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L'art du Theatre
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L'ART DU THEÂTRE.

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L'ART DU THEÂTRE,

A MADAME ***.

Par François Riccoroni.

A PARIS, Chez { C. F. Simon, Fils, Imprimeur de la Reins & de l'Archevêché: & Giffart, Fils, Libraire, rue S. Jacques, à Sainte Thereſe.

M. DCC. L.

Avec Approbation & Privilege du Roi.

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AVANT-PROPOS.

[] J'Avois compoſé ce petit Ou- vrage il y a pluſieurs années; quelques amis qui le connoiſſoient; vouloient m'engager à le donner au Public; mais une délicateſſe aſſez bien fondée m'a retenu juſqu'à préſent. Lorſqu'on ſe donne pour Précepteur dans un Art que l'on exerce, il ſem- ble toujours aux eſprits malins que l'on cherche à ſe donner pour modéle. Je n'ai point voulu me faire ſoup- çonner d'une idée que je n'ai jamais euë. Maintenant que la foibleſſe de ma ſanté m'oblige à quitter le Théâ-
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tre, je ne crois plus avoir rien à mé- nager de ce côté-là, & l'on ne me ſoupçonnera pas de vouloir chercher pour l'avenir une réputation dont je ne ſerai plus à portée de tirer aucun avantage.
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TABLE DES SOMMAIRES.

Fin de la Table.
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L'ART DU THEÂTRE,

