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Le Joueur [Auszug]

JOUEUR, (le) Canevas Italien en trois actes, de M. Riccoboni le pere, représenté pour la premiére fois le Mardi 6 Décembre 1718.

Bien des gens font dans l'opinion qu'il y a de la témérité à exposer sur la scéne un sujet connu, sur-tout lorsqu'il a déja été traité par quelque Ecrivain du premier ordre. En effet, soit que l'on soit prévenu en faveur de celui qui le premier l'a fait paroître, où que l'on soit persuadé que l'on ne peut pas mieux faire: il faut convenir que l'on n'a point encore vû de notre temps, d'Auteurs Dramatiques qui ne se soient repentis d'avoir osé courir la même carriére. Mais, où cette difficulté est aisée à démontrer, c'est dans les caracteres tels que ceux de l'Avare, du Tartuffe, du Menteur, &c. car on peut avancer qu'outre tous les traits qui servent à les peindre, il y a un choix de couleurs à faire. Le choix une fois fait par un homme de goût, on regarde pour lors comme une chose presqu'impossible, de retracer, si l'on peut le dire, le même carac tere, sans tomber dans l'inconvénient de l'imi tation ou des répétitions. Cependent le Théatre a vû depius peu ce préjugé doublement démenti, & cette pré tendue impossibilité surmontée à tous égards. I° L'Œdipe de M. de Voltaire, dont le succès
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a toûjours accrû jusqu'à ce jours, est une preuve bien sensible que l'on pourroit encore égaler, ou même surpasser, si j'ose le dire, le Grand Corneille, en travaillant le même texte: il me paroît que c'est aujourd'hui le sen timent du plus grand nombre. 2° Le nouveau Joueur, que les Comédiens Italiens ont risqué sur leur Théatre, a dû convaincre, par la reussite qu'il a eu, que le même titre si heu reusement rempli & exécuté par feu M. Re gnard, pouvoit être encore présenté sous un nouvel aspect..... Je reviens présentement au Nouveau Joueur. Ceux qui entendent l'Ita lien, reconnoissent qu'il est continuement Joueur dans ses actions: elles tendent toutes à le faire connoître tel par le Spectateur éclairé: son valet est le seul à qui la passion dominante de son Maître pour le jeu soit connue; sa Maîtresse même ignore ce foible; au contraire elle s'imagine qu'il passionnément l'étu de de la Philosophie & des Belles-Lettres, & que ce n'est que par bienséance qu'il refuse de l'avouer. Elle tourne de ce côté toutes les actions qui pourroient déceler sa véritable inclination. Il n'y a aucun personnage épiso dique, mais tous concourent à faire valoir le caractere du Joueur: l'intrigue est simple, pleine d'action, & dont la chaleur augmente jusqu'à la fin de la piéce. Comme je crois que le meilleur extrait que l'on puisse donner d'une Comédie de caractere, est d'en rapporter les principaux traits, & d'en crayonner la fable; j'en userai de même à l'égard de celle-ci.
Dans le premier acte, le Joueur touchant
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au moment de se marier, l'oncle de sa pré tendue vient avec le Notaire pour lui faire signer son contract de mariage. Le Notaire lui demande ses honoraires, mais comme il a tout perdu la nuit précédente, il ne trouve pas de moyen plus prompt pour s'en défaire, que de lui promettre une tabatiere d'or, & le ren voye ainsi fort content. A peine le Notaire est-il sorti, qu'un créancier vient lui deman der vingt cinq pistoles qu'il lui a autrefois prêtées: autres embarras, autres civilités: le créancier tient bon; il veut de l'argent: que faire? le Joueur, pour s'en débarrasser, lui donne son contrat de mariage en nantissement de ce qu'il lui doit, l'assurant que ce sera le premier pris & payé sur la dot. Quelque temps après on lui annonce sa Maîtresse; l'intérêt qu'il a de ne point paroître Joueur, l'oblige à mettre promptement dans sa poche un jeu de carte qui est sur la table; mais par mal heur, en tirant son mouchoir, il fait tomber une partie de ces cartes aux pieds de sa Maî tresse, qui, bien loin de prendre la chose en mauvaise part, l'excuse obligeamment sur l'usage que les Gens de Lettres sont ordinaire ment des cartes: elle le croit homme de Let tres en effet.
Dans le second acte, il donne une fête à sa Maîtresse, & lorsque le bal est prêt à com mencer, un marin de ses amis survient. Cet homme qui n'a nul goût pour la danse, enga ge insensiblement le Joueur à passer dans une chambre voisine, pur y carabiner un quart- d'heure. Mon homme qui avoit fait une
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ressource considérable, aimant encore plus le jeu que sa Maîtresse, la prie de vouloir bien commencer le Bal, l'assuraut qu'il est à elle dans un moment. Il lui tient en effet parole, mais il revient si dérangé, & avec des yeux si égarés, qu'on devine aisément qu'il a tout perdu. Sa Maîtresse qui ne soupçonne nulle ment la cause de son trouble & de son agita tion, le force dans cet état de souffrance, à danser un menuet avec elle. Il a beau s'en dé fendre, elle lui allégue pour raison que rien n'est plus capable que la danse, pour lui faire oublier la dispute philosophique qu'il vient d'avoir avec son ami le marin. Le Joueur, pour cacher le véritable motif de son trouble, donne la main à sa Maîtresse; mais la distrac tion devenant la plus forte, il interrompt par intervalle sa dancce, n'étant pour lors occupé que de sa perte. Tantôt il parle à l'oreille d'Arlequin son valet, en se détestant quel quefois; il cherche dans ses poches, pour voir s'il ne lui est rien resté; enfin il se livre tellement au malheur qui vient de lui arriver, qu'il finit son menuet, en dansant seul sur le bord du Théatre, pendant que sa Maîtresse danse de son côté toute seule dans le fond, ce qui fait un jeu de Théatre fort plaisant. A peine le Joueur est-il sorti de cet embarras, qu'il rentre dans un autre. Arlequin qu'il avoit envoyé avant sa perte chez le Traiteur, pour commander un grand souper après le bal, vient lui annoncer tristement, que le maudit Traiteur ne veut absolument rien fournir, qu'il ne soit payé de quelques autres
