espagnols le mangent sans scrupule en Carême, parce qu’il ne se nourrit alors que d’oeufs de fourmis, d’herbes et de racines : son foie est estimé pour les maux de reins ». Il « passait » (selon Mérat et Lens, Dictionnaire médical, 1837) pour laxatif et diurétique, et sa tête contient des bézoards.

Puis plus classiquement en accord avec l’emblématique, le texte enchaine par une description assez simple des dangers auxquels sont confrontés les hérissons et du mécanisme de défense qu’ils ont mis en place. Occultant le moyen le plus simple (se rouler en boule), le texte souligne le moyen prodigieux qui a fait la renommée du porc-épic : les piquants qu’il peut diriger vers ses assaillants. Les allusions mythologiques à cette transformation physique semblable à celles dont était capable Protée, ce maître des métamorphoses, sont très compréhensibles (Homère, Odyssée, IV, 349-570). Le vers le plus obscur évoque le culte que les Zoroastriens rendent aux hérissons, qui est bien plus difficile à retrouver et plus énigmatique, sans doute pour les contemporains de Fonteny eux-mêmes. Les versets 2 et 3 du livre 13 de The Book of Zoroaster (Vendidad) fournissent peut-être un indice : « Le Seigneur Dieu répondit : “le chien au dos couvert d'épines, et au museau fin et allongé, le chien Vanghapara, que les gens mal-embouchés appellent le Duzaka ; elle est la bonne créature parmi toutes les créatures de l’Esprit Bon, qui de minuit au lever du soleil montent pour tuer des milliers de créatures de l’Esprit Mauvais. Et qui que ce soit, Ô Zoroastre! qui tue le chien au dos couvert d'épines, et au museau fin et allongé, le chien Vanghapara, que les gens mal-embouchés appellent le Duzaka, tue sa propre âme pour neuf générations, et ne trouvera pas le chemin qui traverse le pont Chinwad, sauf s’il a au cours de sa vie expié ce pêché.” » Le hérisson (le chien au dos couvert d'épines) faisait partie des chiens domestiques protégés par les disciples de Zoroastre — si bien que tout outrage qui lui est fait auraient été sévèrement puni. Dans l’ensemble, cette référence à Zoroastre en France en 1600 intervient à une époque où les seules sources pour le Zoroastrisme sont de vagues références dans des auteurs de l’antiquité comme Aristote, Pline, Platon, et plus tardivement Diogène Laerce et Suidas ; la source possible, parce que commune et traduite, est Plutarque, Les propos de tables ou symposiaques, dans les Moralia, traduits par Amyot, éd. 1575, Tome 1, p. 394, et se résume à : « Les Mages disciples de Zoroastre honoraient d’un culte spécial le hérisson de terre », ce qui suffit pour faire un alexandrin !

Le dernier vers est très mystérieux : mais il trouve sa solution dans un passage de Pline, Histoire Naturelle, livre XIX, XXXIV, 6 : comment lutter contre l'alopécie ? « La cendre de hérisson mélangée au miel, ou sa peau calcinée avec de la poix liquide, guérit de la calvitie. La tête de cet animal réduit en cendre et employée seule, fait même repousser les poils sur les cicatrices ; mais pour ce traitement il est nécessaire de préparer avec le rasoir les surfaces dépilées » ; « toutes les propriétés du hérisson se retrouvent plus marquées encore chez le porc épic ». Remède dont la pratique semble avoir survécu fort longtemps.

[15ro]

fo 15 ro — [Clef]

Illustration
   Je n’ay qu’un petit corps qui a force et puissance
D’engarder les larrons qui desirent voler ;
Bien que par tout il faille avec mon maistre aller
Si garday-je son or, ses papiers et chevance.
   Sans estre en sa maison je garde en assurance
Ce qu’il i a laissé sans qu’on le puisse embler.
Aussi le voit on bien colerer et troubler
Quand un autre que luy de moy a jouissance.
   Il ne veut point que j’aye une sœur avec moy,
Car l’une de nous deux pourroit manquer de foy
Et en puniroit on peut estre nostre pere.
   Le sort dessus mon chef ce desastre répand
Que mon maistre, jalous de ce que je puis faire,
De peur que j’aille ailleurs, à son costé me pend.

Notes

v. 4 : « Chevance » : Le bien, la possession. Déjà vieilli au xviie s. (voir La Fontaine, VII, 6)

v. 6 : « Embler » : dérober par effraction.

v. 12 : « chef » : tête.

A

Une clé suspendue sans support dans le ciel, elle touche les nuages. Paysage de campagne avec une maison.

Aucune correspondance dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 4, Clavis : « Pando domos clausas ; iterum sed claudo patentes / Servo domum domino ; sed rursus servor ab ipso [J'ouvre les maisons fermées, mais je ferme ensuite les ouvertes, j'asservis la maison au maitre, mais suis asservie par lui].

Légère parenté avec Straparole, VIII :

« Celuy qui m’ayme bien m’estime et prise tant

Qu’il ne me veut jamais, s’il peut, perdre de veue,

Est tant espris de moy qu’aussitost qu’il m’a veue

Il faut qu’il me caresse ou il n’est point content »

B

(1) La clef (narrateur féminin) rapporte que malgré sa petite taille, elle est suffisamment forte pour empêcher les malfaiteurs de voler. Elle a toujours besoin d’accompagner son maître qu’elle doit protéger ainsi que tout ce qui lui appartient. (5) Sans être sur les lieux elle défend pourtant tout ce que contient la maison des cambrioleurs, et on peut voir son maître plein de rage et de crainte quand quelqu’un d’autre que lui la possède. (9) Il ne veut pas qu’une sœur l’accompagne de peur que l’une ne lui manque de foi, (11) ce qui ferait courir à leur père le risque d'être puni. Le sort malheureux fait que son maître – jaloux de ce qu’elle pourrait faire, et de peur qu’elle ne s’en aille – la porte (la pend) toujours accrochée à son côté.

C

Ce sonnet compte parmi les plus médiocres. Il décrit comment une clef garde les biens et les papiers de son maître, quand personne n’est au logis, soulignant ce pouvoir paradoxal et magique qu’elle exerce. Il est également question de la peur profonde et de la suspicion du maître quand un autre la « possède »/ « jouit d'elle » – sans doute une allusion sexuelle ambiguë. Il a peur également de la duplication (« sœurs ») puisqu’il lui est alors plus difficile de les contrôler (double sens à la fois sexuel et technique), et le blâme pourrait en retomber sur lui, puisqu’il est littéralement le père de la clef dont les copies sont faites. Le propriétaire de la clef la porte sur lui accrochée à un anneau – pendue comme la femme de Barbe-Bleue. Mais cette proximité physique n’est qu’un pâle reflet de l’intimité développée avec bien plus d’habileté et d’ambivalence dans des sonnets comme au fo 4(Bague ), fo 2 ( Tablettes ) ou même fo 12 ( Bouteille ). L’auteur oublie de dire que ce sont les femmes surtout qui portent à leur ceinture les clefs de la maison, pour ne privilégier que l’indication qui lui permet l’équivoque sexuelle. D'autre part le freudisme élémentaire dirait que la clé est un phallus et non une figure féminine comme la construit le poème.

[16ro]

fo 16 ro — [Neige]

Illustration
   L’æsté je cours par tout, ores dans une pree,
Ores au bord d’une isle où la jeunesse vient
Se bagner avec moy, mais quand l’hiver revient
Je ne cours, ains je vole en diverse contree.
   Je viens du Ciel çà bas tout de blanc acoustree
Avec aultant de corps que le nombre on n’en tient ;
Ma mere de ma perte en grandeur s’entretient,
Aussi ne suis-je pas de trop longue duree.
   Au nom Latin que j’ay, si on adjouste encor
Trois lettres seulement qui forment le nom cor,
Je seray un oiseau de couleur dissemblable
   A la blancheur d’un Cigne, et dedans le mesme air
Où je soulois couler on me verra voler,
De ma forme premiere en rien n’estant semblable.

Variantes

v. 9- latin que si

B md : mon royaume [ ?] de [ ?] quelques lieux [?] est [??]

Notes

v. 3 : « Bagner » : baigner

v. 9 : Le mot Nix . Cor + nix = cornix, nom latin de la corneille.

A

Une neige légère tombe d’un nuage sur un champ ; sur la gauche, un arbre mort.

Rien de semblable dans Henkel / Schöne

Thème présent chez Symphosius 12, Nix, « Sole madens, aestate fluens, in frigore siccus » [Fondant au soleil, courant en été, sèche dans le froid]

et chez Straparole.

Reusner I, p. 22 et 83 rappelle que l’énigme de l’eau et de la glace a été présentée chez les grammairiens Diomède et Donat sous la forme « Quam mater genuit, generavit filia matrem » [Celle que sa mère a engendrée, fille, engendre sa mère]

Reusner, II, 149, Cornix/ Nix : « Res volat in silvis, nigra vestita colore :/ Si caput abstuleris, res erit alba nimis » [La chose vole dans les forêts, vêtue de vêtements noirs, Si tu lui enlèves la tête, la chose sera très blanche]

et I, 87 et II, 240 « […] Signa novem, fuerit si litera prima recisa, / Cor mihi si jungas, vix est avis atrior ulla » [Ce serait 9, si la première lettre était changée [ novem/ovem ],/ si tu me joignais Cor, alors ce serait un oiseau le plus noir].

Sera de nouveau chez Colletet.

B

(1) En été, l’eau court dans les prés ou près d’une île où des jeunes gens se baignent, mais l’hiver venu, l’eau vole. (5) Elle (la neige) descend du ciel toute de blanc vêtue et en telle quantité qu’il est impossible de la compter. Sa mère (l’eau) gonfle au fur et à mesure que la neige fond, aussi ne tient-elle pas longtemps. (9) Quand on ajoute trois lettres seulement à son nom latin (11) elle devient un oiseau de couleur différente de celle du cygne. On la voit alors s’envoler dans une blancheur de cygne, dans ce même air où elle vient de tomber – sans que rien ne vienne rappeler sa forme originelle.

