DISSERTATION SUR LES TRAGEDIES ESPAGNOLES,
Traduites de l'Espagnol de Don Auguſtin de Montiano y Luyando, Directeur perpétuel de l'Académie Royale Eſpagnole, pour le Roi d'Eſpagne, &c.
Par M. d'Hermilly.
Tragædos primum conſidera, quàm ſint utiles omnibus. Timoclis in Stobæo, Serm. 121.
TOME SECOND.
A PARIS. Chez J. F. Quillau, rue S. Jacques, vis-à-vis la rue des Mathurins, aux Armes de l'Univerſité.M. DCC. LIV.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
PERSONNAGES.
La Scène eſt dans le Forum ou Place publique de Rome.
PRIVILEGE DU ROI.
LOUIS, par la Grace de Dieu, Roi de France ep de Navarre: A nos amés & féaux Conſeillers, les Gens tenant nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand Conſeil, Prevôt de Pa- ris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans Civils & autres nos Juſticiers qu'il appartiendta, Salut. Notre amé Jacques- François QuillAu, Libraire à Paris, Nous a fait expoſer qu'il déſireroit faire imprimer & donner au Public les Livres qui ont pour titre: Les Oeuvres de Virgilc, traduites en François par M. l'Abbé des Fontaines. Diſſertation ſur les Tragédies Eſpagnoles traduites de l'Eſpagnol par M. d'Hermilly.; s'il nous plaiſoit lui accorder nos Lettres de Privilége pour ce néceſſaires: A ces causes, voulant favorablement traiter ledit Expoſant, Nous lui avons permis & permettons par ces Préſentes, de faire réim- primer leſdits Livres autant de fois que bon lui ſemblera, & de les vendre, faire vendre & débiter par tout notre Royau- me, pendant le tems de ſix années conſécutives, à compter du jour de la date des Préſentes. Faiſons défenſes à tous Impri- meurs, Libraires & autres perſonnes, de quelque qualité & condition qu'elles ſoient, d'en introduit{??}e d'impreſſion étrangere dans aucun lieu de notre obéiſſance, comme auſſi d'imprimer ou faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni contrefaire leſdits Livres, ni d'en faire aucun exrrait ſous quelque prétexte que ce puiſſe être ſans la permiſſion expreſſe & par écrit dudir Ex- poſant ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confiſca- tion des Exemplaires contrefaits, de trois mille livres d'amende contre chacun des Contrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris, l'autre tiers audit Expoſant ou à celui qui aura droit de lui, de tous dépens, dommages & intérêts; à la char- ge que ces Préſentes ſeront enregiſtrées tout au long ſur le Re- giſtre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris dans trois mois de la date d'icelles; que la réimpreſſion deſdits Livres ſera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en bon papier & beaux caracteres, conformément à la feuille im- primée attachée pour modele ſous le contre-ſcel des Préſentes; que l'Impétrant ſe conformera en tout aux Reglemens de la Librairie, & notamment à celui du dix Avril mil ſept cens vingt-cinq; qu'avant de les expoſer en vente, les Imprimés qui auront ſervi de Copie à la réimpreſſion deſdits Livres, ſera remis dans le même état où l'Approbation y aura été donnée,
es mains de notre très-chet & féal Chevalier Chancelier de France le Sieut de Lamoignon, & qu'il en ſera enſuite remis deux Exemplaires de chacun dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, un dans celle de notredit très-cher & féal Chevalier Chancelier de France le Sieur de Lamoignon, & un dans celle de notre très-cher & féal Che- valier Garde des Sceaux de France le Sieur de Machault, Commandeur de nos Ordres; le tout à peine de nullité des Préſentes: du contenu deſquelles vous mandons & enjoi- gnons de faire jouir ledit Expoſant ou ſes ayans cauſes plei- nement & paiſiblement, ſans ſouffrir qu'il leur ſoit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu'à la Copie des Préſen- tes qui ſera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, foi ſoit ajoutée comme à l'Original. Com- mandons au premier notre Huiſſier ou Sergent ſur ce requis de faire pour l'exécution d'icelles tous actes requis & néceſſaires, ſans demander autre permiſſion, & nonobſtant Clameur de Haro, Charte Normande & Lettres à ce contraires: Car tel est notre plaisir. Donné à Verſailles, le quinziéme jour du mois de Septembre l'an de grace mil ſept cens cinquante trois & de notre Regne le trente-neuviéme. Par le Roi en ſon Conſeil. Signé, PERRIN.
Regiſtré Jur le Regiſtre XII. de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris, N°. 607. fol. 474. conformément aux Réglemens confirmés par celui du 28 Février 1723. A Paris le 25 Septembre 1753.
DIDOT, Syndic.
DIDOT, Syndic.
Je reconnois que M. Babuty le fils a moitié ſeulement dans le Privilége des Oeuvres de Virgile, traduites en François par M. l'Abbé des Fontaines, ſuivant les conventions faites entre nous, & qu'il n'a aucune prétention dans le Privilége de la Diſſertation ſur les Tragédies Eſpagnoles, par M. d'Hermilly. A Paris, ce dix-neuf Septembre mil ſept cent cinquante-trois.
J. F. Quillau.
J. F. Quillau.
EXPOSITION DE VIRGINIE, TRAGÉDIE; Avec la Traduction de pluſieurs endroits de cette Piéce.
ACTE PREMIER.
Scéne I.
[↔] VIrginie & Publicie ouvrent la Scène. El les ſe rendent dans le Forum, ou la grande Place publique de Rome, pour aſſiſter à la célébration de la Fête de Palès; mais comme
il eſt encore de très-bonne heu re, Virginie veut s'en retour-
ner, de crainte de rencontrer Appius le Décemvir, & dit en entrant: „Oui, Publicie, j'en conviens. Les Romaines qui doivent prendre part au joyeux culte de notre ancienne Pa lès, viendront inceſſamment me chercher comme elles me l'ont promis; mais elles ne raſ- ſureront point mon cœur con tre la crainte qui l'agite, elles n'effaceront point les triſtes
images qui y ſont imprimées & qui l'affligent. Puiſque trompées par l'heure, nous ſommes arrivées ici trop tôt, & qu'à la faveur du mouve ment & de la multitude de perſonnes qui ſe promenent dans cette grande Place, je puis facilement retourner chez moi, ſans qu'on s'en
apperçoive, ne t'oppoſe point à ma volonté. Laiſſe - moi m'éloigner de ce lieu, où l'in- ſolent Décemvir Appius tient ſon injuſte Tribunal, & ſe trouve ſi ſouvent.“ [↔] Le ſoin qu'elle veut appor ter pour éviter la rencontre d'Appius paroît très-louable à Publicie; mais celle - ci n'en perſiſte pas moins à la retenir, en lui repréſentant que, ſi, con tre l'uſage ordinaire, elle n'aſſiſ- toit point à la Fête, elle donne roit lieu de ſoupçonner la choſe même dont elle veut ſe garan tir, & ſe mettroit dans le cas qu'on lui en fît un crime. „Le danger, ajoute - t'elle, n'eſt pas d'ailleurs ſi grand, que vous le penſez. Quand la réponſe que j'ai faite de vo tre part à Appius ſur ſa pré- tention, ſur ſes offres, ſur ſes
menaces, ne l'auroit point en core entierement détrompé, elle aura du moins rallenti ſon ardeur. Un amour qui n'a que le caprice pour principe, & que les ſens pour aiguillon, n'eſt jamais que de peu de durée.“ [↔] Quoique Virginie convienne
que ſa réputation peut courir quelque riſque, & qu'elle doit fuir avec ſoin tout ce qui pour roit y donner la moindre at teinte, elle ſe perſuade qu'il eſt encore plus dangereux de ſuivre le conſeil de Publicie. Ce n'eſt pas cependant qu'elle appréhende de ſe laiſſer toucher pour Appius. Son cœur unique ment occupé de tout ce qu'elle doit à Icilius, à qui elle eſt promiſe en mariage par ſon pere, eſt incapable de re cevoir aucune autre impreſſion. Elle craint ſeulement que ſa ré-
ſiſtance n'irrite davantage l'a mour aveugle d'Appius, & ne
lui attire à elle - même de plus vives perſécutions de la part de ce Décemvir. „Son orgueil, dit-elle, ſon audace indiſ- crete, ſa perfidie naturelle me le perſuadent.“ [↔] Publicie loue la réſignation de Virginie à la volonté de ſon
pere, ſon diſcernement, ſa ver tu, ſa prudence. A tous ces traits elle la reconnoit digne fille de Virginius & de Numito ria, & elle ſe félicite elle-mê- me de lui avoir inſpiré une ſi
grande délicateſſe de ſentimens. Toujours conſtante cependant à l'engager à reſter, elle lui dit encore: „Mettez bas toute
crainte. Appius ne peut ſe re fuſer d'avoir des égards pour le rang, pour le crédit, pour les exploits de votre pere.
Soyez auſſi perſuadée que des objets plus importans, & plus flatteurs pour lui, ſçauront le diſtraire de ſes pourſuites. Il n'eſt pas non plus poſſible, qu'il s'abandonne ſans horreur, à
tout ce que ſa paſſion crimi nelle pourroit lui ſuggérer.“ [↔] Loin de ſe laiſſer éblouir par ces raiſons, Virginie continue de ſoutenir qu'elle a tout à craindre d'un ſi méchant hom me. „Que tu te trompes, re pond t'elle à Publicie, quand tu crois qu'un homme qui ne garde aucune apparence de
vertu dans la moindre de ſes
actions, ſoit capable de ſe
dégouter du mal! N'as-tu pas vû cet Appius ſe nommer lui- même Décemvir, contre l'at tente du Sénat? Ne l'as-tu pas vû ſe moquer des Loix, ſous prétexte de les étendre? Ne
l'as-tu pas vû ſupprimer les Con- ſuls & les Tribuns, qui étoient l'appui & le ſoutien de la No bleſſe & du Peuple? N'as tu pas vû juſqu'à quel point il a porté ſon ambition, ſa tyrannie & ſa cruauté contre ſa propre Pa trie? Comment peux-tu donc
t'imaginer qu'il ſe contienne, ou qu'il revienne de ſon égare ment, lorſque rien ne l'yforce? Quand il ne me perſécuteroit pas en Amant injuſte, il m'ou tragera toujours, comme la Maîtreſſe d'Icilius. Il a eu ce Romain pour adverſaire dans la vive conteſtation au fujet du Tribunat, & ſon reſſentiment fera tomber ſur moi tout le le poids de ſa fureur, parce
que je ſuis pour la liberté & pour celui qui la reclame.“ [↔] Obligée de ſe rendre à la force de ce raiſonnement, Publicie
décide, que la poſition des choſes exige indiſpenſablement la pré- ſence de Virginius: „Qui uni quement occupé à Algide à exercer ſa valeur, ignore, quoique ſi près de Rome, l'af front dont il eſt menacé.“ [↔] Virginie lui fait alors connoî- tre, que c'eſt encore pour elle un nouveau ſujet d'inquiétude. „Quand je conſidére, lui dit- elle, combien ce pere eſt ja-
loux de ſon honneur; avec quelle ardeur il foule aux pieds tous les dangers pour le conſerver; le renom qu'il s'eſt fait à Rome par ſa valeur; juſqu'à quel point il eſt ſoup- çonneux & ferme en même tems: & qu'enfin, pour tout dire, c'eſt mon pere, qui m'a élevé, qui me chérit & qui
m'aime avec la derniere ten dreſſe, mille idées confuſes ſe
préſentent à mon imagination. De quoi ne ſeroit - il pas ca pable en effet, ſi le Décemvir s'obſtinant à me pourſuivre, il en étoit informé d'une ma niere peu exacte, ou par un canal étranger!“ [↔] A la vûe de ce danger, Pu-
blicie ſemble elle - même ef frayée; & pour que ſa jeune Maîtreſſe ne contribue en rien par ſon ſilence à ce qui pourroit ſurvenir de funeſte, elle eſt d'a vis que Virginie informe de tout ſon Oncle Numitor & Ici lius. „En ſuivant leurs conſeils, ajoute-t'elle, vous ſerez ſûre de ne vous point égarer. Per mettez que j'aille à l'inſtant
les chercher. La piété & l'a mour les auront déja, ſans doute, attirés l'un & l'autre à la Place.“ [↔] Cetre propoſition devient un
ſoulagement pour Virginie, qui la ſaiſit avec ardeur & tranſport, & qui laiſſe partir Publicie, en lui recommandant ſeulement de ne rien découvrir qu'à Nu mitor, & de ſe contenter de dire de ſa part à Icilius, en cas qu'elle le rencontre, de venir la trouver. „Etant tous enſem ble, dit-elle, il ſera plus fa cile de modérer ſa violence, quand il apprendra ce qu'il ne ſeroit pas juſte de lui ca cher, ni de lui laiſſer ignorer plus long-tems.“
Scene II.
[↔] Après le départ de Publicie,
Virginie déplore ſon ſort d'être expoſée à donner un triſte ſpec tacle à ſa Patrie, ſans avoir ce pendant rien à ſe reprocher dans ſon amour pour Icilius, dans ſes penſées, dans ſes actions.
Ce qui augmente encore ſon chagrin, c'eſt l'appréhenſion que ſon ſacrifice ne ſoit d'au cune utilité pour Rome, qui eſt dominée par un Tyran; que le coup funeſte ne tombe pas ſur elle ſeule; que ſon cher Ici lius ne doive en partager avec elle tout le poids. Elle ſe ſent aſſez de force pour ſupporter la
mort, & réſiſter avec conſtance à toute la rage de ſon perſécu teur. La perte même de ſa vie lui ſeroit agréable, ſi tous les
maux ceſſoient dans l'Etat avec ſes jours; ſi ſa victoire tournoit à l'avantage de la République, dont la gloire lui paroît préfé- rable à tout. Mais en arrivera-t- il ainſi? Son pere, ſon amant en ſeront-ils plus heureux? C'eſt- là ce dont ſa douleur ne lui per met pas de ſe flatter, & c'eſt ce qui met le comble à ſa peine.
Dans cette triſte ſituation, elle s'écrie: „A quoi bon, grand Jupiter, m'avoir donné une
ame Romaine, dans un tems où l'on ne reſpire que l'injuſ- tice, ſi elle ne doit pas ſervir à venger l'outrage qu'on fait à la Ville qui eſt votre Trône & que vous protégez d'une maniere ſi particuliere? A-ce donc été pour vérifier auſſi en moi, qu'il n'y a rien de petit dans la grande Rome? Avez- vous voulu par-là prouver dans ma perſonne, que ſi les Sénateurs Romains l'empor tent par leur éclat ſur les Mo narques, un cœur Plébeïen peut bien auſſi égaler le cœur
le plus élevé qui ſoit chez tout autre Peuple? Cela peut être. Mais, juſte ciel! mes ſenti mens héroïques ne ſont pas ce qui fait mon malheur. Ce
qu'on applaudit en moi com-
me beauté, & que je mépriſe comme un don paſſager, eſt la véritable ſource de mes maux. C'eſt-là préciſément ce qui cauſe tout mon chagrin. La choſe même dont je fais le moins de cas, eſt celle qui excite le plus Appius; & il
ſemble que les Dieux aban donnent celle qui attire ſeule tous mes ſoins, toute mon attention. A quoi puis-je donc m'attendre, ſi je ſuis privé du ſecours des Dieux & des hom mes!“
Scene III.
[↔] Sur ces entrefaites arrive Ici lius, qui n'ayant point trouvé Virginie chez elle, accourt à la Place pour la chercher. Char mé de la rencontrer, il lui dit,
en l'abordant, tout ce que ſon
amour peut lui inſpirer de plus
obligeant & de plus tendre. Vir ginie ne lui répond rien; & Icilius étonné de ce ſilence, & encore plus de la voir fondre en larmes, & détourner la vue de deſſus lui, paroit d'abord dou ter, ſi ce n'eſt pas l'effet de l'in conſtance. Bientôt revenu de cette idée, il lui demande quel eſt le téméraire qui oſe lui cau- ſer tant de chagrin, & altérer ainſi la principale beauté de
Rome. „Eſt-il une ame aſſez injuſte, s'écrie-t-il, pour ne pas reſpecter une perſonne ſi
accomplie? Y a-t'il qnelqu'un qui faſſe aſſez peu de cas de ſa vie, pour exciter ma fureur, ſans la redouter? N'eſt-ce pas moi, qui protégé du Peuple, ai ſçu me faire craindre des Tyrans de Rome? N'eſt - ce
pas moi qui ai été Tribun de ce même Peuple? N'ai-je pas encore l'eſpérance de l'être? Si vous avez quelque ſujet de plainte, croyez-vous que je ne ſois pas capable de vous veng{??} Ne m'accablez donc pas {??}antage. Hâtez-vous de m'apprendre la cauſe de votre chagrin, de peur que de plus longs délais ne me cauſent la mort.“ [↔] A cette inſtance, Virginie ne répond que par une proteſtation d'amour, propre à le raſſurer ſur la droiture de ſes ſentimens. Elle lui dit que lui ſeul poſſéde ſon cœur, que nul autre ne pourra jamais le lui enlever, & qu'il ſe roit indigne d'elle de ſe laiſſer
toucher d'une nouvelle paſſion. Avant que ſon amour eût été autoriſé par ſon pere, elle con vient que tout objet auroit pû
lui être indifférent. „Mais à préſent, ajoute-t'elle, le de voir & le plaiſir enchaînent nos cœurs pour toujours.“ [↔] Un aveu ſi flateur comble de joye Icilius, & le fait repentir du doute qu'il a oſé avoir. Ce pendant ce n'eſt pas encore aſſez pour lui. Il faut qu'il ſçache quel eſt le chagrin de ſa chere Vir ginie, afin du moins de le par tager avec elle. Il la preſſe de nouveau de le lui apprendre; mais Virginie cherche à s'en ex cuſer, ſous prétexte que le ſu jet en eſt ſi grand, qu'elle ne trouve point de termes pour l'exprimer, ſurtout quand elle ſonge que c'eſt à lui qu'elle doit en faire le récit. „N'exigez donc pas, conclue-t'elle, que je vous inſtruiſe de ce que je ne ſçai comment vous dire.“ [↔] Ce refus donne lieu à Icilius
de ſoupçonner que ce doit être quelque choſe de bien grave, & que peut-être même ſon pro-
pre honneur y eſt intéreſſé. En vain Virginie veut le raſſurer ſur le dernier point, en vain elle lui proteſte que ſi l'honneur de l'un d'eux étoit outragé, elle l'auroit déja vengé, au prix mê- me de ſon ſang, s'il l'avoit fal lu, il n'en eſt pas plus tranquille. „Mais s'il n'eſt queſtion, lui
dit-il, ni d'amour, ni d'hon neur, qu'y a-t'il dans le monde, capable de vous affliger, de vous faire répandre des lar mes? Qu'y a-t'il, qui puiſſe vous engager à me traiter en étranger? Ah! Virginie, ou vous connoiſſez mal la cauſe de votre chagrin, ou vous en impoſez à ma patience.“ [↔] La bonne foi & la ſincérité ordinaire de Virginie ſont offen-
ſées de ce reproche. Incapable
de jamais déguiſer la vérité, elle laiſſe à Icilius à juger de la violence qu'elle devroit ſe faire principalement avec lui. Son cœur ignore toute diſſimulation. „Mais il y a des cas, ajoute- t'elle, qui demandent une pru dente diſcretion, de crainte que faute de réfléchir, on ne s'a bandonne aveuglément à tout
ce que la paſſion & le courroux peuvent ſuggérer. Peut-être ſerions-nous expoſés à ce dan ger vous & moi.“ [↔] Tant de réſerve impatiente Icilius, qui ne veut plus rien entendre, à moins que ce ne ſoit l'explication qu'il demande; & Virginie craignant de trop l'ir riter, eſt enfin prête à la lui donner, lorſque Publicie ſur vient avec Numitor.
Scene IV.
[↔] Numitor étonné de trouver Icilius en colere, & Virginie
agitée, leur demande ce qu'ils ont l'un & l'autre. „Qu'y a-t'il donc de nouveau? Quoi! vous êtes muets tous deux!“ Icilius remet à Virginie à raconter le ſujet de leur trouble, & cette Romaine prenant la parole, re pond. „Icilius a vû couler de mes yeux quelques larmes, & je n'ai pû trouver d'expreſ- ſions pour lui en dire la cauſe. Cela mérite-t'il de le mettre en colere? Jugez - en vous- même, Seigneur; & puiſque Publicie doit vous avoir déja inſtruit de tout, détrompez- le, je vous prie, ſur mon compte.“ [↔] Numitor applaudit à la pru-
dente retenue de ſa niéce, & preſſé par Icilius de dire de quoi il eſt queſtion, il commence par faire entendre à ce jeune Ro main, qu'il vaudroit mieux pour lui reſter dans ſon igno rance que d'en ſortir, s'il ne ſçait pas réprimer ſa pétulance naturelle, & uſer d'une diſſi mulation auſſi ſage que néceſ- ſaire. Venant au fait immédia tement après, il ajoute: „Ap pius, le Tyran Appius en
veut, Icilius, à la beauté que vous adorez. Il s'en eſt ou vert à Publicie, qui lui a ré- pondu avec tout le dédain, toute l'horreur & tout le mé- pris qu'il méritoit, & que de mandoient des vûes ſi crimi nelles. Cette fille ſage l'a traité ſi durement, que je ne crois pas qu'il ſoit aſſez aveugle, ni aſſez hardi, pour inſiſter
de nouveau. Je me perſuade même qu'après une pareille leçon, il n'oſera plus em ployer ni douceurs ni menaces.“ [↔] A ce récit Icilius ne peut ſe refuſer d'approuver le ſilence de Virginie. „Que vous avez bien fait, s'écrie-t'il, en lui adreſſant la parole, de me taire un pareil outrage! Que vous avez agi prudemment! Dieux Saints! Eſt-il un cœur qui puiſſe le ſupporter? Eſt-il au monde un homme aſſez lâche pour ſe contenir? Peut-
il y avoir une ame ſi vile & ſi peu ſenſible, qu'elle ne reſ- pire le ſang & la vengeance? Que reſte-t'il à perdre, quand l'ambition, la cruauté, la cu pidité nous ont ravi, biens,
honneurs, liberté, plaiſir. Immoler l'ennemi & mourir, c'eſt, Numitor, le meilleur
reméde que nos maux nous permettent. Adieu Virginie, adieu. Je cours me ſacrifier à ma Patrie, à mon amour, à ma fureur, à ma jalouſie. Grand Jupiter! Agréez l'of frande que je vais vous faire.
Prenez part à l'action que je médite. Si je vous offenſe faites-moi périr; ſi je vous ſers, donnez-moi la victoire.“ [↔] En proférant ces dernieres pa roles, il veut s'en aller; mais il eſt arrêté par Numitor, qui, pour modérer ſa violence & ſa fureur, lui fait pluſieurs remontrances dignes de ſon jugement. Le dan ger où Virginie doit ſe trouver, s'il échoue dans ſon entrepriſe, eſt une des raiſons que le vieil lard fait valoir. Virginie le ſe conde, en conjurant ſon Amant de ne la point abandonner. Sans lui elle mépriſeroit la vie, mais
de puis qu'elle la lui a vouée tou te entiere, c'eſt pour elle un tré- ſor préci eux, qu'elle eſt jalouſe de conſerver. „Si je ſuis en dan ger, lui dit - elle, quoique j'ay e votre appui, que ſeroit- ce, ſi vous veniez à me man-
quer? Ayez donc compaſſion de moi. Suſpendez votre bras. Vous l'employerez avec bien plus de gloire, ſi vous atten dez à ne pas porter un coup dou teux.“ [↔] Des raiſons ſi ſages & ſi ſen- ſées font impreſſion ſur l'eſprit d'Icilius, & le ramenent à lui- même; mais trop animé pour pouvoir prendre aucune réſolu tion, il prie Virginie & Nu mitor de lui preſcrire la con duite qu'il doit tenir. Le der nier lui donne en conſéquence pluſieurs conſeils ſalutaires, comme de réprimer ſon pre-
mier mouvement, d'en éviter les écarts, & de diſſimuler ſa
douleur, pour ne donner au cune défiance à l'audacieux Ap pius, & pour pouvoir le ſur prendre, lorſqu'il ſe croira le plus en ſûreté, & ſera le moins ſur ſes gardes. Pour ce qui eſt de Virginie, il exhorte cette Romaine à prendre part aux ré- jouiſſances de la Fête de Palès. Il lui promet de veiller à ſa ſûreté, d'informer de tout Virginius, & de le preſſer de ſe rendre in ceſſamment à Rome. „Puiſqu'il eſt ſi près d'ici, continue- t'il, tranquilliſez-vous en l'at tendant. Ne craignez rien ſous les yeux d'Icilius. La préſen ce d'un époux eſt toujours d'un grand poids.“ [↔] Valerius & Horatius ſont en core deux appuis, qu'Icilius veut donner à ſon Amante perſécu-
tée. Ces deux Sénateurs liés avec lui depuis long-tems, & ennemis ardens du Decemvi rat, l'attendent pour traiter avec lui de l'affliction commu ne; & l'envie qu'Icilius a de ſe venger, va être pour lui un nouveau motif de les hâter d'a gir. La conjoncture d'ailleurs lui paroit favorable. Le brave Sic cius eſt péri par la plus noire trahiſon, au rapport de toute l'Armée. On en eſt à Rome
dans la derniere indignation. Icilius ſe flatte, que le Peuple pourra bien faire éclater ſon reſſentiment, & entreprendre de ſecouer le joug honteux qu'on lui impoſe. Toutes ces conſidérations lui paroiſſent de voir être pour Virginie autant de raiſons de ſe raſſurer; ce qui lui fait dire, après les avoir expoſées: „Partez donc Vir-
ginie, & n'ayez nulle in-
quiétude. Des cœurs ſi grands & ſi déterminés ſont bien re doutables, quand la fureur les anime.“ [↔] Toutes ces belles eſpérances ne raſſurent pas cependant tout- à-fait Virginie; mais ſans té-
moigner ſa crainte, elle ſe con tente d'invoquer pour Icilius & pour elle la protection des
Dieux, & de les prier de per mettre qu'Appius périſſe, que
Rome recouvre la liberté, & qu'elle rempliſſe elle-même ſon devoir. Icilius & Numitor ſe re tirent enſuite; mais le dernier
auſſi zélé Compatriote que bon oncle, fait obſerver au premier, en s'en allant, que ce ne ſera rien faire, ſi dans le hardi pro jet qu'il médite, la République ſouffre quelque dommage, ou s'il ne confond pas avec ſa pro-
pre vengeance celle de ſa Pa trie.