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repas précédens: que tout ce qu'il a pû faire, a été de l'engager à vouloir bien lui venir parler. Le Traiteur arrive: le Maître & le valet le prient tout bas, le pressent, mais inu tilement; il est inexorable. Sa Maîtresse s'im patiente pendant tout ce débat, & regardant à sa montre, elle la trouve arrêtée; elle la donne au Joueur, pour sçavoir de lui si effec tivement elle ne va point. Le Joueur la prend, & retournant vers le Traiteur pour tâcher de le fléchir, celui-ci à la vûe de la montre, lui demande tout à-coup si c'est un gage qu'il veut lui donner. Le Joueur regardant cet homme comme inspiré, se voit par-là tiré d'embarras: il lui remet dans le moment la montre, & re tournant à sa Maîtresse, lui dit, qu'en effet sa montre est arrêtée, mais que si elle souhaite, il va la donner à cet homme, (en lui montrant le Traiteur,) qui est, selon lui, le meilleur Horloger du pays. La jeune personne y con sent, & le Joueur charmé de s'être tiré si heu reusement d'embarras, laisse la montre au Traiteur, en l'assurant qu'il n'a qu'à la rap porter le lendemain, & qu'il sera payé sur le champ.
Le troisiéme acte commence par une scéne de désespoir de la part du Joueur, qui après avoir été si longtemps contraint, & se trou vant seul chez lui en liberté, jure alors tout à son aise, en maudissant sa mauvaise fortune: Arlequin, comme un bon valet, s'ingére de faire des remontrances sur sa conduite; mais il lui coupe la parole, en lui protestant que son parti est pris, & qu'il a fait ferment de ne
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plus jouer: que depuis cette résolution for mée, il jouit de la plus grande tranquillité du monde; mais dans le même moment, il mar que par ses gestes & par ses yeux, un déses poir intérieur qui dément ce qu'il vient de dire. Dans cette assurance, il projette, pour remplir les vuides que le défaut du jeu lui lais sera, de se donner à la Poësie. Après en avoir examiné les différentes espéces, il choisit la Partie Dramatique Comique; il se détermine à ce choix par les avantages & le plaisir que doit avoir un Auteur, lorsqu'il voit ses Ouvra ges applaudis du Punlic & exposés au grand jour. Pour mettre son esprit sur ce ton, il en voye chercher un livre de Poësie. Arelquin lui en apporte un, qui a pour titre: Le Joueur, Comédie, par M. Regnard. A peine Lélio, (c'est le Joueur) a-t-il jetté les yeux sur ce titre, qu'il le jette tout en colere, & fait des imprécations contre l'insolence des Auteurs, qui osent mettre sur le Théatre un aussi galant homme que le Joueur. Dans l'instant, arrive le frere de sa prétendue Maîtresse, qiu vient lui demander s'il ne pourroit pas lui faire avancer le payement d'une lettre de change de quatre mille livres. Celui-ci qui envisage qu'avec cet argent il pourvoit faire ressource, d'autant plus qu'il vient de passer dans son cabinet deux nouveaux Joueurs, n'a garde de ne point promettre à Mario, son beau frere futur, qu'il le fera avec plaisir; & ayant la lettre de change par devers lui, il entre au jeu. Le créancier dont j'ai parlé, à qui le Joueur avoit donné son contract de mariage
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pour nantissement, vient s'informer de la suivante de Flaminia, si effectivement sa Maî tresse épouse Lélio. Ce créancier ne fait point difficulté de lui apprendre que Lélio, pour sûreté de cette somme, lui a remis ce contract entre les mains. Violette en avertir aussitôt sa Maîtresse; celle-ci toûjours prévenue en fa veur de Lélio, n'y donne aucune créance, & commence à n'en être bien détrompée, que par le retour du Traiteur, qui lui apprend ce qu'il est, lui conte ensuite l'histoire de Lélio, & le déclare le plus déterminé Joueur qui soit au monde. Elle en est pleinement convaincue, lorsqu'elle voit sortir de la maison de Lélio deux Joueurs qui emménent l'argenterie & les étoffes qu'elle avoit envoyées a son futur. Elle prend le parti de payer le Triteur, pour r'avoir sa montre, & promet aux deux Joueurs de retirer sa vaisselle d'argent & ses étoffes. Lélio arrive, consterné & pénétré de sa nou velle disgrace, & pour comble d'infortune, il se trouve entre sa Maîtresse, l'oncle & Mario, à qui il a attrapé la lettre de change. Chacun prend congé de lui d'une maniere insultante, & telle qu'une vie aussi déréglée que la sienne le mérite. Il reste muet & dans défense. Heu reusement pour lui, un ami vient le dégager de cet embarras, en lui disant que comme il est prêt de s'embarquer pour passer au Pérou, il vient lui dire adieu. Lélio, sans lui rien répliquer, va sur le champ chercher son épée, son manteau & son chapeau, & le prie de le prendre pour compagnon de son voyage. L'ami y consent volontiers; il sort après avoir
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fait ses adieux à Arlequin, à qui il laisse le peu qui lui reste, & le prie assurer ses Créanciers qu'il ne les oubliera pas au Pérou
. Le nouveau Mercure, mois de Décembre 1718. pag. 137-145.


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