C

Il s’agit ici de la deuxième énigme linguistique de la séquence. Le sonnet commence de façon assez plaisante avec la description d’estivants se baignant. Comme pour la glace, l’auteur utilise l’image de maternité pour désigner le cycle de l’eau/la pluie, l’eau/la glace, l’eau/la neige. Même début sur les propriétés de l’eau que pour fo 7 (voir p. 000).

C’est à ce moment, au début du distique que commence, à l’improviste, l’énigme linguistique qui permet aussi une antithèse (le blanc et le noir) grâce à la métamorphose paradoxale d’une forme blanche, volante et impalpable, en oiseau noir.

Cette énigme, comparée à la première de la séquence, fo 10 ( Caillou ), demande au lecteur une plus grande participation : il ne suffit pas d’enlever des lettres du mot original ( Caillou ) pour arriver au nouveau terme. Au fo 16, ils doivent se référer au mot latin pour neige, nix/nivis - étymologiquement lié au « neige » du xviie, comme tend à l’indiquer le moyen français nyver — qui faisait certainement partie du vocabulaire des lecteurs cultivés de Fonteny.

La métamorphose en cache d’ailleurs d’autres plus érudites, venues encore ensemble d’Ovide, Métamorphoses, V, 531 sq . : le corbeau, jadis, était blanc, mais il a dénoncé à Apollon l’infidélité d’une de ses maitresses, Coronis, et Apollon, mécontent, rend noir le plumage de cet oiseau de mauvais présage ; Coronis, alors fille du roi Coroneus, menacée de viol par Neptune, en appelle aux dieux, et Athéna la change en corneille.

[17ro]

fo 17 ro — [Pluie]

Illustration
   Fille je suis d’une fuiarde mere
Que j’engrossis retombant dans son sein ;
Le Ciel me pousse, à l’instant qu’il est plain,
Il porte mieus ce dont on a afaire.
   Par fois je viens sans qu’il soit necessaire,
Des voiageurs gastant tout le chemin,
Et je leurs fais de demain en demain
Sans leur parler diferer leur affaire.
   Les Aousterons j’ay maintesfois troublez,
Diminuant leur espoir et leurs blez ;
Bacchus par moy souvent reçoit outrage,
   Par fois du bien, à mon occasion
Pour se sauver le viel Deucalion
Meit le sapin et le chesne à la nage.

Variantes

v. 6- [A md= vers oublié]

Notes

v. 9 : « Aousterons » : littéralement : les humains du mois d’août, terme désignant ici les ouvriers loués au mois pour les travaux de la campagne, moissonneurs puis vendangeurs.

A

De fortes pluies tombent d’un nuage menaçant sur un paysage vallonné et une rivière déjà en crue.

Aucune parenté dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 9, Pluvia : « Sed sinus excepit, qui me simul ipse recepit . »

Reusner 184 emprunté à Jules César Scaliger : « Sublimi in regno, e regno digressa parentis,/ Ipsa mei rursus pristina fio parens./ Pars remanet pura, ast alia est infecta sorore,/ Si mea non veniant tempora, siccus erit [Dans le royaume sublime, partie du royaume de mon père, je fais retour en l’engendrant. Une part reste pure, mais une autre est polluée par sa sœur ; si ne venait pas mon temps, il ferait sec].

Sera de nouveau chez Colletet.

B

(1) Le narrateur (à nouveau féminin) est ici la pluie, qui se dit fille d’une mère fugitive, qu’elle engrosse à chaque fois que ses averses retombent sur son corps. Mais le ciel la pousse à l’extérieur (de lui) chaque fois qu’il est plein (d’eau). Il garde mieux ce qui est utile. (5) Parfois, le nuage de pluie arrive sans nécessité, et sans prévenir le voyageur, la pluie rend la route impraticable, et le force à retarder ses affaires d’un jour ou deux. (9) Parfois elle vient déranger la main d’œuvre saisonnière du mois d'août, diminuant leurs espoirs et leurs récoltes. (11) Souvent elle outrage Bacchus, mais il profite également à l’occasion de ses pluies. Et afin de se sauver d’elle, le vieux Deucalion fit flotter le sapin et le chêne.

C

Ce sonnet — dont la gravure met clairement en scène la quantité d'eau tombant des cieux, contrairement à la vignette précédente — est hautement énigmatique, uisqu’il évoque de nombreux détails de la mythologie grecque qui nécessitent d'être clarifiés pour rendre le poème compréhensible. Le cosmos est une force ordonnée où les éléments sont répartis par la main du Dieu originel, qu’on pense au Dieu de la Genèse ou au Jupiter des Métamorphoses d’Ovide (I, 5 sq .).

Comme la neige, la pluie est fille de l’eau, dont elle s’évapore, puis où elle retombe. On peut aussi comprendre qu’elle est fille de la terre et d’un père-ciel : le poète voit la pluie comme ce qui vient gonfler les seins de cette terre-mère jusqu’à ce que les cieux poussent à nouveau la pluie à tomber — il inverse ainsi les rôles puisque la fille engrosse sa mère, introduisant une filiation mère-fille de plus dans le maillage complexe de cette série de sonnets météorologiques, comme pour Glace et Neige (ici p. 00 et 000). Ce père fécondant garde en lui ce qui est nécessaire à son rôle de ciel : peut-être les pluies futures ? sans doute les astres.

La séquence suivante opère un changement de ton et rapporte certaines des conséquences des pluies torrentielles : elles empêchent le voyageur d’avancer en rendant les routes impraticables, ou viennent interrompre les travailleurs au moment de la récolte. Dans le dernier quatrain, Fonteny revient à la mythologie grecque, d’abord en des termes très généraux lorsqu’il suggère que même les vins de Bacchus peuvent souffrir de ces pluies, quoi que ce ne soit pas toujours le cas. Dans les deux dernières lignes, le poète évoque l’histoire du vieux Deucalion et le mythe grec du déluge (voir ici sonnet 9 des Pierres, p. 000). Il fait allusion au déluge dont Zeus frappa l’humanité, et au fils de Prométhée, Deucalion, qui, averti par son père, construisit une arche sur ses conseils. Ils bravèrent les flots déchaînés neuf jours durant avant de jeter l'ancre en haut d'une montagne grecque (Ovide, Métamorphoses, I, 313 sq . et I, 335 sq .), mais sur une « frêle barque » que Fonteny transforme en invention de la navigation.

[18ro]

fo 18 ro — [Tavernier]

Illustration
   Je m’en allay du jour où je pouvois choisir
De quoy me contenter, accompagné d’un haire,
Bon drole et bon garson pour mener tel affaire
Et faire trouver tost de quoy prendre plaisir.
   La dame du logis « si vous avez desir
D’avoir (dict elle icy) quelque chose, j’espere
Vous contenter fort bien et, pour peu de salaire
Percés où vous voudrez, j’en donne le loysir » .
   Bien qu’elle en eut beaucoup, sur une je me rue,
Que pour mieux visiter je revire et remue,
Luy mettant par son trou rouge, ouvert et beant,
   Un chose roide et long qui pousse dans son ventre
Une douce liqueur, dont il est si friant
Que jusqu’au regorger il veut que tout y entre.

Variantes

v. 7- B md je vous peux satisfaire

v. 8 B md je prends le loisir ???

Notes

v. 2 : Un « pauvre hère » est un homme sans mérite : et pourtant ici cela ne convient guère ; il nous faut plutôt un valet de taverne... ou un client de taverne (le référent des « il » est très flou). La confusion haire/here est ancienne. Le terme peut avoir un sens érotique pour désigner le sexe masculin : Panurge, demi-rôti par les Turcs, montre « son pauvre haire esmoucheté, comment il s'estoit retiré du feu, car il ne me alloit plus que jusques sur les genoulx » (Rabelais, Pantagruel, ch. 14).

v. 5 : La « dame du logis » peut être la maquerelle qui propose ses filles, ou la cabaretière qui autorise qu’on s’intéresse à ses tonneaux. L’expression suivante « bien qu'elle en ait plusieurs » n'est pas claire : plusieurs [tonneaux], ou même plusieurs « dames », car la dame est aussi un tonneau, qu’on appelle encore une « fillette », comme les grosses bouteilles sont des « dames-Jeannes ». On met en perce un tonneau en introduisant une cannelle en bas du tonneau pour tirer ; et ici à l’inverse en le « virant » pour que la bonde (un trou) se trouve en haut.

v. 9 : « se ruer » : se précipiter

v. 12 : Les tonneaux offrent une des séries métaphoriques les plus attestées de Rabelais, voir le tonneau diogénique de la préface du Tiers livre ; et la plus apte à fournir des métaphores sexuelles, dille (Pantagruel ch. 11), bondon (qui sert à fermer la bonde, ibid.) , douzil qui sert à ouvrir (et refermer) par le bas ( Gargantua , ch. 3), Flacons à vis ( Gargantua, ch. 5), etc.

A

Un homme dans une cave verse un liquide d’un récipient dans un tonneau à l’aide d’un entonnoir. À ses pieds, une cruche. À l’arrière-plan, des marches remontent vers le rez-de-chaussée.

De façon étonnante pour ce qu’on attend comme une invitation à boire, le tavernier ici représenté n’est pas en train de mettre en perce un tonneau comme le texte le suggère (« percer, chose »), mais en train de verser quelqu’une chose d’une bouteille dans le tonneau. Soit remplir un tonneau déjà entamé avec un vin de même provenance, ce qu’on appelle faire des vins ouillés ou oeillés pour le compléter. Soit tricher, s’il s’agit d'eau, ce qui pourrait expliquer le vase posé par terre...

Parenté du dessin avec l'emblème reproduit par Henkel / Schöne, col. 272, qui vient de La Perrière 32, mais dans La Perrière, on tire du vin pour en jouir, jusqu’à l’ivresse dangereuse. Pour le sens érotique, ibidem, les emblèmes du tonneau où fermente le moût comme image des passions ou l’Amour perçant le fût (Cats 34).