Scene V.
[↔] Virginie & Publicie reſtées ſeules font un Monologue, dans lequel la ſeconde s'efforce de prouver à Virginie qu'elle n'a rien à appréhender, puiſqu'el le peut ſe flatter que Rome mê- me embraſſera ſa défenſe; mais la premiere ſoutient, qu'elle ne doit pas en être plus tranquille. Tant qu'elle ſçait ſa Patrie dans
l'oppreſſion, ſon honneur & ſon Amant en danger, elle ne peut être que dans la douleur &
dans la crainte. Elle ne doute pas cependant du pouvoir des
Dieux, ni de leur amour pour la juſtice; mais elle n'ignore pas auſſi que par des decrets reſ- pectables, & dont on ne peut
pénétrer la ſageſſe, il arrive
ſouvent que la vertu ſuccombe,
& que le vice reſte impuni. C'eſt là ce qui la fait trembler.
ACTE II.
Scene Premiere.
[↔] APpius paroît ſeul, & ſe plaint de trouver dans Vir ginie qu'il adore un cœur ré- belle à ſa paſſion. Sans cela ſon
bonheur ſeroit parfait. Arbi tre de Rome, où tout ſe fait preſque à ſon gré; reſpecté & obéi des neuf autres Decem virs, qui doivent leur nom, leur dignité au crédit qu'il a eu de faire ſupprimer les Elec tions des Comices; maître des Troupes qui n'agiſſent que par ſon ordre, que manque-t'il à ſa grandeur? Elevé au faîte de
la gloire, & revêtu de toute l'autorité, pouvoit-il s'attendre à rien trouver qui lui reſiſtât?
Cependant une femme oſe re jetter ſes offres, ſe rire de ſes menaces, le mépriſer lui- même, & interrompre par-là le cours de ſa fortune. Lorſqu'il ſe flatte de voir Rome proſternée à ſes pieds lui rendre homma ge, le cœur d'une Plébeïenne refuſe de ſe ſoumettre à lui, & c'eſt un homme du Peuple, qui en eſt la cauſe. Quelle humilia tion! Tout ce qu'il entreprend a le bon ou le mauvais ſuccès qu'il ſe propoſe, & il faut que
l'amour le traverſe par ſes ri gueurs. Ce n'étoit pas aſſez pour Icilius d'avoir balancé con tre lui les ſuffrages du Sénat, il falloit encore que par une ſe conde rivalité plus heureuſe, il lui enlevât le principal ob jet de ſes deſirs. Eſt-il rien qui puiſſe exciter davantage la fu reur & la rage d'un Amant pré-
ſomptueux & paſſionné? Par complaiſance pour un Plébeïen, le ſuperbe Appius étouffera-t'il ſa colere, & le feu cruel qui le dévore? Non, s'écrie-t'il. „Cela n'eſt pas poſſible. Ma
paſſion eſt trop forte, ma
douleur trop violente, pour que je puiſſe voir dans les bras d'un autre la beauté que j'a dore. Mais, juſte Ciel! ſi j'échoue dans les meſures que j'ai priſes, ſi je ne puis inſiſ- ter, ſans faire paſſer mon am bition pour tyrannie, ſi mes grands projets s'évantent, avant que tout ſoit diſpoſé en ma faveur, & ſi un inté- rêt contraire. . . . .“
Scene II.
[↔] Ici il eſt interrompu par l'arri vée de Claudius ſon favori, qui
le voyant ſi fort ému, lui con- ſeille de ſe modérer, tant pour ménager ſa ſanté, qu'il aſſure devoir être précieuſe à tout le Peuple, que pour ne donner aucun ſoupçon, dans un jour où il va paroître en public, & devant une multitude de per- ſonnes qui auront lesye ux ſur lui. [↔] Quelque ſage que ſoit ce conſeil, Appius n'en a nul be- ſoin. Parfaitement inſtruit dans l'art de la diſſimulation, il ſçait ſe compoſer, cacher ſes pen- ſées, déguiſer ſes actions, ſes paroles; mais il ignore com ment garantir ſon cœur con-
tre les charmes de Virginie. C'eſt-là le ſecret qu'il voudroit trouver, & c'eſt ce qu'il de mande à ſon favori. [↔] Claudius en reconnoit toute la difficulté, & même l'impoſ-
ſibilité, ſi l'amour eſt exceſſif. Le ſeul expédient qu'il imagi ne, & qui eſt digne de lui,
c'eſt d'aſſouvir la paſſion, quand on ne peut l'étouffer. [↔] Quoique diſpoſé par ſon pro-
pre caractere à prendre ce parti, Appius croit devoir encore ufer de ménagement. Après avoir donné les Loix, il lui paroît que ce ſeroit trop hardi de les violer ſi promptement, ſans un prétexte honnête & ſpécieux; mais Claudius plus ſcélérat que lui, penſe bien différemment.
„C'eſt, dit-il, aux ames ordi-
naires à s'aſſujettir aux ré-
gles de la vertu. Les grands
hommes, les Héros ſont au deſſus de tout, & ne reſpec-
tent rien, quand le crime leur plaît. Appius ne doit mettre de frein à ſes actions, que comme Romain; mais Appius Decemvir, maître abſolu du Peuple, des Patriciens, des Troupes, doit donner ſes
caprices pour des Loix.“ La
clémence & la modération ceſ- ſent, ſelon lui, d'être des ver tus, quand il s'agit d'affermir une nouvelle domination. [↔] Son raiſonnement flatte beau coup l'orgueil, l'ambition, la vanité d'Appius, qui juge ce pendant à propos, avant que de lever tout-à-fait le maſque, de prendre avec prudence, & ſans délai, de juſtes meſures, pour parvenir à ſes fins, & pa rer à tout inconvénient. Clau dius remet ce point à la ſageſſe
du Decemvir. Il ſe contente de lui proteſter une obéiſſance aveugle à ſes ordres, en hom me qui lui eſt dévoué plus qu'au cun autre. Appius n'en a aucun doute. Il a déja eu tant de preu ves de ſa fidélité, de ſon zéle, de ſes talens, qu'il en fait un cas particulier; mais comme il apperçoit les Sénateurs Valerius & Horatius, deux de ſes enne mis les plus obſtinés & les plus grands Partiſans du Peuple, qui viennent à lui, il le congédie & renvoye à un autre tems à concerter avec lui ce qu'il con vient de faire.
Scene III.
[↔] Les deux Sénateurs, fins, ſouples, diſſimulés, l'abordent; & Valerius lui adreſſant la pa role, commence par l'aſſurer,
que c'eſt avec confiance & bon ne foi qu'ils ſe hâtent de venir le trouver, ſans égard au lieu où il eſt, ni aux diſputes qu'ils ont eues avec lui dans le Sénat, de crainte que leur diviſion ne ſoit nuiſible à la Patrie, dans une occaſion où le danger eſt preſſant. Lui ſuppoſant un cœur Romain, & un amour ſincere pour Rome, il lui repréſente enſuite, que tout le Peuple inſ- truit de la mort de Siccius, l'at tribue au Decemvir & Général Cornelius, traite cette action de barbarie & de tyrannie, craint de nouveaux outrages pa reils, gémit & ſe plaint; que la Nobleſſe n'eſt ni moins allar mée, ni moins agitée, & qu'il eſt de la derniere conſéquence de les raſſurer, avant qu'un même eſprit de défiance & de fureur ne les réuniſſe, & ne
rende le reméde impoſſible. [↔] Horatius le prie de faire at tention à cet avis, de pré- venir les ſuites funeſtes d'un mécontentement ſi général, par les effets de ſa juſtice, & de compter, s'il veut punir le cri me, ſur leurs bras, & en cas qu'il lui faille de plus forts appuis, ſur ceux du Plébeïen, du Che valier & du Sénateur. „Com me tous les vœux, dit-il, ne ſont que pour la tranquillité commune, dès qu'il ſera queſ- tion de la venger, il n'y en a aucun qui n'y coure avec plaiſir; & cependant vous aurez ſeul la gloire du ſou lagement, après lequel nous ſoupirons.“ [↔] Loin d'avoir égard aux diſ- cours des deux Sénateurs, Ap pius s'étonne comment il a eu la patience de les entendre. Il
ſoutient que ce qu'ils viennent de lui dire, eſt une noire ac cuſation, & il leur déclare qu'il n'ignore pas que c'eſt moins la mort de Siccius, qui excite leurs cris, que l'envie de ſemer la diviſion entre les Decemvirs dont ils veulent affoiblir la puiſſance. „Mais apprenez, leur dit-il, qu'avant que vo tre faux zéle vous ait conduit au but auquel votre audace & votre perfidie vous font tendre, je ſçaurai réprimer le Peuple par la ſévérité, corri ger la Nobleſſe par des châ- timens exemplaires, & les contenir l'un & l'autre par la
crainte, puiſqu'il n'eſt pas poſſible de leur inſpirer de
l'amour, & que la douceur ne ſert à rien.“ [↔] Cependant tout le monde ſçait de quelle maniere Siccius
a été tué. La violence & la cruauté ne feront qu'irriter da vantage les eſprits. Déja le Peu ple eſt furieux. Les Troupes ſont à la vûe du Mont Velleius, & l'on doit craindre que la mé- moire de Siccius n'excite à don ner un exemple de ce que peut
l'amour héréditaire de la liber-
té. C'eſt ce que Valerius re préſente encore au Decemvir, & Horatius appuyant ſur la ſa geſſe de ſes remontrances, s'ef force de lui faire ſentir, que les choſes peuvent encore aller plus loin; qu'après le mépris qu'il a fait de l'affliction com mune, il pourroit bien, ſi le Peuple le ſçavoit, & venoit à ſe revolter, être la victime de ſa colere implacable, & qu'alors le danger ſeroit peut- être plus grand pour lui ſeul,
que pour tous ſes Partiſans; mais rien n'eſt capable d'ébran ler l'orgueilleux Appius. Au contraire perſuadé qu'il con vient de montrer toujours de la fermeté, il menace de faire précipiter du haut du Mont
Tarpeïen, quiconque oſera branler; parce que, dit - il, „troubler la ſage conduite du Magiſtrat, ce n'eſt pas un moindre crime, que de vou-
loir tyranniſer la liberté de Rome par une infâme op preſſion.“ En achevant ces mots il ſe retire.
Scene IV.
[↔] La perſuaſion où il eſt, que Valerius & Horatius veulent di viſer ſon pouvoir, & lui faire enſuite ſubir la Loi de leur ca price, eſt un ſujet de ſatisfac-
tion pour les deux Sénateurs. A ſon averſion pour toute gêne,
à ſon caractere violent, ils ſe flattent qu'il ſera capable de ſe porter à de plus grandes ini quités, & que paſſant ſucceſ- ſivement d'une entrepriſe témé- raire à une autre, il contribue ra lui-même à groſſir le nom bre de leurs Partiſans, & à les mettre en état de tirer la Pa trie de l'oppreſſion où elle eſt & de ſervir Icilius & Virginie. Ils concertent enſemble de ſaiſir ſans délai la premiere occaſion qui s'offrira d'éclater ouverte ment. Chacun d'eux a ſes parens & amis répandus dans la Place, & diſpoſés à agir au moindre
ſignal. Il n'eſt queſtion que de leur donner un mot du guet, auquel ils puiſſent tous ſe re connoître, s'unir, & ſe ſecon der mutuellement. C'eſt auſ-
ſi ce qu'ils conviennent de faire. L'appui d'Icilius leur paroît en core néceſſaire, parce qu'il a quantité de Partiſans; c'eſt pourquoi ils ſe diſpoſent à al ler le trouver, lorſqu'ils le voyent accourir avec un em preſſement, qui annonce aſſez ſon intention & la force de ſon amour. Valerius projette ſur le champ de lui raconter en peu de mots ce qui vient de ſe paſ- ſer avec Appius, & de lui en dire ſuffiſamment pour entre tenir ſa confiance.
Scene V.
[↔] La curioſité eſt ce qui amé- ne Icilius. Il a vû le Décemvir en colere quitter les deux Séna teurs, & il eſt impatient de ſça voir comment il a pris leurs diſ- cours pacifiques, & reçu leurs
conſeils prudens. Valerius ne le laiſſe pas languir. Il lui dit à l'inſtant; qu'Appius n'écou tant que ſa hauteur, ne diſſi mule en rien ſon courroux, qu'à peine a - t'il daigné entendre leurs ſages propoſitions, & que tout le porte à la colere & à la fureur. „Il ſoutient, ajoute- t'il, que Siccius n'a pas été tué de deſſein prémédité; que l'indignation du Peuple eſt ſuppoſée, & notre zéle une perfidie. Enfin à en ju ger à ſon emportement, il ne connoit d'autre regle que
ſon caprice, & la vie & l'hon-
neur ſont en grand danger.“ [↔] Ici Horatius l'interrompt, & fait adroitement tomber la con verſation ſur ce qu'il y a à crain dre pour Virginie, en deman dant qui l'en garantira. A cette queſtion Icilius auſſi intrépide
que paſſionné, répond avec vi vacité: „Mon épée. J'en ferai uſage, quand je verrai qu'il ne me reſtera plus d'autre reſ- ſource. Dans un beſoin ſi preſſant, mes Partiſans feront ce que j'ordonnerai. Y aura- t-il d'ailleurs parmi le Peuple quelqu'un qui ne m'aide à défendre cette beauté, ſi vous
mêmes touchés de compaſſion pour elle, vous embraſſés l'un & l'autre ſes intérêts?“ [↔] Valerius le lui promet au nom de tous les deux; mais il croit que la diligence eſt néceſ- ſaire. Il eſt important d'arrêter au plutôt la férocité d'un monſ- tre, tel qu'Appius, & de met tre fin au poiſon mortel qu'il exhale. Dans cette perſuaſion, on ne doit point laiſſer échap per la premiere occaſion qui ſe préſentera. Icilius penſe ſur
ce point comme Valerius, & lui proteſte, que dès qu'ils'agira de tremper d'une main venge reſſe ſon épée dans le ſang du Tyran, & de déchirer le ſein dé- teſtable, qui eſt le dépoſitaire de tant de projets barbares, il le fera, ſans héſiter. [↔] Tant de réſolution n'eſt ce-
pendant pas du goût d'Horatius. Il lui ſemble que le courage veut être employé avec plus de réflexion. Tout ce qu'il de mande à Icilius, c'eſt qu'il pré- vienne ſes gens de ſe joindre aux conjurés, & engage Virgi nie à prêter ſeulement ſon nom; afin que l'on accoure par tout où le beſoin l'exigera. Icilius en donne ſa parole; & comme la conjoncture eſt favorable au projet, à cauſe de la multitude de monde que la Fête de Pa lès raſſemble dans la Place,
les Sénateurs s'en vont, à deſ- ſein de tout diſpoſer pour l'e xécution.
Scene VI.
[↔] Quand ils ſont retirés, Icilius dit: „Ah! Patriciens illuſtres,
quelle gloire ne vous êtes- vous pas acquiſe ancienne ment par le ſuccès des meſu res que vous aviez priſes pour la ruine d'un Roi Tyran! Que Rome, votre mere, vous doive, comme à vos fameux Ancêtres, la mort ou l'expul- ſion de ce nouveau Tarquin! Que le Peuple, qui ſoupire
généreuſement après la liber-
té, qu'on lui a ravie, ſorte d'une ſclavage ſi dure! ſoyons- en nous mêmes l'inſtrument,
par les juſtes motifs qui nous uniſſent. Et vous, Virginie!
vous, mon bien, & la ſouverai ne de ce cœur embraſé, qui n'a que vous en vûe dans tout ce qu'il deſire; occupez tellement ce cœur, qu'il ne ſe propoſe rien & n'ambitionne d'autre
gloire que de n'avoir plus nulle inquiétude pour vous. Dût-on me reprocher d'être de tous les Romains réellement di gnes d'un ſi grand nom, le premier qui ait donné à l'a mour la préférence que de mande la Patrie; çà, qu'il n'y ait plus rien en moi, que mon dépit n'anime. Que la jalouſe fureur, qui ſouffre impatiemment d'être renfer mée dans mon ame, coure exciter mes Partiſans. Oh! ne permettez pas, grand Jupiter, que le cruel Appius échappe à une conjuration ſi forte.“
Scene VII.
[↔] Le ſage Numitor le ſurprend
dans cette agitation, & le blâ- me de ne pas ſçavoir mieux ſe modérer. Il l'avertit que ſon vi-
ſage & ſes actions le trahiſſent, ce qui peut être d'un préjudice infini à la réuſſite de ſes projets. En conſéquence il l'exhorte à ſe modeler ſur les deux Séna teurs, qui trop prudens & trop politiques pour laiſſer entrevoir leurs intentions, ſe contrefont adroitement devant le Tyran, & cachent à Icilius-même toute l'étendue de leurs vûes, ſe con tentant de lui parler ouverte ment ſur ce qui cauſe ſon cha grin. [↔] D'un autre côté, Icilius écou te d'abord avec peine des con- ſeils ſi ſenſés, parce que le De-
cemvir paroiſſant, au mépris qu'il fait des plaintes & des avis, s'endurcir dans ſon aveugle ment, il n'a nulle eſpérance de voir Virginie hors de dan ger. Il ne croit pas même qu'il y ait d'autre reſſource que de prendre tous les armes, au moin dre écart du perfide Appius,
pour défendre la liberté, & pour voir à la ſureté commune. Forcé cependant à la fin de reconnoî- tre une ſupériorité de lumiéres dans le prudent Numitor, il conſent d'y déférer. Il ſe per- ſuade que tant que Virgi nie ne court aucun riſque, il ne haſarde rien à ſuivre l'exem ple des deux généreux Séna teurs; qu'au contraire il leur donnera par-là le tems de s'af fermir dans leur réſolution, & d'aſſurer à leurs entrepriſes un ſuccès, dont il tirera lui-même
avantage pour ſon amour. „Sem blable à Protée, dit-il, je changerai de formes ſuivant l'occaſion. Comme un autre Janus à deux viſages, je pro fiterai des fautes paſſées, pour mieux me conduire à l'a venir.“ [↔] Numitor charmé de ſes diſ- poſitions, lui déclare qu'il a tout fait ſçavoir à Virginius, que de moment à autre il l'at tend, & qu'il eſt lui-même ré- ſolu de ſeconder les Conjurés, avec ſes Partiſans, qui ne le céderont ni pour le nombre, ni pour la valeur, à ceux d'au cune autre faction. Cela fortifie l'eſpérance d'Icilius, qui ſe ſent capable d'affronter les plus grands dangers; mais malgré tout ce qu'il peut ſe promettre d'une conjuration ſi puiſſante, il a encore le cœur troublé par
un ſecret preſſentiment, que ce jour-là même il doit lui ar river quelque choſe de funeſte. Cependant tous deux ainſi dé- terminés ſe ſéparent, & met tent fin au ſecond Acte.
ACTE III.
Scene Premiére.
[↔] APpius & Claudius vien nent enſemble, s'entrete nant de ce que les deux Séna teurs ont dit au Decemvir. Ce lui-ci s'applaudit de n'y avoir eu nul égard, & ſon favori le loue fort de n'avoir point com promis ſon autorité, en défé- rant au conſeil de ſes ennemis. Il n'y a cependant pas lieu de s'en étonner. Le Decemvir ſe
défie avec raiſon de Valerius & d'Horatius; & indépendam ment de ſa fierté, qui ne lui per met point de connoître de bor nes dans le deſpotiſme qu'il s'arroge, ſon amour pour Vir-
ginie lui feroit préférer la mort a la moindre diminution de ſa puiſſance. Tout ce qui ſemble
s'oppoſer à la paſſion qui le dé- vore, ne ſert qu'à l'entretenir, & la perte de ſon pouvoir ne fe-
roit qu'irriter ſes deſirs, en l'é- loignant de l'objet après lequel il ſoupire le plus. [↔] Claudius le voyant dans ces diſpoſitions, lui témoigne l'é- tonnement où il eſt de ſa mo dération. En vain Appius cher che à la juſtifier, ſous prétexte que la rigueur & le dédain de Virginie ſont pour lui une eſ- péce d'enchantement qui le re tient, ſon favori s'efforce de
lui perſuader qu'il ne doit dé- ſeſpérer de rien, tant qu'il n'au ra pas parlé à cette Romaine.
„N'eſt-ce pas une femme? ajou te-t'il. Les louanges, les élo ges, la vanité, l'intérêt, la gloire de vous voir à ſes pieds, ne ſont-ils pas capables de ſé- duire le caprice, s'ils ne peuvent gagner le cœur? Tout doit-il être inutile avec ſon ſexe? Déterminez-vous, Seigneur, à lui parler. Ce jour- ci eſt peut-être le plus favora ble que vous puiſſiez avoir.“ [↔] Le Decemvir convient de de voir mettre en uſage tout ce qui peut adoucir ſes maux, mais il croit qu'il ne lui con vient pas de rien haſarder en
public. Sa paſſion ſeroit bien tôt connue de tout le monde, & s'il échouoit dans ſon entre priſe, il deviendroit la riſée &
le mépris d'un chacun. Plutôt que de s'expoſer à une morti fication ſi grande, il aimeroit mieux tenter d'enlever Virginie de la maiſon de ſon pere ou de ſon époux, & de l'arracher du ſein de ſa félicité. [↔] Quoique Claudius ne ſoit pas homme à déſapprouver le der nier parti, il perſiſte dans ſon premier avis, & encourage le Decemvir par des raiſonne mens dignes de ſa ſcélérateſſe. „Quand il s'agit, dit-il, d'a voir ce qu'on deſire, on met bas tout ſcrupule, toute ti midité. L'homme puiſſant ne connoit ni crainte, ni conſi-
dération. Pour obtenir une fa
veur par le crime, la vertu eſt inutile. Ne négligez donc pas, Seigneur, de profiter de la conjoncture des Fêtes. Il eſt naturel que Virginie
s'y trouve, & ne ſoit ac compagnée que de Publicie. Cherchez-là, & ſi vous la ren contrez, qu'elle apprenne de votre propre bouche tout ce
que vous ſentez pour elle. Si elle vous écoute, quand elle ne vous payeroit pas de re tour, elle ne pourra manquer de vous en ſçavoir quelque gré, & ce ſera du moins pour vous un ſoulagement, dont vous avez été privé juſqu'à préſent.“ [↔] Malgré toute ſa répugnance Appius ſe détermine à ſuivre ce conſeil; & comme il apper- çoit au même inſtant Virginie & Publicie qui s'avancent, il ſe re tire un peu à l'écart, de crainte que ſa vue ne les faſl{??}e retour ner ſur leurs pas, & Claudius va ſe cacher plus loin, pour le laiſſer en pleine liberté.
Scene II.
[↔] Virginie eſt inquiéte pour ſon cher Icilius. Craignant que par un excès de ſa violence na turelle, il n'expoſe trop ſa perſonne, elle a regret de ne lui avoir pas fait connoître tou-
tes ſes frayeurs, afin de le re tenir. Elle voudroit le trouver pour les lui expoſer ouverte ment, & c'eſt ce qui l'amene. Publicie s'eſt prêtée à ſon im patience; mais elle appréhen de que ſa condeſcendance ne ſoit préjudiciable à ſa jeune Maî- treſſe, par la rencontre d'Ap pius. Sa fidélité s'en trouve bleſ- ſée, & ce ſeroit un reproche des plus ſenſibles qu'elle auroit à ſe faire. Pour prévenir ce mal heur, elle preſſe Virginie de ſe retirer; mais dans le même tems
elle découvre le Decemvir. Conſternée elle s'écrie ſur le champ: „Juſte ciel! mon ap préhenſion ſe vérifie déja. J'ap perçois Appius.“ [↔] A ce nom, le cœur de Vir ginie ſe glace, & cette ver tueuſe Romaine met entre elle & le Decemvir ſa ſage Gouver nante, comme pour lui ſervir de barriere. Cela n'empêche pas qu'Appius s'avançant vers elle & lui adreſſant la parole, ne lui
diſe tout ce que l'amour le plus
tendre & le plus vif eſt capable d'inſpirer. D'un autre côté Pu blicie toujours ferme, toujours exacte à remplir ſon devoir, rappelle au Decemvir la réponſe qu'elle lui a déja faite de la part de ſa jeune Maîtreſſe; & elle ajoute: „Ne vous flattez-pas de trouver aujourd'hui Vir ginie plus favorable à votre
prétention. Elle n'eſt pas fem me à prêter l'oreille à des diſ-
cours qui bleſſent ſa vertu. Allez-donc les tenir ailleurs, où ils ſoient écoutés, ſi vous ne voulez pas eſſuyer par ſon ſilence une nouvelle mortifi cation encore plus grande.“ [↔] Le Decemvir trop amoureux pour ſe rebuter ſi promptement, la conjure de trouver bon qu'il faſſe connoître à Virginie toute
la violence de ſa paſſion, ou du moins que cette beauté adora ble le détrompe par ſa propre bouche; mais la Gouvernante lui déclare que ce ſeroit en vain qu'elle le permettroit, & que Virginie même y conſen tiroit. [↔] Pour les gagner l'une & l'au tre, Appius leur fait enviſager les avantages qu'elles doivent toutes deux retirer du ſacrifice
de ſon cœur & de ſon autorité. „Vous ſouciez-vous donc, leur
dit-il, ſi peu de la fortune, que vous la rejettiez avec tant de mépris? Et vous, Virginie, voyez-vous à vos pieds d'un œil indifférent, celui qui maître dans Rome, diſpoſe de tout à ſon gré? En êtes-vous ſi peu flattée, qu'il ne vous paroiſſe pas ſeule-
ment mériter le moindre té- moignage de reconnoiſſance? Je vous croyois trop prudente, pour rejetter ainſi votre bon heur, & pour mépriſer le cœur d'Appius, qui vous of fre & vous ſacrifie ſa gran deur.“ [↔] Cependant il ne réuſſit pas mieux. Il eſt indigne de Vir ginie & de Publicie, de ſe laiſſer ſéduire par les appas de l'intérêt & de la fortune. Le
Decemvir en devient ſi furieux, que ne pouvant plus ſe conte nir, il menace Virginie de lui
faire éprouver, & à ſon amant, les effets de ſon courroux, & de la puiſſance qu'elle outrage. „Je t'apprendrai, lui dit-il, à faire plus de cas des biens que tu mépriſes. Je ferai .....“ [↔] Publicie veut ici l'interrom pre, mais Virginie lui impoſe ſilence, & prend elle - même la parole. Si la ſageſſe & la dé- cence exigeoient d'elle qu'elle parût ſourde à des propos ga lans, il n'en eſt pas de même des menaces. Il y auroit de la baſſeſſe à les ſouffrir tranquille ment, & ſa noble fierté ne le lui permet pas. Eſt-il rien qui puiſſe l'offenſer davantage, que de la ſoupçonner capable de la moindre foibleſſe deshonoran te? Sa famille, quoique d'un
rang inférieur à celle du De cemvir, ne le lui céde point en mérite. Perſonne n'ignore la gloire qu'elle s'eſt acquiſe, & qu'elle conſerve encore ſans la moindre tache. Appius ſeul pourroit-il n'en avoir pas con noiſſance? Ne ſçait-il pas d'ail leurs que Virginie n'eſt plus maîtreſſe de ſon cœur? Ne ſçait-il pas auſſi, qu'il n'a nul droit d'y prétendre? Pourquoi donc s'y haſarde-t'il? Sur quoi peut-il ſe fonder, pour vou loir faire rompre les liens hon nêtes qui uniſſent Icilius & cet te Romaine? N'eſt-ce pas lui qui par ſon orgueil, a fait pu blier la loi pour défendre les alliances entre les Patriciens & les Plébeïens? Comment peut- il donc avoir le front de vou loir s'y ſouſtraire? S'il connoiſ-
ſoit la vertu de Virginie, cela
ne devoit-il pas ſuffire pour le retenir? Pourroit-il ſe flatter de la corrompre? Oſer le croire, n'étoit-ce pas l'outrager? En douter, & le tenter, n'étoit- ce pas ſe compromettre ſoi même? Que de puiſſantes rai- ſons à alléguer au Decemvir, pour lui faire ſentir toute l'in juſtice & toute l'horreur de ſon entrepriſe téméraire! Virginie n'en omet aucune, & ayant même juré au Decemvir un reſſentiment éternel, elle finit par lui dire: „Modere donc l'audace vile, aveugle & vai ne, avec laquelle tu ne cher ches qu'à m'inſulter. Crains
que les Dieux ne me vengent eux-mêmes, ou par la main de quelque mortel.“ En proférant ces dernieres paroles elle ſe re tire avec ſa Gouvernante.