A MADAME ***. MADAME,

[] Le goût que vous avez pour la Comédie eſt devenu chez vous une paſſion, puiſque n'ayant pu vous borner au plaiſir de la voir joüer ſur
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les Théâtres publics, votre plus grande ſatisfaction eſt de la repré- ſenter vous-même. La mode ſemble autoriſer votre penchant. Paris eſt plein de Théâtres particuliers, & tout le monde veut être Acteur. Comme il faut s'acquitter le mieux qu'il eſt poſſible de tout ce que l'on entreprend, vous avez cru qu'il vous falloit des conſeils pour réuſ- ſir dans un art que vous trouviez dif ficile, & vous m'avez fait l'honneur de vous adreſſer à moi pour avoir un guide dans vos amuſemens de Théâtre. Mais ce n'eſt pas aſſez, Madame, de raiſonner ſur quelques rôles dont on s'eſt chargé, & d'ap prendre à les joüer plûtôt par mé- chanique que par connoiſſance. Il faut ſe mettre en état de joüer par réflexion, & ſçavoir les vrais prin cipes de l'art. Et comment les ap prendre? ſi perſonne ne s'eſt donné
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la peine de les écrire; ſi les Comé- diens eux-mêmes ſont obligés de paſ- ſer la vie à développer chez eux, à force de pratique, des régles qu'il au roit fallu ſçavoir avant de commen cer, & que l'on ne parvient à con noître que lorſqu'on n'eſt plus en état d'en faire uſage. Mon pere a compo- ſé un petit Traité, qui a pour titre, Penſées ſur la Déclamation; cet ou vrage eſt rempli des réflexions les plus fines & les plus délicates; mais combien de lecteurs ſe ſont trompés en croyant l'avoir parfaitement en tendu! Il eſt preſque impoſſible de bien concevoir les coups de maître qui rendent un Acteur excellent, & ſupérieur dans ſon art, ſans être au paravant bien inſtruit des moyens par leſquels on peut atteindre à la médiocrité; & lire les penſées ſur la Déclamation avant d'avoir appris l'art de déclamer, c'eſt vouloir pein-
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dre ſans avoir étudié le deſſein. Je ne cherche point ici à rien ajoûter à cet ouvrage, que je reſpecte autant que celui qui l'a écrit. Je vais ſeule ment, Madame, vous détailler les petits principes qu'il faut apprendre les premiers, & qui vous ſerviront d'acheminement à l'étude d'un trai té, dans lequel vous trouverez après, le vrai ſublime du Théâtre.
(Le Geste.) [] Je vais commencer par vous par ler du Geſte, & cela vous paroîtra peut-être biſarre. Mais ſi vous faites attention qu'en paroiſſant au Théâ- tre on ſe préſente avant de parler, vous conviendrez que la contenance eſt la premiere choſe dont il faut s'inſtruire *. Cette partie eſt d'ail- 1
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leurs celle qui paroît la plus embar raſſante à ceux qui n'ont pas d'habi tude. Elle l'eſt en effet; on ne ſçauroit parvenir à dire ſon rôle comme on ſe l'eſt propoſé, ſans avoir auparavant ſurmonté toutes les difficultés de la figure. On a coutume de dire qu'il n'y a point de régle pour le geſte, & je crois que l'on ſe trompe. J'entends par le geſte, nonſeulement le mouve mens des bras, mais encore celui de toutes les parties du corps; car c'eſt de leur harmonie que dépend toute la grace de l'Acteur. [] Pour avoir bon air il faut ſe tenir droit, mais non pas ſe tenir trop droit. Tout ce qui approche de l'ex cès devient affectation, paroît déſa gréable aux yeux, & donne de la con trainte; d'ailleurs en ſe tenant trop droit on fe prive du plus grand avan tage dans les inſtans marqués du tra gique & du haut comique. Lorſqu'on
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eſt obligé de ſe montrer ſupérieur aux autres Acteurs avec leſquels on eſt en ſcène, & de prendre un air qui leur en impoſe, c'eſt pour lors qu'il faut ſe redreſſer, & paroître plus grand qu'aucun d'eux par ſa contenance. Mais ſi dans tout le cou rant du rôle on s'eſt tenu auſſi droit qu'il eſt poſſible, on a perdu la facul té d'aller plus loin dans ces momens où la contenance doit croître. Il faut encore ſonger que le corps trop ren verſé & la tête trop haute, contrai gnent les épaules & donnent de la difficulté au mouvement des bras. [] Quelquefois on eſt obligé de ſe courber pour montrer du reſpect ou de l'attendriſſement. Dans ces occa- ſions beaucoup de Comédiens pè- chent par la contenance. Ils ont cou tume de plier de la ceinture, en te nant l'eſtomac & la poitrine extreme ment roides. Comme le corps ſe trou-
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ve hors d'équilibre dans cette ſitua tion, ſi les deux pieds ſont près l'un de l'autre, ils éloignent celui qui eſt derriere, & fléchiſſent un peu le ge nouil de devant, ils élévent un bras fort haut, étendent l'autre au long de la hanche, & joüent des mor ceaux entiers dans l'attitude de cette ſtatuë antique qui repréſente un gla diateur dans le combat. Comme cet te poſition forcée eſt devenue fort à la mode, par l'habitude de la voir on s'y eſt accoutumé de maniere que l'on n'en apperçoit plus le ridicule. Il faut ſe courber de la poitrine ſans craindre de groſſir ſes épaules, qui, dans cette occaſion ne peuvent ja mais faire une mauvaiſe figure. On me dira que la dureté des cuiraſſes à la Romaine, & les corps balainés des femmes s'oppoſent à la régle que je donne: je conviendrai que tous ces ajuſtemens ſont incommodes; mais
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il vaut mieux, lorſqu'on eſt gêné par l'habit, ne baiſſer que la tête, qui eſt toujours la plus remarquable, & ne pencher que foiblement le corps; dans cette poſition l'on eſt en même- tems agréable à la vûe, & convena ble à la ſituation. Au moins dans la Comédie les hommes ne pourront jamais trouver une excuſe dans la gêne de l'habillement. [] On doit marcher d'un pas aſſuré, mais égal, modéré & ſans ſecouſſe. Quelques Acteurs tragiques, croyant ſe donner un air plus grand, mar chent d'un pied ſi fortement ap puyé, que tout leur corps en reçoit un ébranlement, & que l'on voit à chaque pas danſer leur tonnelet. Bien loin que cette démarche ex traordinaire puiſſe rien ajoûter à la nobleſſe, elle fait tort à l'illuſion, & découvre le Comédien apprêté, lorſqu'on devroit n'appercevoir que la liberté du Héros.
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[] Enfin, on eſt ſouvent en peine de ſes deux bras. Le chapeau en em ploye ordinairement un. Mais ſi l'Acteur eſt obligé de ſe couvrir, vous le voyez le plus ſouvent dé- contenancé. Dans l'habit à la Fran- çoiſe, une main dans la poche & l'autre ſur la poitrine, ſont encore une reſſource; pour les tragiques ils ne peuvent que porter une main der riere le dos, & quelquefois toutes les deux pour ſe tirer d'embarras. [] Si l'on vouloit faire attention à la maniere dont un homme eſt con- ſtruit, on verroit qu'il n'eſt jamais plus aiſément campé, & plus ſûre ment bien deſſiné, que dans le tems où poſant également ſur ſes deux pieds, peu diſtans l'un de l'autre, il laiſſe tomber ſes bras & ſes mains où leur propre poids les porte natu rellement; c'eſt ce qu'on appelle, en terme de danſe, être à la ſeconde
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poſition, les mains ſur les poches. C'eſt la ſituation la plus naturelle & la plus ſimple; cependant on a tou jours une peine infinie à y bien po- ſer quelqu'un qui apprend à danſer. Il ſemble que la nature s'oppoſe per pétuellement à elle-même. Pour le raiſonnement, comme il eſt rare ment juſte, il cherche à éviter ſans ceſſe les beautés ſimples, & nous le voyons dans tous les arts où le re cherché le plus extraordinaire eſt au jourd'hui un peu trop à la mode. [] Quand on parle, il faut que les bras agiſſent. Voici le point que vous attendiez, Madame, & vous trou vez peut-être que je n'y ſuis arrivé que bien tard. Je ne crois pourtant pas avoir encore dit beaucoup de choſes inutiles; de plus, je m'atta cherai à expliquer les parties les plus méchaniques avec des détails ſcru puleux, parce que les mauvaiſes ha-
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bitudes une fois contractées ſont in corrigibles. [] On ne parvient à la grace des bras qu'avec beaucoup d'étude; & quel que bonnes que puiſſent être nos diſpoſitions naturelles, le point de perfection dépend de l'art. Pour que le mouvement du bras ſoit doux, voici la regle que l'on doit obſerver. Lorſqu'on veut en élever un, il faut que la partie ſupérieure, c'eſt-à-dire, celle qui prend de l'épaule au coude, ſe détache du corps la premiére, & qu'elle entraîne les deux autres qui ne doivent prendre force pour ſe mouvoir que ſucceſſivement, & ſans trop de précipitation. La main ne doit donc agir que la derniere. Elle doit être tournée en bas juſqu'à ce que l'avant-bras l'ait portée à la hau teur du coude; alors elle ſe tourne en haut, tandis que le bras continue ſon mouvement pour s'élever juſ-
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qu'au point où il doit s'arrêter. Si tout cela ſe fait ſans effort, l'action eſt parfaitement agréable. Pour re deſcendre, la main doit tomber la premiére, & les autres parties du bras la ſuivre dans leur ordre. On doit encore faire attention à ne ja mais tenir les bras trop roides, & à faire toujours ſentir le pli du coude & du poignet. Les doigts ne doivent point être abſolument étendus, il faut les arrondir avec douceur, & obſerver entr'eux la gradation natu relle, qu'il eſt aiſé de remarquer dans une main médiocrement pliée. On doit éviter, autant qu'il eſt poſſible, d'avoir le poing totalement fermé, & ſur tout de le préſenter directe ment à l'Acteur auquel on parle, dans les inſtans même de la plus gran de fureur. Ce geſte par lui-même eſt ignoble, devant une femme il eſt im poli, & vis-à-vis d'un homme il de-
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vient inſultant. Il ne faut point geſ- ticuler avec vîteſſe; au contraire, plus le geſte a de lenteur & de moleſ- ſe, plus il eſt agréable. Si l'on s'écar te de ces régles, & que par exemple on faſſe agir la main & l'avant-bras les premiers, le geſte eſt gauche; ſi le bras s'étend trop vîte & avec trop de force, le geſte eſt dur; mais lorſ- qu'on geſticule de la moitié du bras, & que les coudes demeurent attachés au corps, c'eſt le comble de la mau vaiſe grace. Cependant il faut éviter d'avoir les deux bras également éten dus, & de les porter tous deux à la même hauteur, car ce geſte en croix dont les Muſiciens accompagnent ordinairement la cadence à la fin d'un air, n'eſt point un modéle à ſui vre. C'eſt une régle aſſez connue, que pour l'ordinaire la main ne doit pas s'élever au-deſſus de l'œil. Mais quand une violente paſſion le tranſ-
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porte, l'Acteur peut oublier toutes les régles; il peut ſe mouvoir avec promptitude, & porter ſes bras juſ- qu'au-deſſus de ſa tête. Cependant s'il a pris l'habitude d'être doux & gracieux, ſes mouvemens les plus vifs ſe ſentiront toujours des bons principes. Au reſte, gardez-vous bien, Madame, de déclamer devant un miroir pour étudier vos geſtes; cette méthode eſt la mere de l'affec tation: il faut ſentir ſes mouvemens & les juger ſans les voir.
(La Voix.) [] Le moyen de faire ſortir ſa voix avec un ſon plein, flateur & natu rel, eſt une des études les plus néceſ- ſaires pour le Théâtre. Nous devons d'abord ſentir en parlant haut, quels ſont les tons de notre voix qui peu vent avoir de l'aigreur ou du grêle, & remarquer s'il y en a d'autres qui deviennent ſourds, & s'éteignent
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dans notre bouche, lorſque nous cherchons à les proférer. On peut, à force d'exercice, adoucir les pre miers, donner du corps aux autres, enfin rendre à peu près égaux tous les ſons que nous ſommes en état de parcourir. Un travail obſtiné par vient à donner au goſier beaucoup plus de fléxibilité, qu'il ne ſemble en en avoir naturellement. [] Pour éviter les ſons grêles ou gla piſſans, il faut que la poitrine agiſſe toujours avec une égale fermeté, & que le goſier ne ſe rétréciſſe point trop dans le paſſage des ſons. On doit ſoigneuſement ménager ſon ha leine, & n'en fournir qu'autant que la voix en exige. Quand l'haleine ſort en trop grande abondance, elle offuſque le ſon, parce qu'elle embar raſſe le goſier, & c'eſt pour lors qu'elle produit ce qu'on appelle une voix ſépulchrale. Il ne faut jamais
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excéder ſa poitrine pour donner de la force à l'expreſſion; car au lieu d'augmenter ſa vigueur, on la dimi nue, & l'on ſe met dans la néceſſité d'employer ces violentes aſpirations que l'on entend du fond de la Salle, & qui font ſouffrir le ſpectateur. [] Chacun doit ſe ſervir de la voix que la nature lui a donnée, & ne ja mais chercher à lui ſubſtituer un ſon qui n'eſt pas le ſien propre. Je vais, Madame, expliquer par un exemple ce que j'entends par une voix con trefaite, & vous en faire connoître la méchanique. Quelques-uns veu lent ſe faire une groſſe voix, voici comme ils s'y prennent. Après avoir raſſemblé dans leur poitrine toute l'haleine qu'elle peut contenir, ils ont ſoin, en faiſant ſortir les ſons avec force, d'ouvrir extrêmement le goſier, d'élever le palais & de re tirer la langue plus en dedans qu'à
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l'ordinaire. Alors la bouche for mant un vuide, & les lévres ne pou vant parfaitement s'ouvrir, cela pro duit une eſpece de porte-voix qui groſſit le ſon de la parole. Quoique ce ſon de voix ait au premier abord quelque choſe de ſéduiſant, il eſt em prunté, & par conſéquent mauvais. Beaucoup de Chanteurs ont recours à cet artifice, & j'ai entendu des Mu- ſiciens qui en connoiſſoient le dé- faut, appeller cela des ſons voûtés, apparemment à cauſe de la voûte que forme le palais en ce moment- là. [] On fait encore plus mal en s'ef forçant d'imiter la voix perſonnelle d'un autre Acteur. L'imitation de ceux qui nous ont précédés eſt fu neſte. C'eſt d'abord un fort petit mé- rite de joüer comme un autre, & rien ne peut être digne de louanges que celui qui ſe montre original. Mais le