B

(1) Le narrateur raconte qu’il s’en est allé dès qu’il a été libre de choisir ce qui servirait à le satisfaire, en compagnie d’un brave garçon, un bon vivant qui cherchait à faire pareil et ne serait pas en peine de trouver un lieu où s’amuser un peu. (5) La maîtresse de maison (close?) — leur dit, si vous voulez prendre quelque chose ici — j’espère vous satisfaire entièrement [et pour pas cher]; [dans la marge] je peux vous donner du bon temps. Pénétrez où vous voudrez [je vous donnerai] [en marge] plus de liberté encore. (9) Même si elle avait bien des [femmes ?] à offrir il se jette sur l’une si bien que — pour mieux explorer — il put tourner et retourner et remuer, (11) en collant dans son trou béant et rouge un chose raide et long et instillant dans son ventre une douce liqueur dont il raffole tant qu’il en prend tout son soul, puis finit par vomir.

C

Ce sonnet est obscur, d’abord à cause des interpolations, difficiles à déchiffrer bien que le texte original, quoique raturé, soit encore lisible. Son sujet d’abord : le mot « tavernier » désigne au départ l’habitué des tavernes (le consommateur, qui choisit vin et filles), avant d’être le patron de la taverne (qui s’occupe des tonneaux et du service) : l’image suggère le patron de taverne, le texte suggère le consommateur engagé dans la conversation. Ensuite à cause d’allusions sexuelles potentielles embrouillées, le quatrain semble raconter une partie fine au bordel : entre bons compagnons gaillards, avec une dame accorte qui propose la marchandise, – un exemple rare de l’intervention d’une deuxième voix dans les poèmes de Fonteny. Mais quelle marchandise ? femme ou tonneau ? Les promesses (d’ordre sexuel) qui sont faites ici sont plus qu’explicites – même si, et là réside toute la possible ambivalence – la dame/le tonneau renvoie peut-être à la qualité des vins qu’elle a à offrir. Il décrit de manière assez crue les détails de ce qui pourrait renvoyer à une pénétration assez brutale et à une éjaculation. Ces actes – qui commencent avec le distique et continuent avec un enjambement au quatrième quatrain, où le pronom sujet change tout à coup et devient « il » dans les deux derniers vers – sont décrits avec une telle crudité que l'on préfère y voir un compte-rendu détaillé de l'acte représenté dans la gravure qui accompagne le sonnet : le fait de remplir un tonneau de vin — même si cette action est en soi étonnante puisque l’on s’attendrait plutôt à ce que le vin soit tiré du tonneau. Au niveau strictement sexuel, toutefois – si on laisse l’image de côté – l'interprétation est rendue difficile par une syntaxe obscure : quelle est cette « dame du logis » ? qu’a-t-elle donc à offrir en abondance ? Le vin ? mais on la remplit ... Au niveau de la logique, l’énonciateur est passé du consommateur buveur potentiel au travail du tavernier qui consiste à remplir les tonneaux et non à vider les bouteilles…

Il va sans dire que remplir un tonneau de vin est moins excitant – ou exaltant – que de profiter des plaisirs qu’une fille de joie offre généreusement, sans parler des autres plaisirs évoqués ailleurs dans le poème. Mais il se pourrait bien que cela soit précisément le message « énigmatique » du sonnet 18, qui ne semblerait pas autrement présenter explicitement une énigme...

[19ro]

fo 19 ro — [Chèvre]

Illustration
   Je suis femelle et si je suis Barbue
Par le menton, neanmoins Jupiter
à son besoing me voulut bien teter
Et de mon laict sa bouche fut repue.
   Pour ce bienfaict ma ressemblance est vûe
Dedans les Cieux où il la feit porter.
Je suis alegre et agile à monter
Sur le coupeau d'une roche cornue.
   En la Campagne on me voit trotiner,
Faisant maints sautx, et un troupeau mener
Marchant devans ainsi qu'un Capitaine.
   Du poil qui sort de dessus moy on faict
En la Turquie un camelot parfaict,
Utile aultant qu'un velours de Touraine.

Variantes

v. 3- bien tat

v. 7-8- A il- je suis alegre et peut si haut monter

Qu’a peine peult arriuer

v. 10- sautx et le

Notes

v. 1 : « et si » : et pourtant

v. 3 : Amalthée, qui nourrit Jupiter, devient constellation du mois de mai (lever de la constellation de la Chèvre).

v. 8 : « coupeau » : pente abrupte

v. 13 : « Camelot » : tissu de poil de chameau, ou mêlé de poil de chèvre angora... Importé de Turquie dès le xiiie s, il est léger, chaud et imperméable. Puis le terme a désigné une marchandise moins luxueuse, en laine. Les velours sont réservés à la noblesse.

A

Une chèvre traverse un paysage vallonné ; des arbres à l’arrière-plan.

Rien dans Henkel / Schöne.

Thème présent dans Symphosius 35, Capra : « Alma Jovis nutrix, longo vestita capillo / Culmina difficili peragrans super ardua gressu / Custodi pecorum tremula respondeo lingua ». [Douce nourrice de Jupiter, vêtue de longs cheveux, parcourant les cimes difficiles d’une marche périlleuse, je réponds aux appels du gardien des troupeaux] et Virgile, Bucoliques, I, 77 « Non ego vos, capellae, posthac, viridi projectus in antro, Dumosa pendere procul de rupe videbo » [Je ne vous verrai plus, chèvres, moi couché sous un antre vert, vous en train de grimper à la roche couverte de buissons].

B

(1) Le narrateur (la chèvre) raconte que quoiqu’elle soit femelle, elle porte une barbe. Pourtant Jupiter voulait pouvoir lui caresser le front chaque fois qu’il en avait de désir, et sa bouche se rassasiait de son lait. (5) On peut la voir au ciel où il lui a fait une place. Elle est rapide, grimpe facilement (variante : elle est joyeuse et grimpe d'un pied léger) tout en haut d'un roc escarpé. (9) On peut la voir faire claquer ses sabots par le pays, là où elle cabriole et conduit son troupeau, (11) marchant en tête comme un capitaine. En Turquie on fait un tissu des plus doux avec ses poils, aussi utile que le velours de Touraine.

C

Comme au sonnet 16 (fo 17) Fonteny commence par une référence mythologique en décrivant comment le nourrisson Jupiter (Zeus en grec) est confié par sa mère, Rhea, à une nymphe, Amalthée, qui lui donne du lait de chèvre, ou directement à une chèvre du nom d’Amalthée qui fait office de nourrice (Ovide, Fastes, III, 439-445, et V, 111-118). Il n’est pas étonnant que Jupiter caresse la chèvre (le narrateur) et profite de son lait — et que son portrait figure dans les cieux sous la forme de la constellation du Capricorne. Après cette référence à son ascendance mythologique, la chèvre décrit ses différents exploits dans le deuxième quatrain et le distique, où elle souligne son talent pour l'escalade et pour guider les troupeaux, et cette fois l'écho est virgilien.

Comme dans d’autres sonnets, le poème s’achève sur une note quelque peu utilitaire — pour ne pas dire franchement terre à terre — quand la chèvre annonce avec fierté le fait qu’en Turquie son poil est tissé avec du poil de chameau pour faire une étoffe hautement convoitée (le poil de chèvre supplée au poil de chameau pour éviter que l'étoffe ne devienne trop coûteuse). Ce tissu est, nous dit-elle, tout aussi utile et sans doute plus que le velours de Touraine ; le camelot est une étoffe chaude pour voyageurs ; le velours de Touraine est un tissu de soie pour les vêtements de luxe. À Tours, une industrie textile autrefois renommée repart de plus belle en 1599 après l'édit d'Henri IV autorisant les tisserands de Tours à produire toutes sortes d'étoffes, y compris des « velours rouges, violets et tannés », renouvelé en 1605, 1607, 1611. (Ces étoffes sont mentionnées parmi d’autres dans le Testament politique de Richelieu, Amsterdam, Desbordes, 1688, seconde partie, p. 128. Cf . aussi Gustave Fagniez, L'économie sociale de la France sous Henri IV, Paris, Hachette, 1897/ reprint Genève, Slatkine, 1975). Il semblerait presque que le narrateur regrette que le velours fait à Tours n’inclue pas dans son mode de fabrication français des poils de chèvre, ce qui aurait pu donner plus d’importance encore à l'animal...

[20ro]

fo 20 ro — [Nuée]

Illustration
   Je suis par le visage à la nuict fort semblable,
Obscure, morne, trouble, et mal plaisante à voir ;
Neanmoins en naissant je n’ay point le front noir,
Mais lors que le ciel pleure il se rend efroiable.
   Cinthie, aux voiageurs luisante & secourable,
Ne me peut eclaircir, en plain jour j’ay pouvoir
D’emmanteler Phœbus, empeschant son debvoir.
Si suis je quelquesfois aux amants favorable :
   Du jour je feis la nuict, quand le plus grand des dieux,
Piqué d’une beauté, abandonna les Cieux
Pour venir en la terre engendrer un Hercule.
   J’ay beau faire, je ne puis empescher
Que lors qu’on me voit noire on ne s’aille cacher
Et qu’on ne se remontre alors que je recule.

Notes

v. 5 : La lune, du nom de la montagne de Délos où elle est née.

v. 7 : « emmanteler » : mettre un manteau.

v. 9 : Jupiter, venant chez Alcmène enfanter Hercule, fait durer la nuit 24h : Ovide, Métamorphoses IX, ne raconte pas la longue nuit, connue par le Pseudo-Hésiode, Première partie du Bouclier d'Hercule, Diodore de Sicile, Histoire universelle, IV, 4... et l' Amphytrion de Plaute.

A

Scène nocturne : des nuages sombres et menaçants, partiellement éclairés, surplombent une église et des habitations sur la gauche, une colline et quelques arbres sur la droite.

Aucune parenté dans Henkel /Schöne.

Thème présent dans Symphosius 8, Nebula : « Nox ego sum facie, sed non sum nigra colore / Inque die media tenebras tamen adfero mecum » [Par mon visage je suis la nuit, mais je ne suis pas de la couleur noire, et au milieu du jour j'apporte des ténèbres avec moi].

Reusner I, 88 donne le même texte et Reusner II, 69 « Noctis habet faciem, per se ipsa nigretudinis expers / Fert tenebras media saepius illa die » [Elle a le visage de la nuit, alors qu’elle n'est pas noire par elle même, elle apporte des ténèbres le plus souvent en plein jour].

Sera repris par Cotin.