Scene III.
[↔] Appius veut la retenir, l'ap pelle, mais c'eſt en vain. Fai- ſant enſuite un retour ſur lui- même, il a honte d'une pareille foibleſſe. Il juge indigne de lui,
d'aimer comme le vulgaire, en ſe ſoumettant à des regles. Si ſon amour en reconnoiſſoit, il croiroit que ſon autorité en ſe roit reſtreinte. Il ſe perſuade qu'il y va de ſa gloire, de ſe faire obéir en tout. De-là il prend la réſolution de diſſimu ler ſa fureur, d'affecter un air de dégagement & de tranquil lité, pour parvenir plus ſûre ment à ſes fins; & d'employer cependant la violence, la four berie, la méchanceté, l'arti fice; en un mot tout ce qui pourra contribuer à le faire
triompher du refus obſtiné de Virginie. „Que cette femme
éprouve, dit-il, ce que peut celui qui gouverne Rome, ſans reconnoître de ſupérieur; celui, qui n'a donné la loi, que pour vivre avec plus de liberté; enfin celui, qui ſçau ra par ſa fermeté, forcer la
Religion même à ſe confor mer à ſon caprice.“
Scene IV.
[↔] Ici il eſt interrompu par le retour de Claudius, à qui il fait part du mauvais ſuccès de ſon entrepriſe. Quoiqu'il ſoit réſo lu de ne plus rien ménager, qu'il ait même déja formé un projet, qu'en conſéquence il ait envoyé ordre à Cornelius de ne point laiſſer ſortir du Camp Virginius, & d'en ob-
ſerver ſoigneuſement les dé marches, & qu'il aſſure ne re douter en aucune maniere les efforts d'Icilius & de Numitor, les ſeuls à portée de s'oppoſer à ſes deſſeins avec leurs Partiſans, il dit à Claudius que le ſtrata gême, qu'il a imaginé, eſt ſi ſingulier, qu'avant que d'en fai re uſage, il veut encore y ré- fléchir. [↔] Claudius digne favori d'un tel Maître, déſapprouve cette lenteur. Dans la poſition où ſont les choſes, la diligence lui paroît néceſſaire; & perſuadé qu'il n'y a point de tems à per dre, il preſſe Appius de pren dre au plutôt ſon parti. „Dé- cidez-vous, lui dit-il, dans le jour, dans le moment mê- me, s'il eſt poſſible. Donnez de l'occupation à ma fidélité.
Diſpoſez de moi. Comman dez.“ [↔] Le Decemvir ne doute point de ſon zéle, & ſe rendant à ſon avis, il ſe met en devoir de l'inſtruire de ſes intentions, lorſqu'il en eſt empêché par l'ar rivée d'Icilius.
Scene V.
[↔] Celui-ci profite de l'occaſion pour lui faire ſa cour, & lui offrir d'un air obligeant & reſ- pectueux ſes ſervices, mais Ap pius lui tourne le dos, & s'en va avec ſon favori, après avoir répondu avec hauteur: „Quand je ne me ſuffirois pas à moi- même, les Licteurs ſont ſi proche de ma perſonne, dans le tems même que je parois être ſeul, que toute compa-
gnie m'eſt inutile, parce qu'avec eux, Icilius, je n'ai rien à craindre, & je ſuis aſ- ſuré d'être obéi.“
Scene VI.
[↔] Il ſemble que la vue & la réponſe fiere de ce Tyran, ral lument la fureur d'Icilius. Au déſeſpoir de voir Rome déchue de ſa grandeur, la Nobleſſe & le Peuple dans l'oppreſſion, la vigueur & le zéle des Romains
pour la liberté preſqu'entiére ment évanouis; il ne s'étonne pas moins de voir comment, après l'avoir emporté lui-même ſur tant d'autres par ſa réſiſtan ce à plier ſous le joug honteux, il a la conſtance d'endurer les diſcours outrageans du monſ- tre odieux qui le deshonore. „Eſt-ce donc là, Numitor,
s'écrie-t'il, en ſe rappellant les conſeils de ce ſage Vieil lard, eſt-ce là le fruit qu'on retire, de renfermer dans l'a me ſa colere? Que gagnai-je ſi le cruel m'offenſe, & ſi je ne me venge pas dans le moment même? Eſt-il mieux d'atten-
dre que les caprices du deſtin me refuſent l'occaſion qu'ils m'offrent aujourd'hui? Je ju re par le Pere Tout-puiſſant
des Dieux, qui eſt adoré dans notre ancien Latium, que ſi jamais le tems me permet d'éclater, ce déteſtable bar bare, cet ennemi cruel de mon repos éprouvera, pour ſon malheur, qu'il y a encore dans les ruines de la Patrie, un cœur Romain.“
Scene VII.
[↔] Icilius laiſſe exhaler ſa rage, lorſque Virginie, qui le cher che dans la vue de l'exciter elle - même, arrive toute en pleurs avec Publicie. A la vue d'Icilius, Publicie conſeille à ſa jeune Maîtreſſe d'arrêter ſes larmes; mais c'eſt inutilement. Virginie a le cœur trop ulcéré, trop pénétré de l'inſulte auda cieuſe du Decemvir. Il faut qu'elle leur laiſſe, malgré elle, un libre cours. Son Amant s'en apperçoit, en paroît inquiet, & lui en demande la cauſe. „Tant qu'Icilius vit, qu'y a-t- il, Madame, lui dit-il, qui puiſſe vous chagriner? Ses ſoins ardens, ſon amour ne doivent - ils pas vous raſſurer contre tout? Parlez donc;{??}
ne me cachez pas le ſujet de votre peine. Vous en avez ſans doute un nouveau, encore
plus ſenſible que celui dont je ſuis déja inſtruit.“ [↔] Virginie ne ſe fait pas preſ- ſer. Ses larmes ont commencé
à déceler ſa douleur, & ſa bou che n'héſite point à faire le reſte. Après avoir donné à entendre à ſon Amant, qu'elle a vû Ap pius, & qu'elle cherche à l'é- viter, pour n'être plus expoſée à ſes diſcours inſolens, elle lui déclare nettement ſa volonté.
Ce n'eſt plus cette Amante, qui également allarmée pour la vie de ſon Amant & pour la ſienne propre, ſouhaitoit de modérer le courroux de ſon
cher Icilius. C'eſt une femme furieuſe qui ne reſpire que la vengeance. Nul péril n'eſt plus capable de l'effrayer. Son Amant
quelque cher qu'il lui ſoit, doit tout riſquer. Elle veut qu'avec ſon pere, qu'elle attend in ceſſamment, avec Numitor, avec les deux Sénateurs, il ſe hâte de prendre de juſtes me- ſures, pour détruire le Tyran, & qu'en la vengeant, il ait la gloire de délivrer la Patrie de l'eſclavage honteux dans lequel elle gémit. „Qu'Icilius ſur-tout, ajoute-t'elle, ne ménage plus rien. Qu'avons nous encore à perdre, ſi l'on nous ravit
la liberté juſques dans la loi
& en amour.“ [↔] Il n'en faut pas tant pour provoquer Icilius à ſe porter aux dernieres extrémités. Son regret eſt de ne pouvoir raſſem bler à l'inſtant tous les Conju rés, & voler avec eux trem per ſa main dans le ſang du cruel Appius. Depuis qu'il ſçait
que ſa chere Virginie s'y inté- reſſe elle-même, tous les mo mens lui ſont précieux. Il va s'empreſſer d'en profiter, afin de tout préparer pour la promp te exécution de ſes deſſeins. En attendant, il conſeille à Vir ginie de rejoindre au plutôt les Romaines, qui la cher chent pour la célébration de la Fête de Palès, & il lui promet de ne la point per dre de vue, & de veiller à ſa ſûreté. [↔] Avec ces aſſurances, Virgi nie ne craint plus rien. Unie
de cœur & d'eſprit à Icilius, elle ne redoute plus ni le nom odieux, ni la préſence même du Tyran. Les deux Amans ſe ſont enſuite de tendres
adieux, ſe proteſtant un amour
réciproque, que la mort mê- me ne pourra pas éteindre;
Publicie termine cette derniere Scène du troiſiéme Acte, en di-
ſant: „Faſſent les Dieux, que vous puiſſiez l'un & l'autre prouver aujourd'hui, qu'ils protegent & récompenſent
la vertu, quoiqu'ils ſem blent quelquefois l'abandon ner!“
ACTE IV.
Scene Premiere.
[↔] LE Projet d'Appius à l'é- gard de Virginie, n'eſt plus un myſtere pour Claudius. Ap pius lui-même vient de s'en inſtruire, & de lui donner des ordres en conſéquence. On en juge par ces paroles, qu'il dit en entrant avec lui ſur le Théâ-
tre: „C'eſt-là, Claudius, la derniere reſſource que mon deſpotiſme me fournit, pour ſatisfaire l'ardeur extrême de mes deſirs. Toi qui dois être
l'ame de l'entrepriſe, diſpoſe- toi à exécuter tout ce que tu as entendu.“ [↔] Claudius acheve ici de dé-
maſquer ſon caractère odieux, & d'en faire connoître le rap port avec celui d'Appius, en diſant: „Quand on eſt aſſez heureux, Seigneur, pour être votre Créature, on n'a rien à répondre. L'obéiſſance par le ſeule. Juſqu'à préſent, ni
le crime, ni la difficulté n'ont été capables de m'arrêter. L'habitude & le plaiſir de vous ſervir, diſſipent tout remords.“ [↔] Il eſt encore encouragé par les promeſſes flatteuſes du De cemvir de lui accorder en ré-
compenſe tout ce que ſa cupi dité pourra lui faire ambition ner, & de compter à tout évé- nement ſur ſon appui.
Scene II.
[↔] Cependant après le départ d'Appius, il ſe ſent comme indécis ſur ce qu'il doit faire. Tant qu'il n'a vu que de loin le danger, ſon aveuglement ne lui a pas permis d'en diſtin guer toutes les qualités, ni d'en découvrir toute la grandeur; mais de près, & ſur le point de s'y expoſer, il n'en eſt plus de même. Son aſpect ſemble l'effrayer. Les incertitudes du ſuccès, les ſuites funeſtes que l'entrepriſe peut avoir, lui font faire quelques ſages réflexions; & ſi ces réflexions ne le rebu tent pas, elles le tiennent du
moins un peu en ſuſpens, & diſſipent preſque ſon audace. Trop foibles cependant pour faire long-tems impreſſion ſur un cœur corrompu, il ne tarde
pas à les chaſſer de ſon ima-
gination. La fortune a pour lui trop de charmes, pour qu'il ne cherche pas à ſe l'attacher à quelque prix que ce ſoit. Quoi qu'en puiſſe dire la raiſon,
les crimes les plus énormes ſont juſtifiés, ſelon lui, quand ils ſervent à rendre heureux. Que lui importe, que l'action qu'il va commettre ſoit ſans exem ple! S'il n'y trouve pas de la
gloire, il en tirera de l'avan tage, & ſa vanité en ſera éga lement flattée. Cela lui ſuffit. Dans cette diſpoſition il ſe met à l'écart & ſe cache, parce qu'il apperçoit Virginie avec Publi cie & d'autres Romaines.
Scene III.
[↔] Sous prétexte d'une indiſpo- ſition cauſée par l'intempérie de l'air, Virginie prie les Ro maines de trouver bon qu'elle retourne chez elle. Les Ro maines inquiétes pour ſa ſanté veulent l'accompagner, & Pu blicie y conſent, lorſque le perfide Claudius paroiſſant tout à coup, s'élance vers Virginie, & la ſaiſit par la main, en lui diſant impérieuſement: „Tu me ſuivras auparavant, puiſ- qu'il eſt permis de reprendre ſon bien où on le trouve.“ [↔] Etonnée de cette violence, Virginie s'écrie: „Que veut dire ceci, grands Dieux!“ Mais Claudius lui repond bruſ- quement: „Que tu n'eſt pas née telle que tu le penſes, mais
la fille d'une eſciave qui m'ap partient, & je veux uſer de mon droit, à préſent que le
haſard me le permet.“ [↔] A ce langage la ſurpriſe de Virginie augmente; & faiſant un effort pour ſe tirer des mains de ſon injuſte raviſſeur, elle
invoque l'aſſiſtance des Dieux, qui connoiſſent toute la noir ceur de cette impoſture. Publi cie, attachée, comme elle le doit, à ſa jeune Maîtreſſe, n'eſt pas moins indignée d'un atten tat ſi atroce. Elle s'eſt trouvée preſente à la naiſſance de Vir ginie; mais ſon témoignage ne ſera ici d'aucun poids. La force d'ailleurs lui manque, pour le faire valoir. Que peut-elle donc faire? Crier à la vengeance, & inviter les autres Romaines à en faire autant, parce que leur
propre liberté eſt outragée dans
l'enlévement de Virginie. C'eſt- là toute ſa reſſource. Une de ſes Compagnes éleve auſſitôt la voix, & dit: „Peuple Ro-
main, ſi vous êtes ſenſible à
l'honneur d'une femme, ac courez promptement à ſon ſe cours.“
Scene IV.
[↔] Elle va bientôt trouver un défenſeur dans Numitor, qu'un ſentiment ſi généreux amene à l'inſtant. Mais quel eſt l'étonne ment de ce Romain, quand il apperçoit Virginie entre les mains de Claudius! „Que vois-je! s'écrie-t'il. C'eſt Vir ginie qu'on outrage! Com ment oſes-tu, Claudius, te porter à tel excès.“ [↔] Loin de s'étourdir de cette queſtion, Claudius perſiſte dans
ce qu'il a déja avancé, & ré- pond avec arrogance: „Parce que la même loi, qui m'au toriſe, Numitor, à défendre mon bien, me donne le droit de l'enlever à l'uſurpateur.“ [↔] En vain Numitor lui repro che ſon injuſtice; en vain, prenant Virginie de l'autre main pour la lui arracher, il le ſomme de laiſſer cette beau té à qui elle appartient; en vain Virginie même excite ſon oncle par ſes diſcours & ſes pleurs à la délivrer, le fourbe Claudius ne ſe laiſſe point ébranler. Aſſuré d'avoir pour lui le Juge de ce différent, il dit à Numitor: „Il n'eſt pas ſi facile de me la faire céder:“ A Virginie: „Et toi ne te flat tes pas de rien obtenir par tes larmes feintes:“ Enfin à tous deux: „Celui qui doit con-
noître de notre diſpute, écou tera auſſi mes raiſons.“ [↔] Cependant Numitor s'obſti ne à vouloir avoir Virginie, & Claudius tenant toujours bon, lui dit encore: „N'uſez point de violence, pour ce qui ne doit être terminé que par un jugement. N'écoutez pas les cris inſenſés d'une femme. Ceſſez vos efforts ou je. . . . .“ Ici ils ſont
tous deux quelques mouve mens, l'un pour délivrer Vir ginie, l'autre pour la garder, juſqu'à ce que voyant paroî- tre Appius, ſuivi de ſes Lic teurs, Claudius la lâche.
Scene V.
[↔] Appius feint d'ignorer de quoi il eſt queſtion, & affec tant un air de piété, il de mande en arrivant, d'où vient le bruit qu'il entend, & quel eſt le ſacrilége, qui oſe trou bler la célébration d'un jour ſi heureux. „Douteroit-on par haſard, ajoute-t'il, qu'il y eût à Rome un protecteur de la liberté du Peuple & de ſa dévotion? Ça, dites-moi tous, quelle eſt la cauſe d'un ſi grand deſordre, ou mon courroux ſçaura.......“ [↔] Claudius lui coupe la parole, & ſe compoſant de maniere à détruire tout ſoupçon de con nivence entre eux, il commen ce par le conjurer de modé-
rer ſa colere. Ne faiſant enſuite aucune difficulté de s'annoncer comme le principal auteur du trouble, il s'offre de lui en ap prendre lui-même le ſujet, & lui fait ce récit. „Cette pau-
vre femme, qui s'imagine être la fille de Virginius & de Numitoria, n'a eu pour mere qu'une vile Eſclave, appellée Servilia, que j'ai acquiſe, & qui m'appartient. Sa prétendue mere l'acheta dès ſa naiſſance, & la pro duiſit comme ſa fille, afin de cacher ſa ſtérilité par cette ſuppoſition. Je l'ai rencon trée ici, & perſuadé qu'elle eſt à moi, & que les Ro maines ſeroient un foible obſ- tacle à mon droit inconteſta ble, j'ai voulu la recouvrer. Numitor, qui eſt accouru au bruit, s'y eſt oppoſé ſans rai-
ſon. Vous êtes arrivé ſur ces entrefaites, & mon reſpect m'a fait déſiſter ſur le champ de mon entrepriſe.“ [↔] Le Decemvir ſemble ſe ra doucir, & veut ſçavoir de Nu mitor ce qu'il a à répondre. Numitor proteſte que c'eſt la plus noire impoſture, que ja mais homme ait inventée. Tout Rome eſt pour lui, & Publicie en particulier, qui a toujours vu Numitoria alléter à ſon ſein Virginie. „Qu'allegueras - tu, infâme?“ dit - il à Claudius. „Qu'oppoſeras tu contre un té- moignage ſi clair.“ [↔] Le fourbe Claudius n'en eſt pas embarraſſé. Il récuſe Pu blicie pour ſuſpecte; & ſi Nu mitor ne lui rend Virginie ſur le champ, il offre de produire à l'inſtant des témoins plus dignes de foi, & incapables
de tout eſprit de parti. [↔] Mais Appius élude cet éclair ciſſement. L'affaire eſt trop im portante, & l'examen en ſeroit trop long. Le tems ni le lieu ne ſont pas commodes. Il y a dans la Place quantité de perſonnes en mouvement, & il n'eſt pas permis à l'eſprit de ſe diſtraire de ce qui doit faire l'unique objet de ſon attention. Tous les ſoins du Magiſtrat ſont dus à leur zéle tumultueux & reli gieux. Ce ſont-là pour le De cemvir des prétextes ſpécieux de refuſer d'entendre les té- moins. Tout ce qu'il peut faire, c'eſt de renvoyer à l'après midi à éclaircir le fait. L'ardeur du Peuple ſera peut-être un peu rallentie, & le concours de monde moins conſiderable. Par ce délai les deux Parties auront le tems de ſe mettre en état de
déduire leurs raiſons. Elles pourront alors accourir au Tri bunal du Decemvir, pour y ex poſer & défendre leurs droits, & réclamer la juſtice & l'auto rité ſuprême que tout Rome reſpecte. Il convient d'ailleurs que ce ſoit là, qu'une conteſ- tation de cette nature ſoit dé- cidée. Appius cependant pré- tend devoir, en attendant, s'aſſu rer de Virginie. Il ne peut s'em pêcher de ſe laiſſer prévenir en faveur du Maître, qui revendi que ſon Eſclave. Le droit lui paroît en quelque maniere juſ- tifié par l'action même, & il a par devers lui d'autres motifs ſecrets qui l'obligent de pen- ſer ainſi. Que peut-il donc faire dans cette occurrence? Ordon ner par proviſion, que cette malheureuſe, (ce ſont ſes pro pres termes,) ſoit remiſe en-
tre les mains de Claudius, ou de quelque perſonne ſûre, au choix de ce Romain. [↔] Numitor témoigne au De cemvir ſon étonnement de lui voir contre toute juſtice, adju ger à un fourbe, à un impoſteur, ſur un foible dire dénué de toute vraiſemblance, la poſſeſ- ſion de ce qu'il demande, ſans nul égard à la voix de tant de perſonnes de probité qui at teſtent contre lui. Peut-on com-
promettre ainſi l'honneur d'un Citoyen diſtingué? Lui ravi ra-t'on ſon bien, ſans l'enten dre? Sera-ce la récompenſe des ſervices ſignalés qu'il rend à la Patrie? Ne lui permettra-t- on pas, puiſqu'il eſt ſi près de Rome, de venir lui-même plaider ſa propre cauſe? Pour ra-t'on refuſer de lui aſſigner un terme pour l'écouter? Le trai-
tera-t'on à Rome avec tant de mépris, dans le tems même qu'il contribue à faire reſpecter de l'ennemi les Aigles victorieu- ſes? Appius ſe portera-t'il à de pareils excès? Numitor feint de ne pouvoir ſe le perſuader, & conjure en conſéquence le Decemvir de révoquer l'Arrêt qu'il vient de prononcer. [↔] Appius avoue que Virginius mérite beaucoup par lui-même & par ſes Ancêtres; mais ce n'eſt pas une raiſon pour ar rêter le cours de la juſtice. Plus ce Romain eſt utile à la Patrie, moins il convient de le rappel ler. Seroit-il juſte, lorſqu'il ſert la mere commune, à la quelle on doit tout ſacrifier, de le faire revenir pour une af faire douteuſe, ſurtout quand il y a tant de Juriſconſultes en état de la diſcuter & de l'éclair-
cir? Si Claudius veut ceſſer ſes pourſuites juſqu'à la fin de la guerre, le Decemvir y conſen tira volontiers. Autrement, il ne peut ſe diſpenſer, malgré toute ſa puiſſance, de lui ren dre juſtice à l'inſtant qu'il la demande. [↔] Claudius n'a garde de ſe prê- ter à un pareil moyen. Il s'op poſe formellement à ce qu'on attende Virginius. „Les Parti- ſans de cer adverſaire, dit-il, ſeroient peut-être capables alors d'empêcher par la vio lence, le jugement que ſon mauvais droit ne peut ba lancer.“ [↔] Malgré ce refus, Numitor inſiſte; & ſe rejettant ſur la ſo lemnité du jour, & ſur la noto riété & la ſenſibilité de l'affront, qui ſera fait en préſence de tant de monde, il eſſaye d'ébranler
Claudius par ces conſidérations; mais Appius intéreſſé à main tenir ce qu'il a fait, répond, qu'il eſt de ſon étroite obliga tion de terminer les différens qui s'élévent parmi le Peuple: que l'occupation la plus ſacrée ne doit point l'en détourner; & qu'à l'égard de l'affront, s'il y en a, on ne peut l'imputer à celui, qui par ignorance n'a pû agir plutôt. [↔] Voyant que tout ce qu'il peut alléguer ou objecter, eſt inutile, il demande d'être du moins le dépoſitaire & le gardien de Vir ginie, comme ſon plus proche parent, ſous prétexte d'y être autoriſé par les Loix qu'Appius même a fait graver ſur les dou ze Tables. Mais vaine reſſour ce! Appius auteur des Loix, les ſçait interpréter à ſon gré. Elles ne veulent pas, ſelon lui,
que l'on accorde à un oncle, ce qu'il ſeroit cruel de refuſer à un pere qui le demanderoit à ce titre. Les circonſtances ſont bien différentes. Le Decemvir entend donc que ſes ordres ſoient exécutés ſans délai, par ce que la néceſſité indiſpenſa ble de vaquer aux affaires gé-
nérales de l'Etat, ne lui permet tent pas de s'arrêter plus long tems à écouter des diſcours im portuns, qui ne ſervent à rien. [↔] Son indigne favori en paroît ſatisfait; mais Virginie, qui pendant tout ce long dialogue a gardé un morne ſilence, ne croit plus devoir ſe taire. Elle veut découvrir l'artifice de cet infâme decret, & apprendre à tout l'univers ce qui a fait
ourdir cette trame d'iniquité. Pouſſée à bout, elle n'a plus
rien à ménager. Si les hommes ne l'écoutent pas avec pitié,
il faut qu'elle appelle les Divi nités à ſon ſecours, avant qu'Ap pius la trouvant ſans défenſe, ſoit à portée de contenter ſes deſirs infâmes: „Je publierai, dit-elle à ce Decemvir en élevant la voix, afin que per- ſonne n'en ignore, que la
paſſion brutale & criminelle eſt l'unique principe........“ Appius lui coupe ici la parole, en lui diſant: „Finis, vile Eſ- clave;“ après quoi il ordon ne à Claudius de réprimer l'au dace de cette femme, & à ſes Licteurs de prêter la main à l'exécution de ſes ordres. [↔] Le Favori prend à l'inſtant Virginie par la main, & cette Romaine infortunée, dont rien ne peut empêcher les plaintes, fait un effort pour ſe débaraſſer,
& crie de nouveau: „Citoyens Romains, Icilius......,“ [↔] Par-là elle ſemble exciter le courroux de Claudius, qui fai- ſant mine de vouloir lui fer mer la bouche, lui ordonne de ſe taire, de crainte qu'il n'uſe de ſon pouvoir pour l'y contraindre. [↔] Tant de dureté irrite à la fin Numitor, qui dit à Claudius de ne point outrager ainſi l'hon neur de Virginie, & à lui & à ſon Maître de modérer leur emportement, juſqu'à ce qu'ils l'ayent entendu; mais Virgi nie ne lui permet pas de paſſer outre. Trop allarmée de ſon embarras, & perſuadée qu'elle trouvera dans ſon cher Icilius un défenſeur plus vif & plus ferme, elle continue de l'ap peller. „Viens, dit-elle, re clamer ton épouſe. Où eſt-
tu, que tu n'entends pas mes cris.“
Scene VI.