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plus grand mal eſt que nous ne pou vons jamais imiter que les défauts de notre modéle. J'ai vû deux mé- thodes de voix ſe ſuccéder à Paris, & toutes les deux avoient pris leur ſource dans l'imitation. [] La fameuſe Champmêlé, ſi bril lante du tems de Racine, avoit une voix ſonore & fort éclatante dans le haut. Les tons élevés lui étant fa vorables, elle les employoit avec ſuccès. Ses imitatrices que j'ai vû joüer dans ma jeuneſſe ne connoiſ- ſant peut-être d'autre beauté dans ſon jeu que les ſons brillans qui leur frappoient l'oreille, vouloient tou tes chanter auſſi haut, ce qui pro duiſoit des glapiſſemens affreux dans celles dont la voix n'étoit pas pro pre à cette façon de déclamer. La Lecouvreur a fait naître une manie re toute différente. La nature avoit donné à cette admirable Actrice une
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voix ſourde & d'une très-petite éten due. Ses talens ſupérieurs effaçant en elle un auſſi grand défaut, elle étoit attendriſſante au dernier point. Celles qui cherchoient à l'imiter s'i maginant que le touchant de la Le couvreur venoit de ſa voix ſourde, la copioient dans ce défaut. Elles af fectoient de prendre le ton le plus bas qu'elles pouvoient, & de gâter le ſon naturel de leur voix. Par-là on entendoit des femmes parler avec une voix d'homme, & cette voix n'étant pas ſoutenue par une poitrine aſſez forte, devenoit triſte & lugu bre, au lieu d'être flatteuſe & tou chante. [] Toutes ces voix d'imitation ſont très-défectueuſes. L'on eſt également déſagréable en parcourant trop ſou vent les ſons qui ſe trouvent de part ou d'autre à l'extrêmité de la voix; c'eſt le medium que l'on doit em-
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ployer ordinairement, parce qu'il en eſt la partie la plus belle & la plus ſonore. On peut en ſortir quelque fois, mais ce doit être avec modé- ration & dans les occaſions où cela devient abſolument néceſſaire. Sur tout point de voix empruntée, car elle ne ſçauroit avoir beaucoup d'é- tendue, & par conſéquent elle eſt privée de la variété des ſons qui ne provient que de l'éloignement qui peut ſe trouver entr'eux. [] Après avoir parlé des parties mé- chaniques du Théâtre, & qui ne ſont, pour ainſi dire, que les inſtru mens dont l'Acteur eſt obligé de ſe ſervir pour la repréſentation, il faut paſſer à celles qui forment le jeu, & qui ne dépendent que de l'entende ment.
(La Décla- mation.) [] Les anciens ne prenoient qu'en mauvaiſe part le mot de Déclama-
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tion, & ſon étymologie fait voir qu'ils n'appelloient Déclamateurs que ceux qui parloient en criant. Il faut prendre garde de nous tromper au vrai ſens de ce terme. Ce n'eſt point la force de la voix qui fait le cri, c'eſt la façon de porter le ſon, & ſur tout la fréquente rechute aux intervalles de même eſpece, c'eſt ce que j'expliquerai peu à peu dans la ſuite. Les Comédiens & les Ora teurs chez les Romains parloient avec beaucoup de force; ils étoient obligés d'élever ſans ceſſe la voix pour être entendus par une foule im menſe d'Auditeurs. Les Orateurs ſa crés ſont obligés d'en uſer de même, lorſqu'ils ſont dans un lieu vaſte; les Comédiens en Italie parlent beau coup plus haut qu'en France, parce que leurs Théâtres ſont plus grands: cependant tout cela ſe fait ſans dé- clamer. C'eſt la véhémence & la mo-
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notonie jointes enſemble, qui for ment la déclamation. Commencer bas, prononcer avec une lenteur af fectée, traîner les ſons en langueur ſans les varier, en élever un tout-à- coup aux demi-pauſes du ſens, & retourner promptement au ton d'où l'on eſt parti; dans les momens de paſſion, s'exprimer avec une force ſurabondante, ſans jamais quitter la même eſpece de modulation, voilà comme on déclame. Ce qui paroît le plus ſurprenant, c'eſt qu'une pareille façon de dire ſoit née en France & s'y ſoit toujours conſervée. La na tion du monde qui recherche le plus la grace, la douceur & l'aiſance, & qui a plus que toute autre le talent d'y réuſſir, eſt celle chez qui le Théâ- tre a de tous tems adopté la mono tonie, la peſanteur & l'affectation. Je ne prétends point ici faire la ſa tyre des Comédiens d'aujourd'hui,
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ils ont toujours été de même à Pa ris. Moliere a perdu ſes peines à les critiquer dans pluſieurs de ſes petites Piéces, & le Théâtre Italien à les parodier. Rien n'a jamais été capa ble de détruire un mal trop enraciné. C'eſt ici que les meilleurs Acteurs ſont obligés de ſe conformer au goût général, & depuis long tems établi; en dépit de ſoi-même on eſt forcé de ſuivre le torrent, & de contracter des défauts accrédités, ſans leſquels on riſqueroit de déplaire. [] Le célébre Baron, qui méritoit par bien des parties la grande répu tation dont il jouiſſoit, étoit le ſeul qui n'avoit point de déclamation. Il étoit pourtant le plus admiré, pour quoi n'a-t-on point cherché à le ſui vre? Il joüoit avec plus de force que perſonne, mais il n'étoit jamais forcé, auſſi le plus grand rôle tra gique le fatiguoit beaucoup moins
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qu'un rôle médiocre n'auroit fatigué tout autre. Mais ceux qui joüoient avec lui étoient déja trop formés avant qu'il parut; il n'étoit plus tems de chercher à ſe corriger. On dit que dans ſa jeuneſſe Baron avoit déclamé comme les autres. Dans une abſence de trente années il avoit perdu ſes premiéres habitudes, & les ſolides réflexions qu'il avoit fai tes ſur un art pour lequel il avoit reçu de la nature les plus grands avantages, ayant changé le fond de ſon jeu, il reparut plein de cette ſim plicité & de cette vérité dont il étoit un excellent modéle. Malheureuſe ment il ne pouvoit long tems durer, & cet admirable exemple a été trop tôt perdu pour les Comédiens. [] Venons au principe. Les Vers tra giques doivent être prononcés avec le ſon qu'exigent naturellement les penſées qu'ils renferment. Lorſqu'un
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Héros parle de choſes qui ne l'émeu vent point, pourquoi devroit-il af fecter un ſon de voix extraordinai re? Lorſqu'une Princeſſe n'eſt point agitée de paſſions, pourquoi faut-il qu'elle pleure? Cela arrive pourtant tous les jours. Eſt-il néceſſaire, pour dire noblement, de ne jamais s'éloi gner d'une monotonie choquante. Les Vers tragiques ont à la vérité une meſure uniforme, mais ils ne s'en chaînent pas toujours de la même maniere. Ce que l'on y dit change à chaque inſtant de penſée & de ſen timent, il faut donc à chaque mo ment changer de ton. Il eſt vrai que dans les morceaux tranquilles ces tons doivent être liés les uns aux au tres par des degrés imperceptibles; mais un ton toujours uniforme ne ſçauroit être approuvé. [] L'on a porté les fauſſes réflexions ſur la déclamation juſqu'au point de
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ſe faire là-deſſus les principes les plus déraiſonnables, en voici un. L'on croit qu'il faut toujours commencer une Tragédie à voix baſſe & ſans force de jeu, afin de ſe ménager les moyens de toujours augmenter l'ex preſſion juſqu'à la fin de la Piece. Sur ce principe j'ai vu des Acteurs com mencer la Tragédie de Mitridate, où Xifarès entre ſur la ſcène en déplo rant la mort de ſon pere qu'il vient d'apprendre, par débiter cette nou velle avec autant de ſang froid, que nous parlerions de la mort du grand Mogol ſi l'on venoit nous l'annon cer. La ſeule régle à ſuivre eſt celle que nous preſcrit le ſentiment que nous avons à rendre. Si l'Auteur a commencé ſa Tragédie par les diſ- cours d'un fils déſeſpéré d'avoir per du ſon pere, ce fils doit, en arrivant ſur la ſcène montrer la douleur la plus vive, & l'exprimer avec la plus
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grande force. L'Acteur doit rendre les choſes telles qu'elles ſont en quel que lieu de la Piece qu'elles ſoient placées. Tant pis pour l'Auteur s'il n'a pas eu l'habileté de porter le ſen timent plus loin dans la ſuite. [] Il eſt néceſſaire à préſent, Ma dame, que je vous faſſe obſerver une choſe eſſentielle. La mode de finir les phraſes par un ton qui en déſigne la terminaiſon, s'eſt preſque totale ment perduë. Tous les Vers ſe finiſ- ſent aujourd'hui par des ſons en l'air, & il ſemble que dans une Piece il n'y ait plus ni points ni virgules. Pour éviter ce défaut, je vais vous faire ſentir quel eſt l'enchaînement de ſons qui marque la terminaiſon du ſens. La diviſion des tons dans la parole a des intervalles beaucoup moindres que dans le chant; cepen dant une oreille délicate ſent la com paraiſon que l'on peut faire de ces
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deux eſpeces de diviſions. On doit marquer un point en parlant, com me l'on fait une cadence de baſſe dans la Muſique. La baſſe, pour ter miner un chant, forme en deſcendant une intonation de quinte, c'eſt-à- dire, qu'elle entone la quinte du ton, & de-là deſcend tout d'un coup à la note tonique. Ce doit être la même choſe dans la parole. Lorſque la voix entone en deſcendant un in intervalle aſſez éloigné pour reſſem bler à celui d'une quinte, l'oreille ſent que la phraſe eſt terminée. Mais lorſque le ſon de la derniere ſyllabe ſe trouve le même que celui des ſyl labes précédentes, ou qu'il monte au-deſſus des autres, le ſens demeure ſuſpendu, & le ſpectateur attend que l'Acteur continuë. C'eſt une atten tion très-néceſſaire que d'apprendre à faire un point; car c'eſt de-là que dépendent les changemens de ton,
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qui produiſent à l'oreille l'effet le plus agréable, & font ſentir la juſ- teſſe & la variété de l'expreſſion. [] On ne ſe ſeroit jamais imaginé que quelqu'un établît pour principe, que c'eſt une monotonie de finir toutes les phraſes à l'octave en bas. Sans m'embarraſſer du faux de l'expreſ- ſion, je ne m'attache qu'à la fauſſe té de l'idée. Croit-on que ce ne ſoit pas une monotonie de les finir tou tes en l'air? De ces deux uniformi tés ne doit - on pas choiſir celle qui eſt preſcrite par la nature, plûtôt que celle qui marque tout à la fois un manque de goût, d'oreille & de bon ſens? Je dis plus, une ſeule phra- ſe terminée ſans faire un point, eſt une faute inſupportable. Voilà com me l'on juge! On voit le Spectacle; on entend dire qu'un Acteur eſt bon, & l'on s'aveugle à tel point, que l'on prend tous ſes défauts pour des per-
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fections, qu'on les donne pour mo déle, & que l'on prétend en tirer des principes. Je dis que ces jugemens partent de l'oui-dire; car un ſpecta teur qui juge par connoiſſance, ſçait diſtinguer dans un ſujet qui mérite de plaire, quelles ſont ſes bonnes ou ſes mauvaiſes qualités.
(L'Intel- ligence.) [] Lorſqu'on veut faire l'éloge d'un Comédien, on affecte aujourd'hui de vanter ſon intelligence. En effet, il en faut une grande, non ſeulement pour bien rendre toutes les variétés des rôles différens que l'on jouë, mais encore pour faire ſentir tou tes celles qui ſe rencontrent dans une même Piece. Cependant nous voyons honorer ſouvent du nom d'intelligence ce qui n'eſt qu'une fa- çon groſſiére d'entendre ce que veu lent dire les mots de ſon rôle. C'eſt bien peu de choſe qu'une pareille in-
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telligence, c'eſt la moindre qualité que puiſſe avoir un Acteur; mais tous ne l'ont pas, ainſi l'on doit ſça voir gré à ceux chez qui elle ſe trou ve. Ce qui mérite vraiment le nom d'intelligence, eſt le premier talent du Théâtre. C'eſt elle qui fait ſeule les grands Comédiens, & ſans qui on ne peut jamais être tout au plus qu'un de ces médiocres ſujets, à qui de certains agrémens dans la figure ou dans la voix donnent quelquefois du brillant, mais dont le connoiſſeur ne peut être pleinement ſatisfait. Il ne ſuffit pas d'entendre les diſcours qu'un Auteur a mis dans notre bou che, & de ne pas les rendre à contre- ſens. Il faut concevoir à chaque in- ſtant le rapport que peut avoir ce que nous diſons avec le caractère de notre rôle, avec la ſituation où nous met la ſcène, & avec l'effet que ce la doit produire dans l'action totale.
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Cette façon d'entendre eſt ſi déli cate, que pour la détailler par le raiſonnement, elle exigeroit elle ſeule un très-long ouvrage; je vais me borner à quelques exemples, qui ſeront aſſez ſenſibles pour expliquer les différentes attentions qu'il faut réunir pour montrer une véritable intelligence. [] L'on a dans une ſcène à dire bon jour. Ce mot eſt bien ſimple, & tout le monde entend cela. Mais ce n'eſt pas aſſez d'entendre que c'eſt une politeſſe qui ſe fait aux gens qui arrivent ou que l'on aborde: il eſt mille façons de dire bon jour, ſui vant le caractère & la ſituation. Un amant dit bon jour à ſa maîtreſſe avec cette douceur & cette affection qui fait connoître ſes ſentimens pour celle qu'il ſaluë. Un pere le dit avec tendreſſe au fils qu'il aime, & avec une froideur mêlée de chagrin à ce-
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lui dont il eſt mécontent. Un avare même en diſant bon jour à ſon ami, doit ſe montrer occupé d'inquiétu des. Le jaloux marque une colere que la bienſéance empêche d'éclater, en ſaluant un jeune homme qu'il eſt forcé de recevoir contre ſon gré. Une Suivante dit bon jour d'un ton flateur & inſinuant à l'amant aimé de ſa maîtreſſe, & d'un ton bruſque au vieillard qui cherche à l'obtenir ſans ſon aveu. Le petit-Maître ſalüe avec une politeſſe affectée & mêlée d'un ton d'orgueil qui démontre que s'il veut bien vous ſaluer, c'eſt par bon té, & qu'à la rigueur il n'y ſeroit point obligé. L'homme dans la triſ- teſſe dit bon jour d'un ton affligé. Le Valet qui a fait un mauvais tour à ſon Maître, l'aborde avec un air qui cherche à montrer de l'aſſurance, mais au travers duquel on doit voir percer la crainte. Un fourbe ſaluë
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celui qu'il va duper, d'un ton qui doit inſpirer la confiance à l'objet de ſa trahiſon, & où le ſpectateur doit ap percevoir qu'il médite une fourberie. Il faudroit détailler tous les carac téres de l'humanité, & toutes les ſi tuations de la vie, ſi l'on vouloit ex pliquer les innombrables variétés qui peuvent ſe rencontrer dans l'expreſ- ſion d'un mot, qui paroît ſi ſimple à l'abord. Monſieur de la Torilliere, pere de celui qui eſt encore au Théâ- tre, étoit en cette partie l'Acteur le plus parfait que j'aye jamais enten du. Il ne croyoit pas qu'un ſeul mo noſillable fut inutile dans ſon rôle; un oui, un non dans ſa bouche mar quoit ſans ceſſe la ſituation & le ca ractère. J'ai vû depuis les mêmes choſes joüées par des Acteurs que l'on diſoit parfaitement intelligens, & qui étoient bien éloignés d'enten dre comme lui. C'eſt par cette intel-