B

(1) La narratrice (la nuée) affirme que son visage, comme celui de la nuit, est sombre, triste, tourmenté et déplaisant à voir — pourtant elle n’avait pas à l’origine un front si noir et menaçant. Ce n’est que lorsque le ciel verse des larmes qu’il prend son masque effrayant. (5) Cynthia, vive clarté qui aide le voyageur, ne peut l’illuminer. En plein jour la nue est si puissante qu’elle peut encercler Phoebus et l’empêcher de s’acquitter de ses devoirs. Parfois, lorsqu’elle est favorable aux amants, (9) elle transforme le jour en nuit. Quand le plus grand de tous les dieux, captivé par une beauté, descendit des cieux (11) sur la terre pour engendrer Hercule, elle joua un rôle dans l’affaire. Toutefois elle ne peut empêcher les gens de se cacher quand ils la voient — et de ne pas reparaître avant qu’elle ne se soit retirée.

C

Ce sonnet est riche en références mythologiques, mais aucune d’entre elles n’est particulièrement énigmatique. Elles servent à créer une sorte de super-divinité qui domine les autres, une obscurité souveraine, crainte, et maîtresse entre autres des amours. Les deux dieux des astres, Cynthia et Apollon, lune et soleil, sont impuissants, ceci est une version mythologique de la météorologie. Mais cela a le mérite de créer un paradoxe : ordinairement la lumière est le symbole du pouvoir divin, or quelque chose est donc plus puissant que les Dieux. Toujours ordinairement, on dit alors que l'Amour seul est capable de dominer les Dieux, en les asservissant par la passion, l’exemple de Zeus étant une bonne démonstration. Ici il y a un autre pouvoir supérieur aux Dieux lumineux, l'ombre. Mais à cette étape du poème, ombre et amour ont partie liée. Version mythologique des destinées du monde comme des amours adultères, l’engendrement d’Hercule se fait dans une nuit si prolongée que certains auteurs la font durer trois jours. Zeus, épris d’Alcmène, descend des cieux sous les traits de son mari Amphitryon, car elle est très vertueuse ; la prolongation de l’obscurité permet les délices et l’incognito.

Avec un changement de thème abrupt, ombre et humains ne semblent pas pouvoir coexister. Comme nous l’avons vu à d’autres occasions, au troisième quatrain le narrateur quitte le monde des dieux pour revenir sur terre, où la nue est bien forcée d'avouer les limites de son influence : la peur qu’elle suscite empêche les confrontations.

Dans l’ensemble ce sonnet plaisant est du point de vue de la forme assez différent des autres par ses nombreux enjambements qui passent par dessus des coupures structurelles, comme à la fin du deuxième quatrain et à nouveau après le distique — ce qui explique la grande fluidité de ce poème auquel l’action dramatique fait défaut.

[21ro]

fo 21 ro — [Chauve-souris]

Illustration
   Je fus en Lesbos fille aiant nom Nyctimene ;
Celuy qu’ores je porte est tiré de la nuict.
D’un peché que je fis le suplice me suit,
Car je n’ay maintenant aucune forme humaine
   Je fuis le jour de honte et quand le soir ameine
Les ombres sur la terre et que la lune luict,
Je me mets en campagne et vole à mon deduict,
Pour aisle aiant un crespe estendu qui m’y meine .
   Je n’ay aucune plume et si je puis voler
Ainsi qu’un autre oiseau dans le vague de l'air.
Me retirant après que j’ay faict ma volee,
   Non dedans des Palais du monde frequentez,
Ains dans de vieux logis loing des gens reculez,
J’esleve mes petis de mon laict allettez.

Variantes

v. 1- Je fus fille

v. 4- A il+ Car je n'ay maintenant ma ressemblance humaine

v. 5- A : Les troupeaux Estoilés de l’ombrageuse nuict

Notes

v. 7 : « déduit : plaisir.

v. 8 : « Crespe » : tissu à surface granitée ou ondulée résultant du tissage de fils tordus, en laine ou en soie.

v. 14 : « allaiter » : Les chauves-souris sont des mammifères.

A

Au centre, une chauve-souris en plein vol, elle se dirige vers un arbre sur la gauche. À l’arrière-plan, une colline et quelques arbres.

Pas de parenté avec les emblèmes de Henkel / Schöne.

Thème présent dans Symphosius 28, Vespertilio : « Nox mihi dat nomen primo de tempore noctis. /Pluma mihi non est, quum sit mihi penna volantis. Sed redeo in tenebris, nec me committo diebus » [La nuit me donne mon nom du premier temps de nuit/ Je n’ai pas de plumage, alors que je possède les ailes d’un être volant. Mais je reviens dans les ténèbres, et ne m’expose pas aux jours].

Reusner II 74 : « Sola avium pario, soli ubera lacte tumescunt, / Aspera sunt soli dentibus ora mihi » [Seule des oiseaux j’accouche, mes seins se gonflent de lait, j’ai des machoires aigues par leurs dents].

B

(1) À Lesbos la narratrice (la chauve-souris) était une jeune fille du nom de Nyctimène. Le nom qu’elle porte à présent vient de la nuit ; elle est tellement punie pour un péché qu’elle a commis qu’elle ne ressemble plus en rien à un être humain. (5) Sa honte lui fait fuir la lumière du jour, et quand le soir répand l'ombre sur la terre et que brille la lune (raturé : les troupeaux étoilés de la nuit sombre) elle gagne la campagne et vole tant qu’il lui plaît, ayant pour ailes grandes des voiles. (9) Elle n’a pas de plumes et pourtant elle peut voler dans l’air immense comme les autres oiseaux (11) se retirant après avoir fini son vol — non pas dans les palais et l’agitation du grand monde mais dans les vieilles masures à l’écart des foules — elle élève ses petits attirés par son lait.

C

Qui s’est trompé ? Le secrétaire qui recopie un poème sur la Chouette en dessous d’un dessin de chauve-souris ? Le compilateur d'Ovide ? Le poète qui jusqu’au vers 7 écrit ce qui peut convenir aux deux animaux et opte en 8 pour le « crespe » sans plume des chauves-souris ?

Fonteny commence ici à nouveau un sonnet par une référence voilée aux Métamorphoses d'Ovide (II, 590) : Nyctimène était une fille (son père était Epopéus, un roi de Lesbos). Après avoir eu des rapports incestueux avec son père, elle fut transformée par Athéna en chouette (voir aussi la Fable 204 d’Hygin), où le nom de la chouette, Noctua, convient au jeu de mot sur Nox (la nuit). Fonteny change la chouette en chauve-souris pour les besoins de sa cause. Mais aussi sans doute par quelques raisons, car les chauves-souris portent encore le nom savant de nyctimènes… il est peu probable qu’il ait connu l’étymologie actuellement reçue de chauve-souris qui viendra d’un francisque cawa, chouette-souris !

Les chauves-souris sont, elles aussi, des jeunes filles punies d'un péché : les Minéides, filles de Minyas, à Thèbes, sont punies de leur mépris des fêtes de Bacchus (Ovide, Métamorphoses, IV, 1-54, 385-4I5). Dans les énigmes consacrées aux chauves-souris, une formulation très voisine rappelle que leur nom ( vespertilio ) vient du soir, vesper . Enfin une des figurations allégoriques de la Nuit lui donne des ailes de chauve-souris.

Le reste du sonnet détaille son anatomie, puis ses habitudes. La chauve-souris, animal en quelque sorte mixte, défie les classifications en ce qu’elle est un être volant et non oiseau, et un être volant mammifère. De nombreuses superstitions sont attachées aux chauves-souris, mais le texte n’en exploite aucune.

Ce sonnet est l’un des plus transparents si on a lu Ovide ; son mérite réside sans doute dans le retournement de fortune qui vient châtier une femme de sang royal pour punir un crime honteux, argument tragique type.

[22ro]

fo 22 ro — [Poisson en l'eau]

Illustration
   Tant plus je suis puissant et plus j’ay d’aparance,
Plus je suis poursuivi d’ennemys sans raison
Qui, de leurs fins apas couvrants leur thraison,
Taschent à m’atraper par leur belle aparance.
   Je les laisse aprocher et lors qu’ils ont croiance
De m’avoir, je m’enfuis avecque ma maison
Qui sans aucun arrest court en toute saison,
Et par fois m’enfuyant j’entraine leur despence.
   Ma maison faict du bruict en trotant et courant,
Dans ces claires prisons mes haineux attirant
Dans ces claires prisons pour sustenter mes freres
   Qui sont tous comme moy muets, et destinez
à quitter la maison où demeurent noz peres
Pour repaistre ou le Peuplle où nous sommes menez.

Variantes

v. 9- mais ie languis [???] [.] Et ce fais n'est beaucoup aparent

Et quelquefois me laisse en quelque port mourant

Que par f [ligne incomplète]

v. 10 bis- On la voit quelque fois [ligne incomplète ]

Notes

v. 3 : lire « trahison »

v. 14 : « repaistre » : nourrir, au sens actif de se nourrir, ou passif de nourrir quelqu’un qui vous mange

v. 14 : les deux ou sont-ils adversatifs, ou bien / ou bien ? Le second est-il l'indice d'un lieu ? Le manuscrit n'accentue jamais. Et les deux solutions ne donnent pas un sens satisfaisant.

A

Un gros poisson nage dans la rivière ; un moulin et des arbres à l’arrière-plan.

Thème présent chez Symphosius 11, Flumen et pisces : « Ipsa domus resonat, tacitus sed non sonat hospes / Ambo tamen currunt, hospes simul et domus una » [La maison elle-même bruit, mais son hôte ne fait pas de bruit. Tous deux courrent ensemble, l’hôte avec la maison].

Alexandre Sylvius et Straparole.

Sera repris par Colletet 109 qui l’emprunte à Straparole : « J’estois en ma maison, vivant paisiblement,/ Loin des débats mutins d'une guerre intestine,/ Quand je fus assailly d'une trouppe mutine,/ Qui captif me retient impitoyablement.[…] » avec cette glose : « Le poisson qui vit paisiblement dans la riviere mais qui estant assailli par des pescheurs est pris et mis à mort ; et ce malheur lui advient par l’eau mesme qui est sa maison, et qui, passant au travers de ses filets l’entraine par la rapidité de son cours, et le pousse insensiblement dans ce piège ».