[↔] Elle n'eſt pas trompée dans ſon attente. Icilius l'entend, lui répond, paroît à l'inſtant, & l'arrachant avec violence, des mains de Claudius, dit à ce perfide: „Retire-toi bar bare. Il ne te convient point de profaner d'une maniere ſa crilége, une main qu'il ne m'eſt pas permis à moi-même de toucher. Ton attentat eſt bientôt parvenu de bouche en bouche à ma connoiſſance. Le Peuple le publie, comme la derniere horreur de tes méchancetés. La curioſité re tient encore dans la Place les gens que tu y vois épars & errans. Ta prétention leur
paroît ſi ſinguliere, qu'ils ont peine à la croire. Confus & furieux, ils attendent qu'elle leur ſoit confirmée. Toi ſeul aveuglé dans ton entrepriſe téméraire, tu t'obſtines à ou trager un objet, qui ne de-
vroit t'inſpirer que du reſ- pect. C'eſt en vain que pré- ſomptueux tu te flattes de l'obtenir. Comment as-tu pû
préſumer que quelqu'un te l'adjuge, tant qu'Icilius ſeroit en vie?“ [↔] Choqué de cette queſtion, le Decemvir prend auſſitôt la parole & dit: „Quand Rome reconnoit un juge ſuprême, le bon droit peut-il être arrê-
té par la crainte? Pour oſer le tenter, tu t'y prends trop tard, Icilius. Tes menaces ne feront point revoquer, ce que j'ai une fois ordonné.“
[↔] Mais cette fiére réponſe ne fera pas non plus reculer l'intrépi de Icilius. Bien différent de Nu mitor, il déclare au Decemvir, qu'il ne ſe bor{??}nera pas à vou loir ſuſpendre ſon injuſte arrêt par des paroles. Il a encore dans ſon bras aſſés de force, pour réprimer la cruelle fureur d'Ap pius & de ſes Partiſans. Tant qu'il reſpirera, il ſçaura garan tir ſon épouſe d'être enlevée par Claudius, pour devenir la proie de la brutalité du Decem vir. Ne devoit-il pas ſuffire au cruel Appius, d'avoir fait ſup primer les Conſuls & les Tri buns, qui étoient un aſyle aſ- ſuré pour la Nobleſſe & pour le Peuple? Ne devroit-il pas être
content d'avoir privé les Ro mains du plus fort ſoutien de
leur liberté, en ôtant au Peu ple, par ſa mauvaiſe foi, l'ap-
pel à la grande Aſſemblée? Veut- il encore par une manœuvre
déteſtable attenter à l'honneur des chaſtes Romaines, & les faire ſervir à ſes débauches? Que tout ce qu'il regarde com me richeſſes, lui ſerve à étan cher la ſoif qui le dévore. Si ce n'eſt pas aſſez pour lui, qu'il
l'éteigne dans le ſang pur & gé- néreux des Romains; mais qu'il
reſpecte du moins les ames, & ne s'acharne point à les ren dre victimes de ſa fureur laſcive. Il eſt indigne des cœurs Ro mains de s'abaiſſer juſqu'à ſouſ- frir d'être ainſi deshonorés. Hé- ritiers de la pudeur de leurs Ancêtres, ils conſervent dans
cette vertu le ſouvenir de leurs premiers fondateurs. Appius éprouvera, s'il s'y expoſe, qu'il y a encore des gens capables de ſuivre l'exemple de Brutus.
Il faut qu'il ſçache, que quoi-
que la crainte réprimât les
mouvemens qui s'excitent par mi le Peuple, il n'en ſeroit
pas plus en ſûreté. L'imitateur
de Brutus en amour, l'égale ra en réſolution & en coura ge. Quoi! Icilius recevroit de la main du vil négociateur des plaiſirs impurs du Décemvir, l'a-
dorable beauté qui lui eſt pro miſe par ſon pere même. Non, non. Qu'Appius ne s'en flatte point. Qu'il ſe détrompe. Que
ſa paſſion ne l'aveugle pas. Les Romains qui accompagnent Icilius, & ceux qui d'un re gard fier obſervent tout ce qui ſe paſſe, ne ſouſcriront jamais à ſon jugement inique. Les Sol dats connoiſſent trop auſſi la valeur & le mérite de Virginius, pour manquer à ce grand hom me dans une pareille occaſion.
Mais quand perſonne ne s'op poſeroit à cette injuſtice, ni ne réclameroit pour l'honneur du beau pere & du gendre, les deux Amans ſeuls ſuffiſent, pour faire échouer les projets criminels du Décemvir. [↔] Enhardi par la fermeté avec laquelle Icilius tient tous ces propos, un des Romains de ſa ſui te lui proteſte hautement, que dans une entrepriſe ſi juſte, il peut faire fond ſur le ſecours de tous ſes Compatriotes, dès qu'il en aura beſoin. [↔] Tous ces diſcours ſont traités d'inſolens & d'audacieux par Appius; mais ils ne laiſſent pas que de faire impreſſion ſur lui. Feignant de les regarder moins comme l'effet de l'amour d'Ici lius pour Virginie, que de la maligne envie de ce Romain, d'obliger par une émeute popu-
laire de rétablir l'autorité du Tribunat, après laquelle il aſ- pire, & prenant de-là prétexte de vouloir ſe montrer plus pru dent que vindicatif, afin d'ac créditer davantage ſa conduite, & d'ôter à Icilius tout moyen d'exciter du trouble, il con- ſent de rendre la liberté à Vir ginie, juſqu'à ce que le procès ſoit terminé à ſon audience. „J'ordonne, dit-il, que cette malheureuſe, dont je ne ſçai point encore le nom, reſtera libre, & j'eſpere que Clau dius y conſentira, par amour pour le repos de la Patrie.“ [↔] Claudius n'a garde de s'y op poſer. La prétendue juſtice qu'il demande, n'eſt que diffé- rée. Tout ce qu'il requiert, c'eſt qu'Icilius n'obtienne pas Virginie ſans caution. Un Ro main de la ſuite d'Icilius offre
d'en répondre avec tous ſes ca marades; mais Icilius voulant réſerver leur fermeté pour une occaſion plus importante & plus intéreſſante, s'il s'en préſente quelqu'une, les remercie, & ſe propoſe lui-même avec les parens de Virginie, comme des ſuretés ſuffiſantes qu'Appius ne peut refuſer, par égard pour leur perſonne, & pour le rang qu'ils occupent. [↔] Forcé de céder au tems, le Décemvir ne fait nulle difficulté de les recevoir, & donner pour raiſon de vouloir juſtifier par-là ſa droiture, & ſon penchant à la clémence plutôt qu'à la rigueur, quoiqu'il ſe préten de en droit, s'il le vouloit, de ne les point accepter, & qu'il. ſe flatte d'en avoir convaincu Numitor.
Scene VII.
[↔] Appius & ſon Favori s'étant enſuite retirés, Virginie expri me à ſon Libérateur toute ſa reconnoiſſance. Elle lui doit
l'honneur & la liberté, deux tréſors plus précieux pour elle que la vie, & elle voudroit preſque ne l'avoir pas encore choiſi pour ſon époux, afin de lui payer de ſi grands bien faits par le don de ſon cœur. Tout ce qu'elle peut faire, c'eſt de lui vouer pour toujours cette même liberté, qu'elle tient de lui, s'il veut l'accepter, comme un bien qui lui appartient lé- gitimement. [↔] Cette récompenſe eſt trop flatteuſe, pour qu'Icilius ne l'accepte pas avec ardeur. Ce pendant plus il y trouve d'ap-
pas, plus il a de regret de n'a voir pas eu avec lui tous ſes Partiſans, pour délivrer Virgi nie de toute inquiétude par la ruine entiere de ſon ennemi; mais il n'en a pû ramaſſer qu'une poignée qu'il a amenéé, & les deux Sénateurs lui ont manqué, faute d'avoir ſçu ſon embarras, ou d'avoir pû ac courir aſſez promptement, à ce qu'il préſume. Ainſi il doit encore ſe féliciter, vû la foi bleſſe de ſes forces, d'avoir
aſſez inſpiré de crainte à l'injuſ- te Appius, pour l'empêcher d'uſer de toute la rigueur de ſa violence. [↔] Virginie fait preſſentir à Ici lius qu'elle penſe bien diffé- remment ſur le compte de Va lerius & d'Horatius; mais elle remet à un autre tems à s'ex pliquer plus ouvertement, par-
ce que l'occaſion n'eſt pas fa vorable, & que d'ailleurs elle les apperçoit tous deux.
Scene VIII.
[↔] Valerius & Horatius accou rent avec empreſſement, & proteſtent à Icilius, qu'ils n'ont pas plutôt été inſtruits de ce qui ſe paſſoit, qu'ils ſe ſont empreſſés de venir le joindre, ſans s'être même donné le tems de prévenir leurs gens. [↔] Icilius leur répond que la di ligence auroit pû être impor tante, ſi l'audacieux Appius ſe fût obſtiné dans ſa noire per fidie; mais qu'il compte ſur leur valeur, en cas que l'après midi les injuſtes prétentions de Claudius, qui doivent être ju gées alors par le Décemvir, prévalent contre le bon droit.
[↔] Quoique les deux Sénateurs lui donnent parole de le ſe conder avec tout leur monde, Virginie toujours défiante à leur ſujet, ne paroît pas trop les en croire. De-là vient que par des conſidérations les plus capables de les piquer d'hon neur, elle tâche d'aſſurer les effets de cette promeſſe, & ti re d'eux une nouvelle proteſ- tation de ne la pas aban donner. [↔] Après des engagemens tant de fois réitérés, Icilius ſe per- ſuade n'avoir plus rien à crain dre, & ſe dépouille de toute méfiance. D'un autre côté, Numitor eſt d'avis qu'on aille voir ſi Virginius, que l'on at tend, eſt arrivé, afin de con certer avec lui ce qu'on doit faire; & tout le monde part en conſéquence, à l'excep-
tion de Valerius & d'Hora tius.
Scene IX.
[↔] Ces deux-ci ſe réjouiſſent de
voir tous les eſprits diſpoſés à la vengeance, & d'avoir eu l'adreſſe de déguiſer à Icilius le vrai motif qui les fait agir. Ils ſoupçonnent bien à la vé- rité Virginius & Numitor d'être trop clairvoyans pour prendre ainſi le change. Mais que leur importe, ſi chacun eſt intéreſ- ſé à agir, & trouve ſon avan tage particulier dans la conju ration. Ils ſe déterminent donc, avant que de ſe retirer, à con tinuer de fortifier l'eſpérance des deux vieillards, de fomen ter leur colere, & de tout diſpoſer pour avoir un ſuccès complet. „Ce ne ſeroit pas triompher, dit Horatius, ſi Vir-
ginie reſte en liberté, & Ro me en eſclavage.“
ACTE V.
Scene Premiere.
[↔] VIrginius arrivé de l'Ar mée ſe rend dans le Fo rum, accompagné d'Icilius, de Numitor, de Virginie, de Pu blicie, & d'une troupe de Ro mains & de Romaines. Là il commence par ſe plaindre de
voir ſon honneur en proye à la brutalité d'Appius, & à l'im poſture de Claudius. En lui en-
levant Numitoria, les Dieux lui avoient du moins laiſſé Vir ginie, pour lui ſervir de con- ſolation dans ſa vieilleſſe; mais il faut aujourd'hui que cette
innocente beauté excite la paſ
ſion d'un infâme débauché, & devienne par-là un ſujet de ſcandale à la Patrie. Quel cha grin n'eſt-ce pas pour lui? En core, s'il entrevoyoit quelque eſpérance, quelque reſſource; mais tout lui manque. Quelque zéle que les deux Patriciens, Valerius & Horatius, affectent de montrer, il ne croit pas de voir faire grand fond ſur eux. Ne lui a-t'on pas dit, qu'ils ne ſe ſont préſentés, qu'après qu'Icilius avoit déja obtenu la liberté de Virginie, & même qu'ils étoient ſeuls? Pouvoient- ils tenir une conduite plus re- ſervée? Virginius connoit leurs maximes. Quoiqu'ils puiſſent dire & faire, il ſçait que ce n'eſt point ſon intérêt qu'ils ont en vue. Leur politique ra finée leur a fait ſuſpendre juſ-
qu'à préſent l'exécution de cer tains projets ambitieux qu'ils ont formés. Uniquement occu pés des moyens de les conduire à leur fin, tout ce qu'ils ſe
propoſent, c'eſt d'aigrir les eſ- prits, & de profiter de l'occa- ſion qui ſe préſente. Dès que les choſes ſeront au point qu'ils croiront n'avoir plus rien à craindre, ils ſe livreront à tou te la violence de leur rage im périeuſe. Quel ſera le fruit du ſuccès de leurs entrepriſes? Le rétabliſſement des Conſuls, & le changement de nom pour les Magiſtrats; mais dans le fond la ſujétion ſera toujours la même. On ne doit pas plus compter ſur le Peuple, qu'un
rien agite, & qu'un rien tran quilliſe. Une fois animé, il s'ex poſera au danger avec impétuo-
ſité, tant qu'il s'imaginera qu'on
lui réſiſte peu, ou qu'on le fuit; mais s'il s'apperçoit qu'on ne le redoute point, il
cédera bientôt à ſa crainte na turelle. Il ne faut pas d'ailleurs s'imaginer, qu'Appius compro mette de nouveau ſon autori té tyrannique, ſans avoir bien pris auparavant toutes ſes me- ſures. Pour faire exécuter les
injuſtes Decrets de ſa paſſion, il s'étayera ſans doute des Trou pes qui ſont en grand nombre dans le Capitole. Ordinaire-
ment il ne met rien au hazard.
Il fait tout avec précaution. N'a-t'on pas une preuve de ſon artifice dans l'ordre qu'il adreſ- ſa à Cornelius, d'empêcher Virginius de venir à Rome? Cet ordre arriva au Camp, dans le même tems que Virginius reçut de Numitor l'avis de ce qui ſe paſſoit; & tout étoit ſi bien con-
certé, que cet Officier n'auroit pû s'échapper, s'il n'avoit pris par des routes détournées. Enfin tout invite à ſe défier de l'acti vité du Décemvir. Virginius ne voit rien, qui n'augmente ſon embarras, ſon inquiétude. Plus il réfléchit, plus il eſt allarmé. Il ne craint pas cependant de manquer de courage pour ré- ſiſter à tout; mais la poſition de Virginie lui déchire le cœur. Soit que le bon droit triomphe ou ait le deſſous, ce ne ſera in failliblement que par la voye des armes, & ſa chere fille courrera toujours riſque de per-
dre l'honneur ou la vie. „Ne m'avez - vous donc, grands Dieux, s'écrie-t'il, tiré de tant de dangers dans leſ- quels je me ſuis trouvé, que pour me faire éprouver au jourd'hui de pareilles diſ-
graces! Eſt-ce pour cela que vous prolongé la durée de ma grande vieilleſſe? Eſt-ce pour cela........“ [↔] Ici Virginie interrompt ſon pere pour eſſayer à calmer ſa
douleur. Elle s'efforce de lui
faire eſperer que la fortune
touchée de compaſſion pour elle, pourra peut-être, par l'effet même de ſon inconſtan ce, ſe déclarer en ſa faveur; & elle proteſte qu'à tout évé- nement, elle conſentira plutôt de répandre le ſang généreux qui coule dans ſes veines, que de ſouffrir qu'on le deshonore. Cette réſolution héroïque ſa tisfait le vieillard, qui ceſſe, tant que ſa fille y perſiſtera, d'appréhender les outrages du
deſtin. [↔] Numitor veut le raſſurer ſur le compte de Valerius & d'Ho-
ratius. Quoiqu'il ſe défie lui- même de leur bonne foi, il ſoutient qu'ils ne peuvent ſe diſpenſer de prêter leur ſecours dans l'occaſion preſente. Ils lui paroiſſent trop intéreſſés à ne pas ſouffrir qu'Appius triom phe de la réſiſtance de Virgi nius, & de celle du Peuple, ſur laquelle ils fondent toutes leurs eſpérances. [↔] Icilius va plus loin. Quand Valerius & Horatius manque roient tous deux, il prétend que ſecondés de la belle jeu neſſe qui l'accompagne, & dont la valeur eſt décidée, Virgi nius, Numitor & lui peuvent ſe moquer de la puiſſance & de l'orgueil du Décemvir. Tou jours prévenu cependant en fa veur des deux Patriciens, il déſapprouve qu'on les décré- dite par un ſoupçon injurieux.
Ils ſont venus, il n'y a qu'un inſtant, le trouver, & lui re nouveller les aſſurances de leur foi & de leur amitié. Cela ſuffit pour lui perſuader, que l'on peut aveuglément comp ter ſur eux, & ſur leurs Parti- ſans, qui ſont nombreux, fer mes & déterminés. [↔] A ces diſcours, Virginius pro teſte qu'il n'entend point dé- crier les deux Sénateurs. Son grand âge & ſa longue expé- rience lui ont appris, qu'il n'y a point de honte pour eux, à pré- férer leur propre avantage à l'in térêt accidentel qui l'anime. Il ne doute pas non plus de la va leur & de la réſolution des Parti- ſans d'Icilius; mais il craint que tous ceux qui s'engageront dans l'action, ne montrent pas le même courage, & qu'ils ſer vent moins de défenſeurs, qu'à
Faire nombre. Icilius voudroit- il le guérir de cette appréhen fion? Ou plutôt, voudroit-il lui prouver que cela n'eſt ni naturel, ni croyable, ni mê- me vraiſemblable? D'ailleurs
l'âge, le caractere, & l'amour paternel de Virginius ne lui font rien enviſager d'heureux. Toute ſa reſſource eſt dans ces jeunes Romains, qu'Icilius lui vante tant. C'eſt à eux à em braſſer la défenſe de ce vieil lard malheureux & affligé. C'eſt à eux à protéger Virginie, cet-
te triſte beauté, du ſort de
qui dépend la liberté des chaſ- tes Romaines. Tout ce que Virginius leur demande, pour ne pas perdre le fruit d'une en trepriſe ſi importante, c'eſt de diriger leurs opérations ſuivant la route qu'il leur tracera lui- même par ſon exemple. Il veut
auſſi qu'Icilius, préférant la prudence à tout, ſe contien ne, juſqu'à ce qu'il lui voye le poignard à la main. [↔] Quoique tant de modération ne ſoit nullement du goût d'I cilius, il ſouſcrit à la volonté de Virginius, par conſidéra tion & par reſpect pour ce vieillard. Les Romains ſuivent ſon exemple, & Virginius ayant exigé qu'ils engagent tous leur parole par un ſerment ſolem nel, Icilius & les autres y con- ſentent. Enfin Virginie lui promet auſſi de regler ſes lar mes & ſes cris ſuivant ſes or dres.
Scene II.
[↔] Dans le même inſtant ſur vient le Décemvir, ſuivi de Claudius, & eſcorté de Licteurs & de Soldats qui ſe placent au-
tour du Tribunal, ſur lequel il s'aſſied. Feignant d'abord d'être pleinement inſtruit qu'on s'eſt donné divers mouvemens pour faire ſoulever le Peuple, il menace d'uſer de toute ſa puiſſance & de ſa fermeté, pour réprimer & châtier les au dacieux, qui veulent altérer la tranquillité publique, & em pêcher la juſtice, qui dans le Gouvernement eſt la baſe de la liberté. Il reproche enſuite à Virginius de s'être échappé du Camp & rendu à Rome, ſans permiſſion, & ſans égard pour le ſerment militaire. Il ſuppoſe en avoir été informé par Cornelius, & prétend que cette conduite doit avoir pour principe quelque choſe de plus important que l'affaire de Vir ginie. Pour prouver néanmoins qu'il ne s'en inquiéte nullement,
il ordonne à Claudius de for mer ſur le champ ſa demande, & à Virginius de défendre ſa cauſe. [↔] Claudius obéit ſans différer; & pour étayer ſa prétention, il avance que Numitoria étoit ſtérile, & il offre de faire en tendre Servilie ſon eſclave, & pluſieurs perſonnes, qui ſont intervenues, à ce qu'il dit, dans la vente & dans la ſuppoſi tion. [↔] Virginius commence par juſ- tifier ſon retour à Rome. „Sur les avis qu'on m'a donnés dit-il, au Décemvir, de la ſituation de Virginie, & dont je ne reconnois actuellement que trop la vérité, par le
danger où ta paſſion l'expoſe, j'ai quitté le Camp, pour la ſauver. A l'égard de la per miſſion de Cornelius, que
tu prétends indiſpenſable pour m'exempter d'être re gardé comme un déſerteur parjure, j'ai pû m'en paſſer, à cauſe du doute où l'on eſt, ſi l'autorité de ce Magiſtrat eſt bien légitime ou non. Suppoſé donc que ce ſoit
uniquement mon honneur qui m'amene, & non ce que tu veux inventer, venons au point, qui fait aujourd'hui la matiere du Procès.“ [↔] Adreſſant enſuite la parole à Claudius, il combat ſa préten tion juſques dans ſon principe. „Numitoria, pourſuit-il, loin d'être ſtérile, m'a donné une brillante poſtérité, que la mort m'a enlevée, ne me laiſ- ſant que la belle Virginie, comme une ébauche exacte de mes autres enfans. C'eſt ce que pluſieurs de ceux qui
m'entendent, peuvent atteſ- ter. Mais, quoique tout le monde l'ignorât, eſt-il vrai- ſemblable qu'elle eût vou lu ſuppléer à ſa ſtérilité par la fille d'une Eſclave? Ne ſe feroit-elle pas plutôt adreſſée à une femme libre, pour en avoir un garçon qui n'auroit point démenti l'éclat de ſon honnête origine? Quand cela ſouffriroit encore conteſtation, & ne mettroit pas en évidence le menſonge de ce vil impoſteur, croira- t'on que ce malheureux eût différé ſi long-tems à recla mer un bien qui lui auroit ap partenu? Croira-t'on qu'il eût attendu, juſqu'à ce que la
beauté parfaite & ſinguliere de Virginie, qui eſt célébrée par l'envie même, fût deve nue l'objet de ſon inſolence,
le propre des déſordres du
vice? Cette conduite ne prou ve-t'elle pas qu'au défaut du bon droit, la raiſon que ſon
mauvais caractere lui fait al léguer, eſt ſuppoſée & fauſſe?“ [↔] Tout autre qu'Appius ſeroit peut - être embarraſſé, en en tendant de ſi fortes défenſes; mais pour lui, ſçavant dans l'art des détours, il ne manque pas de reſſource. C'eſt lui-mê- me qui veut répondre pour Claudius. Il le doit, dit - il, pour l'acquit de ſa conſcience. Tout le monde ſçait que Clau dius lui eſt attaché, & com me il eſt naturel d'avoir tou jours recours dans le beſoin à ſon protecteur, il prend de-là prétexte d'aſſurer, que Claudius l'a prié & preſſé, il y a plu- ſieurs années, de lui faire ren dre celle que Virginius tient
pour ſa fille. Il proteſte que ce Romain n'a jamais varié ſur la raiſon qui fonde ſon droit, ni dans la production de pluſieurs des témoins qu'il cite aujour d'hui en ſa faveur. „Les affai res publiques, ajoute-t'il, les changemens ſurvenus dans le Gouvernement, ont été cau- ſe de tant de retard, par les embarras où je me ſuis trou vé; mais à préſent que Clau dius inſiſte dans ſa demande, je ne puis refuſer de lui faire juſtice.“ [↔] „Quoi, donc! ſe récrie Vir ginius. Eſt - il poſſible, Ap-
pius, que contre l'évidence même, ton aveuglement te faſſe juger ainſi? Ne fais-tu pas attention que cet im poſteur nous promet des té- moins & n'en produit pas? Veux - tu de nouveau faire
crier le Peuple? Veux-tu ex poſer encore ſa tranquillité? Les Filles Romaines méri tent-elles que ſans nul exa men, tu les traite avec tant de dureté & de mépris? Prends garde que cela.......“ [↔] Appius eſt trop offenſé de ſes diſcours, pour le laiſſer con tinuer. Il ſe leve bruſquement & lui dit, „Ma fureur s'irrite à la vue des délais que tu cherches malignement à ap porter à l'exécution de mon jugement. Tu prétends ſans doute par - là donner le tems aux Partiſans d'Icilius de ſe raſſembler; mais j'ai ici les Légionnaires, qui ſçauront faire obéir à mon Decret. Ça, Licteurs & Soldats, fai tes reſtituer l'Eſclave à ſon Maître.“ [↔] Ceux - ci ſe mettent ſur le
champ en mouvement; mais Virginius les arrête, en repré- ſentant que la violence eſt inu-
tile contre une femme, qui n'a que des larmes à oppoſer. Il lui paroît d'ailleurs que Clau dius peut attendre ſans crainte, & Appius écouter quelques pro poſitions qu'il a à faire, puiſ- qu'ils ont la force en main. Ce malheureux pere veut encore faire une tentative, pour ſau ver Virginie. Incapable de ſe
dépouiller de la tendreſſe pa ternelle ,il eſt prêt à donner tout ſon bien, pourvu qu'on lui laiſſe cette chere fille. Il ne veut garder que les armes, qui ſont l'appanage de tout digne Ci toyen. Ses longs ſervices, ſes exploits éclatans, ſes lauriers, ſes bleſſures, ſon grand âge, ſon corps affaiſſé par le poids & la fatigue des travaux mili-
taires, ſont les titres qu'il al légue pour faire agréer cette voye d'accommodement. Il con jure le Décemvir d'y avoir égard, & de ne pas permet tre, qu'un moyen ſi ſimple & ſi innocent de concilier les Par ties, devienne inutile. [↔] Mais Claudius ne veut en tendre à rien. „Nul intérêt, dit-il, ne peut réparer l'ou trage fait à ma bonne-foi.“ [↔] Appius de ſon côté, pré- tend, qu'une pareille réflexion
qui a l'honneur pour baſe, lui ferme la bouche, & lui lie les mains. [↔] En vain Virginius inſiſte au près de l'un & de l'autre: Clau dius ſoutient que ſon propre honneur le force de rejetter un accommodement ſi avantageux; & le Décemvir, que ſon im partialité l'empêche de l'ordon-
ner. Tout ce que ce pere dé- ſeſpéré peut obtenir, c'eſt de parler à ſa fille en particulier, ſous prétexte de vouloir tirer d'elle, s'il eſt poſſible, quel ques éclairciſſemens, qui adou ciſſent au moins ſa peine. Ap pius lui impoſe cependant pour condition, que Claudius ne la perdra pas de vûe, & Virginius forcé d'y conſentir, en donne ſa parole; en ſorte que le pere & la fille ſortent enſemble, & Claudius les ſuit.