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ligence, à qui rien n'échappe, que l'excellent Comédien eſt ſupérieur au lecteur, je dis même à l'homme d'eſprit. Car tous ceux à qui la na ture a donné de l'eſprit ſeroient en état de joüer la Comédie, ſi cette qualité entraînoit néceſſairement l'in telligence dont je parle. Mais nous avons trop d'expériences du contrai re, & avec beaucoup d'eſprit & d'é- ducation, nous avons vû pluſieurs Comédiens n'entendre jamais que l'écorce de leur rôle. Je ceſſerai de parler ſur une matiere inépuiſable; mais la connoiſſance des différens points que je traiterai dans la ſuite, pourra vous donner, Madame, la facilité de revenir de vous-même à celui que j'abandonne à préſent, & d'y faire des réflexions, qui peu à peu vous perſuaderont que tout l'art du Théâtre dépend de cette ſeule par tie.
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(L'Expres-sion.) [] L'on appelle expreſſion, l'adreſſe par laquelle on fait ſentir au Spec tateur tous les mouvemens dont on veut paroître pénétré. Je dis que l'on veut le paroître, & non pas que l'on eſt pénétré véritablement. Je vais à ce ſujet, Madame, vous dévoiler une de ces erreurs brillantes dont on s'eſt laiſſé ſéduire, & à laquelle un peu de charlataniſme de la part des Co médiens peut avoir beaucoup aidé. Lorſqu'un Acteur rend avec la force néceſſaire les ſentimens de ſon rôle, le Spectateur voit en lui la plus par faite image de la vérité. Un hom me qui ſeroit vraiment en pareille ſituation, ne s'exprimeroit pas d'une autre maniere, & c'eſt juſqu'à ce point qu'il faut porter l'illuſion pour bien joüer. Etonnés d'une ſi parfaite imitation du vrai, quelques-uns l'ont priſe pour la vérité même, & ont cru l'Acteur affecté du ſentiment
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qu'il repréſentoit. Ils l'ont accablé d'éloges, que l'Acteur méritoit, mais qui partoient d'une fauſſe idée, & le Comédien qui trouvoit ſon avantage à ne la point détruire, les a laiſſés dans l'erreur en appuyant leur avis. [] Bien loin que je me ſois jamais rendu à cet avis, qui eſt preſque gé- néralement reçû, il m'a toujours pa ru démontré que ſi l'on a le malheur de reſſentir véritablement ce que l'on doit exprimer, on eſt hors d'é- tat de joüer. Les ſentimens ſe ſuc cedent dans une ſcène avec une ra pidité qui n'eſt point dans la nature. La courte durée d'une Piece oblige à cette précipitation, qui en rappro chant les objets, donne à l'action Théâtrale toute la chaleur qui lui eſt néceſſaire. Si dans un endroit d'at tendriſſement vous vous laiſſez em porter au ſentiment de votre rôle,
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votre cœur ſe trouvera tout-à-coup ſerré, votre voix s'étouffera preſ- qu'entierement; s'il tombe une ſeule larme de vos yeux, des ſanglots in volontaires vous embarraſſeront le goſier, il vous ſera impoſſible de proférer un ſeul mot ſans des hoc quets ridicules. Si vous devez alors paſſer ſubitement à la plus grande colere, cela vous ſera-t-il poſſible? Non, ſans doute. Vous chercherez à vous remettre d'un état qui vous ôte la faculté de pourſuivre, un froid mortel s'emparera de tous vos ſens, & pendant quelques inſtans vous ne jouërez plus que machinalement. Que deviendra pour lors l'expreſ- ſion d'un ſentiment qui demande beaucoup plus de chaleur & de for ce que le premier? Quel horrible dérangement cela ne produira-t-il pas dans l'ordre des nuances que l'Acteur doit parcourir pour que ſes
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ſentimens paroiſſent liés & ſem blent naître les uns des autres? Examinons une occaſion différente qui fournira une démonſtration plus ſenſible, & contre laquelle les pré- jugés auront de la peine à combat tre. Un Acteur entre ſur la ſcène, les premiers mots qu'il entend, doi vent lui cauſer une ſurpriſe extrê- me, il ſaiſit la ſituation, & tout-à- coup ſon viſage, ſa figure & ſa voix marquent un étonnement dont le ſpectateur eſt frappé. Peut-il être vraiment étonné? Il ſçait par cœur ce qu'on va lui dire: Il arrive tout exprès pour qu'on le lui diſe *. 2
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[] L'Antiquité nous a conſervé un fait ſingulier, & qui ſembleroit pro pre à ſoutenir l'idée que je cherche à combattre. Un fameux Acteur tra gique, nommé Eſope, joüoit un jour les fureurs d'Oreſte. Dans le moment qu'il avoit l'épée à la main, un Eſclave deſtiné au ſervice du Théâtre, vint à traverſer la ſcè- ne, & ſe trouva malheureuſement à ſa rencontre. Eſope ne balança pas un inſtant à le tuer. Voilà un homme à ce qui paroît ſi pénétré de ſon rôle, qu'il reſſent juſqu'à la fureur. Mais pourquoi ne tua-t-il jamais aucun des Comédiens qui joüoient avec lui? C'eſt que la vie d'un Eſclave n'étoit rien, mais qu'il étoit obligé de reſpecter celle d'un Citoyen. Sa fureur n'étoit donc pas ſi vraye, puiſqu'elle laiſſoit à ſa rai- ſon toute la liberté du choix. Mais en Comédien habile il ſaiſit l'occa-
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ſion que le haſard lui préſentoit. Je ne dis pas qu'en joüant les morceaux de grande paſſion l'Acteur ne reſ- ſente une émotion très-vive, c'eſt même ce qu'il y a de plus fatiguant au Théâtre. Mais cette agitation vient des efforts qu'on eſt obligé de faire pour peindre une paſſion que l'on ne reſſent pas, ce qui donne au ſang un mouvement extraordinaire auquel le Comédien peut être lui- même trompé, s'il n'a pas examiné avec attention la véritable cauſe d'où cela provient. [] Il faut connoître parfaitement quels ſont les mouvemens de la na ture dans les autres, & demeurer toujours aſſez le maître de ſon ame pour la faire à ſon gré reſſembler à celle d'autrui. Voilà le grand art. Voilà d'où naît cette parfaite illuſion à laquelle les ſpectateurs ne peuvent ſe refuſer, & qui les entraîne en dé- pit d'eux.
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[] Il faut que l'expreſſion ſoit natu relle; cependant on croit aſſez com munément qu'on ne doit pas s'en te nir aux bornes exactes de la nature. Elles feroient, dit-on, peu d'effet, & ne produiroient qu'un jeu froid. Mon pere a coutume de dire, que pour être frappant, il faut aller deux doigts au-delà du naturel; mais que ſi l'on paſſe cette meſure d'une ligne, on eſt ſur le champ outré & déſa gréable. Cette façon de parler ex plique à merveille le danger où l'Ac teur eſt continuellement d'exprimer ou trop ou trop peu. Examinons ce pendant ſi l'on ne pourroit pas trou ver dans la nature, des modéles, qui parfaitement ſuivis, donneroient l'extrême vérité accompagnée de la vigueur néceſſaire. Obſervons le monde: je ne dis pas ſeulement ce monde choiſi qui ſe pique du bel air; je dis le monde en général, & plû-
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tôt les petits que les grands. Ceux- ci accoutumés par l'uſage & la po liteſſe à ne ſe point laiſſer entraîner au premier mouvement en préſence d'autrui, peuvent fournir peu d'e xemples de l'expreſſion vive. Mais les hommes d'un rang moins élevé, qui s'abandonnent plus aiſément aux impreſſions qu'ils reçoivent, le peu ple qui ne ſçait point contraindre ſes ſentimens, ce ſont-là les vrais modéles de la forte expreſſion. C'eſt chez eux que l'on peut voir l'acca blement de la douleur, l'abaiſſement d'un ſuppliant, l'orgueil mépriſant du vainqueur, la fureur portée à l'excès. C'eſt-là qu'on trouve plus que par tout ailleurs les exemples du grand tragique. Ajoutons-y ſeu lement un vernis de politeſſe, & tout ſera parfait. En un mot il faut ex primer comme le peuple, & ſe pré- ſenter comme les grands.
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[] On ne doit jamais outrer l'expreſ- ſion; c'eſt une régle inconteſtable. Mais il faut ſe mettre dans l'eſprit que l'outré ne vient jamais de la trop grande force du ſentiment; ce ſont les acceſſoires qui la gâtent, je veux dire la méchanique du geſte & de la voix. Si pour donner une expreſ- ſion forte on fait un geſte violent après avoir montré que l'on s'y pré- paroit, ſi l'on s'arrête enſuite dans une poſition forcée, ſi l'on donne à ſa voix une ſecouſſe trop forte & trop allongée, & ſi l'on fait éclater un ſon trop éloigné des autres, alors on eſt outré. C'eſt l'apprêt & la peſan teur qui font les Comédiens forcés. Plus un mouvement eſt vif, moins il faut y reſter: par-là on imite la nature qui n'a pas la force de ſoute nir long tems les ſituations qui la contraignent.
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[] Les mouvemens qui naiſſent dans(Le Sen- timent.) l'ame avec le plus de promptitude, ſans le ſecours de la réflexion, & qui dès le premier inſtant nous dé- terminent preſque malgré nous, ſont les ſeuls qui devroient porter le nom de ſentimens. Il y en a deux qui ſont dominans, & que l'on peut regar der comme les ſources de tous les au tres, je veux dire l'amour & la co lere. [] Tout ce qui ne part pas de l'une de ces deux ſources, eſt d'une autre eſpece. Par exemple, la joye, la triſteſſe, la crainte ſont de ſimples impreſſions. L'ambition, l'avarice ſont des paſſions réfléchies. Mais la pitié eſt un ſentiment qui naît de l'amour; la haine & le mépris ſont les enfans de la colere. [] Cette diſtinction, que vous trou verez peut-être, Madame, un peu trop métaphyſique, étoit néceſſaire
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pour vous faire ſentir la raiſon qui m'a déterminé à ranger tous les ſen timens en deux ſeules claſſes. Les uns ſont tendres, les autres ſont forts. Les premiers reçoivent de l'amour leur caractère principal, les ſeconds ſont toujours plus ou moins accom pagnés de colere.
(La Ten- dresse.) [] Les momens attendriſſans ſont ceux qu'on appelle d'ordinaire le ſentiment. Ce terme eſt trop géné- ral, & je me ſervirai de celui de ten dreſſe, qui me paroît plus conve nable & plus poſitif. C'eſt ici la par tie de l'expreſſion qui demande le plus de douceur & de fineſſe. Il faut bien ſe garder de l'employer mal-à- propos, & de croire, comme il ar rive à quelques perſonnes, que l'on eſt ſans ceſſe obligé d'attendrir quand on eſt chargé d'un rôle tendre. Si un pareil rôle a des momens de tran-
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quillité ou de joye, il eſt ridicule de les dire d'un ton pleureur. Je ne dis pas qu'il faille rire à éclats lorſqu'on ne reſſent que cette joye douce qui ſe trouve dans des perſonnages éle vés, & dans des inſtans de nobleſſe; mais il faut que la voix & le viſa ge montrent de la gayeté. L'on s'i magine mal-à-propos qu'un air ſe rain deshonoreroit la Tragédie. La voix étouffée & la déclamation triſ- te s'oppoſent au vrai dans ces occa- ſions, & nous ne voyons que trop d'exemples de ce défaut. [] Lorſque la ſcène oblige à prendre le ton attendriſſant, il faut bien ſen tir de quelle eſpece eſt cette tendreſſe que l'on doit exprimer. La tendreſſe d'une mere pour ſa fille, d'un ſujet fidéle pour ſon Roi, ou d'un amant pour ſa maîtreſſe, ont toutes un ca ractère différent, & chacune a ſa maniere d'être repréſentée. Le bon
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ſens fait aiſément concevoir ce prin cipe. Mais il faut beaucoup de fineſ- ſe pour bien diſtinguer les différen ces d'un ſentiment, qui au premier abord ſemble être par tout le même. Je ne ſçaurois m'engager à détailler tous les tons dont un même ſenti ment eſt ſuſceptible. Je laiſſe aux ames ſenſibles le ſoin de les apperce voir d'elles-mêmes. Tout ce que je puis vous faire obſerver, Madame, c'eſt que la tendreſſe n'eſt preſque ja mais au Théâtre un mouvement uni que, & qu'elle eſt pour l'ordinaire accompagnée de quelqu'autre qui doit caractériſer la ſituation, & ſer vir de guide à l'Acteur dans la ma niere dont il doit ſe montrer atten dri. Tantôt c'eſt de la crainte pour l'objet qu'on aime, tantôt c'eſt l'in quiétude de le perdre, ou la douleur de s'en voir ſéparé. Quelquefois c'eſt le déſeſpoir de ne pouvoir lui plaire,
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ou la pitié pour ſa triſte ſituation. Ce peut être le remords d'un amour illégitime, la colere d'un abus de confiance, colere d'autant plus vive, qu'elle ne détruit pas encore la ten dreſſe, & mille autres que vous re marquerez aiſément ſi vous avez de vant les yeux la régle que je viens de vous donner. Dans les momens où l'on exprime une tendreſſe d'a mour, il faut bien ſe garder de la trop grande force dans l'expreſſion, car elle devient indécente, ſur tout dans les femmes. Il faut éviter les cris, car ils détruiſent le caractère de la tendreſſe, qui eſt une paſſion douce. Ce ſentiment eſt celui que les Acteurs médiocres rendent ordinai rement aſſez bien, pourvû qu'ils ne tombent pas dans la fadeur. On ne doit ſe charger de cet emploi que lorſqu'on a une voix flatteuſe & un viſage intéreſſant; car des yeux durs
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& une voix rude s'oppoſent à une expreſſion qui doit être délicate.
( [] La Force.) L'emportement eſt plus difficile & ſe trouve rarement bien rendu, parce qu'il exige dans le jeu autant de modération que de vigueur. L'homme qu'une violente paſſion tranſporte, n'a pas tout-à-fait perdu le ſens, il eſt encore en état de re fléchir, & une façon de joüer trop violente montre de la folie. Il eſt des ménagemens à garder ſuivant l'occaſion. Si l'on parle à une fem me, il faut conſerver, autant qu'il eſt poſſible, le reſpect qu'on lui doit, même en lui diſant les choſes les plus choquantes. C'eſt un je ne ſçai quoi que l'homme bien né ſent à merveille, & qu'il ſeroit mal aiſé de définir. Si un homme eſt notre inférieur, nous nous rendons mépri- ſables en pouſſant trop loin l'inſulte,
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parce qu'il n'eſt point en ſituation d'en tirer vengeance. S'il eſt notre ſupérieur avec quelque hardieſſe que nous ayons à lui parler, ne le met tons jamais dans la néceſſité de fe compromettre ou de tomber dans l'aviliſſement en ſouffrant patiem ment ce qu'un homme ne ſçauroit endurer: car il ne ſuffit pas de joüer pour ſoi, il faut ſans ceſſe joüer pour les autres. Voilà ce qu'on n'obſerve gueres, & c'eſt dans les cas dont je viens de parler que le poing fermé produit de mauvais effets.
[] Il eſt des ſituations rares à la vé-(La Fureur.) rité, mais frappantes, pour leſquel les on ne ſçauroit preſque donner de régles, parce que le bien & le mal joüer dépendent de ſi peu de choſes qu'il eſt plus aiſé de le ſentir que d'en rendre compte. C'eſt lorſque le perſonnage ſe trouve tranſporté hors