B

(1) Le narrateur (le poisson) explique que plus il est puissant et fort d’apparence, plus il est persécuté sans raison par ses ennemis qui avec des leurres raffinés cachent leur trahison en essayant de l’attraper avec la belle apparence de leurs appâts. (5) Il les laisse s’approcher et quand ils croient l’avoir fait prisonnier il fuit avec sa maison, qui est toujours en mouvement autour de lui en toutes saisons et parfois cette fuite leur coûte cher. (9) « Sa maison qui marche et qui court est bruyante » (raturé : et le laisse parfois mourant dans quelque port) (variante : mais il est en train de mourir ), attirant ses ennemis (11) dans ces prisons cristallines, afin de faire vivre ses frères, qui comme lui sont muets et destinés à quitter la maison où ont vécu leurs pères pour aller… se faire manger?

C

Texte particulièrement refait et non terminé, ce qui rend certains vers aléatoires. Pour le seul premier tercet du sonnet, il y a cinq vers ou débuts de vers, sans compter ceux qui sont raturés. La rime « aparance/aparance » est plus que négligée. L'auteur semble hésiter entre deux pistes : l’une qui continue à raconter le sort des haineux pécheurs, ruinés, puis attirés dans l’eau pour servir de nourriture aux poissons, ou raconter le paradoxe du poisson, qui, dans l’eau mobile, bouge et peut ne pas bouger. Le dernier vers pourrait être aussi le résultat de deux essais de rédaction « Pour repaistre où...» , et « pour repaistre le peuple où », le premier « ou » n'ayant pas été raturé.

Ce sonnet est problématique – ou peut-être énigmatique – ou simplement confus, au confluent de plusieurs versions antérieures… Le poème commence ainsi avec la description vivante que fait le narrateur (le poisson) du jeu de cache-cache qu’il doit jouer avec les pêcheurs qui cherchent à l’attraper avec leurs beaux appâts. Au deuxième quatrain le récit continue avec un rebondissement : le poisson s’échappe juste au moment où les hommes pensent avoir réussi à l’attraper — il s’enfuit, lui et sa « maison » mobile, l’eau courante. Mais au premier tercet, les haineux sont à leur tour prisonniers. Une sorte de cycle s’installe, si le chasseur à son tour tombe à l’eau pour nourrir ceux qui sont destinés à nourrir les hommes ?

[23ro]

fo 23 ro — [Ballon ou Esteuf]

Illustration
   Sujette à la fortune, ores je suis haussee,
Ores je suis en bas gisante oiseusement ;
Des grandz et des petits j’ay mon avancement,
Tantost hault, tantost bas, comme je suis poussee.
   Rondelette, je suis ferme, blanche et lissee
Sans poil par le dehors, interieurement
Plaine d’un poil frizé qu’on ne voit nullement :
Plus j’en ay, plus je suis requise et carressee.
   Bien que je sois sans pieds, il me convient saulter,
Bien que je sois sans aisle, il me fault voleter.
Mais après le plaisir qu’en ce faisant je donne,
   Celuy là que je sers m’aplatit contre un mur
En se jouant de moy, et après m’enprisonne
Pour gaigner de l’argent dedans un trou obscur.

Variantes

v. 5- Sans barbe

v. 7- un poil virilpoussé

B md + : espais

Notes

v. 7 : Les balles ou esteufs sont faites de poils ou de laine très serrée. Anciennement en chiffons, les balles sont dites « esteuf » parce que faites d’étoffe. Les jeux de paume sont nombreux en cette fin du xvie siècle et fort courus de la bonne société.

A

Une balle de cuir en l’air au-dessus d’un paysage d’arbres et de collines escarpées à l’arrière-plan. Ainsi isolée, la balle du jeu de paume ressemble à un astre dans le ciel, alors qu’on joue à la paume dans des grandes salles spécialement aménagées. Cette transformation par hypertrophie de l’objet, mis en apesanteur, avec un changement du cadre normal d’utilisation est particulièrement typique des emblèmes ou de l’iconographie des Hieroglyphica (voir Introduction p. 000).

Parenté avec la devise de l'emblème de Henkel / Schöne col. 1309 (« Frappé je m’élève ») , qui vient de Rollenhagen I, 16 ; mais on peut penser surtout à Rabelais, l’énigme en prophétie qui ferme le Gargantua, ch. 58, par le récit d’une partie de paume écrit comme s’il s’agissait de l’Apocalypse où les astres sont renversés en tous sens.

Thème présent chez Symphosius 59, Pila : « Non sum cincta comis et non sum compta capillis,/ Intus enim crines mihi sunt, quos non videt ullus./ Meque manus mittunt, manibus remittor in auras » [Je ne suis pas entourée de poils et ne suis pas ornée de cheveux/ car mes cheveux sont à l’intérieur, invisibles. Des mains me jettent, par des mains je suis rejettée dans les airs].

Alexandre Sylvius 50.

« .. [Jadis sous forme de bête]

Le poil qu’alors je monstray par dehors

Est maintenant tout serré dans mon corps[…]

Je vole en l’air, puis en terre parfois,

Trottant je fays des saults bien plus de trois,

Souvent je suis frappé à grand’outrance,

Mais plus qu’ailleurs suis battu en la France »

Straparole, IX : les deux tercets :

« La jeunesse m’en veut, mais, si quelcun m’outrage,

Je saulte, je bondy, je volle, je fais rage,

Frappant deça delà, de tors et de travers

Et sçay si bien matter sa mutine arrogance,

Que recreu, à tous coups, je le laisse à l'envers,

Sans haleine, sans poux, et presque sans puissance »

Sera repris par Cotin et Colletet.

B

Les premières lignes du sonnet sont quelque peu surprenantes puisque le narrateur est féminin alors que l’objet est désigné dans l'index par deux mots masculins. Le dictionnaire de Huguet apporte peut-être une solution : « esteuf » est glosé par « balle du jeu de paume », ce qui permet de comprendre les terminaisons féminines du premier quatrain.

La « balle » rapporte donc que, au gré de la fortune, elle est parfois haut dans l’air et parfois se traîne paresseusement. Elle est bousculée par des adultes et par des enfants, parfois en hauteur parfois par terre, selon la façon dont elle est poussée de part et d’autre. (5) Elle est ronde et ferme au toucher, blanche et douce, sans le moindre poil à la surface, mais pleine de poils noirs et drus à l’intérieur, où personne ne peut les voir. Plus elle en a et plus elle est appréciée et manipulée. (9) Bien qu’elle n’ait pas de jambes elle saute, bien qu’elle n'ait pas d’ailes, elle vole. (11) Mais après tous les plaisirs qu’elle donne ainsi au maître qu’elle sert, il la coince contre un mur quand il joue avec elle et l’enferme ensuite dans un trou sombre afin de gagner de l’argent.

C

Fonteny choisit la balle utilisée dans l’ancien « jeu de paume », précurseur du tennis en salle moderne, comme symbole des hauts et des bas de la vie et comme métaphore de l’impuissance des gens lorsqu’ils sont confrontés à plus puissants qu’eux. Ainsi la balle rapporte ce qui lui arrive au cours d’une partie et quand elle est manipulée par toutes sortes de gens, et ce n’est qu’au dernier quatrain que le poète parle du rude traitement que lui inflige son propriétaire – qui cherche en plus à tirer profit d’elle.

Toutefois il est possible de lire le poème à un autre niveau, sexuel celui-là, si l’on voit derrière la balle une femme. Le deuxième quatrain prend alors une autre dimension, lourde d’allusions, qui continuent jusque dans les quatre dernières lignes, où le propriétaire de la balle manipule son jouet d’une façon qui peut se comprendre comme un rapport sexuel (forcé) et une domination totale lorsqu’il décide de l’enfermer pour en tirer un profit. Cette lecture du sonnet à un deuxième niveau dynamise un poème qui semblerait sinon suivre une ligne narrative assez simple. Les délibérations apparemment philosophiques de Fonteny sur le sort aléatoire ne dépassent pas le premier vers, et sont ensuite confrontées à un courant sous-jacent qui ne devrait pas surprendre dans le cadre de la série de sonnets dans son ensemble.

[24ro]

fo 24 ro — [Araignee]

Illustration
   Il ne fault s’estonner si je fais tel ouvrage :
Celle qui me l’aprit sur toutes excelloit ;
De mon bien desireuse, elle ne me celloit
Ce qui pouvoit m’instruire en mon aprentissage.
   Le dedaigneux orgueil se meit en mon courage
Pource que par mon art mon nom partout voloit,
Mais ceste artiste main qui si douce filoit
De ma presomption a receu le domage.
   Ma maistresse, offencee avec trop [de] dedains,
En petis piedz changea tous les doigs de mes mains.
Neanmoins avec eux un raiseul je façonne
   D’un estain que je prens chez moy et que j’estends
En lieu, comme un chasseur, par où la beste donne
Pour user de ma prise et emploier mon temps.

Variantes

v. 7- Ceste belle

Notes

v. 11 : « Reseul » : filet, travail de dentelle.

v. 12 : Du Bartas, Sepmaine, VII, v. 625, utilise aussi estain, mais le terme ne peut avoir le sens de notre étain, qui est un métal. Il s'agit d'estain = estaim, étaim, longue laine peignée et filée qu'on établit comme fil de chaine dans le tissage (cf. estame, étamine, stamen ). C’est aussi ce terme qu’emploie la traduction en prose d’Ovide parue en 1616 : elle a « des petites mains qui sont comme pieds, et un ventre duquel elle sort son estaim pour continuer toujours, comme araignée, son ancien exercice » (p. 267).

A

Une toile d’araignée tendue entre deux arbres avec au centre une araignée.

Pas de parenté dans Henkel /Schöne.