Scene III.
[↔] Après leur départ, le Dé- cemvir ordonne à tous les au tres de ſe retirer, diſant que le Procès eſt terminé & qu'il n'y a plus à revenir contre ce qui eſt décidé. Il menace mê- me de les y contraindre par la
force; mais le fier Icilius, qui a gardé le ſilence juſqu'alors, lui repond: „Tes ordres, Ap pius, ne m'effrayent point. J'en attends d'autres, qui m'empê- chent de m'éloigner d'ici.“ [↔] „Quoi!“ reprend Appius, „ma colere n'eſt pas capa ble de réprimer ton audace? Et bien, Licteurs, Soldats....“
Scene IV.
[↔] Il eſt arrêté par l'arrivée de Valerius & d'Horatius, qui viennent à la tête d'une trou pe de Romains. Ces deux Séna teurs ne ménagent plus rien. Ils reprochent ouvertement au Décemvir ſa tyrannie, ſes ex cès. Ils le ſomment de rendre Virginie à ſon pere, de crainte de faire changer en fureur le mécontentement de tant de
braves gens qui la redemandent, & qui le déteſtent déja ſans ce crime; mais Appius obſtiné dans ſon égarement, leur ré- pond d'un air aſſuré: „Quoi que je voye le tumulte im pétueux, ſur lequel votre audace ſe fonde, les menaces ne détourneront point mon bras, quand c'eſt la juſtice qui le dirige.“
Scene V.
[↔] Virginius reparoît dans le même inſtant, avec un poi gnard enſanglanté à la main, & prononçant quelques paroles entrecoupées, qui annoncent
ſon trouble, ſa douleur, ſon dé- ſeſpoir. A ſa vûe tous les eſprits reſtent en ſuſpens. Chacun fré- mit, lorſqu'enfin ce malheureux vieillard s'écrie: „Ç'en eſt fait,
barbare, ç'en eſt fait; je n'ai plus
rien à craindre pour mon hon neur. Ce poignard vient de trancher les jours de la belle Virginie, qui a ſacrifié avec plaiſir ſes charmes & ſa jeu-
neſſe, pour ſauver ſa vertu, & la mettre à l'abri contre tes deſirs criminels. Le mépriſa ble Claudius a terminé auſſi ſa vie par le fer. [↔] A préſent mes chers amis, (quelle rage m'anime!) Si mes cheveux blancs peuvent eſpérer de vous quelque con- ſolation; ſi la belle & inno cente victime que je viens
d'immoler, peut toucher les cœurs les moins compatiſſans:
ſi le puiſſant amour de la Patrie reclame ſes droits; ſi l'abus manifeſte de l'autorité réveille vos anciens ſenti mens; ſi la ſervitude vous pa-
roît honteuſe & deshonoran te, ſecondez-moi contre ce Monſtre. Ceſſez de vous con tenir, brave Icilius. Et vous, généreux Sénateurs, joignez- vous à moi. Quoique vous ayez tant tardé à venir à no tre ſecours, le tems vous per met encore de prendre part à la vengeance commune.
[↔] La raiſon dégradée deman de la mort du Tyran. Le ſang d'une malheureuſe Romaine la demande.“ [↔] Quel coup cette nouvelle ne porte-t'elle pas à l'amoureux Icilius? Sa haine, ſa fureur, ſa juſte colere contre le Décem vir, ne connoiſſent plus de bor nes. Il met auſſitôt l'épée à la main, & tous les autres en ayant fait autant, il fond avec eux ſur Appius & ſur ſes Gar des. Les deux Sénateurs ſe ran-
gent de ſon côté, & l'orgueil leux Appius, trop foible pour ſoutenir un choc ſi rude, eſt obligé de fuir avec ſes gens vers le Capitole.
Scene VI.
[↔] Pendant qu'on le pourſuit, Publicie ſe lamente avec les autres Romaines ſur le triſte ſort de Virginie, & ſur la malheu reuſe ſituation où elles ſont elles-mêmes. Elles ne voyent partout qu'horreur, que dé- ſordre, que confuſion. Flotant
entre la crainte & l'eſpérance,
elles prient les Dieux de con ferver la vie aux braves Con jurés, & de rendre leurs ar mes victorieuſes.
Scene VII, & derniere.
[↔] Cependant elles ne ſont pas long-tems dans cette cruelle in certitude. Icilius revient, te nant à la main ſon épée fuman te de ſang, & leur apprend la mort de l'odieux Appius. [↔] Cette nouvelle ſoulage un
peu la douleur de Publicie; mais ce n'eſt pas aſſez pour cette généreuſe fille, qui a le cœur pénétré de la perte de ſa Maîtreſſe, & qui ne reſpire encore que la vengeance. Il faut pour ſa conſolation qu'elle ſça che au moins, comment le barbare eſt péri. Elle prie Ici lius de l'en inſtruire, afin qu'el-
le prenne part à la gloire de cet événement; & Icilius la ſatisfait dans ces termes. [↔] „A peine, Publicie, l'avons
nous aſſailli, que ſes Licteurs, ſes Soldats, l'ont abandonné. Ils ont fui, & ils ſe ſont diſ- perſés, ſans coup férir, les uns par haine, les autres par
lâcheté. Le Tyran entouré d'épées, remarquant que j'a vois le bras levé pour le frap per ſans pitié, s'eſt plongé la ſienne dans ſon indigne ſein, preſque au même inſ- tant que j'y enfonçai la mien ne. Ainſi malgré la prompti tude avec laquelle il s'eſt donné le coup, je puis dire avoir contribué à ſa mort, quoique je ne l'aye pas bleſſé le premier. Dès qu'on l'a vû baigné dans ſon ſang, mordre la pouſſiere, en pouſ- ſant des heurlemens affreux, & rendre le dernier ſoupir, tous les conjurés, réſolus de ne point laiſſer l'ouvrage im-
parfait, ſont allés d'un com mun accord chercher & pu nir les autres Tyrans qui par ticipoient à ſes violences. Pour moi, comme je ſuis un Amant affligé & généreux, & qu'il n'eſt pas facile qu'un autre objet me détache du bien précieux que j'ai per du, je me hâte de venir ren dre d'une main officieuſe à ma chere Virginie, les der niers honneurs du bucher; & pour perpétuer ſa mémoi re, j'éléverai à ſes cendres, un tombeau qui la tranſmet tra juſqu'aux ſiécles les plus reculés. Venez, accompagnez- moi, vous toutes ſes amies les plus fidelles. Son mérite
& mon amour l'exigent. Vous contribuerez à juſtifier mes larmes, & à les rendre di gnes d'un ſi grand objet.“
[↔] Publicie contente de ce qu'elle a entendu, met fin à la Piéce en diſant: „Allons, Ici cilius, allons; mais n'ou blions pas que la privation de
ſépulture pour les deux Scé- lérats, & la pompe funébre que vous projettez, ſont deux
exemples, que la vertu n'eſt jamais reſtée ſans récompen-
ſe, ni le crime ſans châti ment.“-
H.
HUrtado Velarde eſt Auteur de la mé- chante Tragédie des ſept Infans de Lara, (Los ſiete Infantes de Lara,) qui ſe trouve dans le tome 5. des Comédies de Lope de Vega. En ſuppoſant que les noms ne ſoient point empruntés, Don Auguſ- tin de Montiano y Luyando m'a aſſuré dans une de ſes Let tres, ne connoître de lui au cun autre Ouvrage. -
L.
LAso de la Vega; (Garſi) que la plupart de nos Auteurs nomment mal Gar- çillaſſo de la Vega, au lieu de Garſi-Laſo, comme font les Eſpagnols, nâquit à Tolede, d'un pere de même nom, Seigneur de Los Arcos, & Archi-Com mendataire de Leon dans l'Or dre de Saint Jacques, & de Sanche de Guzman, Dame de Batres, l'un & l'autre de très- grande maiſon. Le pere avoit été Conſeiller d'Etat des Rois Catholiques, Don Ferdinand & Doña Iſabelle, & leur Am- baſſadeur auprès du Pape Ale xandre VI. Celui dont il s'agit, fut élevé auprès de l'Empereur Charle - Quint, qui l'honora d'une affection très-tendre, & qu'il ſuivit dans pluſieurs de ſes expéditions, en Autriche, lorſque ce Prince alla défendre ſes Etats contre Soliman II, Empereur des Turcs; au ſiége de Tunis en Afrique, & dans l'invaſion de la Provence en 1736. Comme Laſo de la Ve ga cherchoit à ſe diſtinguer à la tête de quinze bataillons qu'il commandoit, il voulut forcer dans le voiſinage de Fréjus, une Tour qui n'étoit dé- fendue que par cinquante Pay- ſans; & ſe comportant plus en Soldat qu'en Capitaine, il fut bleſſé d'un coup de pierre, ſous les yeux même de l'Empereur. On le tranſporta à Nice, où il mourut de ſa bleſſure vingt jours après, n'étant âgé que de trente-ſix ans. Il fut extréme ment regretté, ſurtout de l'Em pereur, qui pour venger ſa mort, fit pendre les Payſans qu'on prit priſonniers dans la Tour. Son corps fut porté de Nice à Tolede, pour être inhumé dans la ſépulture de ſes Ancêtres, en l'Egliſe de Saint Pierre, Mar tyr. Il avoit épouſé à l'âge de vingt-deux ans, Hélene de Zu- ñiga, d'une ancienne nobleſſe, & en laiſſa deux fils & une fille. André Scot a fait ſon éloge, auquel il a joint un Poëme de ſa façon, & un autre très- beau de Jacques Giron, tous deux à la louange de Laſo. Il y a joint auſſi tout ce que le Cardinal Bembe & Paul Jove ont dit en l'honneur de cet Homme Illuſtre. C'eſt principa- lement comme Poëte qu'il a mérité tous ces éloges. Dès ſa plus tendre enfance il étoit ſin gulierement affecté de la muſi que, & s'appliqua dès-lors à la Poëſie qui tient d'elle ſa naiſ- ſance. Il ne ſe contenta pas de ſe mettre en état de faire, com me les Poëtes célébres de ſa Nation qui l'avoient précédé, des vers ingénieux & corrects ſur toutes ſortes de ſujets, il conçu de bonne heure, que le génie ne va pas loin, s'il n'eſt ſecondé de l'étude & de l'Art. Il s'attacha à lire avec réfle xion les meilleurs Poëtes La tins & Italiens, qu'il ſe propo- ſa pour modéles, & dont il s'efforça, par d'adroites imita tions, de faire paſſer les beau tés dans ſes Poëſies. Il fit plus. Enhardi par l'exemple de Jean Boſcan, qui s'étoit nouvelle- ment aviſé de meſurer les vers Caſtillans à la maniere des Ita liens, il abandonna les vers de douze & de huit ſyllabes, propres à ſa Nation, auſquels Jean de Mena & les autres Poë- tes du X V. Siécle avoient dû leur réputation, pour en faire de onze Syllabes, & ſe confor mer en tout aux regles de la verſification Italienne. Ses ou vrages ſont également remplis de majeſté & de fineſſe, de fa cilité & de feu Poëtique; c'eſt le jugement qu'en porte Don Nicolas - Antonio. Ils ont été ſouvent imprimés, ou ſéparé- ment, ou conjointement avec les Poëſies de Boſcan, ſur quoi Lope de Vega dit quelque part que les Œuvres de Boſcan & de Garſi-Laſo ne ſe vendent que deux Reaux, & que l'on ne parviendroit pas à rien faire de ſemblable, quand même on ſeroit enrichi de tous les tréſors du Parnaſſe.
Las Obras de Boſcan y Garſi-Laſo
Se venden por dos Reales:
Y no las hareis tales,
Aunque os precieis de aquello del
Parnaſo. Ferdinand de Herrera, Poë- te très-célébre de Seville, a fait une eſpéce de Commentaire ſur les ouvrages de Garſi-Laſo. Le tout parut à Séville en 1580, in-4°. ſous ce titre: Obras de Garſi-Laſo de la Vega, con annota ciones. Herrera avoit été précé- dé dans ce travail par le fameux Sanctius, qui dès 1574. avoit fait imprimer à Salamanque, in-16. les Poëſies de Laſo avec des remarques dans leſquelles il s'attache principalement à faire voir, en quoi ce Poëte avoit imité les Anciens. Cette édi tion fut répétée dans le même lieu & dans la même forme en 1589. Don Tomas Tamaio de Vargas fit auſſi une édition de notre Poëte avec de courtes no tes, à Madrid en 1622, in-32. Il y en a une de Veniſe chez Gabriel Giolitto, en 1553, in-12. Il ne faut pas oublier de dire que Garſi-Laſo réuſſiſſoit auſſi très-bien en vers Latins. On ne doit pas le confondre avec Garſi-Laſo de la Vega, Auteur de l'Hiſtoire des Incas, dont il prétendoit être deſcendu. Voyez Boscan. Lopez (Alfonſe) appellé ordinairement Pinciano, de Pin tia, ancien nom latin de Val ladolid, lieu de ſa naiſſance, fut Médecin de l'Impératrice Marie, veuve de l'Empereur Maximilien. La Poëſie ne fit pas moins ſon occupation, que la Médecine. On n'a de lui qu'un ſeul ouvrage ſur ſa pro feſſion, imprimé à Madrid en 1596, in-4°. avec ce titre: Hyppocratis prognoſticum. Il don na la même année & dans la même Ville, in-4°. une Poëti que intitulée: Philoſophia anti gua Poëtica. Il eſt Auteur d'un Poëme héroïque en langue Caſ- tillane, qui a pour titre Pe lage, duquel Don Nicolas-An tonio ſe contente de dire, qu'il eſt in-8°. ſans marquer la date de l'année, ni le lieu de l'im preſſion; mais comme l'on peut être inſtruit des regles de la Poëſie, ſans en être plus grand Poëte, qualité qu'on reçoit de la nature, & qui ne s'acquiert ni par le travail, ni par les pré- ceptes, le même Bibliothé- caire ne fait pas difficulté d'aſ- ſurer, que Pinciano a fait un Poëme écrit languiſſamment & ſans aucune élégance, ſur l'Eſ- pagne commençant à ſecouer le joug des Maures, ſous les auſpices & par les exploits du Roi Don Pelage. Quoi qu'il en ſoit, Jean Marquez, Religieux Auguſtin, dans ſa Vie du B. Alfonſe de Oroſco, vante la ver tu & la piété de Pinciano, en parlant de ſa guériſon miracu leuſe d'un mal d'yeux, par l'in terceſſion de ce Saint. Luzan Claremunt de Suelbesy Gurrea (Don Ignace de) nâquit d'une des plus illuſtres familles d'Aragon, à Saragoſſe, Ville capitale de ce Royaume, l'an 1702. C'eſt un homme d'un génie & d'un eſprit ſupérieur, d'une érudi- tion profonde, habile Philo- ſophe, grand Mathématicien, très-verſé dans les Belles - Let tres, & excellent Poëte, ſurtout dans le genre lyrique, où il excelle juſqu'au point de mé- riter, par la douceur & l'élé- gance de ſes vers, d'être regar dé comme l'Anacréon Eſpa gnol. Les Langues Grecque, Latine, Françoiſe, Italienne, & Allemande, lui ſont fami lieres. Il eſt membre de l'Aca démie Eſpagnole, de celle d'Hiſtoire, & de celle des Belles- Lettres, établie à Barcelonne. On l'a auſſi admis à Palerme dans l'Académie du Bon Goût, & dans celle des Bergers Ereinos, ſous le nom de Gilles Mena lippe, & il y a quelques-uns de ſes Poëmes en langue Ita lienne, dans le premier tome des Poëſies de cette derniere Académie, imprimé à Rome, l'an 1734. Dans le tems qu'il étoit à la Cour de France, Sé- cretaire d'Ambaſſade du Duc de Hueſca, j'eus l'obligation à ſes recherches d'apprendre, que les premiers volumes de ma Traduction de l'Hiſtoire d'Eſ- pagne de Don Jean de Ferre ras, que j'avois eu l'honneur de faire préſenter au feu Roi Phi lippe V, par le Prince de Cam poflorido, qui ne m'en avoit donné depuis aucune nouvelle, étoient dans la Bibliothéque de Sa Majeſté la Reine Douairiere d'Eſpagne; & cette Auguſte Prin ceſſe ayant bien voulu accepter les autres, m'en a fait témoigner ſa gratitude par une Lettre des plus flatteuſes, que feu le Mar quis de Scotti, Grand-Maître de ſa Maiſon, m'écrivit enſuite au nom de cette même Reine, & que je garde précieuſe ment. Je croirois manquer à la reconnoiſſance que je dois à Don Ignace de Luzan, ſi je ne parlois point ici de ce ſervice, qui montre combien il a le cœur bien-faiſant, & juſqu'à quel point il aime les Lettres & tous ceux qui les cultivent. Quand le Duc de Hueſca fut retourné en Eſpagne, il reſta ſeul en France durant quelque tems, & il donna des preuves de la ſolidité de ſa politique, & de ſes grandes lumiéres dans les affaires dont il fut chargé. Il a aujourd'hui la Sur - In tendance de la Maiſon de la Monnoye, & il eſt Miniſtre de la Jonte du Commerce & de la Monnoye. Les ouvrages qu'il a conſenti de rendre publics juſqu'à ce jour, ſont, outre les Poëſies Italiennes dont j'ai déja fait mention: En 1737, une Poëtique, (Poëtica) in-fol. à Sa ragoſſe: En 1743, pareillement à Saragoſſe, la Lettre Latine d'I gnace Philalethe, in-8°. aux Jour naliſtes de Trévoux, ſur ce qui eſt dit dans leurs Mémoires du mois de Mars de l'an 1742, au ſu jet de la Littérature d'Eſpagne: En 1748, à Madrid, in-8°. un Diſcours Apologétique, en ré- ponſe aux Journaliſtes: La Tra duction en vers de la Clémen ce de Titus, ouvrage de Methaſ- taſio: En 1751, auſſi à Madrid & in-8°. les Mémoires Littéraires de Paris, & ſous le nom d'E tranger, (Peregrino), la Raiſon contre la Mode, (la Razon contra la Moda,) Traduction en vers de la Comédie Fran- çoiſe, intitulée: Le Préjugé à la Mode, de M. Nivelle de la Chauſſée. Tous ces Ouvrages ſont très-eſtimés, & dignes de l'Auteur. -
M.