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de la nature & au-deſſus de l'huma nité. Telles ſont les ſcènes de fu reur. L'Acteur dans ces momens ne doit garder aucune meſure ni obſer ver aucune place ſur la ſcène. Les mouvemens de ſon corps doivent montrer une force ſupérieure à tous ceux qui l'environnent. Ses regards doivent s'enflâmer & peindre l'éga rement. Sa voix doit être quelque fois tonante & quelquefois étouffée, mais toujours ſoutenuë d'une extrê- me vigueur de poitrine. Sur tout il doit beaucoup marcher & beaucoup ſe mouvoir; ce n'eſt point en éten dant les bras & en tremblant ſur ſes pieds que l'on montre le tableau d'un furieux. Il eſt aiſé en cherchant à bien joüer les fureurs, de tomber dans le ridicule, & ce ne ſont point là des occaſions propres à tout le monde. Sur tout il faut bien remar quer que toutes les fureurs ne ſont
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pas de la même eſpéce. Celles d'O reſte dans Andromaque ſont l'effet d'un amour déſeſpéré. Dans Electre la douleur d'un crime involontaire. Dans Œdipe c'eſt l'horreur de ſe voir l'objet de la colere céleſte, & l'aſſemblage de tous les crimes ſans avoir pû l'éviter. Dans Herode c'eſt l'accablement d'un époux qui a fait périr celle qu'il adoroit, & la honte d'une paſſion mépriſable. Toutes ces fureurs ont des caractères différens, & l'on doit, en les joüant, mettre toujours devant les yeux du Specta teur le ſentiment qui en eſt la ſource.
[] La Prophétie de Joad eſt moins(L'Entou siasme.) pénible, mais infiniment plus diffi cile, parce qu'elle exige plus de grandeur & plus de varieté. Joad animé de l'eſprit divin, doit ſe mon trer rempli d'une majeſté qui lui eſt étrangere. Il voit confuſément l'a-
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venir qui peu à peu ſe développe à ſes yeux. Lorſqu'il reproche au peu ple Juif les crimes dont il s'eſt ſouil lé, ce n'eſt point l'homme, c'eſt Dieu qui parle. Enſuite les calami tés de ſa nation lui arrachent des larmes, & l'humanité ſe laiſſe voir. Enfin le Prophête rempli d'une ſain te joye prévoit la venuë du Meſſie, & l'annonce à toute la terre. Quelle difficulté! de rendre ces différentes expreſſions avec une force ſurnatu relle ſans jamais s'emporter, & de paroître toujours preſſé par une puiſ- ſance divine qui nous contraint à parler malgré nous. Mais il faut bien ſe garder de joüer les fureurs de la Pythoniſſe au lieu de l'entouſiaſme du Prophête; c'eſt ce que l'on voit ar river quelquefois. Il faut être formé par la nature pour atteindre à la per fection dans des morceaux de cette eſpece, & l'art n'y parviendra ja-
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mais s'il n'eſt ſoutenu de tous les talens naturels.
[] C'eſt ici le lieu convenable pour(La No- blesse.) expliquer d'où naiſſent dans la re préſentation ces deux parties ſi ra res, la Nobleſſe & la Majeſté. Il ſemble qu'on ne reçoive ces qualités que de la ſeule nature, & que l'art ou la réflexion n'y puiſſe avoir aucune part. L'expérience paroît confirmer cette opinion. Les hom mes de la plus belle figure ſont quel quefois privés de toute nobleſſe. D'un autre côté je me ſouviens d'a voir vû joüer un rôle de petit-Maî- tre fort noblement par un particu lier, dont la figure étoit ſi peu ré- guliere, que les habits les plus adroi tement garnis ne pouvoient cacher le défaut de ſa taille. D'où vient donc la nobleſſe? De la perfection du geſte plus que de toute autre
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choſe. Si un Acteur a les mouve mens faciles & ſans apprêt, ſon jeu eſt noble. C'eſt l'aiſance dans la dé- marche, la ſimplicité dans la con tenance, la douceur & le développé dans les bras qui donnent cette qua lité ſi deſirée. Lorſque nous ne mon trons aucune attention à notre figu re & que le Spectateur croit ne voir travailler que notre ame, la nobleſſe eſt à ſon plus haut point.
(La Ma- jesté.) [] Pour ce qui eſt de la majeſté, elle va beaucoup plus loin, & nous la voyons plus rarement. C'eſt à pro prement parler la nobleſſe portée à un degré au - deſſus de l'ordinaire. L'air impoſant eſt un préſent de la nature, mais lui ſeul ne ſuffit pas encore pour montrer de la majeſté. Il faut y joindre une autre qualité qui dépend de la réflexion, & qui fait plus que les dons naturels. L'Ac-
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teur qui ſentira combien ſa poſition le met au-deſſus de tous ceux qui l'environnent, & qui aura ſoin de le faire ſentir de même au Specta teur, ſera ſûrement majeſtueux. Lorſ- qu'un Roi parle avec bonté à un Sujet, dont le zèle lui eſt cher, il faut qu'en exprimant toute l'amitié qu'il reſſent pour lui, ſes actions ré- ſervées faſſent voir que ſa grandeur l'empêche de deſcendre à ces fami liarités que l'on auroit avec ſon égal. S'il commande, que ce ſoit avec l'aſ- ſurance d'un Souverain à qui l'on ne peut déſobéïr. Si par haſard un audacieux le porte juſqu'à la co lere, il faut que cette paſſion ſoit réprimée par la raiſon & vaincue par le mépris dans un homme trop grand pour ſe croire inſulté. Enfin celui qui ſent ſa place eſt ſûrement majeſtueux. C'eſt ici que l'habitude avec les Grands peut être infiniment
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utile. Je penſe même qu'il faut avoir une certaine élévation dans l'ame pour peindre la grandeur d'une ma niere convenable. Car ſi l'on paſſe les bornes de la vérité dans les en droits où l'on veut être majeſtueux, on ne parvient qu'à ſe rendre ridi cule. Un homme ne paroît jamais ſi petit que lorſqu'on le voit ſur des échâſſes.
(La Co- medie.) [] Il ſemble que juſqu'ici je n'aye parlé que du Tragique. Mais je ne doute pas, Madame, que vous ne voyez combien tout ce que j'ai dit eſt convenable au Comique autant qu'à la Tragédie. Ces deux eſpéces de repréſentations ſe reſſemblent par mille endroits. L'on ne met point de plaiſant dans la Tragédie, mais les plus grands mouvemens du tragique ſont du reſſort de la Comédie. Tou tes les paſſions, toutes les ſituations
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lui ſont propres, & le ſentiment y peut être porté au plus haut degré. La Comédie a ſouvent des perſon nages nobles, il eſt chez elle des inſtans où la majeſté même eſt né- ceſſaire. La ſeule différence que l'on puiſſe mettre entre l'un & l'autre genre, c'eſt que la Comédie par court tous les tons, & que la Tra gédie ſe reſtraint à un plus petit nombre. On ſeroit plus aiſément convaincu de ce que j'avance, ſi l'on avoit coutume de voir joüer le tra gique ſans outrer la voix & le geſte.
[] Venons donc à la Comédie en(Les Amans) particulier, c'eſt-à-dire, aux points qui lui appartiennent uniquement. Parlons de l'art d'inſpirer la joye. C'eſt ce qu'il y a de plus difficile au Théâtre. Je ne parle ici que des per- ſonnages nobles du comique, c'eſt- à-dire, ceux qui ſont obligés de
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faire rire ſans grimace & ſans baſ- ſeſſe. [] A moins qu'on ne ſoit agité d'une violente paſſion, auquel cas on eſt du ton tragique, on doit dans la Comédie avoir un air joyeux & tranquille. Un viſage content diſ- poſe le Spectateur à rire dans la ſuite. Les Acteurs comiques ne doivent parvenir à la triſteſſe, lorſqu'elle de vient indiſpenſable, que lentement, par degrés & comme des gens qui s'y refuſent. Si leur rôle ne doit pas fai re rire, il ne faut pas qu'ils s'oppo- ſent par un air ſombre ou ennuyé à l'impreſſion comique, qui peut naî- tre des perſonnages avec leſquels ils ſont en ſcène. Mais ſi eux - mêmes ont à dire des choſes riſibles, ils doivent employer tout leur art pour ne rien ôter à l'expreſſion ſans rien perdre de la nobleſſe. Voilà ce qui convient aux rôles d'Amant, ce ſont
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ceux que l'on doit joüer tant qu'on eſt jeune, parce qu'ils ne ſont pas de la plus grande difficulté, & qu'ils habituent le Comédien à cet air aiſé qui caractériſe l'homme du monde.
[] Lorſqu'on a perdu cette premiére(Les Carac- teres.) fraîcheur qui ſied ſi bien à l'amour, & que l'habitude nous a donné de l'aſſurance dans le jeu, nous devons paſſer à un emploi plus important, & le plus difficile du Théâtre, ce ſont les rôles de caractère. Plus un rôle eſt marqué, plus il eſt mal aiſé de le bien rendre. On peut, en li- ſant, apprendre comment penſent les hommes ſuivant leurs différens caractères, mais ce n'eſt qu'en les voyant que l'on peut connoître la maniére dont ils expriment leurs penſées. Il faut, pour ſe former en ce genre, beaucoup d'étude du mon de. Il faut encore être doüé du ta-
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lent d'imiter aiſément ce que l'on voit en autrui. Le caractère influë ſi fort ſur toute la perſonne, qu'il don ne à celui qui en eſt dominé, une phyſionomie particuliere, une con tenance qui lui eſt propre, un geſte dont ſa façon de penſer a formé chez lui l'habitude, une voix ſur tout dont le ton ne ſçauroit convenir à un caractère différent. Ce ſont des obſervations bien délicates, & pour leſquelles il faut avoir le coup d'œil fin & juſte. Je dis que chaque carac tère a une voix particuliere; c'eſt un des plus ſûrs moyens de le marquer dans ſa plus grande perfection. La timidité donne une voix foible & entrecoupée, la fatuité a le ton do minant & d'une aſſurance choquan te, I'homme groſſier a la voix plei ne & l'articulation lourde; l'avare qui paſſe la nuit à compter ſon or doit avoir la voix rauque. Tous les
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autres caractères ſont à peu près dans le même cas, & ils exigent chacun un ton de voix qui leur con vienne uniquement. [] Il ne faut jamais perdre de vûë le caractère de ſon rôle. Quoique nous ayons à dire les choſes les plus indifférentes, nous devons ſonger à ne jamais les dire comme pourroit faire celui qui ne repréſente pas le même caractère que nous. Par-là on ſoutient bien ſon perſonnage, & quelquefois on le fait briller dans les momens où l'Auteur ſembleroit l'avoir oublié. Une continuelle at tention à la ſcène eſt la qualité la plus avantageuſe que puiſſe avoir un Acteur. Elle rend ſon jeu ſi plein & ſi lié, qu'elle ſeule ſoutenuë d'une médiocre intelligence, a fait quel quefois une grande réputation à des Comédiens très - défectueux d'ail leurs. La diſtraction au contraire eſt
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eſt un ſi grand défaut, que le ſeul air déſoccupé rend un Acteur inſup portable. [] Ce que je viens de dire ſur les rôles de caractère vous doit faire ju ger, Madame, que pour tenir cet emploi, il faut avoir un talent par ticulier. Il n'eſt pas donné à tout le monde de pouvoir ſe métamorpho- ſer & de changer de contenance, de voix & de phiſionomie toutes les fois qu'on change d'habit. Il ne ſuf fit pas en ce genre de n'exprimer que foiblement. Il faut dans les ca ractères n'employer que des traits décidés & fermes, ce qu'on ne fait pas aiſément lorſqu'on ne veut point outrer la nature. C'eſt quelque cho- ſe de plus étonnant qu'on ne penſe, que les Acteurs, qui pour peu qu'ils ayent de raiſon, tremblent en met tant le pied ſur la ſcène, puiſſent prendre aſſez ſur eux pour montrer
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toute l'audace dont il faut ſe revêtir en pareille occaſion. Le genre dont je viens de parler s'appelle le haut Comique, parce qu'il réunit à la fois le plaiſant & la nobleſſe.
[] Les Valets, les Payſans, les Vieil-(Le bas Co- mique.) lards ridicules, les Niais & ces per- ſonnages bouffons qui ne s'em ployent ordinairement que dans des ſcènes épiſodiques, compoſent le comique de la ſeconde claſſe. Il n'eſt pas néceſſaire de dire combien ces emplois ſont plus faciles à remplir que ceux dont je viens de parler. Tout le monde le voit & en con vient. La raiſon en eſt ſimple. Moins on eſt obligé d'avoir de nobleſſe & de grace dans la figure, de juſteſſe & de flexibilité dans la voix, plus le jeu devient facile. Ce ſont même des qualités dont il faut ſe défaire quand on jouë le bas Comique. Un
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Vieillard doit être campé en hom me dont les jambes ont peine à le porter, ſa voix ne doit pas être pleine & ſonore, ſon geſte doit être lent, foible & peu développé: car les bras d'un homme dont l'âge a courbé le dos & rapproché les épau les, ont de la peine à s'élever. Le Valet plus jeune & plus alerte doit montrer plus de vigueur, mais non pas plus de grace, & toute ſa per- ſonne doit ſe ſentir du manque d'é- ducation. Le Payſan eſt encore plus groſſier & plus lourd. Sa voix doit être plus dure & ſa maniere de geſ- ticuler doit peindre la ruſticité de ſon état. Vous me demanderez peut- être ſi pour être approuvés ces Ac teurs doivent ſe rendre diſgracieux. Je répondrai à cette queſtion, en fixant les bornes dans leſquelles ils doivent ſe renfermer. L'Acteur du bas Comique doit s'éloigner de tou-
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tes les parties de la bonne grace que l'on peut acquerir par l'éducation & l'uſage du monde. Il ne doit tout au plus montrer que ce qu'on nomme une bonne façon naturelle. Il ne doit pas non plus pour s'éloigner des mouvemens gracieux, qui ne s'em ployent que dans les rôles nobles, prendre des geſtes rompus & con tortionés, ni affecter de ces tournu res outrées de corps & d'épaules que la nature ne peut donner à perſon ne, & qui n'ont pris leur ſource que dans la mauvaiſe plaiſanterie des pa rades. Il ne doit jamais deſcendre juſqu'à un degré de baſſeſſe qui l'avi liſſe trop aux yeux des Spectateurs; mais il doit bien ſe garder d'être no ble. Un de ces Sophiſtes à la mode, pourroit dire que les caractères les plus bas ont leur eſpéce de grace & de nobleſſe; mais ce ne ſont que des mots dont on ſent la futilité, quand
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on examine les choſes de près. Je ne puis m'empêcher de blâmer un uſage que j'ai vû conſtamment pratiqué ſur tous les Théâtres du monde. Lorſqu'un Valet ſe dé- guiſe pour paroître un homme de condition, on le voit venir avec un habit fait exprès pour être extrava gant, & dont le pareil ne ſe trou veroit pas dans le Royaume. Cet uſa ge eſt bien contraire au bon ſens. Or dinairement il eſt ſuppoſé avoir pris un habit de ſon Maître; ſouvent c'eſt le Maître même qui le lui don ne, & lui commande de prendre ce déguiſement; aſſûrément ce Maî- tre a des habits comme on les por te, & le Vallet lui-même ſçait com me les gens du bon air s'habillent. Je conſens qu'il ſoit embarraſſé dans un habit dont l'éclat eſt extraordi naire pour lui, mais l'habit doit être riche & noble; & ſi l'Acteur ſçait