Thème présent dans Symphosius 17, Aranea : « Pallas me docuit texendi nosse laborem ;/ Nec tela radios poscunt, nec licia tela./ Nulla mihi manus est ; pedibus tamen omnia fiunt [Pallas m’enseigna à connaitre le travail du tissage ;/ et mes toiles ne demandent les rayons, ni les toiles la lice / Je n’ai pas de mains, mais tout se fait par mes pieds]

Reusner I, 143 donne Symphosius, et II, 243, une énigme d’Hadrien : « Usus abest manuum, ducens pede stamina texo/ Alvus lanigera fertilitate scatet. Cum pedicas muscis, scutulatum rete, facesso, Concedunt tramis serica fila meis » [Il me manque l’usage des mains, je tisse en conduisant mes fils par le pied / Mon ventre jaillit par une fertilité qui engendre des fils / quand je fabrique des pièges pour les mouches, mon filet en réseau, les fils de soie se rangent à mes trames]

Alexandre Sylvius.

Sera repris dans Cotin.

B

(1) Il n’est pas surprenant que l’araignée ait produit une telle œuvre d’art – car celle qui lui a appris cet art était la meilleure de tous. Comme elle ne voulait que le meilleur pour sa disciple, elle ne lui a rien caché au cours de son apprentissage. (5) L’orgueil de sa renommée grandissait, mais sa main habile en a été punie. (9) Sa maîtresse, outrée par tant de dédain, changea tous les doigts de ses mains en de petits pieds. (11) Néanmoins, elle réussit à produire une toile d’un fil qu’elle tire d’elle-même et tend comme le chasseur en un lieu fréquenté des animaux afin de tirer profit de ses prises et de passer le temps.

C

Dans ce sonnet Fonteny transpose à nouveau une matière mythologique qui lui vient des Métamorphoses (VI, 1-145) d’Ovide, sans citer en toutes lettres le nom d'Arachnè (même si le mot français, araignée, est directement dérivé du grec, et y fait donc une référence indirecte). L’ hybris d’Arachnè, élève puis rivale d’Athéna, est détaillée dans le deuxième quatrain, qui prépare la terrible transformation que lui inflige la déesse Athéna. Athéna ne lui permit pas de mourir et la transforma en araignée. On ne doit pas rivaliser avec les dieux…

Second poème sur le tissage (voir fo 8, le Passementier ), il ne possède pas d’équivoques sexuelles ni d’ambiguité : la narration à peine transposée d’Ovide occupe trois strophes et n’en appelle qu’à un savoir assez commun. Il n’y a pas non plus d’intention symbolique et la leçon sur l’ubris est à peine indiquée comme orientation moralisante.

Le distique décrit de manière dramatique le déroulement de cette métamorphose tandis que le dernier quatrain vient clore le poème sur une note plus descriptive en décrivant l’ingénieuse application que fait l’animal des techniques de tissage d'Arachné en produisant de dangereuses toiles pour assurer sa subsistance : de victime elle devient chasseur et prédateur.

[25ro]

fo 25 ro — [Limaçon]

Illustration

A

Un limaçon se dirige vers une branche feuillue. Au fond une maison humaine.

Nous dirions escargot, qui est un limaçon à coquille : en latin limax désigne l’une et l’autre espèce ; le mot « escargot » dérive de l’occitan au xvie s.

Pas de parenté dans Henkel / Schöne, mais le limaçon est souvent l’emblème de l’autosuffisance du sage, du secret et de la lenteur.

Thème présent chez Symphosius 18, Cochlaea

[26ro]

fo 26 ro — [Fumée]

Illustration
   Sans que j’aye perdu pere, mere, ou parens,
Sans avoir faict sur mer un perilleux naufrage,
Sans avoir en mes biens receu aucun dommage,
Je me resous en pleurs et tous mes adherens.
   Sans plume au Ciel je volle et fais tours diferens,
Mais l’aer qui est pesant s’opose à mon voiage,
En terre je rechois, grossissant le partage
Du dieu qui va des bras tout le monde entourant.
   Celuy par qui je suis sans moy ne scauroit estre.
Si je suis enfermee, on m’ouvre la fenestre,
La porte ou quelque trou pour me faire ecouler.
   Aux plus communs poissons ceux qui donnent tainture,
M’estoupant tous les trous, ne me laissent aller.
Mais on ne veut de moy où se faict la peinture.

Notes

v. 4 : « se résoudre » : se dissoudre ; « adherens » : ceux qui lui tiennent de près, ambigu entre la proximité affective et la proximité physique.

v. 8 : L’Océan

v. 12 : Poisson fumé, boucanage, dont les techniques sont très précisément décrites par les récits de voyage.

v. 14 : Pourtant le « noir de fumée » de la poix-résine servait de colorant. Par contre la fumée des bougies par exemple noircit les tableaux et fresques.

A

De la fumée monte en volutes de plusieurs bûches, elle ne s’élève pas tout droit mais se replie sur elle-même. Il y a un arbre à l’arrière-plan sur la droite.

Pas de parenté dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 7, Fumus : « Sunt mihi, sunt lacrymae, sed non est caussa doloris./ Est iter ad caelum, sed me gravis impedit aer,/ et qui me genuit, sine me non nascitur ipse. » [Elles sont pour moi, ces larmes, mais la cause n’en est pas la douleur/ Ma route est vers le ciel, mais l’air lourd m’en empêche, et celui qui m’a engendré sans moi ne pourrait pas naître].

Reusner II, 71 : « Lacrymae multa mihi, sed nulla et caussa doloris/ Coeli affecto vitam, sed gravis aer abest. » [Je fais beaucoup de larmes, sans que la douleur en soi la cause. Je cherche la vie du ciel, mais l’air lourd m'éloigne].

(autre, 72) « Me genuit pater et sine me non nascitur ipse,/ Scit puer et lacrymas absque dolore facit [Mon père m’engendre et ne peut pas naitre sans moi, l’enfant sait et fait les larmes sans douleur].

(autre, 73) « Lucilius ipse pater, sed ego sum filius ater / Is lucem sed ego nisi do tenebras » [Lucilius est le père, mais moi je suis un fils noir, lui donne la lumière mais je ne donne que les ténébres].

(autre, 74) « Splendidificat meus omne pater, quod lustrat : at ipse / Lustro nihil, simul et cuncta tenebrifico » [Mon père fait resplendir tout ce qu’il illumine, mais moi je n’illumine rien, et en même temps je rends toute choses ténébreuses].

La mode n’en passe pas : Manuscrits Conrart, Arsenal, Ms 4123 p. 470, donne une enigme française :

«
Fille obscure d’un pere aussi pur que le jour,
Faisant verser des pleurs à ma belle Adversaire,
Ton pouvoir est plus grand que celuy de ton pere
Qui fait le flambeau de l’Amour
»

B

(1) La fumée – narrateur féminin – se plaint que sans avoir perdu père, mère, ou autre parent, sans avoir pris part à un dangereux naufrage en mer, sans avoir jamais subi aucun dommage à ses biens, elle et tous ceux dont elle est le soutien sont en pleurs. (5) Sans aile elle s’élève et se tord mais l’air lourd s’oppose à son ascension. Elle retombe sur la terre et accroît le royaume du dieu qui entoure le monde. (9) Celui à qui elle doit son existence ne pourrait exister sans elle. Quand elle est enfermée les gens ouvrent une fenêtre, (11) une porte, ou un trou pour la laisser sortir. Les gens qui font du poisson fumé ne la laissent pas s’échapper et bouchent toutes les issues. Elle n’est jamais la bienvenue dans tout endroit où l’on fait de la peinture.

C

En dépit d'une progression narrative assez claire, des références implicites à la mythologie et les paradoxes font de ce sonnet l’un des plus énigmatiques par son abondance de paradoxes. Elle pleure et fait pleurer sans cause de deuil, vole sans aile, et finit en eau, on la garde, on la chasse, etc. Sa nature est indécise, légère et lourde, son usage contesté, et pourtant nécessaire. Elle vient du feu, monte dans l’air et retourne à l’eau. Elle peut à la fois se vanter et se plaindre.

Ce poème antithétique trouve une source possible dans la mythologie : il décrit principalement les qualités de la fumée – qui est toujours associée au feu et ainsi liée à l’un des pouvoirs élémentaires – en des termes négatifs. Le dieu forgeron Vulcain est le seul à partager sa fortune avec le feu et la fumée puisqu’il dépend d’eux, alors que les êtres humains la bannissent de leurs maisons. Le feu de l’illustration pourrait donc bien représenter un sacrifice dont la fumée qui se replie sur elle-même tendrait à faire penser qu’il n’est pas accepté par Vulcain.

Mais le sonnet pour plus de clarté mobilise un dicton populaire très ancien… v. 9 : « Il n'y a pas de fumée sans feu », très platement. Le changement de niveau culturel des références allusives fait partie des techniques qui déroutent le lecteur.

La fumée est un thème pictural, et même donne le nom d’une technique particulière, le sfumato, cher à Léonard de Vinci. Le "noir de fumée" est même un des matériaux de la peinture. Mais ici on peut soupçonner une version plus triviale : la fumée laisse un dépôt sur les murs, les fresques, les tableaux, qui les détériore.

[27ro]

fo 27 ro — [Vipère]

Illustration

A

On identifie que ce serpent est une vipère au fait qu’elle est vivipare et qu’elle meurt en mettant au monde ses enfants qui lui percent le ventre pour sortir des oeufs (Aubigné, Tragiques, II, 110 « Vipereaux vous tuez qui vous donne la vie », reprenant Pline, X, 62) ; la pauvre bête ici vomit le sang, ou, si l’on interprête les volutes tronquées à gauche comme le corps du serpent mâle, elle vomit les restes de la tête du serpent mâle que dans sa fureur amoureuse elle a dévoré (Elien, De natura animalium, I, 24) .

Aucune parenté dans Henkel / Schöne.

Symphosius 15, Vipera : « Non possum nasci, si non occidero matrem,/ Occidi matrem ; sed me manet exitus idem. / Id mea mors patitur quod jam mea fecit origo [Je ne peux naitre si je n’ai pas tué ma mere ; J'ai tué ma mère, mais j’aurai la même fin. Ma mort souffrira ce qui m’a permis de naitre.]

[28ro]

fo 28 ro — [Rat]

Illustration

A

Le dessin est vraiment peu ressemblant, pourtant l’animal est des plus familier, même en habitant des maisons de ville comme il est ici représenté. Mais le dessin est peut-être programmé par la source latine :

Symphosius 25, Mus : « Parva mihi domus est, sed janua semper aperta » [Ma maison est petite, mais la porte toujours ouverte.]