MEsa (Chriſtophle de,) Poëte, qui n'eſt pas ſans mérite, étoit de Zafra, petite Ville de l'Eſtrémadure, & flo riſſoit ſur la fin du ſeiziéme Sié- cle, & au commencement du dix-ſeptiéme. On a de lui trois Poëmes héroïques. Le premier, qui a pour objet la victoire remportée ſur les Maures pro che de la Ville de Toloſa en Andalouſie, par Alfonſe VIII. Roi de Caſtille, fut imprimé in-8°. à Madrid, en 1598, ſous ce titre: Navas de Toloſa. Les deux autres ſont le recouvre ment de l'Eſpagne,) la Reſ- tauracion de Eſpanna,) en dix Livres qu'il dédia au Roi Phi lippe III, & qui parut in-4°. en 1607, à Madrid; & le Pa tron d'Eſpagne, (el Patron de Eſpana,) lequel fut mis au jour auſſi à Madrid en 1612, in-8°. Meſa a donné en outre diverſes Poëſies Lyriques, (Rimas en eſtilo Lyrico,) que l'on rendit publi ques, in-8°. à Madrid en 1611. L'Enéide de Virgile en ſtances de huit vers, à Madrid, & in-8°. en 1615. Enfin dans la même Ville, & dans le même format en 1618, les Eglogues & les Georgiques de Virgile, avec leſquelles ſont ſes diverſes Poëſies Lyriques, & ſa Tragédie de Pompée. Il avoit enco re traduit en vers l'Iliade d'Ho mere; mais cet ouvrage eſt reſté manuſcrit, ſuivant Don Thomas Tamaiò de Vargas, Ecrivain très-célébre, qui dit l'avoir vû. Mexia de Cerda, Li cencié, eſt Auteur de la mau vaiſe Tragédie intitulée: Donna Inès de Caſtro, qui eſt dans le Tome 3. des Comédies de Lo pe de Vega. C'eſt le ſeul ou vrage que l'on connoiſſe de lui, en cas que les noms ne ſoient pas ſuppoſés. Montalvan (Jean Pe rez de,) natif de Madrid, & fils d'un Libraire, appellé Al fonze Perez, commença dès l'âge de dix-ſept ans, à faire des Comédies, qui furent re préſentées ſur le Théâtre avec applaudiſſement, ce qui ne l'empêcha pas de prendre l'Or dre de la Prêtriſe. Il fut ami, preſque Diſciple, & perpétuel admirateur de Lope de Ve ga, juſque-là qu'après la mort de ce grand homme, il enga gea pluſieurs Sçavans, à faire en ſon honneur des Panégyri ques, qu'il raſſembla & mit au jour à Madrid, en 1636, in-4°. avec d'autres de ſa façon, ſous ce titre: Fama Poſthuma à la vida y muerte del Dotor Frei Lope Felix de Vega Carpio, y elogios panegyricos à la immortalidad de ſu nombre eſcritos por los mas eſ- clarecidos ingenios, ſolicitados por el Dotor Juan Perez de Montal van. Doué d'un eſprit char mant, orné de la connoiſſance des Belles-Lettres, il écrivit très-bien, & avec beaucoup de facilité en proſe & en vers. Un an & demi avant ſa mort, il fut attaqué d'une frénéſie, qui le précipita au tombeau à l'âge de trente-ſix ans. Les Muſes cé- lébrerent en Eſpagne ſa mé- moire par un Livre intitulé: Lagrimas à la muerte del Dotor Juan Perez de Montalvan, qu'on rendit public à Madrid, en l'année 1639, vers laquelle pro bablement il mourut. Quand ſa maladie le prit, il travailloit à donner un ſecond volume d'un ouvrage rempli d'exemples édifians, dont la premiere par tie qu'il avoit faite, fut im primée après ſa mort à Madrid en 1640, in-4°. avec le titre: Para todos, qui annonce qu'il étoit deſtiné à l'utilité de tout le monde. Il avoit auſſi com mencé un autre Livre, qui étoit l'Art de bien mourir, pro duction très-digne d'un Prêtre tel qu'il étoit. Ses autres ou vrages ſont: 1°. Des Nouvelles (Novelas) ingénieuſes & bien écrites, qui ont été imprimées à Madrid en 1624, & en 1626, in-4°. & à Seville en 1641, in-8°. quoi qu'on en eût déja fait une troi- ſiéme édition, in-4°. dans cette derniere Ville en 1633, & une quatriéme, in-8°. en 1635, à Tortoſe, ſous le titre d'événe mens & de prodiges de l'Amour (Suceſos y Prodigios de Amor.) En 1644. Rampale en donna une Traduction Françoiſe, à Paris. 2°. La Vie & le Purgatoire de Saint Patrice, (Vida y Pur gatorio de San Patricio,) à Ma drid, en 1627, & 1656, in-8°. Enfin deux Tomes de Co médies, qui parurent in-4°. à Madrid & à Alcala de He nares en 1639, & à Valence, l'an 1642. Don Nicolas Antonio parle encore d'un autre Livre intitu lé, l'Orphée en Langue Caſtil lane, (Orfeo en Lengua Caſtella na,); mais il avertit en même tems, que le véritable Auteur de ce Poëme qui vit le jour à Madrid, en 1624, eſt Lope de Vega, lequel voyant que Mon- talvan courroit avec lui la mê- me carriere, le lui donna ma nuſcrit, pour qu'il le mît ſous ſon nom, tant Lope de Vega étoit prodigue de ſes propres ouvrages, que ſon génie fertile & admirable produiſoit ſi faci lement & en ſi grand nombre. Morales (Ambroiſe de) nâquit à Cordouë l'an 1513, ou environ, & mourut en 1590, dans un âge avancé. Il étoit fils d'Antoine de Morales, Médecin & Philoſophe, qui fut choiſi, en conſidération de ſa Doctrine, pour enſeigner à Alcala de He nares la Philoſophie d'Ariſtote, quand on établit dans cette Ville une Univerſité; neveu de Fernan Perez d'Oliva, un des hommes les plus ſçavans qu'il y ait eu en Eſpagne, & Frere d'Auguſtin d'Oliva, Médecin d'une grande érudition, & de Cécile de Morales, femme de Louis de Molina, Gouverneur du Château d'Archidona en Andalouſie, qui eut d'elle deux fils, l'un appellé comme lui, Louis de Molina, fameux Ju riſconſulte, à qui les Eſpa gnols ont tant d'obligation pour ſon Livre: De Hiſpanorum Pri mogeniis, & l'autre Antoine de Morales, qui fut Evêque de Tlaſcala en Amérique. Par er reur on lui donne dans le Mo reri le dernier pour frere, & Auguſtin d'Oliva pour oncle. Ce fut à Alcala de Henares, & à Salamanque chez Fernan Pe rez d'Oliva ſon oncle, qu'il étudia les Belles-Lettres & la Théologie ſous d'excellens Maî- tres, tels que Jean de Medina dans la premiere de ces Uni verſités, & Melchior Cano, dans la ſeconde. Dès ſa tendre jeuneſſe, il eut pour la piété & pour la vertu un goût parti culier, qui ſe fortifia juſqu'au point, que ſi l'on en peut croi re un bruit qui eſt parvenu en France aux oreilles de M. de Thou, quoique Don Nicolas Antonio aſſure n'en avoir rien lu ni entendu dire ailleurs, il ſe rendit volontairement eunu que, à l'exemple d'Origene, par un excès d'amour pour la chaſteté; ce qui fit qu'on l'o bligea de quitter l'Ordre de Saint Dominique, dans lequel il étoit entré. Revêtu du carac tere de Prêtre il vécut à Alcala, y profeſſa les humanités, & for ma chez lui pluſieurs jeunes gens de la premiere diſtinction. De ce nombre furent Bernard de Roxas y Sandoval, Cardinal- Archevêque de Toléde, qui voulant lui donner des preuves de ſa gratitude, & reconnoître les obligations qu'il lui avoit, par un monument qui en tranſ- mît le ſouvenir à la poſtérité, ordonna par ſon teſtament d'é- lever, à ſes propres dépens, un tombeau magnifique à la mé- moire d'un ſi grand homme: François Scriba, d'une des prin cipales Maiſons de Valence, dans la ſuite Prêtre de la Com pagnie de Jeſus: Pierre d'Alava y Beaumont, Navarrois, fils de François d'Alava, l'un & l'autre connus par leurs écrits: Diégue de Guevarra, Chambelan de Rodolphe & d'Erneſt, Princes de Boëme, jeune homme très- diſtingué par la pureté de ſes mœurs & par ſa ſcience, Au teur de pluſieurs Poëmes La tins, entre autres d'une belle Epigramme, qui eſt à la louan ge & jointe à l'hiſtoire de ſon Maître. Morales ſe fait gloire d'avoir eu auſſi pour Diſciple Al fonſe Chacon, plus connu ſous le nom latin de Ciaconius, qui a donné des Vies des Papes; mais ce qui lui fait le plus d'honneur, c'eſt d'avoir montré les princi pes de la Grammaire à Jean d'Autriche, fils de l'Empereur Charles-Quint. Comme la mort de Florian d'Ocampo, natif de Zamora, avoit interrompu l'Hiſ- toire d'Eſpagne, que ce célébre Ecrivain avoit commencée, & dont il avoit déja donné cinq Livres, il forma de nouveau le projet, dont ils s'étoit déſiſté auparavant par eſtime & par conſidération pour un homme d'un ſi grand nom, d'entrepren dre le même travail, pour ren dre ſervice à ſa Patrie. Quoi qu'entiérement occupé de ce deſſein, il en différa l'exécution, juſqu'à ce que par des voyages, par la lecture des anciens Li vres imprimés ou manuſcrits, & par la communication avec les hommes les plus capables dans cette Partie, il ſe fût mis en état de continuer l'ouvrage de Flo rian d'Ocampo, ſous une forme qu'il imagina, & qui deman doit autant de ſagacité que de ſoin. Honoré par le Roi Phili pe II. du titre d'Hiſtoriographe d'Eſpagne, il reçut ordre de ce Prince, d'aller, pour acquérir les connoiſſances qu'il lui fal loit, dans les Royaumes de Ga lice, des Aſturies & de Leon, fouiller les Cabinets, les Char triers, & d'autres lieux ſecrets des anciens Couvens & Monaſ- teres, & viſiter tous les monu mens ſacrés & profanes que l'on y gardoit. Rien n'échappa à ſes recherches. Il vit, il lut, il examina tout ce que la fureur des Sarrazins avoit épargné, & tout ce qu'on avoit écrit, depuis qu'au huitiéme ſiécle les Eſpa gnols commencerent à ſecouer le joug des Maures. C'eſt ce qui lui a fait donner de grands élo ges par les Sçavans, comme reſtaurateur des antiquités d'Eſ- pagne, ainſi que le Cardinal Baronius l'appelle dans quelque endroit. Joſeph Scaliger, M. de Thou, Ortelius & pluſieurs autres en parlent comme d'un homme très-ſçavant & très-ju dicieux dans les recherches de l'antiquité, lequel méritera toujours à ce titre beaucoup de reconnoiſſance de la part des Eſpagnols. Le Jeſuite André Schott ne craint pas cependant d'aſſurer dans ſa Bibliothéque, qu'il ſe trompe ſouvent, ſurtout quand il veut expliquer les an- ciennes Inſcriptions Romaines, qui ſont en grand nombre en Eſpagne, & lui reproche trois erreurs dans l'explication d'une très ancienne, qui ſe voyoit à Barcelonne. Il ajou te enſuite que pour cette raiſon c'eſt au Jeſuite Jean de Mariana, ſoit pour l'élégance du ſtyle, ſoit pour la fidélité, que l'Eſpagne doit la gloire d'avoir un Hiſtorien. Si ce jugement, par rapport à la fidélité, étoit vrai, les Diſ- ſertations & notes que j'ai ajou tées à l'Hiſtoire Générale d'Eſ- pagne de Don Jean de Ferreras & où je reléve quantité de fau tes de Mariana, devroient don ner une idée bien peu favorable d'Ambroiſe de Morales. Quoi qu'il en ſoit, Don Nicolas An tonio convient que Mariana a écrit en latin avec pureté & élé- gance, mais il ſoutient en mê- me tems qu'Ambroiſe de Mo rales, en écrivant en Eſpagnol, n'a ni moins d'élégance, ni moins de pureté, & que ſon ſtyle d'ail leurs eſt exempt de toute eſpéce d'affectation. Il obſerve auſſi que Mariana ne ſe ſeroit pas fait un ſi grand renom, ſi Morales & Garibay ne lui euſſent fourni quantité de connoiſſances, qu'ils avoient tirées des ténébres de l'oubli. A l'égard des Inſcrip tions, il blâme Schott de n'a voir pas cité exactement celle de Barcelonne, dont il vouloit par ler. Il en indique une, ſur la quelle il croit que la cenſure de cet Auteur doit tomber, & il remarque, que Morales s'étoit contenté d'en expliquer en peu de mots quelques-uns des prin cipaux points, en laiſſant modeſ- tement, ſuivant ſon uſage, à d'au- tres à développer ce qu'il ne comprenoit pas. Loin que le judicieux Bibliothécaire Eſpa gnol croye qu'un pareil procédé ſoit digne d'une critique ſi exagé- rée, il s'offre de le juſtifier au tri bunal des plus ſçavans en cette matiere contre la calomnie ma nifeſte. Au reſte Morales finit ſon Hiſtoire à Cordoué, l'an 1583, étant déja ſeptuagénaire. Tant qu'il vécut, il prit pour deviſe, afin de s'exciter continuelle ment à l'amour & au deſir de l'éternité, ces mots Eſpagnols: Tiempo fue, que tiempo no fue, c'eſt-à-dire: Il y a eu un tems, où le tems n'étoit pas. Il les met toit ſur tous ſes Livres, de mê- me que le nom de Jeſus, ſous lequel étoit cette Inſcription latine: Hinc principium, huc refert exitum, avec ce Diſti que également pieux & élégant. Dulce mihi nihil eſſe precor, ſi nomen Jeſu Dulce abſit, cum ſit hoc ſine dulce nihil. Voici ſes Ouvrages en Lan gue Eſpagnole. La Vie, le Martyre, l'Inven tion, les merveilles & les Tranſ- lations des Saints Enfans Juſ- te & Paſteur: La Vida, el Martyrio, la Invencion, las gran dezas, y Tranſlaciones de los glo rioſos ninnos San Juſto, y Paſtor,) à Alcala de Henares, en 1568, in-4°. Une Chronique générale d'Eſ- pagne pour ſervir de continua tion aux cinq Livres de Florian d'Ocampo, Hiſtoriographe de l'Empereur Charles - Quint: Chronica general de Eſpana, pro- ſiguiendo adelante los cinco Libros, &c. Elle eſt en trois Volumes. Dans le premier, imprimé à Alcala de Henares en 1574, in-fol. & diviſé en cinq Livres, on voit l'Empire des Romains en Eſpagne. Le ſecond, qui eſt en deux Livres, & qui parut dans la même Ville & dans le même format, en 1575, con tient la domination des Gots. Il eſt accompagné d'un Traité précieux ſur les antiquités des Villes d'Eſpagne, avec un Diſ- cours général, qui enſeigne la maniere de ſe mettre en état de bien entendre les antiquités: De las Antiguedades de las Ciu dades de Eſpanna, con un Diſcur- ſo general, &c. Avec le troiſié- me, qui fut mis au jour à Cor douë, en 1586, in-fol. & qui comprend dans cinq Livres le recouvrement de l'Eſpagne ſur les Maures, juſqu'au Regne de Veremond III, ſont deux Diſ- cours; l'un de l'origine & de la Famille de Saint Dominique: Un Diſcurſo del linage y deſcen dencia del glorioſo Dotor San Do mingo: & l'autre touchant les Priviléges, & l'attention qu'on doit y faire pour s'en ſervir en écrivant l'Hiſtoire d'Eſpagne: Diſcurſo ſobre los Privilegios, y lo que en ellos ſe debe conſiderar para aprovecharſe bien dellos quien eſ- crive nueſtra Hiſtoria. Un Diſcours ſur la Langue Caſtillane: Diſcurſo ſobre la Len gua Caſtellana, que l'Auteur fit lui-même imprimer la pre miere fois parmi les ouvrages de Fernan Perez d'Oliva ſon oncle, & qui l'a été enſuite avec ceux de François Cervan tes de Salazar. Morales ajouta encore de ſon propre fond aux Œuvres de ſon oncle, quinze Diſcours ſur différentes matié- res, leſquels furent imprimés avec elles à Cordoue en 1585, in-4°. & dont voici les titres: I. Lo mucho que conviene enſe- nnar lo bueno con dulçura de bien dezir. II. La diferencia entre Pla ton y Ariſtoteles en la manera de enſennar. III. Quanto quiere Dios que hagamos lo que à nos otros es poſſible entodas las coſas. IV. Como Dios algunas vezes obra en ſus mavavillas con ſolo ſu poder, y otras ſe ſirve de inſtrumentos na turales. V. Quan diferentes coſas ſon grande ingenio y buen ingenio. VI. Que unos hombres valen mas que ſus riquezas, y las riquezas de otros valen mas que ellos. VII. En que conſiſte principalemente ſer un hombre necio. VIII. El gran da- nno, que es en el Juez, proceder con impetu & ira. IX. Quien a ſido eſtimado entre los Gentiles por hombre de maior Sabiduria. X.Una conſideracion Chriſtiana de mucho conſuelo tomoda de Virgilio. XI. Un error mui dannoſo entre los hombres, deſear muchas vezes lo que no les conviene. XII. Como algunas ve c{??}es las Eſtrellas tienent poderio ſo bre todo el hombre. XIII. Lo mu cho que importa la buena crianza de los hijos. XIV. Quan agrada ble es à Dios, y quanto importa que los criados ſean virtuoſos. XV. Del admirable efeto de amor, quando transforma al que ama en el amodo. Ces Diſcours ſont ſuivis de deux autres petits ou vrages; le premier, ſous la de viſe de Jean d'Autriche: La Di viſa para el Sennor Don Juan de Auſtria, y el diſcurſo ſobre ella. Le ſecond eſt le Tableau de Cebes, Philoſophe Thébain, traduit du Grec: La Tabla de Cebes, Filoſofo Thebano, traſla- dada de Griego en Caſtellano, con el argumento y breve declaracion de ella. Morales fit en outre en Lan gue Eſpagnole une Apologie des annales de Jerôme de Zu rita, Hiſtorien Argonnois d'un mérite ſupérieur: Apologia por los annales de Geronimo de Zu rita, laquelle fut rendue pu blique, in-folio, à Saragoſſe en 1610. & eſt à la ſuite des mê- mes annales, comme je l'ai vû dans l'exemplaire de la Biblio théque de Saint Victor à Paris. Il avoit auſſi compoſé ſur la Généalogie du Comte Don Pe dre, un livre intitulé: Annota ciones al Conde D. Pedro, que Gonçalve Argote de Molina dit être reſté manuſcrit. Ses ouvrages Latins ſont la Deſcription de la Ville de Cordoue: Une courte Lettre à André de Reſende, grand Hiſtorien & Poëte d'Evora: Un Diſcours ſur l'obligation de célébrer dans toute l'Eſpagne la Féte de la Tranſ- lation de l'Apôtre Saint Jacques, avec la preuve du droit de l'Eſpa gne dans cette partie. Les deux premiers ont été imprimés dans le Tome II. de l'Hiſpania il luſtrata, & le troiſiéme à Cor douë en 1590, in-fol. Celui- ci fut fait par ordre de Jean de Saint Clément, Archevêque de Compoſtelle, à qui le Cardinal Geſualdo avoit écrit, en con- ſéquence d'une Commiſſion du Pape Sixte V. de lui envoyer tout ce qu'on pourroit trouver digne de foi au ſujet de l'Apô- tre St Jacques, & de ſa Tranſ- lation en Eſpagne, afin de pouvoir éclaircir cette affaire, qui étoit alors agitée à la Cour de Rome. On a encore de lui en vers heamêtres une Hymne en l'hon neur du Saint Roi Martyr Er menegilde, qu'il fit à l'âge de plus de ſoixante & douze ans, & qui eſt après le livre 12. de ſa Chronique, ou dans le ſe cond volume, page 216. C'eſt auſſi à ce grand homme qu'on eſt redevable de la pre miere édition des Ouvrages du Docteur & Martyr Saint Euloge, élu Archevêque de Tolede, & de la Vie du même Saint, écrite par Alvare de Cordouë, & accompa gnée de monumens de quelques au tres Martyrs Cordouans. On les trouve à préſent dans le tome 4. de l'Hiſpania Illuſtrata. Enfin il laiſſa manuſcrit ſous le titre d'El Sancto Viage, la re lation du voyage qu'il avoit fait dans les Royaumes de Galice, des Aſturies & de Leon, pour prendre connoiſſance des an ciens monumens. -
N.
NAssarre y Ferriz (Don Blaiſe Antoine) nâ- quit en Aragon, d'une Famille très-ancienne, dans la Ville d'Alquezar le 4 de Février de l'an 1689, & mourut le 13 d'A vril 1751. Dès ſon enfance on reconnut en lui un goût inné pour les Sciences, dans leſquel les il fit enſuite des progrès très- rapides & admirables. Il étudia à Saragoſſe chez les Peres Je- ſuites; & dans un des exerci ces publics de ce Collége, il dicta ſur toute ſorte de matieres qu'on lui propoſa, autant de vers latins impromptus que la main la plus légere & la plus vîte en pouvoit écrire, quoique le ſtyle en fût ſi pur, la meſure ſi juſte, la cadence ſi belle, les penſées ſi fines & ſi ſolides, qu'on eût dit que le tout étoit le fruit d'une longue médita tion. Tant de diſpoſition & de facilité pour la Poëſie ne l'em pêcherent pas de ſe rendre éga lement habile Philoſophe & Ju riſconſulte. La grande connoiſ- ſance qu'il acquit non - ſeule ment du Droit Civil, mais des Loix Sacrées & Canoniques, le fit nommer pluſieurs fois à Saragoſſe pour être le conſeil du Chancelier, dans des affai res épineuſes ſur la compétence de Juriſdiction; & l'Archevê- que Don Thomas d'Aguero, pleinement aſſuré de la ſolidité de ſa Science, de ſon jugement & de ſa vertu, le choiſit pour ſon Viſiteur Général, & pour Examinateur Synodal dans tour{??} ſon Diocèſe. Etant paſſé à Ma drid, ſa haute réputation le fit rechercher des Miniſtres, des Sçavans, & des Amateurs des Lettres, qui trouverent tous à profiter avec lui. Bientôt il de vint un des Membres de l'Aca démie Eſpagnole; & dans un intervalle de tems très-court, il eut la ſurvivance de la place de premier Bibliothécaire du Roi d'Eſpagne, que le célébre Don Jean de Ferreras rem pliſſoit alors, & il fut fait Prieur de Saint Martin d'Alcova, & enſuite de la Collégiale de Sainte Marie d'Alquezar. Son profond ſçavoir & ſa ſaine criti que lui firent cependant un grand nombre d'Adverſaires par mi ceux, qui, élevés dans une ignorance craſſe, refuſoient de ſe laiſſer éclairer, pour n'a- voir pas la honte d'avouer, qu'ils avoient été juſqu'alors dans les ténébres les plus épaiſ- ſes; mais le Roi Philippe V, rendant juſtice à ſon mérite, l'aſſocia aux plus grands hom mes de la Monarchie, pour la Jonte qu'il forma à l'occaſion des droits de Patronage de la Couronne. Si l'on pouvoit ra maſſer tout ce qu'il écrivit alors & dans la ſuite en faveur de la Régale, & pour éclaircir l'an cienne Diſcipline de l'Egliſe Univerſelle, & les Reglemens portés par ſes ſacrés Canons, & conſervés avec leur premiere vi gueur dans les Conciles Nation naux d'Eſpagne, on formeroit pluſieurs gros volumes. Mal heureuſement on n'en a trou vé dans ſa Bibliothéque qu'une foible partie, que l'on conſer ve à préſent comme un tréſor d'un prix ineſtimable, tout le reſte ayant été diſtribué de ſon vivant par un effet de ſa gé- néroſité, à ceux qui lui de mandoient des connoiſſances pour enrichir leurs ouvrages. On fait ſurtout un cas particu lier de ſes Commentaires ſur la Collection des Canons de Saint Martin de Dume, laquelle ſer vit en Eſpagne de Corps de Droit, juſqu'à l'invaſion des Sarrazins. Il ſemble s'y être pro poſé de rechercher l'origine de l'ancienne Diſcipline Eccléſiaſ- tique d'Eſpagne, & de faire voir que cette même Diſcipline atou jours été obſervée d'une manie re inviolable, & eſt conforme à l'eſprit de l'Egliſe Univerſelle. De - là vient ſans doute qu'il commence par l'Hiſtoire des Conciles Généraux, des Re cueils ou Corps de Droit Ca- nonique & Eccléſiaſtique, & qu'enſuite il explique les Canons les plus difficiles à entendre, pour faire ainſi le parallele qu'il avoit en vûe. Cet Ouvrage renferme des principes ſi ſoli des, & eſt rempli de tant d'éru dition, de doctrine, de piété & de critique, que ſi l'Auteur y avoit mis la derniere main, ce ſeroit un des plus utiles pour l'inſtruction de l'Univers Catho lique, & des plus glorieux pour la Nation Eſpagnole, au juge ment de Don Auguſtin de Montiano y Luyando, dans l'Eloge Académique qu'il fit de ce Sçavant. Quoique Naſ- ſarre y Ferriz l'ait compoſé dans ſa jeuneſſe, & le donne lui- même pour le premier fruit de ſes travaux, ajoute le même Apologiſte, on y trouve tout ce que pluſieurs autres fameux Ecrivains Etrangers ont publié depuis comme leurs propres dé- couvertes; ce qui peut ſervir, continue toujours Don Auguſ- tin de Montiano, à juſtifier les Eſpagnols contre les repro ches honteux que les Etrangers leur font, & à leur aſſurer la gloire que ceux-ci cherchent à leur ravir. Les différens Trai tés de Juriſprudence, qu'il mit au jour ſéparément & ſans nom d'Auteur, peuvent faire un gros Volume. Il a en outre corrigé tous les ouvrages de Don Joſeph Vela, & les a fait imprimer avec la Vie de cet Auteur, & avec des déciſions ſur les matieres dont ils traitent. Ceux de Don Jean del Caſtillo Sotomayor, & de Don Jean- Baptiſte Valenzuela Velazquez, lui ont la même obligation. Il a fait encore ſur tous les livres dont il ſe ſervoit, beaucoup d'autres additions & corrections qui n'ont point vû le jour. Les Sçavans regretteront toujours la Tragédie latine de Saint Blai- ſe, tant que l'on conſervera la mémoire de quelques fragmens qu'ils récitent avec admiration. On a encore de lui ſur le Poëte Prudence, Aragonnois, de ſça vantes notes, par leſquelles on reconnoit non-ſeulement l'étu de particuliere qu'il a faite des antiquités ſacrées & profanes d'Eſpagne; mais la parfaite con noiſlance qu'il avoit de la Poë- ſie, & combien les Auteurs Grecs & Latins, qui l'ont en richie, lui étoient familiers. En 1714, il imprima un ouvrage la tin en proſe & en vers, qui étoit la Relation des Obſéques, que l'Univerſité de Saragoſſe fit faire après la mort de la Reine Doña Marie-Louiſe de Savoie. Il ex celloit tellement dans la Poëſie Eſpagnole, que les Amateurs du bon goût des Muſes Caſ- tillanes gardent ſes écrits avec ſoin. Don Auguſtin de Mon tiano y Luyando a dans ſes mains beaucoup de vers ma nuſcrits de ſa compoſition, en tre autres la Gloſe du Pater noſter, le Paſſage de Saint Ray mond de Peñafort de Majorque à Barcelonne, & la Fable du Xenil: ouvrages qui penvent ſervir de modeles à tous ceux qui cherchent à ſe perfectionner dans cet Art. Naſſarre y Ferriz a fait auſſi un grand nombre de Diſſertations; & parmi celles qu'il lut à l'Académie, il y en a une ſur les Comédies Eſpagno les, & une autre ſur l'uſage ſuperſtitieux de la Figue. On admire ſurtout celle qui eſt à la tête de la Polygraphie de Don Chriſtophle Rodriguez, habile déchiffreur d'anciens caractères; & Don Nuño de Silva Tellez en a fait un grand éloge au nom de l'Académie Royale Portu gaiſe d'Hiſtoire. Ce fut lui qui fit l'Eloge Hiſtorique & Aca démique de Don Jean de Ferre ras, premier Doyen de l'Aca démie Eſpagnole, & celui de Don Mercure Lopez Pa checo, Marquis de Villena, ſecond Directeur de la même Académie, leſquels furent lus & rendus publics; le premier en 1736, & le ſecond, en 1738, in-8°. à Madrid. Onze ans après c'eſt-à-dire, en 1749, il fit fai re une ſeconde édition des Co médies de Cervantes, & y mit une Préface très - ſçavante & très-judicieuſe au ſujet du Théâ- tre Eſpagnole. Il eut part à la compoſition du Dictionnaire de l'Académie Eſpagnole, & il laiſ- ſa en mourant plus de trente liaſſes aſſez groſſes de mots, qui ont été remiſes à Don Au guſtin de Montiano y Luyando pour être employées dans le ſupplément auquel on travaille. On garde dans la Bibliothéque de l'Eſcurial ſix Recueils ma nuſcrits qu'il fit par ordre du Roi, & qui ſont la ſubſtance de tout ce que renferment ceux d'Ambroiſe de Morales, & de Jean Vazquez del Marmol, avec des augmentations & cor rections. Enfin il écrivit ſur l'Hiſ- toire & ſur la Généalogie, ſoit par goût, ou par complaiſance pour d'autres; mais tous ces Ou vrages ont été imprimés ſans nom d'Auteur, en ſorte qu'il n'eſt au jourd'hui gueres poſſible de les trouver ni de les reconnoître. -
O.
OLiva, (Fernan Perez d') étoit Cordouan, & fils d'un autre Fernan Perez d'Oliva, qui avoit écrit avec beaucoup de ſoin une Géogra phie ſous le titre d'Image du Monde, laquelle n'a point été imprimée. Le premier ouvrage qu'il fit, fut un Dialogue Eſpa gnol-Latin, qu'il compoſa à Paris à la louange du Traité d'Arithmetica Joannis Martini Silicæi, de qui il prenoit alors les leçons. Etant enſuite allé à Rome, & de-là revenu à Paris, il y enſeigna durant trois ans la morale d'Ariſtote, & quel ques autres Traités. Après avoir encore voyagé en Italie, & dans une bonne partie de la France, il retourna dans ſa Pa- trie; & ayant parcouru toute l'Eſpagne, il s'arrêta à Sala manque, où il expliqua quel ques livres d'Ariſtote, & dicta quelques Traités de Philoſo phie & de Mathématiques. Il y enſeigna auſſi la Théologie, & interpréta le Maître des Sen tences, étant alors décoré du Rectorat, que l'on y confére preſque toujours à ceux des jeunes gens les plus quali fiés, & qui ſe diſtinguent le plus. Il joignoit à beaucoup d'eſprit un jugement ſain & excellent, & toutes les per- ſonnes qui le connoiſſoient, en faiſoient un cas particulier, comme d'un homme très-ſça vant, très - ſage & de très- bonnes mœurs. Toutes ces qua lités & ſes vertus lui firent mé- riter d'être nommé Précepteur de Philippe II. Mais la mort qui l'enleva, avant quarante ans, le priva d'occuper cette place honorable. On voit dans la Bibliothéque d'Eſpagne de Don Nicolas Antonio, qu'outre les deux Tragédies nommées par notre Auteur, il a compoſé di verſes Poëſies, & une imita tion de l'Amphytrion de Plau te, intitulée: Mueſtra de la Len gua Caſtellana en el nacimiento de Hercules, o Comedia de Am phytrion, &c. & pluſieurs autres ouvrages. Ils ſont tous réunis avec quelques-uns d'Ambroiſe de Morales ſon neveu, dans un Volume in-4°. imprimé à Cor doue en 1585. Le Dialogue dont j'ai déja parlé, avoit parû du vivant de ſon Auteur, à Paris en 1518. ſous le titre de Dialogus in laudem Arithmeticæ Hiſpanâ ſeu Caſtellanâ linguâ, quæ parum aut nihil à ſermone la- tino diſſentit; unà cum Joannis Martini Silicæi Arithmetica. Il y en a encore un autre ſur la dignité de l'homme, intitulé: Dialogo de la Dinidad del hom bre, dont Ambroiſe de Mora les dit, qu'aucun Eſpagnol ne l'a jamais lû, ſans beaucoup de plaiſir & d'admiration. Al fonſe d'Ulloa en a donné une Traduction en Langue Italien ne, à Veniſe l'an 1563. in-8°. -
P.