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être vraiment Comique, le con traſte de ſon habillement & de ſon jeu le ſervira bien mieux qu'un atti rail ridicule & déplacé. A l'égard de ces rôles outrés, dont on ne fait uſage qu'en paſſant & rarement, il eſt inutile de donner aucun précepte pour les bien joüer. On peut voir les originaux de leur figure dans les deſſeins groteſques du Callot, & les employer comme on le jugera con venable. Il ſe trouve des Spectateurs à qui ce genre fait plaiſir.
[] Les rôles comiques des femmes(Les Femmes.) doivent ſe jouer ſuivant les mêmes principes que ceux des hommes; à cela près que le naturel de la femme a plus de douceur & de gentilleſſe. On ſuit encore aſſez les bons princi pes aujourd'hui, pour les rôles de Vieille & de Payſanne. Mais je ne puis aſſez me plaindre de l'obſtina-
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tion avec laquelle on s'efforce de puis long - tems de donner de la no bleſſe aux Soubrettes. Leur façon de joüer eſt devenue à peu près celle d'une amoureuſe gaye, & cela me paroît contraire au naturel. Il eſt vrai que les Auteurs Comiques de nos jours n'ont pas peu contribué à ce defaut. Une Suivante voit le monde qui vient chez ſa Maîtreſſe, mais elle ne vit point avec lui. Elle peut en avoir quelque connoiſſance, mais elle n'en a point d'uſage. Le caractère de ſon eſprit eſt d'avoir plus de malice que de fineſſe; & les penſées les plus déliées doivent être exprimées dans ſon jeu avec toute la force de quelqu'un, qui eſt capa ble de les concevoir, mais non pas avec l'agrément d'une perſonne ac coûtumée à la converſation brillan te. On voit peu d'Actrices ſe main tenir dans ces limites. La plûpart
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même s'habillent d'une maniere peu convenable à leur rôle. Celles qui joüoient dans ma jeuneſſe ſçavoient mieux ſe caractériſer. L'envie de briller a tout changé. Maintenant l'habit de la Soubrette eſt quelque fois plus brillant que celui de ſa Maîtreſſe, ſes oreilles ſont chargées de diamans, & l'on voit dans ſon jeu autant de pompons que ſur ſa jupe.
[] Je me vois à préſent dans l'obli-(Le Plai- sant.) gation de chercher d'où naît le Plai- ſant. C'eſt un point fort délicat, on s'y trompe ſouvent; & ſi le goût na turelne retient un Acteur dans le vrai chemin, il révolte au lieu de faire rire. Il faut remarquer qu'un Comi que doit être plaiſant, non-ſeule ment lorſqu'il eſt dans une ſituation agréable & qu'il dit des choſes gayes, mais qu'il eſt encore obligé de faire
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rire quand il eſt dans une ſituation triſte, & qu'il parle de choſes affli geantes. Dans les momens de joye, un viſage gai & une façon de dire naturelle, ſuffiſent pour ſoutenir la plaiſanterie. Mais dans les momens de triſteſſe comment faut-il s'y pren dre pour faire rire? Il faut ſe garder de mêler au ſentiment douloureux dont on eſt affecté, aucun de ces traits qui élévent l'ame, & font en même tems eſtimer & plaindre celui que l'on voit dans le malheur. Dans un rôle ſérieux, la crainte, par exemple, doit être ſoutenue de cette fermeté, qui montrant un homme capable de ſupporter courageuſe ment l'infortune, fait reſpecter la force de ſes ſentimens. Dans un Co mique au contraire, il faut y join dre l'expreſſion de cette lâcheté qui avilit le malheureux, & nous fait ri re de ſon déſaſtre. Car il faut pren-
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dre garde de s'y tromper; ce n'eſt point du malheur que nous pouvons ni rire ni pleurer, lorſqu'il nous eſt étranger. L'un ou l'autre de ces ſen timens naît en nous de la maniere dont nous voyons ſupporter l'acci dent qu'on nous préſente. Portons cette réflexion dans toutes les ſitua tions, & nous ſentirons la différence de l'expreſſion ſérieuſe ou comique, dans le même cas. [] Il eſt encore une ſource de Plai- ſant qui ne manque jamais. C'eſt le Sérieux déplacé. Cette méthode bien employée fait d'autant plus d'impreſſion, qu'elle nous préſente l'image d'un ridicule aſſez commun. En voyant un perſonnage pour le quel nous avons peu d'eſtime, & quelquefois du mépris, ſe croire ex trêmement important & prendre le ton ſupérieur, nous rions du faux de ſes idées & de la grande attention
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qu'il veut que nous prêtions à des petiteſſes, de cette diſparate naît le genre que l'on appelle rôles à man teau. C'eſt-là qu'il faut joüer com me un Tragique, pour être tout-à- fait Plaiſant. Mais il eſt néceſſaire que l'Acteur conſerve dans ſa voix & dans ſon geſte une déſunion, qui l'empêche d'être noble. Voilà la vé- ritable occaſion d'employer la gra vité de Scaramouche, dont parle Racine dans la Préface des Plaideurs. Le rôle à manteau eſt de tous ceux du bas Comique, celui où l'on réuſ- ſit le moins aiſément. L'on pourroit même le mettre dans la claſſe du haut Comique, attendu ſon mérite & ſa difficulté. [] Le Comédien doit ſur tout obſer ver que plus ce qu'il vient de dire eſt plaiſant, moins il doit prendre part à la plaiſanterie. C'eſt un grand dé- faut & preſqu'inſupportable, de rire
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ſoi-même quand on fait rire les au tres, parce que cette faute détruit l'illuſion.
[] La partie la plus eſtimable dans(Le Jeu muet.) un Comédien, c'eſt le Jeu muet; peu de gens le poſſédent bien. Il faut que toutes les paſſions, tous les mou vemens de l'ame, tous les change mens de la penſée ſe peignent ſur le viſage de l'Acteur, s'il veut porter chez les Spectateurs cet intérêt vif, qui les attache au Théâtre. [] Pour arriver à ce degré d'expreſ- ſion, il eſt avantageux d'avoir reçu de la nature des traits marqués, & dont les mouvemens ſe faſſent aiſé- ment diſtinguer. Il faut que ces traits prennent à chaque inſtant le caractè- re de deſſein qui leur convient pour le moment, & que ce caractère ne ſoit jamais aſſez forcé pour devenir une grimace. Ce défaut eſt très-
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commun, parce que tout le monde cherche à joüer de viſage, & tous les Acteurs n'ont pas ce talent. Il eſt cependant facile de ne pas grimacer, & la douceur des mouvemens du vi- ſage dépend d'une habitude pure ment méchanique. Le haut du viſa ge doit joüer ſans ceſſe; la bouche & le menton ne doivent ſe mouvoir que pour articuler. On dit avec rai- ſon que les yeux ſont le miroir de l'ame. C'eſt chez eux que doivent ſe peindre tous les mouvemens inté- rieurs, auſſi faut-il les avoir d'une couleur marquée, & d'une vivacité qui s'apperçoive de loin, pour joüer du viſage d'une façon ſenſible. Les mouvemens du front aident beau coup celui des yeux. Un Acteur doit acquérir à force d'exercice la fa cilité de rider ſon front en élevant le ſourcil, & de froncer l'entre-deux des ſourcils en les abbaiſſant forte-
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ment. C'eſt le front ridé & le ſour cil froncé à différens degrés, & les yeux ouverts en rond ou en long, qui marquent les différentes expreſ- ſions. La partie des jouës qui eſt po- ſitivement ſous les yeux, peut auſſi en s'élevant & s'abaiſſant y contri buer un peu; mais il faut être mo déré dans le mouvement de cette par tie, qui devient aiſément forcée. Pour la bouche, elle ne doit prendre de mouvement que pour rire; car ceux qui dans les momens d'afflic tion baiſſent les deux coins de la bou che pour pleurer, montrent un viſa ge fort laid, & fort ignoble. Tou tes ces façons d'exprimer doivent s'employer en parlant; cependant je n'en fais mention que dans l'article du Jeu muet, parce qu'elles y tien nent la plus grande place, & qu'el les en forment la plus grande beau té. Le corps agit auſſi dans ces occa-
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ſions, & contribue à l'expreſſion au tant que le viſage; mais il faut beau coup modérer ſes mouvemens dans le Jeu muet. Non-ſeulement des geſ- tes trop marqués & trop fréquents, ſont ridicules dans l'Acteur qui ne parle pas; mais ils peuvent faire tort à l'attention du Spectateur pour ce lui qui parle, ce qui nuit au cours de la Scène; c'eſt l'attention la plus néceſ- ſaire dans ces occaſions. On ne doit point paroître inſenſible à ce que l'on entend dire, ſur tout ſi la choſe eſt de nature à nous intéreſſer; mais on ne doit jamais oublier que l'Ac teur qui parle eſt celui qui pour lors domine ſur la Scène, & que ceux qui l'écoutent n'y ſont que ſubalter nes, quelqu'important que ſoit le ca ractère qu'ils repréſentent. On voit beaucoup de Comédiens pécher con tre ce principe ſur tout ceux qui joüent les rôles du bas Comique. L'envie d'ê-
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tre plaiſans le plus qu'ils peuvent, leur fait faire pendant qu'ils ſont en ſilen ce, des contorſions ſouvent à contre- ſens & toujours déplacées, dont le ridicule amuſe quelques des Spec tateurs, & révolte les gens de goût.
[] L'union qui doit ſe trouver dans(L'En- semble.) le jeu, & dans le recit de tous ceux qui ſe trouvent en même tems ſur la Scène, eſt ce qu'on appelle l'Enſem ble. Cet art demande beaucoup d'o reille & de poſſeſſion du Théâtre. Il faut que pluſieurs Acteurs, qui ordi nairement ont chacun un caractère différent, & dont la ſituation n'eſt jamais la même, conſervent dans leur Jeu certain rapport qui les em pêche d'être diſcordans à l'oreille, ni aux yeux du Spectateur. On peut les comparer à des Muſiciens qui chantent un morceau à pluſieurs par ties; chacun articule des ſons diffé-
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rens, mais tous enſemble ne forment qu'une même harmonie. [] Voici de quelle maniere l'oreille conduit les Comédiens à cet Enſem ble dont je veux parler. Lorſqu'un Acteur a fini ce qu'il avoit à dire, ce lui qui prend la parole après lui, doit commencer du même ton dont l'au tre vient de finir. Si les Acteurs qui ſont en ſcène ſe trouvent également bons, ils ſont facilement enſemble, parce que chacun en finiſſant ſon couplet, amene le ton de celui qui doit ſuivre. Mais ſi l'on ſe trouve avec quelqu'un, qui ſortant du ton convenable, nous laiſſe bien loin de ce lui d'où nous devions naturellement partir, rien ne nous diſpenſe de pren dre ſon ton, quelque mauvais qu'il puiſſe être; mais par des degrés imper ceptibles & rapides, il faut ramener l'oreille au ton que la choſe deman de. On doit trouver dans les geſtes
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& les mouvemens de tous les Acteurs la même correſpondance, que dans les tons de leur voix. Une attention fort naturelle rend la choſe extrême ment facile. Que chacun examine en quelle poſition il ſe trouve vis-à- vis des autres. Si dans ſa place il doit montrer de la ſupériorité ou du reſ- pect, s'il lui convient d'enviſager au dacieuſement celui qui parle, ou d'é- viter la rencontre de ſes yeux, & ſuivant l'occurrence que les mouve mens de l'un produiſent ceux de l'au tre, & que tous ſe maintiennent exac tement dans la ſituation où la Scène doit les mettre. Les Acteurs qui de meurent toujours immobiles quand ils ſont en ſilence, & qui n'agiſſent que lorſqu'ils ont à parler; ceux qui d'un air déſœuvré portent leurs re gards de côté & d'autre, ne ſçau roient parvenir à cet Enſemble; au contraire ils y nuiſent par leur indo-
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lence. Tous les Acteurs doivent con courir à augmenter la force de l'ex preſſion de celui qui parle; & lorſ- qu'ils y prennent part aux yeux du Spectateur, ils aident fortement à le ſéduire.
(Le Jeu de Thea- tre.) [] Quelquefois tous les Acteurs ſe taiſent pour un tems, & font con noître par leurs mouvemens ce qui ſe paſſe au dedans d'eux-mêmes, ou le deſſein qui les occupe. Voilà le jeu de Théâtre, méthode ſi vantée & ſi rarement miſe en uſage. Elle n'a de bornes que celles qu'elle doit recevoir de la choſe même. Tant qu'on peut exprimer des choſes nou velles, & qui ne ſortent point de la ſituation, on peut faire durer le jeu de Théâtre ſans aucun ſcrupule. On peut quitter ſa place pour aller cher cher un Acteur bien éloigné, ren verſer tout l'ordre dans lequel la ſcè-
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ne a commencé; tout cela eſt bon tant qu'il conſerve la chaleur du mo ment, mais un inſtant de froid gâ- te tout. [] Voilà d'où ſort le jeu Pantomi me, que l'on n'a fait qu'effleurer juſ- qu'ici, & qui pourroit être porté bien loin, mais qui demanderoit une étu de infinie. Je dirai ſeulement à celui qui aura deſſein de s'appliquer à ce genre, que le Pantomime ne peut montrer aux yeux que des ſituations, & ne ſçauroit exprimer que des ſen timens. Tout le reſte a beſoin du ſe cours de la parole; ainſi le Pantomi me qui en eſt privé ne peut, ni faire d'expoſition, ni raconter un fait, ni détailler des réflexions, il ne doit du commencement à la fin marcher que de ſituation en ſituation; c'eſt ce qui rend ce genre de compoſition ſi difficile. [] Voilà les parties les plus connuës
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de l'Art du Théâtre aſſez détaillées, pour qu'une perſonne auſſi intelli gente que vous l'êtes, Madame, n'ait pas beſoin d'un plus long diſ- cours. Je vais à préſent vous parler de celles qui ne ſont gueres apper- çûës que des Comédiens, & dont les Spectateurs ſentent l'effet ſans en connoître l'Art. Ce ſont deux points fort importans, ſur leſquels on prend aiſément de fauſſes idées, & qui s'ap pellent le Tems & le Feu.
(Le Tems.) [] Le Tems renferme la préciſion du moment où l'on doit parler, & les intervalles qu'il faut laiſſer dans ſon diſcours pour repoſer le Spectateur, pour lui donner le tems de prendre de nouvelles impreſſions, & pour détacher les uns des autres les diffé- rens ſentimens, dont un rôle peut être ſucceſſivement rempli. Ceux qui ne joüent que machinalement n'ob-