[29ro]

fo 29 ro — [Poussin]

Illustration

A

Un poussin sort de la coquille de son oeuf, dans un nid à l’extérieur de la grange ou du poulailler.

Aucune parenté dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius, 14

[30ro]

fo 30 ro — [Grenouille]

Illustration
   Masle je fus jadis, ores je suis femelle ;
Ce que je refusé me loge maintenant.
La Mere de ce Dieu qui le jour va donnant
De Lycien me feit nimphe des eaux nouvelle.
   Dans ce qui fut Sirinx par fois je me recelle
Quand le temps est glacé, sans babil me tenant,
Mais quand le ciel nous va le printemps ramenant,
Mon gosier s’eslargit et ma voix se decelle.
   Par elle l’on cognoist s’il doit bien tost plouvoir.
à l’homme j’ay apris à nager et mouvoir
Dedans l’eau sans peril & avec peu de peine.
   Bref qui voudra scavoir qui je suis proprement,
J’ay la couleur d'un fol pour mon accoustrement,
Et sans qu’un roy m’espouse en tous temps je suis reine.

Notes

v. 3 : Latone métamorphosant en grenouilles les bergers de Lycie : Ovide, Métamorphoses, VI, 313-381

v. 5 : Syrinx transformée en roseau pour échapper à Pan, Ovide, Métamorphoses, I, 691

A

Une grenouille entre des roseaux au bord d’un étang. Des collines sur la rive opposée.

Rien dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 19, Rana : « Rauca sonans ego sum, media vocalis in unda » [Je suis sonnante à la voix rauque, voix au milieu des ondes.]

B

Le sonnet qui accompagne cette vignette – impeccablement écrit – est collé sur au moins une autre version préalable. (1) La narratrice rapporte qu’elle a été mâle mais qu’elle est maintenant femelle. Ce qu’elle a jadis refusé l’accueille maintenant. La mère des dieux qui nous donnent le jour fit d’elle la nouvelle nymphe aquatique des étangs Lyciens. (5) Elle se retire parfois dans ce qui était autrefois (le territoire de) Syrinx, quand le temps est glacial, et se tait, mais quand le ciel rapporte le printemps, sa gorge s’élargit et l’on entend sa voix. (9) Sa voix permet de savoir s’il va pleuvoir bientôt. Elle a appris aux hommes à nager et à se déplacer (11) dans l’eau sans effort et sans danger. Bref si quelqu’un veut savoir qui elle est : « je porte la livrée des fous, et sans qu'aucun roi ne m'ait épousée, je suis toujours reine ».

C

À nouveau Fonteny s’appuie largement sur les Métamorphoses d'Ovide, cette fois avec l’épisode de Latone (en grec Léto) — maîtresse de Zeus et mère d'Apollon et d'Artémis — sur les terres des Lyciens (VI, 313-381). La grenouille, narratrice du sonnet, parle du sort tragique de Latone qui s’approche d’un étang Lycien et demande à boire pour nourrir ses jumeaux. Mais les paysans Lyciens l’en empêchent en remuant l’eau de l’étang, ce qui rend l’eau imbuvable. Dans son désespoir, Latone implore alors les dieux qui transforment aussitôt les paysans en grenouilles. La narratrice était l’un des paysans Lyciens, mais elle est maintenant une nouvelle « nymphe » de l’étang — ce qui explique son changement de sexe autant que sa métamorphose en animal. Fonteny passe ensuite aux mœurs de l’animal, mais en enchassant un second épisode mythologique, l’allusion à la nymphe Syrinx qui renvoie au sonnet 8. Puis, en contraste avec le registre savant, les observations familières, les dons que la grenouille apporte aux hommes : la prévision météorologique et la nage. Les plaisanteries familières sur les grenouilles qui prédisent la météorologie, d’une origine scientifique douteuse, ont cependant la garantie de Virgile, Géorgiques, qui liste les signes annonciateurs de la pluie parmi lesquels (I, v. 379) « Et veterem in limo ranae cecinere querelam » [Les grenouilles font entendre leurs plaintes accoutumées]. L’autre indice est plus original, et le signe d’un modernisme dans l’éducation. La brasse, première nage décrite dans les traités de Nicolas Wynman ( Colymbetes sive de arte natandi, Ingolstadt, 1538) ou Everard Digby ( De arte natandi, Londres, 1587), est décrite comme l’art d’imiter les mouvements des animaux aquatiques, et en particulier la grenouille. L’art de nager se répand au xvie s. comme technique sportive et militaire : le sport devient à la mode... Après l’araignée éduquée par la déesse Minerve, voici les hommes éduqués par l’animal !

Le paradoxe final (fol / reine) fait appel à la symbolique coutumière : le vert est la couleur des fous du carnaval. Et le paradoxe de la pointe du v. 14 s’explique par l’étymologie et le nom latin Rana ; le terme rane ou raine est usité couramment en français. Voir l’épisode raconté par d'Aubigné à propos de Du Bartas (Lettre sd, manuscrit de Genève T 152, fo 200) qui montre que même les gens très cultivés de la Cour n’hésitent pas à recourir aux calembours : « un jour il vint nous trouver Constant et moy : à l’entree de la chambre il nous dict qu’il s’estoit vaincu soy mesme, s’estant soy mesme ravi en admiration, à savoir pour sonnet hyeroglifique à la louange de la Reine de Navarre. Certes nous trouvasmes que c’estoit un Rebus de Picardie : entre autres au cinquiesme vers il y avoit une grenouille bien representee (car il estoit bon peintre) et puis un la et un mi en musique, et une fauls. Nous leusmes : grenouille la mi fauls. Il nous corrigea disant que c’estoit une Rene qui estoit grande, et faloit dire Grand’Rene. Nous estant eschappé de rire, et de le prier à jointes mains que cette Princesse, bonne critique en cette mattiere, ne vist point cette piece, il s’escria qu’il y avoit de l’envie partout ».

[31ro]

fo 31 ro — [Miroir]

Illustration

A

Le contexte est franchement inadapté à l’objet : le miroir à main des dames, posé sur un socle pendant le maquillage, pris à la main pour vérifier la coiffure, ne se pose pas par terre devant la maison ! D’autant qu’il ne reflète rien. Sa forme est aussi énigmatique : car s’il a la forme en ellipse courante pour les miroirs, les hachures suggèrent qu’il est bombé (convexe et non plat), donc qu’il s’agirait d’une « sorcière. »

Aucune parenté dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 68, Speculum

Alexandre Sylvius et Straparole.

Sera repris chez Cotin.

[32ro]

fo 32 ro — [Taupe]

Illustration

A

En gros plan dans un paysage, on n’identifie la taupe, petit animal, que par son trou dont les bords sont en relief, et par sa courte queue qui interdit d’identifier un rat ou une souris (mais l'hypertrophie fait penser à un ours…) Elle a, si on peut dire, la même physionomie que le hérisson.

Aucune parenté dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 21, Talpa

[33ro]

fo 33 ro — [Meule]

Illustration

A

D’autant plus difficile à identifier pour nous que la meule placée sous un chariot et sans utilisateur n’est pas d’une taille habituelle. Il s’agit sans doute pourtant d’une meule de rémouleur : une meule de grès posée sur une brouette ou même une charette, que le rémouleur tire lui-même, quand il va dans villes et villages aiguiser les couteaux, ciseaux, voire poignards et épées.

On ne voit pas les accessoires qui font tourner la meule.

Symphosius 51, Mola, évoque des meules de moulin et non les meules à aiguiser les couteaux

[34ro]

fo 34 ro — [Marteau]

Illustration

A

Quoique d’une taille disproportionnée, le marteau ne se remarque pas immédiatement dans le paysage avec lequel il n’a aucun rapport nécessaire (sauf peut-être pour construire la maison!). Il s’agit d’un marteau arrache-clou, ou marteau à dents ou à pied de biche, à cause de son extrémité fourchue.

Aucune parenté dans Henkel /Schöne.

Thème présent chez Symphosius 84, Malleus

[35ro]

fo 35 ro — [Tortue]

Illustration
   Quelque part que le ciel orageux se deserre
Et qu’il verse des eaux, je luy peux resister.
On me voit tout partout un dur habit porter
Que je n’oste jamais, soit sur mer ou sur terre.
   Si quelque malveillant me veut faire la guerre,
Je me metz dans mon fort d’où il ne peut m’oster
Si Vulcan ne me vient premierement gaster :
Par ce seul stratageme à la fin il m’aterre.
   Quand mon fort est gaigné, pour bien jouir de moy
Il me fault depouiller. Mon corps est pour un roy
Car devant les petis je ne [me] monstre nûe.
   Je marche posement avecques gravité
Je vis sans faire mal[,] miroir de charité,
Et beaucoup de mon nom ont leur Ame pourveue.

Notes

v. 8 : « aterrer » : mettre à terre, donc vaincre.

v. 9 : « fort » : le fort d’un animal est son refuge

A

Une tortue en marche sur un terrain sableux, quelques arbres à droite et à gauche : tortue terrestre et non marine.

Pas de parenté avec les emblèmes de Henkel / Schöne col. 611.

Thème présent deux fois chez Symphosius, Testudo :

- « Tarda gradu lento, specioso praedita dorso, / Docta quidem studio, sed saevo perdita facto, / Viva nihil dixi, quae sic modo mortua canto », énigme qui évoque la carapace transformée en lyre ou en cithare. [Lente au pas lent, dotée d’un dos superbe/savante certes par l’art, mais morte par un sort cruel, vivante je ne dis rien, moi qui morte, chante à ma façon.]

- « Porto domum mecum, semper migrare parata, / mutatoque solo non sum miserabilis exul. Nam mihi consilium de caelo nascitur ipse », énigme qui évoque l’autarcie du sage qui porte tout avec lui-même. [Je porte ma maison avec moi, toujours prête à voyager, et en changeant de sol, je ne suis pas une miserable exilée. Car ma réflexion me nait du ciel même.]