PAdilla, (Pierre de) natif de la Ville de Liña res en Portugal, ſuivant que Lopes de Vega l'inſinue dans ſon Laurier d'Apollon, fut Che valier de l'Ordre de Saint Jac ques, & un ſi grand Poëte, qu'aucun de ceux de ſon tems qui ſe ſont diſtingués dant ce genre de Littérature, ne l'em porta ſur lui. Il ſçavoit parfai tement, outre le Latin & ſa langue naturelle, l'Italien, le Flamand, & le François. Par venu dans un âge avancé, & ayant fait pluſieurs ouvrages, il embraſſa à Madrid la vie Re ligieuſe chez les Carmes de la Province de Caſtille, le 6 Août de l'an 1585. Depuis cet inſ- tant, il ſe conſacra principale ment à la Chaire, & il renon- ça au ſiécle & aux Muſes pro fanes, pour employer ſes heu reux talens & le reſte de ſa vie, à travailler ſur des ſujets pieux, qu'il a traités avec autant d'élé- gance que de facilité, méritant par ſa pénétration d'eſprit, par la force de ſa mémoire, par ſa vaſte érudition, de grands élo ges de la part de ceux même qui couroient les mêmes carrie- res. Il mourut l'an 1595. & re- çut la ſépulture dans le Cou vent des Carmes à Madrid. Avant que d'entrer en Religion il avoit donné au Public, un Recueil de diverſes Poëſies, intitulé: Teſoro de varias Poë- ſias, imprimé à Madrid, in-4°. en 1575. & 1580. & univerſel lement eſtimé des Critiques: Des Eglogues, (Eclogas Paſto riles, y de algunos Santos,) à Se ville en 1581. in-4°. Un détail de quelques faits des Eſpagnols dans la guerre de Flandres, ſous le titre de Romancero, en que ſe contien algunos ſuceſſos de los Eſpannoles en la Jornada de Flan des, à Séville, in-4°. en 1583. Ses ouvrages pieux ſont: Jar din Spiritual, à Madrid en 1585. in-4°. Grandezas y excelencias de la Virgen Nuetra Sennora, en oc tavas, en 1587. pareillement in-4°. & à Madrid; ainſi qu'un autre Livre traduit en proſe de l'Italien Jean-Antoine Pan tera, lequel parut à Valladolid en 1590. ayant pour titre: Mo narquia de Chriſto: Oratorio real: Hiſtoria de la Caſa Santa de Lo reto: De la Paſſion de Chriſto Se- nnor nueſtro. Don Nicolas Anto nio ne marque ni la date, ni le lieu ni le format des éditions de ces trois derniers, non plus que d'un autre dont le titre eſt: Ra millete de Flores, Bouquet de Fleurs, qu'il dit qu'on attribue à Padilla. Après ſa mort on ren dit publique à Madrid en 1597. in-8°, une Traduction en vers Caſtillans qu'il avoit faite d'un Poëme Portugais ſur le fecond ſiege de Diu, écrit ſous le ti tre de Suceſo del ſecundo cerco de Diu eſtando D. Joaõ Maſcharen has por Capitaõ è Governador da fortaleza ò anno de M. D. XLVI. par Jerôme de Cortereal, Gen tilhomme Portugais, allié à d'illuſtres familles de Caſtille, qui s'attacha à connoître & à cultiver pluſieurs Arts Libé- raux, dignes d'un homme de condition, & ſurtout la Poë- ſie. Parlant de Cortereal & de ſes productions, Don Nicolas Antonio nomme Alcala de He nares au lieu de Madrid pour la Ville où s'eſt faite l'édition de la Traduction de Padilla, qui eſt intitulée: Traduccion del Cerco de Dio de Geronimo de Cor tereal, quoiqu'en marquant la même année & le même for mat qu'à l'article du Traducteur. J'ignore où eſt l'erreur. Perez, (Gonçalve) Ara gonnois de naiſſance, ou d'ori gine, comme d'autres le pré- tendent, de la Ville de Mont- Real, dans le Diocèſe de Si guenza, laquelle dépend du Marquiſat de Hariza, fut pere d'Antoine Perez auſſi célébre par ſon eſprit, que par ſa diſ- grace, étant Sécretaire d'Etat du Roi Philippe II. Il avoit lui- même rempli ce poſte avec diſ- tinction, & du vivant de l'Em pereur Charles-Quint, lorſque Philippe n'étoit encore que Prince, il avoit déja été atta ché au même Philippe en qua lité de Sécretaire. Ce fut un homme d'un grand eſprit, d'une érudition profonde, & très- verſé dans les Langues Grecque & Latine. Jean Verzoza, Poë- te Aragonnois, dans ſes Epîtres, Paul Manuce, ſçavant Veni tien, au Livre III. de ſes Epîtres, Nicolas Grudius, Chevalier, Poëte de Louvain & Sécretaire de l'Ordre de la Toiſon d'Or, dans une autre Epître, Jean- Chriſtophle Calvete de Eſtrella Hiſtorien & Poëte, né à Bar celone, ſelon les uns, ou ſui vant Lanuza, à Sariñena, au Royaume d'Aragon, dans plu- ſieurs endroits du Voyage du Prince Philippe en Flandres, Am broiſe de Morales dans les An tiquités d'Eſpagne, Antoine Pe rez, fils de Gonçalve, dans des Lettres à Emmanuel Donlope & à Gilles de Meſa, & dans ſes Aphoriſmes en parlent tous avec éloge. On l'a omis dans le Mo reri, de même que Calvete de Eſtrella célébre par pluſieurs ouvrages. Au reſte Gonçalve Perez a lui-même tranſmis ſon nom à la poſtérité, par la traduc tion qu'il a faite en vers Eſpa gnols dans un ſtyle pur & élé- gant, de l'Odyſſée d'Homere, & que l'on a imprimé à Anvers en 1553. in - 12. & en 1562. in-8°. Philippe IV. Roi d'Eſ- pagne, eſt Auteur de la Piéce intitulée: El Conde de Eſſex, le Comte d'Eſſex, qui eſt citée dans la Diſſertation de Don Auguſtin de Montiano y Luyan do. Quelques-uns attribuent cette Tragédie à d'autres; mais les perſonnes les mieux inſtrui tes la donnent à ce Monarque. On a encore de lui d'autres Pié- ces imprimées ſeparément, ſans nom d'Auteur, leſquelles ont leur mérite, ſuivant le goût du tems, où elles ont été faites. Pizarro Picolomini d'Aragon, (Don François) Marquis de Saint Jean de Pie dras Albas, un des Fondateurs de l'Academie Eſpagnole, nâ- quit le 31 de Décembre de l'an 1669. à Romangordo, Pla- ce ſituée dans l'Eſtremadure, & dépendante de la Seigneurie d'Albalat, qui lui appartenoit. Il mourut à Madrid le 14 de Février de l'année 1736. étant premier Ecuyer de la Reine. Sa Maiſon eſt aujourd'hui dé- corée de la grandeſſe. Ce fut un Seigneur très - ſçavant & très eſtimable. Sa Traduction du Cinna eſt le ſeul ouvrage qu'il ait rendu public à Madrid en 1713, & 1731, in-8°. quoi que ſans y mettre ſon nom. Il fit cependant d'autres Ouvra ges en proſe & en vers, & il avoit commencé différentes Traductions, qui ſont reſtées imparfaites. Telles ſont celles en proſe de l'Hiſtoire Ecclé- ſiaſtique de l'Abbé de Fleury, des Vies des Rois de France, écrites par Ciriciet, & des Ho mélies de Saint Jean Chriſoſto- me; & en vers celle de Pol lieucte, Tragédie du grand Corneille, & d'autres de moindre importance & moins conſidéra bles auſquelles il ne voulut ja mais permettre de voir le jour. C'eſt ce que m'a appris le célebre Don Auguſtin de Montiano y Luyando. -
Q.
QUevedo Villegas, (Don François de) Che valier de l'Ordre de Saint Jac ques, & Seigneur, comme on l'appelloit, de la Torre de Juan Abbate dans la Province de la Manche, nâquit en 1570. à Villeneuve del Infantado, & non à Madrid, comme il eſt dit dans le Moreri. Il mourut dans le lieu de ſa naiſſance l'an 1647. Après avoir donné dans l'âge viril, des preuves de ſon eſprit & de ſa capacité aux Sei- gneurs qui gouvernoient la Mo narchie d'Eſpagne en Italie, & leur avoir rendu des ſervices importans dans des occaſions difficiles, où même il courut riſque de la vie, il viſita l'Ita lie entiere, la France, & tou te l'Eſpagne, & ſe fixa enfin à Madrid, étant alors décoré de la croix de Saint Jacques. Il em ploya ſon ſéjour à la Cour à ſe livrer principalement à l'étude & à la compoſition. Comme il fut le plus poli des Ecrivains de ſon tems, il fut auſſi celui qui réunit le plus de talens différens. On ne peut ici le faire mieux connoître, qu'en traduiſant preſque à la lettre, l'éloge qu'en fait le judicieux Auteur de la Bibliothéque Eſpagnole. Don François de Quevedo, dit-il, ſçut accorder ce que les études les plus graves ont de ſérieux, avec l'art badin des jeux & des plaiſante ries. Soit qu'il ait appliqué ſon eſprit à donner des préceptes de Religion ou de Politique, ſoit qu'il ait voulu par des contes, par des inventions Poëtiques, & par le ſel innocent qu'il répandoit ſur les mœurs du ſiécle, exciter ſes Lecteurs à ſe livrer d'eux-mêmes à la joie: il réuſſit en tout ſi bien, qu'à moins de le connoître parfaite ment, on n'imagineroit jamais qu'il fût né pour des genres ſi dif férens, ou qu'il eût du talent pour d'autres, que pour celui de l'ou vrage qu'on auroit ſous les yeux. Écrit-il les actions des hommes les plus célébres; dicte-t-il les Loix de la Politique véritable & Chrétien ne; expoſe-t-il les dogmes les plus auſteres des Philoſophes; ſon ſtyle paré des ornemens d'une érudition adroitement ménagée, le met en état de le diſputer à tous ceux qui ſe ſont le plus diſtingués en traitant de pareils ſujets. C'eſt avec tant de fineſſe, avec une ſi grande fécondité d'invention, & de penſées auſſi neu ves qu'ingénieuſes, avec tant de ſel, avec un badinage ſi poli, avec tant de facilité, ſoit dans les vers, ſoit dans la proſe, qu'il ſe tire d'un ſujet plai- ſant ou ridicule, que non-ſeulement il efface nos Écrivains les plus en joués, mais que je n'en trouve pas même, s'il m'eſt permis de le dire, qu'on puiſſe lui comparer dans toute l'antiquité, non plus que parmi ceux de ce genre que l'Italie a produits en ſi grand nombre dans ces derniers tems, ou dont les au tres Nations ſe font honneur. Il eſt nerveux & ſublime dans ſes Poë- ſies héroïques; dans les lyriques il eſt plein de graces; très-ingénieux & très-plaiſant dans ſes Poëſies badines; & celles mêmes qui rou lent ſur les ſujets les plus petits & les plus ſecs offrent une abondance ſi grande & ſi variée, qu'on ne ſçauroit les lire ſans en être étonné. Dans ſa vieilleſſe il eut à ſouf frir pendant quelques années l'exil & la priſon, pour avoir encouru la diſgrace du Comte- Duc d'Olivarez, par des vers dans leſquels il avoit parlé de ſon adminiſtration avec une li berté digne de Socrate. Ce ne fut qu'après le déplacement de ce Miniſtre, qu'il recouvra ſa liberté. Tous ſes Ouvrages ont été imprimés ſéparément, & enſemble par parties en divers endroits. Ils furent enfin tous réunis en trois Volumes in-4°. à Bruxelles en 1660. dans un ordre que Don Nicolas-Anto nio déſapprouve. Ce Bibliothécaire diviſe la Proſe en trois claſſes, la pre miere eſt des Ouvrages Sacrés, ou Sacrés & Hiſtoriques, ou Sacrés & Politiques; la ſecon de, des Ouvrages profanes qui ſont ou Hiſtoriques, ou Hiſto riques & Moraux, ou Politi ques & Moraux; la troiſiéme Claſſe comprend ſes Ouvrages badins, ou ſérieux & badins; ou Satyriques & Moraux. Les Poëſies forment une Claſſe à part. Premiere Classe. Hiſtoire Abregée de la Vie admirable & des vertus héroï- ques du B. Thomas de Villa nueva: Epitome à la Hiſtoria de la admirable Vida, y héroï- cas virtudes del Beato Padre Fr. Thomas de Villanueva. A Madrid en 1620. in-8°. Politique de Dieu, Gouver nement de Jeſus-Chriſt; Politi- ca de Dios, Govierno de Chriſto, ſacada de la Sagrada Eſcritura, en deux parties, dont la pre miere fut d'abord imprimée à Saragoſſe, en 1625. in-8°. & l'année ſuivante à Madrid & à Barcelonne dans le même for mat: Don Nicolas - Antonio ſoupçonne que la ſeconde n'y fut jointe qu'après la mort de l'Auteur, & que ce ne fut qu'en 1655. qu'elle vit le jour pour la premiere fois, à Madrid, in-8°. Dans l'édition de Bruxel les elles ſont ſéparées, & for ment chacune un Volume. Un Mémoire pour prouver que l'Apôtre Saint Jacques eſt le ſeul Patron de l'Eſpagne, ſous ce titre: Memorial por el Patronato de Sant Jago, à Sara goſſe, en 1629, in-8°. Une Introduction pour bien mourir, intitulée: La Cuna y la Sepultura, doctrina para mo rir. A Madrid & à Séville, en 1634, in-16. L'Introduction à la vie dévo te, compoſée par Saint Fran- çois de Sales: Introducion à la vida devota compueſta por el Bien aventurado Franciſco de Sales, Principe & obiſpo de Colonia de los Allobroges. A Madrid, en 1633, in-8°. Une Lettre à Louis XIII. Roi de France contre les excès com mis par le Duc de Châtillon à la tête de l'armée Françoiſe: Carta al Rey Luis XIII. de Fran cia en razon de las acciones nefan das y ſacrilegios execrables, que cometio contra el derecho divino y humano Monſieur de Xatillon con el exercito descomulgado de Fran ceſes hereges. A Madrid, en 1635, in-4°. Un Livre qui a pour titre: La Caida para levantarſe, el Ciego para dar viſta, el Montante de la Igleſia en la vida de San Pablo Apoſtol. A Madrid, en 1644. in-8°. Affection fervente de l'ame agoniſante, avec les ſept pa roles que Jeſus-Chriſt dit ſur la Croix: Afecto fervoroſo del Alma agonizante, con las ſiete palabras, que dixo Chriſto en la Cruz. Don Nicolas-Antonio croit que ce petit ouvrage a été mis au jour la premiere fois, dans l'édition de Bruxelles. Seconde Classe. Le Romulus du Marquis Vir gilio Malvezzi: Él Romulo del Marques Virgilio Malvezzi, tra duit de l'Italien en Eſpagnol. A Madrid, en 1636, in-16. La traduction du Livre, des Remédes de tout état, avec des additions qui ſervent de com mentaires: De los Remedios de qualquier Fortuna; Libro de Lu cio anneo Seneca, traducido con adiciones que ſirven de comento. A Madrid 1638. Don Nicolas-An tonio ne marque pas le format. Il obſerve ſeulement que ce petit ouvrage eſt attribué mal- à-propos à Senèque. La Vie de Marcus Brutus, avec des Diſſertations ſur le mê- me ſujet: Vida de Marco Bruto, eſcrita por el texto de Plutarcho, ponderada condiſcurſos. A Madrid, tant avant 1648. qu'en cette même année in-4°. Le Biblio thécaire Eſpagnol dit avoir vû dans un Catalogue François, que cet ouvrage a été auſſi im primé in-4°. en 1660, à la Haye en Hollande; mais il paroît douter ſi ce n'eſt pas une traduc tion Latine. Vertu militante contre l'en vie, l'ingratitude, l'orgueil & l'avarice, les quatre peſtes du monde, avec les quatre Phan tômes qui ſont le mépris de la mort, de la vie, de la pau vreté & de la maladie: Virtud militante contra las quatro peſtes del Mundo, invidia, ingratitud, ſobervia, y avaricia, con los qua tro fantaſmas, deſprecio de la muer te, vida, pobreça y enfermedad. A Saragoſſe, en 1651, in-8°. Troisiéme Classe. Songes ou les Viſions, (los Suennos,) titre ſous lequel ſont compris tous les ouvrages qui ſuivent, & qui ont été impri més pluſieurs fois en différens tems & dans divers endroits. Le Songe des crânes: El Sue- nno de las Calaveras. Le Sergent ſergenté: El Al guacil alguacilado. Les Etables de Pluton: Las Zahurdas de Pluton. L'Intérieur du Monde: El Mundo por de dentro. L'Intrigant, la Suivante & le Mouchard: El Entremido, la Duenna, y el Soplon. Examen des dictons Populai res: Viſita de los chiſtes. Parmi les différentes éditions, il y en a une qui fut faite in-8°. à Barcelonne en 1728. M. de la Gineſt les a tous traduits en François ſous ce titre: les Viſions de Don Franciſco de Quevedo Vil legas, augmentées de l'Enfer réfor mé, traduites de l'Eſpagnol par le ſieur de la Gineſt. A Paris 1641. in- 8°. & enſuite à Rouen en 1653. dans le même format. A ces ouvrages, on en a joint d'autres moins conſidérables, mais auſſi plaiſans, ſçavoir: Des Lettres du Chevalier de l'Epargne: Cartas del Cavallero de la Tenaza, qui ont été tra duites en François. Livres de beaucoup de cho- ſes & encore de beaucoup d'au tres: Libro de todas las coſas, y otras muchas mas. Le Parler-Latin Poli: La Cul ta Latini-Parla. Le Conte des Contes: Cuen to de Cuentos. Petites - Maiſons des Foux amoureux: Caſa de los locos de Amor; mais Don Nicolas-An tonio aſſûre que Don Laurent de Vanderhammen y Leon lui a dit à Grenade être lui-mê- me l'auteur de ce petit ouvrage, dans lequel on ne reconnoît en effet ni l'eſprit ni le ſtyle de François de Quevedo. Jette la pierre & cache la main. Tira la piedra y eſconde la mano. La Pragmatique du tems: Pramatica del Tiempo. Lettre ſur les qualités d'un Mariage: Carta de las calidades de un Caſamiento. L'Hiſtoire & la Vie du Grand Taquin, autrement Buſcon: Hiſtoria y vida del Gran Tacano, o del Buſcon. Ils ont été tous impri més ſouvent, in-8°. & un anony me en a donné à Lyon en 1644, une traduction Françoiſe, in-8°. qu'il intitula: L'Aventurier Buſ- con, Hiſtoire facécieuſe, enſemble les Lettres du Chevalier de l'Épargne. La Fortune avec entende ment, & l'heure de tout le mon de: La Fortuna con ſeſo, y la hora de todos; Fantaſia Moral. A Saragoſſe, en 1650, in - 8°. après la mort de l'Auteur. Dans un Recueil de toute la proſe imprimée à Madrid, en 1664. in-4°. en deux parties, je trouve encore une Lettre, par laquelle Quevedo rend compte de ce qui lui arriva dans un voyage qu'il fit en Andalou- ſie à la ſuite du Roi d'Eſpagne. Poesies Quevedo donna la traduction en vers rimés d'Epictete, avec l'origine des Stoïciens, leur défenſe contre Plutarque, & celle d'Epicure contre l'opinion commune: Epicteto Eſpannol en verſos conſonantes; con el origen de los Eſtoïcos, y ſu defenſa de Epicuro contra lo opinion comun, à Madrid en 1635. in-12. Avec celle-là il en fit impri mer un autre en vers libres ou non rimés, de Phocylide, Phi- loſophe Grec: Focilides, Filo- ſofo Griego, traducido en verſo ſuelto. Après ſa mort Don Joſeph Gonzalez de Salas, homme très-ſçavant, recueillit beau coup d'autres de ſes Poëſies dans toute ſorte de genres, dont il fit paroître à la lumiere un Volume in-4°. en 1648. à Ma drid, avec des Diſſertations de ſa façon ſur chaque eſpéce de vers, & des notes qu'il a ajou tées en marge pour éclaircir les endroits les plus obſcurs. Ce Recueil qui porte le titre de Parnaſo Eſpannol, fut encore imprimé dans le même format en 1650, à Madrid, & en 1660. à Bruxelles; mais des neuf Mu- ſes ou Chapitres, qui devoient le compoſer, il manque les trois dernieres dont nous avons été privés par la mort du premier Editeur, que je préſume être le même que Joſeph-Antoine Gonzalez de Salas, Cheva lier de Calatrava, de qui je par le à ſon article, par ce que ce lui-ci termina ſa vie l'an 1651. Don Thomas Tamaio de Var gas, dans la Défenſe de Jean de Mariana, pag. 38. dit, que Quevedo avoit encore écrit à ſa perſuaſion, des Obſervations ſur tout genre d'ouvrages, Hé- breux, Grecs & Latins, leſquel les devoient paroître inceſſam ment; mais on n'a point con noiſſance qu'elles ayent été im primées. -
R.
REy d'Artieda, (Mi cer André) natif de Va lence ou de Saragoſſe. Don Ni colas-Antonio n'en dit rien de plus que ce qui eſt rapporté par notre Auteur, ſi ce n'eſt que Lope de Vega en fait de grands éloges dans ſon Laurier d'Apol lon, & que ſa Tragédie des Amans eſt in-8°. Naſſarre y Fer riz marque dans ſa Préface à la ſeconde édition des Comé- dies de Cervantes, que ce fut un brave Soldat, un excellent Poëte, & un grand Philoſophe, Mathématicien & Juriſconſulte. Il parle auſſi d'une Lettre ou Epître du même Auteur ſur la Comédie, adreſſée au Marquis de Cuellar, & il aſſûre que c'eſt la meilleure apologie des bon nes Comédies. Roxas, (Ferdinand de) ſurnommé de Montalvan, parce qu'il nâquit dans une Ville de ce nom au Royaume d'Aragon, fut Bachelier en Droit, exerça la Juriſprudence, comme le ſçavant Don-Auguſtin de Mon tiano y Luyando me l'a mandé. Etant à Salamanque, il entre prit de continuer la Tragi-Co médie de Caliſte & Mélibée (Caliſto y Melibea,) autrement intitulée: la Céleſtine (la Ce leſtina,) dont Rodrigue ou Ro driguez Cota avoit fait le pre mier Acte. Cette Piéce a été imprimée pluſieurs fois in-12. entr'autres à Séville en 1539, à Salamanque en 1558 & 1570, à Alcala de Henares en 1563, 1569, & 1591. à Madrid en 1601, & à Milan en 1622. Don Nicolas - Antonio n'a pas con nu ſans doute l'édition de Mi lan, puiſqu'il ne le marque pas. Le célébre Gaſpard Bar thius ou de Barth, qui donna de cette Tragi - Comédie une Traduction latine in-12. à Franc fort, l'an 1624, ſous le titre grec: Pornoboſcodidaſcalus, avec une Diſſertation ſur le même ouvrage, & un petit Commen taire rempli de remarques, en faiſoit un cas particulier. Dès l'an 1529, il en parut, ſui vant Don Nicolas - Antonio, une Traduction Françoiſe à Lyon, in-8°. J'ignore ſi c'eſt la même qui fut enſuite imprimée à Paris auſſi in-8°. l'an 1542. édition dont il n'eſt point parlé dans la Bibliothéque d'Eſpagne. En 1698. on donna à Paris in-16. celle de Jacques Lavar din, Seigneur du Pleſſis-Burrot. Voyez Rodrigue Cota. Roxas (Don François de) Chevalier de Saint Jacques, natif de la Ville de Saint Etien ne de Gormaz dans la Caſtille Vieille, vécut dans le dernier ſiécle preſque toujours à Ma drid. La Poëſie fut ſa principale étude, & il s'attacha ſurtout au genre comique, dans lequel il fit briller ſon génie & ſon eſprit gai & fécond. On a de lui vingt- quatre Tragi-Comédies & Co médies, imprimées à Madrid en deux tomes in-4°. l'an 1680, par les ſoins de Laurent Gar- çie de la Ygleſia, & aux dé- pens de Gabriel de Leon, Li braire. Parmi ſes Comédies, il s'en trouve quelques-unes ex cellentes. Les plus ſinguliéres ſont, le jeu eſt pour les Sots, (Entre Bobos anda el juego:) le Portrait des femmes, (lo que ſon mugeres:) Ouvre l'Œil, (Abre el Ojo.) Les autres Pié- ces de l'une & l'autre eſpéce ſont généralement parlant bien vérſifiées; mais elles tom bent preſque toutes dans le mauvais goût du vulgaire. On a deſſein de faire une nouvelle édition des deux tomes, à cau- ſe de leur rareté, ſuivant Don Auguſtin de Montiano y Luyan do, qui m'a fourni ces con noiſſances, en m'apprenant que c'eſt auſſi l'Auteur des Aſpics de Cléopatre (los Aſpides de Cleopatra,) dont il parle dans ſa Diſſertation. -
S.