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ſervent jamais ces pauſes; ceux qui ne ſont qu'imitateurs les employent ſouvent hors de propos, & d'autres en abuſent par un trop fréquent uſa ge; ce qui donne à leur jeu la plus déſagréable de toutes les monoto nies. Voici la régle qu'il faut ſuivre pour ne s'y pas tromper. Lorſque vous devez répondre à celui qui vient de parler, examinez ſi ce que vous avez à lui dire eſt de telle natu re, qu'il ne puiſſe provenir que d'un mouvement que ſon diſcours vient de produire dans votre ame ſubite ment, & ſans préparation. Plus ce mouvement doit paroître ſubit, & plus il faut que votre réponſe ſoit précédée d'un repos. Car lorſque nous ſommes ſurpris par un ſenti ment imprévu, notre ame ſe remplit tout-à-coup d'une foule d'idées, mais elle ne les diſtingue pas avec la mê- me vîteſſe. Elle eſt quelques momens
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embarraſſée au choix de celle qui doit la déterminer; enfin l'idée qui prend le plus d'empire ſur nous, eſt celle qui nous entraîne, alors tou tes les autres s'évanoüiſſent, & nous exprimons avec force le ſentiment dont nous ſommes dominés. C'eſt dans ces occaſions que le tems a le plus de brillant, & qu'il eſt abſolu ment néceſſaire. Il en eſt beaucoup d'autres où l'on doit encore l'em ployer. Lorſque la réponſe que nous avons à faire ne peut être que le fruit du raiſonnement, ſi tout d'un coup déterminés par le ſentiment, nous ſommes retenus par la réflexion, qui ne nous laiſſe céder à la premiere im preſſion que par degrés, ou quand par un effort que nous faiſons ſur nous-mêmes, nous la ſurmontons en tiérement. Cherchons à rendre le précepte plus ſenſible par le ſecours d'un exemple.
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[] Achille dans la ſixiéme ſcène du quatriéme Acte d'Iphigénie en peut fournir un des plus marqués. Aga memnon vient de lui tenir des diſ- cours d'une hauteur, qui ne peut que révolter ce jeune Héros, & le porter à la plus violente colére. Mais il la reprime autant que cela eſt poſſible à un homme de ſon caractère. Il ne répond pas avec promptitude. Il s'ar rête un aſſez long tems; enfin il parle, & pendant qu'il prononce les vers: Rendez grace au ſeul nœud qui retient ma colére, &c. ſes paroles ſont diviſées par des re pos, qui expriment le contraſte que font en lui la colére & la réflexion. Enfin la colére l'emporte; mais on ſe trompe ſouvent dans l'expreſſion qui convient à cet endroit. J'ai vû
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des Acteurs après avoir prononcé à voix baſſe les deux premiers vers, élever peu à peu la voix dans ceux qui ſuivent, & finir le morceau avec des ſons éclatans. [] Pour bien rendre le ſentiment & le caractère, l'Acteur doit joüer d'u ne façon tout-à-fait oppoſée à celle que je viens de dire. Dans un hom me vraiment intrépide, l'exceſſive colére produit une tranquillité par faite. C'eſt - là le vrai caractère du courage; il prend le parti le plus ex trême, ſans qu'aucune eſpéce de timi dité le puiſſe faire balancer; il eſt alors de ſang froid. Donc Achille doit dire les deux derniers vers, Pour parvenir au cœur que vous voulez percer, Voilà par quel chemin vos coups doivent paſſer. à voix baſſe, quoique d'un air aſſûré.
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[] Il faut remarquer que par ces pa roles il propoſe le combat; & cette propoſition ne ſe fait point avec des cris indécens, à un homme qui mé- rite notre eſtime. Le coup de tête outrageant dont on voit quelquefois ces derniers mots accompagnés ou ſuivis, eſt par conſéquent ce que l'on peut faire de plus contraire à la no bleſſe & à la vérité dans la ſituation. Voilà le jeu muet, ridicule & dépla cé. Mais on finit une grande ſcène; on veut être applaudi en ſortant, & l'on pourroit bien en joüant, com me je viens de dire, manquer l'ap plaudiſſement. Car les Spectateurs accoutumés à voir joüer autrement, & à battre des mains, ſont appa remment perſuadés que cela eſt bon. [] Revenons au Tems, & exami nons les autres circonſtances où les pauſes ſont néceſſaires. Lorſque nous déſirons que celui à qui nous parlons
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faſſe une grande attention à nos diſ- cours, ou que nous voulons qu'il ſoit frappé de nos raiſons, & que ſon ame reçoive les impreſſions de la nôtre, nous devons ſéparer les di verſes idées que nous lui préſentons par des repos ſenſibles. Nous don nons par ce moyen à ſa raiſon le tems de peſer toutes nos paroles, & nous ménageons pour nous - mêmes les moyens d'augmenter l'expreſſion par dégrés, & d'arriver au point de convaincre ou de ſéduire. Je ne par lerai point de ces momens où le cœur indécis ne ſçait à quel ſenti ment ſe livrer, & paſſe ſucceſſive vent à des mouvemens qui n'ont point de liaiſon entr'eux; tout le monde ſent aſſez que le débit de ces morceaux doit être coupé par des tems conſidérables. Je n'ai plus qu'u ne attention à faire, c'eſt la plus im portante. Si le tems que nous pre-
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nons eſt trop court, il ne fait au cune impreſſion. S'il eſt trop long, il rallentit le ſentiment que nous avons fait naître dans le Spectateur, & que nous devons précieuſement conſerver. C'eſt par une ſenſibilité fine que nous pouvons donner au tems ſa juſte étenduë. Laiſſons le Spectateur ſe pénétrer de ce que nous venons de dire, aſſez pour qu'il ſoit entraîné par ce qui va ſui vre; mais ne permettons pas qu'il ait le tems de perdre l'illuſion. Sur tout n'employons les tems qu'à pro pos, de crainte que l'Auditeur ne s'y accoûtume, & n'y devienne à la fin tout-à-fait inſenſible.
[] Ce que les Comédiens appellent(Le Feu.) feu, eſt préciſément l'oppoſé du tems. Ce n'eſt qu'une vivacité ex ceſſive, une volubilité dans le diſ- cours, une précipitation dans le geſ-
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te, au-deſſus de l'ordinaire. Cette maniere de jouer eſt quelquefois né- ceſſaire, & peut beaucoup émou voir lorſqu'elle eſt à ſa place. Les ſi tuations dans leſquelles une paſſion vive nous agite violemment, ſont celles qui ſouvent y donnent lieu. Le bon ſens indique trop clairement les occaſions où elle convient, pour que je m'amuſe à les détailler. Je vais ſeulement expliquer comment le feu ſe trouve quelquefois déplacé, & comment on prend quelquefois pour du feu, ce qui n'eſt qu'une pé- tulance ridicule. [] Si notre eſprit eſt animé de façon à ne laiſſer aucune place à la réfle xion, & ne ſe trouve plus le maître de lui-même, il faut palerr avec vî- teſſe, ſe mouvoit avec vivacité, ne point donner aux autres le tems de nous répondre, & ne plus conſerver aucun ordre dans les geſtes. Je crois
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que vous voyez, Madame, combien je mets de différence entre ce que je nomme feu, & ce qui doit s'appel ler expreſſion vive & forte. Car ex cepté les occaſions dont je viens de parler, c'eſt par le ſecours du tems que l'on exprime avec le plus de vi gueur. De ce feu, qui bien employé, produit d'excellens effets, eſt né un défaut qui depuis long-tems eſt en vogue; c'eſt l'uſage immodéré des Tirades. Lorſqu'on a un grand cou plet à dire, on croit être admirable en le diſant bien vîte, & en cher chant par la volubilité de ſa langue à ébloüir le Spectateur, qui ſouvent en eſt ébloüi. Je n'ai preſque jamais approuvé cette méthode. Si un long morceau eſt rempli de choſes dignes d'attention, donnons à ceux qui nous écoutent le tems de tout concevoir & de tout ſentir. S'il ne renferme que des mots aſſemblés ſans penſée,
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prions l'Auteur de le raccourcir. Je ne dis pas que la Tirade doive être abſolument bannie du Théâtre; il eſt des occaſions où elle peut aller bien, mais elles ſont extrêmement rares; & beaucoup de couplets que l'on précipite de la ſorte, s'ils étoient dits plus lentement, paroîtroient bien ſupérieurs à l'oreille du Spectateur délicat, qui veut entendre tout ce qu'il écoute. Les Comédiens novi ces ont quelquefois trop de feu, & c'eſt ce qui les rend froids. Ils veu lent donner de l'expreſſion, & le manque d'uſage leur fait prendre la véhémence & la précipitation pour de la force.
(Le Choix.) [] Mon pere, dans ſon Poëme Ita lien, ſur l'art de repréſenter, dit que celui qui veut joüer la Comédie, doit s'attacher à l'eſpéce de rôle qui con vient à ſon talent, mais ſur tout à ſa
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figure & à ſa voix. Ce principe eſt trop ſage pour que je puiſſe m'en écarter. Car je ne m'aviſerai point de dire que tout Comédien doit avoir une belle figure & une voix flateuſe. Cela peut être vrai pour ceux qui joüent le Tragique & le haut Comique; mais rien n'eſt plus contraire à la raiſon que cette idée, ſi l'on enviſage tous les autres rôles de la Comédie. Pour jouer Nicolle dans le Bourgeois Gentilhomme, Martine dans les Femmes Sçavan tes, & mille autres, ſans contredit la figure d'une Payſanne groſſière, eſt de beaucoup préférable à une tail le de Nymphe, & une voix dure y convient mieux qu'une plus douce. Il en eſt de même des rôles de Vieil le, des Payſans, des Peres ridicules & même des Valets. Celui qui dans ces caractères aura une taille fine & délicate, une voix fluttée, & ſur tout
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une phyſionomie noble, démentira ſans ceſſe la vérité & le plaiſant de ſon perſonnage. En un mot M. Guil laume doit avoir la figure peſante, Thomas Diaphorus doit montrer un air ſot, & ce ne ſont point là des traits de beauté.
(La Pra- tique.) [] Après avoir parcouru les différens points qui renferment la théorie du Theâtre, il me reſte, Madame, à vous donner les moyens de parvenir peu à peu juſqu'à la pratique. Il faut y marcher à pas meſurés, & beau coup d'Acteurs ſont demeurés en ar rière, pour avoir voulu d'abord al ler trop vîte. L'art de bien dire, eſt le premier pas vers le Théâtre. L'art de tout exprimer, eſt le point de perfection. Sur ce principe, lorſque je me ſuis trouvé dans l'occaſion de donner à quelqu'un des conſeils ſur l'etude de cet Art, voici la méthode
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que j'ai miſe en uſage. Elle paroît longue à ceux qui ont de l'impatien ce; mais je ne crois pas qu'il y en ait de plus exacte, ni de plus utile.
[] Il faut d'abord s'accoûtumer à lire(La Cham- bre.) un morceau, comme il convient de le faire, lorſqu'on eſt dans une cham bre au milieu de quelques amis. Ce talent de bien lire n'eſt pas commun; voici ce qui le caractériſe. C'eſt pour faire des réflexions que vous liſez quand vous êtes ſeule; c'eſt pour en faire aux autres que vous liſez de vant eux. Le raiſonnement & la ré- flexion doivent donc être les parties dominantes dans une lecture faite en particulier. L'émotion n'y doit preſ- que point avoir de part, même dans les endroits les plus vifs. Il faut les marquer aſſez pour qu'on les apper- çoive, jamais aſſez pour arriver juſ- qu'à la forte expreſſion, qui de près &
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dans le ſilence, devient toujours du re & ſouvent ridicule. Cette façon de lire accoûtume la voix à ſe ſou tenir avec égalité dans des inter valles peu diſtans des uns des autres.
(L'Aca- demie.) [] Il faut de-là paſſer à un ton un peu plus détaillé. Il s'agit de lire le mê- me morceau, comme il convien droit de le faire dans une ſéance publique de l'Académie Françoiſe. Le ton d'une lecture de cette eſpé- ce, ne doit point encore ſortir du raiſonnement. Il ne doit avoir de plus que le précédent, qu'une façon marquée de faire ſentir l'élégance du ſtile, le beau tour de la phraſe, le choix heureux des termes. La voix y doit être plus ſonore, parce qu'elle eſt ſupoſée devoir s'étendre dans une plus grande ſalle, & de vant un plus grand nombre d'Audi teurs. La prononciation doit s'y
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conſerver dans la plus grande dou ceur & la plus parfaite exactitude.
[] Nous ſommes à préſent capables(Le Bar- reau.) d'arriver au ton du Barreau. C'eſt ici que l'expreſſion commence à prendre une certaine force. Mais elle doit encore être modérée. L'A vocat occupe en quelque ſorte de vant les Juges la place de ſon client. Il parle à des perſonnes reſpectables & qui vont décider de ſon ſort. La perſuaſion eſt ſon objet principal, l'attendriſſement en eſt la voye la plus ſûre. Il doit donc raiſonner avec force, mais non pas avec orgueil. Il doit, dans le récit, avoir grand ſoin d'intéreſſer à ſes peintures. Mais il ne doit s'attendrir qu'en qualité d'homme, & jamais comme Partie. Par-là ſon expreſſion eſt tout à la fois noble & hors de ſoupçon. C'eſt en s'exerçant au ton du Barreau que
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l'on s'accoutume à dire d'une ma niere inſinuante.
(La Chaire.) [] La Chaire s'éleve bien davan tage. Elle porte avec elle le ton ſupérieur & dominant. L'Orateur ſacré dans le moment où il parle ſe trouve dans une poſition qui le rend infiniment ſupérieur à tous ceux qui l'écoutent. Il traite les matieres les plus reſpectables, & doit ſans ceſſe inſpirer le reſpect qu'elles méritent. S'il donne un conſeil, c'eſt en maî- tre; s'il s'attendrit, ce n'eſt que de pitié. Cette façon de dire porte à la grandeur, & conduit à la majeſté. Elle va juſqu'à la plus grande force, & en ce genre tout lui convient juſ- qu'à l'entouſiaſme.
(Le Theatre.) [] La Scène raſſemble tous ces tons différens, & y joint quelque choſe de plus, c'eſt l'expreſſion de ſon pro-
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pre ſentiment. Le Lecteur n'a point compoſé l'ouvrage qu'il lit, l'Aca démicien n'eſt point le précepteur de ceux qui l'écoutent, l'Avocat n'a pas réellement un procès, l'Orateur ſacré n'eſt qu'un homme, le Comé- dien eſt la perſonne même en telle ou telle ſituation; tout ce qu'il dit doit paroître l'ouvrage ſubit de ſon ame. C'eſt en ſuivant l'ordre que je viens de preſcrire dans l'étude du Théâtre, que l'on parvient à ſe ren dre capable de tout exprimer en quelque ſituation que ce puiſſe être. [] Je croirois avoir tout dit, s'il étoit poſſible qu'un homme ſçut aſ- ſez bien ſon art pour avoir tout vû, mais je ne me flatte pas juſqu'à ce point. Tout l'art du Théâtre ſe ré- duit à un très-petit nombre de prin cipes. Il faut toujours imiter la na ture. L'affectation eſt le plus grand de tous les défauts, quoique ce ſoit
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le plus commun. Le goût ſeul peut nous contenir dans les étroites li mites de la vérité. [] Tout ce que j'ai écrit juſqu'à pré- ſent ne tend qu'à vous donner les moyens de bien diſtinguer ces li mites; votre intelligence, Madame, peut ſeule faire le reſte.
FIN.