B

(1) Quand les cieux orageux font tomber un déluge d’eau le narrateur (féminin à nouveau) peut résister. Tout le monde peut la voir porter un manteau dur qu’elle n’enlève jamais que ce soit sur terre ou dans l’eau. (5) Si un malfaiteur veut se battre avec elle, elle se réfugie dans sa forteresse, dont il ne peut la faire sortir, sauf si Vulcain vient et l’endommage. (9) Ce n’est qu’avec ce stratagème qu’il peut finalement la jeter à terre et tirer parti d’elle une fois que sa forteresse a été prise par la force. (11) Il faut alors la dépecer. Son corps appartient à un roi, et elle ne se montre pas nue aux petits. Elle se déplace avec délibération et dignité. Elle vit comme un modèle de charité, sans jamais faire le mal, et nombreuses sont les âmes qui portent son nom.

C

Ce sonnet – le dernier de la série, même s'il reste encore neuf gravures dépourvues de texte dans le manuscrit – est lui aussi dans la droite ligne du ton énigmatique de la séquence. Comme souvent, le premier quatrain présente le sujet du sonnet d'une façon assez directe et évoque sa particularité : la carapace, maison qu’elle porte avec elle, motif pour lequel la tortue est souvent, comme l’escargot, l’emblème du sage qui peut se suffire à soi-même. La manière dont on dépouille les tortues par le feu est assez obscure… première difficulté non élucidée du poème. Le distique mentionne que l’animal — une fois qu’il a été conquis —devient un objet de désir sexuel qu’il faut déshabiller — ou éventrer. L'Histoire naturelle de Pline est peut-être responsable des commentaires sur le feu, bien que Fonteny ne reprenne aucun des objectifs médicaux des remarques de Pline XXXII (ce sont des antidotes, antivenins, contre la calvitie, des remèdes contre la goutte ou la diarrhée) : « On en jette trois de cette espèce dans un feu de sarments. Aussitot que leurs écailles s’ouvrent, on les retire du feu ; on leur arrache leur double écaille ; et l’on fait cuire leur chair dans l’eau avec un peu de sel. »

L’on apprend que le corps de la tortue appartient aux rois. Cette assignation du corps de la tortue aux rois n'est pas tout à fait claire : si le berceau d’Henri IV à Pau, constitué d’une grosse carapace, est un référent possible de la lecture, l’interprétation gastronomique par le fait que la soupe à la tortue est un mets rare inaccessible aux petites gens est tout aussi plausible… Par contre pour terminer, Fonteny utilise exceptionnellement le sens allégorique des emblèmes : la tortue, lente, est un emblème de réflexion prudente (Festina lente), de garder ses biens en soi (« Tecum habita »), de vertu féminine matrimoniale… En particulier Festina lente, devise de l'empereur Auguste, commentée par Erasme dans ses Adages (Adage 1001) est l’objet d’interprétations valorisantes, prudence royale, modération, et la formule même, paradoxale, est présentée comme une énigme à méditer.

Mais le dernier vers du sonnet présente une autre énigme non résolue. L’âme de bien des gens est marquée par le nom de la tortue, on devrait attendre une énigme linguistique. Jusqu’ici nous ne l’avons pas trouvée. Est-ce peut-être une allusion aux amulettes de protection en écaille de tortue portées par certains pour protéger leur âme – une pratique répandue dans l’Antiquité grecque et romaine, mais bien peu chrétienne ? Cette interprétation laisserait une place à l’équivalence partielle de son entre « âme » et « amulette ». Si la prédication évoque des âmes dotées des vertus de réflexion, ou des âmes endurcies par une carapace, rien ne renvoie ni au mot Tortue, Testudo, turtle, tortuga, ni cochlea, ni Chelonè… Le nom même de la tortue, testudo, vient de testa, vase en terre (étymologie aussi de notre mot « tête »).

Rien non plus à l’adjectif « tortu, tordu » (qui n’a rien à voir étymologiquement avec la tortue), quoique les Diversitez de Jean-Pierre Camus (Paris, Chappelet, 1612, tome 2, p. 8) allèguent que « Pour redresser un bois tortu on se sert du feu. Pour remettre au droit chemin de la vertu les ames tortues, depravées et fourvoyées dans les destours du vice, il n’est point de plus prompte adresse que la crainte de Dieu. » Mais cela concorde mal avec l’éloge du vers 13… qui convenait au schéma de Symphosius, selon lequel la décision de la tortue vient du ciel : même si pour Symphosius il s’agissait peut-être seulement de l’instinct de migration et de protection. Mais ...

Bref, nous laisserons nos lecteurs sur une énigme : quelle âme est marquée du nom de la tortue ?

[36ro]

fo 36 ro — [Navire]

Illustration

A

Bateau qui ressemble à l’emblème de la ville de Paris, voile carrée gonflée et les deux extrémités relevées, avec un second mat : soit une caravelle. Un autre bateau à l’horizon. Aucun marin visible.

Rien d’analogue dans les emblèmes de Henkel / Schöne représentant des bateaux

Thème présent dans Symphosius 13, Navis

Straparole.

Sera repris chez Colletet.

[37ro]

fo 37 ro — [Clou]

Illustration

A

La forme du clou est identifiable, mais sa taille par rapport à l’arbre est très disproportionnée.

Symphosius 57, Clavus caligaris, parle du clou de soulier !

[38ro]

fo 38 ro — [Scie]

Illustration

A

Scie plantée dans un tronc ou un billot, dans une situation où ce modèle de scie est sûrement inopérant. Scie à cadre, mise sous tension par une corde plus ou moins tendue par un tendeur, destinée à scier les buches.

Thème présent chez Symphosius 60, Serra.

[39ro]

fo 39 ro — [Soufflet]

Illustration

A

Soufflet, surdimensionné, devant la cheminée.

Aucune parenté dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 72, Follis et chez Alexandre Sylvius

[40ro]

fo 40 ro — [Epoussettes]

Illustration

A

Une table dans une pièce, avec des époussettes sur la table. Époussettes, et non pas balai, puisque l’objet est posé sur la table, large et avec un manche court : c’est une espèce de brosse dont on se sert pour nettoyer les étoffes, (ici le tapis de la table).

Pas de correspondant dans Henkel / Schöne.

Thème présent chez Symphosius 78, Scopa

[41ro]

fo 41 ro — [Rose]

Illustration

A

Une rose ouverte et plusieurs boutons.

Rien d’analogue dans les images représentant ce thème dans Henkel / Schöne col. 290 sq. La plus proche, parce qu’elle montre la touffe de rose en gros plan, vient de Camerarius, Emblemata, I, 48.

Thème présent chez Symphosius 45, Rosa

Sera repris par Colletet

[42ro]

fo 42 ro — [Mule]

Illustration

A

Une mule sortant de l’étable. Pourrait être cheval (finesse) ou âne (longues oreilles). Deux arbres comme paysage de campagne.

Aucune parenté dans Henkel / Schöne

Thème présent chez Symphosius 37 Mula

[43ro]

fo 43 ro — [Vigne]

Illustration

A

Un pied de vigne avec de grosses grappes.

Rien d’analogue dans les images ou les textes sur le même thème dans Henkel / Schöne, col. 259 sq.

Thème présent chez Symphosius 53, Vitis

[44ro]

fo 44 ro — [Taureau]

Illustration

A

Un taureau bien fringant, qui fait face au spectateur.

Aucune parenté dans Henkel / Schöne .

Thème présent chez Symphosius 32, Taurus et chez Alexandre Sylvius.

[45ro]

fo 45 ro — [Index]

Illustration
A Areignee 24
B bague 4
bouteille 12
ballon ou eteuf 23
C cloches 6
Canne 9
Caillou 10
Cigne 11
Chesne d'or 13
Clef 15
Chevre 19
Chauve souris 21
Clou 37
D
E Erisson 14
Espoussettes 40
F fumee 26
G glace 7
grenouille 30
Limacon 25
miroir 31
meule 33
marteau 34
mule 42
noix 3
neige 16
nuee [nuage] 20
navire 36
passementier 8
pluye 17
poussin en l’œuf 29
poisson en l’eau 22
rat 28
rose 41
tablettes 2
thuiles 5
tavernier 18
taulpe 32
tortûe 35
taureau 44
sie 38
souflet 39
vigne 43
vipere 27
Fin

La liste comprend quarante-trois mots qui sont les solutions des énigmes (voir Introduction sur le rôle de cette liste et son effet sur le sens dans l’ensemble du recueil.) Elle est spécifiquement faite pour cette version manuscrite, en renvoyant aux folios et non à des numéros attribués aux énigmes (l’énigme 1 est sur le folio 2, la dernière vignette sur le folio 44 serait la quarante-troisième énigme).

Passée la lettre G, les majuscules du classement s'arrêtent avec la première colonne.

L'ordre alphabétique intervertit T et S.


1 Pas de résultats dans : La Chesnaye des Bois, Dictionnaire de la Noblesse, Paris, Boudet, 1775 ; Patrice de Clinchamps, Dictionnaire et Armorial de la Noblesse [...], Tome deuxième : Familles de D à K. Paris, Patrice du Puy, 2006 ; Henri Jouglas de Morenas, Grand Armorial de France. Supplément. Paris, Société du Grand Armorial de France, réed. 1962. Dans Claude Le Cellyer, Le nouveau Armorial universel, Contenant les Armes et Blazons des Maisons Nobles & Illustres de France […]. Paris, E. Loyson, 1662, on peut glaner le terme du dix-septième « chef danché » désignant la ligne de partition en dents de scie. Charles Segoing,Tresor heraldique ou Mercure armorial.., Paris, Clouzier, 1657, p. 145, au chapitre « Du chef danché Dentelé ou Endenté », donne « Villemontée, D'azur coupé endenté d'or au lyon leopardé de sable sur l'or ». Par les membres installés au Parlement de Paris, les Villemontée figurent dans la Prosopographie des gens du Parlement de Paris, de Michel Popoff, Paris, Leopard d'or, 2003, notice 2473. Aucun renseignement sur la famille Fonteny dans ces volumes.
XML: http://diglib.hab.de/edoc/ed000258/texts/tei-transcript.xml
XSLT: http://diglib.hab.de/edoc/ed000258/scripts/tei-transcript.xsl