SAavedra y Faxardo (Don Diégue de) né dans le Royaume de Murcie de pa rens nobles, étudia le Droit dans l'Univerſité de Salaman que, & fut enſuite employé toute ſa vie dans les affaires d'Etat. Il commença par être Sécretaire du Cardinal Borgia, Viceroi de Naples; & après avoir enſuite été chargé de l'A gence de la Cour d'Eſpagne à Rome, il alla de-là réſider long tems auprès des Cantons Suiſſes avec le caractère de Miniſtre public. Il aſſiſta à deux Diétes de l'Empire, comme Député du Cercle de Bourgogne, & fut employé au Traité de Munſ- ter, avec Don Gaſpard de Bra camonte, Comte de Peñaran da. De retour en Eſpagne, il remplit dans le Conſeil des In des une place dont il avoit été honoré pluſieurs années aupa ravant. Il étoit Chevalier de l'Ordre de Saint Jacques & Chanoine de Compoſtelle. On le connoit principalement par un Ouvrage très - célébre, dont le titre eſt, Idea de un Principe Politico - Chriſtiano, re preſentada en cien impreſas, &c. qu'il fit imprimer à Munſter, en 1640, in-4°. Cet Ouvrage réimprimé pluſieurs fois depuis, a été traduit en latin, en Ita lien & en françois. Il en avoit entrepris un autre ſous le titre de Corona Gothica Caſtellana y Auſtriaca politicamente illuſtrada. La premiére partie, qui con tient le Royaume des Gots en Eſpagne, parut à Munſter en 1648, je ne ſçai dans quel for mat. Elle devoit être ſuivie de deux autres, mais la mort de l'Auteur, arrivée en 1648, l'empêcha de continuer. Salas (Joſeph - Antoine Gonzalez de) né à Madrid, & Chevalier de Calatrava, mou rut ſubitement le 14 de Mars 1651. âgé de 63 ans. Il avoit fait une étude profonde de l'an cienne Hiſtoire Grecque & Ro maine, s'étoit rendu familiers les Ecrivains de la bonne latini té, & s'étoit lié ſoigneuſement avec les perſonnes, qui excel- loient par l'eſprit ou par leur érudition. L'affectation de ſon ſtyle Eſpagnol ou Latin, fait voir qu'il n'avoit pas autant de goût que d'eſprit & de connoiſ- ſance. On a de lui des Ouvrages dans les deux langues. Les La tins ſont des Remarques ſur Pe trone, imprimées à Francfort en 1629, in-4°. & une Diſſer tation ayant pour titre: De Du plici viventium Terra, Diſputa tio Paradoxica magni operis, Epi toma Geographico-Hiſtorica, &c. A Leyde 1650, in-4°. Cette même Diſſertation en Eſpagnol intitulée: De la Tierra descu bierta, y Cubierta de las aguas, fait partie de ſon grand Ouvrage intitulé: Compendio Geographico y Hiſtorico, del Orbe antiguo, le quel eſt une Traduction de Pomponius Mela, éclairci par des remarques à part avec ce titre: Nuevas iluſtraciones à Al gunos de los lugares obſcuros de Pomponio Mela, & enrichi d'une autre Diſſertation intitulée: De las Transfiguraciones humanas, dont le ſujet eſt le changement des hommes en bêtes: le tout imprimé à Madrid en un ſeul volume in-4°. en l'an 1644. Onze ans auparavant il avoit donné in-4°. à Madrid ſa Tra duction de la Troade de Senèque qu'il intitula: Las Troïanas, Tragedia Latina de L. Eneo Se neca, Eſpanola de D. Joſef Gon zalez de Salas, laquelle eſt pré- cédée de deux petits Ouvrages dont l'un cité dans cette Diſ- ſertation eſt la Nueva Idea de la Tragedia, o iluſtracion ultima al libro ſingular de Poëtica de Ariſto teles. Cette idée de la Tragedie eſt précédée elle-même d'un au tre morceau, que Don Nicolas Antonio ne fait connoître qu'en le nommant ainſi: Una Exer citacion Eſcolaſtica, cuyo titulo es el Theatro, Scena à todos los hombres. Salas Barbadillo (Alfonſe-Jerôme) naquit à Ma drid, & s'y diſtingua par la douceur & l'agrément de ſon eſprit ſur la fin du régne de Philippe III. & au commence ment de celui de Philippe IV. dans le tems que l'éloquence & le bel eſprit étoient le plus eſ- timés à la Cour. Il a donné en Eſpagnol pluſieurs petits Ou vrages très-ingénieux, dans un ſtyle clair, net, ſans affectation, par conſéquent plus coulant, & plein de ſel. Quoiqu'il fut attaché à la Famille Royale, il ne pût éviter d'éprouver quelquefois l'indigence, com me par l'effet, dit Don Nicolas Antonio, d''un aſtre contraire aux gens d'eſprit. On marque dans Moreri, qu'il mourut vers l'an 1630, & Don Nicolas Antonio dit ſeulement que ce fut avant l'année 1635, dans laquelle on mit au jour à Ma drid un Poëme, in-8°. de ſa façon, ſous le titre: Couronnes du Parnaſſe, (Corona del Par naſo, y Plato de las Muſas.) Tou tes ſes autres productions ont paru auſſi à Madrid de ſon vi vant, dans l'eſpace de dix an nées, c'eſt-à-dire depuis 1614 juſqu'en 1623, qu'il en donna une intitulée: Don Diego de No che, in-8°. Parmi ſes Poëſies, il y en a quelques - unes Héroï- ques ſur des ſujets de piété, comme les Triomphes de la B. Sœur Jeanne de la Croix (los Triunfos de la B. Soror Juana de la Cruz) à Madrid en 1621. in-8°. On a encore de lui un Recueil de Poëſies, ſous le ti tre de Rimas Caſtellanas, im primé in-8°. en 1616, & plu- ſieurs nouvelles & Comédies. Au nombre de celles-ci ſont les Prodiges de l'Amour (Comedia de los Prodigios de Amor,) qu'il joignit à la premiére édition qui fut faite in-12. l'an 1614, d'un autre de ſes Poëmes en deux Parties, auquel il donna le ti tre de Chevalier Exact (el Ca valero Punctual.) Dans la plu part de ſes Ouvrages il s'étoit propoſé de faire connoître, & de rectifier, en badinant agréa blement, ce que les mœurs de ſes Nationnaux avoient de dé- fectueux. Sanchez (Francois) ſur nommé de las Broças, du lieu de ſa naiſſance dans l'Eſtréma dure, & connu des gens de Lettres ſous le nom de Sanctius fut un homme d'un eſprit ſu périeur. Il enſeigna l'Eloquen ce à Salamanque avec de grands applaudiſſemens, de même que les langues Grec & Latine, dans leſquelles il étoit très- verſé. Ses talens & ſes propres lumiéres lui acquirent un ſi grand renom chez les étrangers, que Juſte - Lipſe l'appelle le Mercure & l'Apollon d'Eſpagne. Gaſpard Scioppius dit, que c'étoit un homme admirable ou divin, à cauſe des ſervices qu'il avoit rendus à la Grammaire, en la délivrant de tous les fa tras dont on l'avoit chargée, & en la ramenant aux regles d'une ſaine logique. Un de ſes principaux Ouvrages eſt la Mi nerve, (Minerva de cauſis lin guæ latinæ,) dont Scioppius fit tant de cas, qu'il ne fait pas difficulté de dire, que ſon Au teur méritoit d'être appellé Sça vant par excellence, & le pere de la Litterature. Balthazar de Ceſ- pedes, Diſciple & gendre de l'Auteur, vante pareillement beaucoup ce Livre, qui fut imprimé à Salamanque in-8°. en 1587, & dans la ſuite à Am- ſterdam en 1664, avec des no tes de Scioppius. Sanchez de las Broças donna auſſi in-8°. à Salamanque dans la même an née 1587, ſous le titre de: Ve ræ breveſque Grammatices Latinæ Inſtitutiones, & en 1595, en langue Eſpagnole ſous celui d'Arte para ſaber latin, une Grammaire que Scioppius ju gea être très-courte, & la plus parfaite de toutes. Voici les ti tres de ſes autres productions la tines; Scholia in IV. Angeli Poli tiani Silvas carmine heroico conſ- criptas, &c. Commentaria in An dreæ Alciati Emblemata: De Arte dicendi: Grammaticæ Grecæ com pendium: De interpretandis Au toribus, ſive de exercitatione: Pa radoxa: Organum Dialecticum, & Rhetoricum, cunctis diſciplinis utiliſſimum & neceſſarium: De non nullis Porphyria, aliorumque in Dialectica erroribus ſcholæ Dialec ticæ: In Virgilii Bucolica notæ: In auli Perſii Flavi opera notæ: In Horatii Artem Poëticam annota tiones, Ouvrage qui ne contient comme l'Auteur le déclare lui- même, que des remarques ſur ce que les autres Commenta teurs n'avoient pas éclairci. El les ont toutes vu le jour à Sa lamanque, in - 8°. depuis l'an 1554 juſqu'en l'année 1592, à l'exception des Commentaires ſur les Emblêmes d'André Alciat; De la maniere d'interpréter, &c. & des Paradoxes, Ouvrages qui ont été rendus publics; le pre mier in-8°. à Lion en 1563, & ailleurs en 1573, & les deux derniers auſſi in-8°. à Anvers, en 1582, quoique ſéparément. Pluſieurs de ces Livres ont été réimprimés à Anvers ou ailleurs. Sanchez a encore donné une édition de Pomponius Mela qu'il avoit corrigé, & André Schot la regarde comme la meilleure qui eut parû juſqu'alors. Sciop pius lui attribue un Livre in titulé: Pentecontarchon, (Capi taine de cinquante hommes) Ouvrage où l'Auteur traite élo quemment dans cinquante Cha pitres de diverſes queſtions im portantes de Théologie & de Philoſophie. Ce Livre qui eſt in 4°. de l'impreſſion d'Anvers porte le nom de Laurent Rami rez de Prado, que Scioppius prétend n'avoir fait que l'inter poler: d'autres le donnent à Balthazar de Ceſpedes, Maître de Ramirez; mais Don Nicolas Antonio, ſans décider ouverte ment la queſtion, le revendi que tacitement à ce dernier, en reclamant ſes talens con nus par d'autres ouvrages. Enfin Sanchez a traduit en Eſpagnol un Livre Latin de Hugues Helt, ſur un point des Armoiries de la Maiſon de Roxas, & ſa traduc tion a été miſe en lumiére à Sa lamanque l'an 1549. in - 4°. Il écrivit dans la même langue des Remarques ſur les Ouvrages de Jean de Mena, (Anotaciones à las obras de Juan de Mena,) des notes ſur ceux de Garſi-Laſſo de la Vega (Notas à la obras de Garcilaſſo de la Vega) & la Doctri ne d'Epictete, Philoſophe Stoï- cien, (Doctrina del Eſtoico Phi- ſofo Epitecto,) traduit de ſon Manuel: lorſque le dernier Ou vrage ſortit de la preſſe in-8°. à Salamanque en 1600. Sanchez étoit âgé de 77 ans. Don Nico las - Antonio ne dit pas qu'il mourut cette année, comme on le marque dans Moreri. Sigler (Don Antoine Pe rez) natif de Salamanque, que Don Nicolas-Antonio croit être le Juriſconſulte de ce nom qui, ſous les Regnes de Philippe II. Philippe III. Philippe IV. exer- ça la profeſſion d'Avocat à Ta lavera, & dont en cette qua lité on a un Livre intulé: Ma nipulus Florum Juris Pontifici & Cæſarei, nec non & Regni Hiſpa niarum quadraginta conciliis orna tus, imprimé à Naple en 1641. in-fol. Il traduiſit en vers Eſpa gnols libres, qu'il entremêlequel quefois de ſtances de huit vers rimés, les Métamorphoſes d'O vide, qui parurent in-4°. à Sa lamanque en 1580, & in-8°. à Burgos en 1609. ſous ce titre: los quince Libros do las Transforma ciones de Ovidio con ſus alegorias. -
V.
VEga-Carpio (Loup Felix de) ou Lope de Vega, car c'eſt ainſi que nous appellons communément ce grand homme, qui a fait tant d'honneur à l'Eſpagne par ſon vaſte génie & ſon ſçavoir, nâquit à Madrid d'une famille noble l'an 1662. Dès ſa plus tendre enfance, & lors même qu'il ne ſçavoit pas encore for mer ſes Lettres, il compoſoit des vers que l'on écrivoit ſous ſa dictée; enſorte que l'on peut dire qu'il étoit réellement né Poëte. Après avoir fini ſes hu manités, il fit dans la Maiſon de Don Jerôme Manrique, Evê- que d'Avila, & Grand Inquiſi teur d'Eſpagne, les premiers eſſais de ſon génie, qui firent prévoir le rang diſtingué qu'il devoit tenir un jour parmi les Poëtes ſes Compatriotes. Dans Moreri on le fait Sécretaire de ce Prélat, mais au ſilence de Don Nicolas Antonio ſur ce point, je juge que c'eſt une er reur. Ayant fait avec éclat ſa Philoſophie à Alcala de Hena res, il le fut dans ſa jeuneſſe, du Duc d'Albe, du Marquis de Malpica, & enfin du Comte de Lemos, Viceroi de Naples. Il fit auſſi des voyages, ſoit pour ſa propre ſatisfaction, ou par la néceſſité de remplir ſes em plois dans les Troupes. Quand on perdit la belle & malheu- reuſe Flotte, que le Roi Phi lippe II. envoya contre les An glois, ſous les ordres du Duc de Medina-Synodia, il y étoit avec ſon frere. Dans cet inter valle de tems, il s'étoit marié deux fois. Après la mort de ſes deux femmes, de qui l'on ne dit point qu'il ait eu d'enfans; il obtint diſpenſe pour embraſſer l'état Eccléſiaſtique, & il reçut l'Ordre de la Prêtriſe à Toléde. Il entra alors dans la Congréga tion des Prêtres à Madrid, dont il fut quelque tems le ſupérieur, & il s'aſſocia au Tiers-Ordre de Saint François. On le mit auſſi au nombre des Familiers du Saint Office, ce qui eſt un hon neur en Eſpagne. On le donne dans Moreri comme ayant été chevalier de Malthe, en diſant qu'il fut reçu dans l'ordre de Malthe, mais on ſe trompe. Tout ce qu'on peut aſſurer, c'eſt que le Pape Urbain VIII. fit tant de cas de Lope de Ve ga, qu'il lui envoya la Croix de Malthe, grace que les Papes font quelqueſois à des Prêtres, & en même tems des Lettres de Docteur de la Sapience de Rome, pleines d'éloges & de témoigna ges d'eſtime & de bienveillance. Enfin ayant vécu dans le Sacer doce d'une maniére exemplaire & ſans reproche, ſous les yeux de toute la Cour, il mourut le 27 d'Août 1635. âgé de 73 ans, après quatre jours de maladie. Il commença dès ſa premiére jeuneſſe à faire des Piéces de Théâtre & compoſa, ſuivant Jean Perez de Montalvan, ſon Diſciple & ſon ami, 1800 Co médies, & plus de 400 de ces petites Piéces, que l'on appelle Actes Sacramentaux, que l'on a coutume en Eſpagne de réci ter aux Repoſoirs le jour de la Fête-Dieu. Il avoit tant de fa cilité, qu'il n'employoit que deux ou trois jours, & quel quefois un ſeul, à compo- ſer une Comédie, & il avoit un prix fait avec les Comédiens, qui prenoient ſes Piéces ſans les examiner. Quelque défectueux que ſoit ſon Théâtre, comme Naſſarre y Ferriz le démontre parfaitement dans ſa Préface à la ſeconde édition des Comé- dies de Cervantes, il faut con venir que ſon ſtyle eſt vrayment Dramatique, & qu'il le ſçut varier ſuivant la différence des ſujets. C'eſt principalement par cet endroit, qu'il s'eſt acquis à juſte titre l'eſtime que ſa nation conſerve encore pour lui, & qu'il paroît avoir mérité de donner naiſſance à l'eſpéce de proverbe, par lequel les Eſpagnols témoi gnent le cas qu'ils font de ce qui leur paroît très-bien écrit, en diſant: es de Lope. Outre ſes Piéces de Théâtre, ilavoit com poſé beaucoup d'autres ouvrages en proſe & en vers. Il falloit que le nombre en fût immenſe, puiſ- qu'il diſoit lui-même, que ſi l'on diviſoit toutes ſes produc tions par les jours de ſa vie, on trouveroit qu'il auroit dû avoir écrit chaque jour cinq feuilles de papier. Ce ne furent pas ſeu lement ſes talens, mais ſes ver tus, qui le firent eſtimer & reſpecter. Riche par les bien faits de la plûpart des Grands & par le produit de ſes propres Ouvrages, il employoit tout ſon bien à divers uſages pieux, & ſurtout au ſoulagement des Pauvres. On conçoit qu'il n'eſt pas poſſible de faire connoître ici ce qui reſte de ſes Ouvrages. Il y a vingt-cinq volumes in-4°. imprimés en divers tems à Ma drid, & enſuite en différens lieux, de celles de ſes Co médies qu'on a raſſemblées, & qui ſont au nombre de douze dans chaque Tome. Il s'en trou ve auſſi dans un Recueil de ſes Poëſies intitulé Vega del Parnaſo, Ouvrage poſthume qui parut à Madrid en 1637. On en connoît encore une quarantaine d'au tres imprimées ſéparément; mais tout cela n'excéde pas le nombre de 350, quoiqu'à 47 ans il en eût déja fait 500, com me on l'apprend de la Préface ajoutée par François de Pache co, un de ſes Contemporains, à ſon Poëme Epique de la Je ruſalem Conquiſe, qui parut in-8°. à Barcelonne en 1609. Quinze ans après, ſçavoir, en 1624. il diſoit lui-même dans une de fes Préfaces en avoir fait 1070 juſqu'à ce jour. Don Nicolas Antonio donne les titres de 25 autres volumes de différens for mats, ſans compter divers petits Ouvrages, le tout en proſe ou en vers; & le même Bibliothé- caire avertit en finiſſant, qu'il y en a beaucoup d'autres qu'il n'a pas pû ſe rappeller, outre que ſon deſſein n'étoit pas de donner la liſte de toutes les petites Piéces fugitives de ce Poëte. J'obſerve rai ſeulement que de ce nombre eſt le Laurier d'Apollon (Laurel de Apolo,) où il parle & fait l'é- loge de tous les fameux Poëtes d'Eſpagne, & qu'il mit au jour à Madrid, en 1630. in - 4°. L'Orphée en Langue Caſtillane (Orfeo en Lingua Caſtellana) qui parut à Madrid en 1624. ſous le nom de Jean Perez de Montalvan, ſans que je puiſſe dire dans quel format eſt auſſi de Lope de Vega. On a encore de lui un Art Poëtique inti tulé: Arte nueva de Hacer Co medias. Velasco (Gregoire Her nandez ou Fernandez de) na tif de Toléde, parut dans le tems que la Poëſie commençoit à fleurir & à ſe dépouiller de la barbarie des premiers tems. Il écrivit en vers Caſtillans de ma niére à mériter de grands éloges de la part de Lope de Vega, qui parle de lui dans ſon Laurier d'Apollon, comme d'un des meilleurs en ſa langue, & mê- me comme d'un modéle. Nous n'avons de lui que des Traduc tions. Il mit en ſtances de huit vers le Poëme de Sanazar: De Partu Virginis. Cette Traduction fut imprimée à Toléde en 1554, & à Madrid en 1569, in-8°. Il rendit auſſi en vers Caſtillans une Idylle latine, intitulée: Crux, ſive de Chriſti Domini nece, & compoſée par Alvar Gomez de Caſtro, natif de Toléde, cé- lébre Profeſſeur des Belles-Let tres & d'Eloquence, très-ſça vant dans la langue Grecque, chargé par Philippe II. de don ner au Public une édition des Origines de Saint Iſidore, qui ne parut pourtant qu'après ſa mort, ſous le nom d'un autre, Auteur d'une Vie du Cardinal Ximenez, imprimée pour la premiére fois in-fol. à Alcala de Henares, en 1569, & réimprimée depuis en différens endroits de l'Europe; connu enfin par divers autres ouvrages Eſpagnols ou Latins. Pour revenir à Fernandez de Velaſco, le principal fondement de ſa gloire, eſt ſa Traduction de l'Eneide de Virgile, qu'il fit paroître à Alcala de Henares en 1585. in-8°. Velez (Jean) Auteur du dernier Siécle, a écrit differen tes Comédies & Tragi-Comé- dies, qui ont été imprimées ſéparément, & dont on fait peu de cas. C'eſt de lui cependant qu'eſt la Piéce intitulée: Reinar deſpues de morir, le Régne après la mort, qu'on trouve citée dans la Diſſertation du ſage Critique Don Auguſtin de Montiano y Luyando. On ignore le lieu de ſa naiſſance, & les particula rités de ſa vie. Virves (Chriſtophle de) étoit du Royaume de Valence & de la Capitale même, comme il paroît le dire, en appellant le Ture, qui paſſe près de cette Ville, la Riviére de ſa Patrie. Outre ſes Œuvres Tragiques & Lyriques (Obras Tragicas, y Liricas) imprimées à Madrid, en 1609, ſans que Don Nicolas Antonio nous diſe dans quel format il a fait en vers héroï- ques l'Hiſtoire de la fondation de la Maiſon du Monſerrat, avec la vie pénitente de Jean Guari ni, ſous le titre: Monſerrate; fondacion de Aquella Caſa; Vida y penitencia de Juan Guarini, à Madrid in-8°. en 1587, 1601, & 1609. L'Hiſtoire qui a paru en 1602; à Milan, & qu'on a intitulée: Secundo Monſerrate, eſt la même que la précédente, ſuivant Don Nicolas Antonio. Ce Bibliothécaire ne marque point en quel tems Virves mou rut; il dit ſeulement, qu'il exerça long - tems, la profeſ- ſion militaire ſur terre & ſur mer. -
X.
XAuregui ou Jauregui (Don Jean de,) né d'une Famille noble de Séville, ori ginaire de Biſcaye, mourut à Madrid avant l'an 1650. Il culti va toute ſa vie, à peu près avec un égal ſuccès, la Poëſie & la Peinture. C'eſt à la premiére ſur-tout qu'il doit ſa réputation. Son ſtyle ſçavant & nerveux convenoit mieux aux Poëmes héroïques & lyriques, qu'aux Piéces de Théâtre, dans leſ- quelles il a moins bien réuſſi, parce qu'il dédaignoit de s'ac commoder à la portée du com mun des Spectateurs. Il le diſ- putoit pour la force & l'éleva tion à Louis de Gongora, ce Poëte ſi célébre que les Eſpa gnols ſurnomment le Merveilleux, & à Quevedo, contre lequel il a même écrit quelques Piéces ſa tiriques. Comme il s'occupoit beaucoup de la Peinture, & donnoit à ſes amis une partie des Tableaux qu'il faiſoit, il a joui de ſon vivant d'une grande ré- putation comme Peintre. On en a la preuve dans ce qui arriva à la repreſentation d'une de ſes Piéces à Madrid. Elle déplaiſoit & on commençoit à la ſiffler hautement, lorſqu'un des Spec tateurs s'écria: S'il veut qu'on ap plaudiſſe ſes Comédies, qu'il les pei gne. Sa Traduction de l'Aminte de Taſſe, citée par notre Auteur, fut imprimée à Séville en 1618, in-4°. avec un Recueil de ſes Poëſies diverſes, Ses autres Ou vrages ſont, un Poëme d'Orphée en ſtances de huit vers, que l'on trouve égal à ce que les Eſpa gnols ont de mieux dans ce genre: à Madrid 1624, in-4°. La Pharſale de Lucain, tradui te dans le méme genre de vers, & reſtée manuſcrite. Ce qui ſuit eſt en proſe. Diſcurſo Poëtico contra el hablar culto y obſcuro. La Comedia del Retraido, (la Comédie du Reclus.) C'eſt une Satire contre le Livre de Queve do, intitulée: La Cuna y la Se pultura, Doctrina para morir, (le Berceau & le Tombeau, inſtruc tion pour mourir.) Memorial al Rey Nueſtro Señor. Il vante dans cet Ecrit l'amour des Eſpagnols pour la gloire; il veut qu'on uſe de modeſtie en écrivant contre les François, & blâme la Lettre adreſſée au Roi de France, que Quevedo fit imprimer à Madrid en 1635, avec ce titre: Carta al Rey Louis XIII. de Francia en razon de las acciones nefandas y ſacrilegios exe crables, &c. Don Antonio ne dit point où, quand, ni en quel forme ces trois Ouvrages furent imprimés. Apologia por la Verdad, ò Reſ- pueſta à una cenſura que ſe hizo del Sermon que F. Orthenſio Pa lavicino predico en las honras del Rey Don Filipe III. Madrid 1625. in-4°. Por el Arte de la Peintura. C'eſt un petit ouvrage apologétique imprimé à Madrid in - 4°. en 1633, avec les Dialogues de Louis Carducci Mathématicien du Roi, né à Madrid d'un pere Italien. -
Z.
ZArate (François Lo pez de) natif de Logroño, tient preſque le premier rang, parmi les Poëtes. Dans ſa jeu- neſſe il embraſſa la profeſſion Mi litaire, & fit pluſieurs voyages. De retour dans ſa Patrie, ſa vi vacité d'eſprit lui donna entrée chez Don Roderic{??} Calderon Marquis des Sept Egliſes, qui étoit très-puiſſant auprès du Duc de Lerma, Miniſtre d'Etat ſous le Régne de Philippe III. Roi d'Eſpagne. Il devint même Se crétaire de ce Seigneur, & il fut enſuite admis parmi les Officiers de la Chancellerie d'Etat; mais comme ſon goût pour la Poëſie l'appelloit à un autre genre de vie, il quitta bientôt ſes emplois & ſe retira à Logroño. Etant cependant retourné à Madrid, il y reſta pluſieurs années & n'en ſortit plus juſqu'à ſa mort. Enne mi de toute adulation, & exempt d'ambition & de tous les vices des Courtiſans, il ſçut ſe con tenter de peu, & il mena une vie vraiment Philoſophe & Chrétienne. Il étoit d'un ca ractère ſérieux, & ſi doux, qu'à la moindre remontrance de ſes amis, il effaçoit ce qu'il avoit écrit. Sa modeſtie fut pouſſée ſi loin, que non con tent de ne pas mal parler des autres Poëtes, il les louoit tous comme ſes égaux, quoi qu'il y en eût peu qui l'attei gniſſent. Cependant il criti quoit ſes propres vers, les re fondoit, & les retouchoit, de maniere même que ce trop grand ſoin leur a fait ſouvent tort, parce qu'on ſent la pei ne qu'il s'eſt donnée pour les limer, & qu'il paroît en avoir ôté ce qu'il y avoit déja de parfait. Il n'a pas moins réuſſi dans le genre Lyrique que dans l'Héroïque; mais il excelle ſur- tout en traitant les matiéres Phyſiques & morales; & com me le bon ſens domine plus dans ſes ouvrages que l'imagi nation, c'eſt ce qui fait qu'on ne lui accorde pas conſtam ment la préférence ſur tous les autres. On ne peut pas cepen dant diſconvenir que ſes vers ne ſoient harmonieux & par faitement bien tournés. Peu de tems avant ſa mort il per mit d'imprimer un Poëme hé- roïque ſacré, qu'il avoit com poſé dans ſa jeuneſſe, qu'il lima parvenu à un certain âge, & dont il retoucha encore plu fieurs endroits quand il fut vieux. Cet ouvrage qui parut à Madrid en 1648. in-4°. trai te de l'Invention de la Sainte Croix par l'Empereur Conſtan tin le Grand, & a pour titre: Poëma Heroïco de la Invencion de la Cruz por el Emperador Conſ- tantino Magno. Preſqu'au ſor tir de l'Enfance il avoit fait imprimer à Alcala des Henares en 1619, in-8°. ſous le titre de Poëſies diverſes, (Poëſias va rias,) les premiéres produc tions de ſon génie, & en par ticulier deux Sylves, qui le diſ- putent en beauté à tous les vers lyriques de l'antiquité. Il y ajouta dans la ſuite d'autres piéces, qui étoient le fruit d'un âge plus mûr, & il donna le tout avec ſa Tragédie d'Hercule, en un volume in-4°. intitulé: Obras varias de Franciſco Lopez de Zarate, à Madrid 1651. En fin il mourut le cinquiéme jour de Mars 1658, âgé de plus de ſoixante - dix ans. Depuis quel ques années il étoit affligé d'une paralyſie qui lui avoit affoibli les membres, l'eſprit & les ſens, mais qui n'avoit altéré en rien ſa piété.
SUITE DES AUTEURS Dont il eſt parlé dans la Diſſertation.
APPROBATION.
J'Ai lû par ordre de Monſeigneur le Chance lier un Manuſcrit portant pour titre, Diſſer tation ſur les Tragédies Eſpagnoles, traduites de l'Eſpagnol par M. d'Hermilly, & j'ai crû qu'on en pouvoit permettre l'impreſſion. A Paris, ce premier Juin 1753. DU RESNEL.