APPROBATION.

J'Ai lû par ordre de Monſeigneur le Chancelier l'Art du Théâtre: J'y ai trouvé des principes bien dévelop pés, & des Régles fort utiles pour la perfection de cet Art. Je crois que le Public en verra l'impreſſion avec plaiſir. Fait à Paris le 21 Octobre 1749.
DE CAHUSAC.
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PRIVILEGE DU ROI.

LOUIS, par la grace de Dieu, Roi de France & de Navarre: A nos amés & féaux Conſeillers, les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conſeil, Prevôt de Pa ris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans Civils, & au tres nos Juſticiers qu'il appartiendra: Salut. Notre bien amé le Sieur François Riccoboni, Nous a fait ex poſer qu'il deſireroit faire imprimer & donner au Public un Ouvrage de ſa compoſition, qui a pour titre, L'Art du Théâtre, s'il Nous plaiſoit lui accorder nos Lettres de Pri vilege pour ce néceſſaires. A ces causes, voulant favo rablement traiter l'Expoſant, Nous lui avons permis & permettons par ces Préſentes, de faire imprimer ſondit Ouvrage, en un ou pluſieurs Volumes, & autant de fois que bon lui ſemblera, & de le faire vendre & débiter par tout notre Royaume, pendant le tems de neuf années con- ſécutives, à compter du jour de la datte deſdites Préſen tes. Faiſons défenſes à tous Libraires, Imprimeurs & au tres perſonnes de quelque qualité & condition qu'elles ſoient, d'en introduire d'impreſſion étrangere dans aucun lieu de notre obéiſſance, comme auſſi d'imprimer, ou faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni contre faire ledit Ouvrage, ni d'en faire aucun extrait, ſous quelque prétexte que ce ſoit d'augmentation, correction, changement ou autres, ſans la permiſſion expreſſe & par écrit dudit Expoſant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confiſcation des Exemplaires contrefaits, de trois mille livres d'amende contre chacun des contreve nans, dont un tiers à Nous, un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris, & l'autre tiers audit Expoſant, ou à celui qui aura droit de lui, & de tous dépens, dommages & intérêrs; A la charge que ces Préſentes ſeront enregiſtrées tout an long ſur le Regiſtre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la datte d'icelles: Que l'impreſſion dudit Ouvrage ſera faite dans notre Royaume, & non ailleurs, en bon papier & beaux carac tères, conformément à la feuille imprimée attachée pour modéle ſous le contre-ſcel deſdites Préſentes; que l'Im-
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pétrant ſe conſormera en tout aux Réglemens de la Li brairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725. qu'avant que de l'expoſer en vente, le Manuſcrit qui aura ſervi de copie à l'impreſſion dudit Ouvrage, ſera remis dans le même état où l'Approbation y aura été donnée es mains de notre très-cher & féal Chevalier le Sieur d'Aguesseau, Chancelier de France, Commandeur de nos Ordres; & qu'il en ſera enſuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, & un dans celle de notredit très-cher & féal Chevalier le Sieur d'Aguesseau, Chancelier de France: le tout à peine de nullité deſdites Préſentes. Du contenu deſquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expoſant ou ſes ayans cauſes, pleinement & paiſiblement, ſans ſouffrir qu'il leur ſoit fait aucun trou ble on empêchement. Voulons que la copie deſdites Pré- ſentes, qui ſera imprimée tout au loug au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, ſoit tenue pour duement ſigni fiée, & qu'aux copies collationnées par l'un de nos amés & feaux Conſeillers & Secretaires, foi ſoit ajoutée com me à l'original. Commandons au premier notre Huiſſier ou Sergent ſur ce requis, de faire pour l'exécution d'i celles tous actes requis & néceſſaires, ſans demander au tre permiſſion, & nonobſtant clameur de Haro, Charte Normande, & Lettres à ce contraires: Car tel eſt notre plaiſir. Donne' à Paris, le quinziéme jour du mois de Novembre, l'an de grace mil ſept cent quarante-neuf, & de notre Regne le trente-cinquiéme. Par le Roi en ſon Conſeil.
SAINSON.
Regiſtré ſur le Regiſtre XII. de la Chambre Royale & Syn dicale des Libraires & Imprimeurs de Paris, N. 354. fol. 234. conformément au Réglement de 1723. qui fait défenſe, art. 4. à toutes perſonnes, de quelque condition qu'elles ſoient, au tres que les Libraires & Imprimeurs, de vendre, débiter & faire afficher aucuns Livres, pour les vendre en leurs noms, ſoit qu'ils s'en diſent les Auteurs ou autrement; & à la char ge de fournir à la ſuſdite Chambre huit Exemplaires preſcrits par l'Art. 108. du même Réglement. A Paris le 25 Décembre 1749.
LEGRAS, Syndic.
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1* L'ordre que je vais ſuivre eſt préciſément celui dans lequel un Comédien doit faire l'étude de ſon art.
2* Je ſçais que dans cet article je ſuis entiere ment oppoſé au ſentiment de mon pere, comme on peut le voir dans ſes penſées ſur la Déclama tion. Le reſpect que je dois à ſa déciſion, le recon noiſſant pour mon maître dans l'art du Théâtre, ſuffit pour me perſuader que j'ai tort; mais j'ai cru que ma réflexion, vraie ou fauſſe, ne ſeroit pas inutile au Lecteur.

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